SEANCE DU 16 DECEMBRE 2002
M. le président.
L'amendement n° 42 rectifié, présenté par MM. Boulaud, Miquel, Massion,
Moreigne, Sergent, Demerliat, Charasse, Lise, Haut, Marc, Angels, Auban et les
membres du groupe socialiste et rattachée, est ainsi libellé :
« Après l'article 37, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article L. 2334-24 du code général des collectivités territoriales
est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, le produit des
contraventions relevées par les agents de la police municipale, dans le cadre
du deuxième alinéa de l'article L. 2212-5 est perçu directement par les
communes. Il est porté en recette de leur budget de fonctionnement. »
« II. - Les pertes de recettes pour l'Etat sont compensées à due concurrence
par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et
575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. Didier Boulaud.
M. Didier Boulaud.
Le Sénat a déjà examiné cet amendement il y a une quinzaine de jours, à
l'occasion de la discussion du projet de loi de finances.
Il tend à ajouter au code général des collectivités locales un article
disposant que le produit des contraventions relevées par les agents de la
police municipale est directement perçu par les communes et porté en recette de
leur budget de fonctionnement. Les maires estiment en effet que le système
actuel, outre son incroyable complexité, présente l'inconvénient majeur de ne
pas tenir compte ou de ne tenir compte que très indirectement des efforts
consentis par les communes en matière de police du stationnement.
Or, pour les maires, la délivrance d'amendes de stationnement par la police
municipale représente un double coût : d'une part, un coût financier lié au
recrutement et à la rémunération des agents nécessaires ; d'autre part, un coût
politique découlant, parfois, du mécontentement des citoyens verbalisés. La
décision de s'engager sur la voie de la sévérité en matière de stationnement
constitue donc un vrai choix politique, et les maires qui assument à la fois
les coûts et les risques estiment légitime d'en récolter les fruits.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Nous avions effectivement évoqué cette même
proposition lors de l'examen de la première partie de la loi de finances. Le
ministre nous avait alors écoutés avec intérêt et bienveillance, nous
semblait-il, et, si je ne me trompe, nous avait proposé, au terme d'assez longs
échanges, d'y revenir lors du collectif, prenant acte du fait que nous étions
tous, lui et nous, de bonne volonté. Il avait donc supplié le Sénat de ne pas
inclure dans le projet de budget des dispositions qui n'étaient pas encore en
état d'y figurer.
Monsieur le ministre, peut-être la question a-t-elle évolué ? C'est en tout
cas le voeu que l'on peut formuler, au nom d'un certain nombre de communes.
Lors de cette séance consacrée à l'examen de la première partie du projet de
loi de finances, j'avais d'ailleurs suggéré à M. Boulaud de rectifier son
amendement en précisant : « A partir du 1er juin 2003, et dans les conditions
fixées par un décret, le produit des contraventions[...] est perçu directement
par les communes[...] » - la suite restant inchangée.
Ces dispositions semblaient avoir un caractère opérationnel, et, dès lors que
le Gouvernement ne nous a pas, à ce stade, soumis de rédaction alternative,
l'amendement présenté par M. Boulaud paraît pouvoir tout à fait légitimement
revenir en discussion.
Vous le savez, monsieur le ministre, nous souhaitons que les amendes qui sont
« distribuées », si je puis dire, par les policiers municipaux passent par un
circuit direct et ne suivent plus le circuit central de la comptabilité
publique.
Sous réserve des modifications que nous avions sollicitées lors de l'examen du
projet de loi de finances, la commission, qui continue d'avoir une approche
favorable de cette question, s'en remettra à la sagesse du Sénat.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Il est exact que j'avais demandé à Didier Boulaud de
bien vouloir retirer son amendement lors de la discussion du projet de loi de
finances, prenant l'engagement d'expertiser sa proposition. Cette expertise a
été effectuée et il en ressort malheureusement qu'un certain nombre de
problèmes demeurent, qui ne me permettent pas d'accepter son amendement
aujourd'hui.
Actuellement, le produit des amendes suit un circuit unique : l'Etat encaisse
le paiement des amendes que les contrevenants acquittent par timbre-amende ou
par chèque.
