SEANCE DU 2 OCTOBRE 2002


M. le président. L'amendement n° 6, présenté par M. Fauchon, au nom de la commission, est ainsi libellé :
« Dans la première phrase du premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 41-18 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, remplacer les mots : "non renouvelable" par les mots : "renouvelable une fois". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Le projet de loi prévoit que la fonction de juge de proximité peut être exercée pendant sept ans et qu'elle n'est pas renouvelable. Il nous a semblé qu'il était peut-être regrettable de se priver de la possibilité de renouveler au moins une fois un juge de proximité qui aurait fait la preuve de son efficacité. Aussi la commission a-t-elle proposé d'admettre la possibilité d'un seul renouvellement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement en raison de réels risques d'inconstitutionnalité. En effet, cette possibilité de renouvellement me paraît tout à fait entrer en contradiction avec les garanties d'indépendance dont bénéficient les magistrats du siège dans l'exercice de leur fonction juridictionnelle.
Quel que soit le sentiment que l'on peut avoir sur le renouvellement, je crois que l'on s'exposerait à la censure du Conseil constitutionnel si un tel dispositif était adopté.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. L'amendement n° 34, présenté par Mmes Borvo, Mathon et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« A la fin de la seconde phrase du premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 41-18 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, remplacer les mots : "soixante-quinze ans" par les mots : "soixante-cinq ans". »
La parole est à Mme Nicole Borvo.
Mme Nicole Borvo. Cet amendement vise à abaisser l'âge limite d'exercice des juges de proximité à soixante-cinq ans.
Je sais que cela ne vous plaira pas, monsieur le garde des sceaux, mais l'adoption d'un précédent amendement, qui a porté l'âge de recrutement à trente-cinq ans, me confirme dans ma détermination. En effet, en instituant une justice de proximité parallèle, on va créer un corps de magistrats plus âgés, plus notables, plus élitistes que les magistrats professionnels.
M. René Garrec, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Pourquoi seraient-ils élitistes ?
Mme Nicole Borvo. Je souhaiterais donc que la limite d'âge des juges de proximité soit alignée sur celle des magistrats professionnels.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission a pensé qu'il n'y avait aucune raison d'aligner les âges limites d'exercice car il s'agit de magistrats totalement différents.
M. Jean-Jacques Hyest. Certains magistrats professionnels peuvent exercer jusqu'à soixante-dix ans.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La comparaison avec un magistrat professionnel n'a pas plus lieu d'être au moment de l'entrée dans la fonction qu'au moment de la sortie.
En outre, la commission a estimé que les juges de proximité devaient être des personnes disponibles, ayant l'expérience des responsabilité. Or, de la pratique quotidienne que nous avons dans nos circonscriptions, nous pouvons conclure que ce sont les personnes qui ont dépassé soixante-dix ans qui sont les plus capables d'assurer le genre de mission qui leur sera dévolue, grâce à la sérénité et au détachement que donne le non-engagement direct dans les affaires.
C'est la raison pour laquelle la commission est tout à fait opposée à cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Défavorable.
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt pour explication de vote.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Si je comprends bien, vous êtes en train de créer un « petit boulot » !
M. Charles Gautier. Bien payé ! (Rires sur les travées socialistes.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Finalement, l'indemnité devrait être de l'ordre de 2 000 francs. En tout cas, donner un « petit boulot » à des gens de soixante-cinq à soixante-quinze ans, cela paraît tout de même assez curieux, surtout quand il s'agit de retraités qui, apparemment, n'ont pas besoin d'arrondir leurs fins de mois,...
M. René Garrec, président de la commission. Cela dépend des retraites !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... au regard de la situation de chômage que nous connaissons.
Croyez-vous vraiment que les gens comprendront que l'on fasse appel à des personnes de cet âge ?
