SEANCE DU 23 JUILLET 2002
M. le président.
« Art. 3. - Sont amnistiés, lorsqu'ils sont passibles de moins de dix ans
d'emprisonnement, les délits commis dans les circonstances suivantes :
« 1° Délits commis à l'occasion de conflits du travail ou à l'occasion
d'activités syndicales et revendicatives de salariés, d'agents publics et de
membres de professions libérales, y compris au cours de manifestations sur la
voie publique ou dans des lieux publics ;
« 2° Délits commis à l'occasion de conflits relatifs aux problèmes de
l'enseignement ou délits relatifs à la reproduction d'oeuvres ou à l'usage de
logiciels à des fins pédagogiques et sans but lucratif ;
« 3° Délits en relation avec des conflits de caractère industriel, agricole,
rural, artisanal ou commercial, y compris au cours de manifestations sur la
voie publique ou dans des lieux publics ;
« 4° Délits en relation avec des élections de toute nature, à l'exception de
ceux qui sont en relation avec le financement direct ou indirect de campagnes
électorales ou de partis politiques ;
« 5° Délits en relation avec la défense des droits et intérêts des Français
rapatriés d'outre-mer.
« Lorsqu'elle intervient après condamnation définitive, l'amnistie résultant
du présent article est constatée par le ministère public près la juridiction
ayant prononcé la condamnation, agissant soit d'office, soit sur requête du
condamné ou de ses ayants droit. La décision du ministère public peut être
contestée dans les conditions prévues aux deuxième et troisième alinéas de
l'article 778 du code de procédure pénale.
« En cas de condamnation pour infractions multiples, le condamné est amnistié
si l'infraction amnistiée en application des dispositions du présent article
est légalement punie de la peine la plus forte ou d'une peine égale à celles
qui sont prévues pour les autres infractions poursuivies, sauf si l'une de ces
infractions est exclue du bénéfice de la présente loi en application des
dispositions de l'article 13. »
L'amendement n° 70, présenté par M. Delfau, est ainsi libellé :
« Dans le premier alinéa de l'article 3, remplacer les mots : "lorsqu'ils sont
passibles de moins de dix ans d'emprisonnement" par les mots : "à l'exclusion
des peines prononcées de plus de dix ans d'emprisonnement". »
La parole est à M. Gérard Delfau.
M. Gérard Delfau.
Le premier alinéa de l'article 3 prévoit d'amnistier les personnes qui
encourent une peine de moins de dix ans d'emprisonnement. A ma connaissance,
c'est la première fois qu'un gouvernement introduit une telle disposition dans
une loi d'amnistie. Cette disposition me paraît à la fois contradictoire avec
d'autres aspects de ce texte et, surtout, infiniment restrictive. Il me semble
en effet plus judicieux d'amnistier non pas les personnes qui sont passibles de
moins de dix ans d'emprisonnement, comme le prévoit votre texte, monsieur le
ministre, mais plutôt celles qui ont été effectivement condamnées à des peines
de moins de dix ans d'emprisonnement.
Vous introduisez un
quantum
qui est de dix ans, non pas pour les peines
prononcées effectivement, ce qui se comprend, mais pour la peine encourue. Or
la plupart des infractions qui seraient visées par ce texte sont passibles de
dix ans d'emprisonnement dès qu'il y a récidive. C'est le cas, entre autres
personnes, de José Bové, qui a été condamné à six mois de prison alors qu'il
encourait une peine de dix ans d'emprisonnement.
La logique et la clarté ainsi que le souci de pardon que vous avez manifesté
devraient conduire à mieux circonscrire ce texte, afin que les petits délits ne
soient pas exclus de l'amnistie.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
L'aller-retour proposé par M. Delfau ne me semble pas sain.
En effet, son amendement introduirait une confusion très fâcheuse entre
l'amnistie par nature et l'amnistie au
quantum.
M. Jean-Jacques Hyest.
Exactement !
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
Aussi, la commission émet un avis défavorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Le Gouvernement émet, lui aussi, un avis défavorable,
pour les raisons qui ont été exposées par M. le rapporteur. De surcroît,
l'adoption de cet amendement aurait pour conséquence d'exclure de l'amnistie
les personnes passibles d'une peine de moins de dix ans d'emprisonnement, ce
qui serait paradoxal.
M. Jean-Jacques Hyest.
Absolument !
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Je rappelle que le principe général de l'amnistie est
précisément de ne pas amnistier les récidivistes. L'objectif est très clair.
C'est la règle habituelle.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 70.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
L'amendement n° 49, présenté par MM. Le Cam et Fischer, Mme Borvo, M. Bret,
Mme Mathon et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est
ainsi libellé :
« Dans le deuxième alinéa (1°) de l'article 3, remplacer les mots : "et
revendicatives" par les mots : "revendicatives et non revendicatives". »
La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam.
Le premier amendement que nous présentons sur ce projet de loi d'amnistie est
lié à l'action syndicale.
Comme l'a indiqué mon collègue Guy Fischer lors de son intervention dans la
discussion générale, nous plaçons la question sociale au coeur de
l'amnistie.
Selon nous, si la notion de pardon républicain a bien son sens, c'est en
matière sociale, mais aussi politique quand les circonstances s'y prêtent, que
ce concept trouve toute sa force.
L'amendement n° 49 vise à inclure les délits commis à l'occasion d'activités
syndicales non revendicatives dans le champ de l'amnistie. En effet, des
salariés sont régulièrement sanctionnés pour des faits ne relevant pas de
l'action syndicale revendicative. Il peut s'agir, par exemple, de la
participation à des réunions à l'intérieur de l'entreprise ou même des
entretiens accordés à la presse. Certains, ici, se rappelleront la fameuse «
affaire Clavaud », du nom de l'ouvrier licencié par l'entreprise Dunlop pour
avoir accordé une interview au journal
l'Humanité
.
Notre amendement vise donc à évoquer, dans le texte de loi, l'ensemble de
l'activité syndicale de manière non restrictive. Mes chers collègues, nous vous
proposons donc de l'adopter.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
La commission ne comprend pas très bien l'objet de cet
amendement. En effet, le but de l'activité syndicale est essentiellement la
revendication, dans le sens noble du terme. On ne voit pas à quoi correspond
une activité non revendicative. Ce flou a conduit la commission à demander à M.
