M. le président. « Art. 1er. - Il est inséré, après l'article 132-75 du code pénal, un article 132-76 ainsi rédigé :
« Art. 132-76. - Les peines encourues pour un crime ou un délit sont aggravées lorsque l'infraction est commise à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
« La circonstance aggravante définie au premier alinéa est constituée lorsque l'infraction est précédée, accompagnée ou suivie de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature portant atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime ou d'un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »
L'amendement n° 3, présenté par M. Bret, Mmes Borvo, Mathon et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« I. - Dans le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-76 du code pénal, supprimer les mots : ", une race".
« II. - Dans le second alinéa du même texte, supprimer les mots : ", une race". »
La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Chacun s'accorde à reconnaître que le concept de race, validé au siècle dernier, ne repose sur aucune réalité scientifique, en particulier biologique. Il n'a donc plus aucune légitimité.
Son interprétation a permis la haine et les pires atrocités, le fascisme, qu'il soit nazi, mussolinien ou franquiste, ayant consacré la notion de « races inférieures », « races » qu'il fallait par conséquent éliminer.
L'utilisation de ce concept fait encore aujourd'hui courir de grands dangers en alimentant le rejet de l'autre et de la différence. Elle va à l'encontre du texte que nous examinons aujourd'hui.
Il est de la responsabilité du législateur de prendre en compte les réalités des recherches scientifiques, de contribuer à lutter contre l'ignorance et de faire avancer les consciences. Chacun sait que le regard que l'on porte sur l'autre dépend pour beaucoup de la connaissance que nous en avons. Une grande détermination politique et pédagogique est nécessaire pour parvenir à modifier ce regard. Aussi, puisque le texte qui nous est proposé vise à renforcer le combat antiraciste, sans caricature, il serait positif, à cette occasion, d'en finir, dans notre droit, avec ce qui n'est qu'une construction intellectuelle dangereuse.
Nous n'ignorons pas qu'une telle décision ne réglera pas le problème, mais elle marquerait une ambition profonde du législateur. De plus, en consacrant dans la loi l'illégitimité du concept de race, elle contribuerait à faire évoluer les mentalités.
J'ai bien entendu les réponses faites par M. le ministre aux députés, ou encore celles du rapporteur du Sénat, à savoir qu'une telle suppression est matériellement extrêmement compliquée, les textes incluant le terme de « race » étant très nombreux et figurant parmi les textes les plus fondamentaux. Ce serait donc l'ensemble de nos textes juridiques qu'il faudrait revoir. Mais je pense qu'il nous faut surmonter cette difficulté. Je fais confiance à la compétence de nos collègues juristes, comme M. Gélard, pour nous y aider.
Il est extrêmement important qu'en ce domaine le législateur ouvre la voie.
J'ajoute que nous avons déposé ce même amendement destiné à supprimer le mot « race » sur tous les articles concernés ; aussi les éléments que je viens de donner, monsieur le président, valent-ils pour l'ensemble de nos amendements.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. M. Bret soulève, dans cet amendement, une vraie question. Depuis une cinquantaine d'années, les progrès scientifiques ont en effet permis de démontrer qu'il existe non pas des races, mais une seule race, la race humaine, et que nous sommes tous pareils, même si nous sommes différents d'apparence, puisqu'il y a des grands, des petits, des plus colorés que d'autres.
Le problème est que certains ne le croient pas. En faisant disparaître de notre droit le mot « race » et, par la même occasion, la notion de racisme, je crains que nous n'atteignions pas le but recherché.
De plus, ce terme figure dans tous nos textes fondamentaux, qu'il s'agisse de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, du préambule de la Constitution de 1946, de la Constitution elle-même, sans oublier les textes internationaux, tels que la Convention européenne des droits de l'homme ou la Déclaration universelle des droits de l'homme.
Les constitutions récentes, en particulier celles des pays qui demandent à adhérer à l'Union européenne, font toutes état de cette notion de race, non pas pour en reconnaître l'existence, mais pour stigmatiser les comportements racistes.
En conséquence, la suppression dans tous les textes du mot « race », qui, c'est vrai, n'a pas de fondement scientifique, risquerait d'aller à l'encontre de l'objectif que vous vous êtes fixé. C'est la raison pour laquelle, monsieur Bret, en attendant une réflexion ultérieure plus approfondie, qui pourrait d'ailleurs être menée dans un cadre européen et non plus simplement national, je vous demande de retirer cet amendement, ainsi que les amendements n°s 5, 7, 9, 11, 13, 15, 17 et 19 qui sont de même nature ; sinon, je serai malheureusement obligé d'émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Le Gouvernement a le même avis que la commission.
M. le président. Monsieur Bret, l'amendement n° 3 est-il maintenu ?
M. Robert Bret. Oui, monsieur le président.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par M. Bret, Mmes Borvo, Mathon et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« I. - Compléter le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-76 du code pénal par les mots : ", ou à raison de l'identité sexuelle ou de l'orientation sexuelle, vraies ou supposées de la victime".
« II. - Compléter le second alinéa du même texte par les mots : ", ou à raison de l'identité sexuelle ou de l'orientation sexuelle, vraies ou supposées de la victime". »
La parole est M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Je ne peux que me féliciter que l'Assemblée nationale ait voté, hier soir, dans le cadre du débat sur le projet de loi pour la sécurité intérieure, un amendement condamnant les propos et les actes visant des personnes en raison de leur orientation sexuelle, même si nous pensons qu'il eût été préférable qu'une telle disposition soit adoptée dans le texte de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
Nous savons tous que, malgré l'institution du pacte civil de solidarité et la reconnaissance sociale qu'il constitue pour leur couple, les homosexuels demeurent exposés à des discriminations, des violences ou des discours de haine. Les manifestations d'intolérance à l'égard tant des homosexuels que des transsexuels sont nombreuses. L'agression du maire de Paris est, à ce titre, emblématique.
Jusqu'à hier, la loi ne les protégeait pas. Si la République n'a pas le droit de s'immiscer dans la vie privée de ses citoyens, et encore moins de les juger, elle a la responsabilité d'accorder à tous sa protection, de permettre à chacun de bénéficier de nouveaux droits et libertés. Il est donc positif qu'elle considère aujourd'hui l'homophobie comme contraire à l'ordre public.
Nous allons ainsi dans le sens de nombreux textes rédigés dans le cadre des institutions européennes.
Par exemple, le 8 février 1994, une résolution du Parlement européen sur « l'égalité de droits homosexuels et des lesbiennes dans la Communauté européenne » invitait à mettre un terme, entre autres, « à toute discrimination au niveau du droit pénal, civil, du droit contractuel général et du droit économique ».
De même, dans une recommandation du 30 octobre 1997 sur le « discours de haine », le Conseil de l'Europe invitait les Etats membres à entreprendre des actions appropriées visant à combattre ce type de discours qui « mine la sécurité démocratique, la cohésion culturelle et le pluralisme ».
Une résolution du Parlement européen du 17 septembre 1998 demandait aux Etats de l'Union européenne de respecter les droits humains des homosexuels.
Enfin, l'article 13 du traité de Rome, modifié par le traité d'Amsterdam, dispose que le Conseil de l'Union européenne peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle.
Le combat contre toute forme de discrimination, pour l'égalité des droits, pour l'acceptation des différences doit être mené avec une grande détermination. Nous, parlementaires, avons la responsabilité d'y contribuer.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'attire tout de même votre attention sur un problème : l'Assemblée nationale a inséré dans le code pénal un article 132-76 qui prévoit une circonstance aggravante constituée pour l'intention homophobe de l'auteur de l'infraction. L'article 1er du texte que nous examinons ce soir tend également à insérer dans le code pénal un article 132-76 dans lequel n'est pas mentionnée une intention de cette nature, sauf à adopter notre amendement !
Cela montre que le travail dans l'urgence comme la volonté d'adopter à tout prix un texte conforme ne sont pas les meilleures conditions pour travailler. Si vous persistez, il sera en effet nécessaire d'insérer une nouvelle numérotation pour surmonter cette contradiction !
Cela étant, dans les circonstances présentes, nous sommes prêts à retirer cet amendement n° 4, de même que les amendements n°s 6, 8, 10, 12, 14, 16, 18 et 20, qui sont rédigés en termes identiques mais qui s'appliquent à d'autres articles de cette proposition de loi.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. Les amendements n°s 4, 6, 8, 10, 12, 14, 16, 18 et 20, déposés par M. Bret et les membres de son groupe, posent effectivement un problème qui a été évoqué lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale, et plusieurs des amendements qui avaient été déposés sur le même thème ont été retirés, précisément pour garder au texte son caractère. Certes, la lutte contre l'homophobie est une préoccupation importante, mais je rappelle que l'Assemblée nationale, on l'a dit, vient d'adopter sur cette question une disposition dans le cadre du projet de loi pour la sécurité intérieure.
Ce texte sera examiné le 4 février prochain en commission mixte paritaire. Le problème de numérotation soulevé par M. Bret sera réglé à cette occasion et ne se posera donc plus.
Mais un autre problème est plus gênant : si nous adoptions une autre disposition que celle qui est en cours d'examen devant l'Assemblée nationale et qui sera étudiée par la commission mixte paritaire - dont vous faites, je crois, partie, monsieur Bret - nous retarderions l'entrée en vigueur du présent texte.
C'est la raison pour laquelle, monsieur Bret, je vous demande une nouvelle fois de retirer l'ensemble des amendements portant sur l'homophobie. Il s'agit non pas de renoncer à résoudre ce problème, mais de rester dans la ligne de l'Assemblée nationale et d'avoir une attitude cohérente. A défaut, je serais obligé d'émettre, sur cet amendement, un avis défavorable. J'ajoute que ma réponse est valable pour l'ensemble des amendements de même nature.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Le Gouvernement partage l'avis de la commission.
M. le président. L'amendement n° 4 est-il maintenu, monsieur Bret ?
M. Robert Bret. Je le retire, monsieur le président, et je confirme que je retire également les amendements n°s 6, 8, 10, 12, 14, 16, 18 et 20.
M. le président. Les amendements n°s 4, 6, 8, 10, 12, 14, 16, 18 et 20 sont retirés.
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
M. le président. Je constate que cet article a été adopté à l'unanimité des suffrages exprimés.
M. le président. « Art. 2. - Avant le dernier alinéa de l'article 221-4 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 6° A raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »
L'amendement n° 5, présenté par M. Bret, Mmes Borvo, Mathon et les membres du groupe communiste républicain et citoyen est ainsi libellé :
« Dans le texte proposé par cet article pour insérer un alinéa (6°) dans l'article 221-4 du code pénal, supprimer les mots : "une race". »
La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Du fait du vote intervenu à l'article 1er, cet amendement n'a plus d'objet, monsieur le président, de même que les amendements n°s 7, 9, 11, 13, 15, 17 et 19, qui sont rédigés en termes identiques mais qui s'appliquent à d'autres articles de cette proposition de loi.
M. le président. Je vous en donne acte, monsieur Bret.
Je rappelle que l'amendement n° 6 a été retiré.
Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
M. le président. Je constate que cet article a été adopté à l'unanimité des suffrages exprimés.
M. le président. « Art. 3. - Après le sixième alinéa de l'article 222-3 du même code, il est inséré un 5° bis ainsi rédigé :
« 5° bis A raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; ».
Je rappelle que l'amendement n° 7 n'a plus d'objet et que l'amendement n° 8 a été retiré.
Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 est adopté.)
M. le président. Je constate que cet article a été adopté à l'unanimité des suffrages des suffrages exprimés.
Article 4
M. le président. « Art. 4. - Après le sixième alinéa de l'article 222-8 du même code, il est inséré un 5° bis ainsi rédigé :
« 5° bis A raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; ».
Je rappelle que l'amendement n° 9 n'a plus d'objet et que l'amendement n° 10 a été retiré.
