SEANCE DU 25 JUILLET 2002
M. le président.
« Art. 7. - I. - L'intitulé du livre III du code de l'organisation judiciaire
(partie Législative) est ainsi rédigé :
« LIVRE III
« LE TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE,
LE TRIBUNAL D'INSTANCE
ET LA JURIDICTION DE PROXIMITÉ
« II. - Il est inséré, après le titre II du livre III du code de
l'organisation judiciaire (partie Législative), un titre III ainsi rédigé :
« TITRE III
« LA JURIDICTION DE PROXIMITÉ
« Chapitre UNIQUE
« Dispositions générales
« Section 1
« Institution, compétence et fonctionnement
«
Art. L. 331-1
. - Il est institué, dans le ressort de chaque cour
d'appel, des juridictions de première instance dénommées juridictions de
proximité.
«
Art. L. 331-2
. - En matière civile, la juridiction de proximité
connaît en dernier ressort des affaires personnelles mobilières dont elle est
saisie par une personne physique pour les besoins de sa vie non
professionnelle, jusqu'à la valeur de 1 500 EUR ou d'une valeur indéterminée
mais qui ont pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède
pas 1 500 EUR.
« Elle connaît aussi des procédures d'injonction de payer ou de faire, dans
les limites prévues à l'alinéa précédent.
«
Art. L. 331-3
. - En matière civile, la juridiction de proximité
statue selon les règles de procédure applicables devant le tribunal d'instance.
Elle se prononce après avoir cherché à concilier les parties.
« Les parties peuvent se faire assister et représenter devant elle dans les
mêmes conditions que devant le tribunal d'instance.
«
Art. L. 331-4
. - Lorsque, en matière civile, le juge de proximité se
heurte à une difficulté juridique sérieuse portant sur l'application d'une
règle de droit ou sur l'interprétation de l'obligation liant les parties, il
peut, à la demande d'une partie ou d'office, après avoir recueilli
préalablement l'avis, selon le cas, de l'autre ou des autres parties, renvoyer
l'affaire au tribunal d'instance qui statue alors en tant que juridiction de
proximité.
«
Art. L. 331-5
. - En matière pénale, les règles concernant la
compétence et le fonctionnement de la juridiction de proximité ainsi que celles
relatives au ministère public près cette juridiction sont fixées par l'article
706-72 du code de procédure pénale et, en ce qui concerne les mineurs, par
l'article 20-1-1 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à
l'enfance délinquante.
« Section 2
« Organisation
«
Art. L. 331-6
. - Le siège et le ressort de la juridiction de
proximité sont fixés par décret en Conseil d'Etat.
«
Art. L. 331-7
. - La juridiction de proximité statue à juge unique.
«
Art. L. 331-8
. - La juridiction de proximité peut tenir des audiences
foraines en tout lieu public approprié dans des conditions fixées par décret en
Conseil d'Etat.
«
Art. L. 331-9
. - En cas d'absence ou d'empêchement du juge de
proximité ou lorsque le nombre de juges de proximité se révèle insuffisant, les
fonctions de ce juge sont exercées par un juge du tribunal d'instance
territorialement compétent, désigné à cet effet par le président du tribunal de
grande instance. »
Sur l'article 7, la parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter.
Je ne reprendrai pas les thèmes que j'ai eu l'occasion de développer lors de
la discussion générale. J'attirerai maintenant votre attention sur un point
différent, mais extrêmement important, dont j'ai saisi notre ami M. Haenel : la
rémunération des magistrats de proximité.
J'ai gardé de mon expérience de professeur d'université un souvenir très
précis sur le peu de rémunération qu'accordait l'Etat à ceux qui faisaient des
heures supplémentaires, ce qui était mon cas, à l'Institut d'études
judiciaires. J'ai donc eu la curiosité de savoir à combien on apprécie, dans
notre société, la valeur horaire de l'acte de jugement, ce qui n'est pas
indifférent.
Je note à cet égard que nous vivons aujourd'hui dans une société où la
compétence professionnelle peut varier en fonction de la rémunération proposée.
Ainsi vont les choses à notre époque !
Faute de trouver dans les textes la réponse précise, j'ai posé la question et
j'ai trouvé des chiffres. Une enveloppe globale est prévue, qui correspond à
340 emplois. Selon moi, ces emplois pourraient être mieux utilisés autrement,
mais ce n'était pas le fond de la question. La question précise est combien
vont être rémunérés ces juges de proximité ?
Dans le rapport de M. Haenel, que nous avons eu bien du mal à nous procurer -
la responsabilité n'en incombe pas à son auteur, mais à la déclaration
d'urgence - figurait une précision très importante. A la page 50, le principe
de la rémunération est décrit : trois vacations pour une audience, une audience
durant une demi-journée : matin ou après-midi.
Chacune de ces audiences est donc rémunérée par trois vacations, ce qui est
légitime si l'on veut bien considérer qu'au temps d'audience s'ajoutent le
temps de la préparation des dossiers et le temps éventuel de l'élaboration du
jugement.
Comme chaque juge de proximité travaillera très exactement quarante-quatre
demi-journées, point n'est besoin d'être un grand calculateur pour arriver à
132 vacations par an.
Le montant de la vacation étant de 1 000 à 1 500 francs - vous me pardonnerez
de toujours m'exprimer en francs - cela fait de 132 000 francs à 298 000 francs
par an.
J'aimerais dès lors comparer la rémunération du juge de proximité, qui a une
audience par semaine, à la rémunération perçue par un juge d'instance. Je pose
donc la question à M. Haenel et à M. Schosteck : combien gagne, par an, un juge
d'instance qui, lui, travaille tous les jours d'audience ?
Je pose cette question avec d'autant plus d'insistance que le métier de juge
d'instance est très difficile et qu'il requiert beaucoup de compétences et de
foi dans son travail.
Ma question porte, bien sûr, sur la rémunération d'un juge d'instance
débutant.
Il s'agit là d'un élément très important du débat. On parle toujours
d'économie de la justice, c'est une discipline qui naît. Mais si l'on recrute
des juges non professionnels pour travailler une demi-journée par semaine et
qu'on les rémunère à un tarif à peu près équivalent à celui des juges
professionnels, imaginez les réactions que cela va susciter !
Je suis à la recherche de cette précision depuis deux jours. Je n'ai
malheureusement pas pu assister à l'audition de M. le garde des sceaux par la
commission des lois, j'étais alors à l'étranger. Depuis lors - les services du
Sénat le savent -, je n'ai cessé de courir après cette information. Il me
semble que maintenant je l'ai.
Je le répète encore une fois, pour un juge de proximité, la vacation serait de
1 000 francs à 1 500 francs. Mais, monsieur Haenel, quel est le montant de la
rémunération que perçoit aujourd'hui un juge d'instance ? il n'y a pas de piège
dans ma question ! Il m'a été dit qu'elle est de l'ordre de 14 000 francs par
mois, mais je n'en suis pas sûr.
M. Hubert Haenel,
rapporteur pour avis.
Vous le savez mieux que moi, vous avez été garde
des sceaux !
M. Robert Badinter.
Cela a beaucoup augmenté depuis - enfin, je l'espère ! - et, à l'époque, ce
n'était pas grand-chose, je suis navré de le dire.
M. Hubert Haenel,
rapporteur pour avis.
