SEANCE DU 16 DECEMBRE 2002
M. le président.
« Art. 29
bis.
- A. - Dans le titre II de la première partie du livre
Ier du code général des impôts, il est inséré un chapitre VIII
ter
intitulé : "Taxe sur le chiffre d'affaires des exploitants agricoles" et
comprenant un article 302
bis
MB ainsi rédigé :
«
Art. 302
bis
MB.
- I. - Une taxe est due par les exploitants
agricoles au titre de leurs activités agricoles, à l'exclusion de ceux placés
sous le régime du remboursement forfaitaire agricole mentionné aux articles 298
quater
et 298
quinquies.
« II. - La taxe est assise sur le chiffre d'affaires de l'année précédente,
tel que défini à l'article 293 D, auquel sont ajoutés les paiements accordés
aux agriculteurs au titre des soutiens directs mentionnés à l'annexe du
règlement (CE) n° 1259/1999 du Conseil, du 17 mai 1999, établissant des règles
communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique
agricole commune, à l'exclusion du chiffre d'affaires issu des activités de
sylviculture et de pêche en eau douce.
« III. - Le tarif de la taxe est composé d'une partie forfaitaire comprise
entre 76 EUR et 92 EUR par exploitant et d'une partie variable fixée à 0,19 %
jusqu'à 370 000 EUR de chiffre d'affaires et à 0,05 % au-delà. Le chiffre
d'affaires mentionné au II s'entend hors taxe sur la valeur ajoutée.
« IV. - La taxe est acquittée :
« 1° Sur la déclaration annuelle visée au 1° du I de l'article 298
bis,
pour les exploitants agricoles imposés à la taxe sur la valeur ajoutée
selon le régime simplifié mentionné à cet article ;
« 2° Sur la déclaration déposée au titre du premier trimestre de l'année au
titre de laquelle la taxe est due, pour les exploitants agricoles ayant opté
pour le dépôt de déclarations trimestrielles et mentionnés au troisième alinéa
du I de l'article 1693
bis
;
« 3° Sur l'annexe de la déclaration des opérations du premier trimestre ou du
mois de mars de l'année au titre de laquelle la taxe est due, déposée en
application de l'article 287, pour les exploitants agricoles qui ont été
autorisés à soumettre l'ensemble de leurs opérations au régime de droit commun
de la taxe sur la valeur ajoutée.
« Le paiement de la taxe est effectué au plus tard à la date limite de dépôt
des déclarations mentionnées aux 1° à 3°.
« V. - La taxe est recouvrée et contrôlée selon les procédures et sous les
mêmes sanctions, garanties et privilèges que la taxe sur la valeur ajoutée. Les
réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables
à cette même taxe.
« VI. - Un arrêté conjoint du ministre chargé de l'agriculture et du ministre
chargé du budget fixe, dans les limites déterminées au III, le montant de la
partie forfaitaire de la taxe. »
« B. - Le produit de la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitants
agricoles perçue en application de l'article 302
bis
MB du code général
des impôts est affecté, à concurrence de 85 %, à l'Agence de développement
agricole et rural.
« C. - Sont abrogés :
« - le décret n° 2000-1297 du 26 décembre 2000 instituant une taxe parafiscale
sur les céréales et le riz perçue au profit de l'Association nationale pour le
développement agricole ;
« - le décret n° 2000-1298 du 26 décembre 2000 instituant une taxe parafiscale
sur les graines oléagineuses et protéagineuses perçue au profit de
l'Association nationale pour le développement agricole ;
« - le décret n° 2000-1299 du 26 décembre 2000 instituant une taxe parafiscale
sur la betterave destinée à la production de sucre perçue au profit de
l'Association nationale pour le développement agricole ;
« - le décret n° 2000-1339 du 26 décembre 2000 instituant une taxe parafiscale
sur les viandes perçue au profit de l'Association nationale pour le
développement agricole ;
« - le décret n° 2000-1340 du 26 décembre 2000 instituant une taxe parafiscale
sur le lait de vache et la crème, les laits de brebis et de chèvre perçue au
profit de l'Association nationale pour le développement agricole ;
« - le décret n° 2000-1341 du 26 décembre 2000 instituant une taxe parafiscale
sur les vins perçue au profit de l'Association nationale pour le développement
agricole ;
« - le décret n° 2000-1342 du 26 décembre 2000 instituant une taxe parafiscale
sur les fruits et légumes perçue au profit de l'Association nationale pour le
développement agricole ;
« - le décret n° 2000-1343 du 26 décembre 2000 instituant une taxe parafiscale
sur les produits de l'horticulture florale, ornementale et des pépinières
perçue au profit de l'Association nationale pour le développement agricole ;
« - le décret n° 2000-1344 du 26 décembre 2000 instituant une taxe parafiscale
forfaitaire au profit de l'Association nationale pour le développement
agricole.
« Les sommes restant à recouvrer au titre des taxes mentionnées ci-dessus
demeurent dues et peuvent être recouvrées en 2003. Elles sont versées au budget
général.
« D. - La première phrase de l'article L. 820-3 du code rural est ainsi
rédigée : "Un établissement public national à caractère administratif, dénommé
Agence de développement agricole et rural, concourt au financement des
programmes de développement agricole."
« E. - L'article L. 820-4 du même code est ainsi rédigé :
«
Art.
L. 820-4 - L'Agence de développement agricole et rural a pour
mission, sous la tutelle de l'Etat, l'élaboration, le financement, le suivi de
l'évaluation du programme national pluriannuel de développement agricole. Les
activités de sylviculture et de pêche en eau douce ne relèvent pas du champ
d'intervention de l'agence.
« Elle peut conduire ou participer à toute action de ce programme ainsi qu'à
des actions de remplacement et de coopération internationale en lien direct
avec le développement agricole.
« Elle contribue, dans le cadre de la mise en oeuvre du programme national
pluriannuel de développement agricole, à la diffusion des connaissances par
l'information, la démonstration, la formation et le conseil.
