SEANCE DU 17 DECEMBRE 2001
M. le président.
« Art. 6. - Il est institué pour 2001, au profit du budget de l'Etat, un
prélèvement exceptionnel de 400 millions de francs sur les réserves de
l'Institut national de la propriété industrielle. »
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 10 est présenté par M. Marini, au nom de la commission des
finances.
L'amendement n° 53 est présenté par M. Grignon et les membres du groupe de
l'Union centriste.
Tous deux sont ainsi libellés :
« Supprimer l'article 6. »
La parole est à M. le rapporteur général, pour présenter l'amendement n°
10.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Nous en sommes encore aux recettes de poche ou
recettes non fiscales nécessaires pour équilibrer les emplois et les ressources
de ce collectif budgétaire.
Madame le secrétaire d'Etat, le Gouvernement a décidément beaucoup
d'imagination en la matière ! En effet, il lui a fallu répartir entre la loi de
finances initiale pour 2002 et ce collectif budgétaire pour 2001 le recours aux
quelques ressources non pérennes qui sont bien pratiques dans le contexte
actuel.
La commission n'est pas convaincue du bien-fondé du prélèvement de 400
millions de francs que le Gouvernement propose d'opérer sur les réserves de
l'Institut national de la propriété industrielle, l'INPI.
Comme nous l'avons rappelé dans le rapport écrit, l'INPI est entièrement
autofinancé par les redevances tirées des dépôts de brevets, de marques, de
dessins et de modèles ainsi que par les produits de l'immatriculation au
registre du commerce et des sociétés.
En outre, il réalise, par délégation de l'Etat, une mission véritablement
régalienne, celle de la protection de la propriété industrielle.
Le prélèvement dont il s'agit intervient à un moment où l'innovation et la
compétitivité devraient être au coeur de toutes nos préoccupations. Si l'on
veut inciter les entreprises, notamment les PME, à mieux protéger leurs
connaissances, il faut non pas ponctionner l'INPI, mais diminuer le coût des
brevets.
L'INPI dispose de ressources car ses dépenses, qui sont gérées d'une manière
raisonnable et modérées par cet établissement public, ne suivent pas le même
rythme que celui des recettes. On constate régulièrement des excédents,
lesquels sont aussi régulièrement ponctionnés. Pour anticiper, madame le
secrétaire d'Etat, sur une remarque que vous pourriez me faire, je tiens à vous
préciser que ces ponctions ont été décidées par tous les gouvernements - je
n'ai cité dans mon rapport écrit que les années les plus récentes : 1991, 1995,
1997 et 2001.
Nous considérons donc qu'il serait préférable de diminuer le coût des brevets.
Une telle mesure répondrait au souci, souvent exprimée dans les discours -
moins dans la pratique - d'inciter à déposer des brevets, surtout dans les
secteurs de haute technologie. C'est d'autant plus important que la part de la
France diminue de manière préoccupante dans certains segments de la protection
des connaissances. Ainsi, dans le rapport Charzat - qu'on me pardonne de le
citer une nouvelle fois, mais c'est un bon document - il est souligné que le
nombre des brevets déposés en France reste très inférieur à la moyenne des
autres pays de l'OCDE.
Il faut savoir également que l'INPI devra faire face à des dépenses nouvelles
dans les années à venir. Il devra, entre autres, participer au financement du
brevet européen, prévu par l'accord de Londres, et aux mesures d'accompagnement
considérables qui résulteront de la traduction des brevets en langue française.
Il lui appartiendra surtout de promouvoir auprès des entreprises la nécessité
de la propriété industrielle, qui est une véritable arme stratégique. Tout cela
exige des moyens.
Contrairement à la position qu'elle a adoptée sur le BRGM, la commission
conteste l'opportunité même du prélèvement et pas seulement le mode de
comptabilisation de la recette.
M. le président.
La parole est à M. Fréville, pour défendre l'amendement n° 53.
M. Yves Fréville.
Je ne reprendrai pas les excellents arguments de M. le rapporteur général que
M. Grignon et moi-même partageons totalement. En revanche, j'insisterai sur la
vocation de l'INPI à mettre en oeuvre l'accord de Londres et sur l'effort que
va devoir fournir cet établissement pour traduire les brevets déposés en
anglais et en allemand afin de les mettre à la disposition des PME
françaises.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
La position de la commission n'est pas seulement
formelle ; c'est aussi pour des raisons de fond qu'elle s'oppose au prélèvement
exceptionnel de 400 millions de francs sur les réserves de cet
établissement.
