SEANCE DU 20 DECEMBRE 2001
ACCÈS AUX ORIGINES DES PERSONNES
ADOPTÉES ET PUPILLES DE L'ÉTAT
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 352, 2000-2001),
adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'accès aux origines des personnes
adoptées et pupilles de l'Etat. Rapport n° 72 (2001-2002), avis n° 77
(2001-2002) et rapport d'information n° 65 (2001-2002).
La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux remercier,
tout d'abord, M. le rapporteur de son excellent travail, ainsi que la
commission et, bien sûr, la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des
chances entre les hommes et les femmes.
Ce texte, important, consacre l'émergence d'un nouveau droit de la
personnalité, le droit de chacun au respect et à la connaissance de son
histoire. Cette création a une portée symbolique forte, mais aussi des
conséquences concrètes. Elle s'appuie sur la qualité des procédures et
s'appuiera sur la formation des personnes chargées de sa mise en oeuvre.
Les débats à l'Assemblée nationale, puis les travaux du Sénat, nous ont permis
d'achever de clarifier l'articulation entre les compétences du Conseil national
pour l'accès aux origines personnelles, ou CNAOP, et celles des départements,
qui demeurent inchangées. Les personnes concernées pourront, à leur choix,
s'adresser au Conseil national ou au département. Les seules compétences créées
par la loi au profit exclusif du Conseil national concernent la recherche de la
volonté, du consentement des parents de naissance à la levée du secret de leur
identité.
De ce point de vue, ce texte me paraît exemplaire, car il permettra de
conjuguer les avantages de la proximité d'un service décentralisé, adapté aux
réalités locales, avec la compétence nationale qu'exige le traitement de
questions rares et relevant des droits fondamentaux de la personne humaine. Le
Conseil national, véritable autorité morale, assurera la nécessaire
harmonisation des pratiques, par une formation commune et des échanges
réguliers au niveau national.
Il est des circonstances où l'art du législateur consiste à organiser la
convergence, à rendre enfin compatible ce que le sens commun et le poids des
habitudes semblaient figer en positions adverses. Le droit tantôt sépare,
distingue et tranche, tantôt, au contraire, joint, relie, unit.
Ce texte témoigne de ce que la loi générale peut offrir un cadre et des
références communes sans écraser l'irréductible singularité des situations
vécues ni ignorer les changements que le temps peut y apporter.
Le sujet dont nous avons à débattre aujourd'hui est lesté de beaucoup de
souffrances, mais aussi d'espérances.
Les travaux de l'Assemblée nationale puis ceux de la commission, de M. le
rapporteur ainsi que ceux de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité
des chances entre les hommes et les femmes ont permis de parfaire l'équilibre
du texte du Gouvernement et de préciser les contours de cette instance que nous
créons ; je m'en réjouis.
Le moment est donc venu de mieux garantir les droits respectifs et, en
réalité, solidaires des mères contraintes à l'abandon et des enfants pupilles
de l'Etat ou adoptés ; le moment est venu d'en finir avec la règle de l'opacité
et les fictions juridiques qui amputent de manière irréversible la biographie
de milliers d'enfants, qu'ils soient déjà nés ou à naître.
Ce travail est d'abord le fruit d'une clarification de concepts qui ont été
souvent utilisés de façon confuse. D'une part, la confidentialité ne doit pas
être confondue avec le secret qui, lui-même, diffère de l'anonymat. D'autre
part, la connaissance de ses origines ne doit pas être confondue avec
l'établissement du lien de filiation.
L'objet de ce texte est de dépasser les antagonismes qui semblaient
irréductibles. Il s'agit de concilier tout à la fois possibilité de savoir et
droit que cela ne se sache pas, liberté des femmes et protection des enfants,
sécurité des liens et accès à son histoire.
Dans ce texte, le parti pris est celui de l'équilibre des droits : droit
fondamental de l'enfant à connaître ses origines et son histoire ; droit des
parents de naissance, en tout premier lieu de la mère, à la confidentialité, au
respect de sa vie privée, à la connaissance de ses droits et des soutiens dont
elle peut bénéficier pour prendre sa décision en pleine connaissance de cause ;
droit des familles adoptives à la sécurité de la filiation.
Instance nationale, donc identifiable par tous, le Conseil national n'a pas de
mission juridictionnelle, mais il doit être le garant non seulement de
l'unification souhaitable des conditions de recueil, de conservation et de
communication des informations relatives à l'identité des parents de naissance,
mais aussi de nouvelles pratiques permettant à chacun d'exercer ses droits tout
en bénéficiant d'actions d'accompagnement et de médiation individualisées.
Le Conseil national travaillera à l'élaboration de protocoles d'accueil,
d'accompagnement et d'information sur les droits et devoirs des personnes
concernées par l'accouchement secret et assurera la formation des
professionnels du champ sanitaire et social.
Sur ce point, je tiens à préciser que, comme je m'y étais engagée lors du
débat à l'Assemblée nationale, nous avons d'ores et déjà travaillé sur le
projet de décret d'application de la loi. Je tiens ici à remercier les
associations de leur précieuse contribution, le Mouvement pour le droit d'accès
aux origines familiales, le Droit des pupilles de l'Etat et des adoptés à leurs
origines, la CADCO - coordination des actions pour le droit à la connaissance
des origines - les Mères de l'ombre, l'association Illythie, l'Association
nationale des sage-femmes territoriales et la FNADEPAPE - Fédération nationale
des associations départementales d'entraide aux pupilles et anciens pupilles de
l'Etat et des personnes admises ou ayant été admises à l'aide sociale à
l'enfance. Toutes ces associations devront continuer à unir leurs efforts pour
que cette réforme trouve son plein effet.
L'objectif, je le dis ici très clairement, est de permettre de concilier la
protection des femmes qui accouchent dans le secret - notamment la protection
de leur santé et de celle de l'enfant - et l'organisation de la levée
volontaire de ce secret afin de permettre à tout enfant d'accéder, le moment
venu, aux éléments constitutifs de son identité.
L'accueil gratuit et inconditionnel, sans obligation de produire une pièce
d'identité ni enquête préalable, reste, bien sûr, garanti à toute femme en
détresse. La décision d'accoucher dans ces conditions n'appartient, au bout du
compte, qu'à elle. Jusqu'à aujourd'hui, la désinformation de nombreuses femmes,
combinée à leur isolement et aux pressions qu'elles subissent, les conduisaient
à prendre dans l'urgence, parfois sous le coup du déni, des décisions procédant
de l'ignorance de leurs droits et de leurs devoirs à l'égard de leur enfant.
C'est pourquoi la règle désormais posée est que toute femme sera invitée à
consigner - en connaissance de cause, à destination de son enfant et sous pli
scellé - son nom, celui du père ainsi que tous les éléments, historiques et
médicaux, de nature à renseigner l'enfant sur les circonstances de sa venue au
monde et sur l'identité de ses parents. Elle sera « invitée si elle l'accepte »
et non « forcée », car vous n'ignorez pas que, dans certaines situations
particulièrement difficiles, la contrainte peut se révéler plus dangereuse que
protectrice, pour la mère comme pour l'enfant, et conduire à l'accouchement
clandestin, donc à la mise en péril de l'enfant.
Ma conviction est que, si elles sont correctement averties et plus
efficacement aidées, les femmes qui n'ont pas décidé d'élever leur enfant
choisiront cette forme d'aménagement du secret, plutôt que l'anonymat, solution
irréversible qui organise socialement le déni de la grossesse, ce qui n'a plus
lieu d'être. Mais davantage de femmes encore, j'en suis certaine, feront, dans
l'avenir, le choix de ne pas accoucher dans le secret, de consentir
personnellement à l'adoption de leur enfant ou de décider de l'élever en se
soustrayant parfois aux pressions de leur entourage.
Vous proposez de permettre la prise en charge des frais d'accouchement dans
tous les cas : cette mesure-là est fort bienvenue. J'approuve également vos
propositions sur la douloureuse question de la divulgation du secret après le
décès des parents de naissance. Elles apportent des réponses nuancées et elles
atténuent la rigueur d'un secret qui serait emporté dans tous les cas par-delà
le décès. Elles permettent à l'enfant qui en fait la demande d'accéder à la
connaissance de son histoire originaire ou de se rapprocher de proches parents
qui, eux-mêmes, ont souhaité un tel rappochement, sous réserve que les parents
de naissance ne s'y soient pas formellement opposés de leur vivant.
Inciter, informer, dialoguer, privilégier l'accompagnement et, surtout,
l'expression personnelle de la volonté, tel est le choix de la méthode. Je le
crois conforme à l'intérêt des enfants.
Le maître mot du projet de loi qui vous est soumis est l'équilibre, un
équilibre encore raffermi par les travaux du Sénat, un équilibre dynamique
inscrit dans la durée. Beaucoup attendent depuis longtemps une loi qui leur
redonne l'espoir de combler ce manque dont l'ombre portée peut s'étendre sur
toute une vie.
Pour conclure, j'insisterai sur quatre dimensions, à mes yeux, essentielles,
du projet de loi qui vous est soumis.
Tout d'abord, mieux garantir à chacun le droit de connaître ses origines n'est
pas sacrifier à quelque dérive du « tout biologique », car ce droit s'exerce
non pas au nom des « liens du sang », mais au nom de l'histoire telle qu'elle a
été vécue. Les enfants adoptés nés sous x nous le disent : ce n'est pas une
mère ou une famille que nous cherchons, nous en avons une, notre famille
d'adoption. Ce que nous cherchons, c'est une identité complète adossée à la
vérité de notre biographie.
Ce projet de loi tient l'accouchement pour autre chose que pour une péripétie
biologique marquée au coin d'une improbable « dictature des gènes ». C'est
pourquoi je préfère l'expression « parents de naissance » à celle de « parents
biologiques ». L'accouchement n'est pas non plus un événément qui ne concerne
que la mère. Eviter que la trace en soit perdue et la mémoire barrée, ce n'est
pas river l'identité à la chair mais l'ancrer dans une histoire où les parents
de naissance ont eu un rôle ; ils ne peuvent être gommés et ne devraient pas
être interdits d'accès.
Ce projet de loi est un texte qui, si j'ose dire, laisse le temps au temps. Il
permet aux décisions de mûrir et d'être corrigées. Les droits nouveaux qu'il
ouvre ne prennent tout leur sens que parce qu'ils font cette part du temps au
fil duquel les choses et le regard que l'on porte sur elles sont susceptibles
d'évoluer. Au fond, il vous est aussi demandé de donner force de loi au droit
de chacun à sa propre temporalité, d'inclure dans son principe la dimension
forcément changeante des situations vécues. Le désir de savoir peut hanter
précocement ou advenir fort tard ; il peut aussi ne jamais advenir : autant
d'histoires de vie, autant de parcours singuliers à respecter.