Je mets aux voix l'article 4.
(L'article 4 est adopté.)
M. le président. Je constate que cet article a été adopté à l'unanimité des suffrages exprimés.
Article 5
M. le président. « Art. 5. - Après le sixième alinéa de l'article 222-10 du même code, il est inséré un 5° bis ainsi rédigé :
« 5° bis A raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; ».
Je rappelle que l'amendement n° 11 n'a plus d'objet et que l'amendement n° 12 a été retiré.
Je mets aux voix l'article 5.
(L'article 5 est adopté.)
M. le président. Je constate que cet article a été adopté à l'unanimité des suffrages exprimés.
Article 6
M. le président. « Art. 6. - Après le sixième alinéa de l'article 222-12 du même code, il est inséré un 5° bis ainsi rédigé :
« 5° bis A raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; ».
Je rappelle que l'amendement n° 13 n'a plus d'objet et que l'amendement n° 14 a été retiré.
Je mets aux voix l'article 6.
(L'article 6 est adopté.)
M. le président. Je constate que cet article a été adopté à l'unanimité des suffrages exprimés.
Article 7
M. le président. « Art. 7. - Après le sixième alinéa de l'article 222-13 du même code, il est inséré un 5° bis ainsi rédigé :
« 5° bis A raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; ».
Je rappelle que l'amendement n° 15 n'a plus d'objet et que l'amendement n° 16 a été retiré.
Je mets aux voix l'article 7.
(L'article 7 est adopté.)
M. le président. Je constate que cet article a été adopté à l'unanimité des suffrages exprimés.
Article 8
M. le président. « Art. 8. - L'article 322-2 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l'infraction définie au premier alinéa de l'article 322-1 est commise à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la personne propriétaire ou utilisatrice de ce bien à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, les peines encourues sont également portées à trois ans d'emprisonnement et à 45 000 euros d'amende. »
Je rappelle que l'amendement n° 17 n'a plus d'objet et que l'amendement n° 18 a été retiré.
Je mets aux voix l'article 8.
(L'article 8 est adopté.)
M. le président. Je constate que cet article a été adopté à l'unanimité des suffrages exprimés.
Article 9
M. le président. « Art. 9. - L'article 322-3 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l'infraction définie au premier alinéa de l'article 322-1 est commise à l'encontre d'un lieu de culte, d'un établissement scolaire, éducatif ou de loisirs ou d'un véhicule transportant des enfants, les peines encourues sont également portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende. » - (Adopté à l'unanimité.)
Article 10
M. le président. « Art. 10. - Après le troisième alinéa de l'article 322-8 du même code, il est inséré un 3° ainsi rédigé :
« 3° Lorsqu'elle est commise à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la personne propriétaire ou utilisatrice du bien à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »
Je rappelle que l'amendement n° 19 n'a plus d'objet et que l'amendement n° 20 a été retiré.
Je mets aux voix l'article 10.
(L'article 10 est adopté.)
M. le président. Je constate que cet article a été adopté à l'unanimité des suffrages exprimés.
Article additionnel après l'article 10
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Mercier, est ainsi libellé :
« Après l'article 10, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans la dernière phase du premier alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale, après les mots : "du code pénal" sont insérés les mots : "ou lorsque l'infraction est commise à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une race ou une religion déterminée". »
Cet amendement n'est pas soutenu.
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. L'amendement n° 21, présenté par M. Bret, Mmes Borvo, Mathon et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Rédiger comme suit l'intitulé de la proposition de loi :
« Proposition de loi visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite, xénophobe ou homophobe. »
Monsieur Bret, puis-je considérer, par coordination, que cet amendement n'a également plus d'objet ?
M. Robert Bret. Bien entendu, monsieur le président.
M. le président. En conséquence, l'intitulé de la proposition de loi n'est pas modifié.
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Nicole Borvo, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo. Je regrette que, pour adopter sans modification la proposition de loi au motif d'appliquer sans délai un texte nécessaire, on n'ait pas pris en considération les amendements que nous avons déposés et qui me paraissaient tout à fait justifiés dans une loi de ce type, à moins qu'il ne s'agisse d'une loi de circonstance.
Monsieur le garde des sceaux, je regrette aussi que vous ayez considéré inopportun pour un groupe politique le fait de dire ce que nous disons depuis la discussion des lois sur la sécurité - nous voudrions avoir tort ! -, à savoir qu'un certain nombre des mesures qui sont prises ne peuvent que favoriser les discriminations, les exclusions et les manifestations de racisme.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe de l'Union centriste approuve cette proposition de loi présentée par M. Pierre Lellouche. Certes, elle ne couvre pas entièrement le champ des attitudes et, en particulier, les injures qui constituent la majeure partie des actes racistes, mais elle tient compte de l'évolution très inquiétante des actions violentes racistes, xénophobes et antisémites.
Le présent texte aggrave les peines pour les infractions les plus violentes, les plus intolérables. Porter atteinte à une personne ou à des biens en raison de son appartenance ou, comme le prévoit très justement la proposition de loi, de la non-appartenance à une race, une ethnie ou une religion est un acte grave. C'est en tous points contraire à nos principes républicains.
L'actualité internationale est étroitement liée à la fréquence de ces infractions. Le Parlement fait preuve de réalisme en acceptant d'examiner la situation telle qu'elle est. Ne fermons pas les yeux devant la recrudescence des actes antisémites et xénophobes ! Ce serait banaliser des actes intolérables et donner raison à ceux qui commettent de telles infractions.
Il s'agit aujourd'hui de rattraper le retard pris par rapport aux droits européen et international. En effet, le droit français sanctionne principalement les discriminations et les délits commis par voie de presse et ne comporte pas de dispositions spécifiques destinées à sanctionner plus sévèrement les infractions à caractère raciste. Le texte vient modifier cette situation.
Comme le souligne notre rapporteur Patrice Gélard, d'autres évolutions mériteraient d'être envisagées : le champ d'application de la proposition de loi pourrait être étendu à d'autres infraction, comme le vol.
Toutefois, cette proposition de loi constitue une véritable avancée juridique. C'est pourquoi le groupe de l'Union centriste la votera.
M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.
M. Laurent Béteille. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dans un contexte marqué par les attentats du 11 septembre 2001 et par le durcissement du conflit israélo-palestinien, à l'heure où d'aucuns agitent, à tort, l'épouvantail d'un choc probable entre des civilisations et des religions, un constat s'impose, et chaque orateur l'aura rappelé au sein de cette Haute Assemblée : le racisme et l'antisémitisme progressent, en France, sur un terreau très fertile, celui de la haine et de la peur.
Cependant, il ne faudrait pas croire que ces actes racistes et antisémites sont un fait nouveau sur notre territoire. Ils sont depuis fort longtemps une bien triste réalité, même s'ils étaient assurément moins nombreux voilà quelques années et, en tout cas, moins médiatisés.
La faiblesse de la réponse face à des actes aussi inqualifiables était jusqu'à présent patente. Il était donc temps de réagir, car aujourd'hui est en jeu la préservation de valeurs aussi essentielles que l'unicité de la République et l'égalité des citoyens. Il y va de l'image de la France dans le monde.
Cette nécessaire réaction est illustrée par la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui. Notre groupe tient d'ailleurs à rendre un chaleureux hommage à MM. Pierre Lellouche et Jacques Barrot, qui ont été à l'initiative de ce texte.
Cette proposition de loi va permettre de punir plus sévèrement les auteurs d'infractions lorsque celles-ci revêtent un caractère raciste ou antisémite. Le message est clair : le racisme, tel qu'il a été utilement défini par l'Assemblée nationale, est pénalement hors-la-loi. Il constitue une circonstance aggravante.
Nous souscrivons pleinement à cette évolution salutaire de notre droit pénal. Le droit doit se calquer sur l'évolution de la société. Si le racisme et l'antisémitisme gagnent du terrain, la responsabilité du législateur est d'entraver cette évolution négative de notre société et d'envoyer un signal fort.
Notre groupe tient à féliciter pour sa sagesse M. Patrice Gélard, rapporteur, qui a proposé d'adopter ce texte conformément à la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale. Les travaux de cette dernière ont en effet été satisfaisants, et ce texte, qui nécessite une application rapide, n'a pas besoin d'être modifié davantage. Une révision approfondie aurait nécessité trop de temps, dans un contexte où il est urgent de donner le signal fort dont je parlais tout à l'heure.
En résumé, notre groupe approuve totalement l'initiative de nos deux collègues du groupe UMP de l'Assemblée nationale visant à adresser un message clair - celui de la ferme répression - aux auteurs d'infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe. C'est pourquoi il votera conforme la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.)
M. le président. Je constate que ce texte a été adopté à l'unanimité des suffrages exprimés, et je m'en réjouis.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt-deux heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
SERVICES DE PROXIMITÉ EN ZONE RURALE
Adoption des conclusions négatives
du rapport d'une commission
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 129, 2002-2003) de M. Gérard Le Cam, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan, sur la proposition de loi (n° 292, 2001-2002), de MM. Gérard Le Cam, François Autain, Jean-Yves Autexier, Mmes Marie-Claude Beaudeau, Marie-France Beaufils, M. Pierre Biarnès, Mmes Danielle Bidard-Reydet, Nicole Borvo, MM. Robert Bret, Yves Coquelle, Mmes Annie David, Michelle Demessine, Evelyne Didier, MM. Guy Fischer, Thierry Foucaud, Paul Loridant, Mmes Hélène Luc, Josiane Mathon, MM. Roland Muzeau, Jack Ralite, Ivan Renar, Mme Odette Terrade et M. Paul Vergès tendant à préserver les services de proximité en zone rurale.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Le Cam, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après le débat passionnant que nous venons d'avoir sur la politique de la montagne, nous abordons maintenant une problématique connexe, qui touche un champ économique apparemment plus réduit - le commerce -, mais un territoire plus large - l'espace rural - qui englobe, au demeurant, la montagne.
La proposition de loi que j'avais déposée, avec mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen, l'an dernier, avait pour ambition de contribuer à préserver, voire à relancer l'activité commerciale de proximité dans les zones rurales.
Ce texte visait ainsi à instituer un revenu minimum de maintien d'activité au profit des commerçants installés dans les communes de moins de mille habitants, leur permettant de percevoir une allocation différentielle si les revenus tirés de leur activité commerciale était insuffisants. D'un montant maximum égal au revenu minimum d'insertion - soit 411,70 euros depuis le 1er janvier dernier - cette allocation avait pour vocation de leur garantir la perception d'un revenu net de 1 016 euros.
Avant de vous présenter les conclusions négatives de votre commission des affaires économiques, je souhaite rapidement recadrer, à titre personnel, les termes du débat en ce qui concerne l'opportunité de ce texte et la prétendue originalité du principe de solidarité qu'il mettait en oeuvre, avant d'évoquer en quelques mots le dispositif nouveau qu'il m'avait semblé judicieux de soumettre à mes collègues de la commission.
Le premier point concerne l'opportunité de la proposition de loi.
De nombreuses mesures sont déjà mises en oeuvre pour soutenir le commerce de proximité soit de manière générale, soit de manière spécifique en faveur des zones rurales. Je citerai les aides à l'investissement ou les exonérations de charges dans le cadre du zonage européen conditionnant le soutien du fonds européen de développement régional, le FEDER, ou les zonages nationaux du type « territoires ruraux de développement prioritaire » ou « zones de revitalisation rurale ». Je citerai encore les soutiens nationaux et régionaux au titre du fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce, le FISAC, au titre des fonds locaux d'adaptation du commerce rural et des procédures de contrat de plan Etat-région. Je citerai enfin le soutien direct des collectivités territoriales, notamment par le biais de la propriété des murs mis à disposition gracieusement, sans oublier les initiatives locales mobilisant les collectivités territoriales et les organismes consulaires, notamment.
