SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON

1. Procès-verbal (p. 1).

2. Fin de mission d'un sénateur (p. 2).

3. Réforme de la politique agricole commune. - Discussion d'une question orale avec débat (Ordre du jour réservé) (p. 3).

M. le président.

MM. Gérard César, auteur de la question ; Gérard Le Cam, Gérard Bailly.

4. Souhaits de bienvenue au président de la chambre des Lords du Royaume-Uni (p. 4).

5. Réforme de la politique agricole commune. - Suite de la discussion d'une question orale avec débat (Ordre du jour réservé) (p. 5).

MM. Daniel Soulage, Fernand Demilly, Mme Yolande Boyer, MM. Jean Bizet, Yves Détraigne, Louis Le Pensec, Dominique Mortemousque, Jean Boyer, Hilaire Flandre, Bernard Murat.

MM. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales ; le président.

Clôture du débat.

Suspension et reprise de la séance (p. 6)

PRÉSIDENCE DE M. SERGE VINÇON

6. Conférence des présidents (p. 7).

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

7. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire de Russie (p. 8).

8. Avenir des services publics. - Discussion d'une question orale avec débat (Ordre du jour réservé) (p. 9).

M. le président.

M. Gérard Larcher, auteur de la question ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Dominique Mortemousque, Jean Boyer, Gérard Delfau.

PRÉSIDENCE DE M. DANIEL HOEFFEL

MM. Pierre-Yvon Trémel, Bernard Murat, Christian Gaudin, Jean-Pierre Godefroy, Pierre Hérisson, Georges Mouly.

M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire.

Clôture du débat.

9. Souhaits de bienvenue à une délégation du Vanuatu (p. 10).

10. Application des peines concernant les mineurs. - Adoption des conclusions du rapport d'une commission (Ordre du jour réservé) (p. 11).

Discussion générale : MM. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur de la commission des lois ; Pierre Bédier, secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice ; Jean-Claude Carle, François Zocchetto, Mmes Michèle André, Nicole Borvo.

Clôture de la discussion générale.

M. le secrétaire d'Etat.

Articles 1er à 8. - Adoption (p. 12)

Vote sur l'ensemble (p. 13)

M. Gérard Delfau.

Adoption de la proposition de loi.

11. Dépôt d'une proposition de loi (p. 14).

12. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution (p. 15).

13. Ordre du jour (p. 16).

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

FIN DE MISSION D'UN SÉNATEUR

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre une lettre lui annonçant la fin, le 31 mai 2003, de la mission temporaire confiée à M. Bernard Seillier, sénateur de l'Aveyron, auprès de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, dans le cadre des dispositions de l'article LO 297 du code électoral.

Acte est donné de cette communication.

3

RÉFORME DE LA POLITIQUE

AGRICOLE COMMUNE

Discussion d'une question orale avec débat

(Ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 16.

M. Gérard César appelle l'attention de M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales sur le projet de réforme de la politique agricole commune, la PAC, publié en janvier 2003. La commission des affaires économiques du Sénat a récemment exprimé sa position sur ce projet en adoptant le rapport de la mission d'information sur la réforme de la PAC. Il n'apparaît pas urgent de procéder aujourd'hui à une réforme d'envergure, dès lors que la PAC dispose d'un cadre fixé jusqu'en 2006, voire jusqu'en 2013, compte tenu de l'accord de Bruxelles d'octobre 2002.

Le découplage total des aides, proposition centrale du projet de réforme, comporte des risques importants : distorsions de concurrence, déstabilisation des marchés, polarisation des productions sur le territoire, voire réduction globale de l'activité agricole. La baisse des prix européens des céréales et du lait en vue de les rapprocher des prix mondiaux relève, quant à elle, d'une dangereuse illusion. L'absence de propositions tendant à relancer les productions oléoprotéagineuses et à corriger la faiblesse de certaines organisations communes de marché est également regrettable.

Il serait en revanche opportun de profiter du rendez-vous à mi-parcours pour prolonger les quotas laitiers au-delà de 2008, simplifier le système d'aides directes au secteur bovin et renforcer le deuxième pilier. Il conviendrait également de préciser la notion de découplage partiel, autour de laquelle un consensus semble vouloir se dessiner...

Aussi, il souhaiterait connaître l'appréciation du Gouvernement sur la position exprimée dans ce rapport et ses intentions concernant le déroulement ultérieur des négociations.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de donner la parole à M. Gérard César, permettez-moi de rappeler que cette question orale avec débat a été inscrite à l'ordre du jour par la conférence des présidents à la demande de la commission des affaires économiques.

Le débat qui va s'engager prolonge en effet les travaux de la mission d'information conduite par nos collègues Gérard César et Marcel Deneux. Mise en place en février 2002, cette mission, à l'issue d'investigations très approfondies, a tracé des perspectives d'avenir pour préserver et consolider la politique agricole commune dans une Europe élargie.

Avec ce rapport et le débat qui s'ouvre aujourd'hui, le Sénat apporte une fois de plus la preuve de sa force d'analyse et de proposition sur un grand enjeu économique et territorial.

La parole est à M. Gérard César, auteur de la question.

M. Gérard César. Monsieur le ministre, j'ai souhaité attirer votre attention sur l'avenir de la politique agricole commune et susciter le débat, notamment, sur la position que vous adopterez sur le très médiatisé « plan Fischler », en raison de l'attente et des inquiétudes de l'ensemble des professionnels de l'agriculture et, plus généralement, de nombreux responsables politiques.

Ecartelé entre différents niveaux de discussion - niveaux national, européen et mondial -, le débat souffre aujourd'hui d'une extrême confusion et d'un manque de visibilité à court terme.

Je rappelle rapidement le contexte dans lequel intervient ce projet de révision.

La réforme de l'Agenda 2000, décidée à Berlin en mars 1999 pour la période 2000-2006, prévoyait une évaluation budgétaire de la PAC à mi-parcours ainsi que des rendez-vous techniques sectoriels. C'est dans ce cadre que la Commission européenne a présenté au Conseil et au Parlement européen, le 12 juillet 2002, une communication qui s'est concrétisée par la publication, le 22 janvier 2003, de projets de règlements tendant à une réorientation profonde de la PAC.

Ce projet de réforme fait aujourd'hui l'objet d'un très vif débat en raison de l'entêtement du commissaire Fischler et de son orientation extrêmement libérale, en rupture avec la philosophie régulatrice qui avait jusqu'à présent fait le succès de la PAC. Le débat oppose, d'un côté, la très grande majorité des Etats membres, foncièrement hostiles à une réforme dont ils ne perçoivent que les inconvénients, et, de l'autre, la Commission et quelques pays qui, telles l'Angleterre et la Suède, souhaitent que cette même réforme soit mise en oeuvre aussi rapidement que possible.

Depuis le changement de gouvernement, il y a un an, la France fait résolument partie du premier groupe, dont elle a d'ailleurs très tôt pris la tête en affirmant haut et fort son hostilité aux propositions de M. Fischler. Vous-même, monsieur le ministre, avez contribué avec pragmatisme et détermination - et je vous en remercie - à définir et à défendre la position résolue de notre pays sur cette question.

Cette position, que j'appuie naturellement avec force puisqu'elle s'inscrit dans la droite ligne des conclusions de la mission d'information sénatoriale sur l'avenir de la PAC dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur, n'est pas une position d'intérêt ou de circonstance. Elle a recueilli le plein accord du président de la mission, mon ami Marcel Deneux, et des sénateurs membres de cette dernière, et exprime une opinion éclairée par le bon sens et par l'analyse minutieuse des modalités et des effets désastreux que pourrait entraîner la réforme Fischler sur l'équilibre du secteur agricole non seulement en France, mais également à l'échelle de l'Union européenne.

Je retracerai les grandes lignes du projet de réforme dont nous discutons et la position qu'a adoptée la mission d'information.

Tout d'abord, l'opportunité de l'adoption dès cette année d'une nouvelle PAC ne nous apparaît absolument pas fondée. Bien au contraire, plusieurs éléments militent dans le sens inverse et conduisent à estimer qu'une telle réforme serait totalement prématurée.

En premier lieu, elle n'a aucune justification budgétaire, puisque le cadre budgétaire de la PAC actuelle, tel qu'il a été défini à Berlin en 1999, vaut jusqu'en 2006. Pour la période postérieure, le Conseil européen de Bruxelles d'octobre 2002 a décidé, à la suite de l'accord entre le Président de la République et le Chancelier Schröder, de plafonner les dépenses du premier pilier à leur niveau de 2006 afin d'éviter toute dérive budgétaire après l'élargissement.

Aucun impératif budgétaire n'appelle donc de réforme : comme l'indique justement le titre de notre rapport, « précipitation n'est pas raison »...

En deuxième lieu, le déroulement en septembre, au Mexique, d'un nouveau round de négociations à l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce, ne constitue pas davantage une raison valable. Pourquoi, en effet, offrir d'entrée de jeu des concessions à nos partenaires, notamment à ceux du groupe de Cairns, que pilotent les Etats-Unis, alors que ces derniers ont adopté récemment une loi agricole, le FSRIA, ou Farm Security and Rural Investisment Act, qui vise à augmenter de 80 millions de dollars en dix ans les subventions accordées à leurs « farmers » ?

En troisième et dernier lieu, l'adoption d'une nouvelle PAC trois ans seulement après celle de la précédente bouleverserait les repères des agriculteurs. Or les exploitants, notamment les futurs jeunes agriculteurs, ont besoin de stabilité et de perspectives d'avenir claires pour organiser leur activité, au point de vue tant des installations que des possibilités d'emprunter.

Ensuite, s'il est « urgent d'attendre » avant de réformer la PAC, c'est aussi parce que les propositions contenues dans le plan Fischler vont dans le mauvais sens. Ainsi, le découplage total des aides est extrêmement dangereux : il pourrait entraîner des distorsions de concurrence au sein d'un même secteur, déstabiliser les marchés, favoriser la délocalisation des productions vers les zones les plus rentables, ou encore réduire la production agricole globale ainsi que le nombre des exploitants.

De la même façon, la proposition visant à procéder à de nouvelles baisses des prix pour les aligner à terme sur les prix mondiaux paraît vouée à l'échec, compte tenu des pressions à la baisse que ceux-ci subissent naturellement. Le démantèlement des instruments de gestion, indispensables pour réguler ponctuellement des marchés par essence très volatils, est également fort contestable.

Par ailleurs, le projet Fischler présente à nos yeux des lacunes évidentes. Ainsi, il ne prévoit rien pour de nombreux secteurs, tels que la filière fruits et légumes ou la culture des oléagineux, dans lesquels l'attente est grande.