La création du CNAOP participe de l'affirmation d'un nouveau droit de la
personnalité, respectueux des différentes dimensions de l'identité
individuelle. Ce droit à toutes les facettes de son identité est un droit
profondément moderne. Il est le pouvoir reconnu à chacun de combiner à sa
manière les différentes composantes qui le font ce qu'il est, héritier d'une
histoire toujours complexe. C'est une affaire non pas simplement de vie privée,
mais de légitimité inscrite dans l'espace public, et c'est là que la loi a
toute sa place. Là où, trop souvent, on n'aperçoit que contradictions ou
déchirements, il faut apprendre à conjuguer, à additionner, plutôt qu'à
retrancher.
L'accès aux origines personnelles ne fragilise pas la filiation qu'établit
l'adoption et dont la sécurisation est un axe essentiel, vous le savez, de la
réforme du droit de la famille à laquelle je me suis attachée. Nous devons, je
le crois, apprendre à faire davantage de place, dans la vie d'un enfant, à
d'autres adultes susceptibles de compter pour lui.
Enfin, je ne crains pas de le dire, cette loi est aussi une loi pour les
droits des femmes, car elle est attentive aux femmes, à leur détresse et aux
conditions de l'exercice effectif de ces droits qui sont les leurs.
Elle peut leur permettre d'assumer effectivement leur maternité en leur
donnant accès à toutes les informations, sans remettre en cause le principe de
l'accouchement sous x.
La pratique actuelle de l'accouchement sous x n'est pas un acquis. C'est en
quelque sorte une défaite des femmes, conduites à prendre, souvent très jeunes,
sous la pression de leur entourage et sans pouvoir en mesurer toute la portée
sur le moment, des décisions qui les ligotent pour la vie. Elles sont livrées,
ici ou là, à ces rapports de force, vécus comme autant de pouvoirs, auxquels
les meilleures intentions peuvent donner lieu, les institutions publiques ou
privées détenant le monopole du secret et décidant d'en barrer l'accès pour le
bien supposé des unes ou des autres. Les femmes veulent davantage de respect et
de solidarité.
« Notre corps nous appartient ! » ont à juste titre scandé nos aînées. « Notre
histoire aussi ! » ai-je envie d'ajouter au nom des enfants, sans exclusion des
plus démunies et des enfants auxquels il leur a fallu renoncer. Aider à faire
face sans forcer brutalement au face-à-face, tel est le sens de ce projet de
loi, qui, je le pense, soulagera bien des peines et des détresses, et qui
éclairera des avenirs aujourd'hui assombris par l'absence de passé.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que celles du groupe
communiste républicain et citoyen et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri de Richemont,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame le ministre, mes chers collègues, rarement un projet de loi
aura été à ce point en phase avec l'actualité, puisque la presse faisait état,
la semaine dernière, de la décision de la Cour européenne des droits de l'homme
déclarant recevable la requête de Mme Odièvre contre l'Etat français, qui
refuse de lui dévoiler ses origines.
Il était indiqué que l'examen de ce texte par le Sénat avait été reporté à
plusieurs reprises. C'est exact, et je vous remercie, madame le ministre,
d'avoir bien voulu rendre hommage à l'important travail qu'ont effectué vos
services et ceux de la commission des lois sur cette douloureuse question : il
s'agit en effet du conflit entre deux droits, celui de la mère d'accoucher sous
x et celui des enfants de rechercher leurs origines.
L'accouchement anonyme est une spécificité française qui remonte au xvie
siècle et aux premières tentatives du pouvoir pour lutter contre les
infanticides. Depuis le milieu du siècle dernier, le droit d'accoucher sous x
est reconnu, et les frais d'hébergement sont gratuits ; la loi de 1993 a
consacré le droit au secret.
Cette spécificité française n'est-elle pas préférable à ce qui se passe en
Allemagne ou en Autriche, où l'on voit réapparaître des tours, des « boîtes à
bébé » où des femmes viennent abandonner leur enfant ?
A partir du moment où un recours a été déposé devant la Cour européenne des
droits de l'homme, il convient de rechercher si cette particularité est
contraire ou non aux conventions internationales.
La première convention internationale sur laquelle nous nous sommes penchés
est celle des droits de l'enfant du 20 novembre 1989, qui, en son article 7,
reconnaît à l'enfant le droit de connaître le nom et les origines de ses
parents ainsi que d'être élevé par eux. Une autre convention, intervenue en
1993 en matière d'adoption internationale, prévoit que soient mises à la
disposition de l'enfant les informations sur ses origines. Enfin, une décision
de la Cour européenne des droits de l'homme de 1989 indique que toute personne
a le droit de recevoir des renseignements pour comprendre son enfance. J'attire
votre attention sur le fait que la Cour européenne des droits de l'homme a
également jugé que l'accord préalable des parents d'origine devait être
recueilli.
En France, jusqu'à présent, cette question était traitée par référence à la
jurisprudence de la Commission d'accès aux documents administratifs, la CADA,
que les départements consultaient lorsqu'ils rencontraient une difficulté. Or
la CADA a considéré que le fait d'accoucher sous x n'était pas en soi une
demande de secret, si bien que, lorsqu'aucune demande en ce sens n'avait été
expressément formulée, le département avait la possibilité de communiquer ses
origines à l'enfant qui le demandait. En revanche, la CADA a considéré que le
dossier détenu par un organisme habilité pour l'adoption n'était pas soumis au
régime de communication.
Il convient cependant d'insister sur une réalité peu connue : le secret n'est
pas imprescriptible, puisque la loi sur les archives s'applique aux textes qui
nous préoccupent, si bien que, au bout de soixante ans, tout dossier peut être
communiqué à celui qui en fait la demande.
Rappelons enfin que, dès 1990, le Conseil d'Etat avait proposé l'instauration
d'un conseil pour la recherche des origines familiales.
Madame le ministre, vous avez raison de dire que le maître mot du projet de
loi est l'« équilibre », équilibre entre le droit de l'enfant de connaître ses
origines et celui de la mère d'accoucher en toute sécurité et de voir respecté
son droit à la vie privée.
Ce texte - votre texte, madame le ministre - comporte un point fort : il
favorise la réversibilité du secret. C'est la raison pour laquelle le conseil
national pour l'accès aux origines personnelles a été créé, avec les pouvoirs
que vous avez rappelés tout à l'heure et sur lesquels je ne m'étendrai pas.
J'attire toutefois l'attention du Sénat sur un aspect important du projet de
loi, qui supprime le secret lorsqu'un enfant de moins de un an est remis en vue
d'une adoption. Je suis, pour ma part, tout à fait favorable au texte de
l'Assemblée nationale, dont une disposition prévoit que le fait de lever le
secret n'entraîne aucun droit ni obligation : il ne faut pas qu'une mère qui
déciderait une telle démarche puisse faire l'objet d'une demande de dommages et
intérêts de la part d'un enfant qui aurait voulu user de son droit à connaître
ses origines.
Madame le ministre, votre texte est équilibré, mais nous avons voulu, en
travaillant en liaison avec vos services - auxquels je rends encore une fois
hommage, comme à ceux de la commission -, aménager ce dispositif.
D'abord, nous souhaitons modifier légèrement la composition du conseil
national. En effet, l'Assemblée nationale y donne la majorité au monde
associatif ; nous avons considéré que, si celui-ci doit être représenté, il
importe également que la Chancellerie, les ministères des affaires étrangères,
des affaires sociales et de la famille soient représentés, de même que les
familles adoptives, étrangement absentes du texte.
M. Alain Gournac.
Etrangement !
M. Henri de Richemont,
rapporteur.
Si le droit aux origines doit être reconnu, il n'en demeure
pas moins que, pour les familles adoptives, c'est certainement une souffrance
que de voir l'enfant qu'elles considèrent comme le leur rechercher ses
origines.
M. Alain Gournac.
Cela n'est pas grave !
M. Henri de Richemont,
rapporteur.
Nous proposons donc d'inscrire dans la loi - ce que n'a pas
fait l'Assemblée nationale - que la femme peut, à tout moment, lever le secret.
Nous souhaitons même qu'elle soit informée que, si elle décide de ne pas
laisser son nom dans la fameuse enveloppe cachetée, elle pourra le faire à tout
moment et que rien n'est jamais irréversible. Il était important de le
préciser.
De plus, nous proposons d'entériner la jurisprudence de la CADA et de
permettre la révélation de l'identité si la demande de secret n'a pas été
expressément formulée.
Madame le ministre, vous avez déposé un amendement visant à préciser que, si
la femme n'a pas expressément demandé le droit au secret, il sera possible de
l'interroger si l'enfant dépose une demande d'accès à ses origines ; nous
proposons également que, sous certaines conditions, on puisse communiquer son
identité à l'enfant après qu'elle est décédée.
Ce point a fait l'objet d'un débat au sein de la commission, car le texte de
l'Assemblée nationale reste muet sur cette question. Que se passe-t-il après le
décès de la femme ? Si elle a été interrogée et a refusé de dévoiler son
identité, son refus me paraît devoir lier le conseil national. Mais, même dans
ce cas, il faut lui demander explicitement si elle accepte que son identité
soit communiquée, cette fois après son décès.
C'est lorsque la femme décède sans s'être exprimée sur la possibilité de lever
le secret de son identité que surgissent véritablement les difficultés. Nous
avons considéré - il peut y avoir débat sur ce point - que le doute doit
profiter à l'enfant et que, si la femme n'a pas fait clairement connaître sa
position, son identité pourra, après son décès, être communiquée à l'enfant.
Nous avons émis un avis favorable sur l'un de vos amendements, madame le
ministre, qui tend à prévoir un accompagnement de la famille de la femme
décédée ; car elle peut laisser derrière elle un mari et des enfants qui ne
connaissaient pas l'existence de cet enfant d'autrefois !
Nous proposons par ailleurs, si la femme a autorisé la levée du secret de son
identité ou ne s'est pas opposée à la communication de son identité après son
décès, que l'on puisse aussi communiquer à l'enfant l'identité de ses proches.
Nous avons enfin prévu, suivant en cela la recommandation des notaires, la
possibilité pour le conseil national de demander à la mère de rassembler des
renseignements non identifiants concernant la santé de l'enfant.
Enfin, je vous remercie, madame le ministre, d'avoir bien voulu souligner
qu'un amendement de Mme Derycke, accepté par la commission, a pour objet de
permettre à une femme qui accouche avec l'intention de faire adopter son enfant
de bénéficier de la prise en charge de la totalité des soins et de
l'hébergement.
Le projet de loi est donc un texte équilibré, fruit d'un travail commun de
l'Assemblée nationale, du Gouvernement et du Sénat. Il devrait désormais
permettre à la femme de trouver dans la loi la protection qu'elle en attend et
aux enfants de rechercher leurs origines, sous réserve de l'accord exprès du
parent de naissance.
Nous souhaitons toutefois que les compétences respectives du conseil national
et des départements soient clarifiées, afin d'éviter une trop grande
centralisation : le département doit pouvoir continuer de donner les
renseignements requis si aucune demande de secret n'a été formulée. Nous
espérons qu'une synergie s'instaurera entre le conseil national et les
départements.
Enfin, je le répète, nous souhaitons que les familles adoptives soient plus
étroitement associées et qu'elles bénéficient d'un accompagnement lorsqu'un
enfant adopté demande à accéder à ses origines.