Ecoutez, monsieur Badinter, vous avez été garde des
sceaux il y a quelques années, vous savez combien gagnait un juge d'instance à
cette époque. Faites le calcul !
M. Robert Badinter.
Je peux vous dire combien gagnait un juge d'instruction lorsque j'ai été nommé
: c'était environ 12 000 à 13 000 francs par mois.
Par ailleurs, pardonnez-moi de le dire, monsieur le ministre, j'étais à la
place que vous occupez voilà vingt ans ! Depuis, il y a eu des augmentations
dans la fonction publique !
Messieurs, je ne vous demande pas de révéler un secret d'Etat ! Je vous
demande simplement combien gagne aujourd'hui un juge d'instance par mois.
Est-ce 15 000 francs, comme on me l'a dit ?
M. Jacques Peyrat.
Ce sont 15 000 francs plus les charges, c'est-à-dire 25 000 francs.
M. Robert Badinter.
C'est le point de vue de l'Etat, ce n'est pas le point de vue de celui qui
reçoit son salaire.
La magistrature, c'est une totalité, c'est un corps. Comment voulez-vous qu'on
explique à des jeunes juges qui sortent de l'école et entrent en fonctions que,
pour un travail à temps plein extraordinairement difficile et accaparant, ils
vont toucher la même chose qu'un juge de proximité, parfaitement honorable, je
le veux bien, mais qui travaillera une demi-journée par semaine !
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Monsieur Badinter, je n'ai pas à répondre de ce qui est
écrit dans le rapport de M. Haenel. Ce n'est donc pas de cela que je parlerai.
Je vais seulement vous donner mon point de vue personnel dans cette affaire.
La rémunération des juges de proximité - qui relève, je vous le rappelle, du
domaine réglementaire - sera fixée le plus vite possible, nous en déciderons en
liaison avec le ministère du budget avant que la loi organique ne soit votée,
c'est-à-dire avant que l'ensemble du dispositif juridique ne soit mis en
place.
Il est bien évident, monsieur le garde des sceaux, qu'elle le sera en fonction
d'une rémunération normale pour un travail de magistrat professionnel
équivalent, afin qu'il y ait un équilibre entre la rémunération des uns et des
autres. Vous avez cité des données que je n'ai pas étudiées précisément et que
je n'avais d'ailleurs pas lues, je vous l'avoue, dans le rapport auquel vous
avez fait allusion, mais il serait absurde, en effet, d'en arriver à des
comparaisons comme celles que vous avez vous-même soulignées à juste titre.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter.
On reconnaîtra que c'est un point tout à fait essentiel.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Pas vraiment !
M. Robert Badinter.
Vous dites que l'on va calculer la rémunération par rapport à celle du
magistrat correspondant. Mais ce dernier travaille, lui, toute la semaine !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Trois vacations !
M. Robert Badinter.
Si vous ramenez la rémunération à l'heure, vous obtiendrez, comme c'était le
cas pour les universitaires, un chiffre dérisoire. Dès lors, vous le savez très
bien, seuls ceux qui ont une immense vocation ou ceux qui sont à la retraite
accepteront d'être des magistrats de proximité, les autres refuseront de le
faire !
Au contraire, si vous conservez le chiffre qui m'a été donné - je ne l'ai pas
cherché, je le tiens de M. Haenel, et je l'en remercie - alors vous privilégiez
- je n'exagère pas - le magistrat de proximité, recruté pour une vacation, par
rapport au juge professionnel. Vous imaginez la réaction que cela suscitera
dans le corps !
Ces magistrats, qui sortent de l'école, qui y ont passé des années, qui se
destinent à la magistrature, qui vont assumer des responsabilités
considérables, auront un niveau de rémunération qui leur paraîtra presque
dérisoire au regard de ceux qui viendront travailler une fois par semaine !
C'est une question clé, croyez-moi, monsieur le garde des sceaux.
Réfléchissez-y !
M. le président.
Nous avons compris, monsieur Badinter, que vous étiez très soucieux des
distorsions qui pourraient exister, et je suis convaincu que vous serez très
vigilant quant aux propositions qui pourront être formulées dans ce domaine.
Sur l'article 7, je suis saisi de dix-huit amendements qui peuvent faire
l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 108 est présenté par Mme Borvo, M. Bret, Mmes Mathon,
Beaudeau, Beaufils et Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et
Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renard
et Mme Terrade.
L'amendement n° 146 est présenté par M. Estier et les membres du groupe
socialiste, apparentés et rattachée.
« Ces amendements sont ainsi libellés :
« Supprimer l'article 7. »
L'amendement n° 124, présenté par MM. Cointat et Balarello, est ainsi libellé
:
« Compléter le texte proposé par le II de l'article 7 pour l'article L. 331-1
du code de l'organisation judiciaire par les mots : "dont le président est un
juge d'instance désigné par le président du tribunal de grande instance". »
L'amendement n° 125, présenté par M. Cointat, est ainsi libellé :
« Rédiger comme suit le premier alinéa du texte proposé par le II de l'article
7 pour l'article L. 331-2 du code de l'organisation judiciaire :
« En matière civile, le juge de proximité connaît des actions personnelles
mobilières dont il est saisi par une personne physique pour les besoins de sa
vie non professionnelle, jusqu'à la valeur de 3 800 euros ou d'une valeur
indéterminée mais qui ont pour origine l'exécution d'une obligation dont le
montant n'excède pas 3 800 euros. »
L'amendement n° 147, présenté par M. Estier et les membres du groupe
socialiste, apparentés et rattachée, est ainsi libellé :
« Dans le premier alinéa du texte proposé par le II de l'article 7 pour
l'article L. 331-2 du code de l'organisation judiciaire, supprimer les mots :
"en dernier ressort". »
L'amendement n° 24, présenté par M. Fauchon, au nom de la commission des lois,
est ainsi libellé :
« Au premier alinéa du texte proposé par le II de l'article 7 pour l'article
L. 331-2 du code de l'organisation judiciaire, remplacer le mot : "affaires"
par le mot : "actions". »
L'amendement n° 25, présenté par M. Fauchon, au nom de la commission des lois,
est ainsi libellé :
« Au second alinéa du texte proposé par le II de l'article 7 pour l'article L.
331-2 du code de l'organisation judiciaire, remplacer le mot : "limites" par le
mot : "conditions". »
L'amendement n° 26, présenté par M. Fauchon, au nom de la commission des lois,
est ainsi libellé :
« A la fin du second alinéa du texte proposé par le II de l'article 7 pour
l'article L. 331-2 du code de l'organisation judiciaire, remplacer les mots :
"à l'alinéa précédent" par les mots : "au premier alinéa". »
L'amendement n° 27, présenté par M. Fauchon, au nom de la commission des lois,
est ainsi libellé :
« I. - Compléter le texte proposé par le II de l'article 7 pour l'article L.
331-2 du code de l'organisation judiciaire par un alinéa ainsi rédigé :
« Elle connaît aussi, dans les mêmes conditions, en vue de lui donner force
exécutoire, de la demande d'homologation du constat d'accord formée par les
parties, à l'issue d'une tentative préalable de conciliation menée en
application de l'article 21 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à
l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et
administrative.