« Le conseil d'administration de l'Agence de développement agricole et rural
est composé de :
« - six représentants de l'Etat ;
« - un député et un sénateur désignés par les assemblées auxquelles ils
appartiennent ;
« - un représentant élu des régions ;
« - dix représentants des organisations syndicales d'exploitants agricoles
mentionnées à l'article 2 de la loi n° 99-574 du 9 juillet 1999 d'orientation
agricole nommés sur proposition de ces organisations ;
« - quatre représentants de l'assemblée permanente des chambres d'agriculture
nommés sur proposition du président de l'assemblée ;
« - deux représentants de la Confédération nationale de la mutualité, de la
coopération et du crédit agricoles nommés sur proposition de la confédération
;
« - un représentant de l'association de coordination technique agricole nommé
sur proposition du président de l'association.
« Le personnel de l'agence est régi par le statut visé à l'article L.
621-2.
« Les ressources de l'Agence de développement agricole et rural sont
constituées par :
« - le produit des impositions qui lui sont affectées ;
« - tous autres concours ;
« - le produit de ses publications.
« Un décret en Conseil d'Etat fixe les statuts de l'établissement. Il
détermine les règles d'organisation et de fonctionnement ainsi que les règles
financières et comptables qui lui sont applicables. Il détermine également les
modalités de délibération du conseil d'administration et les conditions selon
lesquelles le commissaire du Gouvernement peut s'opposer à ses délibérations.
»
« F. - Dans le
c
de l'article L. 611-1 du même code, les mots :
"Association nationale pour le développement agricole" sont remplacés par les
mots : "Agence de développement agricole et rural".
« G. - Jusqu'à l'entrée en vigueur du décret mentionné au dernier alinéa de
l'article L. 820-4 du code rural, des subventions exceptionnelles pourront être
attribuées, à partir du budget du ministère de l'agriculture, de
l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, aux organismes exerçant
des missions de développement agricole en application de l'article L. 820-2 du
code rural.
« H. - Il est institué en 2003, au profit du budget de l'Etat, un prélèvement
exceptionnel de 58 millions d'euros sur l'Association nationale pour le
développement agricole dont l'assiette est constituée par une fraction du
produit du recouvrement et du placement des taxes parafiscales visées au C.
« I. - Les dispositions du A, du B et du C entrent en vigueur au 1er janvier
2003. »
La parole est à M. Marcel Deneux, sur l'article.
M. Marcel Deneux.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet
amendement s'inscrit dans la perspective de la mise en oeuvre de la loi
organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances et de la suppression
de toutes les taxes parafiscales au 31 décembre 2003 au plus tard. Avec les
propositions qui nous sont faites, nous allons aboutir à la création d'un
établissement public industriel et commercial, ou EPIC. Je voudrais attirer
votre attention sur la situation singulière de ce développement agricole.
En 1967, je me suis rendu à l'Elysée avec deux de mes collègues pour demander
au Président de la République de l'époque de rendre le développement agricole
plus efficace : il était, alors, entre les mains de l'administration du
ministère de l'agriculture.
Dans cette recherche d'une plus grande efficacité, il a été convenu, en 1968,
de créer une association professionnelle regroupant toutes les associations
agricoles. Ce fut la naissance de l'Association nationale pour le développement
agricole, l'ANDA. J'en fus administrateur jusqu'en 1982.
Cette association n'a pas démérité ; il suffit, pour s'en rendre compte, de
regarder ce qu'est devenue l'agriculture française en trente ans et le
territoire dont elle conditionne aujourd'hui le devenir économique.
Quelques critiques ont été émises. Je veux simplement rappeler que cette
association était dotée, dès le début, et jusqu'à maintenant, d'un commissaire
du Gouvernement.
Le texte qui a été voté en première lecture par l'Assemblée nationale est le
fruit d'un compromis. Malgré la concertation avec la profession agricole, ce
texte ne nous satisfait pas totalement.
Dans cette réforme, trois principes intangibles doivent nous guider, qui
fondent le sens du développement agricole et qui sont toujours à l'origine de
son efficacité au cours de ces trois dernières décennies : la responsabilité
absolue de la profession agricole ; la solidarité entre les productions, les
régions et les hommes ; le maintien des moyens du développement supporté
collectivement par les agriculteurs. Ce modèle de développement agricole à la
française, qui associe contractuellement et de façon efficace l'Etat et la
profession agricole, nous est, d'ailleurs, aujourd'hui envié par un grand
nombre de pays européens. Or le texte adopté en première lecture par
l'Assemblée nationale ne permettra pas d'assurer dans de bonnes conditions la
solidarité à l'égard des territoires les plus défavorisés et des petites
filières de production, ni même de mettre en oeuvre l'élargissement du
développement agricole à la ruralité.
Notre assemblée, qui assure la représentation des collectivités locales, et
donc des territoires, ne peut qu'être très sensible à toute remise en cause
d'une politique de développement qui laminerait les marges de toute
contractualisation avec les collectivités locales et qui pénaliserait les
territoires les plus fragiles.
La profession agricole a toujours affirmé sa volonté d'être un acteur des
politiques territorialisées, qui, d'ailleurs, se développent avec la politique
communautaire de développement rural.
Dans ces conditions, vous comprendrez que l'on ne puisse accepter une
diminution des moyens du développement qui aurait pour conséquence la réduction
des dotations au titre des programmes de développement territorialisé.
C'est fort de ces principes qu'avec un certain nombre de collègues je
défendrai dans un instant une série d'amendements. Ces amendements ne remettent
pas en cause la réforme proposée ; ils n'ont pour ambition que de l'ajuster aux
objectifs partagés par tous d'un développement agricole solidaire au service
d'une agriculture durable, c'est-à-dire performante et répondant aux attentes
de la société.
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
L'amendement n° 33 rectifié, présenté par M. Deneux et les membres du groupe
de l'Union centriste, est ainsi libellé :
« I. - Après les mots : "activités agricoles", supprimer la fin du I du texte
proposé par le A de cet article pour insérer un article 302
bis
MB dans
le code général des impôts.
« II. - Pour compenser la perte de recettes résultant du I ci-dessus
compléter,
in fine
, cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
« ... La perte de recettes résultant pour l'Etat de l'élargissement de
l'assiette de la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitants agricoles est
compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux
articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
L'amendement n° 44 rectifié, présenté par MM. Demerliat, Madrelle, Haut,
Courteau, Miquel, Angels, Auban, Charasse, Lise, Marc, Massion, Moreigne,
Sergent et les membres du groupe socialiste, est ainsi libellé :
« Dans le I du texte proposé par le A de cet article pour insérer un article
302
bis
MB dans le code général des impôts, supprimer les mots : ", à
l'exclusion de ceux placés sous le régime du remboursement forfaitaire agricole
mentionné aux articles 298
quater
et 298
quinquies
". »
La parole est à M. Marcel Deneux, pour présenter l'amendement n° 33
rectifié.
