PRÉSIDENCE DE M. SERGE VINÇON
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS
M. le président. La conférence des présidents a établi comme suit l'ordre du jour des prochaines séances du Sénat :
Mercredi 21 mai 2003 :
Ordre du jour prioritaire
A 15 heures et le soir :
1° Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux privilèges et immunités de la délégation du Comité international de la Croix-Rouge en France (n° 203, 2002-2003) ;
(La conférence des présidents a décidé de fixer au mardi 20 mai 2003, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte) ;
2° Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions relatives à certains personnels de DCN et GIAT Industries (n° 284, 2002-2003) ;
(La conférence des présidents a décidé de fixer au mardi 20 mai 2003, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte) ;
3° Projet de loi de programme pour l'outre-mer (Urgence déclarée) (n° 214, 2002-2003) ;
Mme Marlène Mélisse, rapporteur de la section des économies régionales et de l'aménagement du territoire du Conseil économique et social, interviendra avant la présentation du rapport de la commission des finances (article 42, alinéa 4, du règlement).
(La conférence des présidents a fixé :
- au mardi 20 mai 2003, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;
- à trois heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mardi 20 mai 2003.)
Jeudi 22 mai 2003 :
A 9 h 30 :
Ordre du jour prioritaire
1° Suite du projet de loi de programme pour l'outre-mer ;
A 15 heures et le soir :
2° Questions d'actualité au Gouvernement ;
(L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant 11 heures) ;
Ordre du jour prioritaire
3° Suite de l'ordre du jour du matin.
Lundi 26 mai 2003 :
Ordre du jour prioritaire
A 16 heures et le soir :
Projet de loi portant décentralisation du revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité (n° 282, 2002-2003).
(La Conférence des Présidents a fixé :
- au lundi 26 mai 2003, à 11 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;
- à deux heures trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le vendredi 23 mai 2003.)
Mardi 27 mai 2003 :
A 9 h 30 :
1° Dix-huit questions orales (l'ordre d'appel des questions sera fixé ultérieurement) :
- n° 176 de Mme Annick Bocandé à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable (Réglementation applicable aux sondages de cavités souterraines) ;
- n° 180 de M. Jean Besson à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (Aides de l'Etat à l'installation des réseaux d'assainissement des eaux) ;
- n° 185 de M. Daniel Goulet à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire (Saisine de la DATAR) ;
- n° 200 de M. Philippe Richert à Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées (Conditions d'attribution de l'allocation d'éducation spéciale) ;
- n° 231 de M. Bernard Piras à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche (Droits de reprographie des oeuvres reproduites dans les écoles du premier degré) ;
- n° 241 de M. Dominique Braye à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer (Desserte routière entre Cergy-Pontoise et Mantes-la-Jolie) ;
- n° 244 de M. Jean-François Picheral à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer (Percement du couloir ferroviaire Val de Durance-Montgenèvre) ;
- n° 245 de Mme Valérie Létard à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire (Reprise par les communes de personnels d'associations gérant des services publics) ;
- n° 246 de M. Roland Courteau à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité (Situation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) ;
- n° 249 de M. Michel Moreigne à M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire (TVA applicable à la tapisserie d'Aubusson) ;
- n° 250 de M. Serge Franchis à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales (Appellation Chablis) ;
- n° 252 de M. Paul Natali à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (Couverture du risque attentat en Corse) ;
- n° 253 de M. Claude Domeizel à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche (Difficultés dans le secteur de l'enseignement) ;
- n° 254 de Mme Marie-Christine Blandin à M. le garde des sceaux, ministre de la justice (Condamnation de responsables de la Confédération paysanne) ;
- n° 256 de M. Ladislas Poniatowski transmise à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable (Ressources financières de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) ;
- n° 257 de M. Bruno Sido à M. le ministre délégué à la famille (Chèque emploi services pour l'emploi d'assistantes maternelles) ;
- n° 258 de Mme Françoise Férat à M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire (Conditions d'inscription scolaire des enfants en zones rurales) ;
- n° 259 de M. José Balarello à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer (Aménagements du tunnel de Tende) ;
A 16 heures :
Ordre du jour prioritaire
2° Suite du projet de loi portant décentralisation du revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité.
A 19 heures :
3° Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant diverses dispositions relatives à l'urbanisme, à l'habitat et à la construction.
Le soir :
4° Suite du projet de loi portant décentralisation du revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité.
Mercredi 28 mai 2003 :
Ordre du jour prioritaire
A 15 heures et, éventuellement, le soir :
Suite du projet de loi portant décentralisation du revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité.
Mardi 3 juin 2003 :
A 9 h 30 :
1° Quinze questions orales (l'ordre d'appel des questions sera fixé ultérieurement) :
- n° 211 de M. Jean-Pierre Bel à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer (Avenir des auto-écoles) ;
- n° 239 de M. Jacques Oudin à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales (Modalités de transfert des moyens du Fonds national des adductions d'eau aux départements) ;
- n° 247 de M. Jean-Pierre Godefroy à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées (Mise en service du caisson hyperbare du centre hospitalier Louis-Pasteur [CHLP] de Cherbourg-Octeville) ;
- n° 248 de M. Jean-Paul Amoudry à Mme la ministre déléguée aux affaires européennes (Négociations d'accords bilatéraux entre l'Union européenne et la Suisse) ;
- n° 255 de Mme Michèle Demessine à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer (Financement du logement des saisonniers) ;
- n° 261 de M. Georges Mouly à Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées (Situation des personnes handicapées psychiques) ;
- n° 262 de M. Alain Vasselle à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (Récupération de la TVA sur les travaux d'enfouissement des lignes téléphoniques) ;
- n° 263 de M. Francis Grignon à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité (Modalités de versement des aides aux entreprises d'insertion) ;
- n° 264 de M. Philippe Madrelle à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable (Indemnisation des sinistrés du naufrage du Prestige) ;
- n° 265 de Mme Marie-Claude Beaudeau à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales (Sécurité des transports de fonds) ;
- n° 266 de M. Philippe Richert à Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées (Maintien à domicile des personnes lourdement handicapées) ;
- n° 267 de Mme Odette Herviaux à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées (Création d'une école des hautes études en santé publique) ;
- n° 268 de Mme Michèle San Vicente à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche (Avenir des personnels des centres d'information et d'orientation) ;
- n° 269 de Mme Josiane Mathon à Mme la ministre de la défense (Situation des sites Giat-Industrie de la Loire) ;
- n° 270 de M. Paul Loridant à Mme la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies (Fermeture de laboratoires de recherche du plateau de Saclay).
A 16 heures et le soir :
Ordre du jour prioritaire
2° Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur les infrastructures (2003-2020) ;
(La conférence des présidents a fixé :
- à quinze minutes, le temps réservé au président de la commission des affaires économiques, au président, au rapporteur général de la commission des finances ainsi qu'au président de la délégation du Sénat à l'aménagement et au développement durable du territoire ;
- à sept heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 2 juin 2003.)
Mercredi 4 juin 2003 :
Ordre du jour prioritaire
A 15 heures :
1° Projet de loi organique relatif au référendum local (n° 297, 2002-2003).
(La conférence des présidents a fixé :
- au mardi 3 juin 2003, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte :
- à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mardi 3 juin 2003.)
Le soir :
2° Eventuellement, suite de l'ordre du jour de l'après-midi.
3° Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, relative à la dévolution du nom de famille (n° 285, 2002-2003).
(La conférence des présidents a fixé au mardi 3 juin 2003, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte.)
Jeudi 5 juin 2003 :
Ordre du jour prioritaire
A 9 h 30 et à 15 heures :
Deuxième lecture du projet de loi de sécurité financière, modifié par l'Assemblée nationale (n° 281, 2002-2003).
(La conférence des présidents a fixé :
- au mercredi 4 juin 2003, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;
- à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mercredi 4 juin 2003.)
Mardi 10 juin 2003 :
Ordre du jour prioritaire
A 9 h 30, à 16 heures et le soir :
1° Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs (n° 240, 2002-2003).
(La conférence des présidents a décidé de fixer au vendredi 6 juin 2003, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte) ;
2° Deuxième lecture, sous réserve de sa transmission, du projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit (AN, n° 831).
(La conférence des présidents a décidé de fixer au vendredi 6 juin 2003, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte) ;
3° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la chasse (n° 300, 2002-2003).
(La conférence des présidents a fixé :
- au mardi 10 juin 2003, à 11 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;
- à trois heures trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le vendredi 6 juin 2003.)
Mercredi 11 juin 2003 :
Ordre du jour prioritaire
A 15 heures et le soir :
Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la chasse.
Jeudi 12 juin 2003 :
A 9 h 30 :
Ordre du jour prioritaire
1° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, pour la confiance dans l'économie numérique (n° 195, 2002-2003).
(La conférence des présidents a fixé :
- au mardi 10 juin 2003, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;
- à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mardi 10 juin 2003.)
A 15 heures et le soir :
2° Questions d'actualité au Gouvernement ;
(L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant 11 heures) ;
3° Suite de l'ordre du jour du matin.
Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?...
Ces propositions sont adoptées.
(M. Christian Poncelet remplace M. Serge Vinçon au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
SOUHAITS DE BIENVENUE
À UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE
DE RUSSIE
M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir et l'honneur de saluer la présence dans notre tribune officielle d'une délégation du Conseil de la Fédération de Russie, conduite par son président, M. Sergueï Mironov. (M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)
Cette visite s'inscrit dans le cadre des relations, désormais bien établies, entre nos deux assemblées et répond au déplacement que j'ai accompli à Moscou et à Saint-Pétersbourg, en septembre, en compagnie de cinq de nos collègues. Elle est particulièrement opportune dans le contexte international actuel et à quelques jours du début de la célébration du tricentenaire de Saint-Pétersbourg, chère au coeur du Président Mironov comme à celui du Président Poutine.
Nous nous rendrons demain au mémorial de Caen, avec nos collègues Jacques Chaumont, président du groupe interparlementaire France-Russie, Ambroise Dupont et René Garrec, sénateurs du Calvados, pour inaugurer avec nos amis russes une exposition consacrée au siège de Leningrad et saluer la mémoire de ceux qui sont morts pour la liberté et la patrie, qu'ils soient russes ou français.
Convaincu de l'utilité de ces rencontres régulières, je forme des voeux pour que nos efforts conjoints contribuent à rapprocher un peu plus encore nos deux peuples et concourent à un meilleur équilibre dans le monde. (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
AVENIR DES SERVICES PUBLICS
Discussion d'une question orale avec débat
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 15.
M. Gérard Larcher appelle l'attention de M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire sur la réorganisation en cours de certains services publics relevant de la responsabilité de l'Etat.
L'action de proximité de nos principaux services publics est un enjeu essentiel pour l'aménagement du territoire de notre pays.
Or, dans le cadre de la relance actuelle de la décentralisation, de la réforme de l'Etat, mais aussi de l'ouverture à la concurrence impulsée par Bruxelles dans plusieurs secteurs, les structures de beaucoup de ces services publics vont devoir s'adapter. C'est une nécessité. Cette adaptation ne saurait toutefois se traduire ni par une remise en cause de la qualité des prestations d'intérêt général rendues à nos concitoyens dans les zones défavorisées, ni par un dépérissement de certains territoires.
Il convient, pour ce faire, de trouver le juste équilibre entre la nécessaire mutation des organismes chargés de services publics et l'indispensable respect d'un maillage pertinent du territoire.
La remise à plat de la carte d'accès aux services publics se doit, en conséquence, d'être engagée en concertation avec les élus locaux afin de déterminer les moyens de maintenir l'attractivité des territoires, notamment ruraux.
Cette démarche nécessite la définition de critères en termes d'accessibilité et de « péréquation » pour l'ensemble de l'offre de services sur un territoire donné : écoles, agences postales, services déconcentrés de l'Etat, hôpitaux, succursales de la Banque de France, SNCF...
C'est pourquoi il demande à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire de nous présenter les objectifs et la méthode du Gouvernement pour réussir pleinement cette nécessaire réforme.
Monsieur le ministre - cher Jean-Paul Delevoye -, mes chers collègues, fidèle à sa vocation d'avocat des collectivités locales, le Sénat démontre une fois encore l'intérêt qu'il porte à l'aménagement du territoire de notre pays, car, à l'évidence, les services publics sont au coeur des territoires, urbains ou ruraux, au coeur des préoccupations de nos concitoyens.
Ainsi, je me réjouis de la tenue de ce débat, « point d'orgue » de la table ronde que j'ai organisée, le 18 mars dernier, avec les présidents des associations d'élus locaux et à laquelle M. le ministre a bien voulu participer.
Aujourd'hui, notre objectif commun est de trouver le juste équilibre entre la nécessaire mutation des services publics et le respect d'un maillage pertinent du territoire auquel les Français sont attachés.
Délicate dans le contexte budgétaire actuel, la résolution de cette « équation » constitue une impérieuse nécessité qui revêt une signification et une importance accrues avec la relance de la décentralisation.
Ecoles, agences postales, hôpitaux, trésoreries, succursales de la Banque de France, subdivisions des services déconcentrés de l'Etat... autant de chantiers qui méritent un « tir groupé ».
Cet objectif de concertation et de coordination de l'action est essentiel si l'on veut parvenir à une juste répartition de ces services, conforter l'attractivité de nos territoires et mettre un terme à la spirale infernale de la « fracture territoriale », qui, finalement, pénalise toujours les plus faibles.
C'est tout le sens de ce débat qui sera l'occasion, pour chacun d'entre nous, d'engager un dialogue, courtois et fructueux, avec M. le ministre, qui ne manquera pas de nous livrer les clés de la réussite de cette réforme essentielle pour l'avenir de nos territoires et de notre pays.
La parole est à M. Gérard Larcher, auteur de la question.
M. Gérard Larcher. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacune et chacun d'entre nous, quel que soit le fauteuil qu'il occupe, entend monter du territoire rural, des villes moyennes, des zones en difficulté de notre territoire national, l'expression d'une certaine inquiétude.
Les associations d'élus et les élus locaux eux-mêmes saisissent régulièrement les sénateurs, représentants naturels et constitutionnels des collectivités territoriales, des préoccupations que leur inspirent les plans de réorganisation de divers services publics, pour certains installés de longue date sur leur territoire.
Sous votre présidence, monsieur le président, et c'est tout un symbole, je suis certain que nombre de nos collègues évoqueront les craintes que suscitent les perspectives de réduction de la présence territoriale de ces services publics que vous venez d'évoquer : bureaux de La Poste, écoles, services déconcentrés de l'Etat, hôpitaux, succursales de la Banque de France, voire tel ou tel centre de tri ou centre ferroviaire.