« II. - En conséquence, dans le second alinéa du texte proposé par le II de
l'article 7 pour l'article L. 331-2 du code de l'organisation judiciaire,
supprimer le mot : "aussi". »
L'amendement n° 126, présenté par M. Cointat, est ainsi libellé :
« Compléter le premier alinéa du texte proposé par le II de l'article 7 pour
l'article L. 331-3 du code de l'organisation judiciaire par une phrase ainsi
rédigée : "Ses décisions peuvent être déférées au juge d'instance". »
L'amendement n° 127, présenté par MM. Cointat et Balarello, est ainsi libellé
:
« Rédiger comme suit le texte proposé par le II de l'article 7 pour l'article
L. 331-4 du code de l'organisation judiciaire :
«
Art. L. 331-4.
- Lorsque, en matière civile, il se heurte à une
difficulté juridique sérieuse portant sur l'application d'une règle de droit ou
sur l'interprétation du contrat liant les parties, le juge de proximité, après
avoir recueilli préalablement l'avis des parties, renvoie l'affaire au
président de la juridiction de proximité afin que celui-ci statue. »
L'amendement n° 28, présenté par M. Fauchon, au nom de la commission des lois,
est ainsi libellé :
« I. - Dans le texte proposé par le II de l'article 7 pour l'article L. 331-4
du code de l'organisation judiciaire, remplacer les mots : "de l'obligation"
par les mots : "du contrat".
« II. - Dans le texte proposé par le II de l'article 7 pour l'article L. 331-4
du code de l'organisation judiciaire, remplacer les mots : "des autres parties"
par les mots : "des deux parties".
« III. - Dans le texte proposé par le II de l'article 7 pour l'article L.
331-4 du code de l'organisation judiciaire, supprimer le mot : "alors". »
L'amendement n° 139, présenté par M. de Richemont, est ainsi libellé :
« I. - Dans le texte proposé par le II de l'article 7 pour l'article L. 331-4
du code de l'organisation judiciaire, remplacer les mots : "renvoyer l'affaire
au tribunal d'instance qui statue alors en tant que juridiction de proximité."
par les mots : "décider de surseoir à statuer et poser une question
préjudicielle au président du tribunal d'instance qui répondra sur le point de
droit soulevé dans les huit jours".
« II. - Compléter,
in fine
, ledit texte par un alinéa ainsi rédigé :
« Le juge de proximité statue alors conformément à la réponse transmise par le
président du tribunal d'instance. »
L'amendement n° 148, présenté par M. Estier et les membres du groupe
socialiste, apparentés et rattachée, est ainsi libellé :
« Supprimer le texte proposé par le II de l'article 7 pour l'article L. 331-5
du code de l'organisation judiciaire. »
L'amendement n° 149, présenté par M. Estier et les membres du groupe
socialiste, apparentés et rattachée, est ainsi libellé :
« Après les mots : "fixées par l'article 706-72 du code de procédure pénale",
supprimer la fin du texte proposé par le II de l'article 7 pour l'article L.
331-5 du code de l'organisation judiciaire. »
L'amendement n° 29, présenté par M. Fauchon, au nom de la commission des lois,
est ainsi libellé :
« Dans le texte proposé par le II de l'article 7 pour l'article L. 331-5 du
code de l'organisation judiciaire, remplacer la référence : "20-1-1" par la
référence : "21".
L'amendement n° 30, présenté par M. Fauchon, au nom de la commission des lois,
est ainsi libellé :
« Dans le texte proposé par le II de l'article 7 pour l'article L. 331-6 du
code de l'organisation judiciaire, remplacer les mots : "de la juridiction" par
les mots : "des juridictions". »
L'amendement n° 31, présenté par M. Fauchon, au nom de la commission des lois,
est ainsi libellé :
« I. - Dans le texte proposé par le II de l'article 7 pour l'article L. 331-9
du code de l'organisation judiciaire, supprimer les mots : "territorialement
compétent".
« II. - Dans le texte proposé par le II de l'article 7 pour l'article L. 331-9
du code de l'organisation judiciaire, après les mots : "à cet effet", insérer
les mots : "par ordonnance prise". »
La parole est à Mme Nicole Borvo, pour défendre l'amendement n° 108.
Mme Nicole Borvo.
Cet amendement a déjà été soutenu, monsieur le président.
M. le président.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour défendre l'amendement n° 146.
M. Jean-Pierre Sueur.
Avec cet amendement, notre groupe propose de supprimer l'article 7 en raison
de l'état d'impréparation - le débat qui vient d'avoir lieu l'a montré - de ce
texte.
En effet, Robert Badinter vient de poser des questions extrêmement précises
sur un sujet d'une importance considérable : la rémunération des juges de
proximité et la cohérence entre cette rémunération et celle des autres
magistrats. Vous-même, monsieur le garde des sceaux, n'aviez pas de réponse à
apporter, si ce n'est que l'on verra bien ! Par conséquent, force est de
constater une très grande impréparation du sujet.
Lors des travaux de la commission, nous nous sommes rendu compte que cette
question de la justice de proximité faisait l'objet d'une sorte de bricolage.
Nous sommes favorables à la justice de proximité, mais si ledit juge de
proximité considère que le sujet est trop complexe, voire trop délicat, ou si
l'une des parties elle-même estime que l'affaire est trop difficile pour ce
dernier, il faudra dans ce cas-là se retourner vers le juge d'instance. On voit
bien que cela ne fonctionne pas !
D'ailleurs, en commission, M. Gélard, dont je regrette l'absence ce soir, a
dit - et je ne pense pas le trahir - que ce qui était important finalement dans
cette affaire-là, c'était de fixer le principe. Nous, nous serions tout à fait
d'accord si ce titre entier, monsieur le président, se résumait en une seule
phrase ainsi rédigée : « Le principe de la mise en oeuvre d'une justice de
proximité est approuvé ». Cela mettrait en évidence l'accord sur un principe.
Mais nous ne sommes pas prêts pour adopter une disposition totalement
improvisée, et qui n'a donné lieu à aucune concertation !
Mes chers collègues, voilà pourquoi nous pensons qu'en l'état actuel des
choses la sagesse serait de ne pas adopter cet article.
M. le président.
La parole est à M. Christian Cointat, pour défendre les amendements n°s 124 et
125.
M. Christian Cointat.
Lors de la réunion de la commission des lois, les arguments présentés par le
rapporteur Pierre Fauchon ont fait leur chemin et me conduisent à modifier ma
position.
(Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
Je retire donc les amendements n°s 124, 125 et 126. En revanche,
je maintiens l'amendement n° 127.
M. le président.
Les amendements n°s 124, 125 et 126 sont retirés.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour défendre l'amendement n° 147.
M. Jean-Pierre Sueur.
J'ai déjà abordé cette question. Les mots « en dernier ressort »
sous-entendent que l'appel n'est pas possible ; nous savons très bien que cela
vaut aussi pour les juges d'instance. Mais, à partir du moment où un alinéa que
nous examinerons plus tard permet explicitement dans un certain nombre de
circonstances, pas très précises d'ailleurs - audit juge de se dessaisir en
faveur d'un autre niveau de juridiction, on voit bien qu'il existe une sorte
d'appel en pointillé, non défini. Il est donc difficile d'admettre que le juge
de proximité, qui, dans le texte que vous nous présentez, n'est pas défini,
juge en dernier ressort ! D'où notre amendement.
M. le président.
La parole est à M. Pierre Fauchon, rapporteur, pour défendre les amendements
n°s 24 à 27.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
L'amendement n° 24 est rédactionnel. Le mot « actions » nous
paraît plus conforme à la terminologie du code de l'organisation judiciaire que
le mot « affaires ».