Tous ces dispositifs ne manquent certainement pas d'intérêt, et il ne saurait être question de les supprimer ou de les remplacer. Cependant, ils concernent pour l'essentiel des aides à l'investissement ou des soutiens à la création et à la reprise d'entreprise et prennent la forme d'exonérations de charges fiscales et/ou sociales : leur effet est ainsi souvent limité à quelques années seulement.
En outre, ils sont le plus souvent accompagnés de conditions tenant à la viabilité économique de l'entreprise, ce paramètre étant exclusif de tout autre, notamment d'appréciations relatives à l'utilité sociale du maintien du commerce de proximité pour contribuer à l'animation de la vie locale.
En tout état de cause, si ces dispositifs ont certainement aidé des commerçants, ils n'ont pas été en mesure de stopper la véritable hémorragie subie par le monde rural en matière de commerce de proximité au cours de ces vingt dernières années. Aujourd'hui, 18 000 communes ne disposent plus de commerces. Plus de la moitié des communes comptant moins de 250 habitants et plus du tiers de celles qui comptent de 250 à 500 habitants ont perdu un commerce entre 1980 et 1998. La population française vivant dans des communes sans épicerie a triplé sur la période, passant de 7 % à 21,5 %.
Ce ne sont que quelques exemples, tirés de l'Inventaire communal pour 1998, qui démontrent que les politiques traditionnelles ne semblent pas à la mesure des enjeux de la « déprise commerciale ». Dans un cas, on compte en centaines d'opérations de soutien, dans l'autre, en milliers de disparitions. En outre, cette « déprise » affecte principalement les territoires ruraux et, dans ces territoires, les plus vulnérables et les moins mobiles de nos concitoyens, au premier chef les personnes âgées et les plus démunis.
Or, à l'évidence, l'absence de commerce rompt le lien social, accélère le phénomène de désertification dans certaines zones rurales et interdit presque certainement tout espoir de « renaissance » ultérieure. Elle porte atteinte à la communauté villageoise et n'est pas sans conséquences sur le maintien ou l'implantation d'autres activités économiques et de services. C'est d'ailleurs notre excellent collègue Jean-Paul Amoudry qui, dans son rapport d'information sur la politique de la montagne, observait que les élus locaux « savent parfaitement qu'une installation de commerce ou d'artisanat bien ciblée peut être source de revitalisation globale et que, inversement, certaines cessations d'activité ont un "effet domino" sur un environnement économique fragile ». On ne saurait mieux dire !
Face à ce constat, quelle politique imaginer, dans une problématique d'aménagement du territoire, pour freiner, voire arrêter cette dévitalisation commerciale du monde rural et permettre aux commerçants ruraux de continuer à vivre au pays ?
De mon point de vue, une réponse aurait pu consister à reconnaître fermement que la disparition progressive des commerces ruraux portait atteinte à l'intérêt général et qu'une politique de solidarité nationale était nécessaire pour contrarier ce mouvement spontané. C'est exactement dans cette perspective que s'inscrivait la proposition de loi.
Le second point concerne le principe mis en oeuvre par la proposition de loi.
La commission des affaires économiques, dans sa majorité, a estimé qu'allouer régulièrement des compléments de revenu à des professionnels indépendants s'opposerait aux règles fondamentales qui organisent la liberté du commerce et de l'industrie en France. Cette démarche serait contraire à l'orthodoxie de l'économie libérale, qui ne justifie l'existence d'une activité économique qu'au regard de sa capacité à affronter les lois du marché.
Or il me semble qu'au moins trois exemples pratiques démentent cette vision des choses, dès lors que des objectifs supérieurs d'intérêt général sont reconnus pour justifier la mise en oeuvre de dispositions compensatrices qui s'écartent de la stricte logique marchande d'une économie libérale.
Il en est ainsi des mesures de soutien à l'activité agricole en zone de montagne, instituées depuis de nombreuses années au plan européen, comme la « prime à la vache tondeuse » ou la « prime à l'herbe » ; elles sont bien, de mon point de vue, des compléments de revenu indépendants de la production mis en place pour garantir l'occupation pérenne et l'entretien continu des zones de montagne.
Je veux également citer l'article 55 de la loi « montagne », qui prévoit que l'Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics prennent en compte, dans le cadre des actions qu'ils conduisent en matière de développement économique et social, l'objectif d'intérêt général de maintenir en zone de montagne un équipement commercial et un artisanat de services répondant aux besoins courants des populations et contribuant à l'animation locale. Cet article précise surtout que cette prise en compte peut, notamment en cas de carence ou de défaillance de l'initiative privée, comprendre le maintien, sur l'ensemble du territoire montagnard, d'un réseau commercial de proximité.
Une telle disposition, adoptée à l'unanimité par les parlementaires en 1984, n'est-elle pas plus « hétérodoxe » que la présente proposition de loi ? Elle autorise en effet explicitement l'action publique à se substituer totalement à l'initiative privée pour parvenir à l'objectif d'aménagement du territoire qu'elle se fixe.
Le dernier exemple sera celui des zones franches urbaines. Au plan intellectuel, ne peut-on pas considérer que constituent une aide au revenu de l'exploitant tout à fait comparable à ce que pourrait être un complément de revenu versé directement à un commerçant en zone rurale les exonérations totales de charges sociales, d'impôt sur les bénéfices, de taxe professionnelle et de taxe sur le foncier non bâti dont bénéficient pendant cinq ans les entreprises installées en ZFU ? Pourraient également être considérées comme une aide au revenu, si l'amendement de notre ancien collègue député Jean-Jacques Jégou est confirmé prochainement par le Sénat, les exonérations partielles de ces mêmes charges dont devraient encore bénéficier pendant neuf années supplémentaires les entreprises de moins de cinq salariés, dont on pourra, au demeurant, relever que beaucoup seront des commerces de proximité. La méthode est différente, mais l'objectif n'est-il pas le même, puisqu'il s'agit de compenser des handicaps structurels qui interdiraient la viabilité économique du projet par des mécanismes correcteurs ayant pour objet de permettre de dégager un « reste à vivre » suffisant ?
En dernière analyse, l'essentiel tient à l'objectif fixé : ici, le soutien à une profession ; là, la préservation d'espaces particuliers, voire, dans certains cas, la combinaison des deux.
Il me semble que les responsables politiques de tout bord ont démontré, depuis plusieurs années, à l'échelon national et à l'échelon européen, que, en matière d'aménagement du territoire, la fin justifiait les moyens. Ils ont fait preuve d'imagination sans parti pris idéologique et n'ont guère hésité à engager des moyens budgétaires sans commune mesure avec ceux qui auraient été nécessaires à la mise en oeuvre de la présente proposition de loi.
J'ajouterai, pour conclure sur ce chapitre, que la question du respect des règles de la concurrence ne paraissait pas se poser en termes d'obstacles dirimants. D'une part, les exemples évoqués précédemment démontrent qu'elle a déjà pu être écartée dans le cadre d'autres politiques, quand leur objet même n'était pas explicitement d'y porter atteinte ; d'autre part, dans les zones où aurait été susceptible d'être mis en oeuvre le dispositif de la proposition de loi, elle n'aurait pu concerner presque exclusivement que la relation entre petit commerce et grande distribution, et non entre activités commerciales de proximité.
Voilà pourquoi je pense que ce texte aurait dû et pu être mis en oeuvre, au moins à titre expérimental. Il est vrai toutefois que, dans sa version initiale, il était trop général et trop imprécis pour être effectivement applicable. On pouvait en particulier s'interroger sur son champ d'application, sur les zones et les commerces éligibles, ou encore sur l'intervention de la commission départementale d'équipement commercial dans la procédure.
C'est pourquoi j'avais souhaité encadrer le texte de manière beaucoup plus précise et le recentrer sur son objectif de manière plus claire et opérationnelle.
La nouvelle version soumise à mes collègues de la commission des affaires économiques comportait neuf articles. J'en cite les caractéristiques principales.
L'article 1er posait comme principe que l'existence, dans les zones rurales, d'un réseau commercial de proximité répondant aux besoins courants des populations et contribuant à l'animation de la vie locale était d'intérêt général. Il instituait un revenu minimum de maintien d'activité afin de favoriser le maintien ou l'implantation des commerces de proximité en zone rurale.
Après cet article de principe, l'article 2 était essentiel, puisqu'il définissait les conditions d'éligibilité au dispositif. S'agissant des commerces éligibles, il visait à garantir que les commerces aidés correspondraient bien à des activités répondant à l'objectif d'animation locale prévu à l'article 1er.
Ainsi, afin de cibler précisément le commerce de proximité que je souhaitais soutenir, il était tout d'abord précisé que le bénéfice du revenu minimum de maintien d'activité serait ouvert aux commerçants et artisans inscrits au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers dont l'activité principale relèverait d'une classe de la nomenclature d'activités françaises figurant sur une liste fixée par décret. De cette manière, c'est le pouvoir réglementaire qui aurait détaillé exactement les commerces concernés : épiceries, supérettes, boulangeries, bars, tabacs, restaurants traditionnels, voire, le cas échéant, garages ou stations-services.
De plus, afin de cibler précisément le petit commerce, n'auraient été éligibles que les entreprises ayant le droit de choisir le régime fiscal du « micro-BIC », à savoir celles dont le chiffre d'affaires hors taxes annuel ne dépasse pas 76 300 euros.
Enfin, de manière à éviter que certaines personnes peu scrupuleuses ne puissent profiter d'un effet d'aubaine, il était prévu que le commerce devrait satisfaire à des conditions de durée minimale d'ouverture au public fixées par décret.
En ce qui concerne par ailleurs les zones éligibles, je proposais de substituer à la notion de « communes de moins de 1 000 habitants » celle de « zone de rénovation rurale », instituée par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire de 1995. Ce zonage paraissait bien mieux convenir à l'objectif de la proposition de loi : 12 000 communes étaient potentiellement concernées, pour l'essentiel très petites, soit 40 % du territoire et 7 % de la population, ce qui représente 4,5 millions d'habitants.
L'article 3 concernait les revenus à prendre en considération. Il m'était apparu que la notion la moins difficile à prendre en compte était la valeur ajoutée dégagée par l'activité commerciale, qui est par ailleurs définie dans le code général des impôts. En cas d'emploi d'un ou de plusieurs salariés, cette valeur ajoutée aurait été diminuée d'un montant forfaitaire fixé par décret, une telle méthode permettant d'éviter qu'un montant de salaire injustifié ne soit accordé au conjoint, par exemple, pour obtenir le droit à l'allocation ou maximiser son montant.
Quant au plafond du dispositif, c'est-à-dire la somme des revenus d'activité et de l'allocation différentielle, qu'avec mes collègues nous avions fixé dans le texte initial à 1 016 euros, il aurait lui aussi été déterminé par décret, à la fois pour respecter la répartition constitutionnelle des pouvoirs et par souci pratique, puisque les évolutions sont plus facilement réalisées par la voie réglementaire. Toutefois, le plafond initial aurait dû, de mon point de vue, s'établir aux alentours de 1 000 euros, de manière à constituer un « reste à vivre » décent, à pérenniser l'entreprise et à encourager ainsi les initiatives des collectivités locales.
Enfin, cette allocation étant non pas un revenu social, comme le RMI, mais un revenu économique, elle aurait été soumise à l'impôt.
Les articles 4 et 5 concernaient la procédure, que la proposition de loi initiale envisageait de confier à la commission départementale d'équipement commercial, la CDEC. Or il est clair que cette commission n'a pas vocation à remplir une telle fonction.