Les expressions du malaise que l'on perçoit ici et là dans nos régions sont multiples, mais elles me paraissent toutes avoir une source commune : la crainte qu'inspire un avenir incertain.
Cette crainte doit être comprise. Les inquiétudes exprimées doivent être entendues. On ne saurait, surtout au Sénat, les passer sous silence ou les considérer comme superfétatoires. Elles doivent être prises en compte dans la définition de la politique gouvernementale, à l'égard notamment de nos services publics de proximité.
Rien ne doit ni ne peut se faire en tenant à l'écart les élus locaux : tout doit se faire après discussion et concertation avec eux.
Il en va du respect que la République doit à ceux qui, au quotidien, s'engagent pour la réalisation des idéaux citoyens.
Il en va aussi du respect de l'exigence d'aménagement équilibré du territoire auquel le Sénat est particulièrement attaché. Nul ne peut en douter, l'irrigation des territoires par les services publics est en effet un facteur déterminant de leur développement, de l'équilibre d'ensemble du pays, de sa cohésion sociale et territoriale.
Il en va enfin de la nécessaire mise en oeuvre du principe d'égalité des citoyens, qui constitue l'un des fondements de notre droit public. Comment ce principe serait-il respecté si seuls certains de nos compatriotes avaient un accès facile à des services que la collectivité nationale a considérés comme étant d'intérêt général ?
Ce constat fait, devons-nous pour autant demeurer sourds aux véritables interrogations que soulèvent les formes que prend parfois la délivrance de ces prestations d'intérêt général sur le territoire ?
Pouvons-nous continuer à imposer à certaines de nos entreprises de service public dont le champ d'intervention va être entièrement ouvert à la concurrence - et je rappelle que, depuis vingt-cinq ans, tous les gouvernements ont, quelle que soit leur sensibilité, été favorables à cette ouverture à la concurrence - des obligations de dessertes que seul, nous le savons, un solide monopole permet de financer ?
Ne risquerions-nous pas, à suivre une telle voie, d'étouffer, de condamner à mort après l'échéance ces entreprises et, par là même, de compromettre gravement les missions d'intérêt collectif qu'elles assument ?
En ce domaine, pouvons-nous, par exemple, continuer à exiger de La Poste, qui doit se préparer à un choc concurrentiel majeur avec la fin, programmée pour 2009, de son monopole sur le courrier - je rappelle que l'arbitrage a eu lieu sous le précédent gouvernement -,...
M. Gérard Delfau. Hélas !
M. Gérard Larcher. ... qu'elle entretienne sans compensation un réseau de points de contact alors que 20 % d'entre eux travaillent effectivement moins de deux heures par jour et 15 % moins d'une heure par jour ?
Ce type de question vaut également pour des administrations. Ainsi, lorsqu'on parle de l'hôpital public, peut-on envisager de maintenir des maternités où le nombre d'accouchements par an est inférieur au seuil qui garanti la sécurité de la mère et du nouveau-né ? Alors que le professeur Papiernik, autorité en la matière, vient de démontrer que les équipes en obstétrique devaient compter au moins huit accoucheurs, est-il envisageable de prétendre assurer la continuité du service en même temps que sa sécurité ?
Regrouper les maternités comme la démographie médicale nous y contraindra ne veut cependant pas dire tout concentrer : on peut au contraire développer sur le terrain, à proximité, les consultations prénatales et périnatales. Dans ce cas, il nous faut conjuguer proximité, qualité et sécurité.
Lorsqu'on parle des services déconcentrés de l'Etat, peut-on raisonnablement considérer que les budgets nationaux ont une vocation illimitée à assurer le fonctionnement d'antennes locales dont certaines sont peu fréquentées par la population ?
Nous le savons tous, l'argent public est rare et les fonds de l'Etat de plus en plus sollicités. Or, il ne faut pas l'oublier, la dépense publique n'est pas extensible à l'infini. Les dotations que l'Etat affecte à certaines missions limitent le montant de celles qu'il peut attribuer à d'autres. Cependant ces dotations sont l'un des facteurs de la compétitivité nationale, et il y a donc des choix à faire. Ces choix deviennent cruciaux, tant des signes inquiétants appellent l'attention sur un début de déclin économique. Rappelons quand même, à cet égard, notre classement au trentième rang des pays de l'OCDE l'an dernier, soit dix rangs plus loin que l'année précédente !
La question se pose également de savoir si l'Etat est aujourd'hui le mieux à même de définir de manière pertinente le maillage local de nos services publics. Ne conviendrait-il pas, dans ce domaine, d'associer davantage à la réflexion nos collectivités territoriales, plus à même, en raison de leur connaissance intime du terrain, de définir le lieu d'affectation des allocations de ressources publiques et les modalités leur permettant d'avoir l'effet le plus large ?
Enfin, à l'heure où il est largement reconnu qu'une véritable réforme de l'Etat, dont vous êtes également chargé, monsieur le ministre, est indispensable pour assurer le redressement de notre pays, peut-on considérer que cette réforme ne devrait entraîner aucune conséquence sur les modalités d'organisation territoriale de nos services publics ?
D'une manière générale, dans un monde qui change à un rythme accéléré, peut-on se contenter d'exiger le statu quo ? Dans une Europe où les frontières s'estompent, pouvons-nous nous interdire de nous comparer aux autres ? En établissant de telles comparaisons, pouvons-nous, par exemple, objectivement estimer que la Banque de France, qui entre pour un peu plus de 16 % dans le capital de la Banque centrale européenne, ou BCE - au regard de la part de la population et du PIB français dans l'Union européenne -, doit continuer à employer 27 % des effectifs totaux des banques centrales de l'« eurosystème », alors qu'une partie de ses compétences traditionnelles a été transférée à la BCE ? Peut-elle raisonnablement, dans un tel contexte, envisager d'entretenir deux cent onze succursales de plein exercice, alors que, à titre de comparaison, en Espagne, il n'y en aura plus que vingt en 2004 ?
Au terme de ce questionnement, une interrogation centrale me paraît se dégager : n'avons-nous de choix politique qu'entre le sacrifice de l'aménagement du territoire à l'économie ou l'immolation progressive de l'économie sur l'autel du territoire ? Je ne le crois pas, mais nous ne pourrons concilier développement équilibré du territoire et adaptation aux exigences de la modernité économique qu'en faisant preuve de volonté, de lucidité et d'inventivité.
L'une de nos premières préoccupations doit à mon sens être de réfléchir aussi en termes d'accessibilité du service, et non pas seulement en termes de maintien systématique des formes traditionnelles de sa présence.
Je prendrai, là aussi, l'exemple du réseau postal. Aujourd'hui, le nombre et, par certains aspects, la répartition des bureaux de poste de plein exercice demeurent fort proches de ce qu'ils étaient dans la France encore rurale de 1914. Or, en 1914, ce réseau était conçu pour permettre la distribution du courrier en une journée en tout point du territoire national - c'était la définition retenue par l'administration postale avant la Première Guerre mondiale -, et, tout particulièrement en zone rurale, par des facteurs circulant à pied ou à bicyclette. Force est de constater que, de nos jours, il n'existe plus guère de facteurs qui, en zone rurale, font leur tournée à pied ou à bicyclette !