Nous voterons donc l'amendement n° 34. Nous savons bien qu'il ne nous sera pas possible d'accepter le projet de loi tel qu'il est et que nous voterons contre. C'est donc avec un peu de répugnance que nous essayons de l'améliorer, bien vainement d'ailleurs, puisque vous ne voulez pas nous écouter, mes chers collègues. Vous n'écoutez même pas le Gouvernement quand il vous donne - cela arrive - de bons conseils, comme vous venez de le faire sur l'amendement précédent. Alors que le Gouvernement vous demandait de ne pas prévoir le renouvellement, vous avez tout de même, à la seule exception de M. Béteille, tous préféré suivre la commission.
En tout cas, en ce qui nous concerne, nous voterons l'amendement proposé par nos collègues communistes...
M. le président. N'en rajoutez pas, monsieur Dreyfus-Schmidt !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je vous en prie, monsieur le président ! Au surplus, laissez-moi terminer ma phrase.
... nos collègues communistes républicains et citoyens, puisqu'il en reste dans cette assemblée ! (Exclamations sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 34.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 7, présenté par M. Fauchon, au nom de la commission, est ainsi libellé :
« I. - Dans le troisième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 41-18 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, après les mots : "suivent une", supprimer les mots : "période de".
« II. - Au même alinéa, après le mot : "juridiction", insérer le mot : "effectué". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. C'est un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Favorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 7.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. L'amendement n° 35, présenté par Mmes Borvo, Mathon et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Dans le troisième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 41-18 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, après les mots : "comportant un stage", insérer le mot : "probatoire". »
La parole est à Mme Nicole Borvo.
Mme Nicole Borvo. Je trouve que les remarques sur le stage probatoire qu'a faites le Conseil supérieur de la magistrature sont pertinentes.
Comme je l'ai dit lors de l'examen de l'amendement concernant l'élargissement de l'accès aux fonctions de juge de proximité, la formation théorique et le stage en juridiction sont indispensables afin de compléter l'expérience professionnelle acquise antérieurement. C'est bien la moindre des choses !
Instaurer un stage probatoire, c'est s'assurer que la formation juridique spécifique à la fonction de juger a bien été assimilée par le candidat et que son aptitude réelle de celui-ci à exercer des fonctions de magistrat est bien réelle.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je dois dire que nous nous sommes posé la question du stage probatoire, mais il nous est finalement apparu qu'il serait bien difficile de susciter des vocations si, outre les exigences d'ancienneté, de qualification et autres auxquelles ils devraient satisfaire, les candidats avaient la perspective d'un tel stage, nécessairement sanctionné par une espèce d'examen. En fait, cela nous a semblé contraire à l'esprit de notre démarche : c'est au CSM qu'il appartiendra de sélectionner les candidats sur dossier.
Il paraît que cette proposition est conforme à un avis du CSM. Je suis surpris que le CSM ait émis quelque avis que ce soit en cette affaire.
En effet, tout d'abord, quand j'ai proposé que la commission entende le CSM, on m'a fait savoir que celui-ci ne souhaitait pas être entendu sur le sujet. Ensuite, je ne sache pas que le CSM se soit réuni récemment sous la présidence de l'un ou l'autre de ses présidents. Je ne vois pas très bien comment, dans ces conditions, il fait pour émettre des avis. Il est probable qu'il a beaucoup de pouvoirs ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest. Il émet des avis dans Le Monde !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je ne suis pas sûr que le CSM soit toujours dans son fonctionnement aussi rigoureux qu'il est permis à un modeste sénateur du rang de le souhaiter !
M. José Balarello. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Le tete a été construit sur l'idée selon laquelle les juges de proximité devaient justifier d'une certaine expérience professionnelle - le Sénat a même prévu à cet égard une durée très longue : vingt-cinq ans - et être titulaires d'un diplôme à caractère juridique.
A quoi conduirait l'institution de stages probatoires ? L'incertitude qu'ils induiraient nécessairement aurait, à l'évidence, un effet dissuasif pour des adultes déjà très engagés dans la vie professionnelle. Autrement dit, cela ne manquerait pas de bloquer le processus de recrutement.
Comment exiger l'accomplissement d'un tel stage de la part de personnes dont la vie est déjà très organisée et qui envisagent de dédier simplement à cette activité quelques heures par semaine, entre les audiences, le travail préparatoire et le suivi qui s'imposent ? Elles ne s'engageront pas : c'est, à n'en pas douter, l'effet qu'aurait l'adoption de cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter pour explication de vote.