Pour ce qui est du pouvoir de décision, l'allocation étant versée par l'Etat, il aurait été normal que l'autorité d'attribution soit, comme pour le RMI, le préfet. Mais je souhaitais que la décision d'attribution soit précédée de l'avis préalable d'une commission réunissant élus locaux et représentants consulaires. Or une telle commission existe déjà, et sa mission, qui consiste à gérer les fonds départementaux d'adaptation du commerce rural, la rendait particulièrement apte à jouer le rôle que j'envisageais pour elle. Coprésidée par le préfet et par le président du conseil général, la commission départementale d'adaptation du commerce rural est en effet composée de trois maires, de quatre représentants du conseil général, de trois représentants de la chambre de commerce et d'industrie, d'un représentant de la chambre des métiers et de deux personnalités qualifiées désignées par les coprésidents.
L'instruction des dossiers aurait été confiée aux services du préfet, c'est-à-dire, en pratique, comme pour les procédures FISAC, à la délégation régionale au commerce et à l'artisanat.
S'agissant enfin du service de l'allocation, il aurait été dévolu à l'ORGANIC, l'Organisation autonome nationale d'assurance vieillesse de l'industrie et du commerce, et ce pour deux raisons. D'une part, cette organisation connaît bien les procédures de versement d'allocations ainsi que la population des commerçants, dont elle gère l'assurance vieillesse. D'autre part, c'est elle qui liquide les sommes à verser dans le cadre tant des procédures FISAC que de l'aide au départ des commerçants et artisans, qui, jusqu'à l'an dernier, étaient financées par la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat, la TACA.
S'agissant du financement du dispositif, je vous rappelle que l'article 3 de la proposition de loi initiale prévoyait de l'assurer par une taxe additionnelle à la TACA. Or, si la TACA a été budgétisée par l'article 35 de la loi de finances pour 2003 - tout comme l'ont été, par contrecoup, les actions qu'elle finance : le FISAC, l'aide au départ des artisans et commerçants et le comité professionnel de la distribution des carburants, le CPDC, - il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'une taxe appelée, pour des raisons de solidarité interprofessionnelle, sur les enseignes de la grande distribution et non d'un impôt lambda.
Cette procédure de budgétisation ayant suscité une grande émotion parmi les représentants des commerçants et artisans, le Gouvernement a affirmé à plusieurs reprises au cours des débats budgétaires que cette demarche ne remettrait en cause ni solidarité ni les actions que finance la taxe.
Or la différence entre le produit de la TACA et le coût cumulé desdites actions devrait s'établir, en 2003, à 97 millions d'euros. En outre, on sait que les dépenses exposées au titre de l'aide au départ et du CPDC devraient fortement diminuer dans les prochaines années, tandis que le rendement de la TACA continuera d'augmenter. Si l'on exclut par principe que la création de nouveaux mécanismes de solidarité entre la grande distribution et le petit commerce de proximité - et c'est bien dans cette perspective que s'inscrivait le revenu minimum de maintien d'activité - puisse être financée par la TACA, celle-ci pourrait alors devenir, comme les professionnels de la grande distribution en ont exprimé la crainte en octobre dernier, une simple imposition supplémentaire acquittée par ce secteur, sans aucune légitimité d'intérêt public. L'argent nécessaire existe donc, et il n'était nul besoin de créer de taxe supplémentaire. L'argent existe ; aurait-il été suffisant ? Sans aucun doute. Une estimation extrêmement large du coût du dispositif contenu dans la proposition de loi permettait de l'évaluer à 24 millions d'euros en année pleine, soit exactement un quart du solde « bénéficiaire » de la TACA en 2003 et à peine 18 % des sommes actuellement dépensées au bénéfice des 15 000 allocataires du RMI entrepreneurs et travailleurs indépendants. Or la finalité même du mécanisme de la proposition de loi n'était-elle pas, pour ces personnes, plus conforme à leur vocation d'entrepreneur que le RMI ?
Quant aux articles 6 à 9, ils traitaient respectivement des exceptions au service de l'allocation ou à la répétition des indus, des prescriptions, de la récupération des indus et des sanctions. Ils étaient similaires aux mesures législatives actuellement applicables au revenu minimum d'insertion.
Telle est donc, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'économie des mesures que j'ai proposé à la commission des affaires économiques d'adopter et qui s'inscrivaient dans une logique d'aménagement du territoire.
Le riche et long débat de la commission a témoigné à la fois de l'intérêt suscité par l'initiative du groupe communiste républicain et citoyen et de la réalité des difficultés que la dislocation continue du réseau commercial de proximité en milieu rural fait peser sur l'animation de la vie locale. Tous les intervenants ont ainsi admis la nécessité d'apporter des réponses adaptées pour préserver la vitalité et l'avenir du monde rural.
Toutefois, la commission des affaires économiques a estimé dans sa majorité que, au regard des causes essentielles du phénomène, il importait de conforter et d'améliorer significativement les dispositifs actuels d'aide à l'investissement, à la modernisation de l'outil de production et à la reprise d'entreprise plutôt que de risquer d'altérer l'esprit entrepreneurial par la création d'une subvention au fonctionnement des commerces ruraux.
Elle a ainsi considéré que le principe même de l'esprit d'entreprise dans lequel s'exerce l'activité commerciale n'était pas conciliable avec un dispositif de revenu minimum garanti par des fonds publics.
A cet égard, elle a contesté les analogies qui étaient établies entre ce dispositif et certains des mécanismes déjà institués - je les ai évoqués tout à l'heure, en relevant qu'aucun d'entre eux ne conduisait à une déconnexion aussi radicale - entre activité de production et revenus que celle qu'impliquait la proposition de loi.
De plus, elle a estimé que les difficultés actuellement que rencontrait le commerce rural tenaient essentiellement à l'obsolescence de l'outil de travail ainsi qu'à la lourdeur des charges pesant sur le processus de transmission ou de reprise des entreprises.
Elle s'est en outre inquiétée des distorsions de concurrence qu'induirait une aide pérenne au fonctionnement de certains commerces ruraux, notant que la politique d'animation économique instituée à l'échelon local par les collectivités territoriales et les organisations consulaires pourrait s'en trouver gravement affectée.
La commission des affaires économiques a enfin relevé que la question du commerce rural s'inscrivait dans le cadre plus large de la politique d'aménagement du territoire. Celle-ci, depuis la loi Voynet, est organisée dans une logique de priorité urbaine et devrait connaître une profonde inflexion pour répondre dans leur globalité aux nombreux défis que doit relever le monde rural, défis qui touchent aussi aux infrastructures de transports et de communication, à la présence des services publics, à l'activité économique des territoires, ou encore à la structurationde l'équipement commercial.
Dans cette perspective, il n'a pas semblé cohérent à la majorité de la commission d'aborder, par le biais de cette proposition de loi, un seul des multiples problèmes auxquels est confronté, directement ou indirectement, le commerce rural de proximité et qui, tous ensemble, constituent les causes des difficultés que traverse celui-ci.
Si le principe d'une aide au fonctionnement des commerces ruraux ne lui a pas paru acceptable, la commission des affaires économiques est cependant convenue de la nécessité de rendre plus efficaces qu'ils ne le sont actuellement les dispositifs de soutien à l'investissement et à la modernisation des équipements, d'alléger les charges et les contraintes qui pèsent sur les commerçants et les artisans, enfin, d'agir dans une démarche globale en faveur de la revitalisation de l'espace rural. Elle a souligné que le gouvernement actuel agissait précisément en ce sens et que plusieurs projets de loi ayant ce même objet devaient être examinés prochainement par le Parlement.
Ainsi, la commission a relevé que le projet de loi « Agir pour l'initiative économique », que vous allez bientôt défendre, monsieur le secrétaire d'Etat, comportait de nombreuses dispositions de nature à conforter l'activité commerciale : simplification de la création d'entreprise, amélioration de la transition entre le statut de salarié et celui d'entrepreneur, développement du financement de l'initiative économique, approfondissement de l'accompagnement social des projets, ou encore facilitation de la transmission de l'entreprise.
Par ailleurs, avec le futur projet de loi d'habilitation visant à autoriser le Gouvernement à procéder par voie d'ordonnances en matière de simplifications administratives sont envisagées un certain nombre de dispositions ayant pour objet d'alléger les contraintes pesant sur les petites et moyennes entreprises. Parmi elles devraient par exemple figurer la mise en place d'un guichet social unique, qui collectera toutes les cotisations sociales, et la création d'un titre d'emploi simplifié en entreprise, équivalent du chèque emploi-service déjà utilisé par les particuliers.
Un troisième train de mesures législatives de nature économique et sociale devrait être examiné à l'automne prochain et viser à améliorer le statut de l'entrepreneur commercial et artisanal et de son conjoint. Ces dispositions devraient être très utiles au développement du commerce rural, tant est essentielle en milieu rural la question de la participation du conjoint à l'activité de l'entreprise.
Enfin, à la suite de la réunion, le 13 décembre dernier, du comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire a été annoncé le dépôt, avant la fin de la session parlementaire, d'un projet de loi sur les affaires rurales qui devrait comporter des dispositions en faveur des réseaux de services adaptés aux besoins des acteurs et des populations du monde rural, ainsi que des dispositions propres à assurer un soutien actif à l'économie du monde rural, par exemple dans le domaine de la pluriactivité. Seraient notamment envisagés : une remise à plat des zonages économiques ruraux comme les territoires ruraux de développement prioritaire, les TRDP, et les zones de revitalisation rurale, les ZRR, afin d'en améliorer l'efficacité ; un ensemble de mesures visant à faciliter la transmission des entreprises dans l'espace rural ; le développement du soutien aux réseaux de création d'entreprises en milieu rural ; enfin, une consolidation des coopérations inter-entreprises en milieu rural grâce à des financements prévus dans les contrats de plan Etat-région.
Pour la commission, la problématique spécifique au monde rural, que vise la présente proposition de loi, devrait ainsi être abordée de manière beaucoup plus globale, donc de façon plus efficace.
Certes, toutes les dispositions évoquées ne concernent pas exclusivement le petit commerce et l'artisanat ni l'exercice de ces activités en milieu rural. Pour la majorité de la commission des affaires économiques, on ne peut toutefois manquer de reconnaître que leur mise en oeuvre conjuguée, dans une démarche globale, articulée et cohérente, devrait contribuer à favoriser fortement l'activité commerciale de proximité dans les zones rurales, conformément au souci originel des auteurs de la proposition de loi, souci unanimement partagé par la commission des affaires économiques.
Au demeurant, il appartiendra au Parlement - et singulièrement au Sénat, compte tenu de sa vocation et de son intérêt constant pour le développement économique des territoires - de contribuer à améliorer les projets de loi initiaux pour les rendre aussi efficaces et conformes que possible aux intérêts des populations et des acteurs économiques du monde rural.
Compte tenu de ces observations, la majorité de la commission des affaires économiques a décidé de rejeter les propositions de conclusions que je lui avais soumises, tout comme ma suggestion, formulée à l'occasion de l'examen du rapport, de donner un caractère expérimental au dispositif.
En effet, devant les objections et les craintes exprimées par certains de mes collègues, j'avais suggéré que les dispositions législatives que je proposais ne soient applicables que pour une durée de six ans à compter de la promulgation de la loi et que, dans la perspective d'une éventuelle pérennisation du revenu minimum de maintien d'activité, il soit prévu qu'un rapport du Gouvernement serait remis au Parlement avant la fin de la cinquième année d'expérimentation afin d'évaluer, notamment, les effets de la loi sur l'offre commerciale dans les zones de revitalisation rurale et sur le respect des règles d'une concurrence loyale en matière commerciale en zone rurale.
Cette ultime proposition n'ayant pas été retenue, la commission des affaires économiques propose donc au Sénat, en application de l'article 42-6 c du règlement, de se prononcer en faveur de ses conclusions négatives. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi tendant à préserver les services de proximité en zone rurale renvoie à un objectif que l'on peut partager, et je salue les motifs généreux qui ont inspiré M. Le Cam et ses collègues du groupe communiste républicain et citoyen lorsqu'ils l'ont présentée, à savoir la volonté de maintenir une activité commerciale en milieu rural pour garantir un service de proximité ainsi que l'animation économique, voire sociale, de nos villages.