Tous ces travers du projet de réforme nous ont amenés à définir certaines orientations que nous souhaitons voir défendues. D'une façon générale, nous réaffirmons le choix d'un modèle agricole fondé sur des exploitations moyennes et dont la PAC serait le garant. Nous défendons par ailleurs le rôle structurant du premier pilier, pierre angulaire de la PAC, ce qui nous conduit à refuser les baisses de prix proposées, à exiger le maintien des instruments de régulation conjoncturelle du marché et à préserver les mécanismes de maîtrise de l'offre. A cet égard, nous pensons que le maintien des quotas laitiers jusqu'en 2013 doit être décidé dès maintenant.

De plus, monsieur le ministre, les agriculteurs ne veulent pas donner deux fois : une première fois àM. Fischler en juin 2003, une seconde fois à l'OMC en septembre 2003.

Si nous sommes attachés au maintien d'aides spécifiques à la production, nous estimons nécessaire de simplifier le système en vigueur dans le secteur de la viande bovine en unifiant les différentes primes à l'animal et en instaurant une seule aide directe qui serait liée à la surface en herbe tout en tenant compte des taux de chargement et de l'emploi sur l'exploitation.

S'agissant du deuxième pilier, nous serions favorables à son renforcement, modéré par un mécanisme de modulation et par un élargissement du champ des actions susceptibles d'être financées par les fonds consacrés au développement rural. Nous souhaiterions également que soit simplifié son fonctionnement et que soit réduit le cofinancement exigé des Etats membres, qui représente un sérieux frein à la mise en place des actions.

En revanche, nous nous opposons au prélèvement sur le premier pilier de crédits destinés à financer le démantèlement ultérieur d'organisations communes de marché, telles que celles du lait ou du sucre.

Par ailleurs, nous plaidons pour un positionnement différent de l'Union européenne sur les marchés mondiaux. Loin d'être favorables au libre-échangisme intégral, nous demandons que soit restaurée la préférence communautaire. Ce rétablissement doit se traduire par une ouverture « raisonnable » aux importations, dans le cadre de l'OMC. Il passe également par la correction des distorsions existant, notamment, dans le domaine douanier. Il suppose enfin que nous développions notre propre production d'oléoprotéagineux, au besoin en nous affranchissant des accords de Blair House. Je signale pour mémoire que l'Europe importe 75 % des protéines qu'elle consomme, alors qu'elle pourrait en produire bien davantage - ce serait d'ailleurs très intéressant pour sa balance commerciale.

Pour ce qui concerne les effets de la PAC sur les pays en voie de développement, nous envisageons la réduction progressive des restitutions à l'exportation en raison de leurs effets économiques déstabilisants pour ces pays. Nous soutenons en revanche l'idée de préférences commerciales spécifiques, dans le domaine agricole, en faveur des pays les plus pauvres.

Enfin, nous insistons sur l'enjeu que constitue pour l'agriculture européenne l'adhésion dans moins de douze mois de dix nouveaux Etats membres. Cet élargissement va en effet accroître de façon substantielle l'hétérogénéité des agricultures au sein de l'Union européenne. A ce titre, nous pensons qu'il est indispensable d'oeuvrer en faveur d'une mise à niveau des nouveaux adhérents, notamment par des aides et des prêts, mais surtout par la transmission de nos savoir-faire. Ainsi serait renforcée la coopération déjà existante.

Telles sont, monsieur le ministre, les principales observations et propositions que nous avons défendues dans notre rapport et sur lesquelles nous aimerions connaître votre point de vue.

Nous souhaiterions par ailleurs que vous nous apportiez quelques éclaircissements sur les réunions qui se sont tenues au plus haut niveau de l'Etat au début de la semaine dernière et dont la presse s'est fait l'écho en annonçant que le gouvernement français était « prêt à assouplir sa position sur la PAC ». Cela n'a pas manqué de susciter notre perplexité et nos inquiétudes !

Certes, le calendrier se fait pressant. Pour que les Quinze trouvent une position commune avant l'été et puissent aborder unis les négociations de l'OMC prévues en septembre à Cancun, un vrai rapprochement - mais vous l'avez amorcé, monsieur le ministre - doit se dessiner dès le prochain conseil des ministres de l'agriculture, qui se tiendra dans quelques jours.

Pour autant, nous ne voudrions pas qu'au nom de la restauration d'une hypothétique marge de manoeuvre dans nos relations avec nos partenaires internationaux soit passé un compromis boiteux qui ne satisferait personne et qui ouvrirait la voie à une remise en cause profonde de la PAC. Je ne veux absolument pas me prononcer sur le découplage partiel, qui ne signifie rien tant que les simulations par production ne seront pas réalisées sérieusement.

En conclusion, et avant de laisser place au débat, je rappellerai, monsieur le ministre, les propos que vous avez très justement tenus voilà quelque dix-huit mois, avant votre arrivée au gouvernement Raffarin, devant la 57e conférence d'Oxford sur la ruralité : « L'agriculture est à la source des sociétés humaines. (...) (Elle) est devenue, au cours des siècles, un des éléments essentiels du patrimoine culturel de nos pays. C'est (particulièrement) vrai pour la France, (qui) reste encore aujourd'hui attachée à ses valeurs agricoles et à la ruralité. »

C'est pour que perdurent ces valeurs, mais aussi pour que soit conservé l'équilibre entre la liberté de produire et la nécessaire régulation d'un secteur particulièrement sensible que nous souhaitons, monsieur le ministre, défendre les acquis d'une politique commune dont la réforme ne serait douce qu'aux sirènes d'un révisionnisme destructeur. Une politique agricole forte ne défend pas le seul intérêt de la France : elle sert également l'idéal d'une Union européenne puissante et indépendante.

La Haute Assemblée attend de votre part, monsieur le ministre, comme vous l'avez toujours fait, des engagements rassurants pour nos agriculteurs et une grande fermeté à l'égard du commissaire Franz Fischler et lors des futures négociations de l'OMC à Cancu`n.

La Commission propose, le Conseil des ministres dispose...

Monsieur le ministre, je vous fais confiance pour défendre l'intérêt du monde agricole, qui veut rester le pilier de l'aménagement du territoire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 52 minutes ;

Groupe socialiste, 28 minutes ;

Groupe de l'Union centriste, 13 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 10 minutes.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, née en janvier 1962, la politique agricole commune n'a jamais trouvé grâce aux yeux des communistes, qui pressentaient déjà, à l'époque, les effets dévastateurs de cette politique, qu'il s'agisse des revenus agricoles, de la disparition massive d'exploitations agricoles, de la course au gigantisme ou de la mainmise des grandes firmes capitalistes sur l'agriculture et l'agrobusiness.

La PAC est fondée sur trois piliers : le marché unique, la préférence communautaire et la solidarité financière. Or force est de constater que la préférence communautaire, tout particulièrement, a été mise à mal par la pression des Etats-Unis, dans le cadre des accords du GATT, mais également par le comportement peu coopératif et déloyal de pays comme le Royaume-Uni.

L'article 39 du traité de Rome énonçait cinq objectifs essentiels à la PAC.

Le premier objectif était d'accroître la productivité de l'agriculture, ce qui était indispensable, dans un premier temps, pour satisfaire les approvisionnements. Cet accroissement est rapidement devenu une course effrénée pour compenser la baisse des prix agricoles, phénomène accentué par l'augmentation du coût des aliments du bétail, de l'outillage et des infrastructures.

Le deuxième objectif était d'assurer un niveau de vie équitable à la population agricole par le relèvement du revenu individuel. A cet égard, les disparités en France sont énormes et ne cessent de s'accroître. Les exploitants agricoles sont particulièrement concernés par les nouvelles formes de pauvreté qui se développent aujourd'hui.

En 2000, l'INSEE estimait que 22 % des agriculteurs étaient des travailleurs pauvres ; 40 % des exploitations dégagent un revenu par actif familial à temps complet inférieur au SMIC. Ce sont surtout les petites exploitations qui entrent dans cette catégorie. Excessivement endettées pour tenter de répondre aux normes de productivité imposées, elles sont les premières sacrifiées par la dérive productiviste et la course à la baisse des coûts. Elles sont pourtant essentielles pour lutter contre la désertification rurale et jouent un rôle fondamental dans l'aménagement de notre territoire. Elles risquent de disparaître demain, faute de pouvoir dégager un revenu convenable.

Or, d'après une étude de l'Institut national de la recherche agronomique, l'un des facteurs explicatifs de cette pauvreté agricole résulte de la faible capacité des petits exploitants à bénéficier des aides publiques et des subventions européennes.

La modernisation de notre agriculture, qui a permis l'augmentation remarquable des performances et des gains de productivité, n'a pas eu, monsieur le ministre, sa traduction en termes d'accroissement des revenus, comme juste reconnaissance de l'augmentation des qualifications. Et que dire si l'on s'aligne sur les prix mondiaux en renonçant à la préférence communautaire ?

Le troisième objectif visait à stabiliser les marchés. Les prix à la production n'ont jamais été aussi bas. Depuis 1990, ils ont baissé de 15 %. Les chutes des cours sont de plus en plus fréquentes et longues. Les importations abusives, la non-utilisation de la clause de sauvegarde, les crises sanitaires et la pression de la grande distribution sur les produits contribuent à la déstabilisation des marchés.

Le quatrième objectif consistait à garantir la sécurité des approvisionnements, objectif partiellement atteint pour ce qui concerne les pays du nord de l'Europe, hormis les protéines dont nous sommes dépendants à 75 % de nos besoins. Pendant ce temps, le sacrifice des cultures vivrières des pays du Sud et des pays en voie de développement au profit des grandes cultures destinées à l'exportation a conduit à une situation dans laquelle deux milliards d'êtres humains souffrent de carences alimentaires et 830 millions de personnes subissent la faim quotidiennement.

Enfin, le dernier objectif était d'assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs. Depuis 1990, les prix alimentaires ont augmenté de 11 % pendant que ceux à la production baissaient de 15 %. La part prélevée par la distribution est croissante. En dix ans, depuis 1992, avec la mise en oeuvre de la PAC réformée, les sociétés agroalimentaires et les grandes et moyennes surfaces ont augmenté leurs profits de 120 milliards d'euros, les agriculteurs ont perdu 103 milliards d'euros et les contribuables subissent un coût supplémentaire de 22 milliards d'euros.

Mes chers collègues, la PAC est loin de posséder toutes les vertus qu'on lui prête parfois. Il est vrai que le pire est peut-être pour demain. Doit-on pour autant se contenter de cette politique, qui peut s'aggraver encore par la réforme « Fischler » ?

En Europe, une ferme disparaît toutes les trois minutes et, en France, ce sont 25 000 exploitants et 30 000 emplois qui ne sont pas remplacés chaque année.