Votre amendement, monsieur Boulaud, vise les seules amendes encaissées par
chèque. Il tend à affecter directement à la comptabilité des communes le
montant des amendes forfaitaires réglées spontanément aux services
verbalisateurs. Les amendes réglées par timbre-amende demeureraient, elles,
traitées dans le cadre du circuit actuel. Ainsi l'amendement aurait-il pour
effet d'introduire un régime dual de traitement des amendes contraventionnelles
selon le type de paiement.
De plus, les amendes, devenues produits communaux, perdraient le bénéfice du
privilège du Trésor, qui ne pourrait être rétabli en phase de recouvrement
contentieux par les services de l'Etat.
Au-delà de ces difficultés techniques, votre proposition pose des problèmes de
fond. Mon collègue NicolasSarkozy, que j'ai consulté puisque cette question
relève au premier chef de sa compétence, observe que l'amendement entraînerait,
selon les éléments en sa possession, un bouleversement de la répartition du
produit des amendes entre les différentes collectivités.
A l'heure actuelle, le produit des amendes revient aux communes et aux
établissements publics de coopération intercommunale ayant la qualité
d'autorité organisatrice de transports en commun et il appartient au comité des
finances locales de répartir le produit entre ces catégories de collectivités,
étant précisé qu'il existe un régime particulier pour l'Ile-de-France.
Il serait problématique, aux yeux du ministre de l'intérieur, de modifier ces
modalités de répartition.
Plus fondamentalement, le ministre de l'intérieur prépare un ensemble de
mesures dans le cadre de la politique d'amélioration de la sécurité routière,
mesures dont les tragiques événements qui viennent de survenir démontrent
l'urgence. Certaines de ces mesures nouvelles auront précisément pour objet de
faciliter le recouvrement du produit des amendes.
Ainsi, techniquement, la disposition proposée par M. Boulaud n'aurait pas
l'efficacité qu'il en attend et ses effets pourraient même se révéler
contraires aux objectifs qu'il vise.
En outre, la loyauté m'oblige à lui dire qu'une réflexion est en cours en vue
de remanier l'ensemble du dispositif relatif à la sécurité routière.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Si une réflexion est en cours sur tous ces problèmes,
il est d'autant plus utile que l'on en parle ici, en amont, et c'est le mérite
de cet amendement que de nous y inciter.
Monsieur le ministre, le souci des communes dans leur ensemble - il faut le
dire au ministre de l'intérieur -, c'est que l'on passe au circuit direct, de
sorte que les amendes infligées par les polices municipales soient des produits
communaux. Voilà le souci des maires ! On ne peut pas sans cesse parler de
décentralisation, d'autonomie fiscale, d'autonomie de décision et, par toutes
sortes de décisions techniques, faire le contraire.
Bien sûr, nous comprenons qu'il existe un certain nombre de considérations de
bonne gestion, de séparation des circuits comptables, de garantie de
recouvrement. Mais les maires qui soulèvent cette question considèrent que la
police municipale est un service qui est à leur disposition, qui est placé sous
leur responsabilité et sous leur commandement, à la différence des
commissariats de police. Ils considèrent que la politique de verbalisation est
leur politique, dans le cadre des pouvoirs qui leur sont délégués et qui sont
définis par la loi. Ils considèrent que, de ce fait, le choix de verbaliser
plus ou moins est leur choix, un choix politique qui leur appartient en vertu
de l'autonomie communale.
Permettez-moi, monsieur le ministre, d'y insister car, à travers cet
amendement, c'est la sensibilité des maires, toutes tendances confondues, qui
s'exprime.
Le ministre de l'intérieur, que nous savons si attaché à la décentralisation,
doit tenir compte de cette volonté. On ne peut pas diviser la décentralisation
: c'est un état d'esprit. Ne nous a-t-on pas suffisamment dit que ce qui
pouvait être fait sur le plan local ne devait pas être fait ailleurs ? Eh bien,
il faut appliquer aussi ce précepte au domaine qui nous occupe en cet instant !
Il faut cesser de considérer que tout cela doit passer par des circuits
comptables compliqués et par une sorte d'aréopage distingué, en l'occurrence le
comité des finances locales. Vraiment, avec la décentralisation, tout cela
n'est pas nécesaire ! Qu'on n'oublie pas l'impératif de simplification de
l'Etat ! Qu'on n'oublie pas la nécessité de prendre le plus possible de
décisions au plus près du terrain.