Pour cela, il nous est proposé de créer un revenu de maintien d'activité pour les personnes qui souhaiteraient maintenir, reprendre ou implanter un commerce de proximité dans les petites communes rurales, leur garantissant un niveau de revenu de 1 016 euros, soit l'équivalent du SMIC.
Si l'on peut partager le diagnostic et comprendre l'objectif - et je m'y associe -, il est clair que l'on ne peut souscrire aux mesures pratiques préconisées.
Je pourrais d'abord souligner qu'il s'agit d'un dispositif peu compatible, à mes yeux, avec l'équité et la liberté du commerce. Tout d'abord, en subventionnant artificiellement un commerce, on crée les conditions d'une situation de concurrence déloyale, pénalisante pour la vie du tissu commercial.
On fige aussi toute évolution en interdisant de facto à un entrepreneur dynamique n'ayant a priori pas besoin de recourir aux subventions de s'installer parallèlement ou postérieurement.
Se pose immédiatement, d'ailleurs, la question du nombre de commerces que l'on pourrait aider de cette manière dans une même zone de chalandise : que deviendra l'épicerie-service non assistée du centre-bourg voisin si l'on crée artificiellement dans les communes environnantes un ou plusieurs commerces subventionnés ?
Enfin, comment intégrer l'effet d'une telle mesure sur les commerçants effectuant des tournées et sur les marchés ruraux ?
Il me faut ensuite souligner qu'une telle mesure introduirait une rupture d'égalité au sein même du dispositif du RMI.
En effet, le RMI est déjà ouvert aux travailleurs indépendants relevant du régime d'imposition des micro-bénéfices industriels et commerciaux, qui perçoivent ainsi un complément de ressources additionnel au revenu dégagé par leur activité, mais dans la limite du plafond du RMI. Cette assistance bénéficie aujourd'hui à plus de 15 000 attributaires.
Dans le cadre du dispositif proposé, le commerçant percevrait ce revenu de complément jusqu'au niveau du SMIC brut. On aurait ainsi deux catégories de commerçants assistés : ceux qui sont plafonnés au niveau du RMI et ceux qui sont plafonnés au niveau du SMIC. Il faudrait donc sans aucun doute revaloriser les premiers. Qu'adviendrait-il alors du niveau du RMI alloué aux autres allocataires ?
Il faut en outre mentionner l'inéquité que créerait un tel système par rapport aux commerçants de zone urbaine, dont certains ont aussi des revenus très faibles.
Je dois ensuite indiquer que ce dispositif nécessiterait un lourd appareil administratif, ne serait-ce que pour établir son champ d'application.
Comment déterminer les activités couvertes par la notion de commerce ou de service de proximité : les garages et stations-service, les débits de boissons, les commerces saisonniers, les activités de commerce des productions agricoles sont-ils éligibles ? Faudra-t-il retenir le bar-épicerie multiservices et non le bar-tabac PMU ?
Combien de commerces pourront-ils être aidés par commune, et comment s'effectuera l'arbitrage entre les candidatures de commerces de natures différentes, tels que le boulanger et le boucher ? Un commerce pourra-t-il s'implanter si existe déjà un autre commerce non aidé de la même ou d'une autre catégorie ?
Quels seront les critères d'éligibilité des candidats qui ne laissent pas de place à l'arbitraire et ne soient pas une source permanente de contentieux ? A été évoquée en commission la solution de confier au préfet plutôt qu'à la commission départementale d'équipement commercial la désignation des attributaires. Voici désormais l'Etat chargé de nommer des commerçants !
Il est complexe ensuite de parvenir à la détermination du revenu de référence.
En zone rurale se multiplient les pluriactifs, qui peuvent associer activités de production et de commercialisation et activités de service, notamment touristiques. L'indemnité serait déterminée sur la valeur ajoutée globale, a-t-il été dit en commission. On imagine la complexité d'une telle approche pour calculer dans le détail le cumul des diverses ressources issues d'activités agricoles, artisanales, commerciales touristiques !
La question se pose plus globalement pour l'ensemble des revenus du ménage : si, comme cela a été développé en commission, le salaire du conjoint n'est pas pris en compte, on crée, là encore, une disparité avec le dispositif global du RMI, qui prend en compte les revenus globaux du ménage. De la même façon, comment intégrer les autres revenus, fonciers par exemple, qui sont courants en zone rurale ?
Enfin, il faudra mettre en place un dispositif de contrôle.
La mise en oeuvre d'une telle allocation exigera de la part du commerçant une tenue parfaitement rigoureuse et détaillée de sa comptabilité et la production de nombreux justificatifs. Il sera par la force des choses soumis à des contrôles suivis de l'administration.
Il est de surcroît envisagé d'imposer des horaires d'ouverture : selon quels critères et quel planning ? Le commerçant sera-t-il soumis aux 35 heures ?
Mme Marie-Claude Beaudeau. Quelle imagination !
M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat. Qui l'autorisera à prendre ses congés ? Qui contrôlera son assiduité ? Quelles sanctions seront prononcées, et par qui ? Sommes-nous en passe d'imposer au café-épicerie rural une obligation de continuité de service public ?
Mme Odette Terrade. Il ne faut pas exagérer !
Mme Nicole Borvo. C'est l'étatisation du petit commerce !
M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat. Ce contexte bureaucratique sera consommateur de temps et affectera l'efficacité commerciale.
Je conclurai en soulignant que ce dispositif ne me paraît renvoyer à aucune nécessité économique importante.
En effet, pour rester dans le cadre de ces zones de revitalisation rurale, 62 % des communes disposent d'au moins un commerce, 42 % de ces communes comptent moins de 500 habitants.
Ces chiffres démontrent le contresens que constitue la création de boutiques assistées. Là où existent des clients existent des commerces ; ailleurs, nous ne maintiendrions qu'un simulacre d'activité.
Je souhaiterais maintenant indiquer ce qu'entend faire le Gouvernement pour développer le commerce en milieu rural.
Nous avons la forte conviction qu'il y a une incompatibilité entre l'esprit d'entreprise, le goût et le sens du commerce, la construction de relations commerciales avec les clients et le principe d'une assistance financière systématique et administrée.
Le résultat est connu : les dispositifs de ce type conduisent à la démotivation, à la négligence en matière de service et se révèlent d'effet contraire à celui qui est recherché.
Le Gouvernement préfère encourager l'initiative et le dynamisme, soutenir la motivation, développer l'esprit d'entreprise et créer les conditions les plus favorables pour qu'en zone rurale aussi celui qui a envie d'entreprendre puisse le faire, réussir et être un véritable acteur de la revitalisation, et non une sorte de conservateur des activités en voie de disparition.
De nombreux dispositifs existent en faveur du maintien du petit commerce en milieu rural. Ils ont été évoqués lors des travaux de votre commission : la création des zones de revitalisation rurale et leurs mesures d'exonération, les fonds locaux d'adaptation du commerce rural et les contrats de plan Etat-région. Ont été également mentionnées les nombreuses initiatives locales allant dans le même sens.
Faut-il rappeler que le fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce - le bien connu FISAC -, créé par la loi du 31 décembre 1989, constitue l'instrument privilégié à la disposition des pouvoirs publics pour contribuer à la sauvegarde des services de proximité et au maintien du lien social ?
Mme Marie-Claude Beaudeau. Pour le moment, cela ne marche pas ! M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat. Le principe d'intervention de ce fonds est d'agir sur l'environnement des entreprises pour contrebalancer les désavantages liés à leur localisation, mais en aucun cas de fournir des aides au revenu, aides dont on a souligné les effets pervers.
En milieu rural, le FISAC peut intervenir soit dans le cadre d'opérations individuelles avec une commune ou un particulier, soit dans le cadre d'opérations collectives, avec un syndicat communal par exemple.
J'ai tenu à ce qu'en 2003 un effort particulier soit fait à cet égard.
Le taux d'intervention standard est fixé à 20 % du montant de la dépense d'investissement et à 40 % pour les opérations de sécurisation. Pour les collectivités maîtres d'ouvrage d'opérations à vocation individuelle et dans les communes de moins de 2 000 habitants, le taux a été porté en 2003 à 30 %.
Sont en particulier éligibles : les dépenses d'investissement relatives à la modernisation et à la sécurisation des entreprises et des locaux d'activité ; l'achat, par une collectivité publique, de locaux d'activité hors fonds commerciaux ; l'aménagement des abords immédiats du commerce concerné, notamment pour en faciliter l'accès, lorsque le projet est porté par une collectivité publique ; les investissements de contrainte induits, notamment, par l'application de normes sanitaires, lesquelles pèsent lourdement sur les acteurs économiques ; les investissements de capacité permettant de satisfaire une clientèle plus nombreuse sur la zone de chalandise ; enfin, les investissements de productivité permettant à l'entreprise d'accroître sa rentabilité et son efficacité.
Le FISAC peut également financer des opérations en fonctionnement, en particulier toutes les opérations de promotion en faveur du commerce, l'organisation de manifestations ponctuelles, le recrutement d'un animateur.
Dans les petites communes, le FISAC intervient donc significativement pour donner aux collectivités et aux particuliers des aides leur permettant de disposer d'un outil et d'un cadre de travail adaptés, propices au maintien et au développement des activités, tout en laissant à l'entrepreneur - et j'y insiste - sa liberté d'action, sa liberté d'initiative et la motivation nécessaire pour développer son entreprise.
Entre 1992 et 2000, ce sont ainsi près de 103 millions d'euros qui ont été consacrés à ces opérations.
Pour 2003, l'enveloppe consacrée aux opérations en zone rurale pourrait être de l'ordre de 13 millions d'euros.
Le Gouvernement a, par ailleurs, initié une politique forte en faveur de la création et de la transmission d'entreprise, dans le cadre du projet de loi sur l'initiative économique que j'aurai l'honneur de vous présenter d'ici à quelques semaines.
Les reports de charges sociales, le relèvement des plafonds d'imposition sur les plus-values de cession, les réductions d'impôts accordées aux repreneurs d'entreprise pour les emprunts contractés, l'allégement, voire l'exonération des droits de mutation grevant la transmission d'entreprise sont autant de dispositions qui bénéficieront directement au commerce et à l'artisanat en milieu rural, et tout particulièrement aux plus petites unités économiques.
Ce projet de loi prévoit d'ailleurs aussi la possibilité de conserver un revenu de solidarité en cas de création d'entreprise, mais sur une année seulement.
Il étend enfin au plus de cinquante ans, qui sont souvent oubliés, le mécanisme EDEN, ou encouragement au développement d'entreprises nouvelles, qui prévoit des avances remboursables, et l'aide aux chômeurs créateurs et repreneurs d'entreprise, dite ACCRE, qui permet de bénéficier d'une exonération de charges sociales.
Le secrétariat d'Etat entend également soutenir les reprises d'entreprise au travers du CIVIS, le contrat d'insertion dans la vie sociale.
Ce dispositif, mis en place sous l'égide de François Fillon, peut favoriser la reprise de l'entreprise artisanale et commerciale, en particulier la très petite entreprise, en assurant le lien entre des entrepreneurs qui souhaitent quitter leur entreprise et des jeunes désireux de s'engager dans une démarche professionnelle indépendante, dans le cadre d'un contrat aidé par une collectivité publique.
Le contrat CIVIS est particulièrement adapté aux villes moyennes et aux villages dans lesquels les artisans ou commerçants peinent à céder leurs très petites entreprises, faute de repreneurs suffisamment informés et accompagnés.