S'agissant de l'amendement n° 25, le terme « conditions » est préférable à
celui de « limites », car il englobe, au-delà de la notion stricte des limites,
le fait qu'il doit s'agir de contentieux personnels, non professionnels...
L'amendement n° 26 est rédactionnel.
L'amendement n° 27, enfin, consiste, par cohérence, à prévoir que, lorsqu'il y
aura lieu à homologation d'un accord intervenu devant le conciliateur, dès lors
que cet accord se situera dans la zone de compétence du juge de proximité,
c'est lui qui pourra homologuer cet accord, afin que les choses soient
cohérentes, tout simplement.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter.
Monsieur le président, je m'interroge sur la cohérence de cette discussion
commune. Puisque nous sommes en présence d'amendements de suppression, pourquoi
ne votons-nous pas amendement par amendement ?
M. le président.
Précisément parce que nous sommes dans le cadre d'une discussion commune. En
effet, si les amendements de suppression étaient adoptés, les auteurs des
différents autres amendements ne pourraient s'exprimer.
Chacun va donc présenter son amendement, puis nous entendrons les avis de la
commission et du Gouvernement, et le Sénat se prononcera.
La parole est à M. Christian Cointat, pour présenter l'amendement n° 127.
M. Christian Cointat.
La rédaction proposée par le Gouvernement pour l'article L. 331-4 me paraît
dangereuse. Elle résulte d'une volonté de souplesse que je comprends
parfaitement, mais, comme l'a rappelé tout à l'heure M. Sueur, en laissant le
soin aux parties d'évaluer une éventuelle difficulté juridique, on risque de
vider de sa substance la réforme en multipliant les contentieux.
Tout en conservant le texte du Gouvernement, nous supprimons, par cet
amendement, la référence aux possibilités pour les parties de saisir le juge de
cette difficulté d'interprétation juridique, car cela ne me paraît pas
convenable. En effet, si le juge a capacité pour trancher, et donc pour décider
si, éventuellement, il faut un renvoi au juge d'instance, les parties ne l'ont
pas. Si elles l'avaient, il y aurait déjà un doute sur les compétences du
juge.
C'est la raison pour laquelle je souhaite rectifier cet amendement, qui avait
été rédigé à la lumière des trois amendements que je viens de retirer, pour
préciser que le juge de proximité, après avoir recueilli préalablement l'avis
des parties, renvoie l'affaire au tribunal d'instance qui statue alors en tant
que juridiction de proximité et non pas au président de la juridiction de
proximité. C'est la reprise du texte du Gouvernement.
Il faut donner au juge de proximité les compétences nécessaires pour savoir ce
qu'il est en droit de faire et s'il doit, le cas échéant, décider de lui-même,
après avoir recueilli l'avis des parties, de saisir le juge d'instance
compétent.
M. le président.
Je suis donc saisi d'un amendement n° 127 rectifié, présenté par MM. Cointat
et Balarello, et ainsi libellé :
« Rédiger comme suit le texte proposé par le II de l'article 7 pour l'article
L. 331-4 du code de l'organisation judiciaire :
«
Art. L. 331-4
. - Lorsque, en matière civile, il se heurte à une
difficulté juridique sérieuse portant sur l'application d'une règle de droit ou
sur l'interprétation du contrat liant les parties, le juge de proximité, après
avoir recueilli préalablement l'avis des parties, renvoie l'affaire au tribunal
d'instance qui statue alors en tant que juridiction de proximité. »
La parole est à M. Pierre Fauchon, rapporteur, pour présenter l'amendement n°
28.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Il s'agit d'un amendement rédactionnel. Il vaut mieux parler
de « contrat » plutôt que d'« obligation », puisque nous avons tous appris à
l'école qu'il existe différentes sortes d'obligations. Dans l'hypothèse que
nous avons émise, comme le montant de cette obligation est connu, ce ne peut
être, me semble-t-il, qu'une obligation de caractère contractuel.
M. le président.
La parole est à M. Henri de Richemont, pour présenter l'amendement n° 139.
M. Henri de Richemont.
Mon amendement s'inscrit dans la logique de ce qu'a expliqué notre collègue
Christian Cointat à la différence qu'il va dans le sens du texte proposé par le
Gouvernement, à savoir permettre au juge de proximité de se prononcer
rapidement. Si celui-ci considère qu'il se trouve face à une difficulté qu'il
ne peut pas trancher lui-même, il la soulève soit d'office soit à la demande de
l'une des parties. S'il doit se déclarer incompétent et renvoyer l'affaire
devant un autre tribunal, cela prolongera les débats.
C'est la raison pour laquelle je propose qu'il surseoie alors à statuer, de
façon à interroger le président du tribunal d'instance, qui répondra dans les
huit jours sur le point de droit soulevé. Le juge de proximité sera alors lié
par la réponse du président du tribunal d'instance et il statuera en
conséquence.
Encore une fois nous avons longuement débattu de cette question en commission.
Notre collègue Pierre Fauchon m'a dit que l'idée était bonne dans les
principes, mais mauvaise dans la pratique. Comme il a sur moi l'avantage de
l'expérience et de la sagesse,...
Mme Nicole Borvo.
Le privilège de l'âge !
(Sourires.)
M. Henri de Richemont.
... s'il me demande de retirer cet amendement, je le ferai, mais avec beaucoup
de regret.
M. le président.
En attendant, mon cher collègue, l'amendement est maintenu ?
M. Henri de Richemont.
Comme il n'a aucune chance d'être adopté, je le retire, monsieur le
président.
M. le président.
L'amendement n° 139 est retiré.
La parole est à M. Robert Badinter, pour présenter les amendements n°s 148 et
149.
M. Robert Badinter.
Ce matin, j'ai indiqué que, s'agissant de juges non professionnels, il ne me
paraissait pas possible de confier aux juges de proximité des décisions en
matière pénale, même s'il ne s'agit que de contraventions. Cela ne me paraît
pas compatible avec l'exigence constitutionnelle en matière de liberté
individuelle : le prononcé de peine ne peut appartenir à un juge non
professionnel, quel qu'il soit.
On a évoqué le cas des jurés. Je rappellerai que les jurés délibèrent en
formation collégiale avec des magistrats professionnels. Ils ne sont pas seuls
comme le seraient ces magistrats. Nous ne sommes pas en présence d'un
échevinage, ce que je concevrais tout à fait. Il faudrait d'ailleurs creuser
dans cette direction, s'agissant des formations de jugement en matière pénale.
Ce n'est pas non plus le cas en ce qui concerne les juridictions de mineurs,
car, les assesseurs participent à une juridiction où siège un juge
professionnel.
Par conséquent, il n'existe pas d'exemple, que je sache, dans notre justice,
de peine - il faut bien l'appeler ainsi - qui puisse être prononcée par
quelqu'un d'autre qu'un magistrat, avec toutes les conséquences possibles en
matière de casier judiciaire, y compris s'agissant de certaines
contraventions.
La vision que j'ai développée ce matin était d'abord celle de la conciliation,
de la médiation, avec des centres multiples qui permettent de résoudre les
conflits au sein des corps sociaux. Mais ce n'est pas la voie dans laquelle on
s'engage.
