SEANCE DU 15 NOVEMBRE 2002
M. le président.
« Art. 23. - Après l'article 312-12 du code pénal, il est créé une section 2
bis
ainsi rédigée :
« Section 2 bis
« Demande de fonds sous contrainte
«
Art. 312-12-1
. - Le fait, en réunion et de manière agressive, ou sous
la menace d'un animal dangereux, de solliciter la remise de fonds, de valeurs
ou d'un bien, est puni de six mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende.
»
La parole est à M. Louis Mermaz, sur l'article.
M. Louis Mermaz.
Monsieur le président, je serai encore plus bref qu'à l'ordinaire.
Nous avons débattu de la prostitution lors de l'examen de l'article 18, des
gens dits « du voyage » lors de l'examen de l'article 19, des squats dans les
halls d'immeuble lors de l'examen de l'article 21, et nous abordons maintenant
l'article relatif à la mendicité - je dis bien : « la mendicité », et non pas :
« l'exploitation de la mendicité ». D'un article à l'autre, les propositions du
Gouvernement se ressemblent comme des soeurs, car elles sont sous-tendues par
le même esprit.
Chacun d'entre nous, j'en suis certain, a déjà été amené à donner son obole à
des mendiants. Il est vrai que, lorsque ceux-ci sont accompagnés d'un ou deux
chiens, nous passons à l'écart : c'est tout à fait humain. Que l'on ne nous
fasse donc pas dire que nous défendons les mendiants agressifs, entourés
d'animaux dangereux ; tout le monde est contre cette attitude, il n'y a aucun
doute sur ce point.
La création du délit prévue à l'article 23 semble ignorer une disposition
existant dans notre code pénal et réprimant, à juste titre, l'extorsion de
fonds sous menaces ou avec violences. Qu'il s'agisse d'extorsions de fonds
importants ou minimes, le fait est le même.
L'article 312-1 du code pénal dispose ainsi que « l'extorsion est le fait
d'obtenir par violence, menace de violences ou contrainte soit une signature,
un engagement ou une renonciation, soit la révélation d'un secret, soit la
remise de fonds, de valeurs ou d'un bien quelconque ».
L'extorsion est d'ailleurs sévèrement punie, au maximum de sept ans
d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende dans des cas d'une tout autre
gravité que ceux qui nous occupent.
Les articles 312-2 et 312-8 du code pénal énumèrent les circonstances
aggravantes de ce délit. Quant à l'article 312-9, il punit la tentative des
mêmes peines que le délit lui-même. Tout est donc très bien encadré.
S'agissant de l'utilisation d'un animal, l'article 132-75 du code pénal
prévoit que l'utilisation d'un animal pour tuer, blesser ou menacer est
assimilée à l'usage d'une arme, ce qui est très juste. Cette disposition,
combinée à celles de la loi d'orientation et de programmation pour la justice,
votée cet été, permettra de juger le mendiant dit « agressif » selon la
procédure de comparution immédiate. Il encourra alors une peine de six mois
d'emprisonnement ! C'est quand même tout à fait excessif !
La notion d'agressivité est d'ailleurs subjective, et l'interprétation de
l'attitude du mendiant sera soumise à l'appréciation du policier.
On ne peut donc se fonder sur la seule foi d'enquêtes de police, aussi sérieux
que soient nos policiers, surtout dans les cas où, en présence d'un avocat
commis d'office, le jugement sera rendu immédiatement. Les magistrats eux-mêmes
parlent de « justice d'abattage ».
Par conséquent, monsieur le ministre, nous risquerions, si nous vous suivions,
de recréer le délit de mendicité, qui avait été supprimé dans le nouveau code
pénal. N'importe quel mendiant, même non agressif, pourra être poursuivi pour
peu qu'il ait été subjectivement jugé agressif. La pauvreté pourrait déranger
certains ; elle ne nous dérange pas, elle nous interpelle, et nous voulons la
combattre.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret.
Une fois de plus, monsieur le ministre, comment ne pas s'indigner devant votre
volonté farouche d'exclure davantage encore les plus exclus d'entre nous ?
En effet, vous souhaitez débarrasser les trottoirs des mendiants, par le biais
non de mesures sociales, mais de la pénalisation. Mesurez-vous les conséquences
des sanctions prévues par votre projet de loi pour ces populations déjà
démunies, fragilisées ? Il est bon de rappeler, à cet instant, que l'Etat n'a
pas à faire un choix entre les individus qui le composent, entre ceux qui
méritent qu'on les aide et ceux qui ne le méritent pas.