M. Marcel Deneux.
Dans le droit-fil de mon intervention précédente, cet amendement part du
principe qu'un développement agricole solidaire doit passer par la
participation équitable de chaque agriculteur à son financement, d'autant que
tous sont bénéficiaires, ou souhaitent être des programmes d'actions.
Actuellement, tous les agriculteurs, quelles que soient leur production et la
taille de leur exploitation, sont redevables, au titre des taxes parafiscales
sur les produits agricoles. La progressivité introduite dans la nouvelle taxe
sur le chiffre d'affaires doit, sans exclusion, permettre à chacun de
contribuer au développement agricole sans globalement accroître sa charge.
Le texte qui nous est proposé est en contradiction avec la position que la
France soutient au sein de l'organisation mondiale du commerce, l'OMC, où nous
défendons le principe d'un modèle agricole européen, c'est-à-dire d'un modèle
dans lequel cohabitent des exploitations moyennes et des exploitations plus
grandes. Si les moyennes exploitations sont exclues du financement, elles le
seront aussi très vite du développement au prétexte qu'elles ne cotisent
pas.
Or, c'est justement ce que nous avons réussi à éviter pendant quarante ans.
Je mets donc en garde contre ce qui résulterait du texte proposé, qui, d'une
certaine manière, a des relents de démagogie !
M. le président.
La parole est à M. Jean-Pierre Demerliat, pour présenter l'amendement n° 44
rectifié.
M. Jean-Pierre Demerliat.
La loi organique du 1er août 2001 a rendu nécessaire la réforme du dispositif
de développement agricole, puisque toutes les taxes parafiscales devront avoir
disparu au plus tard le 31 décembre 2003 ; de cette nécessité est résulté
l'article 29
bis
du projet de loi dont nous discutons présentement.
Depuis trente ans, le développement agricole français puise son efficacité
dans la mise en oeuvre de trois notions : la responsabilité des professionnels,
la solidarité entre les hommes, les produits et les régions, ainsi que la
mutualité pour ce qui est des moyens.
Aussi, pour continuer à assurer la solidarité à l'égard des territoires les
plus défavorisés et des petites filières de production, ainsi que pour étendre
la notion de développement agricole à l'ensemble du champ de la ruralité, nous
devons préserver les marges de manoeuvre contractuelles des collectivités
locales et, pour ce faire, nous refusons la diminution des moyens du
développement, qui aurait pour conséquence la réduction des dotations aux
programmes de développement territorialisés.
Pour ces raisons, nous pensons qu'un développement agricole solidaire ne peut
passer que par la participation équitable de chaque agriculteur à son
financement, d'autant que tous sont bénéficiaires des programmes d'action.
Comme tous les agriculteurs sont actuellement redevables au titre des taxes
parafiscales sur les produits agricoles, la progressivité introduite dans la
nouvelle taxe sur le chiffre d'affaires doit leur permettre, sans exclusion, de
contribuer au développement agricole, sans accroître globalement leurs
charges.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il convient tout d'abord de rappeler que le présent
article, qui a été introduit à l'Assemblée nationale, est d'abord un article de
simplification. En effet, pas moins de neuf taxes parafiscales financent
l'Association nationale de développement agricole, : taxes sur les betteraves,
sur les céréales livrées par les producteurs aux organismes agréés pour la
collecte, sur les graines oléagineuses et protéagineuses, sur certaines
viandes, sur les laits de vache, de brebis, de chèvre et sur la crème, sur les
produits de l'horticulture florale, ornementale et des pépinières non
forestières, sur les vins, sur les fruits et les légumes. A ces taxes sur les
produits s'ajoute la taxe forfaitaire payée par les exploitants agricoles.
Le Gouvernement a donc raison de nous inciter à une simplification en
rassemblant ces taxes en une seule contribution qui, juridiquement, est une
imposition de toute nature directement affectée. Il a raison par ailleurs de
mieux asseoir la sécurité juridique de tout ce système en transformant
l'association en un établissement public qui répondra à toutes les garanties
souhaitables.
A partir de ce constat, en concertation étroite avec les professionnels de
l'agriculture, les députés ont adopté un dispositif qui crée une nouvelle
contribution unique. Au-delà de la période de transition assurée par l'Etat,
elle permettra le financement de la nouvelle agence prenant en charge des
tâches professionnelles d'intérêt général.
Lorqu'on passe d'un système à un autre, il faut être extrêmement prudent et
étudier les simulations. La commission des finances, pour sa part, a été
surtout sensible à cet aspect de la question : elle a calculé la contribution
moyenne par exploitation, car elle est favorable à la baisse et non pas à
l'augmentation des prélèvements obligatoires. Or les prélèvements opérés par
les organisations professionnelles, de même que ceux qui sont imposés par
l'Etat, sont perçus par le redevable de base comme des prélèvements
obligatoires : c'est toujours de l'argent qu'il doit sortir de la caisse, et il
n'a pas le choix.
La contribution moyenne par exploitation devrait être ramenée de 300 à 270
euros, ce qui est une évolution raisonnable. En effet, le supplément de taxes
résultant de l'instauration de la partie variable, qui devrait concerner 72 %
des exploitants redevables de la nouvelle taxe, sera plus que compensé par la
disparition des taxes sur les produits. S'il existe des transferts entre les
filières, nous aurons l'occasion d'en parler dans la suite de l'examen des
amendements.
L'amendement n° 33 rectifié prévoit que tous les exploitants, quels que soient
leur activité et leur chiffre d'affaires, payent un minimum. Ce dispositif,
outre des arguments tout à fait favorables qui ont été fort bien développés par
Marcel Deneux, appelle certaines objections, tant techniques que d'opportunité,
dont il faut débattre.
Sur le plan technique, si l'exemption des exploitants agricoles placés sous le
régime du revenu forfaitaire agricole disparaît, la taxation de ces exploitants
sur le chiffre d'affaires nécessitera, d'une part, la reconstitution de ce
chiffre d'affaires, ce qui pourrait induire des délais et risquerait d'être
complexe et, d'autre part, un nouveau mécanisme de prélèvement, en sachant que
ces exploitants ne sont pas redevables de la TVA.