Je conçois que l'on puisse s'interroger sur une méthode concernant le domaine
de la compétence civile. Mais, s'agissant du pouvoir de prononcer des
sanctions, je rappelle que le symbole de la justice pénale, c'est le glaive :
depuis toujours, dans la symbolique judiciaire, le glaive représente la
souveraineté : le roi le reçoit au moment du sacre. C'est l'épée de justice !
Eh bien ! l'épée de justice, c'est-à-dire le pouvoir de prononcer une sanction
pénale à l'encontre des justiciables, cela ne peut être que le devoir, donc en
contrepartie le monopole, du magistrat.
Nous ne sommes pas ici en présence de juges professionnels. A l'évidence, une
loi organique sera votée - c'est une nécessité constitutionnelle - mais elle ne
suppléera pas ce qui constitue, à mon sens, une sorte d'incompétence par nature
: la sanction pénale ne peut pas être prononcée par une personne autre qu'un
magistrat.
A fortiori
, s'agissant de la justice les mineurs - j'en viens à
l'amendement n° 149 - le principe de l'ordonnance de 1945 - mais il est
également inscrit profondément dans la tradition de notre justice - est que
celle-ci doit être réservée à des magistrats spécialisés. Nous connaissons tous
les responsabilités difficiles que ceux-ci assument, le dévouement dont ils
font preuve, les critiques qu'ils essuient, et nous leur devons tous, je dois
le dire, une très grande reconnaissance.
Je le dis clairement : les magistrats qui ont le devoir de s'occuper de
l'enfance, qu'il s'agisse de la prévention, de la protection de l'enfance ou
des dispositions de l'ordonnance de 1945 qui emportent des sanctions, ne
peuvent être que des magistrats spécialisés qui appartiennent au corps que nous
connaissons.
Cette spécialisation de la justice des mineurs est consacrée sur le plan
international par une convention que la France a ratifiée. Il est un seuil que
l'on ne peut pas dépasser.
Je sais qu'en ce moment le vent souffle dans la direction de cette justice de
proximité. Je sais que cela a été évoqué par le Président de la République.
Mais s'imposent à nous tous les limites de l'interprétation constitutionnelle
en la matière.
M. le président.
La parole est à M. Pierre Fauchon, rapporteur, pour présenter les amendement
n°s 29, 30 et 31.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Les amendements n°s 29, 30 et 31 sont des amendements
rédactionnels, qui vous permettent de mesurer sinon l'importance de l'enjeu du
moins la vigilance des services de la commission.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements identiques n°s 108 et
146, ainsi que sur les amendements n°s 147, 127 rectifié, 148 et 149 ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je suis chagriné de ne pas pouvoir être favorable aux
amendements n°s 108 et 146, mais j'ai le sentiment que Mme Borvo et ses amis se
livrent à une sorte de harcèlement en revenant toujours sur le même sujet, ce
qui, à cette heure avancée de la journée, est un peu épuisant.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est le risque de la proximité !
Mme Nicole Borvo.
C'est incroyable ! On est visé en permanence par M. Fauchon ! C'est presque du
harcèlement !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
J'en viens à l'amendement n° 147, qui tend à prévoir un appel
possible des décisions du juge de proximité. Tous ces amendements nous ramènent
au même débat : il y a ceux qui croient au juge de proximité et ceux qui n'y
croient pas. Ces derniers essaient de faire en sorte qu'il ne puisse pas jouer
son rôle. Il en va également ainsi en ce qui concerne l'étendue de ses pouvoirs
au domaine pénal.
Comme nous l'avons dit et répété, dans des affaires de cette nature, un juge
de ce type, qui n'est pas de niveau inférieur mais qui présente des
caractéristiques différentes, que nous croyons aussi capable, j'ose même dire
plus capable,...
M. Robert Badinter.
Oh !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
... ne serait-ce que parce qu'il a plus de temps, ce qui est
essentiel dans ce domaine, car il peut écouter les parties et tenter de les
concilier...
M. Jean-Pierre Sueur.
Les juges d'instance vont apprécier !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Monsieur Sueur, vous vous départissez de votre patience et de
votre modération habituelles ! Attendez la fin de la phrase !
Je dis que ce juge est plus capable parce qu'il a plus de temps : c'est une
constatation matérielle qui n'offense personne. Si tel n'était pas le cas, le
résultat que nous recherchons ne serait pas atteint.
Je considère, par ailleurs, qu'un tel juge est également capable d'apprécier
avec sagesse et psychologie les cas qui lui sont soumis. Là, je ne me risquerai
pas à dire qu'il est plus ou moins capable. Hélas ! cela dépend des hommes et
varie beaucoup de l'un à l'autre.
Par conséquent, pour notre part, nous lui faisons confiance dans sa zone de
compétence qui, disons-le, ne comporte que des enjeux très limités. Nous
pensons qu'il peut assumer cette mission.
Ce système existe dans nombre de pays et il fonctionne fort bien. Il n'y a pas
de raison que la France n'y accède pas ! C'est le seul système qui permette de
traiter d'autant plus convenablement le contentieux de masse que les magistrats
professionnels évoqués tout à l'heure par M. Sueur ont manifesté, voilà un an,
place Vendôme, contre l'« abattage » auquel ils étaient contraints de se
livrer. Eh bien ! l'abattage, fût-il celui de professionnels, est la pire des
façons de rendre la justice !
Nous voulons justement sortir de ce contentieux et de cet abattage. Vous
pouvez dire à vos amis magistrats que ce sont eux qui ont osé employer ce mot
et nous éclairer ainsi sur leur façon de vivre les affaires. Je les comprends
d'ailleurs parfaitement : je rappelle que certaines audiences commencent au
début de l'après-midi et finissent dans la nuit. Telle est la réalité, et il ne
faut l'oublier ! Certes, au Sénat, cela peut nous arriver, mais c'est quand
même beaucoup plus rare. Pour eux, cela se reproduit toutes les semaines.
Je suis donc au regret de dire que je ne peux pas souscrire à ces amendements,
car nous faisons confiance à la formule qui nous est proposée. Nous en avons
décidé le principe et la commission souhaite aller de l'avant, dans les
conditions prévues par le texte et qui restent d'ailleurs très raisonnables.
Dès lors que, compte tenu de l'intérêt financier modeste du litige, il n'est
pas possible de faire appel de la décision du juge d'instance, pour la même
raison, il ne sera pas possible de faire appel des jugements rendus par le juge
de proximité. Je n'ai d'ailleurs jamais entendu de justiciables - j'ai trente
ans d'expérience professionnelle et j'ai plaidé de nombreuses affaires devant
le juge d'instance - se plaindre de cet état de fait.
Je rappelle, en outre, qu'ils peuvent former un pourvoi en cassation !
Si la décision de ces juges comprend une très importante malversation, la Cour
de cassation trouvera bien le moyen de la relever.
Par ailleurs, nous avons une sécurité en amont, à laquelle il a été fait
allusion : si le juge de proximité estime que l'affaire dépasse son domaine de
compétence, il peut transférer le dossier au juge d'instance. Nous avons donc
une sécurité en amont, et une autre en aval. Ainsi, le système est parfaitement
correct.
S'agissant de l'amendement n° 127 rectifié, je crois que vous pouvez le
retirer sans risque, monsieur Cointat, car il n'est pas opérationnel. Vous
souhaitez qu'en cas de difficulté sérieuse le juge saisisse, en quelque sorte,
le juge d'instance.
