SEANCE DU 4 DECEMBRE 2002




M. le président. « Titre III : 38 847 933 euros. »
La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau, sur les crédits du titre III.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je voudrais vous interroger, monsieur le ministre délégué, monsieur le secrétaire d'Etat, sur la situation de certains personnels travaillant sous la responsabilité du ministère des affaires étrangères.
Mon intervention s'inscrit dans le débat budgétaire, puisque nous examinons, avec le titre III, les crédits de personnels.
Ma remarque porte sur deux catégories de personnels : les premiers travaillent à la maison-mère, les seconds en tant que personnels locaux de nos ambassades et de nos consulats.
Je vous interrogerai tout d'abord sur la situation des conducteurs du ministère des affaires étrangères.
Dans ce projet de budget, la suppression de dix emplois de conducteur a été inscrite, sur un total de quatre-vingt-un.
Après la suppression de neuf cent cinquante-sept emplois au ministère entre 1991 et 2002, puis après une période de relative stabilité avec une diminution de neuf emplois en trois ans, une nouvelle diminution de cinquante-sept emplois est inscrite au budget que vous présentez. Or ces réductions ne semblent pas justifiées, bien au contraire, puisque des recrutements paraissent nécessaires.
La création d'un secrétariat d'Etat supplémentaire et la réorganisation du service induisant le recrutement immédiat de cinq agents conducteurs, je souhaiterais que vous m'expliquiez les raisons pour lesquelles ces cinq créations de postes n'interviennent pas.
Des difficultés surviennent concernant les primes, dans le cadre de la réforme indemnitaire. Pour les nominations à l'étranger, les personnels demandent le maintien des possibilités de travailler comme agent polyvalent. Des problèmes se posent d'ailleurs dans l'élaboration du règlement intérieur.
Comment envisagez-vous de régler les questions du nombre, de la qualité et de la nature des emplois des personnels dont le ministère a besoin ? Pouvez-vous prendre l'engagement d'entamer des négociations entre le ministère et les organisations syndicales ? Je rappelle qu'hier près de 70 % des conducteurs du ministère étaient en grève.
Cette situation, monsieur le ministre délégué, monsieur le secrétaire d'Etat, ne sert pas le prestige d'un ministère aussi digne et représentatif que celui des affaires étrangères, qui, pour rayonner, a également besoin de régler ses affaires intérieures.
Je veux évoquer la situation, mieux connue, des personnels locaux recrutés à l'étranger, et ce pour deux raisons.
D'une part, pour 2003, le nombre de ces agents nommés sur des contrats de droit privé par les services de l'Etat à l'étranger s'élève à 9 500.
La base légale d'un tel recrutement existe ; c'est, je vous le rappelle, l'article 34 de la loi du 12 avril 2000, qui précise que les services de l'Etat peuvent, dans le respect des conventions internationales du travail, faire appel à des personnels contractuels recrutés sur place sur la base de contrats de travail soumis au droit local, pour exercer des fonctions concourant au fonctionnement desdits services. Je ne conteste donc nullement la légalité d'un tel recrutement.
Mais, d'autre part, vous l'avez évoqué tout à l'heure, ce même article précise que « dans le délai d'un an suivant la publication de la loi, et après consultation des organisations syndicales, le Gouvernement présentera au Parlement un rapport portant sur l'évaluation globale du statut social de l'ensemble des personnels sous contrat travaillant à l'étranger ».
En effet, si l'embauche est légale, le statut social est loin d'être satisfaisant. La protection sociale n'est pas garantie : des contrats de droit public sont déqualifiés ; les rémunérations chutent et un agent, après vingt ans de service, émarge à 1 200 euros par mois ; des contrats ne sont pas renouvelés sans motif véritable ; il subsiste des contrats discriminatoires dits « maisons » ; les indemnités de fin d'activité sont loin d'être versées ; enfin, les recrutés locaux sont exclus de la loi de résorption de la précarité.
Le rapport de la Cour des comptes de 1999 dénonçait « un flou dans le recrutement des personnels de statut précaire...
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Il y a les bons et les mauvais rapports de la Cour des comptes !
Mme Marie-Claude Beaudeau. ... occupant indûment des emplois permanents au Gabon et au Mali ».
Pourquoi le rapport prévu par la loi est-il publié avec retard, avec des études sommaires ne permettant pas d'apprécier le véritable statut social, parfois de misère, de certains personnels ?
Quelles mesures envisagez-vous de prendre afin de redéfinir et d'améliorer ce statut social et pour que le rapport annuel soit publié dans les temps, avec des études plus réalistes ?
Telles sont les questions sur lesquelles j'aimerais que vous nous répondiez, monsieur le ministre délégué, monsieur le secrétaire d'Etat, dans l'intérêt du ministère des affaires étrangères.
M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Mon intervention portera sur la francophonie et sur les quelques points qui me semblent être en contradiction avec votre volonté, monsieur le ministre délégué, monsieur le secrétaire d'Etat, de la promouvoir.
Le premier point concerne la situation budgétaire précaire de l'AEFE. Pour 2003, les subventions enregistrent, il est vrai, une augmentation de 7,7 %. Cependant, le nombre des élèves ne cesse d'augmenter - ils étaient 158 055 en 2000, contre 158 250 aujourd'hui -, de même que celui des boursiers et que la rémunération des personnels enseignants.