Par ailleurs, les correspondants du conseil national pour l'accès aux origines
doivent mieux informer les femmes de leurs droits au moment de
l'accouchement.
Telles sont les principales caractéristiques du texte que la commission des
lois propose au Sénat d'adopter, après l'avoir amendé de manière qu'il puisse
remplir les fonctions que vous lui avez attribuées tout à l'heure, madame le
ministre, et donner satisfaction à la fois aux mères et aux enfants, ce dont je
me félicite.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur plusieurs travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Louis Lorrain,
rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.
Monsieur le
président, madame la ministre, mes chers collègues, la question soulevée par
l'accouchement dans l'anonymat est celle de la tension entre deux droits
incompatibles.
Naître dans l'anonymat est avant tout un fait social.
L'impossibilité pour une mère d'élever son enfant, quelles qu'en soient les
motivations, s'est rencontrée de tout temps. Aussi, les pouvoirs publics ont
très tôt cherché à prévenir les drames qu'une telle impossibilité ne manquait
pas d'engendrer.
En effet, dès le xvie siècle, la déclaration des grossesses devenait
obligatoire et, au début du xviiie siècle, le célèbre mécanisme du « tour »
était institué. Mais, contrairement à ce qui a pu être affirmé, ce n'est pas le
régime de Vichy qui a juridiquement organisé le principe de la naissance dans
l'anonymat ; c'est un décret de la Convention nationale qui institue cette
procédure.
Si, jusqu'au milieu des années soixante-dix, le nombre d'accouchements sous x
pouvait s'élever à plus de 10 000 par an, on n'avoisine plus que les 500 cas
annuels aujourd'hui. Toutefois, le désir d'accoucher dans le secret n'a pas
disparu et, dans les pays où cette faculté n'existe pas, des mécanismes
alternatifs ont dû être institués.
Tous nos voisins européens, en effet, ne sont pas dotés des mêmes dispositions
que nous. L'Allemagne, par exemple, a - en quelque sorte à l'inverse de la
France - inscrit le droit à la connaissance de ses origines dans sa
Constitution. Dans un mouvement général favorable à la transparence et aux
enfants en quête de leurs origines, certains pays ont retiré de leur
législation des dispositifs pareils à ceux qui existent en France.
Pourtant, depuis quelque temps, le chemin inverse semble être parcouru.
L'Allemagne et la Suisse ont institué des « boîtes à bébés ». L'Autriche a
réformé sa législation en juillet dernier. La Belgique prend la mesure des
difficultés posées par les femmes qui traversent la frontière pour venir
accoucher en France.
La faculté de donner la vie dans l'anonymat répond avant tout à une nécessité.
Mais, pour être désiré, le recours à cette faculté n'est pas exempt de
souffrance, en premier lieu pour les mères.
Les statistiques collectées au sujet des femmes accouchant dans l'anonymat
révèlent que les deux tiers sont jeunes, voire très jeunes. Un quart d'entre
elles poursuivent toujours des études et, pour les quatre cinquièmes, elles
sont célibataires. Des chiffres suggèrent que certaines sont confrontées à des
difficultés d'ordre culturel ou familial.
Mais ces statistiques nous en apprennent très peu sur certains aspects
essentiels : les trajectoires individuelles de chacune, l'accueil qui leur a
été réservé, les raisons qui ont motivé leur geste, les facteurs qui auraient
pu les faire changer d'avis...
Qu'elle soit d'origine sociale, culturelle ou psychologique, la détresse est
en tout cas le lot de toutes les mères en venant à cette extrémité.
Parallèlement à cette détresse, les enfants nés et élevés dans l'ignorance de
leur mère de naissance font aujourd'hui part de leur difficulté de vivre dans
l'ignorance de l'identité de leurs parents de naissance.
Les problèmes soulevés par la naissance dans l'anonymat se posent aujourd'hui
dans des termes nouveaux, et il est vrai que la situation actuelle génère des
injustices.
Le secret, notons-le, est déjà réversible. Le code de l'action sociale et des
familles prévoit en effet que la mère de naissance peut faire connaître son
désir de revenir sur le choix fait précédemment du secret de son
accouchement.
Pour des raisons essentiellement procédurales, il semble cependant que les
enfants nés dans l'anonymat ont un inégal accès aux documents relatifs à leur
naissance. Or c'est par l'accès à ces documents qu'ils espèrent découvrir
l'idendité d'une mère, et, éventuellement, celle d'un père.
Certes, par une jurisprudence éminemment libérale, la commission d'accès aux
documents administratifs a assoupli la rigueur originelle du dispositif. Il
n'empêche que de nombreux enfants nés dans l'anonymat conservent le sentiment
d'être renvoyés d'une administration vers une autre. C'est alors hors de tout
cadre institutionnel qu'ils se livrent à des recherches personnelles.
Aujourd'hui organisés et regroupés en associations, les protagonistes de ce
dossier ont obtenu des pouvoirs publics qu'ils se penchent sur la question.
L'évolution a pris d'abord la forme de rapports d'experts, avec, dès le début
des années quatre-vingt-dix, un rapport du Conseil d'Etat, complété en 1996,
1998 et 1999 de contributions aux analyses souvent convergentes.
Parallèlement, les exigences posées par le droit international deviennent de
plus en plus strictes. La signature de la convention des droits de l'enfant a
donné naissance à de nouveaux espoirs chez les personnes en quête de leurs
origines. Son article 7 prévoit en effet que « chaque enfant a, dans la mesure
du possible, le droit de connaître ses parents ».
C'est dans ce contexte qu'il a été jugé utile d'avancer sur le terrain
législatif, au moyen d'un projet de loi dont l'objet est non pas de remettre en
cause l'équilibre entre les droits des mères et ceux des enfants, mais de créer
une instance de médiation. Ce projet de loi ne fait que substituer une
procédure nouvelle à l'ancienne, en même temps qu'il crée un conseil national
pour l'accès aux origines.
Lors de son accouchement, la mère sera invitée à laisser son identité dans une
enveloppe cachetée. Si l'enfant souhaite connaître l'identité de sa mère de
naissance, il pourra s'adresser au conseil national, qui, au vu des éléments
figurant dans l'enveloppe, contactera la mère pour lui demander si elle consent
ou non à lever le secret.
Ce projet de loi n'est donc en rien révolutionnaire. Il a pour seul objet de
faciliter la rencontre des volontés, en créant une procédure
a priori
plus efficace et plus lisible.
L'interlocuteur devient unique, les moyens d'investigations de
l'administration sont plus importants et le traitement des demandes ne laisse,
en principe, plus de prise aux particularismes de tel ou tel service.
Ce projet de loi ne doit donc pas être pris pour ce qu'il n'est pas : il
consacre le droit des enfants à connaître leurs origines, mais il ne le fait
que de manière relative et contingente.
Ce droit est et demeure relatif en ce qu'il est subordonné à l'acceptation de
la mère. La faculté pour cette dernière d'accoucher dans l'anonymat répond à
une demande aujourd'hui résiduelle mais toujours existante.
Se pose en outre la question de la situation des enfants nés sous x
antérieurement à l'entrée en vigueur du présent texte, lesquels pourraient être
aujourd'hui plusieurs dizaines de milliers.
Ce droit n'est pas seulement relatif, il est également contingent en ce sens
qu'il ne sera effectif que lorsqu'il trouvera à s'appliquer.
Des dossiers sont vides et le resteront. Les mères sont invitées à laisser
leur identité, mais rien ne les y oblige. Pour ceux qui seront confrontés à
l'absence d'information, les recherches menées dans un cadre individuel se
poursuivront.
Si ce texte devrait, en toute logique, faciliter l'accès aux origines
personnelles, il ne laisse pas moins des questions en suspens.
Ces questions sont en premier lieu l'ordre juridique. Par sa jurisprudence
libérale, la commission d'accès aux documents administratifs avait institué
dans les faits un « bénéfice du doute » favorable aux enfants. Comment cette
jurisprudence s'harmonisera-t-elle avec l'installation du conseil national
d'accès aux origines, dont la mission sera, justement, de dissiper le doute
?
Ces questions sont en second lieu d'ordre procédural. La commission des
affaires sociales attire l'attention sur le fait que le conseil sera composé,
de par le texte même, de personnalités des professions médicales ou
paramédicales. Il semble regrettable que cette rédaction exclut les
travailleurs sociaux qui, notamment dans les services d'aide à l'adoption, ont
développé une expérience précisieuse.
M. Alain Gournac.
Tout à fait !
M. Jean-Louis Lorrain,
rapporteur pour avis.
En outre, il serait hautement souhaitable que, dans
les recherches qu'il aura à effectuer, le conseil procède avec la discrétion et
le tact que bien des enfants nés dans l'anonymat ont su garder dans le cadre de
leurs recherches personnelles.
Enfin, le présent projet de loi ne tranche pas certaines questions d'ordre
éthique parmi les plus importantes.
Il prévoit ainsi que l'accès aux origines sera sans effet sur la filiation, ce
qui n'ira pas sans soulever des difficultés à l'heure où les différences de
statut entre enfants selon la filiation ont tendance à disparaître.
Quant à la question essentielle de l'accès à la connaissance des origines
après la mort des parents de naissance, elle n'est pas totalement traitée.
Une première solution est de présumer que la personne a emporté son secret
avec elle. Le respect de la volonté supposée du défunt l'emporte.
La solution inverse est de considérer que le secret a pour seul office la
protection des parents de leur vivant. Leur décès ayant rendu inutile cette
protection, il conviendrait de faire place au droit du vivant.
Une solution intermédiaire serait de prolonger la jurisprudence intitiale de
la CADA, à savoir que le doute bénéficie au demandeur. En cas de refus exprès
manifesté du vivant du parent, le secret ne serait pas divulgué après le décès
de celui-ci ; sinon, la levée du secret serait possible.
Enfin, le projet de loi compte un absent : le père, dont les droits ne sont
pas évoqués.
Les statistiques disponibles montrent que les pères sont très peu nombreux à
être présents au moment de l'accouchement. Beaucoup sont simplement laissés
dans l'ignorance.
A l'inverse, certains sont conscients de la situation et procédent, avant la
naissance, à une reconnaissance dite « anténatale ». Comment le projet de loi
prend-il en compte leurs droits et celui, tout aussi important, d'enfants qui,
à défaut d'avoir une mère à connaître, pourraient se découvrir un père ?
En guise de conclusion, je souhaite formuler deux observations.
La recherche de ses origines ne doit pas se transformer en quête de « la
vérité à tout prix ». L'accès à la connaissance n'est pas une fin en soi, la
transparence ne doit pas aboutir à la destruction d'existences parfois déjà
tourmentées.
On a pu lire dans le journal
Le Monde
qu'« au ministère de la famille,
on ne se cache pas de vouloir faire de l'accouchement anonyme une exception
avant, peut-être, dans un second temps, d'en prévoir l'extinction ». Je suis
convaincu que ce n'est pas votre position, madame la ministre, mais je
souhaiterais néanmoins obtenir de vous quelques assurances sur ce point.