Dans cet amendement, vous prévoyez les mesures suivantes : « s'il se heurte à
une difficulté juridique sérieuse (...), il renvoie l'affaire au président de
la juridiction de proximité... ». Mais comme il n'y a pas de président de la
juridiction de proximité, vous avez modifié cet amendement en indiquant : «
s'il se heurte à une difficulté sérieuse, il renvoie l'affaire au tribunal
d'instance, qui statue alors en tant que juridiction de proximité. »
Le texte du projet de loi précise qu'il « peut » renvoyer l'affaire au
tribunal d'instance. Cela revient au même, car il appartient au juge de
proximité d'apprécier s'il se heurte ou non à une difficulté sérieuse.
Par conséquent, mon cher collègue, si vous deviez écrire que, dès lors que ce
juge serait confronté à une difficulté sérieuse, il aurait l'obligation de
renvoyer l'affaire, il lui suffirait de constater que la difficulté n'est pas
sérieuse pour ne pas se sentir tenu de transférer l'affaire au juge d'instance.
Donc, au nom de l'amitié qui nous lie - une amitié de voisinage, si je puis
dire
(M. Christian Cointat sourit)
-, je vous suggère de retirer cet
amendement.
M. le président.
Monsieur Cointat, compte tenu de ces explications, l'amendement n° 127
rectifié est-il maintenu ?
M. Christian Cointat.
Je crois que l'on n'a pas très bien saisi le sens de l'amendement : que l'on
renvoie ou que l'on puisse renvoyer importe peu. En revanche, il s'agit ici de
faire disparaître du texte du Gouvernement - mais c'est à M. le ministre
d'éventuellement apaiser mes craintes - le passage indiquant que les parties
peuvent demander le renvoi. J'estime que c'est au juge, et au juge seul, de
dire s'il se sent compétent ou non, et non pas à l'une des parties, et ce
précisément pour éviter des dérapages ou des dérives qui videraient la réforme
de son sens.
Si M. le garde des sceaux émet un avis favorable sur cet amendement, bien
entendu je le maintiendrai. S'il me demande de le retirer après avoir apaisé
mes craintes, il va de soi que je le retirerai. Mais j'ai besoin de cette
certitude car, au fond de moi, je crains que cette possibilité n'aille à
l'encontre de l'objet du texte.
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Monsieur Cointat, vous pouvez être rassuré. Vous proposez une
rédaction - « après avoir recueilli préalablement l'avis des parties » - qui
fait que les parties sont consultées ; le projet de loi prévoit une décision
prise éventuellement soit d'office, soit « à la demande des parties ». Pour un
esprit aussi subtil que le vôtre, il y a sans doute une grande différence entre
les deux rédactions, mais, pour moi qui ne suis pas aussi subtil, elle ne
paraît pas si grande. Dès lors que le juge trouve qu'il y a une difficulté
sérieuse, il renvoie. Je suis donc partisan d'en rester au texte d'origine.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, je ne comprends plus rien à l'organisation de ce débat
: à ce stade, la commission émet un avis sur chacun des amendements en
discussion commune ; pourquoi, alors, laisser s'instaurer un dialogue avec l'un
d'entre nous ?
M. le président.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, si j'ai sollicité M. Cointat pour qu'il retire son
amendement, ce n'était pas pour favoriser tel ou tel parlementaire, c'était
pour gagner du temps !
Veuillez donc poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Il est vrai que nous avons connu des débats plus simples !
(Sourires.)
S'agissant de l'amendement n° 148, je crois que notre collègue Robert Badinter
exagère un peu le caractère fondamental de la question posée. Mais c'est son
droit et, sur le plan des principes, il est vrai qu'on peut nous reprocher de
créer une catégorie de juges qui ne sont pas des juges professionnels et de
leur confier non seulement des affaires de nature civile, mais aussi - c'est
plus grave - des affaires pénales. Je m'empresse d'ajouter qu'il s'agit ici
cependant des contraventions les plus simples,
a fortiori
commises par
des mineurs.
Eh bien, si ! Je pense, moi, que c'est possible.
Mme Nicole Borvo.
C'est convaincant !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Constatons l'écart qui existe entre nous, comme dit Philéas
Fogg ! Les réunions de cette assemblée n'auraient aucun intérêt si nous étions
tous toujours d'accord !
Mme Nicole Borvo.
C'est vrai !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je ne suis pas d'accord avec vous et je crois que le fait
d'être passé ou non par l'école nationale de magistrature n'est pas aussi
déterminant pour juger des contraventions. D'ailleurs, nous aurons à examiner,
le moment venu, les conditions dans lesquelles ces juges seront recrutés et
payés, puisque vous avez soulevé cette question, d'ailleurs pittoresque !
(Rires.)
Cela étant, pittoresque pour pittoresque, j'oserais presque cette suggestion :
les missions de justice étaient autrefois payées à la ligne, raison pour
laquelle les greffiers écrivaient des grosses lignes - d'où le nom, connu des
praticiens, de « grosse ». Donc, on écrivait gros pour avoir beaucoup de
lignes. Eh bien, on pourrait de même imaginer de payer les magistrats à la
ligne !
Pour en revenir au sujet, nous croyons que, pour le jugement des
contraventions de police qui seront visées par un décret en Conseil d'Etat, qui
feront donc l'objet d'une réflexion attentive, ces juges seront tout à fait
qualifiés.
Contrairement à la caricature que l'on a bien voulu en dresser, ces juges ne
seront pas recrutés n'importe où et n'importe comment : ce ne sera pas
n'importe qui ! Bien sûr, il y a toute une école de partisans de l'immobilisme,
exception faite, curieusement, à l'égard de certains dispositifs qui plaisent.
Il en est ainsi des associations de médiation, auxquelles on renvoit
éventuellement des affaires très importantes. Et il paraît que c'est très bien
! Mais quelles garanties avons-nous du professionnalisme de ces associations ?
Les recrutements, dans ce cas-là, obéissent à des règles bien moins sévères que
celles qui figurent dans la loi organique ! En revanche, ces personnes qui
n'auront pour elles que d'avoir acquis une assez grande expérience
professionnelle, que d'avoir fait leurs preuves dans la vie, que d'être
irréprochables - sinon, elles ne seraient pas nommées - sont d'emblée
suspectées d'incompétence et estimées incapables de juger toute espèce
d'affaires, et spécialement les contraventions de police ?
Eh bien, nous sommes en désaccord sur ce point ! La commission considère,
elle, que l'on peut confier à ces juges la compétence pour juger les affaires
que j'ai évoquées, qu'elles impliquent des majeurs ou des mineurs ! S'agissant
de ces derniers, les faits concernés relèvent à l'évidence non pas de la
juridiction spécialisée des mineurs mais d'un juge « banal », si j'ose dire, du
juge de droit commun.
Nous attendons de ces juges de proximité qu'ils aient non seulement une
approche psychologique des situations, mais également une grande disponibilité
: c'est un élément essentiel du dispositif. Je suis en effet convaincu qu'ils
entrendront les jeunes plus longuement que ne peut le faire le juge de police.
Dans ce type de contentieux, cela peut constituer une avancée extrêmement
positive que nous devons avoir présente à l'esprit.
Vous avez fait une comparaison avec les jurés ; je l'ai trouvée un peu
surprenante et je me permets de la réfuter. Les jurés sont, de toute façon,
tirés au sort. Or nous n'en sommes pas à tirer au sort les juges de
proximité... Vous savez très bien, mieux que personne dans cette maison,
d'ailleurs, comment les jurés sont recrutés : il s'agit d'un processus très
particulier. Ils délibèrent effectivement avec les juges professionnels, mais
nous admettrons l'un et l'autre que l'on ne peut pas pousser très loin la
comparaison.