En réalité, la seule solution réaliste serait d'instaurer une taxe forfaitaire
- ce que l'un des amendements que nous allons examiner tend d'ailleurs à
proposer -, taxe forfaitaire qu'il serait difficile de fixer à un montant
supérieur à 40 euros et qui ne rapporterait que 5 millions à 6 millions
d'euros. On peut donc s'interroger sur la « rentabilité » de ce système :
beaucoup de redevables, un système compliqué, lourd à gérer, coûteux, pour
finalement ne pas « ramasser » grand-chose !
Quant à l'objection d'opportunité, elle est la suivante. Si l'on devait créer
une telle taxe forfaitaire, elle risquerait de soulever, sur le plan
psychologique, des objections chez bon nombre d'exploitants. Peut-être
serait-elle beaucoup plus impopulaire que les taxes sur les produits qu'elle
remplacerait, car ces dernières sont perçues dans le mouvement même de
l'activité commerciale de l'exploitant et de manière relativement indolore ce
sont des éléments qui entrent dans la composition des prix de revient. Pour
certaines micro-exploitations, la taxe forfaitaire apparaîtrait en quelque
sorte
ex nihilo,
comme un élément nouveau de frais généraux, et
susciterait quelques réactions diverses dans les campagnes.
Il faut ajouter que le coût de recouvrement de la taxe forfaitaire - j'y ai
déjà fait allusion - serait vraisemblablement déraisonnable rapporté à son
produit.
Par conséquent, tout en comprenant que l'on puisse souhaiter, pour une
fonction d'intérêt collectif, demander à chacun une contribution, aussi faible
soit-elle, la commission des finances souhaiterait que notre collègue M. Marcel
Deneux accepte d'entendre les arguments que je viens de développer concernant
les aspects psychologiques et techniques et qu'il veuille bien retirer son
amendement.
M. Jacques Oudin.
Très bien !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Monsieur le président, avec votre permission,
j'interviendrai d'abord de façon générale, ce qui me permettra ensuite
d'émettre des avis beaucoup plus concis.
Nous sommes en présence d'une réforme qui a été rendue indispensable en raison
du blocage qui s'est produit au sein de l'ANDA, dont les mérites ont été
rappelés tout à l'heure par Marcel Deneux.
Au fond, l'ANDA se trouve aujourd'hui dans la même situation que nous, élus
locaux qui avons une certaine expérience de la gestion locale, lorsque nous
avions créé, de très bonne foi d'ailleurs, des associations relevant de la loi
de 1901 pour exercer des missions qui étaient adossées aux collectivités dont
nous avions la charge. Nous avons été contraints de ne plus utiliser ces
instruments qui avaient pourtant eu beaucoup de mérites, mais qui, en raison de
leur fonctionnement au regard des règles qui régissent l'utilisation de fonds
publics, n'étaient plus pertinents. Nous avons donc abandonné ce système pour
en choisir d'autres.
L'ANDA, association de la loi de 1901, fonctionne avec les produits de taxes
qui sont levées par l'Etat et qui obéissent aux règles de l'argent public.
L'utilisation de ces crédits pose quelques difficultés pratiques qu'il convient
de résoudre.
De toute manière, nous étions, à une année près, à la veille de devoir régler
la question de ces taxes parafiscales par la mise en oeuvre de la loi
organique. Dès lors, autant donner aux missions exercées jusqu'alors par l'ANDA
à nouveau leur efficacité par la création d'un instrument juridique nouveau qui
assumera ces missions et qui répondra aux exigences de la loi. C'était
l'occasion de rassembler les nombreuses taxes en une seule, afin de donner plus
de lisibilité et de simplicité.
M. le rapporteur général a signalé tout à l'heure le risque d'écart inhérent à
la modification d'un système de prélèvement. En toute bonne foi, nous essayons
néanmoins de le combattre.
Je voudrais signaler à tous ceux qui suivent nos travaux avec la plus grande
attention, au-delà de cet hémicycle, qu'il faut se garder de s'enfermer dans
une contradiction.
La première contradiction, c'est de vouloir tout à la fois la libre
administration du développement agricole hors du budget de l'Etat et un
encadrement du taux de retour au profit de certaines filières. Il faut choisir
entre une gestion en quelque sorte garantie par l'Etat du développement
agricole par le budget général - qui permet d'ailleurs au Gouvernement de
garantir un taux de retour - et l'affectation d'une taxe à un établissement
public qui confie cette responsabilité aux professionnels. Il ne faut pas
émettre des souhaits contradictoires.
Et puis, il y a, d'un côté, ceux qui souhaient faire payer l'ensemble des
agriculteurs et, de l'autre, ceux qui considèrent qu'il n'est pas nécessaire
d'assujettir des agriculteurs dont le chiffre d'affaires est très faible, parce
que le coût du prélèvement serait extraordinairement élevé par rapport au
produit et que nous risquerions de provoquer leur incompréhension.
Enfin, je tiens à préciser que la création d'un établissement public garantit
juridiquement le développement agricole. L'action des membres de l'assemblée
générale de l'ANDA était soumise à une très grande fragilité juridique et la
réforme que nous examinons aujourd'hui cherche également à y remédier.
De nombreux amendements visent à éviter que la filière viticole ne soit
pénalisée, d'autres traitent des transferts de charges, d'autres encore
concernent le taux de retour : je répondrai sur ces questions à l'occasion de
leur examen.
S'agissant de la taxe forfaitaire pour des exploitants dont le chiffre
d'affaires est inférieur à 46 000 euros, je voudrais appeler l'attention des
auteurs des amendements sur le risque de frapper, dans cette hypothèse, des
exploitants dont les revenus sont modestes. Le Gouvernement avait prévu de les
exonérer.
M. Jacques Chaumont.
Très bien !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
En même temps, je comprends la préoccupation des
organisations professionnelles agricoles qui sont favorables à une contribution
même réduite de tous les agriculteurs au développement agricole. Néanmoins,
vous le savez, l'Assemblée nationale a voté en faveur de l'exemption.
Je voudrais vous livrer quelques informations chiffrées. L'augmentation de
ressources de l'ADAR qui résulterait de l'extension proposée par les
amendements n°s 33 rectifié et 44 rectifié serait limitée, selon nos
estimations, à 7 millions d'euros.