Mme Hélène Luc. Aujourd'hui, il y a le TGV !
M. Gérard Larcher. Ne serait-il pas possible de définir des critères d'accessibilité des services postaux prenant davantage en compte la réalité nouvelle du territoire, l'existence de moyens modernes de transport ou de communication ?
Beaucoup de postes européennes, attachées au service d'intérêt général, ont ainsi une grille d'implantation de leur réseau établie de manière à garantir que les citoyens n'auront pas plus d'un nombre préfixé de kilomètres à parcourir pour accéder à l'une de leurs antennes, celles-ci pouvant d'ailleurs venir à leur rencontre. En France, sans doute conviendrait-il de corriger ce critère de distance par ceux du temps moyen d'attente aux guichets dans les centres urbains et du temps nécessaire pour parcourir le nombre de kilomètres retenu dans des zones accidentées, telles que les zones de montagne.
Sur ce fondement, ne pourrait-on imposer à l'opérateur postal des critères garantissant aux citoyens un accès aisé tout en étant économiquement raisonnables ? Ne pourrait-on ainsi organiser une partie de ce maillage en l'appuyant sur des réseaux commerciaux, comme cela a été fait dans un certain nombre de pays de l'Union européenne ? Des expériences, dont les premiers bilans apparaissent d'ores et déjà satisfaisants, sont actuellement conduites par La Poste pour permettre la diffusion des principaux produits postaux par les commerces ruraux. L'appoint de ces prestations au chiffre d'affaires est d'ailleurs souvent un facteur favorisant l'équilibre des comptes de ces derniers et leur maintien sur le territoire. De telles expériences, monsieur le ministre, ne pourraient-elles pas être étendues ? La Poste ne pourrait-elle, parallèlement, développer ses services en ligne ? Ne pourrait-elle pas, en particulier, assurer des envois de courriels par Internet, auxquels elle conférerait date certaine, voire, sous certaines conditions à déterminer, valeur de courrier recommandé ? Nous avons formulé cette proposition voilà déjà bien longtemps dans cette enceinte.
L'exemple postal vaut pour d'autres services publics organisés en réseaux. L'idée clé, dans ce domaine, ne consisterait-elle pas à chercher à inventer dès aujourd'hui les réseaux de services publics de 2014, plutôt que de se focaliser sur le maintien des formes qu'avaient ces réseaux en 1914 ?
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. Gérard Larcher. Bien entendu, rien n'interdirait, dans la perspective qui vient d'être tracée, que, au-delà de ce que l'Etat imposerait comme critères d'accessibilité à l'échelon national, les collectivités territoriales fixent, si elles le souhaitent, des règles assurant une plus grande proximité physique. Cependant, ne conviendrait-il pas alors qu'elles prennent les moyens, notamment au travers d'une péréquation financière adaptée - sur laquelle il nous faudra bien revenir, puisque c'est un point essentiel -, d'assurer ce maillage complémentaire ? Sinon, en effet, les déséquilibres entre les zones les plus riches et les autres s'accentueraient.
Tout cela apparaîtrait logique à une réserve essentielle près : en certains points du territoire particulièrement défavorisés, où les collectivités locales se trouvent démunies, un effort de solidarité nationale devrait être consenti directement par l'Etat pour garantir un minimum d'activités sur le plan local.
Une telle logique imposerait bien entendu une remise en cause de nos habitudes d'uniformité réglementaire. On devrait accepter que les réponses ne soient pas toutes déclinées de manière identique partout. Les collectivités territoriales prenant en charge la partie complémentaire des réseaux publics nationaux pourraient être, selon la nature des dossiers, mais aussi en fonction des spécificités locales, tantôt la région, tantôt le département, tantôt les communautés de communes, tantôt, quand cela est possible, la commune seule. Le contrat entre l'Etat, la collectivité territoriale et, lorsque cela est nécessaire, l'opérateur de service public deviendrait alors le complément naturel du règlement national.
Au-delà de ces nouvelles formes d'organisation garantissant le caractère effectif de la prestation, un effort considérable devrait être consenti pour l'« irrigation » du territoire par les nouvelles technologies.
Le Sénat, sur l'initiative de sa commission des affaires économiques et de notre collègue Bruno Sido, a déjà fait des propositions visant à assurer la diffusion des moyens de téléphonie mobile dans les zones actuellement non couvertes,...
M. le président. Très bien !
M. Gérard Larcher. ... et l'on peut avoir bon espoir que ces propositions aient prochainement force de loi. Si nous n'insistons pas en ce sens, nous attendrons encore longtemps !
M. le président. Très bien !
M. Gérard Larcher. Les réflexions doivent maintenant s'accélérer s'agissant des moyens d'établir un meilleur maillage des territoires par les réseaux numériques à haut débit,...
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. Gérard Larcher. ... et des mesures adaptées devraient pouvoir être prises rapidement. Notre collègue Pierre Hérisson, président de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications, étudie lui aussi avec attention cette question, à laquelle vous avez vous-même, monsieur le ministre, porté un grand intérêt dans le cadre de la préparation du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique.
En effet, ne nous leurrons pas : en 2014, une présence immobilière massive des services publics sera sans doute moins nécessaire, mais ceux-ci ne pourront assurer des prestations de qualité au profit de nos concitoyens sans moyens modernes de communication.
Le combat pour le service public de demain passe donc par un intense effort d'investissement sur le territoire en matière de nouvelles technologies de communication.
Telles sont les quelques réflexions et interrogations que je souhaitais formuler devant vous, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom de la commission des affaires économiques. Les sénateurs membres de celle-ci sont particulièrement sensibles aux réalités économiques, mais ils sont également passionnément attachés à la diversité et à l'équilibre de nos territoires. Aussi la recherche de la conciliation politique entre ces deux impératifs, qui peuvent paraître opposés, est-elle bien au coeur de leurs préoccupations majeures.
Voilà pourquoi nous souhaitions vous interroger, monsieur le ministre. Ce débat est utile alors que nous allons bientôt examiner différents textes relatifs aux infrastructures de transport et à l'aménagement équilibré du territoire, au travers notamment de la décentralisation. Nous devons faire en sorte que cette décentralisation ne soit pas une « balkanisation », mais permette au contraire le renforcement de la vitalité du territoire, en sollicitant ces ressources primordiales que représentent les hommes et les femmes qui l'habitent.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tel est le sens de notre débat d'aujourd'hui, que nous avons souhaité organiser pour éclairer nos travaux futurs. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Gérard Delfau. Au moins, c'est clair !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Oui, c'est très clair !
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 52 minutes ;
Groupe socialiste, 28 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 13 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 10 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Vous venez de dire, monsieur Larcher, que les élus locaux ressentaient une sourde inquiétude. J'ajouterai que cette inquiétude est partagée par les salariés de la fonction publique ; les manifestations qui se déroulent actuellement en témoignent amplement.
Mme Hélène Luc. Très bien !
Mme Marie-France Beaufils. Ce qui marque de façon essentielle les services publics depuis 1995, c'est l'accélération du processus de libéralisation, à la suite de l'intervention de l'accord général sur le commerce et les services, dénommé « AGCS » par les spécialistes, dont l'objet est d'assurer « un accès effectif au marché » s'agissant du gaz, de l'électricité, du service postal, de l'organisation du service aérien et du chemin de fer. C'est ce que vous appelez, monsieur Larcher, monsieur le ministre, la « réorganisation en cours » ; c'est ce que nous appelons, pour notre part, la déréglementation, la dérégulation, en réalité la tentative de privatisation de secteurs entiers qui pourtant, aujourd'hui encore, répondent à un objectif de justice sociale.