M. Robert Badinter. Il s'agit d'un point tout à fait essentiel.
Comment s'apercevoir qu'un candidat aux fonctions de juge de proximité a la capacité nécessaire pour juger, alors même qu'il n'y a ni examen ni concours d'aucune sorte ? Bien sûr, une sélection sera opérée - et avec rigueur, je n'en doute pas - par les services judiciaires : fort bien ! Mais, si l'on s'aperçoit ensuite que, malgré la détention de certains diplômes, en dépit d'un curriculum vitae tout à fait flatteur, l'intéressé n'est pas fait pour être juge, en l'absence de stage probatoire, il sera trop tard ! Même s'il révèle son incapacité à juger, il sera inamovible. Cela, on ne peut l'admettre.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je rappelle à notre collègue que les juges de proximité seront soumis, comme les autres magistrats, à des obligations de déontologie et de discipline, et qu'il existe une autorité pour juger de leur comportement.
Par ailleurs, ce n'est pas parce qu'ils auront fait un stage probatoire qu'ils ne commettront pas ultérieurement telle ou telle faute.
Faire du stage prévu un stage probatoire reviendrait, en vérité, à rétablir une sorte de concours. C'est là une solution que vous avez le droit de souhaiter, mais que nous avons écartée.
Mme Nicole Borvo. Ce ne serait pas un concours !
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Monsieur Badinter, vous défendez là une vision que, pour des raisons évidentes, je pourrais partager. Cela étant, ne croyez-vous pas que ce que nous proposons est tout aussi estimable que le fait de faire passer un examen universitaire à un garçon ou à une fille de vingt-trois ans et de le ou la considérer, une fois cette épreuve passée avec succès, comme apte à juger ?
Il nous faut sortir de ce système qui consiste à apprécier selon des critères strictement universitaires la capacité à exercer ensuite telles ou telles fonctions.
Je crois, comme vous, pour un certain nombre de fonctions éminentes, à la valeur du concours républicain. Pour autant, lorsque, dans un cadre limité, pour exercer des fonctions bien précises, sont prévus des dispositifs qui permettent d'ouvrir ces fonctions à la société civile, en se fondant sur l'expérience professionnelle, de grâce, ne rétablissons pas des dispositifs aussi paradoxaux !
Je ne peux pas laisser dire que le jugement fondé sur l'expérience et sur la capacité professionnelle serait par nature inférieur à des tests à caractère universitaire, auxquels on soumet des personnes d'une vingtaine d'années.
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt pour explication de vote.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le garde des sceaux, vous m'inquiétez : si le concours de l'Ecole nationale de la magistrature repose seulement sur les connaissances et pas du tout sur les aptitudes à juger, il y a lieu d'intervenir très rapidement !
En vérité, la scolarité dure suffisamment longtemps pour que l'on sache quelles sont non seulement les connaissances mais aussi les qualités des personnes admises au concours.
En l'espèce, il n'y a pas de concours et c'est précisément pourquoi il existe un risque d'erreur dans le choix des personnes au vu d'un simple dossier.
Vous avez dit tout à l'heure que vous transmettiez tous les dossiers conformes à ce qui est prévu par la loi. Mais que se passera-t-il lorsqu'on s'apercevra que telle personne qui a été retenue n'a pas du tout, en dépit de ses vingt-cinq années « d'activité dans des fonctions impliquant des responsabilités de direction ou d'encadrement », les qualités voulues pour juger ? Car il ne saurait être question de la maintenir dans ses fonctions de juge !
Je pense donc que le fait de préciser que le stage est probatoire rassurera beaucoup de ceux qu'inquiète fort le système que vous mettez en place.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 35.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix, modifié, le texte proposé pour l'article 41-18 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958.

(Ce texte est adopté.)

ARTICLE 41-19 DE L'ORDONNANCE N° 58-1270
DU 22 DÉCEMBRE 1958