Ce chiffre est à mettre en regard des coûts de gestion pour notre
administration d'une population de 141 000 agriculteurs redevables.
Enfin, je veux être tout à fait loyal : ces amendements sont, de surcroît,
techniquement inapplicables.
L'amendement n° 58 rectifié est dans le même esprit sans pour autant souffrir
de cette difficulté technique. Cela ne signifie d'ailleurs pas que j'émettrai
un avis favorable sur l'amendement n° 58 rectifié. Je veux simplement souligner
qu'il conviendrait de ne pas trop perdre de temps sur l'examen de ces
amendements. En effet, vous proposez d'assujettir les agriculteurs placés sous
le régime du forfait de TVA non seulement à la part fixe de la nouvelle taxe
mais aussi à sa part variable. Or cette dernière n'est pas connue des services,
puisque, précisément, le remboursement de la TVA est forfaitaire. Donc, la
proposition est concrètement inapplicable.
C'est la raison pour laquelle je demande aux auteurs de ces deux amendements
de bien vouloir les retirer, à défaut, j'émettrai un avis défavorable.
M. le président.
Monsieur Deneux, l'amendement n° 33 rectifié est-il maintenu ?
M. Marcel Deneux.
Je voudrais remercier M. le rapporteur général et M. le ministre de leurs
explications qui m'ont en partie convaincu.
M. le ministre, en ce qui concerne l'inapplication, il suffit de me rendre en
Bavière, qui connaît un droit fiscal différent, pour constater de quelle façon
le revenu des agriculteurs se trouve abondé par des systèmes de TVA que l'on
dit inapplicables en France.
Quant au niveau de la taxe forfaitaire, je rappellerai que nous émettons des
titres de paiement de 5 euros pour des cotisations aux chambres d'agriculture.
Nous sommes donc capables de le faire.
De plus, vous avez évoqué, monsieur le ministre, le fait que ces taxes se
situaient dans la mouvance du système économique. Or, chaque fois qu'elles
appartiennent à des filières que l'on dit exemplaires, c'est-à-dire la
betterave, les céréales et les produits laitiers, elles apparaissent sur les
bordereaux de paiement.
Enfin, et ce sera le dernier point que j'aborderai, ce système me cause une
grande inquiétude. Pourquoi ne pas le dire, je n'ai pas confiance dans le
système qui se met en place, parce que je n'ai pas d'exemple de système public
qui soit plus efficace qu'un système privé en matière de développement
économique. Ce serait bien la première fois, mais, après tout, nous ferons
l'expérience.
Je retirerais volontiers mon amendement, monsieur le ministre, si vous
m'assuriez que les 141 000 exploitants qui ne vont pas cotiser ne seront exclus
en aucune manière des modalités de développement, autrement dit qu'aucun
fonctionnaire du nouvel établissement public ne leur annoncera qu'il ne saurait
s'occuper de leur filière, puisqu'ils ne cotisent pas.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis,
président de la commission.
Je tiens, à titre personnel, à exprimer un
embarras. Je comprends bien l'urgence qu'il y a à mettre en place une nouvelle
agence et à prévoir des ressources pour cet établissement. J'observe qu'au
passage des agents sous statut privé vont passer sous statut public : je ne
suis pas sûr que l'exercice qui consiste à essayer d'alléger le statut public
soit totalement réussi.
Par ailleurs, la référence au chiffre d'affaires me paraît comporter quelques
risques. Il est des exploitants agricoles dont le chiffre d'affaires est
l'expression de la valeur ajoutée de l'entreprise ; il en est d'autres dont la
valeur ajoutée est faible par rapport à leur chiffre d'affaires nous risquons
donc de commettre de grandes injustices.
Un éleveur de poulets, par exemple, qui achète des céréales et peut-être les
poussins, constate un grand écart entre son chiffre d'affaires et sa valeur
ajoutée.
Dans le cas particulier, nous mettons en place une taxe sur le chiffre
d'affaires dont l'effet sera d'instituer un mécanisme pernicieux qui,
peut-être, aboutira à taxer plusieurs fois les mêmes produits, par exemple une
première fois chez celui qui vend les céréales, une deuxième fois chez celui
qui transforme les céréales en aliments pour le bétail ou la volaille, une
troisième fois chez celui qui vend des porcs ou des poulets nourris par ces
céréales transformées en aliments pour bétail ou volaille.
Je suis certainement le moins qualifié pour exprimer un point de vue sur la
question, mais je voudrais être sûr que ce bon mouvement sera unanimement salué
dans les semaines qui viennent par le monde agricole.
Telle est l'observation, la mise en garde que je souhaitais, à titre
personnel, formuler.
L'article 29
bis
est un ajout de l'Assemblée nationale et c'est
nécessairement le fruit d'un travail de qualité, mais j'observe que l'Assemblée
nationale avait fixé la partie variable de la taxe à 0,19 % du chiffre
d'affaires et que, déjà, des amendements tendent à la porter à 0,21 %.
Heureusement, il n'y aura qu'une seule lecture à l'Assemblée nationale et au
Sénat, mais je vous laisse imaginer la pression qui pourra s'exercer demain sur
le Parlement pour voter le taux de cette taxe, qui faisait auparavant l'objet
d'un décret mais qui n'est plus parafiscale.
Chacun mesure la complexité de l'exercice...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très bien !
M. le président.
Monsieur Demerliat, l'amendement n° 44 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Demerliat.
Oui, monsieur le président.
M. le président.
La parole est à M. Marcel Deneux, pour explication de vote sur l'amendement n°
33 rectifié.
M. Marcel Deneux.
Je partage le point de vue de M. le président de la commission : la référence
devrait être la valeur ajoutée. Mais je profite de ce débat pour dire combien
il est aléatoire de parler de valeur ajoutée par branche en matière
d'agriculture, les sommes faramineuses que représentent aujourd'hui les aides
publiques anormales faussant la notion de chiffre d'affaires. Que l'on
continue, au ministère des finances, à publier des valeurs ajoutées par secteur
professionnel dans ces conditions est quelque peu aberrant !
Par ailleurs, j'aurais souhaité que M. le ministre réponde à ma question
relative à la non-exclusion.