Le Cam de bien vouloir retirer son amendement, sinon elle émettra un avis
défavorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Défavorable.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 49.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse.
Je voudrais essayer de comprendre.
La revendication en elle-même n'est pas un délit, fort heureusement.
M. Patrick Lassourd.
Pas encore !
(Sourires.)
M. Michel Charasse.
Mais l'article 3 vise « les délits commis à l'occasion de conflits du travail
ou à l'occasion d'activités syndicales et revendicatives ». Faut-il que les
activités soient à la fois syndicales et revendicatives ou simplement
syndicales ? Si elles sont simplement syndicales, M. Le Cam a satisfaction. Si,
en revanche, on exige les deux conditions, c'est-à-dire qu'elles soient à la
fois syndicales et revendicatives, la question qu'il soulève se pose. Je
souhaiterais que le Gouvernement me précise si les deux conditions sont ou non
cumulatives.
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Ces conditions ne sont pas cumulatives. L'activité
syndicale, c'est l'activité habituelle ; l'activité revendicative, ce sont, à
certains moments, des événements particuliers.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 49.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 46 est présenté par Mme Blandin.
L'amendement n° 50 rectifié est déposé par MM. Le Cam et Fischer, Mme Borvo,
M. Bret, Mme Mathon et les membres du groupe communiste républicain et
citoyen.
Tous deux sont ainsi libellés :
« Dans le deuxième alinéa (1°) de l'article 3, après les mots : "de
salariés,", insérer les mots : "d'exploitants agricoles,". »
L'amendement n° 71, présenté par M. Delfau, est ainsi libellé :
« Dans le deuxième alinéa (1°) de l'article 3, après les mots "d'agents
publics", insérer les mots : "d'agriculteurs". »
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour défendre l'amendement n°
46.
Mme Marie-Christine Blandin.
Cet amendement est un simple texte de forme et de cohérence. En effet, comme
le quatrième alinéa (3°) de l'article 3 fait référence à tous les domaines de
conflits - « de caractère industriel, agricole, rural, artisanal ou commercial
» -, le deuxième alinéa de l'article 3 (1°) doit reprendre la diversité des
publics concernés, et viser les exploitants agricoles.
M. le président.
La parole est à M. Gérard Le Cam, pour défendre l'amendement n° 50
rectifié.
M. Gérard Le Cam.
Vous l'aurez compris à la lecture de notre amendement, il s'agit d'une de nos
propositions tendant à étendre l'amnistie aux exploitants agricoles qui mènent
une lutte courageuse et généreuse contre la mondialisation et ses effets
pervers sur la sécurité alimentaire, la qualité des aliments, l'identité
culturelle et, bien entendu, les dangers sur l'environnement.
Je profite de cette occasion pour m'étonner de l'acharnement dont est l'objet
le dirigeant de la Confédération paysanne, toujours incarcéré à la prison de
Villeneuve-lès-Maguelonne, où il est entré le 19 juin dernier.
(Exclamations
sur les travées du RPR.)
Le refus persistant du procureur de la République de Montpellier de libérer
José Bové, au nom d'une éventuelle « incompréhension de l'opinion publique »,
confirme cette volonté de punir.
M. Patrick Lassourd.
On lui donnera une médaille !
M. Henri Revol.
C'est un casseur !
M. Gérard Le Cam.
D'autres casseurs n'ont pas été punis, mais ils n'appartiennent pas au même
syndicat !
(Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Guy Fischer.
Oui !
M. Patrick Lassourd.
On ne commente pas une décision de justice !
M. Gérard Le Cam.
Nous n'acceptons pas que le procureur de la République ait fait appel du
verdict du juge d'application des peines, empêchant ainsi toute remise en
liberté.
Il faut rappeler que les incidents de Millau relevaient non pas du banditisme
mais de la lutte contre l'importation de viande bovine nord-américaine aux
hormones. Un gouvernement soucieux de la santé de la population de son pays
devrait non pas sanctionner mais encourager une telle lutte.
Nous refusons également le « risque de récidive » invoqué par le procureur de
la République qui masque mal une volonté de restreindre le droit de
manifester.
Plus généralement, nous constatons une volonté de criminaliser l'action
syndicale, la lutte sociale.
Cette attitude répressive est à mettre en parallèle avec la montée en
puissance de la lutte contre la mondialisation capitaliste et ses effets
terriblement pervers pour l'humanité et la planète.
M. Patrick Lassourd.
On cherche à se refaire une santé !
M. Gérard Le Cam.
L'amendement n° 50 rectifié vise donc à inclure la catégorie sociale des
exploitants agricoles dans le deuxième alinéa (1°) de l'article 3 qui concerne
l'amnistie de droit des délits commis à l'occasion d'activités syndicales et
revendicatives.
M. le président.
La parole est à M. Gérard Delfau, pour défendre l'amendement n° 71.
M. Gérard Delfau.
Comme mes collègues, je propose que soit ajoutée aux catégories sociales et
professionnelles déjà visées celle des agriculteurs afin que ces derniers
bénéficient également de cette loi d'amnistie. Je m'étonne d'ailleurs qu'il
nous faille ajouter cette catégorie sociale dans le projet de loi ! Cela me
laisse perplexe, mais sans doute M. le ministre va-t-il s'en expliquer !
Sur un ton totalement dépassionné, à l'instar de celui que j'ai adopté tout à
l'heure, ayant alors été écouté avec une grande attention par mes collègues, je
dirai, monsieur le ministre, que cette loi d'amnistie doit à mon avis
s'appliquer à tous, jusques et y compris aux responsables de la Confédération
paysanne, dont l'action a pour caractéristique - c'est une tradition ancienne
du syndicalisme français qui remonte au début du XXe siècle - de se situer
entre le politique et le syndical. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, je
n'approuve pas certaines méthodes. J'ai néanmoins fait valoir - et cet argument
a porté, me semble-t-il - que l'incarcération avec des détenus de droit commun
de syndicalistes n'ayant commis aucune violence physique ne me paraissait pas
une bonne solution, non seulement pour eux mais aussi pour la bonne santé de la
démocratie et de la République.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Lucien Lanier.