En effet, une telle démarche serait nécessairement contraire à l'esprit du
présent projet de loi, qui, comme vous l'avez dit, tend à trouver un équilibre
entre deux droits dont la légitimité est également reconnue. Annoncer la
consécration, à terme, de l'un aux dépens de l'autre n'aurait pour seul effet
que de raviver des tensions qu'il est justement proposé d'apaiser.
Les amendements déposés par la commission des lois, que je félicite du travail
accompli, contribueront à améliorer le projet de loi. Quant aux amendements
déposés par le Gouvernement, ils vont également dans le bon sens, et je pense,
madame la ministre, que le Sénat y sera favorable. Je remercie enfin mes
collègues de la commission des affaires sociales, qui ont bien voulu me donner
leur accord.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du
RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Del Picchia.
M. Robert Del Picchia,
au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre
les hommes et les femmes.
Monsieur le président, madame la ministre, mes
chers collègues, la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances
entre les hommes et les femmes a examiné avec beaucoup d'intérêt le projet de
loi relatif à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de
l'Etat, jugeant pleinement nécessaire de légiférer en la matière.
Elle a en effet observé que la complexité et la confusion, à bien des égards,
du droit positif actuel donnaient lieu à des interprétations très diverses,
voire contradictoires, de la part des personnels et des structures concernées :
les établissements de santé, les services de l'aide sociale à l'enfance et les
organismes d'adoption.
Aussi, les conditions dans lesquelles sont accueillies, informées et
accompagnées les femmes demandant à accoucher dans le secret sont extrêmement
diverses, comme le sont les pratiques à l'égard de celles d'entre elles qui,
des années plus tard, souhaitent lever ce secret ou encore les réponses
apportées aux personnes qui recherchent leurs origines.
Le principe d'égalité est loin d'y trouver son compte et la situation n'est
donc pas satisfaisante, comme l'ont relevé, au cours de ces dix dernières
années, de nombreux rapports. Les membres de la délégation ont pu apprécier les
difficultés à travers les témoignages des personnalités qu'ils ont auditionnées
le 24 octobre dernier, et votre intervention, madame la ministre, a été
confirmée par les propos convergents du Médiateur de la République et de la
défenseure des enfants.
C'est pourquoi la délégation a examiné le présent texte de manière favorable.
Elle a observé qu'il répondait au souci de mieux définir les dispositions
applicables à l'accouchement sous x et de favoriser la recherche des origines
des personnes adoptées et pupilles de l'Etat. Elle s'est félicitée du respect
de deux principes qui lui paraissent essentiels : la nécessité d'une volonté de
l'enfant pour que s'engagent les procédures et l'approbation des parents de
naissance à l'éventuelle levée du secret de leur identité.
La délégation a cependant adopté plusieurs recommandations qui, pour
certaines, retiennent des principes légèrement différents de ceux qui
structurent le projet de loi et qui, pour les autres, visent à améliorer le
dispositif.
S'agissant d'abord des principes, la première question porte sur les solutions
prévues lorsque le parent de naissance est décédé. La délégation a jugé peu
cohérent que la révélation à l'enfant de l'identité des ascendants, descendants
ou collatéraux des parents soit subordonnée à l'autorisation de levée du secret
expressément formulée par la mère ou le père biologique avant leur mort. Elle a
en effet estimé que l'apparition de la parentèle démontrait que le secret de
l'accouchement avait été levé et que maintenir à l'écart de cette révélation le
prinicipal intéressé, c'est-à-dire l'enfant à la recherche de ses origines
personnelles, était inique.
Allant plus loin, la délégation a considéré que, si le conseil national pour
l'accès aux origines personnelles, le CNAOP, n'avait pu entreprendre de
démarche auprès de la mère ou du père de naissance, en raison de leur décès
préalablement à son intervention, le doute sur la volonté finale de ces
derniers devait profiter à la personne à la recherche de ses origines.
C'est pourquoi la délégation a adopté une recommandation tendant à ce que, en
cas de décès de la mère ou du père de naissance, l'identité du parent puisse
être révélée à l'enfant à la recherche de ses origines personnelles, sauf s'il
s'est opposé à la levée du secret de son identité après que le CNAOP a cherché
à recueillir son consentement exprès et si aucun de ses ascendants, descendants
ou collatéraux privilégiés n'a formulé de déclaration d'identité.
A défaut d'adoption de cette solution, qui lui a paru respectueuse des droits
de chacun, la délégation a recommandé que la femme qui accouche dans le secret
soit invitée, dans le même temps, à laisser son identité dans le pli fermé et à
autoriser la levée du secret si elle décède.
Le deuxième problème de principe tient au fait que, apparemment, le CNAOP ne
pourra entreprendre qu'une seule démarche de médiation auprès des parents de
naissance, si l'enfant souhaite connaître leur identité sans qu'ils aient
d'eux-mêmes autorisé la levée du secret. Dans l'hypothèse où cette intervention
du CNAOP ne permettrait pas de recueillir leur assentiment, on suppose que
c'est un travail intérieur personnel qui pourrait les conduire à revenir
ultérieurement sur leur refus. La délégation pense que la loi devrait
expressément autoriser les personnes à la recherche de leurs origines à
renouveler leur demande quelques années après que leur mère ou leur père de
naissance a opposé un refus à la sollicitation du CNAOP.
La dernière position de principe adoptée concerne le rôle du CNAOP vis-à-vis
des enfants nés sous x à compter de la promulgation de la loi. Ils sont
aujourd'hui moins de 600 à naître, chaque année, dans ces conditions, et la
délégation estime opportun de les distinguer du « stock » actuel des 400 000
personnes potentiellement intéressées par la recherche de leurs origines.
Autant il ne semblait pas matériellement possible de centraliser au sein d'un
organisme national les dossiers concernant ces 400 000 personnes, autant la
délégation ne voit pas ce qui s'opposerait à ce que le CNAOP devienne
l'interlocuteur unique des enfants nés sous x à compter d'une certaine date,
par exemple le 1er juillet 2002. En effet, un guichet unique est toujours
préférable à plusieurs guichets : c'est un gage de simplicité et
d'efficacité.
Aussi la délégation a-t-elle recommandé que l'économie actuelle du texte
s'applique aux dossiers existants, mais que le CNAOP devienne l'autorité de
recueil, de conservation et de délivrance des informations, nominatives ou
non.
Au-delà de ces questions de principe, la délégation a adopté diverses
recommandations, d'importance variable, qui ont pour objet d'améliorer le
dispositif du projet de loi.
S'agissant du recueil des volontés des parties et de la délivrance des
informations aux personnes à la recherche de leurs origines, il a paru
indispensable à la délégation de recommander une clarification des principes et
des procédures applicables lorsque les personnes intéressées s'adresseront aux
services du conseil général, ainsi que des relations que ces services devront
entretenir, dans les deux sens, avec le CNAOP.
En ce qui concerne les missions de ce dernier et l'exercice de celles-ci, la
délégation a adopté quatre recommandations : échanges institutionnalisés avec
le médiateur de la République et le défenseur des enfants, recueil de données
statistiques, rôle à jouer auprès des enfants nés à l'étranger et adoptés en
France et, enfin, transfert aux présidents des conseils généraux de
l'obligation d'être dépositaires des dossiers des organismes d'adoption ayant
cessé leur activité.
S'agissant de l'accouchement sous x, la délégation a préconisé que l'accueil
et l'information de la femme relèvent clairement et exclusivement des
correspondants départementaux du CNAOP. En outre, elle a recommandé que, s'il
est présent, le père de naissance soit expressément invité à laisser
personnellement son identité dans le pli fermé contenant l'identité de la mère
et qu'il soit informé des possibilités ultérieures qui lui seront offertes
d'autoriser la levée du secret. Enfin, elle a estimé nécessaire que figure, sur
le pli fermé, la mention du sexe de l'enfant né sous x.
S'agissant des enfants nés dans ces conditions, la délégation a adopté deux
importantes recommandations.
La première vise à réserver, à compter de la promulgation de la loi, le soin
de les recueillir au seul service de l'aide sociale à l'enfance, qui est le
pivot, au plan départemental, de la procédure nouvellement instituée.
La seconde recommandation tend à ce qu'un « délai de reprise » soit
spécifiquement institué au bénéfice des parents de naissance des enfants nés
sous x - ce que le projet de loi ne prévoit pas formellement - et que ce délai
soit fixé à trois mois au moins et à six mois au plus.
Enfin, la délégation a adopté une ultime proposition visant à faire prendre en
compte, dans un autre projet de loi, celui que nous examinons aujourd'hui
n'étant pas le bon « vecteur législatif », le cas du père ayant reconnu son
enfant avant la naissance de celui-ci mais qui ne peut pas faire établir la
filiation du fait que l'enfant est né sous x.
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Robert Del Picchia,
au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre
les hommes et les femmes.
C'est un problème grave, bien que peu fréquent :
aujourd'hui, quelques enfants sont adoptés alors que l'un de leurs parents
souhaitait les reconnaître. Personne ne peut, à l'évidence, se satisfaire de
cette situation.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Robert Del Picchia,
au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre
les hommes et les femmes.
Telles sont, monsieur le président, madame la
ministre, mes chers collègues, les recommandations que la délégation a adoptées
à l'unanimité.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépéndants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous avions
pris l'habitude, depuis quelques années, en matière de droit de la famille, de
débattre de propositions de loi, dont l'examen connaissait d'ailleurs souvent,
je puis en témoigner, une issue heureuse. Je crois donc que nous pouvons
remercier le Gouvernement d'avoir déposé ce projet de loi, et féliciter la
commission des lois, la commission des affaires sociales et la délégation aux
droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes
d'avoir amélioré le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale.
Nous devions en effet nous pencher sur la souffrance de ces enfants qui
deviennent des adultes sans connaître leurs origines, donc leur identité.
Toutes les sociétés traditionnelles, on le sait, donnaient une importance
considérable à la généalogie, et ce n'est pas à la veille de Noël que l'on
pourra contester que cette question soit essentielle !
(Sourires.)
Il est donc indéniable que chacun a besoin de savoir d'où il vient. Or,
pendant longtemps, on a refusé ce droit aux enfants que l'on appelait, et que
l'on appelle toujours, les « pupilles de l'Etat ». A cet égard, le comportement
de certains services sociaux n'était pas toujours sans reproches... Toutefois,
les choses ont largement évolué : j'y viendrai dans quelques instants.
Certains pensent que l'on aurait pu supprimer la possibilité d'accouchement
dans le secret, expression que je préfère à celle d'« accouchement sous x ».
Cependant, divers pays envisagent de l'instituer et ceux qui ne la connaissent
pas ou qui l'ont déjà supprimée sont confrontés à d'autres problèmes, d'autant
que les femmes qui accouchent dans le secret se trouvent, dans la plupart des
cas, dans une situation de grande détresse.