Je vous avais en effet demandé, monsieur le ministre, s'il vous était possible
de me garantir que, dans le déroulement de cette affaire, le principe qui
guidera l'action de l'EPIC sera bien celui de la non-exclusion. Je crains que
des fonctionnaires que je connais bien ne disent : vous ne cotisez pas et vous
n'avez donc droit à rien.
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Nous sommes dans un pays où les élus doivent assumer
leurs responsabilités. Pour ma part, je n'ai aucune peur des fonctionnaires,
car je sais depuis longtemps qu'ils doivent obéir et qu'ils obéissent quand
ceux qui les commandent savent ce qu'ils veulent.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très bien !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
A l'issue de cette discussion, je souhaite constater
que le Sénat sait ce qu'il veut. Nous le verrons dans un instant, quand il
s'agira de décider si ceux dont le chiffre d'affaires est inférieur au seuil
que vous proposez doivent ou non payer.
Je ne sais pas, monsieur Deneux, si cela répondra à votre question mais je
tiens à vous dire que ne pas payer ne veut pas dire ne pas être
subventionné.
M. Marcel Deneux.
Ce n'est pas une subvention, ce sont des services que l'on rend !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Je ne représente pas le monde agricole, je représente
le Gouvernement, monsieur Deneux.
M. Marcel Deneux.
Il s'agit d'agents particuliers qui doivent rendre un service...
M. le président.
Monsieur Deneux, M. le ministre délégué a seul la parole.
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Monsieur Deneux, je vous ai proposé de reprendre ce
débat lors de l'examen de l'amendement n° 58 rectifié, qui, lui, est
applicable, alors que l'amendement que vous défendez actuellement est
inapplicable et je vous ai expliqué pourquoi.
Je veux bien que nous poursuivions ce marathon ou, si j'ose dire, ce parcours
du combattant. Je vous répète donc que ne pas être redevable ne veut pas dire
ne pas recevoir d'aide. Au contraire, on peut penser que les petits
agriculteurs sont ceux qui ont besoin d'aide pour se développer.
Cela étant, et je le dis sans acrimonie, est-il bien raisonnable de continuer
à discuter de deux amendements dont la rédaction est tellement imparfaite
qu'ils seraient inapplicables ?
M. le président.
Monsieur Deneux, M. le ministre délégué vous ayant répondu, acceptez-vous
maintenant de retirer l'amendement n° 33 rectifié ?
M. Marcel Deneux.
Monsieur le président, je le retire, mais je le fais sans passion.
M. le président.
L'amendement n° 33 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 44 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
L'amendement n° 34, présenté par M. Franchis, Mme Férat et M. Détraigne, est
ainsi libellé :
« A. - Dans le II du texte proposé par le A de cet article pour insérer un
article 302
bis
MB dans le code général des impôts, après les mots :
"des activités de sylviculture" insérer les mots "des activités de
viticulture".
« B. - En conséquence, à la fin du texte proposé par le A de cet article pour
insérer un article 302
bis
MB dans le code général des impôts, ajouter
un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - Une taxe forfaitaire, dans la limite de 76,22 euros, est due par les
producteurs de vin au moment du dépôt de la déclaration de récolte prévue à
l'article 407.
« Une taxe variable d'un montant maximum de 0,40 euro par hectolitre de vin
est due par la personne qui met le vin à la consommation au sens du
a
du
1° du 1 du I de l'article 302 D et du 3° du 1 du I du même article. Cette taxe
est liquidée dans les mêmes conditions que celles définies au 1 du III de
l'article 302 D.
« Un décret fixe le montant des cotisations. La cotisation sur les vins peut
varier suivant la catégorie des produits. » L'amendement n° 59, présenté par
MM. Mathieu, César et Etienne, est ainsi libellé :
« I. - Dans le II du texte proposé par le A de cet article pour l'article 302
bis
MB du code général des impôts, après les mots : "des activités de
sylviculture", ajouter les mots : ", des activités de viticulture". »
« II. - Après le B de cet article, insérer un B
bis
ainsi rédigé :
« B
bis. -
Dans le titre III du livre VIII du code rural, il est créé
un article L. 830-2 ainsi rédigé :
«
Art. L. 830-2. -
Il est créé au profit du centre technique
interprofessionnel dénommé ITV France, institué en application de la loi n°
48-1228 du 22 juillet 1948 modifiée, des cotisations qui, nonobstant leur
caractère obligatoire, demeurent des créances de droit privé.
« Une cotisation forfaitaire par exploitation dans la limite de 92 euros est
due par les producteurs au moment du dépôt de la déclaration de récolte prévue
à l'article 407 du code général des impôts.
« Une cotisation sur les vins d'un montant maximum de 0,40 euro par hectolitre
est due par la personne qui les met à la consommation au sens du
a
du 1°
du 1 du I de l'article 302 D du code général des impôts.
« Ces cotisations sont perçues par la direction générale des douanes et des
droits indirects aux frais de l'ITV France.
« Une partie du produit de cette cotisation ne pouvant excéder un tiers est
reversée à l'agence de développement agricole et rural instituée par l'article
L. 820-3.
« Un décret pris après avis de l'ITV France fixe le montant des cotisations.
La cotisation sur les vins peut varier suivant la catégorie des produits. »
La parole est à M. Serge Franchis, pour défendre l'amendement n° 34.
M. Serge Franchis.
Cet amendement s'inscrit dans la suite de l'institution d'un nouvel
établissement public chargé de la gestion du développement agricole, le centre
technique interprofessionnel de la vigne et du vin. Etant fortement concernée,
la filière agricole trouve ici l'occasion d'attirer à nouveau notre attention
sur le faible retour des taxes parafiscales payées par les viticulteurs à cet
institut technique, soit seulement 31 % de ce qu'ils versaient jusqu'ici à
l'ANDA, l'agence nationale pour le développement agricole.
Le nouvel établissement public sera financé par une taxe fixe à l'exploitation
et par une taxe non plafonnée assise sur le chiffre d'affaires des exploitants,
au lieu d'une taxe fixe et d'une taxe par produit dont le montant était fixé
par type de filières.
La viticulture de qualité va ainsi contribuer de manière plus importante au
financement de l'établissement, avec un retour proportionnellement plus
faible.
La filière subit de plein fouet une concurrence internationale de plus en plus
sévère. Elle devra relever plusieurs défis d'importance, notamment améliorer la
qualité des produits, accroître leur compétitivité et, surtout, disposer d'une
recherche pointue. La situation de la filière viticole française est menacée,
nous le savons.