Le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 prévoit en effet que
la nation « garantit à tous (...) la protection de la santé, la sécurité
matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son
âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans
l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens
convenables d'existence ».
Il s'agit, pour l'Etat, d'assurer la protection de la santé, et donc l'accès
aux soins, ce qui est encore bien loin d'être le cas pour tous nos concitoyens
aujourd'hui. Croyez-vous que c'est en prison que les mendiants seront
convenablement soignés ?
Par ailleurs, la nation se doit de garantir des moyens convenables d'existence
pour ceux qui n'ont pas les moyens économiques pour survivre dans des
conditions décentes.
Et, dans ce cas, il ne s'agit pas nécessairement d'aides financières, en tout
cas pas uniquement. Il faut assurer pour ces personnes, afin de les aider à
vivre décemment, un encadrement social effectif, qui va de l'aide financière
et, surtout, matérielle à une aide favorisant leur réinsertion dans notre
société.
Ces aides, les associations tentent au quotidien de les attribuer aux plus
démunis. Elles souhaitent ardemment que la violence liée à l'exclusion ne soit
pas une fatalité et elles considèrent qu'un accueil fondé sur la confiance et
un cadre solidaire - n'oublions pas notre devise républicaine : « Liberté,
Egalité, mais surtout ici, Fraternité » - sont de meilleurs remèdes que
l'enfermement et la sanction.
Mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, un amendement déposé par deux
de vos collègues, retiré depuis - mais nous comprenons pourquoi, tant il allait
loin dans l'absurde ! -, prévoyait de sanctionner la mendicité agressive de
douze mois d'emprisonnement et de 37 500 euros d'amende, je dis bien : 37 500 !
Comment peut-on penser sérieusement, ne serait-ce qu'une seconde, que des
personnes qui sont obligées de tendre la main pour vivre pourront payer une
telle amende ? Par ailleurs, prévoir douze mois d'emprisonnement ne favorisera
certainement pas leur retour à une vie normale lorsqu'elles auront accompli
leur peine.
Pourquoi ne pas vous servir de l'article 312-1 du code pénal sur l'extorsion -
« le fait d'obtenir par violence, menace de violences ou contrainte (...) la
remise de fonds » - qui fait double emploi avec votre article 23, puisqu'il
prévoit une peine de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende
?
Pour conclure, nous avons voulu, par cette intervention sur l'article,
réaffirmer simplement quelques grands principes de solidarité et certaines
valeurs qui fondent notre République. De grâce ! chers collègues de la majorité
sénatoriale, n'engageons pas le Parlement dans la voie de la stigmatisation, de
l'amalgame et de la répression irréfléchie s'agissant de nos concitoyens les
plus pauvres ! « Faire la guerre à la pauvreté, pas aux pauvres ! », tel est le
message que nous lance le mouvement Emmaüs. Sachons l'entendre !
(M.
Jean-Pierre Sueur applaudit.)
M. le président.
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Victor Hugo mettait un bonnet rouge au vieux dictionnaire. Vous, vous mettez
un bonnet - je ne sais pas quelle est sa couleur - sur le code pénal, qui est
un autre livre rouge...
Pourquoi ne pas se contenter de l'article 312-1 ? Je vais vous l'expliquer.
C'est parce que, encore une fois, vous vous servez du code pénal pour autre
chose que ce pour quoi il est fait.
Les dispositions de l'article ont été rappelées par notre ami Louis Mermaz. Il
existe un article 312-1 sur l'extorsion, qui permet de punir de sept ans
d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende ceux qui par « violence, menace
de violences ou contrainte » exigent « la remise de fonds ». Tout est dit,
étant précisé que les articles suivants jusqu'à l'article 312-12 sont consacrés
à l'aggravation de l'extorsion, punie de peines de plus en plus lourdes chaque
fois qu'elle s'accompagne de violences ou de manoeuvres.
Pourquoi, dans l'article 312-12-1, préciser : « en réunion » ? Si l'extorsion
est pratiquée par une seule personne, cela n'a-t-il plus d'importance ? Parce
que ce qui gêne, ce que l'on voit dans les rues, ce dont les gens se plaignent,
ce sont les faits commis « en réunion ». Aussi, l'on met cette disposition à la
fin du titre relatif à l'extorsion, bien qu'il ne s'agisse pas d'extorsion, à
seule fin d'y ajouter le terme « réunion ».