En effet, les services publics ont pour mission de garantir à chaque citoyen, dans des conditions d'égalité, quels que soient son niveau de revenu et son lieu d'habitation, l'accès à un ensemble de biens et de services jugés fondamentaux.
Vous savez, chers collègues de la majorité, que l'attachement au service public est fort dans notre pays et que les processus en cours soulèvent une vive réprobation chez les salariés et les usagers. Les derniers textes tendant à la transposition de directives européennes que vous avez votés, concernant Air France, France Télécom ou EDF-GDF, ont pour seul objet la privatisation de ces entreprises publiques, alors que les textes européens eux-mêmes ne l'imposaient pas.
L'adaptation « nécessaire » que vous avez évoquée dans votre intervention, monsieur Larcher, consiste en fait à appliquer plus fortement encore les règles de gestion des entreprises capitalistes à un secteur où la concurrence n'a pas de justification économique. Le libre jeu du marché que vous prônez est en contradiction totale avec la notion même de service public. Peut-on imaginer un instant que seuls ceux qui en auront les moyens puissent accéder à un service et que le coût de celui-ci soit différent selon que l'on réside à Paris ou dans le Limousin ? Peut-on imaginer que la concurrence soit la seule règle, ce qui supposerait la suppression de monopoles publics, tels que le service postal, qui ont fait la preuve, jusqu'à présent, de leur pertinence et de leur efficacité économique ?
Nous devons d'ailleurs tous constater que, là où la concurrence existe, le secteur privé tente très vite de constituer un monopole ou un oligopole : l'exemple de la distribution d'eau est marquant à cet égard. Peut-on admettre que la seule motivation à la fourniture de biens et de services fondamentaux soit la recherche du profit et la satisfaction des actionnaires ?
La question orale avec débat posée aujourd'hui est une vraie question de société. Fait-on le choix de la justice sociale, d'un aménagement du territoire respectueux de l'environnement, de l'égalité d'accès pour tous aux services publics ? Ce principe d'égalité, l'un des principes fondateurs de notre République, qui suppose de traiter les inégalités et non de remplacer l'égalité par l'équité, vous y avez déjà profondément porté atteinte par la récente révision constitutionnelle, chers collègues de la majorité.
Les salariés actifs ou retraités qui descendent en masse dans la rue nous rappellent que nos concitoyens sont attachés à ces valeurs et ne sont pas prêts à accepter vos renoncements.
Votre politique néolibérale contribue à l'affaiblissement et à l'érosion des services publics. Dans les années quatre-vingt, Mme Thatcher a été à l'origine de la disparition des services et entreprises publics en Grande-Bretagne. Les politiques européennes, qui ont été fortement inspirées par cette expérience, ont contribué à l'érosion des services publics en les ouvrant à la concurrence. Elles ont permis de confortables plus-values boursières pour les actionnaires mais n'ont pas répondu aux besoins des populations.
Aujourd'hui, le marché deviendrait la panacée et le service public ne serait admis que comme une exception tout juste tolérée, comme une dérogation au principe général de la concurrence.
Nous assistons, de la part des opérateurs, à une focalisation sur les bénéfices à court terme, avec ces corollaires que sont la suppression des emplois ou leur précarisation, ainsi que l'offre d'un service privilégié aux « gros clients », au détriment de celui qui est rendu aux particuliers, aux usagers.
La réforme constitutionnelle qui a été votée par le Congrès condamne notre République au morcellement ; votre volonté de concentrer l'action de l'Etat sur les seules missions dites « régaliennes » constitue un reniement de la mission de solidarité de ce dernier ; la réduction drastique des dépenses publiques n'est que la confirmation de votre politique d'abandon ; votre attaque brutale contre les retraites, qui annonce celle qui sera lancée contre la sécurité sociale, correspond aux attentes du MEDEF.
En modifiant l'article 1er de la Constitution, vous avez nié la première responsabilité de l'Etat, qui est d'assurer l'égalité entre les citoyens dans tous les domaines de l'action publique. Vous voulez permettre à l'Etat de se défausser en reportant les dépenses publiques sur les collectivités, afin de respecter les critères de Maastricht.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Très bien !
Mme Marie-France Beaufils. Vous renvoyez aux collectivités territoriales, sans leur donner les moyens de l'assumer, la responsabilité de satisfaire les besoins fondamentaux en matière d'éducation, de santé, d'économie, d'environnement, de logement, de lutte contre l'exclusion, et au regard de bien d'autres expérimentations possibles. Sans ressources suffisantes transférées aux collectivités territoriales et compte tenu de la disparité des richesses entre celles-ci, c'est la porte ouverte à la prise en charge par les citoyens eux-mêmes de leurs besoins.
L'heure n'est donc pas seulement, comme vous l'affirmez, monsieur Larcher, à la recherche des moyens de « remettre à plat la carte d'accès aux services publics » ; il faut également définir quels moyens l'Etat est prêt à consacrer à une véritable dynamisation de tous les territoires de notre pays.
La décentralisation, c'est aussi, dans le droit-fil des plans sociaux qui se succèdent, la disparition de plusieurs milliers d'emplois publics. Les conditions des transferts de compétences vont favoriser la privatisation de certains services, ainsi que la précarisation des recrutements et des statuts ; les personnels de l'éducation nationale, de l'équipement, pour ne citer que quelques exemples, ne sont pas disposés à accepter d'emblée des décisions élaborées sans aucune concertation. Je ne peux que les approuver.
Quand nous disons cela, nous ne disons pas que tout doit rester en l'état. Comment gérer les entreprises publiques, comment les démocratiser ? C'est là, en fait, le débat que nous devrions avoir.
Nous pensons, quant à nous, qu'il serait souhaitable que le secteur public puisse échapper, en France et en Europe, à la régulation par le marché et par la concurrence, à la contrainte de la rentabilité financière. Il doit, au contraire, contribuer à développer des droits nouveaux d'intervention, de contrôle et de gestion pour les agents, les usagers et les élus, au travers de leurs organisations. Pour cela, il faut envisager d'inverser la démarche et entreprendre des réformes qui permettent de se dégager des marchés financiers.
Le rôle de l'Etat reste essentiel, mais des changements d'orientation sont nécessaires : il faut desserrer les contraintes qui pèsent sur le budget national et, en particulier, abandonner le carcan que constitue le pacte de stabilité européen ; il faut renverser les priorités au bénéfice des dépenses sociales ; il faut revoir la fiscalité, en instaurant une imposition des revenus spéculatifs et des grandes fortunes et une réforme en profondeur des finances locales. Ainsi, des ressources nouvelles pourraient être dégagées en vue d'une augmentation significative des budgets publics.
Se soustraire à la domination des marchés financiers, c'est aussi éviter les risques qui sont liés à leur volatilité. Souvenons-nous de la fuite, en 1998, des fonds de pension américains qui détenaient 40 % du capital d'Alcatel, et de la crise qui s'ensuivit.