Si l'amendement n° 46, tel qu'il a été défendu par Mme Blandin, pouvait
paraître anodin, avec l'ajout souhaité des termes « d'exploitants agricoles »,
en revanche les explications ayant suivi la présentation des amendements n°s 50
rectifié et 71 ont bien montré qu'il s'agit de reconnaître les actions
syndicales et revendicatives des exploitants agricoles au même titre que celles
des salariés, des agents publics et des membres de professions libérales.
Dans ces conditions, l'amendement prend une forme tout à fait différente. Le
nom de José Bové a d'ailleurs été prononcé tout à l'heure à titre d'exemple.
C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur les
trois amendements n°s 46, 50 rectifié et 71.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Monsieur le président, je voudrais d'abord apporter
trois précisions.
Premièrement, l'objectif affiché par ces amendements est totalement satisfait
par le quatrième alinéa (3°) de l'article 3 - « Délits en relation avec des
conflits de caractère industriel, agricole, rural, artisanal ou commercial... »
- et les faits concernant des exploitants agricoles ou des salariés
d'exploitants agricoles sont donc parfaitement couverts par l'amnistie.
Deuxièmement, je voudrais, avec l'autorisation des auteurs des amendements, me
permettre de défendre avec enthousiasme le gouvernement précédent : alors que
l'un d'entre vous a indiqué, tout à l'heure, que le gouvernement précédent a
châtié José Bové, je préciserai, pour ma part, que c'est la justice qui l'a
condamné, ce qui, me semble-t-il, est un peu différent !
M. Patrick Lassourd.
Très bien !
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Troisièmement, l'énumération figurant au deuxième
alinéa (1°) de l'article 3 - « Délits commis à l'occasion de conflits du
travail ou à l'occasion d'activités syndicales et revendicatives de salariés,
d'agents publics et de membres de professions libérales... » - couvre en fait
l'ensemble des situations auxquelles nos concitoyens susceptibles d'être pris
dans un conflit social risquent d'être confrontés. En effet, le terme « salarié
» n'est pas limitatif et couvre, par exemple, les salariés agricoles, mais
aussi les salariés de l'industrie ou du secteur tertiaire ; le terme « agent
public » est le mot juridiquement exact concernant la fonction publique, et les
« membres de professions libérales » englobent les personnes n'appartenant ni à
l'un ni à l'autre des cas précédents. La rédaction de l'article couvre donc
l'ensemble des dispositifs possibles.
La raison pour laquelle José Bové n'est pas amnistié ou plutôt n'est pas
amnistiable - je rappelle que la loi n'est pas en application et qu'il est
possible qu'elle n'entre en vigueur qu'après la sortie de prison de José Bové -
ne résulte absolument pas de la rédaction de cet article.
Les amendements proposés ne changeraient donc rien au contenu de cet
article.
M. le président.
Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 46 et 50 rectifié.
M. Jean-Pierre Sueur.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur.
J'ai été très étonné de la présentation de la position de la commission. faite
par le rapporteur.
En effet, il est patent - chacun peut en témoigner - que la commission des
lois a adopté, à l'unanimité d'ailleurs - je n'ai en effet pas constaté une
seule opposition -, l'amendement n° 46 présenté par Mme Blandin. Dès lors, je
vois mal comment M. le rapporteur peut, au nom de la commission, défendre une
position autre, quelle que soit sa propre position ou la position de la
commission sur les deux autres amendements. En effet, on ne légifère pas ici
ad hominem.
Nous y reviendrons d'ailleurs au cours du débat.
Mme Blandin et les membres de la commission des lois ont jugé judicieux de
préciser que les dispositions qu'il est prévu d'appliquer aux salariés, aux
agents publics et aux membres de professions libérales devaient également
pouvoir s'appliquer aux exploitants agricoles, la catégorie des membres de
professions libérales n'englobant pas habituellement les exploitants agricoles.
Cette précision est donc judicieuse.
De plus, M. le ministre vient de nous livrer un argument de très grand poids
en relevant à juste titre que cet amendement ne peut s'appliquer au dirigeant
de l'organisation syndicale dont nous avons évoqué le cas. Dès lors, M. le
ministre est parfaitement cohérent avec l'intention de l'auteur de
l'amendement, Mme Blandin, et de la commission des lois, qui a adopté cet
amendement dans cet esprit.
C'est pourquoi, conformément au vote de la commission des lois, je soutiens
cet amendement, et le voterai donc.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse.
Je dois avoir l'esprit brumeux, mais j'ai du mal à comprendre les raisons de
tout cela. Il paraît difficilement compréhensible que l'article 3 ne vise que
les salariés et pas les membres des professions agricoles et des professions
artisanales. Les amendements visent donc à combler en partie cette lacune. En
réalité, pourquoi ne pas viser l'ensemble ?
Mais, même si cette disposition était votée - et elle peut l'être puisqu'on ne
voit pas pourquoi l'article 3 viserait uniquement les salariés, - elle ne
s'appliquerait pas au cas de José Bové, parce que ce cas me paraît exclu...
M. Jean-Jacques Hyest.
Bien sûr !
M. Michel Charasse.
... par le trente-deuxième alinéa (31°) de l'article 13, qui exclut les «
délits de destructions »...
M. Jean-Jacques Hyest.
Voilà !
M. Michel Charasse.
... en faisant référence aux articles 322-2 et 322-3 du code pénal.
Et l'article 322-3 du code pénal aggrave la peine encourue en cas de
destruction, de dégradation ou de détérioration d'un bien appartenant à autrui
lorsque l'infraction « est commise dans un local d'habitation ou dans un lieu
utilisé ou destiné à l'entrepôt de fonds, valeurs, marchandises ou matériels,
en pénétrant dans les lieux par ruse, effraction ou escalade ».
Par conséquent, on peut à mon avis mentionner sans problème les membres des
professions agricoles à l'article 3 du projet de loi, comme l'a souhaité à
juste raison, ce matin, la commission des lois. En effet, cela ne ferait en
aucune façon profiter José Bové d'une amnistie.
Je regrette simplement, pour ma part, que la commission ne soit pas allée
jusqu'au bout en faisant également référence aux membres des professions
commerciales et artisanales.
Je voterai donc pour ma part les trois amendements n°s 46, 50 rectifié et 71,
qui s'inscrivent dans la logique de l'article 3 mais n'amnistient pas pour
autant la ou les personnes auxquelles il était fait allusion tout à l'heure...
ou alors je ne comprends plus rien au droit !