Depuis quarante ans, on a assisté, sous la pression des politiques européennes, à une concentration très forte des fermes donnant aux 10 % des plus grosses exploitations un peu plus de 67 % des revenus produits en Europe. Dans le même temps, la moitié des plus petites exploitations n'en réalisent que 5 %.

Venons-en désormais à la réforme verte ultralibérale proposée par M. Franz Fischler, commissaire européen à l'agriculture. Comme je viens de le dire, le statu quo ne nous convient pas et encore moins la réforme annoncée. La réforme de la PAC de 1992 et l'Agenda 2000 adopté à Berlin ont entraîné une insécurité au niveau non seulement du monde agricole, mais également des consommateurs et de l'environnement.

L'abandon des principes fondateurs de la PAC, et tout particulièrement de la préférence communautaire, a conduit à une course à la productivité et à la compétitivité par la baisse des prix à la production, tout en favorisant la concurrence sauvage et l'alignement sur les prix mondiaux, qui ne sont en réalité que les prix d'écoulement des excédents américains.

La mesure phare de la réforme, à savoir le découplage des aides à la production et l'attribution d'une rente par exploitation sur référence historique, ne peut conduire qu'à l'accentuation des disparités : c'est le « pauvre tu es, pauvre tu resteras ! ». De surcroît, cette mesure ne peut que désorganiser les filières et la maîtrise de la production quand elle existe : c'est la porte ouverte à toutes les opportunités, toutes les dérégulations, toutes les spéculations et tous les effets d'aubaine qui se présenteront.

Prenons garde, avec le découplage partiel, qui semble ne pas déplaire à la majorité gouvernementale - mais M. César m'a quelque peu rassuré tout à l'heure -...

M. Gérard César. Ah !

M. Gérard Le Cam. ... à ne pas engager l'Europe et la PAC dans la demi-mesure, en prélude à la mesure totale qui suivra et que, pourtant, tout le monde rejette aujourd'hui. Il faut, dès à présent, tordre le cou au découplage partiel.

Force est de constater que ce programme de découplage des aides à la production s'inscrit dans la droite ligne des actuelles propositions sur les modalités agricoles présentées lors de la conférence de Doha dans le cadre des négociations de l'OMC, projet qui signe le véritable arrêt de mort de la PAC.

Accentuant plus encore le caractère bureaucratique et non démocratique des décisions concernant l'avenir du secteur agricole, il n'est pas acceptable que la Commission européenne puisse outrepasser le mandat que lui avaient fixé les Conseils européens de Berlin de mars 1999 et de Bruxelles d'octobre 2002, en prônant aujourd'hui une telle réforme de la PAC, qui affaiblit fortement sa capacité de négociation au sein de l'OMC.

Il convient également de dénoncer dans ce débat la grande manipulation orchestrée par les Américains.

Parce que leur agriculture est fondée sur les mêmes principes, les Etats-Unis se sont faits les défenseurs de la réduction des subventions agricoles, mais selon une stratégie plus élaborée et beaucoup plus perverse.

Le premier acte de cette manipulation a eu lieu lors des précédentes négociations de l'OMC. Arguant des distorsions du marché, ils ont rendu les subventions agricoles plus visibles et plus comptables, plus insupportables aussi pour les opinions publiques européennes, en profitant des divergences d'intérêts entre les pays de l'Union européenne.

Le deuxième acte de la bataille contre l'Europe sur les marchés agricoles mondiaux s'est traduit par le revirement actuel du farm bill, qui double les subventions agricoles américaines. On aurait tort de confondre cela avec un simple épisode électoral destiné à soutenir les Etats agricoles « républicains ».

Faisant en effet le pari que l'Europe, sensibilisée pendant les années précédentes de négociations de l'OMC, a atteint le plafond économique, ou plutôt médiatique et politique, des aides qu'elle pouvait accorder à l'agriculture, les Américains espèrent que leur coup de butoir, s'il est soutenu pendant quelques années, pourra, à l'instar de la course à l'armement déclenchée dans les années quatre-vingt contre l'URSS, anéantir la volonté exportatrice de l'Europe et donner enfin aux Etats-Unis le monopole planétaire de l'alimentation globale.

Le troisième acte vient d'être accompli pour détourner les critiques envers les subventions du farm bill : les subventions américaines seraient « saines », car elles joueraient sur la production intérieure ; les subventions européennes seraient « malsaines », car elles favoriseraient les exportations, et seraient donc particulièrement nuisibles aux pays en développement. Et voilà, la boucle est bouclée !

La politique agricole commune, monsieur le ministre, devrait pouvoir faire l'objet d'un véritable débat démocratique, tant les produits de l'agriculture ne peuvent être considérés comme des marchandises semblables aux autres.

Essentiel à la vie humaine, le secteur agricole est traversé de multiples dimensions - sociales, environnementales, culturelles, territoriales - autant de dimensions qui sont évidemment exclues des réelles préoccupations de l'OMC.

Ces dimensions sont indispensables à la préservation de notre agriculture dans sa diversité, ainsi qu'au maintien des petites et moyennes exploitations, garants d'une population active agricole essentielle à la survie de nos campagnes.

Nous sommes convaincus, monsieur le ministre, que l'agriculture devrait être exclue des négociations de l'OMC, au risque a contrario de voir disparaître ou se réduire comme peau de chagrin notre secteur agricole. Car au bénéfice de qui négocie-t-on à l'OMC ?

Nous savons bien que les multinationales de l'agroalimentaire et de la grande distribution ont intérêt à ce que le marché européen se dissolve dans le marché mondial afin de pouvoir s'approvisionner aux plus bas coûts. L'engagement sur cette voie condamnerait, à n'en pas douter, la PAC et soumettrait notre alimentation aux aléas d'une régulation purement marchande, avec tous les risques que comporte un tel choix.

A défaut d'un retrait de l'agriculture de l'OMC, nous souhaiterions que l'Union européenne, notamment la France, obtienne un gel des négociations sur les questions agricoles.

Notre choix de société, pour nous communistes, c'est une ruralité vivante, un aménagement du territoire dynamique avec de nombreux actifs agricoles, ce qui est à l'opposé d'une agriculture industrielle. La qualité et la diversité des produits ne peuvent venir que d'un réseau dense d'exploitations familiales, dont le travail doit être convenablement rémunéré.

Il faut sortir de la dérive libérale de la PAC à laquelle nous assistons depuis plusieurs années. La PAC devrait se fixer plusieurs objectifs : premièrement, sortir d'une logique productiviste pour s'orienter vers une agriculture qui fournisse des productions gustatives, nutritionnelles et sanitaires de qualité ; deuxièmement, promouvoir une agriculture qui occupe pleinement l'espace, aménage les territoires et soit respectueuse de l'environnement ; troisièmement, rétablir pleinement la préférence communautaire par un mécanisme incitatif proportionnel au volume des échanges infracommunautaires pour tous les pays européens ; enfin, quatrièmement, instaurer un « plan protéine » visant à reconvertir les jachères et les cultures céréalières excédentaires en cultures protéïques, dont nous sommes déficitaires pour 75 % de nos besoins.

Cela suppose de rendre caduques les accords de Blair House conclus avec les Etats-Unis sur la limitation des cultures oléagineuses et protéagineuses, cultures dont le déficit est colossal en Europe : 36 millions de tonnes équivalent en tourteau importé, ce qui représente une superficie cultivée de 10 millions d'hectares. En relançant ces productions, l'Union européenne conforterait notre souveraineté alimentaire et permettrait le développement de bonnes pratiques agronomiques.

Nous proposons également de refuser le monopole des semences génétiquement modifiées, monopole exercé notamment par quelques groupes multinationaux nord-américains, qui priverait ainsi les pays de leur indépendance alimentaire. Cela ne signifie pas qu'il faut arrêter toute recherche sur le sujet, mais un contrôle doit être assuré par les laboratoires publics.

Nous soumettons à la réflexion les propositions suivantes : une véritable politique de prix rémunérateurs en harmonie avec le niveau de vie des pays et un contrôle rigoureux des marges de la grande distribution, politique qui permettrait de supporter l'exportation des excédents et d'aider les pays en voie de développement ; un rééquilibrage des subventions du premier vers le deuxième pilier et une répartition modulée des aides, afin de soutenir les agriculteurs dans leur diversité et l'aménagement du territoire ; une politique favorisant le maintien d'exploitations à dimension humaine et familiale sur tout le territoire accompagnée d'un dispositif de sortie progressive de l'intégration ; une réelle volonté d'installation des jeunes et de suivi technique et administratif où diplômés pourront s'installer et réussir.

La situation actuelle nous montre que l'on peut toujours trouver plus libéral que soi et plus désireux de détruire.

Vous le voyez, mes chers collègues, il nous faut une politique agricole européenne novatrice et offensive, une politique où l'homme est au coeur du dispositif, qu'il soit producteur ou consommateur. J'ose espérer, monsieur le ministre, que nos propositions humanistes et de bon sens économique seront utiles au débat et à l'avenir de l'agriculture et des agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.

M. Gérard Bailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les différents aspects des propositions de réforme de la PAC à mi-parcours, qui nous réunit aujourd'hui, ont été largement évoqués par M. Gérard César. Il a très bien montré les dangers du découplage total des aides, proposition centrale de la réforme Fischler. S'il était appliqué en l'état, ce découplage non seulement contribuerait à déstabiliser les marchés mais entraînerait immanquablement une réduction globale de l'activité agricole. N'a-t-on pas entendu parler de réduction globale, pour le prix du lait, de 28 % du prix indicatif sur cinq ans ? Et je ne parle pas ici du prix des céréales.

Les conséquences seront sans doute lamentables s'il y a découplage des aides. Quant au laxisme, à l'opposé de ce qui a été l'objectif des agriculteurs jusqu'alors - pas d'obligation de production, excepté pour les cultures pérennes, mais seulement obligation de la mise en oeuvre de la protection des sols et des bonnes pratiques agricoles pour l'obtention des primes -, ne provoquerait-il pas une désorganisation des filières et parfois même un réel problème d'approvisionnement de nos entreprises de l'agroalimentaire ?

Pourquoi vouloir appliquer en Europe une politique agricole abandonnée par les Etats-Unis ? Pourquoi plier devant le diktat américain alors que les Etats-Unis subventionnent davantage leur agriculture et leurs agriculteurs que ne le fait l'Union européenne ? Non, monsieur le ministre, nous ne pouvons accepter éventuellement qu'un découplage très partiel et à condition qu'il repose sur des propositions précises, que nous aimerions bien connaître.