Pour réussir, il faut mobiliser les ressources qui sont gérées par le système bancaire et de crédit. Cela suppose la création d'un pôle public bancaire rassemblant les banques et les institutions publiques et semi-publiques, à but non lucratif, à vocation mutualiste ou coopérative. La Caisse des dépôts et consignations, la Caisse d'épargne et le service financier de La Poste pourraient le permettre.
Les 16,6 milliards d'euros que représentent les actuelles aides publiques à l'emploi pourraient alimenter un fonds national décentralisé, chargé de la distribution de crédits bonifiés, accordés à des projets d'investissement, en fonction de leur contribution à la création d'emplois et à la croissance réelle de l'économie, et ce sous le contrôle des salariés, de la population et des élus.
La concurrence est synonyme de suppressions d'emplois, de gâchis de ressources naturelles, d'inégalités de développement, de sources potentielles de conflits. Elle est devenue un principe inhumain. Il est temps, aujourd'hui, de penser d'autres modes de relations économiques fondés sur d'autres valeurs en favorisant la coopération. Le secteur public pourrait, en la matière, avoir un rôle moteur.
Par exemple, aujourd'hui, une bonne desserte de nos territoires ne suppose-t-elle pas que l'on recherche plus la complémentarité, l'intermodalité dans le domaine des transports ?
Il serait possible aussi d'envisager des coopérations public-privé pour développer des complémentarités et des synergies, transférables également au niveau international où les besoins à satisfaire sont colossaux, notamment dans les pays du tiers monde et de l'est européen.
Quelle est la place des usagers dans les services publics ?
Aujourd'hui, ils sont exclus des processus de décision. Nous proposons qu'ils aient réellement les moyens de participer aux choix.
Pour cela, les structures de direction doivent s'ouvrir aux usagers et aux élus. Elles doivent également être décentralisées avec des structures ayant délégation pour traiter des questions d'ordre régional ou local tout en gardant le statut national des entreprises ainsi que celui des personnels.
C'est ainsi que l'on pourra véritablement apporter une réponse pertinente aux besoins, sur tous les territoires.
Pour mener à bien leur tâche, les salariés, qu'ils relèvent du secteur public ou du secteur privé, doivent voir leur dignité fondée sur la citoyenneté dans l'entreprise, corollaire de la citoyenneté dans la cité. Or la recherche permanente de baisse des coûts salariaux, que vous traduisez par la remise en cause des statuts des personnels des services publics, ne peut y contribuer.
Le secteur public, dont la part est minoritaire dans notre économie et qui est soumis aux critères de gestion des entreprises privées, doit, contrairement à ce que vous faites, s'étendre, se moderniser et se démocratiser. Il faut développer de véritables pôles publics avec un réseau d'entreprises autour de secteurs fondamentaux : la communication et l'audiovisuel, les transports de voyageurs, la gestion de l'eau et des déchets, l'énergie, le crédit et les institutions financières. Dans votre conception de la société, la concurrence et le marché prédominent. Selon nous, une société fondée sur l'intérêt des êtres humains est la réponse attendue aux défis de notre temps. Les entreprises publiques ont un rôle décisif dans cette conception.
Monsieur le ministre, tous les actes du Gouvernement ont, depuis votre arrivée au pouvoir, le même objectif : mettre en place une société libérale en vous attaquant à la moindre parcelle démocratique et aux acquis sociaux des citoyens. C'est pourquoi les services publics sont au coeur de votre cible.
Monsieur le ministre, nous avons préféré, à l'occasion de cette question orale, et compte tenu des textes en préparation, vous faire part de notre conception des services publics et vous demander comment vous comptez intervenir pour que tous les domaines concernés par l'Accord général sur le commerce et les services soient retirés de la négociation de l'Organisation mondiale du commerce. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Mortemousque.
M. Dominique Mortemousque. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier chaleureusement notre collègue Gérard Larcher d'avoir pris l'initiative de déposer une question orale avec débat sur l'avenir des services publics.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, ce sujet me tient à coeur et, à deux reprises déjà, je suis intervenu dans cet hémicycle pour appeler l'attention du Gouvernement sur la réorganisation des services publics en milieu rural et sur le développement des zones rurales.
Dans ma question orale du 17 décembre dernier, j'avais formulé quatre suggestions en faveur du service public en milieu rural : premièrement, dresser l'inventaire des services publics dans chaque département ; deuxièmement, faire le point sur la couverture du territoire par la téléphonie mobile et par l'accès à Internet grâce à l'ADSL ; troisièmement, soumettre les établissements publics à une seule autorité locale ; quatrièmement, évaluer chaque année l'organisation des services publics afin de l'adapter.
Depuis mon intervention, la situation a évolué. D'une part, monsieur le président du Sénat, vous nous avez annoncé, le 19 mars dernier, qu'un débat sur les services publics aurait lieu dans cet hémicycle d'ici à l'été. J'apprécie de constater que cette intention trouve aujourd'hui sa concrétisation. D'autre part, vous avez décidé, monsieur le ministre, de lancer une expérimentation sur l'offre des services publics dans trois départements, et je vous en remercie vivement.
Je crois devoir rappeler que, avec son avant-projet de loi sur le développement rural, le Gouvernement a pour ambition d'accroître l'attractivité des territoires ruraux.
La création d'activités nouvelles qui en résultera devrait renforcer la mise en place de services marchands de qualité. Mais le développement économique des territoires ruraux suppose un préalable : l'équipement de services de qualité modernes et accessibles à tous, accompagnés, bien sûr, d'une véritable politique de péréquation entre les territoires urbains et les territoires ruraux.
Aussi je souhaite, monsieur le ministre, que vous m'apportiez des précisions sur les modalités des expériences qui vont être menées en Dordogne mais également en Charente et en Savoie, et qui revêtent une importance toute particulière car elles permettront de généraliser sur d'autres territoires une offre nouvelle des services publics apportant une réponse adaptée aux besoins exprimés par de nombreuses collectivités locales.
Tout à l'heure, M. Gérard Larcher, a évoqué ce qui pourra se passer demain. Pour ma part, j'appliquerai le proverbe : « Aide-toi, le ciel t'aidera ». Nous sommes prêts à coopérer, à l'échelon des territoires. Dans le monde agricole, j'ai appris que, pour évoluer, il faut savoir faire de la coopération, c'est-à-dire monter des CUMA, ou coopératives d'utilisation de matériel agricole, s'organiser en GAEC, ou groupements agricoles d'exploitation en commun, et mettre en place des coopératives ; ce n'est qu'ensuite que l'on peut solliciter l'aide des pouvoirs publics. C'est dans cet esprit que nous allons travailler. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Henri de Raincourt. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, reconnaissons ensemble que, depuis de nombreuses années, la France rurale est la France oubliée.
Soyons francs et réalistes : il y avait de moins en moins d'habitants, de moins en moins d'électeurs. Doit-on en déduire que ce sont ces raisons qui ont empêché le monde rural de conserver sa vitalité, son dynamisme et sa parité sociale ? Pour ma part, je ne le pense pas. Depuis des années, on parle beaucoup de parité, on entend souvent dire que 80 % de la population vit sur 20 % du territoire. Au début du siècle dernier, comme l'a remarquablement exposé M. Gérard Larcher, c'était l'inverse : 80 % de la France était là où elle n'est pas aujourd'hui.