M. Guy Fischer.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer.
Le projet de loi prend en compte l'activité agricole puisque l'article 3
prévoit une amnistie pour les infractions passibles de moins de dix ans
d'emprisonnement lorsqu'elles ont été commises en relation « avec des conflits
de caractère industriel, agricole, rural, artisanal ou commercial ».
Mais l'article 13 exclut de manière générale, c'est-à-dire y compris s'ils ont
été commis dans les circonstances désignées à l'article 3, les « délits de
destructions, dégradations ou détériorations », ce qui recouvre la
quasi-totalité des actes syndicaux qui, commis à l'occasion de manifestations,
peuvent faire l'objet de poursuites pénales. Notre collègue Michel Charasse
nous a éclairés sur ce point.
J'ai indiqué, dans la discussion générale, qu'il y a « deux poids, deux
mesures ». En l'occurrence, il s'agit, bien entendu, de M. José Bové.
L'amnistie doit être appliquée également, conformément à l'esprit qui préside à
son éxistence, à savoir contribuer à l'apaisement des tensions sociales ; c'est
ce à quoi nous nous employons ce soir.
Or force est de constater que, depuis quelques années, un profond sentiment
d'injustice se répand non seulement au sein du milieu paysan et rural mais
également dans l'ensemble de la société face à la manière outrancièrement
différente dont la justice et les pouvoirs publics traitent les actions
syndicales selon l'organisation qui les promeut. Ainsi, d'un côté, une peine de
prison ferme est prononcée pour des actions qui expriment des revendications
largement partagées par la majorité de l'opinion publique, alors que, de
l'autre, il faut noter l'absence réelle de poursuites pour de très fortes
dégradations à des biens publics ou pour des atteintes à l'autorité de l'Etat.
Celui-ci est obligé de compenser les considérables destructions commises, sans
aucune retenue, sur des biens privés ; je pense en l'occurrence aux dégâts,
d'un montant de 12 millions d'euros, causés aux entrepôts et ateliers de
découpe de Vivendus à Fougères par un commando.
Il faut voir les choses comme elles sont. Nous souhaitons avoir un débat
mesuré, éclairé par tous les éléments que nous pouvons avoir en notre
possession. C'est dans ce sens que nous avons déposé nos amendements.
M. René Garrec,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. René Garrec,
président de la commission des lois.
Je voudrais simplement rappeler que
la commission vote sur des avis. Nous avons donc voté sur l'avis du rapporteur
de la commission, qui, au vu des éléments en sa possession, nous a proposé
après débat de donner un avis favorable au premier amendement. Nous avons
ensuite donné un avis défavorable sur les deux autres.
Après l'éclairage que nous a fourni M. Le Cam, nous aurions dû, nous
semble-t-il, émettre le même vote sur le premier amendement. M. le ministre a
bien précisé les choses. L'avis de la commission, par définition, ne peut donc
qu'être défavorable.
M. Gérard Delfau.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gérard Delfau.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le garde des sceaux, il ne m'avait pas échappé que l'on trouverait à
l'article 3 mention des délits en relation avec des conflits de caractère
industriel, agricole, rural, artisanal et commercial. Toutefois, convenez avec
nous que l'énumération laisse insatisfait.
Notre collègue M. Charasse a tout à fait raison de dire qu'il faudrait à tout
le moins faire figurer les mentions d'agriculteur et d'artisan dans cette
énumération.
Par ailleurs, j'ai évidemment lu l'article 13 du projet de loi consacré aux
exclusions de l'amnistie et, en particulier, son paragraphe 31. Monsieur le
garde des sceaux, dans l'esprit auquel je me suis référé lors de la discussion
générale, on peut se demander jusqu'où on doit aller en matière d'amnistie. En
l'occurrence, qu'on ne me reproche pas de parler
ad hominem
, ce n'est
pas mon habitude, mais quand on prononce le nom de José Bové, qu'on le veuille
ou non, on évoque un fait de société, au-delà de la personnalité de
l'intéressé,...
M. Patrick Lassourd.
C'est le
star system
!
M. Gérard Delfau.
... même si celle-ci peut parfois prêter à commentaire.
Je me suis donc adressé à vous, monsieur le garde des sceaux, non pas pour
vous demander qu'il soit amnistié, mais simplement pour entendre le
Gouvernement assurer que la porte n'était pas fermée. Il vous appartient, d'ici
à la fin de ce débat, de vous prononcer ou non dans ce sens. C'est évidemment
de votre responsabilité, comme c'était de la mienne, en ma qualité de
parlementaire, de vous poser cette question.
M. Jean Chérioux.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Jean Chérioux.
M. Jean Chérioux.
Je suis choqué par le tour que prend ce débat.
En effet, les textes sont simples et la commission a pris une position que je
suivrai. Aussi, je suis étonné qu'on saisisse cette occasion pour faire une
publicité malvenue, car on trompe les gens. On croirait, à vous écouter, les
uns et les autres, mes chers collègues, qu'il n'y a qu'un seul homme en France
qui se batte contre le mondialisme excessif, qui se batte contre le libéralisme
excessif. Or, au sein de la majorité comme au sein du Gouvernement, il y a bien
des gens qui essaient de défendre une position plus humaine. On en a assez de
ce
star system
qui est constamment mis en avant !
M. Guy Fischer.
Nous avons simplement dit qu'il y avait deux poids deux mesures.
M. Jean Chérioux.
Le culte de la personnalité, c'était il y a quarante ans en Union soviétique !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants,
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 46 et 50 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 71.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
L'amendement n° 68, présenté par MM. Peyrat, Ginésy et Lecerf, est ainsi
libellé :
« Après le deuxième alinéa (1°) de l'article 3, insérer un alinéa ainsi rédigé
:
« ...° Délits d'exercice illégal de la médecine commis à l'occasion de la
pratique d'une activité d'ostéopathie ou de chiropraxie ; ».
La parole est à M. Jean-René Lecerf.
M. Jean-René Lecerf.
Cet amendement a pour but d'ajouter aux délits qui bénéficieraient de
l'amnistie le délit de l'exercice illégal de la médecine à l'occasion de la
pratique d'une activité d'ostéopathie ou de chiropraxie.