Telles sont les raisons pour lesquelles, monsieur le président, la commission
émet un avis défavorable sur les amendements n°s 148 et 149.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 108 et 146, 147, 127
rectifié, 148 et 149 ainsi que sur les amendements n° s 24 à 31 ?
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 108
ainsi qu'aux amendements n°s 146 et 147.
Il est, en revanche, favorable aux amendements n°s 24, 25, 26 et 27.
S'agissant de l'amendement n° 127 rectifié, le Gouvernement émet un avis
défavorable. Le texte, tel qu'il est proposé, permet au juge de proximité de
prendre sa décision après avoir consulté les uns et les autres et de le faire
de la façon la plus simple qui soit. C'est une garantie introduite dans le
dispositif et je crois sincèrement qu'il est préférable de ne pas revenir
dessus. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. Christian Cointat.
Dans ces conditions, je retire l'amendement n° 127 rectifié.
M. le président.
L'amendement n° 127 rectifié est retiré.
Veuillez poursuivre, monsieur le garde des sceaux.
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 28.
S'agissant de l'amendement n° 148, je tiens à répondre à M. Robert Badinter.
Je ne peux pas imaginer que la différence entre les uns et les autres soit
uniquement fonction des conditions universitaires de recrutement. Vous serez
saisis d'un projet de loi organique dans quelques semaines qui donnera à ces
juges de proximité un statut de magistrat : ils seront nommés par le Président
de la République, sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature,
autant de garanties auxquelles nous ajouterons des conditions pour permettre un
recrutement de qualité. Je pense très sincèrement qu'il faut se défaire de
cette idée, reprise par certains médias, d'une magistrature de seconde zone
incapable de rendre des décisions convenables. Il s'agira de véritables
magistrats, donc tout à fait habilités à rendre des décisions aussi bien en
matière civile qu'en matière pénale.
Le Gouvernement est donc défavorable à l'amendement n° 148, ainsi qu'à
l'amendement n° 149.
Le Gouvernement est, en revanche, favorable aux amendements n°s 29 à 31.
M. le président.
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 108 et 146.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 147.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 24.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 25.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 26.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 27.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 28.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 148.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 149.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 29.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 30.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 31.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'article 7.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter.
J'ai dit les raisons pour lesquelles nous étions favorables à une justice de
proximité. Si donc on s'était contenté d'en fixer le principe, nous aurions
voté le dispositif, jusqu'à ce que la loi organique vienne fixer les conditions
de recrutement et le statut de ces juges de proximité, qui ne sont pas, je le
rappelle, des juges professionnels et qui ne siégeront, nous le savons, qu'une
demi-journée par semaine. Mais c'est l'inverse que l'on vous demande, mes chers
collègues !
On vous demande aujourd'hui la création d'un ordre juridictionnel à part
entière, puisqu'il concernerait 3 300 juges de proximité dont on vous dit
qu'ils seront intégrés, comme les autres, dans le cadre de la magistrature.
Car, ou bien on est magistrat, ou bien on ne l'est pas, et j'ai cru pouvoir
déduire des propos de M. le garde des sceaux que la loi organique ferait d'eux
des magistrats.
On nous demande donc aujourd'hui - et, je me permets de le dire, dans une
confusion certaine - la création d'un nouvel ordre juridictionnel de 3 300
membres. Pour la suite, on nous renvoie à la future loi organique. Cela seul
suffirait à motiver notre refus !
Mais il y a plus. Je ne doute pas un instant, monsieur le garde des sceaux,
que des femmes et des hommes de bonne volonté et de compétence seraient prêts à
donner de leur temps pour aider la justice française. De cela, je suis
convaincu. Je rappelle que nous n'avons d'ailleurs jamais eu la moindre
difficulté à recruter d'excellents conciliateurs - pour lesquels, soit dit en
passant, j'ignore le montant de la vacation ; mais je vais m'efforcer de me
renseigner à ce sujet - dont le taux de réussite est de 50 %. Il était et il
reste très facile d'utiliser cette enveloppe budgétaire considérable, que vous
avez évaluée à des centaines d'emplois, en créant précisément des centaines
d'emplois de véritables juges de proximité, assistés de conciliateurs et de
greffiers ; je veux dire : des juges d'instance en plus grand nombre.
Vous avez choisi une autre voie : vous avez choisi d'aller recruter des hommes
et des femmes prêts à assumer cette tâche à raison, selon le projet de loi,
d'un dixième de leur temps. Ce n'est pas leur faire offense que d'affirmer que
des personnes qui donnent 10 %, et quand bien même ce serait un peu plus, 15 %
de leur temps à l'action judiciaire ne peuvent pas être mis sur le même plan
que les magistrats du cadre des magistrats de l'ordre judiciaire ! Ce n'est pas
possible, et si quelque chose devait nous le signifier, c'est bien cette
disposition que je regrette encore de voir figurer dans le texte, car elle
confine, je me permets de le dire, à une forme de méconnaissance radicale de la
réalité et des principes, je veux parler de l'obligation pour certains
magistrats de cet ordre nouveau de se déporter pour incompétence juridique.
Le simple fait que l'on inscrive dans un texte de loi que ceux qui auront le
pouvoir de juger auront aussi le pouvoir de ne pas juger parce qu'ils se
jugeraient eux-mêmes incapables de juger nous donne la mesure de ce que seront
ceux que j'ai appelés - croyez-le, sans ironie aucune, mais c'est bien à cela
qu'ils correspondront - des « supplétifs de la justice » !
Il n'est donc pas pensable, dans cette situation et avant l'examen de la loi
organique, que nous votions cette disposition. Sur la justice de proximité,
vous nous auriez trouvés ouverts à toutes les suggestions, mais pas à celle-là,
monsieur le garde des sceaux.
Enfin, je le répète, la réponse à la question essentielle que j'ai posée -
réponse à la poursuite de laquelle je suis depuis deux jours -, à savoir :
combien allez-vous les payer, est une réponse clef.
M. Jacques Peyrat.
Ce n'est pas le problème !
M. Robert Badinter.
Il ne serait pas concevable que ces magistrats travaillant, je le rappelle,
une demi-journée par semaine, c'est-à-dire donnant à la justice environ 15 % de
leur temps, perçoivent une rémunération du même ordre que celle des juges
d'instance à plein temps, qui ont une responsabilité immense et sur lesquels
pèse une charge importante.
Ne pas soulager ceux-ci, ne pas augmenter leurs effectifs, ne pas renforcer
les greffes, tout cela pour créer ces juges de proximité qui ont aujourd'hui
les faveurs de la mode, voilà qui, croyez-moi, ne résoudra pas la crise dans
laquelle se trouve notre justice !
M. Jean-Pierre Sueur.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur.
Monsieur Fauchon, si j'ai réagi tout à l'heure avec quelque vivacité, c'est
que j'ai regretté certains termes que vous avez pu employer. Ainsi, le dépôt
d'un amendement constituerait, selon vous, une forme de « harcèlement » -
c'est, me semble-t-il, le mot qui a été utilisé -...
M. Robert Bret.
Tout à fait !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
C'était de l'humour !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Est-il permis de sourire, mon cher collègue ?