Pourquoi ce nouvel article 312-12-1 ? Parce qu'il peut y avoir des étrangers
parmi les personnes concernées. Je ne sais pas si, parmi ceux qui mendient en
groupe et qui menacent avec des chiens dangereux, on compte beaucoup
d'étrangers. En la matière, nous n'avons pas de statistiques, pas même
d'indications. Mais il doit tout de même y avoir des étrangers car si M. le
ministre a commencé par vouloir supprimer la double peine, cette disposition
lui permettra de faire reconduire les étrangers à la frontière avant même
qu'ils soient condamnés ! Ce nouvel article, qui se rapporte à l'ordonnance de
1945, que nous sommes également appelés à modifier, vise à pouvoir faire
expulser les étrangers par le préfet, avant tout jugement, sur ordre du
ministre de l'intérieur bien entendu. Voilà la vérité ! Cela n'est pas
admissible.
Nous rejoignons là l'excellente explication que l'on nous a donnée tout à
l'heure. Il est vrai que le texte est fait contre les prostituées étrangères,
que l'on pourra, elles aussi, sans même qu'elles aient été jugées, reconduire à
la frontière simplement parce qu'elles auront eu une attitude passive. Il est
vrai également que ce texte permettra de s'intéresser particulièrement aux
mendiants en réunion - et seulement en réunion ! - agressifs, lorsqu'ils seront
étrangers. Et cela est vrai aussi, vous le savez, dans d'autres cas, en
particulier pour les gens du voyage. Tout cela donne effectivement une
coloration particulièrement désagréable à ce projet de loi.
En tout cas, voilà ce qu'est exactement cet article ! Or le code pénal n'est
pas fait pour cela !
En 1994, alors que la majorité ressemblait, et à l'Assemblée nationale et ici,
à la majorité d'aujourd'hui, nous nous sommes mis d'accord pour faire un code
pénal moderne, bien fait, rationnel. Et voilà ce que vous faites du code pénal
! Vous pouvez être fier de vous, monsieur le ministre !
M. le président.
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin.
Effectivement, la misère nous agresse, elle agresse notre confort moral. Les
mendiants, la plupart d'entre eux, ne sont pas agressifs, et ceux qui le
seraient peuvent déjà être punis, nos collègues l'ont amplement démontré.
En l'occurrence, je voudrais attirer votre attention sur la mention des
animaux. Certes, il est écrit : « animaux dangereux », mais les personnes qui
ont peur des chiens les trouvent tous dangereux. Gare à la subjectivité !
Pour ma part, je me référerai non pas à l'abbé Pierre, mais tout simplement à
M. Xavier Emmanuelli, ancien ministre d'Alain Juppé, éminent membre de l'UMP.
Ce midi même, interviewé sur une chaîne privée diffusée en boucle sur tous les
postes de télévision, il attirait l'attention de tous sur les défauts de la
rédaction de cet article, en disant que les chiens sont rarement des outils
d'agression pour les exclus, mais sont des sortes de peluches, sources
d'affection, qui leur sont devenues indispensables dans leur solitude, et que
ces mesures ne vont absolument pas dans le sens de la lutte contre
l'exclusion.
(Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Sans revenir sur tout ce qui a été dit, je ferai remarquer à la
Haute Assemblée que le mot « mendiants » ne figure pas dans cet article. Les
mendiants ont fait leur irruption dans notre débat uniquement à la suite des
craintes fantasmagoriques de certains qui voulaient aux mendiants le texte que
le Gouvernement a l'honneur de présenter. Le mot même de mendiant n'est pas
prononcé. Le fait de mendier n'est pas évoqué.
Vous comprenez bien que, dans cette assemblée, il y a, d'un côté, ceux qui
veulent améliorer le quotidien de nos concitoyens en s'en tenant au texte du
Gouvernement et, de l'autre, ceux qui veulent faire peur. N'ayant rien à dire
sur le fond, sur l'analyse du Gouvernement, sur la politique mise en oeuvre,
ces derniers essaient, de façon habile et, permettez-moi de le dire, parfois
perverse, de faire croire qu'il est écrit ce qui n'est pas écrit.