Maintenir la possiblité d'accoucher dans le secret me semble donc encore
nécessaire. Au fil des années, le nombre de ces accouchements a d'ailleurs
considérablement diminué, ce dont on ne peut que se réjouir.
Parallèlement, on doit favoriser l'accès aux origines pour les enfants, et je
crois que ce projet de loi devrait permettre d'atteindre cet objectif, de façon
équilibrée dans le temps puisque les femmes ayant accouché sous x ou dans le
secret pourront, des années plus tard, une fois sorties de la détresse qu'elles
connaissaient alors, essayer de retrouver leur enfant, la même possibilité
étant ouverte à ce dernier.
Quant à connaître l'identité du père de naissance, le problème est beaucoup
plus difficile, comme l'a notamment relevé M. Del Picchia. La jurisprudence est
ce qu'elle est, mais peut-être cette question pourrait-elle faire l'objet d'une
discussion approfondie à l'occasion de l'examen d'un autre projet de loi.
Quoi qu'il en soit, la réversibilité du secret, notamment après la mort du
père ou de la mère de naissance, semble être une bonne formule. Elle fait
d'ailleurs l'objet de nombre d'amendements : la législation prendrait en compte
la jurisprudence de la CADA, ce qui paraît très souhaitable.
Cela étant, la commission des lois du Sénat va plus loin que l'Assemblée
nationale. A cet égard, instaurer un équilibre entre les rôles respectifs de la
CNAOP et des conseils généraux devrait permettre de faciliter la procédure. Sur
ce point, je suis défavorable à l'une des recommandations de la délégation aux
droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes,
car j'estime que les services de proximité des départements accomplissent déjà
souvent un travail important et de qualité. Il serait cependant dommage de ne
pas assurer la cohérence de l'action des conseils généraux, car tous n'en sont
pas au même point dans ce domaine. Ainsi, dans le département que je
représente, nous avons fait beaucoup en faveur de l'accueil des personnes à la
recherche de leurs origines et de la constitution des dossiers, afin de pouvoir
donner, quand cela est possible, satisfaction aux intéressés.
Il s'agit donc, madame la ministre, d'un bon projet de loi, qui devrait
permettre d'apaiser bien des souffrances et de préserver en même temps un
équilibre. A cet égard, toute théorie trop générale peut être dangereuse. Par
exemple, un certain nombre d'associations demandent que le secret soit
sauvegardé mais que les mères soient obligées d'indiquer leur identité, or un
tel dispositif pourrait être plus dangereux que celui qui est présenté par le
Gouvernement ou par les commissions.
C'est pourquoi nous voterons le projet de loi, complété utilement, à mon sens,
par les amendements du Gouvernement et de la commission des lois.
M. le président.
La parole est à Mme San Vicente.
Mme Michèle San Vicente.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vais vous
lire le texte rédigé par Mme Campion, dont je partage entièrement la
philosophie.
« Le principe du secret des origines est enraciné dans le droit français. Il
est présent dans la législation relative à l'accouchement sous x. Mais, plus
récemment, ce choix du secret de l'identité a été de nouveau consacré par les
lois de bioéthique du 29 juillet 1994. Ces débats ne sont pas seulement de
nature juridique. Ils touchent aussi à l'éthique et chaque révision législative
les relance.
« L'anonymat définitif est-il véritablement bénéfique pour le devenir de
l'enfant, au moment où il se pose des questions sur ses origines ?
« La volonté de la femme de rompre définitivement avec un lien de filiation,
dès la naissance, peut-il ou non être contesté ?
« On parle de "tradition d'abandon organisé", qui n'est cependant pas
spécifique à la France. Sophocle a déjà, souvenez-vous, fait d'OEdipe une
tragique victime du secret de ses origines.
« La loi de 1993, en introduisant l'accouchement sous x dans le code civil, a
abouti à consacrer le secret des origines.
Or, en ne garantissant pas l'égalité d'accès aux origines, notre droit interne
ne répond pas totalement à ces engagements internationaux.
« Je pense en particulier à la Convention internationale des droits de
l'enfant du 20 mai 1989, mais surtout à l'article 30 de la Convention de La
Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière
d'adoption internationale qui énonce que "les autorités compétentes de l'Etat
contractant veillent à conserver les informations qu'elles détiennent sur les
origines de l'enfant, notamment celles relatives à l'identité de sa mère et de
son père, ainsi que les données sur le passé médical de l'enfant et de sa
famille. Elles assurent l'accès de l'enfant ou de son représentant à ces
informations, avec les conseils appropriés, dans la mesure permise par la loi
de leur Etat".
« Je pense, enfin, à la Convention européenne des droits de l'homme.
« L'ambitieux objectif de ce projet de loi est donc, vous l'avez rappelé,
madame la ministre, de concilier à la fois la protection du droit des femmes à
l'accouchement dans le secret et l'organisation de sa levée, permettant ainsi à
tout enfant d'accéder, le moment venu, aux éléments constitutifs de son
identité.
« Vous avez eu le mérite, madame la ministre, de trancher et d'instaurer un
équilibre entre ces deux droits. Cela était d'autant plus difficile que nous
sommes en présence de deux souffrances que l'on ne saurait opposer : souffrance
de la mère "biologique ou de naissance", d'une part, qui croit ou qui voit dans
l'abandon de son enfant la seule solution à sa situation extrême de détresse ;
souffrance d'un enfant, ou d'un adulte, d'autre part, qui a le sentiment d'être
amputé d'une partie de lui-même, en l'absence d'information sur ses
origines.
« Douleur de femme, tout d'abord, car nous sommes en mesure d'affirmer, grâce
aux études qui ont été menées notamment par la délégation aux droits des femmes
et à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes, que ces mères sont
très jeunes, environ vingt-trois ans, alors que, en France, la moyenne d'âge
des femmes qui ont un premier enfant est, je le rappelle, de vingt-neuf ans
aujourd'hui.
« Quatre femmes sur cinq sont célibataires, sans autonomie financière ; un
quart d'entre elles vivent chez leurs parents et un autre quart de ces femmes
n'ont pas pu recourir à une interruption volontaire de grossesse aux motifs
principaux qu'elles devaient obtenir l'autorisation parentale, étaient en
situation irrégulière ou avaient dépassé le délai légal.
« Les récentes améliorations de la loi sur la contraception et l'interruption
volontaire de grossesse permettront, j'en suis sûre, de réduire le nombre de
ces situations.
« Souffrance des enfants, enfin : pendant de nombreuses années, le
renforcement du secret a été considéré comme favorable au développement de
l'adoption. Aujourd'hui, les psychologues mettent en avant les difficultés pour
ces enfants élevés dans l'ignorance de leurs origines de se stabiliser et
d'être en mesure de faire le deuil de ce secret, et de trouver une certaine
paix personnelle.
« Les familles adoptives, elles-mêmes, demandent de plus en plus souvent de
l'aide, pour accompagner leurs enfants dans cette quête de leurs origines.
« Prendre en compte la détresse de la mère, la sortir de l'isolement,
préserver sa liberté de décision, la mettre à l'abri des pressions tout en
apportant un début de réponse aux interrogations des enfants nés sous X, c'est
le difficile équilibre que vous avez su mettre en place, madame la ministre, et
sur lequel nous légiférons aujourd'hui.
« Il ne s'agit nullement de supprimer l'accouchement sous x. Bien au contraire
! Les dispositions relatives à cet acte seront désormais applicables à
l'ensemble des établissements de santé.
« Il s'agit - et cela me paraît très important - de clarifier le cadre et de
préciser les procédures afin d'unifier les pratiques. En effet, l'absence de
reconnaissance juridique des parents quand la mère accouche sous x et l'absence
de tout élément non identifiant rendent impossible, aujourd'hui, de faire
valoir un éventuel droit de reprise ou de demander ultérieusement la levée du
secret de leur identité. Cependant, la pratique a fait que l'essentiel des
règles qui régissent l'enfant de moins d'un an abandonné dans le secret soient
appliquées à l'enfant né sous x. Mais un tel usage dépendait d'une
bienveillance et créait, de fait, une inégalité de traitement.
« Je rappelle également, sur ce point, que le projet de loi supprime - et nous
l'approuvons - la possibilité pour les parents de remettre l'enfant de moins
d'un an à l'aide sociale en demandant le secret de leur identité.
« Il nous est donc proposé de revenir sur ce flou juridique qui faisait du
secret un véritable anonymat.
« Le projet de loi vise donc à améliorer le dispositif d'information de la
mère quant à ses droits avant et après l'accouchement, afin que son choix soit
éclairé.
« Il me paraît essentiel de rappeler, à cette occasion, qu'il est urgent
d'harmoniser et de développer les pratiques relatives à l'accompagnement
psychologique et social des femmes en difficulté, avant et après leur
accouchement.
« La prise en charge par la collectivité des frais de l'accouchement est
confirmée. Il sera proposé, au cours de la discussion des articles, d'étendre
la gratuité à tous les accouchements suivis d'abandon. Cet élément est, à mon
sens, important. Il devrait en effet permettre de réduire les cas dans lesquels
la mère cache son identité pour des motifs purement économiques.
« Ce projet de loi confère, par ailleurs, un droit d'accès aux origines sans
pour autant en faire un droit absolu. L'anonymat se substitue au principe de
confidentialité où l'enfant né sous x devient un sujet reconnu, et non plus un
objet d'abandon, à défaut d'être totalement identifié.
« La stabilité juridique de la décision qui a été unilatéralement prise pas la
femme est, là aussi, renforcée.
« La mère sera invitée à laisser, si elle le souhaite, des éléments
susceptibles d'apporter une réponse dans la quête de l'enfant sur ses origines.
Elle y sera invitée, et non pas obligée, je tiens à le souligner. Il n'est
question d'aucune pression de la part des services des établissements de santé.
Au contraire, le souci d'instaurer un dialogue dans un climat de confiance et
d'écoute doit être impérativement recherché.
« L'innovation essentielle de ce projet de loi réside dans la recherche du
consentement et, par voie de conséquence, de la réversibilité du secret.
Celui-ci ne pourra être levé qu'avec l'accord exprès de la mère ou du père de
naissance.
« La délicate mission de servir de médiateur et d'obtenir la concordance des
intentions de la mère et de l'enfant par rapport au secret revient au Conseil
national pour l'accès aux origines personnelles. C'est l'innovation majeur de
ce projet de loi.
« L'utilité de sa création fait l'unanimité dans l'ensemble des nombreux
rapports qui se sont penchés sur la question de l'accouchement sous x. Il
apparaissait nécessaire, en effet, de créer une institution à vocation
nationale capable de centraliser les informations utiles au rapprochement des
parties, de rechercher les intentions de la mère ou du père de naissance,
notamment si ces dernières n'étaient pas explicites.
« Le Conseil national pour l'accès aux origines concentrera à la fois les
informations pour les enfants nés et adoptés en France mais aussi à l'étranger
par des familles françaises. Cette innovation me semble importante et va dans
le sens d'une simplification et d'une meilleure transparence.
« Le rôle des conseils généraux et des présidents de conseil général est
réaffirmé. Des correspondants locaux du Conseil national pour l'accès aux
origines personnelles seront chargés d'assurer les relations avec les
départements.