Comme vous le savez, mes chers collègues, la loi du 4 mars 2002 relative aux
droits des malades a désormais reconnu les professions indépendantes
d'ostéopathes et de chiropracteurs. Il s'agirait donc simplement d'amnistier
des condamnations qui seraient antérieures à l'adoption de cette loi.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
Cet amendement n° 68 se réfère essentiellement à la loi du 4
mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé,
qui a consacré la reconnaissance des professions indépendantes d'ostéopathes et
de chiropracteurs.
S'il peut paraître alors opportun, en première analyse, en fonction
précisément de cette loi qui n'a que quelques mois, d'amnistier des personnes
qui sont condamnées pour l'exercice illégal de la médecine en matière
d'ostéopathie dans la mesure où cette discipline est reconnue, depuis mars
2002, comme une profession indépendante, en réalité, l'amendement aboutirait,
s'il était adopté, à amnistier des personnes qui sont encore aujourd'hui
considérées comme non susceptibles d'exercer ladite discipline.
Finalement, on amnistierait tout le monde, y compris ceux qui déshonorent la
profession. C'est la raison pour laquelle la commission est défavorable à cet
amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Le Gouvernement partage l'avis de la commission. La loi
a permis ou va permettre à un certain nombre d'ostéopathes et de chiropracteurs
d'entrer dans l'exercice légal de la médecine. L'amendement proposé
entraînerait, lui, l'amnistie de tous les autres. Il me semble donc à cet égard
très dangereux.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 68.
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Patrice Gélard.
M. Patrice Gélard.
L'affaire des ostéopathes et chiropracteurs est tout de même un peu complexe.
Il faut savoir qu'un très grand nombre de membres de cette profession ont, dans
le passé, été condamnés et traîneront cette condamnation tant qu'elle sera pas
amnistiée.
Evidemment, il y a le problème de ceux qui ne correspondent ni à la définition
d'ostéopathe ni à celle de chiropracteur, mais ceux-là, à mon avis, sont des
charlatans.
En revanche, les ostéopathes et les chiropracteurs ayant suivi des études
reconnues en tant que telles, études qui doivent être homologuées par un décret
en Conseil d'Etat - décret que nous attendons toujours d'ailleurs - devraient,
eux, être amnistiés.
La conception qu'a du problème notre excellent rapporteur me semble un peu
partielle. Je pense, quant à moi, qu'il serait bon de rectifier cet amendement
pour éviter que les membres d'une profession maintenant reconnue se voient
refuser l'amnistie de condamnations prononcées antérieurement à l'adoption de
la loi.
M. Pierre Hérisson.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Pierre Hérisson.
M. Pierre Hérisson.
Comme vient de le dire notre collègue M. Gélard, il faudrait viser par cette
amnistie ceux qui, depuis la loi du 4 mars 2002, ont la possibilité d'exercer
officiellement leur profession. Si je comprends tout à fait que ne puissent
être amnistiés ceux qui, aujourd'hui, n'ont toujours pas la possibilité
d'exercer, je me demande pourquoi on n'amnistierait pas ceux qui, de bonne foi,
depuis longtemps, remplissent un certain nombre de conditions sans que,
malheureusement, un texte législatif leur ait permis d'exercer leur
profession.
M. Christian Cointat.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Christian Cointat.
M. Christian Cointat.
J'approuve tout à fait les propos de nos collègues qui viennent de s'exprimer.
Il serait en effet totalement incohérent, très mal compris et mal perçu, de ne
pas amnistier les personnes qui répondent désormais aux critères de la loi.
Je crois que la solution consiste à rectifier cet amendement en ajoutant,
après le mot : « chiropraxie », les mots suivants : « par des professionnels
qui remplissent les conditions d'exercice prévues par la loi n° 2002-303 du 4
mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;
».
(Très bien ! sur de nombreuses travées.)
M. le président.
Monsieur Lecerf, acceptez-vous de rectifier en ce sens l'amendement n° 68 ?
M. Jean-René Lecerf.
Oui, monsieur le président.
M. le président.
Je suis donc saisi d'un amendement n° 68 rectifié, présenté par MM. Peyrat,
Ginésy et Lecerf, qui est ainsi libellé :
« Après le deuxième alinéa (1°) de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé
:
« ... Délits d'exercice illégal de la médecine commis à l'occasion de la
pratique d'une activité d'ostéopathie ou de chiropraxie par des professionnels
qui remplissent les conditions d'exercice prévues par la loi n° 2002-303 du 4
mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;
»
Quel est l'avis de la commission ?
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
Favorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben
garde des sceaux.
Je m'en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 68 rectifié.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
L'amendement n° 30, présenté par M. Charasse et les membres du groupe
socialiste, apparentés et rattachée, est ainsi libellé :
« Compléter le troisième alinéa (2°) de l'article 3 par les mots suivants : ",
sauf en cas de fraude aux examens et concours ; ". »
La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse.
Sauf erreur, je n'ai pas vu parmi les cas d'exclusion de l'amnistie les
fraudes aux examens et aux concours. En effet, l'article 3, en son alinéa 2°,
amnistie les délits commis à l'occasion de conflits relatifs aux problèmes de
l'enseignement et ne renvoie pas, pour les fraudes aux examens et aux concours,
à l'article 13, qui énumère les infractions exclues du domaine de
l'amnistie.
J'ai donc proposé, avec mon groupe, de compléter cet alinéa afin que soit bien
précisé que les fraudes aux examens et aux concours ne bénéficient pas de
l'amnistie.
C'est quand même extrêmement grave ! La fraude peut impliquer de nombreuses
personnes.
Ainsi, il n'y a pas très longtemps, à l'université de Clermont-Ferrand, deux
professeurs ont, pour des raisons personnelles, décidé de ne pas rendre les
copies d'examen en fin d'année universitaire ! Les étudiants n'ont donc pas pu
recevoir de notes, et leur année universitaire n'a pas pu être prise en compte.
Je trouverais scandaleux que ces professeurs soient amnistiés alors qu'ils ont
perturbé la vie de trente, quarante ou cinquante étudiants qui ne peuvent
certainement pas se payer le luxe de redoubler leur année !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
Dans le 2° de l'article 3, je le rappelle, sont visés les «
délits commis à l'occasion de conflits relatifs aux problèmes de l'enseignement
ou délits relatifs à la reproduction d'oeuvres ou à l'usage de logiciels à des
fins pédagogiques et sans but lucratif ». Cette rédaction est claire, nette et
précise. Ce qui est ici en cause, c'est notamment la reproduction, parfaitement
illégale, de livres ou d'articles par des enseignants.