M. Jacques Dominati.
Très bien !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Il n'y a pas le mot « mendiants ». Il n'y a pas le verbe «
mendier ». Cela n'empêche pas quatre orateurs du même groupe de dire : « vous
stigmatisez les mendiants ».
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Avez-vous lu le rapport écrit ? Alors, tout le monde se tromperait ?
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Si la mauvaise foi était imposée, monsieur Dreyfus-Schmidt, le
budget de la France, grâce à vous, serait excédentaire depuis longtemps !
(Sourires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mais vous m'avez posé une question : pourquoi ne pas utiliser l'article 312-1
? Je le connais, et merci de me l'avoir rappelé. La raison est simple :
l'article 312-1 qui fait référence au délit très grave d'extorsion de fonds
prévoit sept années d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende. Il est donc
parfaitement disproportionné par rapport à l'attitude que je veux sanctionner.
Vous-même, monsieur Dreyfus-Schmidt, ne cessez depuis deux jours d'appeler mon
attention sur la proportionnalité des peines. Et voilà que vous expliquez
maintenant au Gouvernement qu'il faut condamner ce genre d'attitude de sept ans
d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est le maximum !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Excusez-moi de vous le dire, je vous prends les doigts dans le
pot de confiture de la contradiction.
(Très bien ! sur les travées du RPR. -
M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
J'en éprouve, il est vrai, une
certaine satisfaction.
M. Roger Karoutchi.
Nous aussi !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Mais, au-delà de la satisfaction de séance - mettons-là de côté
-, que se passe-t-il ? La peine est si disproportionnée - vous n'avez cessé de
nous rappeler à la proportionnalité des peines -...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
J'ai dit autre chose aussi !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
... qu'elle n'est jamais appliquée. Me tournant vers la Haute
Assemblée, je lui dis : « ou bien il n'y a pas de peine, ou bien c'est la peine
prévue en cas d'extorsion de fonds », moyennant quoi ceux-là même qui, en
bande, de façon agressive ou avec des chiens...
Madame Blandin, merci pour la peluche ! Permettez-moi de vous dire que ça ne
correspond à aucune réalité. Vous aimez les chiens ? Moi aussi ! Mais il ne
s'agit pas de cela. Il s'agit de la menace, de la pression. Or, aujourd'hui,
rien ne s'applique. Entre sept ans d'emprisonnement et rien, doit désormais
venir s'intercaler le texte équilibré et réfléchi du Gouvernement.
(Bravo !
et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants. M. Michel Dreyfus-Schmidt proteste.)
M. le président.
Je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 158 est présenté par M. Bret, Mmes Borvo, Beaudeau, Beaufils
et Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer,
Foucaud et Le Cam, Mmes Luc et Mathon, MM. Muzeau, Ralite et Renar et Mme
Terrade.
L'amendement n° 215 est présenté par M. Dreyfus-Schmidt, Mmes M. André et
Blandin, MM. Badinter, Frimat, C. Gautier, Mahéas, Mermaz, Peyronnet, Sueur et
les membres du groupe socialiste et apparenté.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
« Supprimer cet article ».
L'amendement n° 29, présenté par M. Courtois, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Rédiger comme suit le troisième alinéa de cet article :
« De la demande de fonds sous contrainte ».
L'amendement n° 116, présenté par M. Peyrat, est ainsi libellé :
« Dans le texte proposé par cet article pour insérer un article 312-12-1 dans
le code pénal, après les mots : "Le fait," insérer les mots : "seul ou" ».
La parole est à M. Robert Bret, pour présenter l'amendement n° 158.
M. Robert Bret.
Monsieur le ministre, cet article a pour objet de sanctionner ce que vous
appelez la mendicité agressive exercée en réunion, en la punissant de six mois
d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende.
Plusieurs critiques peuvent être émises sur cet article.
Tout d'abord, nous contestons la notion d'agressivité pour qualifier la
mendicité. Et, même si le mot - vous l'avez dit, monsieur le ministre - n'est
pas prononcé, il s'agit bien de mendicité. Ce n'est pas la première fois qu'est
introduite dans ce projet de loi une notion imprécise et qui n'est pas
objective pour permettre de qualifier une infraction.
Une fois encore, vous appliquez cette méthode et vous proposez de sanctionner
une attitude agressive visant à la remise de fonds. Qui sera capable de juger
qu'une attitude est suffisamment agressive pour permettre une arrestation ?