Je voudrais, pour ma part, en tant que rapporteur de la mission d'information sur l'avenir de l'élevage qui a rendu ses conclusions en novembre dernier, souligner quelques problèmes spécifiques à ce secteur et rappeler les solutions que nous avions proposées. Je parle aussi au nom de mon collègue Jean-Paul Emorine, président de cette mission, qui regrette de ne pouvoir intervenir ce matin. Nous avons fait ensemble de nombreux déplacements sur le terrain, dans un certain nombre de départements très divers comme la Lozère, l'Ille-et-Vilaine, la Saône-et-Loire, les Ardennes ou le Jura, mais aussi en Autriche et en Pologne.

Je ne m'attarderai pas longuement sur le constat ; vous savez comme moi, monsieur le ministre, que le secteur de l'élevage est dans une situation très préoccupante : déstabilisés par la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'ESB, étouffés par le poids des charges, soumis à de multiples contraintes réglementaires, les éleveurs français doutent de leur métier. Les conséquences de cette situation sont faciles à constater : les cessations d'activité se multiplient, y compris chez les agriculteurs de quarante ou quarante-cinq ans ; les jeunes hésitent de plus en plus à s'installer, ce qui est compréhensible.

Je citerai quelques chiffres. En 2001, dans mon département, pour les producteurs de lait ou de viande, soit les plus belles exploitations, le revenu moyen publié par le centre de comptabilité s'établit à 13 100 euros, soit moins de 86 000 francs par an, c'est-à-dire 7 160 francs par mois, et ce pour un très grand nombre d'heures de travail, parfois la nuit et le week-end. En 2002, ce revenu sera sans doute encore inférieur !

A terme, cette situation menace des pans entiers de notre économie et risque d'entraîner la disparition de nombreux services de proximité dans les zones rurales. C'est donc un enjeu territorial déterminant pour la cohésion spatiale du pays qu'il importe de prendre en compte.

Nous formulions donc différentes propositions : la création d'un prêt de carrière bonifié à longue échéance, pour aider les jeunes, la facilitation du recours aux groupements d'employeurs et aux services de remplacement, l'allégement de la taxe sur le foncier non bâti pesant sur les terres agricoles, qui ont souvent un caractère très environnemental, la réduction des formalités administratives, etc.

Mais, pour rester dans le cadre de la PAC, je voudrais insister sur la simplification nécessaire des aides en vigueur dans les organisations communes de marchés, notamment celle de la viande bovine.

Le système actuel, très complexe, fait intervenir au minimum cinq aides directes à l'animal : prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes, prime spéciale au bovin mâle, prime à l'abattage, surprime pour les femelles non velées, prime complémentaire à l'extensification. Ces aides sont fondées sur des plafonds et des critères de chargement différents. A ces primes s'ajoutent deux aides perçues au titre du développement rural : la prime herbagère agri-environnementale et, pour les éleveurs installés en zone difficile, l'indemnité compensatoire de handicaps naturels.

Ces primes, nombreuses, ont parfois aussi des effets pervers.

Ainsi, l'abaissement des seuils de chargements a entraîné une course à l'agrandissement, qui pèse, dans certaines régions, sur le prix du foncier et freine les installations.

L'activité d'engraissement dans les zones traditionnelles d'élevage allaitant a été délaissée parce qu'elle entraîne un dépassement des plafonds de chargements à respecter pour bénéficier des aides. Cela explique la division géographique des fonctions de l'élevage bovin : production de jeunes bovins maigres dans un grand bassin allaitant, finition intensive en Europe du Sud et dans les zones laitières. Plusieurs régions prennent conscience aujourd'hui des fragilités auxquelles cette situation les expose.

Par ailleurs, les éleveurs ont adopté des comportements d'optimisation. Les primes orientent les choix de production dans un sens qui ne correspond pas toujours aux attentes du marché.

Il y a aussi la lourdeur des démarches administratives que je viens d'évoquer : chaque éleveur est tenu de déposer chaque année auprès de la direction départementale de l'agriculture et de la forêt, une dizaine de formulaires spécifiques, sans compter la double déclaration de surfaces indiquant la localisation des parcelles fourragères mais aussi les autres déclarations presque similaires à envoyer à la mutualité sociale agricole.

Je plaide donc, à l'instar de mon collègue Gérard César, pour le remplacement de l'ensemble des aides bovines à l'animal par une aide simplifiée destinée à soutenir l'élevage bovin allaitant. Elle serait liée à la surface en herbe et prendrait également en compte le nombre d'unités de travail annuel, les UTA, présentes sur l'exploitation et les taux de chargement variables selon les caractéristiques des régions naturelles. Ainsi, trois paramètres interviendraient : l'unité de main-d'oeuvre, le nombre d'animaux et la surface.

Cette aide devrait être conditionnée à une contrainte minimale de chargement afin de ne pas risquer de subventionner des terres laissées à l'état de friches. A l'inverse, il serait souhaitable d'instaurer un plafonnement afin de ne pas inciter à une course à l'agrandissement.

Cette prime devrait être reconnue à l'échelon européen et financée à ce titre par le budget communautaire. Une telle réforme serait bénéfique à la France, compte tenu de l'importance de ses espaces en herbe et de ses pratiques d'élevage qui sont plus extensives que dans les autres Etats membres. Une telle aide marquerait la reconnaissance du rôle joué par l'élevage herbager dans l'entretien de l'espace rural et l'occupation du territoire. De plus, elle aurait des chances d'être bien acceptée par l'Organisation mondiale du commerce dès lors que l'aide versée ne serait pas proportionnelle au nombre d'animaux détenus.

J'en viens maintenant au maintien des mécanismes de régulation.

Dans mon rapport, j'avais souligné le risque que faisait courir au secteur de la viande bovine le démantèlement de l'intervention publique. Les crises récentes qui ont affecté le secteur ont démontré l'importance des instruments de gestion du marché prévus dans le cadre de l'organisation commune des marchés de la viande bovine. Durant l'année 2001, le recours à ces différents instruments a permis de dégager une partie des excédents qui pesaient sur le marché en conséquence de la baisse de la consommation.

Or, en application de la réforme de la politique agricole commune de 1999, le dispositif d'intervention publique, qui permet l'achat et le stockage de carcasses bovines en cas de déséquilibre du marché, a été supprimé le 1er juillet 2002 au profit d'un dispositif allégé d'intervention, le « filet de sécurité », lequel fonctionne uniquement par adjudication et seulement lorsque le prix du marché est inférieur pendant deux semaines au prix extrêmement bas de 1 560 euros par tonne. Seul demeure désormais le régime de stockage privé qui reporte sur la filière le retrait d'éventuels excédents, sur la base d'un prix nettement inférieur à l'intervention.

Ce démantèlement des instruments de régulation est très inquiétant, car les instruments qui subsistent sont bien trop légers pour faire face à des crises de grande ampleur, comme celle de 2001.

Je souhaite donc ardemment le rétablissement de ces mécanismes. De plus, il ne serait pas inutile d'instaurer également des mécanismes de régulation dans les secteurs très touchés du porc et de la volaille, dont les marchés connaissent des crises de plus en plus fréquentes liées à des prix trop bas.

Nous devons également être très vigilants sur les conditions du bien-être animal et prendre garde aux règlements trop stricts. N'oublions pas que nous sommes exportateurs de bovins d'élevage et de bovins reproducteurs vers l'Afrique, l'Amérique, les pays de l'Est. Si les pays situés hors de la Communauté n'appliquent pas les mêmes règles que nous, il pourra y avoir distorsions de concurrence.

J'évoquerai maintenant la maîtrise de la production et les quotas laitiers.

Une meilleure organisation des marchés passe aussi par une maîtrise de la production qui, cependant, ne doit pas conduire à une réduction de l'espace agricole dévolu à l'élevage bovin, en particulier dans les régions où il constitue une activité traditionnelle difficilement remplaçable. Cette maîtrise doit peser sur les cheptels allaitants et laitiers.

Comme mon collègue Gérard César, je souscris totalement au maintien des quotas laitiers qui, en contenant l'effectif du cheptel laitier, limitent les quantités de viande issues des femelles de réforme. Ce dispositif mis en place en 1984 présente, en outre, l'avantage de fixer l'élevage laitier sur l'ensemble du territoire, y compris dans les zones difficiles. La suppression des quotas entraînerait très certainement des déplacements de production entre régions. Les zones herbagères à forte contrainte naturelle auraient sans doute à en souffrir.

Je ne peux que souhaiter la prolongation des quotas jusqu'en 2013. N'attendons pas 2005 pour la décider, car on sait que, parmi les nouveaux Etats membres, certains, dont la Hongrie et la République tchèque, sont défavorables aux quotas.

Je suis également assez favorable à la proposition de la mission d'information d'attribuer des quotas supplémentaires en fonction de la demande des marchés et à condition de bien maîtriser les importations, de manière à éviter une déstabilisation du marché intérieur.

Des alliances seraient même souhaitables avec les pays du Sud et les pays d'Europe centrale et orientale, les PECO, en les convainquant du rôle prépondérant des quotas laitiers européens dans la stabilité des marchés et, donc, dans la stabilisation du revenu.

J'en viens à l'aménagement du territoire et à la montagne.

Je terminerai en évoquant quelques aspects de la politique de la montagne qui devraient être mieux pris en compte dans le cadre d'une politique européenne. Notre collègue Jean-Paul Amoudry, rapporteur de la mission d'information sur l'avenir de la montagne, dont j'étais membre également, a dressé un bilan remarquable des contraintes particulières qui pèsent sur les massifs et des moyens à mettre en oeuvre pour favoriser leur développement.

Je reviendrai sur l'importance de la pérennisation de l'activité agricole en montagne, qui dépend autant de l'évolution de la PAC que de la préservation des terres agricoles. La montagne ne sera plus la montagne s'il n'y a plus d'élevage, et vous le savez mieux que quiconque, monsieur le ministre. Je viens déjà d'évoquer la nécessité du maintien des quotas laitiers : c'est particulièrement crucial et indispensable pour les zones de montagne qui ont souvent de faibles possibilités de reconversion vers d'autres productions et qui peuvent ainsi défendre des produits de qualité n'entrant pas dans les excédents et vendus à des prix plus élevés.

Il est particulièrement important, monsieur le ministre, que le Gouvernement soutienne vigoureusement toutes les démarches qui seront faites au niveau européen en faveur d'une stratégie spécifique aux zones de montagne.

Notre mission d'information, en se rendant à Bruxelles, avait déjà bien insisté sur la nécessité d'un rééquilibrage en faveur de l'agriculture de montagne. Fondée sur un système herbager extensif et sur la qualité de ses produits, sa logique de fonctionnement lui donne une place particulière dans la politique agricole commune. Alors que les impératifs de santé, d'environnement et de qualité des produits sont plus que jamais mis en avant, il n'est vraiment pas normal que les agriculteurs de montagne qui répondent le plus à ces préoccupations aient les revenus les plus faibles - inférieurs de 20 à 30 % à la moyenne - et les aides les moins élevées à l'hectare.