Enfin, le projet de loi sur le développement rural préparé par le ministre de l'agriculture et le projet de loi sur le statut de l'entrepreneur individuel que je présenterai en fin d'année comporteront des volets relatifs au commerce en milieu rural, en particulier au regard de l'organisation de la pluriactivité et des droits sociaux des chefs d'entreprise et de leurs conjoints. C'est en ouvrant des champs nouveaux de facilités de cumul que l'on permettra au commerçant rural de gagner sa vie sans se transformer en RMIste du commerce.
Le Gouvernement partage le souci du Sénat de maintenir en milieu rural un tissu actif d'entreprises commerciales et artisanales. Cependant, il ne peut souscrire à un dispositif d'assistance sociale au commerce qui, outre son coût et la complexité de sa mise en oeuvre, conduirait à l'inverse de l'effet recherché en figeant des activités non rentables, en stérilisant l'esprit de dynamisme et d'entreprise et en empêchant l'implantation de véritables entreprises parce qu'il fausserait les règles de la concurrence. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Paul Raoult.
M. Paul Raoult. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en tant que sénateurt du département du Nord, je suis heureux d'intervenir à l'occasion de la discussion des conclusions de la commission des affaires économiques et du Plan sur cette proposition de loi qui a trait à l'avenir des zones rurales.
C'est un sujet d'importance, y compris dans les départements censés considérés comme plus urbains, à l'exemple de celui dont je suis issu.
En effet, dans le département du Nord, en incluant les bourgs ruraux, plus de 30 % de la population vit au rythme de la ruralité et 80 % de la superficie est liée à la problématique de cette même ruralité.
C'est dire que les auteurs de la proposition de loi ont eu raison de prendre l'initiative d'élaborer un tel texte, ne serait-ce que parce qu'il nous conduit à débattre aujourd'hui de cette question.
L'évolution de nos campagnes a, pendant plus d'un siècle, suivi un processus identique, à savoir la diminution de la population par migration vers les zones urbaines et industrielles.
Les raisons de cette évolution sont connues, à commencer par la diminution du nombre des exploitants agricoles, qui se poursuit d'ailleurs.
Pourtant, les signes d'une évolution inverse apparaissent, puisque les résultats du dernier recensement pour la France entière marquent, pour la première fois depuis un siècle et demi, un accroissement du poids de la population rurale.
Après la désertification des campagnes, on parle de « reprise démographique », de naissance de « nouvelles campagnes », de « renouvellement des espaces ruraux », voire, dans le jargon sociologique, de « nouvelles demandes sociales de consommation du rural ».
Le bilan est donc aujourd'hui contrasté : certaines zones continuent à subir une certaine « déprise » agricole et rurale, d'autres, au contraire, connaissent une forte pression foncière.
Dans les secteurs où la population continue de baisser, il est urgent de trouver des solutions aussi hardies que l'exige la situation.
Les campagnes qui se repeuplent sont cependant elles aussi concernées par cette proposition de loi.
En effet, si elles se repeuplent, c'est parce qu'une part croissante de la population désire trouver un cadre de vie fait de calme, de repos, de silence et de tranquillité en bénéficiant d'un coût du foncier moins élevé, ce qui l'amène à faire le choix de vivre à la campagne.
Les zones rurales où emménagent les « néoruraux » tirent ainsi un bénéfice de la crise urbaine : la ruralité devient un refuge où, malgré l'impossibilité de faire vivre un commerce en respectant les strictes lois du marché, les habitants souhaitent pouvoir bénéficier des services.
C'est pourquoi, dans l'ensemble des campagnes françaises, les mêmes problématiques sont ouvertes.
Tout d'abord, s'impose la nécessité de maintenir sur nos territoires ruraux un maillage suffisant d'agriculteurs qui, au-delà de la fonction de production, assurent une irremplaçable fonction d'entretien du paysage.
Pour sortir de la spirale de l'abandon et inverser la tendance, il leur faut aussi vaincre l'isolement, en améliorant les transports ferroviaires et routiers.
Il faut, ensuite, assurer le maintien des services publics : écoles, collèges, postes, EDF-GDF, télécommunications, petits hôpitaux, maternités, etc.
Il convient aussi de s'appuyer sur les ressources et les initiatives locales en matière de tourisme, de patrimoine et de culture.
Mais d'autres activités sont nécessaires dans le domaine du commerce sédentaire et ambulant, dans celui des PME et des PMI, et beaucoup reste à faire pour densifier leur réseau.
C'est spécifiquement vrai pour ce qui concerne les commerces sédentaires, dont la moitié des communes françaises sont aujourd'hui dépourvues.
A cet égard, il convient de saluer l'ingénieuse simplicité de la proposition de loi à propos de laquelle nous examinons aujourd'hui les conclusions de la commission des affaires économiques et du Plan. Il s'agit, par un système de complément de ressources, de garantir un revenu minimal aux commerçants qui sont installés dans les villages situés en zone de rénovation rurale.
Je sais bien que les thuriféraires du marché s'offusqueront de cette entorse à l'économie libérale. Mais n'en va-t-il pas de même des dispositifs créés au nom du nécessaire soutien à l'agriculture, dont aucun de nous ne saurait demander la suppression ?
Les apôtres du « toujours moins d'Etat » affirmeront que ce serait le rôle des collectivités locales. Mais comment les collectivités locales des secteurs ruraux, qui sont déjà en difficulté, pourraient-elles apporter un tel soutien à leurs commerçants ?
De bonnes âmes le jugeront humiliant pour les commerçants concernés. En effet, ils seraient ainsi assimilés à des RMIstes, voire pis, à des fonctionnaires, comme certains de nos collègues ont osé s'en alarmer lors de l'examen de ce texte en commission.
Tout en manifestant mon étonnement devant ce dérapage, je souhaiterais leur rappeler que le Premier ministre lui-même a annoncé, dans un entretien publié le 2 décembre par la Croix, son intention de créer un « revenu minimum d'activité ». Pourquoi cette « activité » ne pourrait-elle pas être exercée dans le cadre du commerce, pourvu que les modalités aient été précisées dans un texte qui en prenne en compte les spécificités ?
Enfin, le montant envisagé, 1 016 euros, est de nature à éviter les chasseurs de subventions et toute dérive préjudiciable aux comptes publics. Tout en évaluant à seulement 24 millions d'euros son coût, M. le rapporteur a du reste accru les garde-fous du dispositif en proposant de le rendre expérimental. Dans le contexte des projets de réforme de nos institutions, qui font la part belle aux expérimentations, il serait assez insolite que nous nous élevions contre cette suggestion. Pourquoi donc l'Etat s'interdirait-il les expérimentations qu'il autoriserait dans la « France d'en bas » ? (M. Bruno Sido s'exclame.)
C'est la raison pour laquelle, s'il avait été fait abstraction de toute vision idéologique et doctrinaire, un consensus aurait dû prévaloir sur le texte qui nous a été présenté par les auteurs de la proposition de loi.
Il ne s'agit pas de nier le rôle des grandes surfaces, ni de faire croire que les commerces de village pourraient les remplacer. De ce point de vue, les craintes formulées par certains de nos collègues et aux termes desquelles la concurrence serait faussée par ce dispositif apparaissent particulièrement exagérées.
Il s'agit de permettre à ce qui constitue si souvent le coeur de tant de nos communes de continuer ou de recommencer à battre. Il en va du bien-être de leurs habitants et, en fin de compte, de l'équilibre entre villes et campagnes.
Certes, les pouvoirs publics ont, par le passé, pris des mesures destinées à aider pendant quelques années l'investissement ou à faciliter la création et la reprise d'entreprises. Dans ce domaine, d'autres textes nous sont promis par le Gouvernement, comme l'ont souligné certains de nos collègues lors de la discussion en commission. Mais aucun dispositif spécifique n'existe encore pour permettre de pérenniser le fonctionnement d'un commerce, même soutenu dans ses investissements.
Certains de nos collègues ont même ajouté que, si la viabilité du commerce ne pouvait être assurée, le RMI avait été précisément institué pour garantir des ressources minimales ! Selon leur étrange logique, il faudrait à la fois aider à investir des commerçants qui font du profit et transformer les autres en RMIstes en laissant disparaître leur activité...
Enfin, il apparaîtrait pour le moins singulier que notre assemblée rejette cette proposition de loi au motif qu'un projet de loi portant de manière générale sur l'aménagement du territoire est en préparation, alors qu'elle n'a pas attendu la réforme globale de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains pour la modifier, récemment, de manière partielle.
En réalité, dans le cadre d'un aménagement du territoire qui ne doit pas être une sempiternelle litanie d'incantations, l'innovation que représenterait ce « RMA » pour commerçants en secteur rural serait une très heureuse initiative.
Cela est d'autant plus vrai que les commerçants qui en bénéficieraient pourraient plus aisément remplir, par là même, des missions de service public qui sont de moins en moins directement assumées, telles que les services postaux.
C'est pourquoi, au nom du groupe socialiste, j'invite notre assemblée à saisir l'opportunité qui lui est offerte par cette proposition de loi en rejetant les conclusions négatives de la commission des affaires économiques et du Plan.
Il va de soi que, si notre assemblée devait être d'un avis contraire, notre groupe demeurera attentif à l'insertion, dans le projet de loi relatif à l'aménagement du territoire qui nous est annoncé, de mécanismes assurant au monde rural la vitalité commerciale qui lui est nécessaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Gérard Le Cam, rapporteur. Excellent !
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'engagement, depuis une trentaine d'années, sur la voie de la mondialisation et de l'intégration des économies de marché européennes a incontestablement transformé nos espaces économiques et nos territoires.
Cette transformation s'opère sous l'effet d'un double mouvement : d'un côté, le développement des grandes firmes multinationales organisées en réseaux contribue à façonner l'espace économique et à favoriser une dynamique de fractionnement de notre territoire ; de l'autre, la mise en concurrence, à l'échelle de l'Union européenne, des services publics affaiblit le rôle que jouaient ces derniers dans l'aménagement cohérent du territoire et dans l'intégration sociale.
Ce double mouvement contribue à marginaliser certaines zones, celles qui sont situées à la périphérie des villes par exemple, et participe à la désertification rurale.
Cette dynamique de fractionnement de notre territoire, de constitution de poches localisées d'exclusion du développement économique et social ou, en d'autres termes, d'apparition de nouvelles formes territoriales de pauvreté, interpelle chacun d'entre nous.
Notre collègue M. Mortemousque soulignait très pertinemment, à l'occasion de la discussion d'une question orale, que « le démantèlement lancinant des services publics en milieu rural risquait de se traduire par un véritable abandon de nos communes ». La disparition des petits commerces de proximité, comme les cafés-tabacs, la petite épicerie, la boulangerie, le bar-restaurant, par exemple, ne constitue-t-elle pas le signe le plus tangible de ce risque ?
Nous savons combien ces commerces de proximité contribuent à la survie de nos villages, de leurs centres nerveux, parce qu'ils participent à l'animation de la vie locale, à la consolidation du tissu social, mais aussi parce qu'en créant un environnement plus favorable ils peuvent avoir des effets d'entraînement positifs sur d'autres activités.
Ils jouent un rôle essentiel dans le maintien et la production du lien social, autrement dit dans la dynamisation sociale, indispensable à la survie des petites communes rurales et à l'aménagement équilibré du territoire.
Or, aujourd'hui, 18 000 communes sont d'ores et déjà dépourvues de ces commerces de proximité ! En quelque trente ans, de 1966 à 1998, on a dénombré pas moins de 140 000 disparitions de commerces de bouche, soit, en moyenne, une « saignée » de 47 000 commerces par décennie.
Ce déclin, qui semble inéluctable si l'on ne réagit pas, touche plus particulièrement, plus rapidement devrait-on dire, les petites communes, comme vous venez de le souligner, monsieur le rapporteur. Ainsi, entre 1980 et 1998, les communes de moins de 250 habitants ont vu disparaître les deux tiers de leurs commerces de proximité, tandis que celles de 250 à 500 habitants en perdaient plus de la moitié !