Nul, ici, bien entendu, ne défendra la fraude aux examens et concours. Pour
autant, il ne me paraît guère cohérent de viser ces cas de fraude au troisième
alinéa de l'article 3, lequel concerne, ainsi que je l'ai rappelé, les délits
commis à l'occasion de conflits relatifs aux problèmes de l'enseignement et ce
que l'on appelle le « photocopillage ».
En vérité, l'adjonction du membre de phrase proposée par M. Charasse
dénaturerait totalement le troisième alinéa de l'article 2.
C'est la raison pour laquelle la commission des lois émet un avis défavorable
sur l'amendement n° 30.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Avis défavorable pour la même raison.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 30.
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Patrice Gélard.
M. Patrice Gélard.
C'est une erreur de confondre examens et concours.
M. Jean-Jacques Hyest.
Merci !
M. Patrice Gélard.
Les concours organisés par une administration sont soumis à des règles
particulières. Ainsi, en cas de fraude au CAPES ou à l'agrégation, par exemple,
des règles particulières s'appliquent. Pour ce qui est des examens
universitaires, c'est le droit disciplinaire des universités - domaine très
particulier - qui s'applique.
Or, traditionnellement, les fautes disciplinaires universitaires ont toujours
fait l'objet d'une amnistie.
Je tiens à souligner que la fraude aux examens - et il ne s'agit pas de la
fraude organisée par des professeurs ou d'autres personnels - ne constitue ni
un délit pénal ni une contravention : c'est exclusivement une faute
disciplinaire. Mais il convient aussi de préciser que les sanctions prononcées
par les juridictions disciplinaires - sanctions au demeurant prévues par les
textes - sont parfois extrêmement lourdes. Ainsi, un fraudeur au baccalauréat
peut se voir interdire à vie, par une section disciplinaire d'université, toute
inscription dans une université.
Il apparaît donc que l'amnistie permet, évidemment après un certain temps, de
revenir sur cette interdiction absolue, qui n'est d'ailleurs, selon moi, même
pas conforme aux règles de la convention européenne des droits de l'homme.
On peut tout de même convenir que la fraude aux examens est souvent une erreur
de jeunesse. Même la fraude au brevet des collèges peut entraîner des sanctions
extrêmement lourdes !
Dès lors, vouloir maintenir définitivement des sanctions qui resteront
inscrites sur le dossier universitaire de la personne concernée me paraît plus
dangereux qu'intéressant.
M. Jean-Pierre Sueur.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur.
Je veux soutenir avec beaucoup de force l'amendement de M. Charasse, et je
suis quelque peu surpris des explications que M. le doyen Gélard vient de nous
donner.
A l'heure où l'on parle beaucoup de la délinquance des mineurs, la fraude aux
examens apparaît bien comme quelque chose de grave, et même d'inacceptable.
Frauder, c'est voler un titre auquel on n'a pas droit.
Je ne suis, en outre, pas convaincu par le distinguo établi entre les examens
et les concours.
M. Patrice Gélard.
Les uns et les autres ne relèvent pas du tout des mêmes règles !
M. Jean-Pierre Sueur.
Comme si la fraude était plus acceptable dans un cas que dans l'autre !
Comment justifier cela ?
M. Michel Caldaguès.
Dans le cas d'un concours, il y a préjudice !
M. Jean-Pierre Sueur.
Il est vrai que, dans le cas d'un concours, on peut prendre la place de
quelqu'un d'autre.
M. Michel Caldaguès.
Exactement !
M. Jean-Pierre Sueur.
Mais, si l'on fraude à un examen, on peut être ensuite amené à se prévaloir
d'un titre auquel on n'a pas droit, et c'est aussi une manière de porter
atteinte aux droits d'autrui.
Quoi qu'il en soit, je considère que la fraude aux examens et aux concours est
un acte grave et que, à ce titre, elle doit être exclue de l'amnistie.
D'ailleurs, il y a beaucoup d'actes bien moins graves que l'on a déjà décidé ou
que l'on va décider d'exclure de l'amnistie.
Je veux également exprimer mon désaccord avec M. le rapporteur lorsque
celui-ci conteste la cohérence de la démarche de notre collègue pour des
raisons quasi grammaticales. La présence, au 2° de l'article 3, de la
conjonction de coordination « ou » et la virgule qui précède le membre de
phrase proposé par M. Charasse montrent bien que la restriction concernant la
fraude s'applique dans tous les cas, étant entendu que, en l'occurrence, les
photocopies illégales ne sont évidemment pas visées.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je suis de plus en plus surpris par les amendements qui nous sont soumis et
par les explications qui sont apportées pour les soutenir.
L'article 3 tend à amnistier un certain nombre de délits, sous réserve qu'ils
soient passibles de moins de dix ans d'emprisonnement. Dès lors, la question
est de savoir si les fraudes aux examens ou aux concours constituent des
délits.
M. Patrice Gélard.
Non !
M. Jean-Jacques Hyest.
Dans ces conditions, je ne vois pas pourquoi il faudrait les viser à l'article
3.
M. Michel Charasse.
Mais si, ce sont des délits !
M. Jean-Jacques Hyest.
Eh bien, proposez de les exclure à l'article 13 ! A l'article 3, il est
question des conflits relatifs à l'enseignement et de la reproduction illégale.
Cela n'a rigoureusement rien à voir avec la fraude aux examens ! Pourquoi
n'avez-vous pas déposé d'amendement prévoyant une exclusion supplémentaire à
l'article 13 ? Nous n'en sommes jamais qu'à cinquante-trois ou cinquante-quatre
exclusions ! Après tout, on pourrait exclure tout le code pénal ! Cela nous
simplifierait la vie !
Il y a une cohérence du projet de loi qui distingue l'amnistie par nature et
l'amnistie au
quantum,
avec des exclusions. Respectons cette cohérence
!
Je plains les greffiers des tribunaux qui s'occupent du casier judiciaire !
Pensez à eux et simplifiez-leur la vie ! Faisons donc une législation cohérente
et claire !
C'est la raison pour laquelle je pense que cet amendement n'a pas lieu d'être
à cet endroit du texte, même si je partage le souci de M. Charasse de lutter
contre la fraude.
(M. Maurice Ulrich applaudit.)
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse.