Suivons donc l'exemple de nos amis et voisins suisses qui ont toujours reconnu et valorisé leurs productions de montagne et qui acceptent de les payer plus cher !

A propos de cette politique de qualité, il est évident que nos agriculteurs doivent être aidés dans leurs investissements de mise aux normes des exploitations, sinon le renforcement de « l'écoconditionnalité » des aides sera pour eux un handicap.

Monsieur le ministre, les agriculteurs ont contribué à faire de notre pays le champion du monde de la gastronomie. Ils sont prêts encore à faire des efforts dans la qualité, la diversité, l'ancrage des produits du terroir, la traçabilité pour la sécurité alimentaire, mais ils veulent pouvoir vivre de ces efforts. Aucune réforme de la PAC ne peut être acceptée si elle ne prend pas en compte l'obligation de ces objectifs pour les producteurs, avec, en contrepartie, une rémunération juste de leur travail grâce à des prix réhabilités.

En vous réaffirmant que j'approuve les positions du rapporteur de la mission d'information relative à la révision de la PAC, mon collègue M. Gérard César, je vous félicite, monsieur le ministre, de votre fermeté dans ces négociations - je pense notamment à votre opposition déterminée au découplage total. Il est vrai que nos agriculteurs ont plus que jamais besoin d'un cadre réglementaire stable et ne souhaitent pas, dans un environnement déjà si difficile, particulièrement pour les jeunes, voir leurs repères bouleversés.

L'avenir de la PAC doit être sauvegardé. Malgré les critiques dont elle a pu faire l'objet, n'oublions pas que la mise en oeuvre d'une politique économique commune dans un secteur aussi complexe que l'agriculture est tout de même ce qui a permis d'améliorer l'autosuffisance alimentaire de la majorité de nos partenaires européens et de garder une répartition de l'activité agricole sur l'ensemble du territoire.

Soyez attentif à ce que l'agriculture ne soit pas sacrifiée dans les prochaines discussions sur les échanges mondiaux au bénéfice du secteur des services, qui pèse peut-être plus lourd dans le PIB français, mais ce sacrifice sonnerait le glas de nombreux secteurs ruraux et de la qualité environnementale de nos territoires.

Je vous fais entièrement confiance, monsieur le ministre, pour défendre les objectifs que je viens d'exposer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

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SOUHAITS DE BIENVENUE

AU PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE DES LORDS

DU ROYAUME-UNI

M. le président. Mes chers collègues, j'ai le très grand plaisir de saluer la présence, dans notre tribune officielle, de Lord Williams of Mostyn, président de la Chambre des Lords du Royaume-Uni. (M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

Nous sommes particulièrement sensibles à l'intérêt et à la sympathie qu'il porte à notre institution.

Au nom du Sénat de la République, je lui souhaite la bienvenue et je forme des voeux ardents pour que son séjour en France contribue à renforcer les liens d'amitié entre nos deux peuples et nos pays. (Applaudissements sur l'ensemble des travées).

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RÉFORME DE LA POLITIQUE

AGRICOLE COMMUNE

Suite de la discussion

d'une question orale avec débat

(Ordre du jour réservé)

M. le président. Nous reprenons la discussion de la question orale avec débat n° 16.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Daniel Soulage.

M. Daniel Soulage. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, la semaine dernière, lors de la réunion informelle de Corfou, le commissaire Fischler a déclaré que la décision sur la réforme à mi-parcours de la politique agricole commune serait prise avant la fin de la présidence grecque. Après les échanges de vues ministériels à Corfou, il a été prévu que la négociation de la réforme de la PAC soit confiée à un groupe à haut niveau.

Les autorités françaises ont réaffirmé leur refus de la réforme Fischler en l'état - c'est une position que je salue et que je soutiens fermement -, notamment sur le volet du découplage, qui conduirait à une déstabilisation du marché et défavoriserait de nombreux producteurs. Cependant, il ne semble pas exclu qu'une décision puisse être prise le mois prochain, dans le cas où la Commission de Bruxelles ferait de sérieuses concessions qui permettent de s'entendre, notamment sur un découplage partiel.

Cette notion, que vous avez qualifiée, monsieur le ministre, de « clef » de la négociation européenne, est largement consensuelle en France, mais aussi parmi les pays membres.

Toutefois, si jamais nous devons aboutir à un accord, il faut que le consentement des parties repose sur les mêmes bases. La question est la suivante : autour de quoi y a-t-il consensus ? M. Fischler lui-même l'a rappelé : parler de découplage partiel est dangereux, tant l'interprétation du concept varie d'un pays à l'autre.

En effet, des pays comme l'Espagne ou l'Italie suggèrent d'exempter certaines productions animales, par exemple. D'autres, comme l'Allemagne, prônent un découplage pour chaque secteur, mais appliqué à un pourcentage variable des aides.

Monsieur le ministre, si j'ai bien compris, vous distinguez trois conceptions différentes qui se cachent derrière l'expression « découplage partiel » : une simplification des aides, surtout dans le secteur animal ; une prise en compte de l'environnement, notamment des surfaces herbagères ; enfin, une sorte de revenu minimum agricole.

C'est pourquoi, à l'heure où les négociations de réforme de la PAC semblent s'accélérer, je souhaiterais avoir des clarifications sur la position du Gouvernement français et, surtout, sur la conception du découplage partiel qu'il entend défendre à Bruxelles.

Monsieur le ministre, je souhaite profiter de cette intervention pour vous féliciter et vous remercier de tout le travail que, dans un contexte très difficile, vous accomplissez en vue de défendre nos agriculteurs et de leur redonner espoir.

Je souhaite aussi féliciter M. César, auteur de la question, dynamique et très compétent rapporteur de la mission d'information relative à la révision de la PAC, dont le rapport nous permet aujourd'hui de faire le point dans ce dossier capital pour notre agriculture. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Fernand Demilly.

M. Fernand Demilly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'année 2003 s'annonce cruciale pour l'agriculture française et européenne : préparation du projet de loi sur le développement rural, « révision à mi-parcours » de la PAC et négociations agricoles au sein de l'OMC.

Ces enjeux s'inscrivent dans un contexte particulier, marqué par des tensions liées à la crise de l'Irak et par la perspective de l'adhésion de nouveaux Etats membres à l'Union européenne.

Déjà contestée à ses débuts par les Etats-Unis, la PAC fait aujourd'hui l'objet de critiques de plus en plus virulentes de la part de certains de nos partenaires mondiaux ; pis encore, elle est remise en cause de l'intérieur, j'entends de l'Europe même.

Certains de nos partenaires européens voudraient en effet peu ou prou instaurer une comptabilisation nationale des aides agricoles afin de mieux préparer une renationalisation de leurs financements.

La Commission européenne elle-même a formulé en juillet 2002 des propositions qu'elle entend mettre en oeuvre dès maintenant et qui visent pour l'essentiel à baisser les prix d'intervention et à découpler les aides de la production.

Cette tentative de remise en cause anticipée de la PAC par ceux qui considéraient que la position française n'était peut-être plus aussi ferme ces dernières années est inacceptable.

D'abord, elle ne respecte pas les engagements pris par l'ensemble des chefs d'Etat et de gouvernement à Berlin, en 1999. Ces derniers n'entendaient pas aller, pour cet exercice à mi-parcours, au-delà d'un certain nombre de rendez-vous techniques destinés à tirer parti, si nécessaire, de l'expérience acquise. On ne définit pas en quelques semaines l'avenir de la PAC, pas plus qu'on ne la change tous les trois ans !

Ensuite, proposer des changements d'une telle ampleur à la veille des échéances majeures de l'OMC est particulièrement inopportun. Le découplage total des aides notamment risque fort de modifier de façon déterminante l'équilibre de la négociation en affichant d'entrée ce qui correspond à une demande majeure de certains de nos partenaires.

Il est tout de même étonnant d'entendre certains affirmer que ce découplage nous placerait dans une meilleure position pour les négociations internationales, au moment précis où nos principaux concurrents sont eux-mêmes en train de développer leur propre système d'aides individuelles. Je pense aux farm bills américains ou aux dispositifs considérables de soutien à l'exportation.

Enfin, il y aurait une désinvolture certaine à prendre des décisions sur des sujets politiquement lourds sans permettre aux futurs Etats membres de se prononcer eux aussi alors qu'ils sont directement concernés.

Monsieur le ministre, vous avez fait preuve de la fermeté qui s'imposait et obtenu un accord, au sommet de Bruxelles en octobre dernier, pour que le calendrier arrêté à Berlin soit respecté. Malgré cet accord, la Commission a réitéré ses propositions et entend fixer le 30 juin prochain comme date butoir pour engager la révision.

Le dernier conseil des ministres de l'agriculture a prouvé que la France n'était plus isolée, mais aura-t-elle la possibilité de maintenir et d'étendre le « front du refus » ? Les propositions de la Commission ne pouvant être rejetées qu'à l'unanimité des Etats membres, n'y a-t-il pas un risque de blocage ?

La France défend une position cohérente, constante et solide sur le respect des engagements pris aux conseils des ministres de l'agriculture de Berlin et de Bruxelles. Il faut maintenant qu'elle entre dans une phase offensive et prépare pour 2006 une réforme de la PAC acceptable, pouvant être négociée avec une majorité de ses partenaires.

Je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous prendrez la tête de ce mouvement, que vous avez d'ailleurs déjà engagé.

Quelles orientations défendrez-vous ?

L'Espagne et l'Allemagne ont avancé l'idée d'un découplage partiel qui épargnerait certaines productions ou s'appliquerait à toutes mais dans une proportion variable. Pouvez-vous apporter des précisions sur cette proposition alternative et nous indiquer si vous y êtes ouvert ?

Alors qu'une succession de crises - d'ordre sanitaire principalement - a frappé des secteurs importants de l'agriculture européenne, la PAC a démontré sa capacité à y faire face dans le respect des grands équilibres arrêtés à Berlin. Les instruments de marché ont pris une part déterminante au rétablissement de la situation. Ils doivent être confortés, comme doit l'être aussi la préférence communautaire.

Des améliorations sont nécessaires, certes, mais la PAC doit continuer à remplir ses missions fondamentales : régulation des marchés agricoles, soutien au revenu des agriculteurs et appui au développement rural.

Les agriculteurs sont légitimement inquiets face à toutes ces perspectives. Il est impératif que nous fassions des choix, que nous leur tracions une route : ils l'attendent. L'agriculture n'est pas un secteur comme les autres. Elle est porteuse d'un modèle de développement tant économique qu'humain.