De ce point de vue, croyez-moi, entre un certain nombre de maires, un même
langage peut s'établir. Le maire de Nevers, celui de Compiègne ou celui de
Saint-Quentin, certes, ne siègent pas sur les mêmes travées, mais ils ont, dans
l'ensemble, la même conception de leurs responsabilités.
Il se peut que, dans l'immédiat, tout ne soit pas absolument mûr pour le vote
de cet amendement. Il appartiendra à notre collègue Didier Boulaud de décider
s'il le retire ou non. Mais, monsieur le ministre, très solennellement et avec
conviction, je vous demande de transmettre à votre collègue ministre de
l'intérieur le souci des maires tel qu'il a été exprimé ici au Sénat.
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Je serai, bien sûr, fidèle à l'appel du rapporteur
général.
Il le sait, j'ai été maire assez longtemps. Lui l'est toujours. Je ne suis pas
sûr qu'il puisse me dire quel est le produit des contraventions qui sont
infligées dans sa ville.
Je voudrais également que chaque sénateur ici présent ne s'imagine pas que, du
fait de l'adoption de cet amendement, le produit de ces contraventions se
trouverait accru. Car ce produit n'est pas extensible à l'infini.
Nous sommes en fait, à l'heure où nous parlons, totalement incapables de
savoir ce qu'il en serait demain si le produit des amendes était encaissé
directement. Je ne peux donc, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous
recommander de mieux mesurer quel serait l'effet de la mesure.
En tout cas, monsieur le rapporteur général, je ne m'oppose en rien à votre
préoccupation. Je ne fais que fidèlement vous transmettre ce que le ministre de
l'intérieur m'a demandé de vous dire et je lui transmettrai avec la même
fidélité ce que vous venez de me dire. Ce soir, je suis votre télégraphiste !
(Sourires.)
Après votre vibrant plaidoyer, je tiens cependant à vous mettre en garde : il
ne faudrait pas que ce plaidoyer soit interprété comme la promesse faite à
chaque maire qu'il encaissera davantage.
M. le président.
Monsieur Boulaud, l'amendement est-il maintenu ?
M. Didier Boulaud.
Monsieur le ministre, j'ai fait calculer, dans ma ville, Nevers, le produit
des amendes distribuées par la seule police municipale, étant entendu que les
gendarmes et la police d'Etat verbalisent également sur le territoire de la
commune. Les amendes distribuées par la police municipale représentent
actuellement un produit de 900 000 francs sur un montant total d'amendes qui
s'établit, après péréquation, à 1,5 million de francs. Autrement dit, les
seules amendes infligées par la police municipale ne font pas le « plein ».
Je vous ai bien entendu, monsieur le ministre, évoquer un certain nombre de
difficultés juridiques ou administratives. C'est d'ailleurs l'un des arguments
qui a été opposé à nos collègues de l'Assemblée nationale qui avaient présenté
une proposition de même nature.
Permettez-moi de m'étonner qu'on nous oppose ces difficultés administratives
alors que le préfet de la Nièvre m'a récemment indiqué qu'à partir du 1er
janvier 2003 je serais tenu de mettre en place une régie de recettes dans mon
propre service de police municipale. Je lui ai fait savoir que je n'étais pas
enchanté de cette mesure qui m'impose de recruter une personne supplémentaire
pour recevoir le public et pour traiter les amendes. Voici ce qu'il m'a
notamment répondu :
« Enfin, l'arrêté interministériel du 29 mars 2002 modifiant l'arrêté
interministériel du 29 juillet 1993 permet dorénavant aux préfets de créer des
régies de recettes de l'Etat dans les services de police municipale.
« Dans ces conditions, les services de la police nationale, à l'instar des
services de gendarmerie, étant susceptibles de ne plus encaisser les amendes de
police à compter de début 2003, il vous est possible de me proposer » - j'aime
la formule ! - « la création d'une régie de recettes de l'Etat dans vos
services de police municipale.
« A cette fin, quelques précisions peuvent déjà être apportées :
« - en ce qui concerne l'approvisionnement en carnets de verbalisation et en
carnets d'encaissement immédiat, les services municipaux s'approvisionneront
auprès de l'imprimerie de leur choix ;
« - à partir du 1er janvier 2003, les carnets de verbalisation seront
personnalisés par le remplacement des cinq premiers chiffres, situés à gauche.