Vous laissez encore une place trop grande à l'arbitraire, à la subjectivité.
Chaque fois que vous ne qualifiez pas strictement et objectivement une
infraction, comment le juge pourra-t-il prononcer en toute équité une peine
d'amende ou, pis, une peine d'emprisonnement ?
A côté de cela, vous incluez la menace faite à l'aide d'animaux dangereux. Or
vous savez très bien que, depuis la loi relative à la sécurité quotidienne, il
est possible de sanctionner le fait de détenir un animal dangereux si son
propriétaire n'a pas satisfait aux conditions de sécurité édictées par la loi.
De plus, vous prévoyez que l'infraction pourra être constatée si elle est
commise en réunion. Une personne seule avec un chien et demandant une pièce de
manière agressive ne verra-elle donc s'appliquer aucune sanction à son égard,
monsieur le ministre ?
Comme nous l'avons fait à propos de l'article 19, relatif aux gens du voyage,
nous critiquons également que soit punie une infraction commise en réunion.
C'est une fois de plus contraire au principe de personnalisation des peines que
j'ai évoqué lors de la discussion de cet article 19.
Enfin, il est remarqué dans l'exposé des motifs du projet de loi que, la
demande de fonds sous contrainte n'étant pas prise en compte par le code pénal,
il est urgent de créer un nouveau délit.
Pourtant, l'article 312-1 du code pénal sanctionne l'extorsion, monsieur le
ministre, c'est-à-dire « le fait d'obtenir par violence, menace de violences ou
contraintes » la remise de fonds. L'article 23 du projet de loi semble donc
bien inutile, d'autant que la sanction de l'extorsion inscrite dans le code
pénal est bien plus lourde - sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros
d'amende - que celle que prévoit cet article, et vous l'avez rappelé, monsieur
le ministre.
Croyez-vous sincèrement, lorsque vous voyez une personne sans domicile fixe
obligée de mendier pour pouvoir vivre, que si elle avait réellement les moyens
de payer les amendes que vous prévoyez elle serait contrainte de tendre la main
dans la rue ?
Nous ne pouvons accepter le traitement de la misère que vous proposez, et
c'est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de l'article 23.
M. le président.
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n°
215.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je donne acte à M. le ministre de ce que l'article 23 ne parle pas de
mendicité. Mais alors, pourquoi tout le monde en a-t-il parlé ?
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
On se le demande !
M. Robert Bret.
C'est vrai !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Dans l'exposé des motifs du projet de loi, on peut lire : « Les articles 22 et
23 donnent un cadre juridique à la lutte contre des formes nouvelles et
spécifiques de mendicité qui, depuis ces dernières années, se développent... ».
Il est ensuite question de déférer à la justice ceux qui encadrent les
mendiants. Au demeurant, l'article 23 vient juste après l'article 22 !
Monsieur le ministre, ne nous reprochez pas d'avoir compris que vous visiez
les mendiants alors que vous l'avez inscrit dans l'exposé des motifs du projet
de loi ! C'est tout de même un peu facile ! Vous ne reprochez pas à M. le
rapporteur de l'avoir lui-même rappelé, lorsqu'il expose l'article 23 dans son
rapport, en reprenant les termes de celui qui est annexé à la loi d'orientation
et de programmation pour la sécurité intérieure : « Le Gouvernement se fixe
pour objectif de mieux réprimer des comportements qui affectent
particulièrement la vie quotidienne de nos concitoyens et se sont multipliés au
cours des dernières années, tels que la mendicité agressive. »
C'est vous, monsieur le ministre, qui avez inventé le terme ! Il est donc
quelque peu curieux que vous vous contentiez aujourd'hui d'affirmer qu'il n'est
pas question de mendicité. C'est vous qui avez commencé, et si tout le monde
vous a suivi, c'est que tout le monde l'a ainsi compris.
Nous vous avons posé plusieurs questions. Nous avons « démonté » votre nouvel
article, et vous vous êtes contenté de répondre que l'article 312-1 du code
pénal relatif à l'extorsion, qui prévoit sept ans d'emprisonnement, n'est pas
appliqué parce que la peine n'est pas proportionnée. Vous savez mieux que
quiconque, monsieur le ministre, qu'il s'agit d'un maximum et que les
tribunaux, parce qu'ils sont confrontés à des cas différents, ont le droit de
descendre aussi bas qu'ils le veulent ! Vous savez parfaitement qu'il n'y a
plus de minimum ! Ce n'est donc pas une raison pour que l'article 312-1 ne soit
pas appliqué.