L'excellent rapport de notre collègue Gérard César sur la politique agricole commune dégage pour l'avenir des axes forts que nous approuvons pleinement. Comptez-vous y donner suite, monsieur le ministre ?

Vos propos relatifs à la spécificité et au caractère multifonctionnel des activités agricoles et votre opposition à un découplage intégral des aides ainsi qu'à une modulation dont le produit n'irait pas à l'aménagement rural relevant du deuxième pilier vont dans le bon sens.

Mais, au-delà, il nous paraît indispensable d'entreprendre auprès des futurs Etats membres un grand effort de communication sur les mérites de la PAC, afin de se constituer des alliés pour la défense du modèle agricole européen.

Vous le savez, l'élargissement apparaît à certains de nos agriculteurs comme une menace. Il faut au contraire faire de l'arrivée de nouveaux grands pays agricoles une chance nouvelle pour l'avenir de l'agriculture française et européenne.

Pour conclure, le « paquet Fischler » ne saurait résumer à lui tout seul les problèmes qui devraient être gérés au sein de la PAC. On peut citer sur ce point le coût de la mise aux normes des exploitations ou encore l'absence d'organisations communes de marché pour les filières de la volaille et du porc.

En outre, ce « paquet » ne comporte pas de propositions visant à relancer les productions oléoprotagineuses, pourtant très déficitaires, de l'Union européenne ou à corriger la faiblesse de filières comme celles des fruits et légumes.

Enfin, il n'encourage pas l'installation des jeunes. En France, moins de 6 000 jeunes agriculteurs ont pris en main une exploitation en 2002 contre 9 000 en 1995, phénomène si persistant que, en 2003, plutôt que d'axer leur rapport d'orientation sur les baisses de revenus comme les années précédentes, les Jeunes Agriculteurs ont voulu d'abord assurer la promotion de leur métier.

Nous attendons de votre part, monsieur le ministre, un projet qui ait l'ambition de prendre en compte les caractéristiques et la richesse de l'agriculture, tant française qu'européenne, dans sa diversité. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Yolande Boyer.

Mme Yolande Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que la question orale posée par notre collègue Gérard César nous donne l'occasion d'aborder, même rapidement, le complexe et délicat sujet de la révision de la politique agricole commune.

En préambule aux questions qu'au nom du groupe socialiste Louis Le Pensec et moi-même allons poser, je veux souligner la qualité du travail réalisé par la mission d'information dont je faisais partie. Le président de cette mission, M. Marcel Deneux, et le rapporteur, M. Gérard César, ont su établir une ambiance de travail chaleureuse. Je crois même si, bien sûr, - je n'en partage pas toutes les conclusions - que ce rapport présente un réel intérêt et une grande qualité, résultat que nous devons aussi à la collaboration des services de la commission des affaires économiques. Je remercie le président de cette dernière d'avoir organisé des auditions à la demande des commissaires ; le déplacement en Pologne et en Autriche fut aussi une initiative constructive.

La partie du rapport qui concerne l'histoire de la PAC et rappelle que chaque étape de la construction de celle-ci a été difficile montre que ce n'est pas un long fleuve tranquille !

Nous devons également avoir en mémoire qu'en trente ans la part des agriculteurs dans la population active est passée de 13 % à 3 %, soit 900 000 actifs aujourd'hui.

La politique agricole commune, souvent accusée de beaucoup de maux, est certainement victime de son ancienneté. Elaborée pour répondre aux besoins agricoles d'une époque, l'après-guerre, elle a depuis perdu beaucoup de sa pertinence, même si les réformes ayant débouché sur l'Agenda 2000 ont fait quelque peu évoluer la situation.

Pourtant, aujourd'hui, le système tient toujours pour quantité négligeable des éléments qui doivent fonder la politique agricole européenne de demain : la sécurité alimentaire et le respect de l'environnement en font partie.

L'irruption d'une économie de plus en plus mondialisée participe également aux évolutions du secteur agricole européen.

Les prochaines échéances concernant la politique agricole commune seront décisives : l'élargissement à l'Est avec l'entrée de pays agricoles tels que la Pologne, les négociations multilatérales à l'OMC, négociations qui concernent, entre autres choses, les productions agricoles.

La PAC est aujourd'hui à un tournant décisif. Ne l'oublions pas.

Je souhaite maintenant aborder plusieurs aspects et vous interroger, monsieur le ministre, sur chacun d'eux.

D'abord, faut-il ou non renégocier ?

Les négociations agricoles sont en ce moment permanentes si l'on en croit les quotidiens : réunion àCorfou, réunion à l'Elysée, conciliabules à Matignon... Nous souhaitons vivement que vous fassiez le point sur toutes les discussions en cours et sur leurs débouchés concrets concernant la position de la France à l'égard de la Commission européenne.

Le rapport de forces engagé actuellement entre notre pays et la Commission européenne doit se solder par l'infléchissement des positions de chacun, ont souligné les ministres européens de l'agriculture à Corfou. Quelles seront, monsieur le ministre, les propositions françaises en la matière ?

Il nous semble important de ne pas s'accrocher, dans un cadre multilatéral comme l'Union européenne, à des positions de principe intangibles, cela valant d'ailleurs également pour la Commission européenne.

Faut-il réformer ? Deux volontés fortes se font actuellement face : d'une part, la volonté du commissaire européen de réformer immédiatement et, d'autre part, la volonté, conforme sur ce point à celle de certains syndicats agricoles, du gouvernement français de ne rien changer.

Ces positions opposées partent pourtant presque des mêmes constats et des mêmes objectifs : contraintes externes avec les négociations de l'OMC, élargissement de l'Union européenne, refondation des relations entre les agriculteurs et la société.

Reconnaissons que la politique agricole commune n'est toujours pas dans un bon chemin : pour changer cela, il faut changer la PAC.

L'hostilité à une réforme rapide ne peut être le paravent d'un soutien renouvelé aux pratiques désastreuses de l'agriculture productiviste, dont la Bretagne tout entière connaît les ravages.

Pour autant, souhaiter réformer la PAC ne consiste pas non plus à donner un blanc-seing aux ultralibéraux, partisans d'une déréglementation totale.

Réformer, oui, mais comment et avec quel contenu ? Seul ce point doit nous intéresser. « Précipitation n'est pas raison », comme l'affirme le titre du rapport de la mission d'information : certes, mais l'immobilisme non plus, serait-on tenté d'ajouter !

La réforme de la PAC doit se préparer dès aujourd'hui. Se focaliser sur une question de calendrier en délaissant le fond serait une grave erreur : en tentant de préserver le court terme, on hypothéquerait le long terme.

Les agriculteurs attendent des perspectives et des garanties sur l'avenir de leur métier. Ces garanties sont nécessaires lorsque l'on constate la diminution constante du nombre d'agriculteurs dans notre pays.

Plusieurs arguments militent en faveur d'une réforme rapide.

Les évolutions de la société rendent l'option productiviste caduque. Ajoutons que l'hémorragie dans le monde agricole s'est principalement produite au détriment des petites et moyennes exploitations. Poursuivre dans cette logique du subventionnement lié à la production perpétuerait les dérives d'un système qui a montré ses limites.

Que des subventions soient nécessaires quand les prix du marché ne sont pas suffisamment rémunérateurs reste vrai. Encore faut-il que ces subventions soient justes. C'est toute la logique de la loi d'orientation agricole : la société dans son ensemble doit contribuer au maintien d'un monde rural vivant.

Mon collègue Louis Le Pensec évoquera plus particulièrement les négociations relatives à l'OMC, mais la principale raison qui milite pour la réforme de la PAC est la perspective de l'élargissement.

Monsieur le ministre, vous dites ne vouloir d'aucune renégociation de la PAC à mi-parcours ; pouvez-vous nous préciser quels sont les pays de l'Union européenne qui vous soutiennent dans ce refus ? A trop s'isoler, ne risquons-nous pas de graves désillusions pour notre agriculture ? A rester ainsi en retrait, la France ne risque-t-elle pas d'être hors jeu, d'avoir ensuite des marges de manoeuvre encore plus restreintes et de se retrouver en mauvaise posture pour négocier ?

Je veux parler maintenant du libéralisme, qui, si l'on en juge par les propos des uns et des autres, est a priori notre ennemi commun lorsqu'il est appliqué à l'agriculture.

Sommes-nous cependant vraiment d'accord sur les mots que nous employons ? Ainsi, à la page 11 de son rapport, la mission d'information relative à la révision de la politique agricole commune fait le choix d'un modèle agricole fondé sur des exploitations moyennes. Il faudrait préciser : « et petites », car, vous le savez, selon les régions, le terme peut avoir un sens différent, et ce sont bien celles-là qui sont les plus menacées.

Je donne acte à la mission d'information de ne pas vouloir d'une agriculture libérale. Mais quels moyens utiliser ? A nos yeux, il est clair qu'il faut maintenir des outils de régulation, à l'image des quotas laitiers.

Venons-en à la notion de découplage, qui est effectif dans certains secteurs depuis 1992.

Monsieur le ministre, quelle est la position du gouvernement français sur le découplage, total ou partiel ? On connaît la position des syndicats agricoles majoritaires : ils y sont totalement hostiles. Cependant, dans l'hypothèse où l'on se dirigerait vers un découplage partiel, quels pourraient être les secteurs concernés ?

A notre avis, le découplage ne peut ni ne doit être refusé a priori. Déconnecter les subventions de la production fait partie des combats des socialistes depuis longtemps.

Préserver la diversité des exploitations, des productions, prendre en compte celle de nos régions sont des éléments liés à cette réforme. Pour autant, les modalités pratiques proposées par la Commission européenne ne nous paraissent pas adéquates. Mettre fin au productivisme est une nécessité, mais il ne faut pas remplacer ce système par un découplage qui créerait une concentration des crédits publics dans les secteurs les plus compétitifs. Il ne faut pas créer un marché des droits à subvention !

Troisième aspect : quelle agriculture voulons-nous pour demain ?

Promouvoir une agriculture durable qui conjugue qualité des produits, protection de l'environnement et développement rural équilibré doit être notre objectif commun. Pour l'atteindre, il faut définir les contours d'une nouvelle réforme qui permette à l'agriculture européenne de garantir et d'améliorer les revenus des agriculteurs, de répartir plus justement les aides publiques, de mieux réguler les marchés et d'être davantage solidaire des pays en voie de développement.

Un tournant majeur a été accompli en France avec la loi d'orientation agricole, proposée par vos prédécesseurs MM. Louis Le Pensec et Jean Glavany. En instaurant la notion de contrat entre l'agriculteur et la société, cette loi marquait une nouvelle approche de la politique agricole dans notre pays.

Par l'intermédiaire des CTE, les contrats territoriaux d'exploitation, il s'agissait de rénover la logique agricole qui, jusque-là, se réduisait à une logique de guichet. La modulation et l'écoconditionnalité des primes sont des notions d'avenir, mais que penser des CTE vidés de leur substance et de la suspension de la modulation ?