Le code INSEE de la commune ayant créé la police municipale apparaîtra à cet
emplacement.
« Pour accompagner cette démarche, le ministère de l'intérieur met
gracieusement à disposition des polices municipales l'application Win-A.F., qui
permet de tenir une gestion des carnets de verbalisation, d'enregistrer les
paiements, de transmettre au secrétariat des officiers du ministère public les
amendes impayées et/ou passibles de retraits de points et d'établir
automatiquement un bordereau de chèques destiné à la trésorerie...
« Mes services faisant actuellement le point sur les communes intéressées par
l'application Win-A.F. dans le cadre de la création de régies de recettes de
l'Etat dans leurs services de police municipale, je vous remercie de me faire
part de votre position aussi rapidement que possible. »
En fait, l'Etat a tout prévu pour que, à partir du 1er janvier 2003, les
communes soient en situation de mettre en place des régies de recettes et de
lever les obstacles auxquels le ministre de l'intérieur fait allusion.
Autrement dit, il semble oublier que ses propres services ont déjà mis en place
tout ce qu'il fallait pour que nous soyons en capacité d'être autonomes.
Cela étant, monsieur le président, je maintiens mon amendement.
M. le président.
La parole est à M. Yann Gaillard, pour explication de vote.
M. Yann Gaillard.
Je m'abstiendrai sur cet amendement parce que je suis partagé entre deux
considérations, comme l'âne de Buridan.
(Sourires.)
D'un côté, je suis sensible aux arguments « autonomistes » de
M. le rapporteur général
(nouveaux sourires)
et, d'un autre côté, j'ai peur que les communes ne
s'exposent à l'accusation de taxer un peu plus lourdement les contrevenants,
non pas pour des raisons de sécurité routière, mais pour nourrir leur
budget.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 42 rectifié.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, après l'article 37.
Mes chers collègues, je vous fais observer qu'il nous reste douze amendements
à examiner. Or je devrai impérativement lever la séance avant une heure trente.
Il va de soi que si, alors, la discussion de ce texte n'est pas achevée, la
suite sera reportée à la prochaine séance, à seize heures.
Je vous invite donc à faire un effort de concision.
L'amendement n° 20, présenté par Mme Létard et M. Badré, est ainsi libellé
:
« Après l'article 37, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans la deuxième phrase du premier alinéa du IV de l'article L. 5211-30 du
code général des collectivités territoriales, sont supprimés les mots : "s'il
était compétent pour la gestion des moyens affectés au service départemental
d'incendie et de secours à la date de promulgation de la loi n° 96-369 du 3 mai
1996 relative aux services d'incendie et de secours". »
La parole est à Mme Valérie Létard.
Mme Valérie Létard.
C'est un amendement d'appel.
Les communautés d'agglomération qui ont choisi d'intégrer les services
d'incendie et de secours se trouvent pénalisées par le fait que les dépenses
afférentes, d'un montant souvent très significatif, sont considérées comme des
dépenses de transfert. Elles pénalisent donc le coefficient d'intégration
fiscale et, par voie de conséquence, diminuent le montant de la dotation
d'intercommunalité prévue à l'article L. 5211-28 du code général des
collectivités territoriales.
Cet amendement tend à exclure les dépenses effectuées par un établissement
public de coopération intercommunale au titre des services d'incendie et de
secours, quelle que soit la date à laquelle cette compétence a été prise.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Toutes ces questions seront examinées dans le cadre
du rapport du Gouvernement sur le coefficient d'intégration fiscale, prévu par
l'article 58
septies
du projet de loi de finances pour 2003.
La préoccupation de notre collègue est certainement justifiée, mais le
problème qu'elle soulève sera traité dans ce cadre.
Dans l'attente de ce rapport et d'une évaluation globale de la question, Mme
Létard pourrait accepter de retirer son amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Je demande également à Mme Létard de bien vouloir
retirer son amendement.
M. le président.
L'amendement n° 20 est-il maintenu, madame Létard ?
Mme Valérie Létard.
Compte tenu de ces précisions, je le retire, monsieur le président.
M. le président.
L'amendement n° 20 est retiré.
Article 38