Nous savons que, en opposant une concurrence de plus en plus insoutenable aux petits commerces indépendants, la grande distribution contribue toujours au modelage du territoire et à la désertification rurale. Comment ne pas admettre que, par divers moyens - produits d'appel pour rendre captive sa clientèle, développement d'une offre multiservices, avec l'appui des nouvelles technologies de communication -, elle se livre à une concurrence déloyale à laquelle les commerces de proximité peuvent difficilement résister ?
Que l'on s'accorde ou non sur l'analyse des facteurs qui contribuent à la désertification de nos zones rurales, au premier rang desquels nous plaçons la mondialisation capitaliste et la rationalisation des modes de vie sous l'impulsion, en particulier, des firmes de la grande distribution, personne ne peut, à l'évidence, nier ce constat.
Pour autant, comme le soulignait, à juste titre, M. Mortemousque, « selon l'immense majorité des élus des cantons, il ne dépend que de la volonté des élus et des pouvoirs publics de bâtir un nouveau développement reposant sur les réalités locales ».
Au cours du riche débat mené en commission des affaires économiques et du Plan sur la proposition de loi déposée par notre groupe, sur l'initiative de notre ami et collègue Gérard Le Cam, certains n'ont pas hésité à qualifier l'idée et le dispositif prévu d'iconoclastes, en rupture avec l'orthodoxie.
Mais, au fond, cette situation historique d'agonie de certaines de nos zones rurales ou de certains points ruraux de notre territoire n'exige-t-elle pas des solutions innovantes plutôt que des remèdes maintes fois éprouvés et dont l'efficacité est pour le moins douteuse ? Les faits sont là : le mouvement de désertification rurale ne s'est pas interrompu, et force est de constater qu'il s'est même accéléré.
Les exonérations fiscales, les soutiens à l'investissement et toutes les autres formes de subsides et subventions indirectes et temporaires, bien que nécessaires, n'ont pas permis d'interrompre la tendance de fond qui condamne à la disparition les petits commerces de proximité.
D'autres mesures, plus volontaristes, fondées sur la solidarité nationale mais aussi interprofessionnelle, et jouant sur des mécanismes de redistribution, devaient donc être imaginées.
Le dispositif proposé permettait d'assurer un complément de revenu pérenne au petit commerçant, en fonction des résultats dégagés par son activité. A la différence des autres mesures, le soutien s'inscrit dans la durée, sans pour autant être permanent si une dynamique s'enclenche. Ce dispositif, qui, aux yeux de certains, est hétérodoxe, constitue la condition sine qua non de la viabilité du petit commerce. Il tient compte des réalités économiques et sociales, de la difficulté de maintenir un commerce, de l'impossibilité d'entreprendre ou de se lancer dans une nouvelle activité commerciale en zone rurale. De plus, cette proposition constitue le chaînon manquant entre l'installation et la transmission qui bénéficient, elles, de dispositifs d'aides.
En effet, dans notre système économique, l'esprit d'entreprise est nécessairement défaillant s'il n'y a pas un espoir de rentabilité à long terme. Quel franc-tireur se lancerait dans une nouvelle activité si la probabilité des gains qu'il espère en tirer dans le futur est trop incertaine ? Dans le cas qui nous préoccupe aujourd'hui, nous savons que cet espoir est vain, que nos commerces dans les petites communes ne sont pas rentables, en tout cas au départ.
Le dispositif proposé par notre groupe a, en outre, l'avantage, dans la période actuelle d'orthodoxie budgétaire, de ne pas grever les finances publiques puisqu'il solliciterait les excédents de la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat, la TACA, dont M. le rapporteur a rappelé, à juste titre, que telle devait être sa vocation dans un souci de solidarité des grandes surfaces à l'égard du petit commerce. Il s'agit, ici, de faire contribuer la grande distribution afin de tenter de rétablir un équilibre entre les parts respectives du petit commerce indépendant et de la grande distribution. En effet, s'il y a des distorsions de concurrence, elles ne jouent évidemment pas, ou elles jouent exceptionnellement, entre les petits commerces. Comme on peut l'observer, c'est à la fermeture simultanée de plusieurs commerces que l'on assiste, en toute impuissance. On fait moins de cas de la distorsion de concurrence liée à la grande distribution.
Par ailleurs, la TACA étant désormais budgétisée, il s'agit, au fond, de faire jouer la solidarité nationale à travers le budget global, au moyen du mécanisme de la redistribution. Les petites collectivités locales, dont les moyens sont modestes, seraient les premières bénéficiaires d'un tel dispositif.
Nous ne pouvons donc que regretter les conclusions négatives auxquelles notre commission a abouti.
Que direz-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, aux élus des petites communes rurales qui cherchent des solutions pour faire subsister leurs commerces de proximité, alors que nous aurions pu tenter cette innovation et expérimenter sur une période de cinq ou six ans ce dispositif qui offre incontestablement de nombreux avantages, et pour un coût plus que raisonnable ?
Nous regrettons d'autant plus ce rejet de la commission des affaires économiques que les arguments développés ne nous paraissent guère convaincants.
Ne doit-on pas y voir des positions de principe, des pétitions de principe à défaut d'arguments ? Au fond, en poursuivant la réflexion, notre démarche semble contraire à l'orthodoxie libérale parce qu'elle en constitue une entorse flagrante ! Or je continue de penser que c'est précisément cette dernière qui nous asphyxie et qui étouffe ce fameux « esprit d'entreprendre » en abandonnant aux seules forces du marché des pans entiers de notre économie.
Vous souhaitez, monsieur le secrétaire d'Etat, « libérer l'esprit d'entreprendre ». Permettez-moi de m'interroger sur le sens de cette formule. Quelles sont donc ces contraintes qui pèseraient sur les petites et moyennes entreprises et que l'on souhaiterait alléger parce qu'elles brident toutes les énergies ?
Quelles contraintes pèsent encore sur cet « esprit d'entreprendre », après la vague de déréglementation que notre économie a subie et que le Gouvernement a encore accentuée ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, ce qui tue l'esprit d'entreprendre, c'est l'esprit affairiste, la volonté de rentabilité immédiate, de gains juteux réalisés sur les marchés financiers !
Ce qui tue l'esprit d'entreprise, ce qui détourne les finances de leur utilisation productive, l'investissement de la création de richesses, c'est la nécessité d'apurer les pertes financières liées à la spéculation et à l'euphorie boursière, en lieu et place du développement de nos industries. Les petites et moyennes entreprises sont les premières à en souffrir puisqu'elles ne trouvent plus les financements qui leur sont nécessaires.
Dans une telle situation, monsieur le secrétaire d'Etat, je ne crois pas que vous parviendrez à ranimer cet esprit d'entreprendre uniquement par des exonérations de charges fiscales, puisque c'est précisément l'entreprise elle-même qui est en danger. De telles solutions ont déjà été éprouvées : elles ne mettent un terme ni aux fermetures d'entreprises ni aux licenciements massifs !
Au-delà de ces considérations générales, mais qui ne sont pas pour autant hors du sujet qui nous occupe, de telles mesures, on l'a souligné, seront inefficaces pour le cas qui nous réunit aujourd'hui.
Monsieur le secrétaire d'Etat, quels engagements concrets comptez-vous prendre pour préserver, voire relancer, les commerces de proximité dans les zones rurales ? D'ailleurs, cette question vaut tout autant pour certaines zones urbanisées, dans lesquelles les commerces de proximité ferment les uns après les autres.
Monsieur le secrétaire d'Etat, cette proposition de loi vous offre, ce soir, l'occasion de montrer votre bonne volonté et votre esprit d'ouverture en direction de la ruralité et du commerce.
Les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen espèrent donc très vivement que ce texte sera voté par notre assemblée. Chacune et chacun d'entre nous en sortira grandi et le rôle spécifique du Sénat au service des collectivités s'en trouvera renforcé. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. - M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il est incontestable que l'objet même de la proposition de loi présentée par notre collègue M. Gérard Le Cam concerne un problème majeur d'aménagement des zones rurales. Parmi nous, qui n'a pas été confronté à la fermeture d'un petit commerce, d'une boulangerie, d'une boucherie ou d'un tabac ?
L'absence de ces commerces est un véritable drame pour les petits villages. Ces commerces sont des lieux de vie, de rencontre, d'échanges, qui permettent à une commune de maintenir sa population. Il est indéniable qu'un village privé de commerce perdra au fur et à mesure sa population jusqu'à l'extinction des dernières générations.
Les grandes surfaces, en offrant à leurs clients une gamme de services très vaste à des prix plus attractifs, représentent une concurrence redoutable. Pour les petits commerces, le handicap est double : d'une part, du fait d'une clientèle réduite et, d'autre part, en raison de relations difficiles avec les grandes et moyennes surfaces. Ce dernier élément est d'autant plus important que l'éloignement du village par rapport à l'agglomération la plus proche ne constitue plus une difficulté.
En effet, dans un livre intitulé La France à 20 minutes, Jean-Marc Benoît constate qu'en une génération les Français ont réussi à se déplacer de plus en plus loin sans que cela leur prenne plus de temps.
Grâce au développement de moyens de déplacement plus rapide, le temps moyen du trajet domicile-travail, le temps pour se rendre au lycée, au supermarché ou à son club de sport est dorénavant de l'ordre de vingt minutes. La notion de temps remplace peu à peu la notion de distance, et la minute celle du kilomètre. C'est ce que révèle ce livre qui affirme que la plupart des Français ont maintenant accès aux principaux services de base en seulement vingt minutes. Il s'agit d'une moyenne, bien évidemment, car il existe des cas extrêmes : dans certains endroits les plus reculés de mon département, par exemple, les lycéens doivent, le lundi, se réveiller à 3 heures du matin pour arriver à l'heure dans leur établissement scolaire afin d'assister au premier cours.
Cependant, en général, l'éloignement n'est plus un handicap et les commerçants doivent imaginer d'autres moyens pour attirer et fidéliser une clientèle. Afin d'éviter une désertification grandissante du milieu rural, il est en effet important de trouver des façons de les retenir.
Pour faire face à ce problème d'aménagement du territoire, la proposition de loi du groupe CRC vise à accorder un revenu de maintien d'activité qui viendrait compléter les ressources financières des personnes souhaitant maintenir, reprendre ou implanter un commerce de proximité dans les communes de moins de 1 000 habitants. Ce revenu, pour reprendre les termes de la proposition de loi, « serait ajustable en fonction du résultat dégagé et sa limite supérieure serait fixée au niveau du RMI actuel ».
Ce système ne peut nous convenir. Certes, il est essentiel de maintenir dans les zones rurales un réseau commercial de proximité, mais ce qui nous est proposé créerait une sorte d'assistanat que nous récusons.
Il est préférable, en effet, d'aider les commerçants des petites communes par un soutien à l'investissement. Au contraire, le complément de ressources préconisé par la proposition de loi risque d'annihiler tout esprit d'initiative.
N'oublions pas également le recours à des aides plus ponctuelles comme celles du fonds interministériel de soutien à l'artisanat et au commerce, le FISAC. Ce fonds peut aussi intervenir pour aider les collectivités locales à maintenir sur leur territoire des petites commerces, comme vous venez de nous le rappeler, monsieur le secrétaire d'Etat.
La présente proposition de loi contribue au contraire à « salariser » les commerçants, en contradiction totale avec leur statut de profession indépendante. Le petit commerce ne peut être assimilé à un service public.
Il faut soutenir les idées originales, les esprits innovants et créatifs, les aider à proposer à la clientèle une offre différente de celle des grandes surfaces, en résumé tout ce qui permet de se démarquer du commerce de masse traditionnel.
M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat. Très bien !