« Vous avez eu l'occasion d'expliquer, madame la ministre, l'importance qu'il
y avait de proposer "deux guichets", selon votre formule, aux enfants à la
recherche de leurs origines et aux parents qui souhaitent retrouver leur
enfant. Nous aimerions que vous nous donniez quelques précisions à ce sujet.
« J'aimerais également, madame la ministre, que vous nous disiez quelle
articulation vous entendez établir dans les relations d'échanges, entre le
Conseil national pour l'accès aux origines personnelles, le médiateur de la
République et le défenseur des enfants.
« J'ai pu entendre ou lire qu'il était malvenu de tenter de revenir sur
l'accouchement sous x en France, à l'heure où certains pays européens
s'inspirent de notre législation ou développent des dispositifs parallèles,
tels que les "boîtes à bébé".
« J'ai même pu lire qu'il s'agissait alors d'une "victoire sur la détresse
humaine". Permettez-moi de ne pas me réjouir de ces mesures. A mes yeux, elles
sont seulement la preuve d'un échec. Echec, dans le sens où n'ayant pas pu
trouver le nécessaire soutien psychologique et matériel, les femmes pensent ne
pas avoir d'autre solution que d'accoucher sous x.
« Je terminerai mon intervention en évoquant un point qui reste sans réponse,
le présent texte ne traitant pas de la question de la filiation. Il s'agit de
la place du père biologique, trop souvent ignorée, du problème de la
reconnaissance paternelle d'un enfant né sous x.
« Lorsque le secret a été demandé par la mère, le père n'a toujours pas la
possibilité de reconnaître son enfant, même s'il a fait une reconnaissance
anténatale.
« Cette question est d'autant plus importante lorsque l'on sait que dans 5 %
des cas, si le père est informé et présent lors de l'accouchement, la mère
revient volontiers plus sur son intention de consentir à l'adoption de son
enfant.
« La révision des dispositions relatives à l'accouchement sous x que nous
sommes appelés à voter aujourd'hui était nécessaire, afin de tenir compte des
évolutions qui ont eu lieu sur cette question depuis 1996. L'équilibre proposé
entre l'intérêt de l'enfant et le droit de la femme, la création d'un Conseil
national pour l'accès aux origines personnelles et l'harmonisation des
pratiques administratives augurent, et je m'en réjouis, qu'un travail important
de collaboration avec les départements va s'instaurer.
« En conclusion, je souhaite que le climat serein dans lequel s'est déroulée
la discussion de ce texte devant l'Assemblée nationale, et qui a abouti à un
vote unanime, s'instaure de la même manière au sein de notre hémicycle.
« Soyez assurée, madame la ministre, de mon soutien à ce projet de loi. »
(Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit.)
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons
célébré, il y a un mois, la journée des droits de l'enfant, qui, je suis
toujours heureuse de le rappeler, a été instituée sur proposition de mon
groupe.
La convention de New York a douze ans. Elle a été le fruit d'un long
cheminement historique, pour que l'enfant soit reconnu comme une personne
porteuse de droits fondamentaux et inaliénables. Chacun le sait, faire entrer
cette convention dans les faits est un long et difficile parcours.
Il n'en demeure pas moins que cette convention a consacré une démarche
novatrice, qui fera son chemin et qui, déjà, stimule les législations
nationales et génère des mesures protectrices nouvelles. Ainsi en est-il du
droit à connaître ses origines.
Ce droit est inscrit dans la convention internationale des droits de
l'enfant, dans la convention européenne des droits de l'homme et dans la
convention internationale de La Haye sur l'adoption.
Il est le résultat des progrès de la connaissance des enfants, de la
pédopsychiatrie, qui ont mis en évidence la souffrance des personnes en
recherche de leur histoire et la légitimité de la quête de la connaissance sur
ses origines pour la construction de la personnalité des futurs adultes.
Mais, là encore, le parcours est long et difficile. Il a été longtemps
passionné, tant les intérêts des enfants, des parents de naissance et des
parents adoptants pouvaient paraître contradictoires et difficilement
conciliables. Je me souviens des débats qui ont eu lieu ici même lors de la
discussion de la loi de 1996 sur l'adoption : le sujet était présent, mais
abordé timidement.
Comme cela a été dit, de nombreux rapports ont été produits sur le sujet. Il
n'y a pas unanimité sur les réponses à apporter, notamment sur le maintien ou
la suppression de l'accouchement sous x. Toutefois, comme le souligne M. Del
Picchia, dans son rapport établi au nom de la délégation aux droits des femmes
et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, un réel consensus
s'est dégagé en faveur d'un aménagement et d'une clarification des règles de
droit dans une double optique : concilier les droits des femmes et les droits
des personnes à la recherche de leurs origines, d'une part, et instituer une
structure nationale chargée d'intervenir en médiation, d'harmoniser les
pratiques qui diffèrent parfois largement d'un département à l'autre et d'en
garantir le bon exercice.
L'objet principal du projet de loi que vous nous soumettez, madame la
ministre, est effectivement de parvenir à un équilibre entre le droit
fondamental de l'enfant à connaître son histoire, le droit de la mère et du
père de naissance à la confidentialité et au respect de la vie privée et le
droit des familles adoptives à la sécurité de la filiation.
Mais il faut bien reconnaître que cet équilibre est fragile et fluctuant au
gré des évolutions scientifiques, mais aussi, disons-le, des contraintes
internationales qui s'imposent à nous.
Tout récemment, on vient de le rappeler, la Cour européenne des droits de
l'homme a déclaré recevable la requête de Mme Odièvre qui, confrontée au secret
de sa naissance, a souhaité avoir accès à ses origines au nom de ses frères et
soeurs.
Si cette décision ne préjuge en rien le fond, il est néanmoins possible que
la législation française soit conduite à des évolutions allant, au-delà du
présent projet de loi,
as far as possible,
selon les termes de la
convention internationale des droits de l'enfant.
La question est très délicate. D'aucuns préconisent l'abandon pur et simple de
l'accouchement secret. Certes, le nombre limité et la tendance à la diminution
des accouchements sous x - à peu près 500 par an, soit dix fois moins que le
nombre d'enfants adoptés - tendent à prouver qu'il pourrait être supprimé.
Il n'en demeure pas moins que des phénomènes liés à la détresse sociale, à la
solitude ou à des obstacles culturels lourds sont le plus souvent à l'origine
de ce choix.
Le supprimer ne pourrait que favoriser, sinon l'infanticide, du moins
l'abandon sur la voie publique, qui, hélas ! n'ont pas disparu et ont même
réapparu, y compris dans certains pays européens avec le phénomène des fameuses
" boîtes à bébés ", à tel point que certains veulent introduire aujourd'hui la
possibilité de l'accouchement secret. Précisons que la préservation de la
possibilité du secret prévue par votre projet de loi, madame la ministre, est
bien liée aux conditions de l'accouchement. Le texte vise, en effet, à le
supprimer pour les parents qui remettent un enfant de moins d'un an aux
services de l'ASE, l'aide sociale à l'enfance. Je partage entièrement ce point
de vue.
En revanche, il me paraît très important de modifier la logique de
l'intervention publique.
J'avais moi-même souhaité, lors du colloque organisé en mai 2000 par Mme
Guigou, alors ministre de la justice, et vous-même, madame la ministre, sur le
droit de la famille, que le rôle de l'Etat soit d'organiser non pas le secret
absolu, comme c'était de fait le cas avec l'irréversibilité, mais, au
contraire, le respect des procédures possibles - que ce soit l'abandon,
l'anonymat ou l'adoption - la stabilité de la filiation et la médiation
nécessaire pour ceux qui souhaitent connaître leurs origines.
De ce point de vue, le présent projet de loi représente une avancée très
importante : si la possibilité de l'accouchement sous x est maintenue, elle est
accompagnée de dispositions précisant dans quelles conditions la personne
voulant accoucher anonymement peut consigner son identité et dans quelles
conditions elle est informée des conséquences juridiques de cette demande ainsi
que des possibilités qu'elle aura de lever le secret ultérieurement. On
s'éloigne donc de la négation des parents biologiques, et même de la négation
de la naissance, en quelque sorte.
Néanmoins, on n'échappe pas non plus complètement au « mensonge
institutionnalisé » puisque,
in fine,
la mère peut encore décider de ne
laisser aucune trace. C'est sur ce point que les sénateurs communistes de la
commission des lois ont considéré que le texte adopté par l'Assemblée nationale
pouvait aller plus loin en supprimant l'accouchement anonyme tout en
garantissant le secret de l'identité.
Certes, nous avons conscience des objections que suscitera immédiatement notre
amendement : notamment, les femmes qui accouchent dans le secret n'auront
jamais suffisamment confiance pour croire que le secret de leur identité sera
effectivement préservé et elles seront alors conduites à recourir à des
pratiques illégales ou douteuses. Néanmoins, il nous semble que l'objection
peut être surmontée, à condition de faire résolument porter les efforts non
seulement sur la prise en charge sociale, mais aussi sur l'accompagnement
psychologique et sur l'information des femmes.
Reste également le cas de la procréation médicalement assistée avec donneur,
qui rend tout aussi inexistante une partie de l'histoire de l'enfant. Or le
secret absolu est consacré actuellement par la loi - ce qui ne fait pas
vraiment l'objet de débats - et je regrette le caractère morcelé de la
réflexion sur ce point.
La procédure de levée du secret de la naissance retenue par le projet de loi
me paraît tout à fait appropriée.
A cet égard, deux principes sont retenus.
Le premier vise à laisser au seul enfant l'initiative de la recherche. Je me
garderai de nier la souffrance des mères qui ont dû accoucher sous X et
abandonner leur enfant à un moment de leur vie puis qui voudraient revenir sur
cette décision. Ayons cependant avant tout à l'esprit la souffrance indélébile
que constitue l'abandon pour l'enfant : aucun enfant abandonné n'y échappe,
quelle que soit son histoire ultérieure. Or chaque personnalité est unique et
se construit comme elle le peut. Pour certains, la quête des parents de
naissance est une réponse à leur souffrance. Pour d'autres, ce n'est pas le
cas. Personne ne peut décider à leur place.
Le second principe se fonde sur la nécessité d'un accord exprès du parent pour
que le secret soit levé. Certes, l'automaticité de la levée du secret, quand
l'enfant le veut ou à sa majorité, est demandée par nombre d'associations.
Le sujet est délicat, tant du point de vue des parents de naissance - qui
pourraient recourir à des pratiques dissimulatrices qu'il faut justement éviter
- que du point de vue de l'enfant.
La connaissance de ses origines est un droit auquel il faut essayer de
répondre effectivement, mais c'est aussi une épreuve pour l'enfant. Il me
semble donc que les conditions doivent être réunies pour que cette connaissance
se fasse dans les meilleures conditions. Cela ne me paraît pas être le cas si
la mère, si les parents d'origine ne le veulent pas. D'ailleurs, les promoteurs
de l'automaticité l'assortissent d'exceptions, par exemple le viol ou
l'inceste.