Il semble que le Gouvernement se soit engagé, à l'Assemblée nationale, à faire
évoluer le dispositif voté sur deux points : plafonner l'augmentation de la
cotisation par exploitation à un maximum de 20 % et assurer un retour à la
filière d'un minimum de 66 %.
En effet, les simulations démontrent que, dans certaines régions, les
viticulteurs verront leur contribution augmenter dans des proportions allant
jusqu'à 300 %. L'inégalité sera d'autant plus accentuée que le champ de la taxe
se réduit fortement en faveur des sociétés de coopératives et des négociants :
alors que, jusqu'ici, ceux-ci s'acquittaient de la taxe ANDA, ils ne paieront
plus.
Ainsi, la taxe basée sur le chiffre d'affaires apparaît d'autant plus injuste
et inéquitable que le dispositif prévoit d'en exempter certaines sociétés. Cela
devrait conduire à une exemption de 60 % des exploitations viticoles
françaises, 40 % des exploitations - dont 57 % de vignerons indépendants -
assumant seules la charge, alors qu'il serait juste que toutes participent à
l'aide au développement agricole.
L'amendement n° 34 est un compromis puisqu'il ne tend ni à écarter la
viticulture du nouveau dispositif - et donc à l'exonérer de l'obligation de
solidarité - ni à créer une cotisation au profit direct du centre technique. Il
vise seulement à prévoir l'instauration d'une taxe spécifique pour la
viticulture, taxe assise sur les quantités de produits mises en circulation,
comme pour la taxe ANDA et non pas sur le chiffre d'affaires, afin de permettre
indirectement un retour vers le centre technique dans une juste proportion par
rapport à la contribution versée par la filière.
Dans l'amendement qui vous est proposé, la taxe forfaitaire est fixée à 76
euros, mais elle pourrait être majorée.
M. le président.
L'amendement n° 59 n'est pas soutenu.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 34 ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
L'amendement n° 34 vise d'abord à exclure la filière
viticole du paiement de la nouvelle taxe unique sur le chiffre d'affaires des
exploitants agricoles, ensuite à mettre en place une taxation spécifique de la
filière viticole en reconduisant le dispositif préexistant, à savoir une taxe
forfaitaire due par les producteurs de vins et une taxe sur les produits
viticoles.
L'exposé de notre collègue Serge Franchis montre d'ailleurs que le passage
d'un système à l'autre n'est pas sans soulever de nombreux problèmes.
Au demeurant, le monde agricole connaîtra le problème qu'ont rencontré
certaines collectivités locales lors du passage d'une assiette fiscale à une
autre. En fait, ceux à qui l'on demande moins ne disent rien, mais ceux à qui
l'on demande plus, voire beaucoup plus, se manifestent bruyamment. Il faut en
avoir conscience, ce ne sera pas nécessairement simple à gérer.
Monsieur Franchis, vous souhaitez donc réserver un traitement spécifique à la
filière viticole et, en quelque sorte, la désolidariser de l'ensemble de la
filière agricole pour lui permettre de gérer ses propres intérêts.
Vous comprendrez qu'il soit très difficile à la commission des finances de
trancher un tel débat. S'il est légitime que nous parlions des prélèvements
obligatoires, de la signification économique de tel ou tel prélèvement, des
effets pervers de telle ou telle base, sur la question de savoir si la filière
viticole doit être traitée en tant que telle par rapport à l'ensemble des
filières agricoles nous nous en remettons à ceux qui sont compétents, et sans
doute la commission des affaires économiques le serait-elle beaucoup plus que
nous.
Nous avons cru qu'il n'était pas de notre devoir non plus que de notre
responsabilité de contester l'architecture de l'article, c'est-à-dire le
montage lui-même, lequel exprime une certaine volonté de solidarité, en tout
cas d'unification et de remise en ordre de la gestion d'outils communs, et il
nous a semblé que la création d'une taxe viticole spécifique se trouvait, en
quelque sorte, en dehors des limites de l'épure définie par cet article.
Au demeurant, entre l'ancien et le nouveau système, et dans la viticulture de
qualité, c'est-à-dire pour les appellations d'origine contrôlée, le montant du
produit de la taxe rapporté au chiffre d'affaires passerait de 0,16 % à 0,19 %
pendant que la moyenne nationale passerait de 0,23 % à 0,21 %. Donc, à supposer
que, comme je le crois, que ces chiffres soient vrais, la situation de la
viticulture, du point de vue de l'équité, ne devrait pas poser de problèmes
insurmontables.
C'est donc dans le cadre de ce raisonnement, mes chers collègues, que s'est
située la commission des finances, et c'est la raison pour laquelle elle
sollicite le retrait de l'amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Je n'ai pas, tout à l'heure, fait écho à la remarque du
président Jean Arthuis. Je veux lui dire que prendre pour assiette le chiffre
d'affaires est la solution qui s'écarte le moins de la situation présente.
La situation présente n'est pas idéale, mais, comme je le disais dans mon
propos général, de deux choses l'une.
On peut estimer que le développement agricole est financé sur cotisation
volontaire des agriculteurs par et avec un système organisé par la profession
elle-même, auquel cas le Parlement n'a pas à s'en saisir et l'Etat à s'en
occuper.
M. Jean Arthuis,
président de la commission.
Ce serait le mieux !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Je vois que c'est la solution qui aurait votre
préférence. Elle ferait en tout cas gagner beaucoup de temps aux assemblées
parlementaires et épargnerait bien des soucis au Gouvernement !
M. Jean Arthuis,
président de la commission.
Tout à fait !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ce serait du libéralisme !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Ne prononcez pas de vilains mots, monsieur le
rapporteur général !
(Sourires.)
Cependant, monsieur Arthuis, ce n'est pas la solution qui a été préférée par
les organisaitons agricoles elles-mêmes. Elles sont en effet favorables - et
c'est la seconde solution - à un système sécurisé par l'Etat.
M. Jean Arthuis,
président de la commission.
Ce sont les technostructures qui veulent cela
!
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Dès lors, il faut trouver un mécanisme qui ne s'écarte
pas trop de la situation antérieure, situation dans laquelle les mécanismes de
cascade que vous évoquiez existaient déjà.