Mme Anne-Marie Payet. Vous l'aurez compris, mes chers collègues, le système proposé par nos collègues communistes ne nous convient pas. En conséquence, le groupe de l'Union centriste votera contre la proposition de loi de M. Le Cam. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Gérard Larcher, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais, en cet instant du débat, livrer trois réflexions et formuler un espoir.
Tout d'abord, il faut savoir gré à nos collègues du groupe CRC - et je le dis très sincèrement - de nous permettre ce soir, par leur initiative, de débattre d'un sujet qui constitue un vrai problème non seulement pour notre espace rural, mais aussi pour certains quartiers de notre espace urbain où les commerces et leur diversité jouent un rôle important d'animation et d'intégration. C'est là un vrai sujet.
Mme Odette Terrade. Absolument !
M. Gérard Larcher, président de la commission. La déprise commerciale qui se poursuit depuis trente ans, plus particulièrement, il est vrai, dans les baux ruraux, et dont M. le rapporteur a rappelé tout à l'heure l'ampleur, affecte profondément l'ensemble de ce que l'on peut appeler les communautés villageoises.
Nous connaissons tous, pour les rencontrer et être à l'écoute de leur désarroi, des élus qui souffrent - et j'utilise ce verbe à dessein - de la disparition de toute activité commerciale dans leur commune - le chiffre cité de 18 000 communes dépourvues de commerce de proximité ne peut nous laisser insensibles - et qui s'interrogent sur l'avenir de la collectivité dont ils ont la charge.
Il n'est pas utile de se livrer à un débat académique sur l'ordre des causes : est-ce parce que la population quitte les communes de ce qu'on nomme le rural profond que les commerces périclitent ou est-ce parce que ceux-ci disparaissent que les jeunes, les retraités, les petits entrepreneurs désertent des hameaux devenus sans âme ? La vérité emprunte certainement à l'un et à l'autre de ces facteurs, mais le constat est là : des territoires chaque année plus importants se retrouvent sans commerce de proximité.
Les premiers à en souffrir sont ceux dont la mobilité n'est pas encore entrée dans la règle judicieuse des vingt minutes citée par Mme Payet, c'est-à-dire les personnes isolées, âgées, et les plus modestes. Ceux-là n'ont pas bénéficié de la profonde restructuration de l'offre commerciale connue par notre pays ces dernières décennies avec le développement de la grande distribution.
Compte tenu de son intérêt pour l'ensemble du territoire rural et urbain, et particulièrement pour l'animation du territoire rural, il était naturel que le Sénat exprime sa préoccupation face à ce phénomène. C'est ce que tous mes collègues ont fait ce soir, monsieur le secrétaire d'Etat, comme vous avez pu en être le témoin attentif, et vous avez vous-même exprimé les préoccupations du Gouvernement à cet égard.
Je tiens à remercier Gérard Le Cam pour la qualité du travail qu'il a accompli, et ce n'est pas là que propos de courtoisie adressé par un président de commission à un rapporteur : ce travail a en effet servi de fondement à un débat riche en commission la semaine dernière, avec quatorze intervenants. Je vous renvoie à cet égard au compte rendu du débat en commission : la discussion ne fut ni escamotée ni engagée de façon superficielle.
Les propositions que Gérard Le Cam avait faites témoignaient d'une prise en compte attentive et scrupuleuse de toutes les difficultés que pouvait soulever le texte de la proposition de loi initiale, en s'efforçant d'y répondre, notamment, je le rappelle, pour éviter un certain nombre d'abus ou pour reprendre certains indus.
Par ailleurs, nos débats en commission ont démontré la nécessité de replacer la problématique du commerce rural et de proximité dans le cadre plus large de la politique d'aménagement du territoire, tant il est vrai que les difficultés auxquelles se heurte l'espace rural sont aujourd'hui très diverses.
Plusieurs d'entre nous l'ont relevé : au-delà du seul commerce, c'est la question des services de proximité, en particulier des services publics, qui doit être posée.
Cher collègue Paul Raoult, j'ai bien noté vos observations sur La Poste. Vous connaissez mon attachement à ce service public. Cependant, ne devrions-nous pas réfléchir demain à la démarche de nos voisins et amis allemands qui ont intégré un certain nombre de points postaux aux commerces de proximité ?
Cette solution permet d'apporter des réponses, de renforcer l'attractivité du commerce de proximité et d'apporter un revenu lié au service public à ceux qui en sont les acteurs.
J'ai bien noté que vous n'étiez pas fermé à cette analyse et à ces propositions. N'en doutons point, dans le cadre de la réflexion que mène notre commission sur la préparation du contrat de plan qui liera La Poste à l'Etat, il nous faudra réfléchir à ces sujets et les aborder, monsieur le secrétaire d'Etat. Dans un pays qui ne sent pas toujours suffisamment les évolutions pour les adapter, il nous faut nous inspirer d'exemples qui parfois ont réussi.
Toutes ces questions, vous le savez, sont portées depuis longtemps par le Sénat.
Je voudrais revenir un instant sur les vingt minutes, chère madame Payet, puisque nous avons abordé ce sujet dès 1994, en préparant avec M. Jean François-Poncet la réflexion sur l'aménagement du territoire.
Quel problème nous étions-nous posé ? Partant d'une observation de la Commission européenne sur la question de savoir quelle distance définissait un principe d'équité de tous les citoyens de la Communauté par rapport à l'accès à des moyens de transport de qualité - trains à grande vitesse ou trains à vitesse accélérée, puisqu'il y a débat entre le Pendolino et d'autres formes de trains à grande vitesse - et au temps mis pour rejoindre une voie rapide ou une voie autoroutière, nous nous étions demandé s'il était possible, dans un monde où la mobilité a changé, que cet objectif des vingt minutes définisse la proximité suffisante pour un service public de qualité, et nous avions abordé ce sujet tant en ce qui concerne le service public postal que d'autres services publics. C'est un sujet que nous devrons approfondir.
Le problème existe, par exemple, dans le domaine hospitalier. Ainsi, sur un territoire comme la Bretagne, de vraies questions se posent à cet égard, notamment.
La réponse de la proximité doit aussi être une réponse de qualité. Or, face au problème de la démographie médicale, nous savons qu'un médecin accoucheur qui réalise moins de deux gestes professionnels par semaine ne peut pas constituer l'équipe qui, dans le domaine néonatal, peut, sur le territoire, apporter des réponses qualitatives équitables à l'ensemble des citoyens. Nous sommes là face à des problèmes qu'il nous faudra aborder de manière responsable et moderne.
Mme Payet a donc soulevé une vraie question, qui se pose d'ailleurs tant sur le territoire métropolitain qu'outre-mer, et à laquelle il nous faudra apporter une réponse.
Il est vrai que les réponses à apporter pour lever ces difficultés nous séparent. Je ne reviendrai pas sur les raisons pour lesquelles la majorité de la commission n'a pas estimé possible d'instituer le dispositif proposé par M. Gérard Le Cam : elles ont été scrupuleusement présentées par M. le rapporteur dans son intervention, ce dont je lui rends hommage.
J'observerai cependant en filigrane de nos échanges qu'apparaissait la problématique entre revenu minimum d'insertion et revenu minimum d'activité. C'est bien l'un des sujets dans lesquels nous devrons sans aucun doute approfondir notre réflexion.
Peut-être notre débat était-il prématuré ou trop circonscrit à une activité économique ou à un type de territoire ?
Quoi qu'il en soit, je souhaite conclure sur une note positive en me tournant vers vous, monsieur le secrétaire d'Etat.
Dans quelques mois, le Parlement sera saisi d'un projet de loi relatif aux affaires rurales. Le titre même de ce texte résume son objet : il s'agira de proposer, dans de nombreux domaines, toute mesure de nature à favoriser le développement, le dynamisme, l'attractivité et l'avenir de nos territoires ruraux.
Sur le plan économique, devraient notamment être examinées des dispositions visant, dans le cadre spécifique de l'espace rural, à faciliter la transmission des entreprises, à soutenir les réseaux de création d'entreprises, ou encore à consolider des coopérations interentreprises.
Vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, dans quelques semaines, le Sénat aura à examiner, d'abord, sans aucun doute dans le cadre d'une commission spéciale, des dispositions très importantes sur l'initiative économique, portant notamment sur la transmission, et, ultérieurement, une ordonnance portant simplification.
Je crois qu'il faudra bien avoir pour préoccupation - et vous l'avez rappelé ce soir - la façon de faire vivre ces commerces dans nos territoires ruraux. En tout cas, après le débat de ce soir, le Sénat sera attentif à cette démarche de vitalité de nos territoires et saura aider le Gouvernement dans cette voie. C'est cela, me semble-t-il, le pragmatisme et le réalisme de notre assemblée. Je suis donc très heureux que nous ayons eu cet échange et ce débat ce soir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Le Cam, rapporteur. Je voudrais tout d'abord remercier Odette Terrade et Paul Raoult pour leur brillante intervention de soutien. Il est parfois agréable de ne pas se sentir seul... (Sourires.)
Mme Danielle Bidard-Reydet. Ça, c'est vrai !
Mme Odette Terrade. Nous étions là !
M. Gérard Le Cam, rapporteur. Si notre assemblée adopte les conclusions négatives de la commission, demain, des milliers de communes devront se résigner à ne plus jamais voir de commerces s'installer en leur sein, ce qui serait dramatique pour l'aménagement de notre territoire. Les commerces sont en effet des lieux de vie, des lieux d'ancrage d'éléments de service public.
On peut donc se demander où est la liberté pour ces communes, sinon celle de ne plus exister en tant que telles !
Dans les communes où il n'y a plus de commerces, il ne serait pas très difficile de choisir quelqu'un parmi les volontaires.
Je constate que les mesures en vigueur, voire celles qui seront contenues dans le projet de loi relatif à l'initiative économique, ne résolvent pas ce problème. Même si vous multipliez le FISAC par deux, par trois ou par dix, même si vous améliorez les conditions de transmission, qui, demain, s'engagera pour tenir un commerce dans une commune rurale de moins de 400 ou 500 habitants, commerce qui, par définition, n'est pas viable, mais qui pourrait le devenir si la pompe était amorcée par le système que j'ai proposé ? La question du fonctionnement n'est pas résolue par les mesures en vigueur, et il faut qu'elle le soit à un moment ou à un autre.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez caricaturé, dans votre intervention, l'Etat, qui aurait à désigner les commerçants bénéficiaires de ce dispositif. Mais personne ne songe à affirmer que l'Etat désigne les pauvres sous prétexte que le préfet décide de l'attribution du RMI !
Vous considérez que ce dispositif est particulièrement complexe. Tel n'est pas mon avis. Quand il y a une volonté, il y a un chemin pour la concrétiser. Nous avons notamment consulté les services fiscaux pour nous assurer de la faisabilité de ce dispositif. Même si nous ne prétendions pas tout résoudre avec ce dispositif, et même si des domaines comme la pluriactivité peuvent être un peu plus compliqués, je reste persuadé que notre système était tout à fait applicable.
Demain, il vous faudra expliquer aux petits commerçants qui vont cesser leur activité dans quelques années ou dans quelques mois sans trouver de repreneur, aux maires des petites communes rurales privées de commerces, pourquoi vous avez refusé cette proposition de loi.
Manifestement, le maillon manquant n'a pas encore été trouvé. J'ose espérer, au même titre que M. le président de la commission des affaires économiques, que les textes à venir permettront de trouver une solution pour résoudre ce problème. Pour l'instant, je n'en vois pas.
Le Sénat va maintenant se prononcer. Je reste profondément persuadé que cette proposition de loi aura servi à quelque chose : à engager une réflexion sur un sujet très important dans notre pays et - je l'espère, du moins - à faire avancer des propositions concrètes - elles peuvent être nombreuses et variées - pour que, demain, une vie puisse exister dans nos communes rurales. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.