Sur certains points, la Commission européenne va dans le sens pris par le gouvernement Jospin, et sur lequel le gouvernement actuel est revenu. Le rééquilibrage entre le premier et le deuxième pilier de la politique agricole commune est un pas important, mais encore faut-il prévoir les modalités pratiques qui le rendront effectif. A cette fin, et pour remettre en phase les agriculteurs et la société, il faut mobiliser de vrais moyens pour le développement rural.

Pour autant, les propositions de la Commission européenne ne sont pas satisfaisantes en l'état. Le flou entourant les conditions de mise en oeuvre de la modulation, notamment, pose question.

Enfin, je voudrais aborder le problème des restitutions au travers d'un sujet d'actualité : la situation de la filière avicole.

Elue d'une région où est concentrée une grande partie de la production avicole française, maire de la commune de Châteaulin, sur le territoire de laquelle se trouve le siège de l'entreprise Doux-Père Dodu, premier producteur européen et troisième producteur mondial de volailles, vous comprendrez, monsieur le ministre, la vive inquiétude que je ressens aujourd'hui, après l'annonce, à l'issue du comité d'entreprise de jeudi dernier, d'une restructuration et de la suppression d'un nombre important d'emplois.

Je comprends fort bien les demandes de suppression de subventions à l'exportation et la nécessité de défendre le développement des pays les moins avancés, mais nous ne pouvons accepter que, dans le cadre des négociations au sein de l'OMC, tous les pays n'appliquent pas les mêmes règles. Les Etats-Unis imposent les suppressions de subventions sans se les appliquer à eux-mêmes, au mépris de toutes les règles internationales. Ainsi, en mai 2002, ils ont voté une loi par laquelle ils tentent de biaiser à l'égard de leurs engagements internationaux, comme le souligne d'ailleurs notre rapport. Nous ne pouvons accepter, dans une région comme la nôtre, des décisions qui aboutiront au démantèlement total d'une filière.

En début d'année, monsieur le ministre, vous avez bien voulu répondre à mes interrogations sur la crise que traverse actuellement l'aviculture.

Vous confirmiez notamment alors que les restitutions sont clairement menacées. Le plan d'adaptation de la filière avicole que vous venez de mettre en oeuvre prévoit-il les moyens de garantir que les fonds ainsi dégagés serviront effectivement à la restructuration de l'outil, à l'orientation de la production vers de nouveaux produits, ainsi qu'au financement de la formation des salariés, qui représente un besoin corollaire, et non pas au seul accompagnement financier des plans sociaux ?

Vous conveniez également de la nécessité de favoriser, en particulier, la préférence communautaire : comment envisagez-vous d'y parvenir ?

Enfin, alors que la France est un exemple dans le domaine de la qualité sanitaire des modes de production et des produits, le consommateur ne peut identifier clairement l'origine des produits qu'il achète. Par exemple, on peut aujourd'hui consommer du poulet thaïlandais ou brésilien, dans des plats préparés, sans le savoir. Le Gouvernement entend-il apporter une réponse à cette situation, alors que, précisément, la consommation de volailles des ménages est actuellement en baisse ?

En évoquant la crise de la filière avicole, je ne m'éloigne pas de notre sujet : la réforme de la PAC. En effet, cette crise est porteuse d'enseignements. Elle illustre notamment la nécessité, pour les pouvoirs publics, d'anticiper ou du moins d'accompagner l'évolution du marché en adaptant les modes d'encadrement de ce dernier. C'est pour cela qu'il faut se préparer à la révision de la PAC, s'agissant en particulier de tels domaines.

En conclusion, je ferai miens les propos de votre prédécesseur Jean Glavany, député des Hautes-Pyrénées, qui écrivait récemment que « le débat sur l'avenir de la politique agricole commune est un débat profondément politique : ou bien l'on reste sur une position purement conservatrice et de défense de certains privilèges, ou bien l'on se met en recherche d'une politique répondant mieux aux attentes profondes de la société ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis dix ans, l'agriculture européenne vit dans un décor de chantier. Les grandes réformes et les négociations commerciales se succèdent, et l'activité agricole ressemble de plus en plus à une navigation à vue par mauvais temps.

Garantir une meilleure visibilité doit être l'un de nos principaux objectifs. C'est l'un des aspects du problème de l'installation des jeunes : il est difficile de s'engager dans une activité qui demande des capitaux importants dès lors que le cadre de cette activité paraît aussi instable.

Je ne défends nullement ici une attitude conservatrice, hostile à toute évolution, mais il me semble indispensable que les adaptations s'opèrent dans un climat de véritable concertation et dans le respect des échéances.

Les Etats membres de l'Union européenne ont décidé, en 1999, la mise en place d'un cadre pour sept ans ; il n'est pas normal que la Commission européenne ait entrepris, avec une telle opiniâtreté, de réviser complètement cet accord à mi-chemin de son application.

Imaginons que la Commission européenne ait fait de même pour les volets non agricoles de l'accord de Berlin ; supposons, par exemple, qu'elle ait revu de fond en comble le montant et la répartition des aides structurelles aux régions : cela aurait soulevé un véritable tollé parmi les bénéficiaires de ces fonds, qui ont programmé leurs investissements en escomptant, bien sûr, que l'accord de Berlin serait respecté.

Pourquoi ce qui vrai pour les autres domaines d'action de l'Europe serait-il faux pour l'agriculture ? Si elle veut être crédible, l'Union doit respecter les règles et le calendrier qu'elle s'est elle-même fixés.

Il y a, heureusement, quelques éléments plus stables dans ce paysage mouvant.

Grâce au compromis franco-allemand qui a permis l'accord de Bruxelles sur le financement de l'élargissement, nous disposons d'un cadre financier valide jusqu'en 2013. C'est un point très positif.

Par ailleurs, la proposition de la Commission de proroger le dispositif des quotas laitiers jusqu'en 2014 est très satisfaisante dans son principe, car cela donnerait aux producteurs la visibilité dont ils ont besoin.

Pour les autres secteurs, en revanche, l'adoption de la proposition, défendue par M. Fischler, de rompre les liens entre la production et les aides aurait pour effet, à mon avis, de déstabiliser notre agriculture.

On peut tout à fait admettre un découplage partiel entre la production et les aides, s'il est conçu de manière telle que le revenu agricole reste suffisamment lié au volume produit. Cependant, avec un découplage total, que se passera-t-il ? Les agriculteurs constituent une population relativement âgée, ayant pour perspective de percevoir une très faible retraite. Dès lors qu'une véritable rente de situation serait assise sur les sols, on pourrait voir de nombreux agriculteurs rester en activité, directrement ou indirectement, afin de conserver cette rente, en se contentant d'une efficacité productive limitée. Inévitablement, cette dégradation de la productivité se répercuterait sur les industries de transformation.

Dans une région comme la mienne, la Normandie, où ces industries de transformation ont une place particulièrement importante dans l'économie, bien des entreprises n'auraient le choix qu'entre la délocalisation et le déclin.

Le risque me paraît d'autant plus grand que, parallèlement, les normes concernant le bien-être animal se situent de plus en plus à un niveau qui fragilise tant la situation des producteurs que celle des transformateurs.

Je suis vétérinaire de formation, et l'on ne fera pas de moi un adversaire du bien-être animal.

M. Gérard Larcher, président de la commission des affaires économiques et du plan. Très bien ! (Sourires.)

M. Jean Bizet. Toutefois, je crois que cette préoccupation, aussi sympathique soit-elle, ne doit pas se traduire par ce qui prend l'allure d'une véritable croisade ignorant les impératifs économiques, comme le laisse craindre l'action de certains groupes de pression particulièrement influents à Bruxelles.

Il faut veiller à maintenir un équilibre raisonnable entre, d'une part, le souci légitime du bien-être animal et, d'autre part, l'impératif de ne pas augmenter démesurément les coûts, avec le risque d'une perte de compétitivité de nos productions et d'une fragilisation de nos outils de transformation.

En Normandie, un tiers de l'activité agricole est dédié à l'exportation. Nous ne pouvons ignorer l'existence d'une concurrence internationale qui, quant à elle, n'est pas soumise aux mêmes règles.

Les normes en matière de bien-être animal doivent rester dans une juste mesure et être conçues avec davantage de cohérence. Nombre de petits abattoirs ont dû fermer en raison de normes sanitaires draconiennes et, désormais, ce sont les conditions de transport entre le lieu de production et les abattoirs qui sont jugées inacceptables au regard du bien-être animal, ce qui risque de remettre en cause la viabilité de certains des abattoirs subsistants. On tombe ainsi dans un cercle vicieux !

De la même manière, nous devons éviter les attitudes excessives et dogmatiques en ce qui concerne les biotechnologies. Une décrispation semble s'esquisser dans ce domaine en Europe, et c'est tant mieux.

Il faut naturellement respecter à la fois la liberté de choix des consommateurs, par l'étiquetage et la traçabilité, et celle des agriculteurs, en assurant la coexistence des différentes filières, qu'il s'agisse de l'agriculture biologique ou de l'agriculture conventionnelle.

L'Europe ne peut en effet se permettre de se tenir à l'écart du développement des biotechnologies. A cet égard, je me réjouis que le Sénat ait obtenu, par le biais de sa mission d'information sur le sujet, un « consensus d'étape », qui permet de dépasser les clivages politiques traditionnels et, je l'espère, de préparer nos concitoyens à une approche plus objective et moins passionnée de cette question.

Une véritable mutation de la connaissance et des techniques est en cours dans ces domaines. Si nous nous interdisons d'y participer et d'en tirer parti, nous affaiblirons non seulement notre capacité concurrentielle, mais aussi notre position dans les négociations commerciales internationales.

Ces négociations comportent déjà suffisamment de risques. Certes, la position de l'Europe est bien définie et les futurs Etats membres se sont engagés à la soutenir, mais les négociations commerciales sont globales : il faut un accord d'ensemble. En d'autres termes, il n'y aura d'accord sur rien tant qu'il n'y aura pas d'accord sur tout ! L'importance économique de l'agriculture étant sans commune mesure avec celle des services, qui sont le fer de lance de l'activité en Europe, ma crainte est que, finalement, ce soit l'agriculture qui supporte la charge de l'ajustement.

Or, nous le savons tous, même si la place proprement économique qu'elle occupe est aujourd'hui plus limitée, l'agriculture conserve un rôle essentiel en matière d'équilibre territorial, social et environnemental dans notre pays. Ce sont là des réalités qu'il est extrêmement difficile de faire prendre en compte dans des négociations commerciales.