Je pense que le choix qui est fait est respectueux de l'équilibre entre les
droits de l'enfant et le respect du choix des parents, des femmes en
l'occurrence, quel que soit ce choix.
C'est pourquoi je suis réservée sur le mécanisme proposé par la commission des
lois, qui propose de poser le principe du non-secret sauf si la mère a indiqué
une volonté contraire en faveur du secret. On est donc dans une situation
inversée, qui postule l'accord de la mère à la levée du secret. Or, si la CADA,
la commission d'accès aux documents administratifs, a développé une
jurisprudence en ce sens, il faut absolument veiller à ne pas glisser vers la
levée automatique du secret, ce qui irait à l'encontre de l'esprit du texte.
Le sous-amendement proposé par le Gouvernement est bien préférable. Il atténue
le caractère rédhibitoire de l'absence de manifestation expresse en prévoyant
au préalable la vérification par le CNAOP de la volonté du parent de
naissance.
La question de la levée du secret après la mort est très complexe ; on sent
bien qu'elle ne se pose pas de la même manière pour la personne décédée
accidentellement à une date rapprochée de la naissance de l'enfant et pour une
personne qui décède de mort naturelle à un âge avancé. On peut également
évoquer, au demeurant, le risque d'exhumation des corps qui n'est, hélas ! pas
une simple hypothèse d'école.
La commission des lois nous propose de postuler l'acceptation de la levée du
secret après la mort, sauf volonté contraire exprimée. Pour ma part, je pense
qu'il conviendrait d'encadrer plus strictement la levée du secret : ne
pourrait-on pas prévoir, à l'instar de ce que propose le Gouvernement pour la
levée du secret du vivant, une vérification auprès de la personne par le CNAOP
? L'application du délai de prescription de la loi sur les archives, évoquée
par la commission des lois, offre également une solution.
Ce qui est, en revanche, essentiel - et que consacre le projet de loi - c'est
la possibilité de rechercher le consentement à la levée du secret si la mère ou
le père n'y a pas consenti de sa propre initiative.
De même, l'encouragement à la collecte d'éléments ne mettant pas en cause
l'identité de la personne a été renforcé par la commission des lois, ce qui me
paraît très important. Vous nous avez d'ailleurs donné, madame la ministre,
l'assurance que les décrets d'application seraient rapidement publiés afin que
ne se reproduise pas la situation de la loi de 1996, dont le décret sur les
éléments non identifiants n'a toujours pas été pris.
La création du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles, dont
le rôle essentiel est la médiation, constitue une innovation particulièrement
importante. C'est cette médiation qui doit, en effet, permettre que l'enfant,
en recherchant l'accord des parents, puisse trouver une réponse satisfaisante à
sa demande.
Je partage la conception sur les missions du Conseil national de l'Assemblée
nationale et je ne suis pas favorable aux dispositions proposées par la
commission des lois du Sénat, qui remettent en cause cette idée d'un organe
centralisateur susceptible d'unifier des pratiques disparates en redonnant le
rôle non seulement de collecte mais également de communication des
renseignements aux départements.
En tout état de cause, comme à l'Assemblée nationale, le débat qui se déroule
aujourd'hui nous montre combien il est difficile de situer le curseur entre la
défense du droit des personnes à accéder à leurs origines et le droit des
femmes, qui est également un impératif de protection des enfants, à accoucher
dans le secret. J'ai cependant bon espoir que l'on parvienne, au terme des
prochaines lectures, à un équilibre satisfaisant.
En attendant, et au vu des remarques que j'ai exposées, je souscrirai à toute
avancée qui nous sera proposée en la matière.
M. le président.
La parole est à Mme Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je constate
avec plaisir que le débat sur l'accès aux origines personnelles des enfants a
beaucoup mûri. A cet égard, je voudrais tout d'abord rendre hommage à Franck
Sérusclat, ancien sénateur du Rhône, aux côtés duquel j'avais défendu, en 1996,
les premières ébauches du dispositif que vous nous présentez aujourd'hui - ce
dont je vous remercie vivement - et que nous avons la satisfaction, au groupe
socialiste, de soutenir.
Il est remarquable de constater à quel point les connaissances sur ce sujet,
sous l'aspect tant du droit que des besoins psychologiques des enfants, de ceux
des mères et des pères, se sont approfondies. Le militantisme de ceux qui se
sont nommés les « sans-papiers de naissance » et de celles qui se sont nommées
les « mères de l'ombre » ainsi que l'évolution des parents adoptifs et de leurs
associations nous ont fait franchir de grands pas au cours des cinq dernières
années, et cette évolution est très satisfaisante.
Je voudrais aussi rendre hommage à Dinah Derycke, qui ne peut être présente
mais qui a beaucoup travaillé en commission des lois, et je prends la parole en
son nom aujourd'hui.
Si, depuis OEdipe, nous avons vraiment beaucoup avancé, ce progrès est
toutefois très récent. Enfin, pour de nombreux enfants, le secret des origines
pourrait ne plus inaugurer ce destin de doute, de recherche de la vérité, de
souffrance que beaucoup d'enfants et d'adultes ont connu ces dernières
années.
La question de l'accès aux origines est difficile, complexe. Il faut concilier
deux aspirations l'une et l'autre légitimes : le droit au secret de l'identité
de parents ou de femmes qui ne souhaitent pas assumer le lien avec l'enfant qui
a été mis au monde, et le droit pour l'enfant en quête de la vérité de
connaître ses origines.
Face à des naissances qui sont de fait refusées, les sociétés offrent
l'alternative entre l'infanticide et l'abandon. Si, en Asie, l'infanticide a
longtemps été pratiqué, en Europe, c'est l'abandon.
Dans notre histoire, l'église catholique puis l'Etat ont pris en charge les
mères démunies.
Dès 1793, la Convention vota un texte pour que « la nation pourvoie aux frais
de gésine de la mère et à tous ses besoins pendant le temps de son séjour, le
secret le plus inviolable étant conservé sur tout ce qui la concerne ».
En 1941, le gouvernement de Vichy institua la prise en charge gratuite de
l'accouchement anonyme. C'est de là qu'est né l'accouchement sous x
d'aujourd'hui.
La question du devenir du nouveau-né prit une autre tournure avec le
décret-loi du 29 juillet 1939, qui autorisait la légitimation des enfants
adoptifs.
Cette perspective a été renforcée par la loi de 1966, qui institua l'adoption
plénière, et surtout par la loi du 8 janvier 1993. En effet, en janvier 1993,
l'introduction de l'accouchement anonyme dans le code civil a consacré une
pratique qui, jusqu'alors, n'avait été considérée que sous son seul aspect de
prise en charge financière des frais d'accouchement, et elle a établi une
incidence entre anonymat et lien de filiation.
Ainsi, l'article 341-1 du code civil dispose que, « lors de l'accouchement, la
mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit
préservé ». Quant à l'article 341 du même code, il prévoit que « la recherche
de maternité est admise, sous réserve de l'application de l'article 341-1 ». Il
devient donc de fait juridiquement impossible d'établir une filiation, la femme
étant censée n'avoir jamais accouché.
L'accouchement sous x a donc pour conséquence directe de couper définitivement
le lien entre l'enfant et sa mère. Il interdit également, de manière indirecte
cette fois, l'établissement de la paternité.
La loi de 1996 a tenté d'améliorer le sort des enfants nés dans l'anonymat.
Sans retenir sur la possibilité pour une femme, ou une femme et un homme, de
remettre l'enfant avec secret de l'état civil, elle l'a limitée aux parents
d'enfants âgés de moins d'un an.
Elle a également aménagé la possibilité pour la mère biologique de laisser des
renseignements non identifiants dans son dossier - c'était une grande nouveauté
- tels que son origine géographique ou sociale, sa religion, ses goûts, la
présence éventuelle d'autres enfants.
Cette disposition avait été très difficile à faire admettre tant elle semblait
potentiellement dangereuse pour les parents adoptifs. Sur ce point, les choses
ont cependant beaucoup évolué.
Certes, la loi de 1996 a orienté le régime de la levée du secret vers une
phase plus consensuelle, en précisant que « le demandeur doit être informé de
la possibilité de faire connaître ultérieurement son identité » ; mais le
décret d'application de cette meesure n'a jamais été publié.
Les dispositions combinées de la loi de 1978, qui a institué la commission
d'accès aux documents administratifs, et de la loi de 1996 ont été appliquées
de façon très hétérogène, comme les orateurs précédents l'ont précisé.
Or il importe de bien voir que l'enfant né sous x ou remis à l'aide sociale à
l'enfance, adopté ou non, peut souhaiter connaître l'identité de ses parents
biologiques sans pour autant vouloir en tirer des conséquences sur le plan de
la filiation.
Là aussi il y a eu de grandes évolutions. Je crois que les parents adoptifs et
les enfants adoptés ont bien compris qu'il y avait possibilité d'une double
parentalité : parentalité de naissance et parentalité effective d'adoption.
C'est une prise de conscience très enrichissante, qui fait que les parentalités
s'additionnent au lieu de se concurrencer. Le projet de loi que vous présentez,
madame la ministre, permet d'aller plus loin dans cette voie. C'est bénéfique,
aussi bien pour les enfants qui ont été abandonnés, pour ceux qui ont été
adoptés, que pour les parents d'adoption.
En effet, comme en témoignent les psychanalystes qui reçoivent des orphelins
de tous âges, l'être humain a besoin des mots de son passé pour vivre sa propre
identité. La plupart des adultes qui ont été abandonnés expliquent qu'ils ne
supportent pas un étrange sentiment de vide dans leur vécu psychologique. Tous
expriment la culpabilité de n'avoir pas été assez aimables pour être aimés et
gardés par leur mère biologique. Ce sont des individus perturbés au niveau de
l'estime qu'ils ont d'eux-mêmes, de la confiance qu'ils accordent aux autres et
du sentiment qu'ils éprouvent par rapport à l'intégrité de leur
personnalité.
Le 27 mai dernier, veille de la fête des mères, ils étaient plusieurs
centaines sur le parvis des Droits de l'homme, place du Trocadéro, mais
également dans d'autres villes de France, à réclamer le droit de connaître
leurs origines et la suppression de l'accouchement sous x.
Si l'on considère ce qui se passe dans les autres pays européens, on
s'aperçoit que seul le Luxembourg a une législation du même type que la France.
Je ne m'étendrai pas sur ce point, car la comparaison entre législations n'est
pas facile dans la mesure où elle dépend de considérations beaucoup plus
profondes sur le plan anthropologique que la seule question de l'accouchement
sous x.
Le nombre de femmes qui accouchent dans l'anonymat diminue ; ces cas
deviennent de plus en plus « résiduels ». Les jeunes femmes qui accouchent dans
ces conditions ne souffrent généralement pas de problèmes psychologiques ;
d'après l'étude de Mme Lefaucheur, ce sont plutôt des jeunes femmes en
situation de détresse socioéconomique ou issues d'un milieu social qui
n'accepte pas leur état : dans la majorité des cas, les pères ont disparu de la
circulation au moment de l'accouchement !