Outre le fait que de tels prélèvements ont eu lieu dans le passé pour des
montants parfois plus importants, celui qui est proposé aujourd'hui par le
Gouvernement me paraît justifié au regard de la forte croissance qu'ont connu
les réserves de l'INPI depuis la date du dernier prélèvement opéré en 1997. Ces
réserves s'élevaient en effet à 731 millions de francs à la fin 2000. Par
conséquent, ce nouveau prélèvement apparaît très raisonnable.
Monsieur le rapporteur général, je suis sensible à la préoccupation que vous
avez exprimée de réduire le coût des brevets. Le Gouvernement a travaillé dans
ce sens, puisque plusieurs composantes de ce coût, dont la redevance de rapport
de recherche, ont fait l'objet d'importantes diminutions de tarifs. En France,
le coût total d'un brevet assurant une protection pendant vingt ans est
inférieur au coût observé au Japon, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en
Italie.
Pour toutes ces raisons, je ne peux qu'être défavorable à ces amendements.
M. le président.
Je vais mettre aux voix les amendements n°s 10 et 53.
M. Eric Doligé.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Doligé.
M. Eric Doligé.
Il s'agit, là encore, de supprimer un article qui vise à opérer un prélèvement
sur des ressources disponibles, comme si tout allait toujours très bien dans le
meilleur des mondes. C'est en tout cas l'impression que donne le Gouvernement.
Mais, madame le secrétaire d'Etat, les situations peuvent évoluer, et même si,
comme vous l'avez dit, le coût total d'un brevet est, en France, inférieur au
coût observé dans certains autres pays concurrents, il reste encore extrêmement
élevé !
Je me rallie donc à l'avis de M. le rapporteur général, que je prie de bien
vouloir m'excuser de reprendre certains de ses termes dans le rappel que je
voudrais faire.
Le retard de la France en matière de dépôt de brevets est très inquiétant et
remet inévitablement en cause la place de notre pays sur le plan de la
recherche et de l'innovation technologique.
Selon le tableau de bord de l'innovation 2001 de la Commission européenne, la
France est particulièrement mal placée en termes de dépôts de brevets et de
recherche et développement par rapport à l'ensemble de ses partenaires
européens. Nous sommes même en queue de peloton en compagnie du Portugal, de
l'Italie et de l'Autriche.
La France dépose 14 000 brevets annuels sur son territoire, soit près de deux
fois moins que la Grande-Bretagne, quatre fois moins que l'Allemagne et quinze
à vingt fois moins que les Etats-Unis !
De plus, les Etats-Unis ont pratiquement quadruplé leurs dépôts de brevets
dans la dernière décennie, alors que les dépôts de brevets des entreprises
françaises dans leur ensemble ne progressent que de 1 % à 2 % par an.
En France, trois entreprises sur quatre ne déposent jamais de brevets
d'invention.
Fort de ce constat alarmant, la commission des affaires économiques et son
rapporteur, notre collègue Francis Grignon, ont proposé un plan « brevet » pour
accompagner les mutations du droit européen, entamer un « rattrapage » sur le
plan de la propriété industrielle par rapport à des pays comme l'Allemagne ou
les Etats-Unis, et diffuser plus largement la « culture brevet » aux
entreprises françaises.
Du fait de l'importance de l'enjeu, ce plan « brevet » vise à agir
simultanément sur sept maillons de la chaîne : mettre en place des actions de
sensibilisation et d'accompagnement des PME françaises, mobiliser les
chercheurs publics, revoir la fiscalité des inventeurs indépendants et le
régime d'incitation des inventeurs salariés, renforcer la profession de
conseils en propriété industrielle, dont le statut est en retard par rapport
aux pays voisins, réformer le fonctionnement des tribunaux compétents en
brevet, renforcer la formation de spécialistes scientifique, technique, enfin,
sensibiliser l'ensemble des étudiants, notamment de la filière scientifiques et
techniques, au brevet d'invention.
Ce plan, qui est crucial pour notre pays, appelle un effort particulier des
pouvoirs publics, notamment sur le plan financier.
Or la première mesure gouvernementale qui est annoncée, à la suite de la
publication du rapport du Sénat, consiste non pas à amorcer des mesures
fondamentales pour notre pays dans le sens indiqué mais, au contraire, à
supprimer par avance les ressources financières nécessaires.
Pour ces raisons, madame le secrétaire d'Etat, nous souhaitons que vous
reveniez sur le prélèvement inscrit à l'article 6 et que vous acceptiez la mise
en place du Plan « brevet », recommandé par la commission des affaires
économiques et du plan. Dans le cas contraire, nous voterons l'amendement de
suppression de la commission des finances.
M. le président.
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 10 et 53, repoussés par le
Gouvernement.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président.
En conséquence, l'article 6 est supprimé.
Article 7