M. Gérard Larcher. Effectivement !
M. Jean Boyer. Mes chers collègues, la vie engendre la vie, mais le travail localise les populations. C'est lui qui retient au pays et qui engendre l'animation, l'existence d'une communauté de vie regroupant une population diverse et complémentaire. Mais tout cela n'est pas simple à réaliser. Quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous savons que les entreprises s'implantent là où elles veulent, et non où l'on souhaite qu'elles s'installent. Mais dépassionnons notre débat et, après la querelle des anciens et des modernes, ne créons pas une opposition entre les urbains et les ruraux.
M. Gérard Larcher. Très bien !
M. Jean Boyer. Avons-nous été assez courageux pour inciter certaines entreprises à s'implanter dans des communes rurales ? Avons-nous été capables de proposer la différence par des aides financières attractives ? Je ne le crois pas. On a certes établi des schémas, dressé l'état des lieux et délimité un zonage particulier. Très franchement, je crois que la culpabilité est collective et que les élus d'hier comme les élus actuels devraient reconnaître qu'il n'y a pas eu assez de décisions courageuses.
A-t-on porté suffisamment d'attention au monde rural afin que ceux qui y étaient nés puissent continuer à y vivre et à y travailler ? Je ne le crois pas. Tout d'abord, nos communes n'ont pas été suffisamment aidées, nous n'avons pas pris en compte l'espace à gérer. Il n'y a pas eu de mise en place d'un coefficient territorial réaliste et adapté. Comment une commune de deux cents habitants qui a l'obligation d'entretenir plus de vingt kilomètres de chemins ruraux ou de voies communales peut-elle dégager des moyens pour prendre des initiatives afin, notamment, de maintenir la présence des artisans ?
La France urbaine, je le sais, connaît, elle aussi, des difficultés, avec l'existence de friches industrielles souvent inquiétantes. Mais avons-nous accordé du crédit aux friches agricoles, qui, dans certains villages, représentent deux bâtiments sur trois ?
Aujourd'hui, ceux qui vivent dans ces villages, particulièrement les agriculteurs, s'inquiètent non pas de trouver des terres à exploiter, mais d'avoir des voisins avec lesquels échanger et vivre normalement.
Certaines prestations de services publics sont effectivement aujourd'hui assurées par des services privés, par des entreprises familiales, mais pour combien de temps encore ?
Alors que faire pour la France de demain ? Vous le savez tous, on regroupe les perceptions et les trésoreries ; les écoles publiques ou privées ferment ; on voit disparaître des classes ; on supprime des maternités. Tout cela a été dit. Depuis quelques semaines, la présence postale est souvent compressée. On accélère non pas la suppression des services postaux, mais la diminution de service.
Les gendarmeries, pour prendre un exemple qui me vient à l'esprit, se constituent en communautés de brigades. Cette évolution est certainement nécessaire, monsieur le ministre, mais, en pratique, elle se traduit très souvent par une réalité difficile. Les accidents n'ont pas obligatoirement lieu dans la journée. Or, en fin de journée, ceux qui assurent l'astreinte peuvent malheureusement se situer - j'ai des exemples concrets, y compris dans mon canton - à trente, voire à trente-cinq kilomètres du lieu de l'accident ou de l'incident. Il en est de même pour les services départementaux d'incendie et de secours. Comment peut-on parler de parité sociale quand un centre de secours se trouve à vingt kilomètres du lieu de l'accident ? La maison a le temps de brûler et la victime de mourir !
Monsieur le ministre, je ne suis que l'un des millions de ruraux qui, comme d'autres l'ont fait, souhaitent vous délivrer un message du coeur, vous lancer un véritable appel, parce que nous nous sentons désarmés.
Je sais qu'il est facile de dresser un constat et toujours difficile d'y apporter des solutions. Mais je voudrais que mon message soit collectif et que, majorité ou opposition, nous parlions d'une seule voix afin que, dans ces départements de montagne, on puisse garder l'espérance et maintenir une cohésion sociale.
Monsieur le ministre, vous avez reçu à plusieurs reprises la confiance des maires de France. Je suis de ceux qui, aujourd'hui - et je le dis non pas parce que vous êtes présent au banc du Gouvernement mais parce que c'est vrai -, ont confiance en vous et savent que vous ferez le maximum pour le monde rural. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Godefroy. On verra !
M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, presque dix ans après le débat sur la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, présentée par MM. Charles Pasqua et Daniel Hoeffel, et dont notre collègue Gérard Larcher, président de la commission des affaires économiques, était le rapporteur, le climat a bien changé. Il n'est plus question de volontarisme pour le maintien de la présence des services publics sur l'ensemble du territoire, encore moins de reconquête des territoires ruraux délaissés ou des quartiers urbains désertés.
Le désengagement de la présence des entreprises publiques et des services déconcentrés de l'Etat est présenté comme une « nécessité » dictée par Bruxelles, la décentralisation et la réforme de l'Etat, selon les termes mêmes de l'auteur de la question M. Gérard Larcher.
Là où le Sénat avait imposé, à la suite de la mission François-Poncet, un schéma départemental des services publics, une étude d'impact pour chaque suppression projetée et le pouvoir de suspension dévolu au préfet en cas de contestation d'une décision, nous attendons vainement que le Gouvernement s'explique, qu'il fixe ses « objectifs » et une « méthode » alors que la nouvelle vague de fermetures ou de regroupements des sites se conjugue à l'affaiblissement, voire à la dégradation de la qualité des services en termes d'ouverture des bureaux ou de gamme de prestations.
C'est un recul généralisé qui s'accélère, même si, à cette tribune, unanimement, nous le déplorons.
La crise majeure qui secoue, en ce moment même, la fonction publique et le secteur public et nationalisé trouve, au-delà du problème aigu des retraites, sa source dans la conviction que la politique du Gouvernerment sacrifie délibérément les services publics d'Etat, ou nationalisés, se déchargeant sur les collectivités territoriales du soin d'atténuer l'impact négatif de cet abandon, sans se soucier de ce qui serait son corollaire : un transfert de dotation budgétaire pour compenser les charges ainsi créées et une péréquation généralisée des ressources pour égaliser les budgets entre collectivités riches et collectivités pauvres, comme le font notamment l'Allemagne et l'Espagne.
Dressons un premier bilan d'un an de gouvernement Raffarin : la fermeture, plutôt que la reconversion, des petites maternités et des cliniques polyvalentes s'est accélérée. Dans mon département, par exemple, nous nous battons durement pour que Lodève, sous-préfecture de 7 000 habitants, ne perde pas son unique centre de soins dont le potentiel en « lits » serait transféré à Montpellier. La reconquête des liaisons transversales, ou doublant de grands axes routiers par le chemin de fer, a été stoppée. Ainsi, l'engagement de l'Etat sur la desserte du Massif central par la SNCF - la ligne dite Béziers-Neussargues - est remis en question au détriment des communes desservies et du développement du fret ferroviaire, pourtant si nécessaire.
La fermeture des perceptions ou des trésoreries a repris à vive allure. Tous les personnels partant à la retraite ne sont pas remplacés, et ce sont des salariés moins formés ou vacataires qui, dans le meilleur des cas, leur succèdent.
La Banque de France s'apprête à fermer, dans l'Hérault, deux de ses trois succursales, celles de Béziers et de Sète, et, dans le Gard, celle d'Alès, au profit d'une implantation unique à Montpellier.