Pour compenser l'augmentation de la rémunération des résidents, le Gouvernement propose de diminuer le nombre d'enseignants expatriés, mais cela n'est pas cohérent avec la nécessité de promouvoir notre langue.
Par ailleurs, le Gouvernement prévoit de réduire, dans le même temps, les crédits à hauteur de 6,4 millions d'euros, au titre d'une « rationalisation du réseau de l'AEFE », rationalisation qui concerne les effectifs et les moyens. Le risque est la fermeture de plusieurs établissements à la rentrée prochaine, ce qui va à l'encontre, encore une fois, de l'objectif affiché du Gouvernement de promouvoir la francophonie.
En outre, l'augmentation des frais de scolarité, qui sont déjà excessifs, peut exclure de nombreuses familles françaises résidant à l'étranger. C'est alors le principe même de l'égalité d'accès pour tous les Français à l'école gratuite qui est mis à mal. Cela pénalise également les enfants nationaux.
Enfin, bien qu'en augmentation, le budget reste insuffisant et révèle une diminution du fonds de roulement, comme Mme Cerisier-ben Guiga l'a bien expliqué tout à l'heure.
Le deuxième point concerne la place de la langue française dans la communauté internationale. Les non-anglophones se voient aujourd'hui contraints de choisir entre des publications dans leur langue destinées à un public restreint ou en anglais visant la communauté mondiale. Il en résulte que, à valeur scientifique égale, un anglophone a plus de chances d'être publié qu'un non-anglophone. La plupart des chercheurs finissent donc par publier en anglais, ne serait-ce que pour favoriser l'avancement de leur carrière.
Pour maintenir la place de la langue française, le Gouvernement se doit de soutenir, d'une part, la presse écrite francophone, afin de permettre aux scientifiques et aux universitaires de publier en dehors des circuits anglophones et, d'autre part, d'exiger des pays anglophones, qu'ils forment des scientifiques capables de maîtriser au moins une langue étrangère. A cet égard, monsieur le ministre, j'ai pris bonne note de votre proposition d'une charte pour la diversité des langues, qui est effectivement intéressante.
La domination linguistique de l'anglais s'étend aujourd'hui au domaine industriel et aux brevets. J'attire d'ailleurs l'attention du Gouvernement sur les conséquences de la ratification du protocole de Londres. Ce dispositif vise à supprimer la traduction des brevets d'invention, alors que, auparavant, le système des brevets européens permettait que le brevet délivré soit intégralement traduit dans une langue nationale.
Le protocole supprime cette exigence : il permet que le brevet européen produise ses effets à partir du seul texte de délivrance - actuellement, 75 % des brevets sont rédigés en anglais, 18 % en allemand et 7 % en français - afin, officiellement, d'abaisser les coûts des brevets et de combler le retard français. Or ce retard français ne tient pas à un problème de coût, le brevet français étant déjà deux fois moins cher que ceux des autres grands pays et le coût du brevet européen étant le même pour tous. Ce protocole stimulera les dépôts de brevets américains et japonais, déjà très nombreux. En outre, les PME et PMI, peu dynamiques en matière de brevets, seront handicapées par les problèmes que pose la traduction. Ce protocole ne servira qu'à asseoir et à étendre la domination de l'anglais comme langue commune, notamment dans le domaine industriel.
Le troisième et dernier point concerne la culture, notamment le théâtre, le cinéma et l'audiovisuel.
J'aimerais rappeler à M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie qu'il a exprimé le souhait que soient noués des « partenariats durables avec des artistes ou des organismes culturels étrangers ». Là aussi, je constate une incohérence entre les souhaits et la réalité des financements : le théâtre-action, qui a pour objet d'accueillir plusieurs artistes de tous les continents, ne bénéficie d'aucune aide ou presque du ministère, et les cinématographies française et européenne sont insuffisamment soutenues à l'étranger.
Certes, l'écart entre les cinémas français et américain, en termes d'audience, s'est réduit, mais cela est principalement dû au succès ponctuel de quelques films français. Le problème de fond existe toujours : le cinéma français s'exporte beaucoup moins que le cinéma américain et que certaines cinématographies étrangères. En effet, le cinéma de l'ensemble de la francophonie est condamné à rester dans ses frontières, faute de moyens. Cela est vrai pour le cinéma, mais aussi pour les programmes de télévision.
La France possède un patrimoine culturel solide, encore bien diffusé, et la voici dominée sur son propre marché.
M. le président. Veuillez conclure, madame David.
Mme Annie David. Je conclus, monsieur le président.
J'aurais aimé voir apparaître dans le projet de budget, monsieur le ministre, les décisions concrètes que le Gouvernement compte prendre pour faciliter l'insertion internationale du cinéma et de l'audiovisuel français, vecteurs de la culture et de la langue françaises, et contribuer ainsi à promouvoir la francophonie et les valeurs de notre République.
M. le président. Je mets aux voix les crédits figurant au titre III.
M. Guy Penne. Le groupe socialiste s'abstient.
Mme Hélène Luc. Le groupe communiste républicain et citoyen également.
(Ces crédits sont adoptés.)