C'est ce qui explique que ces femmes sont de plus en plus nombreuses à faire
la moitié du chemin pour retrouver leur enfant. La demande n'émane pas
seulement des enfants, mais aussi des mères biologiques. Elles clament que, si
elles ne voulaient pas élever leurs enfants et souhaitait qu'ils soient
adoptés, elles ne voulaient pas, pour autant, effacer à tout jamais la trace de
cette naissance, ni pour elles ni pour leurs enfants. Certaines se sont même
constituées en association : l'association des Mères de l'ombre. Elles auraient
pu, dans un premier temps reconnaître leur enfant et, si la nécessité de le
confier à d'autres parents s'était confirmée, effectuer ensuite, plus
calmement, plus lucidement, l'acte d'abandon ; le plus souvent, elles ont cédé
à la facilité, à la pression en optant pour l'accouchement anonyme.
L'article 7 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20
novembre 1989 dispose que l'enfant a, « dans la mesure du possible, le droit de
connaître ses parents et d'être élevé par eux ». Quels parents ? Les parents de
naissance ou les parents d'adoption ? Tous de préférence !
Devant ces constatations, on peut se poser la question : faut-il supprimer
l'accouchement sous x ?
Psychologues, médecins, juristes ou responsables associatifs sont divisés.
Pour ma part, je ne souscris pas totalement aux propos de Mme Borvo. Ma chère
collègue, une évolution est en train de s'opérer, lentement, naturellement, et
je pense que la position adoptée par le Gouvernement dans ce projet de loi est
à même de l'accompagner de la meilleure façon. Nous allons donc en revenir à
une position équilibrée, médiane : celle de l'accouchement secret, et ce choix
nous paraît bon, madame la ministre. Le projet de loi affirme le droit de toute
personne d'avoir accès à son histoire : il maintient la possibilité d'accoucher
de manière anonyme, tout en organisant la réversibilité de ce secret grâce à la
création d'un conseil qui sera chargé du recueil et de la conservation des
éléments d'information sur l'identité des parents de naissance.
Le conseil sera également destinataire des éléments de l'histoire originaire
de l'enfant. Il aura aussi une mission de médiation et d'accompagnement
psychologique des personnes concernées. Il s'agit d'un organisme national qui
sera en mesure d'harmoniser les pratiques des départements. Il nous semble que
l'existence d'une instance départementale, par sa proximité, faciliterait
probablement les recherches.
Le texte aménage l'accouchement secret : il ne supprime pas l'anonymat de la
mère au sein de l'établissement de santé mais il est proposé à celle-ci de
laisser son identité sous le sceau du secret. Un entretien avec un réprésentant
du Conseil national pour l'accès aux origines sera organisé : il recueillera
les éléments de l'histoire et informera la mère des différentes possibilités
qui s'offrent à elle, de ses droits et de ceux de l'enfant. Cela changera
beaucoup des pratiques anciennes, qui sont, heureusement, en voie
d'extinction.
J'insiste sur cette information qui me paraît essentielle. En effet, comme je
le disais, certaines mères choisissent cette forme d'accouchement par défaut
d'information et d'explication. Il serait bon que cette forme d'accouchement
tombe progressivement et naturellement en désuétude parce que les modalités de
l'accouchement auraient changé.
Je souhaite être aussi brève que possible ; je ne parlerai donc pas maintenant
des amendements que nous avons déposés et qui sont, pour bon nombre d'entre
eux, identiques à ceux de la commission.
Je conclurai en disant que ce texte marque une avancée certaine. Au demeurant
il est sûr que la décision de la Cour européenne sur le cas de Pascale Odièvre
pourrait nous conduire à accélérer la mise en conformité de notre droit avec
l'article 8 de la Convention européenne et faire ainsi que disparaisse sans
bruit, sans conflit, sans scandale inutile, sans discussion superfétatoire cet
accouchement anonyme et, avec lui, les « Mères de l'ombre » et les enfants en
quête de leurs origines.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Je voudrais d'abord remercier une nouvelle fois M. de
Richemont de son engagement, du travail très attentif qu'il a accompli et des
améliorations qu'il a apportées à ce texte. Il a insisté sur la place des
familles adoptives. Je lui répondrai que j'ai engagé cette réforme après de
nombreuses discussions avec les représentants des parents adoptifs, en
particulier avec ceux de l'association Enfance et Familles d'adoption.
On considérait cette réforme comme impossible à réaliser. C'est en effet un
équilibre subtile qui a été trouvé. Il a pu être atteint, grâce justement à
différentes associations, en particulier d'associations de parents adoptifs.
Ceux-ci se sont eux-mêmes rendu compte que leurs enfants, une fois adolescents,
demandaient à connaître leur histoire. Les parents adoptifs sont de plus en
plus nombreux à accompagner leurs enfants dans cette quête de leurs origines
et, lorsqu'ils s'agit d'enfants adoptés à l'étranger, ils les accompagnent dans
la visite de leur pays d'origine.
Cette prise de conscience de la volonté des enfants de connaître leur
identité, leur histoire a permis que se rapprochent les points de vue.
A l'Assemblée nationale, j'ai moi-même demandé que les familles adoptives
participent au Conseil national pour l'accès aux origines personnelles, dans la
mesure où elles sont les mieux à même de défendre le point de vue des enfants
et des mères de naissance, précisément parce que ce sont elles qui élèvent ces
enfants, et sont donc confrontées à leur crise d'identité.
Par ailleurs, vous examinerez tout à l'heure un amendement de la commission
qui prévoit l'accompagnement des familles adoptives lors de l'accès aux
origines, qu'elles acceptent dans leur grande majorité, mais qui est pour elle
un moment parfois difficile à vivre.
Je précise que l'association Enfance et Familles d'adoption participe
activement au travail minutieux de rédaction du décret. Monsieur Lorrain, vous
avez dit que 700 à 800 naissances étaient concernées par an. J'ajouterai que
l'on estime à 400 000 le nombre d'adultes concernés. Je reçois même des
courriers de personnes très âgées. Ainsi, j'ai reçu un courrier d'un homme de
quatre-vingt-dix-huit ans qui souhaitait accéder à ses origines, en affirmant
qu'il n'est jamais trop tard et que, avant la fin de sa vie, il souhaitait
connaître son histoire. Voyez qu'il n'y a pas d'âge pour accéder à ses origines
! Ce texte est attendu par de nombreuses personnes.
Je vous rejoins lorsque vous soulignez qu'il ne faut pas rechercher la vérité
à tout prix. Il ne faut pas imposer aux enfants ou aux adultes cette
obligation. Des enfants nés sous x vivent parfaitement ainsi et sont très
heureux. Comme je l'ai indiqué à de nombreuses reprises, il n'est pas question
que, à cause de cette loi, ils aient mauvaise conscience de ne pas demander à
avoir accès à leurs origines.
Vous avez évoqué une déclaration que j'avais faite sur la suppression de
l'anonymat. Il ne faut pas qu'il y ait d'ambiguïté sur ce point, et je vous
remercie de me donner l'occasion d'y revenir. En fait, je voulais dire qu'il
fallait faire en sorte qu'il n'y ait presque plus de dossiers vides, en tout
cas le moins possible, et que le plus grand nombre de mères souscrivent un
consentement clair à l'adoption.
Je pense, en particulier, aux toutes jeunes filles qui sont parfois en déni de
grossesse ou qui, tout simplement, ne se sentent pas aptes à élever leur
enfant, qu'elles n'ont pas explicitement voulu, et qui accomplissent, à leur
façon, un geste d'amour en le confiant à une famille où il est attendu et aimé.
Elles pourront accompagner cette démarche d'un geste que j'ai qualifié tout à
l'heure de « devoir » en laissant des informations auxquelles l'enfant pourra
avoir accès s'il le souhaite. Elles le feront si le correspondant du Conseil
national pour l'accès aux origines leur en explique toute l'importance.
Monsieur Del Picchia, s'agissant du père, vous aurez satisfaction puisque des
amendements allant dans le sens que vous souhaitez ont été déposés ; je pense
notamment à l'aide à la transcription de l'acte de reconnaissance du père.
Monsieur Hyest, vous avez souligné le rôle des départements. Je dois dire que
l'annonce de ce texte, puis les débats qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale
- celui qui se déroule aujourd'hui, ici même, ira dans le même sens - ont
considérablement modifié la situation dans un grand nombre de départements,
même si ce n'est pas dans tous.
La situation est assez inégale d'un département à l'autre mais, dans de
nombreux départements, notamment dans celui des Deux-Sèvres, un réel travail
d'accès aux dossiers a été réalisé. Des formations ont été mises en place et
les dossiers s'ouvrent. Certaines personnes, qui attendaient depuis des années,
obtiennent aujourd'hui satisfaction dans le cadre des textes existants ; en
tout cas, elles sont bien reçues. Cela montre que le CNAOP et les départements
n'auront pas de difficultés à coopérer.
Madame San Vicente, le CNAOP pourra travailler avec le médiateur de la
République et la défenseure des enfants. Lorsque ceux-ci recevront des demandes
individuelles, ils les orienteront vers cet organisme.
Je sais que la délégation aux droits des femmes aurait voulu qu'un lien formel
soit institué entre ces deux instances. Pour ma part, je crois que, si nous
réussissons à bien clarifier les relations entre le CNAOP et les départements,
nous aurons déjà fait oeuvre utile, sans rendre les choses plus complexes en
institutionnalisant des liens qui vont de soi. Les deux instances de médiation,
je le répète, devront donc transmettre au CNAOP les demandes dont elles sont
destinataires de même que la commission d'accès aux documents
administratifs.
Madame Borvo, vous avez évoqué plusieurs amendements dont nous débattrons tout
à l'heure.
En ce qui concerne la procréation médicalement assistée, le débat aura lieu
dans le cadre des lois sur la bioéthique. La problématique me semble d'ailleurs
fort différente puisque, dans l'accouchement secret, il n'y a pas de volonté de
faire l'enfant alors qu'à l'origine de la procréation médicalement assistée il
y a l'expression d'un désir d'enfant. Dans le premier cas, il y a une histoire
à rechercher ; dans le second cas, il n'y en a pas.
Vous avez fait appel à la notion de médiation. Vous avez raison. En effet,
nous sommes bien dans une logique de médiation, de relations humaines de
qualité qui permettent de rapprocher les points de vue.
Madame Cerisier-ben Guiga, rappelant quelle avait été la genèse de ce texte,
vous avez, à juste titre, évoqué le rôle qu'avait joué Mme Dinah Derycke à cet
égard. Je m'associe à l'hommage que vous lui avez rendu et je lui adresse tous
mes voeux de rétablissement.
Enfin, je vous remercie d'avoir, comme vos collègues, souligné le subtil
équilibre qu'établit ce texte et d'avoir contribué à enrichir ce travail.
M. le président.
Bien entendu, nous avons tous, en cet instant, une pensée pour notre collègue
Mme Dinah Derycke, à qui nous souhaitons un prompt rétablissement.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er