La Poste, quant à elle, est écartelée - nous sommes au moins d'accord sur ce point, monsieur Larcher ! - entre la nécessité d'équilibrer ses comptes, que plombent l'ouverture à la concurrence de la distribution du courrier, le développement du fax et de l'Internet, et la très forte demande des élus locaux en faveur du maintien du réseau d'agences et de bureaux de plein exercice sur l'ensemble de leur territoire. Or certaines catégories de la population des zones rurales et des quartiers urbains excentrés ou sensibles rencontrent désormais un problème majeur d'accès aux services financiers de base, dû au redéploiement des banques et à une sélection accrue de leur clientèle en fonction des revenus. Faisons un retour en arrière : qui aurait pu penser que le xxie siècle mettrait en cause le droit au compte et au chéquier que les CCP, les comptes chèques postaux, avaient inauguré à l'issue de la guerre de 1914-1918 ?
Telle est la liste non exhaustive des régressions en cours.
Mais le Gouvernement, porte d'autres atteintes plus insidieuses et sans doute beaucoup plus graves encore au service public, ce dont nos collègues maires prennent peu à peu conscience.
S'agissant de l'éducation, il tente de se décharger du poids budgétaire d'une partie des personnels tantôt sur les régions et les départements, tantôt sur les communes. Rappelons la suppression des aides éducateurs, et ce malgré l'aide précieuse que ces derniers apportent au bon déroulement de la vie scolaire, tout particulièrement au sein des collèges. Notons aussi le transfert des personnels spécialisés du second degré, qu'il s'agisse des personnels de l'enseignement technique, des personnels d'orientation ou de formation professionnelle.
Au-delà de la cassure opérée au sein de la communauté éducative - c'est un phénomène déjà grave en soi - se pose le problème de l'inégalité de richesse entre territoires.
A défaut d'une péréquation courageuse des ressources entre collectivités, le Gouvernement va aggraver les disparités déjà choquantes entre villes et villages, entre quartiers riches et quartiers pauvres, entre enseignement général et enseignement technique ou professionnel, entre universités et grandes écoles. Vous partagez d'ailleurs cette analyse, et vous avez eu l'honnêteté d'en faire état.
Selon vous, en effet, la décentralisation est porteuse d'inégalités nouvelles, et je reprends vos propos : « Quand vous donnez plus de libertés, les territoires les plus riches deviennent encore plus riches et les territoires les plus pauvres deviennent plus pauvres. » Vous ajoutiez, avec lucidité : « La péréquation est en panne ! » Raison majeure, monsieur le ministre, pour ne pas persévérer dans votre action et pour entendre le cri de colère des personnels de l'éducation nationale et des parents, qui occupent les établissements et défilent par centaines de milliers dans la rue. Un mouvement social profond, qui n'est pas seulement lié au problème des retraites, est en marche. Ecoutez-le et stoppez les mesures en cours avant même de parler de « l'avenir des services publics », comme nous y invite M. Larcher.
Cela est d'autant plus nécessaire qu'il s'agit non seulement de transfert, mais aussi d'une volonté moins clairement avouée de supprimer les postes d'enseignant pour l'accueil des enfants en maternelle dès l'âge de deux ans ; j'ai eu ici même tout récemment la confirmation de cette politique par votre collègue M. Darcos.
Evidemment, ce ne serait qu'une première étape et, progressivement, toute l'école maternelle serait sacrifiée, alors qu'elle fait la fierté de notre système d'enseignement et qu'elle assure le fondement de la cohésion sociale et de l'intégration des familles qui ne peuvent avoir accès à une assistante maternelle ou à une place en crèche.
Au moment où je vous parle, monsieur le ministre, l'école de ma commune est occupée par les parents et, hier, à Montpellier, plus de 20 000 manifestants ont défilé pour protester contre les mauvais coups portés au service public de l'éducation, qui doit rester national pour respecter le principe d'égalité entre les citoyens et entre les territoires.
M. Hilaire Flandre. C'est de la démagogie !
M. Gérard Delfau. Moins connu encore, mais tout aussi grave, est le transfert insidieux de la mission de sécurité publique, à la charge de l'Etat, aux collectivités territoriales, par le biais d'un élargissement des compétences des polices municipales, qui, selon le voeu de M. Nicolas Sarkozy, pourront se substituer de plus en plus à la gendarmerie et à la police nationale. Sans l'avouer - mais les maires doivent s'en rendre compte -, le Gouvernement a choisi de transférer aux communes, par étapes, les missions de police de proximité, réservant aux forces nationales la répression de la criminalité et du grand banditisme.
Ce glissement des tâches, s'agissant d'une mission régalienne de l'Etat, induit une conception fédéraliste de la République sans que soient mis en place les moyens financiers et les garde-fous législatifs qui permettraient d'éviter ce saut dans l'inconnu.
Le résultat de cette politique, sur le terrain, c'est l'étonnante attitude de certains officiers de police ou de gendarmerie qui, faute d'effectifs suffisants dans leurs unités, en viennent à reprocher à telle ou telle municipalité de n'avoir pas recruté le nombre de gardiens municipaux nécessaires pour assurer, malgré tout, la paix publique.
Ainsi les maires des communes pauvres sont-ils placés en porte-à-faux par rapport à la demande pressante de sécurité de la population et le retrait de l'Etat. La conséquence en est, d'une part, la généralisation de polices municipales qui patrouillent jour et nuit dans les communes dotées de ressources importantes et, d'autre part, la montée de la petite et moyenne délinquances dans toutes les autres collectivités. Telle est la réalité du terrain, malgré l'opinion flatteuse qui auréole encore, selon la presse, le ministre de l'intérieur, l'augmentation importante du budget national des forces de sécurité et de celui des prisons, et au moment où diminue le budget de l'éducation, ce qui est une première depuis longtemps !
Voilà, monsieur le ministre, ce que je voulais vous dire sur la situation présente des services publics. Leur avenir est bien sombre, à moins que le Gouvernement ne prenne la mesure de la colère des Français.
Soyez notre porte-parole au sein du Gouvernement, où la partie urbaine et riche de l'Ile-de-France est, comme d'habitude, bien représentée. Mais nous, nous représentons l'ensemble du territoire : dites à M. le Président de la République que la fracture sociale est à nouveau béante et que les inégalités entre les citoyens et entre les territoires s'aggravent de façon choquante.
Il faut surseoir aux mesures unilatérales de décentralisation, accepter de débattre d'une substantielle péréquation des ressources et revenir à un effort prioritaire en faveur de l'éducation. Telles sont les voies du retour à la paix sociale. Tels sont les fondements d'une réforme négociée des services publics que la France entière pourrait soutenir.
Quant à La Poste, ses missions ne pourront être maintenues que parallèlement à un élargissement de la gamme des prêts aux particuliers. Le ministre de l'économie et des finances est-il prêt à faire un pas dans ce sens ? C'est de cela qu'il faut parler, monsieur Larcher !
M. Gérard Larcher. On en parlera !
M. Gérard Delfau. Tout de suite, si vous le souhaitez ! Nous attendons vous et moi depuis si longtemps ! (Sourires.)
Chacun mesure à quel point la présence des services publics sur l'ensemble du territoire est un sujet sensible à chaque échéance politique. Le Gouvernement et la majorité qui y porteraient atteinte auraient à s'en expliquer devant les électeurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.)
M. Hilaire Flandre. C'est déjà ce qui s'est passé !
(M. Daniel Hoeffel remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)