J'ai démontré que, si vous avez inséré dans le projet de loi un article
traitant spécifiquement de la mendicité agressive avec chien et en réunion - et
en réunion seulement -, c'était pour vous donner la possibilité de reconduire à
la frontière les intéressés avant même qu'ils soient jugés, et, sur ce point,
vous ne m'avez pas répondu du tout !
Je vous ai demandé combien on recensait d'étrangers parmi ceux qui mendient de
manière agressive avec chien et en réunion, et vous ne m'avez pas répondu du
tout !
J'ignore comment on peut qualifier, dans ce qui devrait être un débat
parlementaire, cette manière qui est la vôtre de vous exprimer sur des points
de détail et sans intérêt pour ne pas répondre sur les points essentiels...
M. Jean-Pierre Sueur.
C'est l'art de l'esquive !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est l'art de l'esquive, dit très joliment notre ami M. Sueur !
Oui, monsieur le ministre, vous pratiquez bien l'art de l'esquive. Mais l'art
de l'esquive n'est pas digne d'un vrai débat parlementaire !
(Protestations
sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. le ministre
manifeste également son désaccord.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 29.
M. Jean-Patrick Courtois,
rapporteur.
Il s'agit d'apporter une amélioration rédactionnelle afin que
soit mieux respectée la technique de rédaction du code pénal.
M. le président.
L'amendement n° 116 n'est pas soutenu.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois,
rapporteur.
Les amendements identiques n°s 158 et 215 visent à supprimer
l'infraction de demande de fonds sous contrainte. Tout le monde reconnaît
pourtant que certains comportements agressifs ne peuvent aujourd'hui faire
l'objet d'aucune répression. En effet, l'extorsion de fonds n'est pas une
infraction appropriée pour lutter contre de tels comportements, parce qu'elle
est très sévèrement réprimée et que, dans l'esprit de chacun, elle évoque autre
chose que le comportement de personnes qui sollicitent de l'argent dans la rue
en utilisant un chien ou en se montrant agressives.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Quelle unité d'esprit ! Il n'y a pas de mendicité, n'est-ce pas, monsieur le
rapporteur ?
M. Jean-Patrick Courtois,
rapporteur.
Absolument pas !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Même avis.
M. le président.
La parole est à M. Jacques Mahéas, pour explication de vote sur les
amendements identiques n°s 215 et 158.
M. Jacques Mahéas.
Monsieur le président, tout le monde s'est trompé !
M. Roger Karoutchi.
Eh oui !
M. Jacques Mahéas.
Personne n'a vu que cet article 23, qui vient juste après un article 22
relatif à la mendicité, ne concerne en rien les regroupements de mendiants...
Non ! Ce n'est pas du tout de cela qu'il s'agit : il s'agit bien évidemment des
regroupements de malfrats qui attaquent les banques avec des chiens !
Monsieur le ministre, c'est tout de même se moquer quelque peu du monde que
d'affirmer de telles choses !
Ma qualité d'ancien professeur de mathématiques me permet de comprendre au
moins une chose : les mendiants en groupe avec un chien, c'est au moins un
sous-groupe, et sans doute le plus important ; sur ce point, nul ne peut nous
contredire.
M. Roger Karoutchi.
Non !
M. Jacques Mahéas.
Quoi qu'il en soit, l'idée centrale est tout de même bien celle de « mendicité
agressive », puisque celle-ci apparaît à la fois dans le rapport de la
commission et dans l'exposé des motifs du projet de loi. Dans le cas contraire,
il faudrait que M. le ministre nous éclaire ! Car s'il s'agit d'attaques, non
pas à main armée, mais à « chien armé »
(Sourires)
, nous serions de
nouveau placés dans le cas habituel de l'extorsion de fonds, qui requiert
évidemment une peine importante.
De deux choses l'une : ou bien nous parvenons à comprendre quel est l'objet
réel de cet amendement, ou bien tout le monde s'est trompé, et il faut
supprimer l'article 23.
M. le président.
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 158 et 215.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du
règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Nombre de votants | 310 |
Nombre de suffrages exprimés | 310156108 |
Contre | 202 |
Je mets aux voix l'amendement n° 29.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 23, modifié.
(L'article 23 est adopté.)
Article 24