M. Jean-Pierre Sueur.
C'est tout à fait permis, bien entendu. Profitez-en !
Ensuite, vous avez bien voulu considérer que la rémunération des agents
publics dont il est question était un sujet « pittoresque », adjectif qui ne
manque ni de sel ni de signification.
Enfin, vous avez bien voulu nous indiquer que les personnes qui, en l'espèce,
travailleraient un jour ou une demi-journée par semaine auraient plus de temps
et seraient plus proches du public que celles qui travaillent à temps complet.
Vous sentez bien que l'argumentation présente quelques failles ! Cela revient
en effet à dire que celui qui donne deux heures de cours par semaine aurait
plus de temps que celui qui assure un service à temps plein. Il est tout de
même important de reconnaître que l'on peut travailler à temps complet tout en
étant disponible, ouvert et à l'écoute de nos concitoyens !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Ce n'est pas ainsi qu'il faut l'interpréter.
M. Jean-Pierre Sueur.
Par ailleurs, je veux revenir sur la question soulevée par l'article L. 331-4
au sein de l'article 7.
Nous n'avons pas pu nous exprimer contre les amendements de M. Cointat et de
M. de Richemont, parce qu'ils ont été retirés. Chacun à sa manière, ils
traduisaient pourtant de façon très éloquente le malaise que nous ressentons.
M. Cointat a éprouvé le besoin de préciser qu'il fallait pouvoir mettre en
oeuvre une sorte d'appel auprès du juge d'instance, et M. de Richemont a
imaginé un processus plus sophistiqué, qui permettrait notamment de poser une
sorte de question préjudicielle au juge d'instance.
Il est clair, monsieur le garde des sceaux, que vous créez une situation très
difficile en inscrivant dans la loi, d'un côté, que les juges de proximité ont
pleine compétence dans leur domaine et, d'un autre côté, que s'ils s'estiment
incompétents, s'ils considèrent que la question est trop difficile ou trop
complexe, ils doivent décider de se dessaisir au profit du juge d'instance.
Cette double disposition est tout à fait inadaptée : la loi prévoit en effet
que le dessaisissement interviendra « à la demande d'une partie ». Doit-on
comprendre que, si une partie n'est pas contente du juge de proximité, elle ira
lui dire : « Monsieur le juge, compte tenu de la loi, je trouve que, vraiment,
ce dossier est trop compliqué pour vous. Vous ne disposez certainement pas de
tous les éléments d'information. Donc, en vertu de l'article 7 de la loi, je
pense que, véritablement, vous êtes là devant "une difficulté juridique
sérieuse portant sur l'application d'une règle de droit ou sur
l'interprétation". Monsieur le juge de proximité, vous interprétez très mal !
Et moi qui suis l'une des parties, je vous demande d'appliquer la loi... »
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Il peut le demander, mais il n'y est pas obligé !
M. Jean-Pierre Sueur.
Oui, il peut, « après avoir recueilli préalablement l'avis, selon le cas, de
l'autre ou des autres parties » !
Mais, monsieur le garde des sceaux, si ces juges sont de plein exercice, sont
compétents, ont tous les titres pour exercer leur mission, leur situation est
exactement identique à celle d'un juge d'instance, et il n'y a pas lieu
d'envisager cette question ! Or c'est justement parce que chacun sent bien
qu'il y a un problème...
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Non, il n'y a pas de problème ! Nous ne sentons rien du tout
!
(Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur.
... que et M. de Richemont, et M. Cointat, et vous-même avez cru devoir
inscrire toutes ces précisions dans la loi.
La question nous paraît suffisamment grave pour que nous répétions, nous qui
sommes partisans du principe de la justice de proximité, que ce point nous
paraît inacceptable.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues - et surtout
mes chers collègues, car c'est à vous que je m'adresse -, il n'est pas possible
de voter l'article 7.
M. Roger Karoutchi.
C'est pourtant ce que nous allons faire !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Impossible n'est pas français !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je développerai deux arguments.
Premier point - veuillez m'écouter ! -, M. le rapporteur a dit en commission
qu'aucun greffier n'était prévu pour les juges de proximité. Est-ce exact,
monsieur le rapporteur ? Je ne mens pas ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
J'ai dit que ce seraient les greffiers du tribunal d'instance
et non des greffiers particuliers.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Voilà ! En l'état, il n'est prévu aucun greffier !
On sait bien que, dans les tribunaux d'instance, les greffiers sont déjà
absolument surchargés. Alors, si l'on crée des juges de proximité pour alléger
la tâche des tribunaux d'instance, il est évident qu'il faudrait qu'ils soient
assistés de greffiers ! C'était ma première observation.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Cela n'a rien à voir !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mon deuxième argument repose sur l'article 434-7-1 du code pénal, dont je vous
donne lecture :
« Le fait, par un magistrat, toute autre personne siégeant dans une formation
juridictionnelle » - c'est bien notre cas - « de dénier de rendre la justice
après en avoir été requis et de persévérer dans son déni après avertissement ou
injonction de ses supérieurs » - or, notre juge de proximité n'a pas de
supérieur - « est puni de 7 500 euros d'amende et de l'interdiction de
l'exercice des fonctions publiques pour une durée de cinq à vingt ans. »
(M.
Jean-Pierre Sueur applaudit.)
M. Jean-Pierre Sueur.
C'est un argument de poids !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Or c'est évidemment le déni de justice que vous introduisez dans l'article 7
en précisant que le juge peut - en effet, monsieur le garde des sceaux, il peut
- dire d'office qu'il ne sait pas, qu'il est incapable de donner une réponse,
et qu'il renvoie donc l'affaire à quelqu'un d'autre. Cela s'appelle un déni de
justice !
Un autre élément est à prendre en compte. Comme le juge de proximité peut se
dessaisir à la demande de l'une des parties, imagine-t-on que l'une d'elles
puisse avoir l'audace de le lui demander, alors que l'appel n'est pas possible
et qu'il est évident que, si le juge refuse de faire droit à la demande, il va
- passez-moi l'expression - « toiser » celui qui aura eu l'outrecuidance de lui
dire qu'il n'avait pas les qualités voulues pour juger ? Cela ne se produira
donc pas !
Enfin, il y a pire que le juge qui dira qu'il ne sait pas : c'est celui qui ne
saura pas, mais qui ne le dira pas, qui ne se déchargera pas et qui ne
commettra pas de déni de justice. Celui-là est encore plus dangereux !
Franchement, monsieur le garde des sceaux, votre texte n'est pas au point.
Vous savez qu'il n'y a pas d'appel : lorsqu'un juge se croira capable mais ne
le sera pas, ce sera catastrophique.
M. le rapporteur nous rétorque tranquillement que la partie concernée n'aura
qu'à aller en cassation. Oui ! C'est simple, pratique, pas cher ! C'est
vraiment de la justice de proximité !
(Sourires.)
Tels sont les arguments - ils nous paraissent essentiels - qui montrent que,
véritablement, ce texte n'est pas au point et qui prouvent que, instruits comme
vous l'êtes maintenant par les trois explications de vote qui viennent d'être
développées, et en tout cas par les deux précédentes, vous ne pouvez pas, mes
chers collègues, voter l'article 7.
M. le président.
Je mets aux voix l'article 7, modifié.
(L'article 7 est adopté.)
Article additionnel après l'article 7