Bien entendu, je m'en voudrais de rendre le texte moins clair et la rédaction
que j'ai proposée mérite peut-être d'être améliorée. En fait, je veux surtout
savoir si la fraude aux examens et concours, laquelle constitue bien un délit -
on peut trouver facilement les articles du code pénal concernés - ...
M. Patrice Gélard.
Non !
M. Michel Charasse.
... est ou non amnistiée. Car je ne trouve pas la réponse dans la liste des
exclusions qui figure à l'article 13. C'est pourquoi j'ai proposé de prévoir
celle-ci dans cet alinéa où il est question de l'enseignement. Mais je suis
prêt à convenir que ce n'est pas forcément le meilleur endroit.
Monsieur le ministre, la question qui nous préoccupe, mes amis et moi-même,
est donc de savoir si, compte tenu des dispositions de l'article 2 tel qu'il
vient d'être voté et de celles de l'article 3, ce type de délit est exclu ou
non de l'amnistie.
Par ailleurs, je voudrais dire à mon collègue et ami le doyen Gélard, dont
j'admire la science juridique, qu'il ne s'agit pas seulement de simples
problèmes disciplinaires, et j'en parle d'expérience.
A Clermont-Ferrand, deux professeurs ont refusé de rendre les copies dont on
leur avait confié la correction, l'un parce qu'on ne lui avait pas donné un
escabeau pour atteindre le sommet de l'armoire où il rangeait ses livres,
l'autre parce qu'il avait trop chaud dans son bureau... Pour protester, ils ont
décidé de ne pas rendre les copies !
J'étais ministre à l'époque et j'ai été prévenu par le recteur. Qu'ai-je fait
? D'abord, j'ai dit au recteur : « Absence de "service fait" : vous suspendez
le salaire ! »
(Sourires.)
Je lui ai même envoyé un ordre écrit ! Je lui
ai en outre demandé de saisir immédiatement le procureur de la République pour
détournement de documents officiels.
Le procureur ayant classé l'affaire, le recteur a saisi le conseil de
discipline de l'université de Clermont-Ferrand. Et qu'ont décidé les membres
dudit conseil de discipline ? Premièrement, de ne pas sanctionner leurs deux
collègues, qui n'avaient d'ailleurs toujours pas rendu les copies.
Deuxièmement, ils ont déploré l'acte arbitraire de ce Charasse de malheur qui
avait osé suspendre le salaire de ces deux individus qui refusaient de faire
leur travail !
(Rires.)
Par conséquent, la sévérité des sanctions disciplinaires, c'est pipeau et
compagnie !
Je voudrais donc savoir si ce type de délit est amnistié ou pas.
M. Patrice Gélard.
Ce n'est pas un délit !
M. Michel Charasse.
En tout cas, il y a une soixantaine d'étudiants de Clermont-Ferrand qui n'ont
pas pu passer en année supérieure parce que deux zèbres, qui n'ont même pas été
sanctionnés - hormis la suspension du salaire -, ont décidé de ne pas rendre
les copies.
M. Jean-Jacques Hyest.
Ils n'ont pas fraudé !
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben
garde des sceaux.
Dans le projet de loi du Gouvernement, ce type de délit
n'est pas exclu de l'amnistie, c'est tout à fait clair. C'est, bien entendu, à
l'intérieur du
quantum.
J'ajouterai, au passage, une simple observation : M. Charasse vient de
confirmer que le Gouvernement auquel il a appartenu donnait des instructions au
parquet.
(Très bien ! et sourires sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux.
Merci, monsieur Charasse !
M. Michel Charasse.
Je demande la parole.
M. le président.
Puisque vous m'avez interpellé, je vous la donne.
M. Michel Charasse.
En ce qui me concerne, j'ai toujours considéré qu'il entrait dans les
prérogatives du Gouvernement de la République de donner des instructions au
Parquet.
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
Celui-ci est le bras armé
de l'exécutif, et telle était bien la position du Président Mitterrand.
Je n'ai pas voté au deuxième tour pour Jacques Chirac pour renier ensuite la
République !
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 30.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
L'amendement n° 51, présenté par M. Fischer, Mme Borvo, M. Bret, Mme Mathon et
les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Après le quatrième alinéa (3°) de l'article 3, insérer un alinéa ainsi
rédigé :
« ... ° Délits commis en relation avec des procédures d'expulsions et saisies
; ».
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer.
Il s'agit, pour le groupe communiste républicain et citoyen, d'un amendement
particulièrement important.
A l'heure où il est beaucoup question de l'insécurité qui sévit dans les
cités, les grands quartiers populaires de nos agglomérations et les banlieues,
je tiens à rappeler que celle-ci est aussi liée aux difficultés sociales de
plus en plus insupportables que subissent nombre d'habitants de ces lieux. Tous
ceux qui vivent et militent dans ces quartiers constatent d'ailleurs
l'aggravation de ces inégalités.
Pour lutter efficacement contre l'insécurité - je préfère d'ailleurs parler
d'« insécurité sociale » pour englober tous les paramètres qui la définissent -
il faut poursuivre l'effort en matière de logements sociaux. De bonnes
conditions de logement et des loyers modérés contribuent à l'épanouissement des
familles avec, bien entendu, tout ce qui s'ensuit, et empêchent les enfants de
traîner au pied des tours faute de place. Or, aujourd'hui, la précarité est
trop souvent de mise dans le domaine du logement et les difficultés
s'accentuent, notamment dans certains quartiers. Nous assistons trop souvent à
des expulsions autoritaires, sans pitié de locataires souvent de bonne foi,
mais confrontés au surendettement et aux difficultés de la vie.
Des élus, des associations, des animateurs, des militants se battent aux côtés
de ces personnes qui cherchent à conserver leur dignité.
J'en parle en connaissance de cause, étant moi-même intervenu à maintes
reprises, sur le terrain, dans le quartier des Minguettes, pour tenter de
trouver des solutions et pour stopper l'arbitraire.
Trop souvent des femmes et des hommes, des familles se trouvent séparés ;
d'autres femmes et d'autres hommes, qui affirment leur solidarité, sont
poursuivis par la suite, parfois condamnés pour leurs actes généreux.