S'agissant de l'amendement n° 34, plusieurs parlementaires ont demandé soit
l'exclusion de la viticulture, soit un mode de financement particulier.
Cependant, l'Etat est le garant direct de l'équité, et, au nom du principe de
l'égalité devant l'impôt, il n'est pas possible d'exclure une filière - cela va
d'ailleurs dans le sens des préoccupations des organisations agricoles -, car
ce serait la remise en cause du principe de solidarité entre les filières qui
est le fondement même du système actuel, comme il le sera du futur système
Par ailleurs, il s'agit de moyennes. Globalement, la viticulture de qualité et
les autres viticultures passent d'une contribution ANDA de 15,25 millions
d'euros à une contribution ADAR de 15,72 millions d'euros, soit une progression
de 3 %, ce qui reste modeste.
Pour apaiser les inquiétudes, le Gouvernement introduit deux dispositifs
d'écrêtement pour limiter la contribution des exploitations les plus
dynamiques.
Par ailleurs, la filière viticole a sans doute besoin de l'aide au
développement agricole pour se moderniser. Je pense que son appartenance au
système est souhaitable, d'autant que les producteurs de vin de qualité
pourront bénéficier de davantage de financement.
Pour que l'information du Sénat soit complète, je veux insister sur le fait
qu'il existe actuellement une taxe sur le vin qui finance, par le biais de
l'ANDA, des activités de développement et de promotion effectivement
nécessaires à la filière viticole.
Voilà ce qui me conduit, monsieur Franchis, à vous demander le retrait de
votre amendement. A défaut, je serai contraint d'émettre un avis de rejet.
M. le président.
Monsieur Franchis, l'amendement est-il maintenu ?
M. Serge Franchis.
Je suis très embarrassé, car le risque d'une réaction très vive de la filière
viticole est élevé. La filière fait valoir qu'aucune concertation n'a eu lieu
avec un quelconque professionnel du secteur viticole et fait état d'une
injustice, car exempter 60 % des exploitations viticoles revient à demander à
40 % d'entre elles d'acquitter seules la taxe.
Par ailleurs, l'augmentation pourra atteindre 300 % dans certaines régions !
Ce sont des chiffres qui, légitimement, inquiètent.
J'entends bien les raisons invoquées par M. le ministre et M. le rapporteur
général, et je suis prêt à retirer mon amendement dans la mesure où mes
collègues ne l'adopteront pas mais je mets en garde le Gouvernement sur les
difficultés d'application d'une réforme que M. le président de la commission
des finances a lui-même jugée très délicate et peut-être insuffisamment
préparée.
M. Jean Arthuis,
président de la commission.
Absolument !
M. le président.
L'amendement n° 34 est retiré.
M. Yann Gaillard.
A défaut de pouvoir expliquer mon vote, je le reprends, monsieur le président
!
M. le président.
Il s'agit donc de l'amendement n° 34 rectifié.
La parole est à M. Yann Gaillard, pour le défendre.
M. Yann Gaillard.
Je ne reprends que provisoirement cet amendement, qui, je l'espère, ne sera
pas voté, car je tiens à dire que tout ce système est complètement absurde. On
a la démonstration de son inapplicabilité totale. A peine s'apprête-t-on à
créer une taxe sur le chiffre d'affaires que des branches - et des branches ô
combien importantes - veulent passer à une taxe à l'hectolitre, et ces branches
elles-mêmes se divisent.
Certains font valoir que leur région produit des vins de qualité, et
d'ailleurs la région que je représente ici, la Champagne, est, comme la
Bourgogne, très concernée par l'amendement n° 59, qui n'est pas défendu puisque
qu'aucun de ses auteurs n'est présent.
Je ne sais pas ce que le règlement nous permet de faire, mais, en
l'occurrence, c'est manifestement du très mauvais travail.
Par ailleurs, nous étions, nous, dans la branche sylvicole, très inquiets de
voir que l'agriculture allait de l'avant et que nous n'avions pas monté le même
dispositif. Je me réjouis, à cette heure, que nous ayons pris un temps de
retard, qui sera le temps de la réflexion.
(M. le rapporteur général
applaudit.)
M. Jacques Oudin.
C'est la sagesse !
M. Yann Gaillard.
Cela étant dit, je retire cet amendement.
M. le président.
L'amendement n° 34 rectifié est retiré.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Monsieur le président, je demande, avec l'accord de la
commission des finances, que, à la reprise de la séance, le Sénat examine par
priorité l'amendement n° 68 rectifié, déposé par le Gouvernement, qui prend en
compte tous les problèmes exposés dans les autres amendements présentés.
M. Jacques Oudin.
Bravo !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Ce sera plus clair ainsi. A défaut, nous risquerions de
nous engager dans un très long parcours du combattant, qui ne nous permettrait
pas d'avoir une vision globale des difficultés qui se présentent. Selon moi, il
est préférable de les traiter à la lumière d'un amendement. Je suis conscient
que, techniquement, celui-ci ne rendra pas les autres amendements sans objet ;
du moins éclairera-t-il le débat, pour autant que cela soit possible.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur cette demande de priorité ?
M. Jean Arthuis,
président de la commission.
Favorable. Cette priorité nous permettra de
donner une plus grande cohérence à nos travaux et, peut-être, d'en accélérer le
cours.
Il reste une cinquantaine d'amendements à examiner. C'est un peu la loi du
genre : le collectif budgétaire oscille entre le concours Lépine et
l'inventaire à la Prévert. Mais je lance un appel à celles et à ceux qui
participent à ce débat intéressant pour que nous puissions en accélérer le
rythme, car, si nous n'achevons pas nos travaux cette nuit à une heure trente,
nous devrons les reprendre en début de matinée demain.
(Mme Marie-Claude
Beaudeau s'exclame.)
Or j'insiste sur la difficulté qu'il y a à organiser
les travaux parlementaires en cette ultime semaine avant Noël. Si, ce soir,
nous pouvions accélérer le cours de nos discussions, nous rendrions alors
service au Sénat et à ceux qui ont pour mission d'organiser nos travaux en
séance publique.
M. Jacques Oudin.
Très bien !
M. le président.
Le président de séance s'associe à votre remarque, monsieur le président de la
commission.
Il n'y a pas d'opposition sur la demande de priorité formulée par le
Gouvernement ?...
La priorité est ordonnée.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.