Ma démonstration serait la même pour le phénomène comparable que constituent
les saisies. Lorsque l'on fait le bilan, on s'aperçoit que les mesures mises en
place coûtent souvent bien plus cher que le maintien dans les lieux des
familles. Des dispositions sont prévues dans le cas de menace de saisie ou
d'expulsion par la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions,
mais, trop souvent, malheureusement, cette loi n'est pas respectée.
Si l'amnistie a une raison d'exister, ne pensez-vous pas, mes chers collègues,
monsieur le garde des sceaux, qu'elle devrait s'appliquer aux délits commis à
l'occasion d'expulsions et de saisies ?
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, eux, le pensent, et
c'est pourquoi ils vous proposent d'adopter cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
La commission y est défavorable, monsieur le président, car
cet amendement tend à inclure dans le champ d'application de l'amnistie les
poursuites qui ont été engagées pour défendre des personnes expulsées de leur
logement ou dont les biens ont été saisis.
Je partage tout à fait l'avis de M. Fischer, il est toujours malheureux de
devoir expulser quelqu'un ; personnellement, j'en ai très souvent subi,
moralement, le contrecoup lorsque j'ai été amené à prononcer des expulsions en
tant que préfet. Mais les délits commis à l'occasion de procédures d'expulsion
étant souvent très sévères et entraînant même quelquefois une certaine
violence, le fait de les amnistier reviendrait, à mon avis, à accepter purement
et simplement des entraves aux procédures judiciaires. C'est la raison pour
laquelle la commission des lois ne peut pas donner un avis favorable sur cet
amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben
garde des sceaux.
Le Gouvernement est défavorable à cet amendement dans
la mesure où il s'agit de délits qui ont été commis contre des décisions de
justice. On ne peut pas demander à la justice de tolérer ou de proposer
l'amnistie pour des délits qui ont été commis contre ses propres décisions !
Mme Nicole Borvo.
Autant dire que rien ne peut être amnistié !
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 51.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme Nicole Borvo.
Pas d'amnistie !
M. le président.
L'amendement n° 31, présenté par M. Charasse et les membres du groupe
socialiste, apparentés et rattachée, est ainsi libellé :
« Compléter le cinquième alinéa (4°) de l'article 3 par les mots suivants : ",
et de ceux constituant des fraudes électorales ;". »
La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse.
Monsieur le président, j'ai peur, avec mes amis du groupe socialiste, que la
rédaction du 4° de l'article 3 n'entraîne l'amnistie des fraudes électorales.
C'est pourquoi je pense que cette précision est utile.
Toutefois, si l'on nous dit que le libellé du 4° couvre tout, naturellement,
nous n'insisterons pas.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
Permettez-moi de poser la question : qui serait favorable à
la fraude électorale ?
M. Michel Charasse.
Oh !
Mme Nicole Borvo.
Personne évidemment !
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
J'estime que cet amendement sera satisfait par le 7° de
l'article 13, qui exclut de l'amnistie toute une série d'infractions prévues
par le code électoral. Par conséquent, il n'a pas lieu d'être, et je demande à
M. Charasse de bien vouloir le retirer.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben
garde des sceaux.
Le Gouvernement partage l'avis de la commission.
M. le président.
L'amendement n° 31 est-il maintenu, monsieur Charasse ?
M. Michel Charasse.
Je le retire, monsieur le président.
M. le président.
L'amendement n° 31 est retiré.
L'amendement n° 52, présenté par MM. Le Cam et Fischer, Mme Borvo, M. Bret,
Mme Mathon et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est
ainsi libellé :
« Après le septième alinéa de l'article 3, insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Sont amnistiés les délits prévus aux 1° et 3° du présent article, commis en
récidive légale, dès lors qu'ils sont commis dans le cadre d'actions syndicales
déjà visées par l'amnistie. »
La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam.
Cet amendement tend à inclure dans l'amnistie les délits commis en récidive
lorsqu'il s'agit d'actions syndicales.
Je ne reviendrai pas sur les arguments que j'ai développés voilà quelques
instants à propos des mouvements du monde paysan ; bien que cet amendement soit
en lien direct avec cette question puisque M. José Bové est de nouveau passible
d'emprisonnement pour des actions menées contre la culture d'OGM, culture qui
est particulièrement controversée par les scientifiques eux-mêmes, ce qui
permet le doute.
M. Patrick Lassourd.
C'est encore mieux : il en remet une couche !
M. Gérard Le Cam.
Je m'étonne, monsieur le garde des sceaux, des propos que vous avez tenus à
l'Assemblée nationale au sujet d'un amendement similaire. Vous avez en effet
indiqué qu'il n'y avait pas de tri à faire entre récidivistes, évoquant
implictement José Bové. Cette attitude - que vous démentirez aujourd'hui, je
l'espère - atteste bien la volonté de criminaliser l'action syndicale, en
l'occurrence celle du monde agricole.
M. Patrick Lassourd.
Sûrement !
M. René Garrec,
président de la commission des lois.
Il ne faut pas exagérer !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
La commission est défavorable à cet amendement, qui
dérogerait au principe d'exclusion du bénéfice de l'amnistie tel qu'il est fixé
par le 40° de l'article 13, lequel vise les cas de récidive légale.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben
garde des sceaux.
Le Gouvernement est également défavorable à cet
amendement.
De plus, je maintiens les propos que j'ai tenus à l'Assemblée nationale. Le
projet déposé par le Gouvernement exclut de l'amnistie tous les cas de récidive
légale.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 52.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
L'amendement n° 1, présenté par M. Lanier, au nom de la commission, est ainsi
libellé :
« Supprimer le dernier alinéa de l'article 3. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
Il s'agit d'un amendement de clarification.
Le dernier alinéa de l'article 3 s'applique aux condamnations pour infractions
multiples. L'amnistie ne s'applique que si le délit amnistié par application de
l'article 3 est puni d'une peine plus forte ou égale à celles dont sont
passibles les autres infractions poursuivies. Toutefois, cette règle ne
s'appliquera pas si l'une desdites infractions est exclue du bénéfice de
l'amnistie : le condamné ne sera alors pas amnistié.
Cette disposition figure dans l'article 3, mais peut également trouver à
s'appliquer à l'article 2. En conséquence, il est préférable de la disjoindre
de l'article 3 pour en faire un article spécifique sous forme d'un article
additionnel qui suivra.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Favorable.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 1.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'article 3, modifié.
(L'article 3 est adopté.)
Article additionnel après l'article 3