J'ai eu, sur ce sujet, un échange un peu vif, par presse interposée, avec le commissaire européen au commerce, M. Pascal Lamy, qui m'a assuré que sa détermination à faire valider le « modèle agricole européen » restait entière. Je prends acte et me réjouis de cette déclaration, mais je crois que nous devrons rester particulièrement vigilants.

Enfin, je mentionnerai un dernier point : les négociations agricoles ont tendu à compartimenter la production entre blocs de pays.

A cet égard, la situation est particulièrement défavorable à l'Europe en ce qui concerne les protéagineux. Nombre de mes collègues ont souligné ce fait. Cette production se trouve sévèrement contingentée, alors même que, depuis la crise de la « vache folle », on ne peut utiliser, pour l'alimentation animale, les farines obtenues à partir des déchets et des écarts de consommation, ce qui est d'ailleurs une bonne chose.

Nous nous trouvons, de ce fait, dépendants des Etats-Unis pour les trois quarts de nos besoins en protéagineux. Cette situation, trop déséquilibrée, est assurément malsaine.

Dans cette optique, il me semble qu'il serait opportun d'engager une coopération particulière avec les pays désormais situés en bordure de l'Europe : je pense tout naturellement ici à l'Ukraine.

En effet, ces pays ont tendance à nous concurrencer dans des domaines où nous sommes autosuffisants, telle la production de blé. Il serait préférable que, plutôt que de s'orienter vers des secteurs de production déjà saturés, ils se spécialisent davantage dans les cultures protéagineuses, pour lesquelles ils trouveraient un débouché assuré sur le marché communautaire tout en faisant bénéficier l'Europe d'une diversification de ses approvisionnements.

Je suis persuadé - ce sera ma conclusion - que notre agriculture mérite mieux que le simple rôle d'occupation de l'espace auquel certains voudraient la confiner. Ce rôle est certes important, mais il ne peut être le seul. Ne faisons pas comme si l'agriculture avait perdu son importance économique et politique ! De plus, l'industrie de transformation joue un grand rôle dans l'économie de notre pays. Elle représente plusieurs milliards d'euros de chiffre d'affaires et 450 000 emplois répartis dans plus de 4 500 entreprises. Notre industrie de transformation ne pourra être forte si elle s'appuie sur une agriculture par trop environnementaliste, uniquement vouée à l'entretien de notre territoire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque, voilà une quarantaine d'années, la Communauté européenne a décidé de mettre en place une politique agricole commune, ses motivations et les objectifs fixés aux agriculteurs européens étaient clairs : accroître la productivité de l'agriculture pour parvenir à l'autosuffisance alimentaire et stabiliser les marchés pour assurer un niveau de vie décent à la population agricole.

Force est de reconnaître que ces objectifs ont été mobilisateurs et que les agriculteurs ont su répondre aux attentes. J'en veux pour preuve la hausse considérable des rendements céréaliers à laquelle on a assisté : de trente quintaux à l'hectare au début des années soixante, ceux-ci sont passés à plus de quatre-vingt quintaux à l'hectare aujourd'hui. L'Europe est devenue l'une des toutes premières puissances agricoles mondiales.

Une fois l'objectif d'autosuffisance alimentaire atteint, l'Union européenne s'est malheureusement montrée plus soucieuse de régler les prétendues dérives budgétaires dues à l'agriculture et de réduire les prétendus excédents que de réfléchir au développement d'une nouvelle et véritable politique agricole commune.

Si les réformes de 1992 et de 1999 ont ainsi permis de régler, en bonne partie, ces problèmes, force est malheureusement de constater qu'elles n'ont ouvert aucune perspective nouvelle à nos agriculteurs, et ce ne sont pas les propositions de réforme annoncées aujourd'hui par le commissaire européen à l'agriculture, Franz Fischler, qui permettront de donner une nouvelle ambition à l'agriculture européenne !

Comment peut-on espérer mobiliser les agriculteurs avec un catalogue de mesures n'ayant pas d'autre finalité apparente que la réduction des coûts et de la production ?

Comment peut-on espérer mobiliser les agriculteurs en leur interdisant d'utiliser les terres mises en jachère pour développer de nouvelles sources de revenus et de nouvelles filières agro-industrielles aussi porteuses d'avenir et nécessaires que, par exemple, les biocarburants ?

Comment peut-on espérer mobiliser les agriculteurs en les accusant de tous les maux, notamment sur le plan de l'environnement et de la santé publique ? C'est oublier un peu vite que l'agriculture intensive a été longtemps encouragée par l'Europe et que la sécurité alimentaire, non seulement sur le plan quantitatif, mais aussi sur le plan sanitaire, est bien mieux assurée aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a une quarantaine d'années.

Comment peut-on espérer mobiliser les agriculteurs par un découplage des aides qui fera d'eux des assistés touchant leur chèque quelle que soit leur production, voire même sans produire ?

Comment peut-on espérer mobiliser les agriculteurs autour d'une politique dont la mise en oeuvre se traduira inévitablement par l'abandon de pans entiers de notre agriculture pourtant essentiels, tels que la filière de la luzerne déshydratée, dont nous avons un énorme besoin au regard de notre déficit en protéines végétales ?

Quarante ans après qu'eurent été fixés les objectifs que je rappelais voilà un instant, quelles perspectives offre-t-on aujourd'hui à nos agriculteurs ? A cette question, Bruxelles ne répond pas.

Loin de moi l'idée que tout va très bien et qu'aucune réforme de la PAC n'est aujourd'hui nécessaire, mais cette réforme ne doit pas se faire en accusant les agriculteurs de tous les maux et en opposant le deuxième pilier, relatif à la politique d'aménagement rural, au premier, qui concerne la politique de marché : ces deux piliers de la PAC sont au contraire complémentaires.

Si le développement rural n'est pas l'affaire des seuls agriculteurs, en tout état de cause, sans les agriculteurs, il n'y aura pas d'aménagement rural, ce qui, malheureusement, risque d'être le cas si les propositions de la Commission européenne ne sont pas revues et corrigées. Le maintien d'une agriculture productive et de qualité n'est pas en contradiction avec le respect de l'environnement et l'aménagement du territoire. Les agriculteurs en sont eux-mêmes parfaitement conscients et, depuis plusieurs années, ils ont su réduire considérablement l'usage des engrais chimiques, sans pour autant voir leur production diminuer.

Comment pourrait-on assurer un développement rural sans agriculteurs ? Il y a là un non-sens auquel je ne peux me résoudre.

Le rapport de la mission d'information sénatoriale, établi sous la houlette de nos collègues Marcel Deneux et Gérard César, suggère un certain nombre d'orientations nouvelles pour la politique agricole commune. Sans être nécessairement révolutionnaires, ces propositions esquissent plusieurs pistes de nature à mobiliser les agriculteurs pour atteindre de nouveaux objectifs.

L'agriculture est un atout pour l'Europe, auquel celle-ci ne saurait renoncer sans s'affaiblir. Par conséquent, nous disons « oui » à une réforme de la PAC qui permettrait de mieux valoriser ces atouts, mais « non » à une réforme sans ambition qui s'assimilerait à un abandon !

Nous savons pouvoir compter sur vous, monsieur le ministre, pour faire passer ce message à la Commission européenne, et nous sommes à votre disposition pour vous y aider. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Louis Le Pensec.

M. Louis Le Pensec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il se vérifie, une fois encore, que les questions de politique agricole ne sont pas des questions sectorielles. La PAC, grande et ancienne politique commune, a des dimensions diplomatiques importantes. Elle est au coeur des débats sur l'avenir de l'Europe, au coeur de l'élargissement et, on peut le dire, au coeur de l'OMC.

« La PAC, c'est un sujet compliqué. Il y a une part de gesticulation liée à la procédure de négociations ». Cette déclaration est signée Hervé Gaymard ; vous conviendrez, monsieur le ministre, que j'ai de bonnes lectures ! (Sourires.)

Si le travail de cette matinée permettait de mieux distinguer ce qui est gesticulation de ce qui est le fond du dossier, nous aurions, je crois, avancé.

Je donne acte à la mission d'information qu'un important travail a été accompli et que son rapport est une très utile contribution au débat. J'ai noté le souci pédagogique qui l'a inspiré. Je comprends toutefois qu'il n'ait pas recueilli l'unanimité des suffrages.

M. Gérard César. Il s'agissait d'abstentions positives !

M. Louis Le Pensec. Nous n'allons pas rouvrir le débat pour savoir ce que ce vote signifie. En tout cas, pour ma part, j'aurais trouvé des motifs de m'abstenir, si j'avais fait partie de cette mission.

Monsieur le ministre, vous êtes un ministre de l'agriculture et de la pêche heureux.

Les professionnels comptent sur vous. Même si les résultats des négociations ne répondaient pas à leurs attentes, au nom d'une solidarité politique garantie, ils mettraient des bémols à leur expression.

M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. C'est à voir ! (Sourires.)

M. Louis Le Pensec. Ne les a-t-on pas vus plier banderoles et calicots sur-le-champ, après avoir déclenché en décembre un mouvement censé être durable et massif ? Un froncement de sourcils de Matignon a suffi !

Et le Parlement !

A l'Assemblée nationale, vous êtes assuré d'un soutien inconditionnel. Au Sénat, à quelques exceptions près, c'est le règne de la pensée unique agricole. Je ne saurais trop encourager la commission des affaires économiques à se doter des outils d'une réflexion autonome.

Quelle matinée sereine vous passerez parmi nous !

Quant à l'opposition parlementaire, dans toutes les grandes négociations déterminantes pour l'avenir, elle a un comportement républicain exemplaire. Pour ne gêner en rien votre action, elle retient son souffle, elle vous reconnaît comme l'expression légitime de la France. On l'a vu lors des négociations sur l'« Europe bleue ».

Tout irait donc pour le mieux s'il n'y avait ce fichu calendrier. Tout irait pour le mieux s'il n'y avait ce sacré commissaire Franz Fischler. Et, j'allais l'oublier, tout irait bien si, dans cette Europe, il n'y avait pas d'autres Etats membres que la France.

Vous semblez jouir d'une liberté de manoeuvre dans la négociation. Je me demande même si vous avez un mandat de négociation. Dans l'affirmative, la Haute Assemblée apprécierait sûrement de le connaître. Le Premier ministre, le Président de la République ont été bien discrets sur l'enjeu de cette négociation. Tout ne serait-il pas avouable ? Vous ne manquerez sans doute pas de nous faire part - je reprends à mon compte le souhait des intervenants qui m'ont précédé - des conclusions de cette « non-réunion » de l'Elysée.

J'attends d'être convaincu qu'en choisissant d'entrée de jeu le rejet en bloc des propositions de la Commission, le Gouvernement s'est donné des marges de manoeuvre. La pression de l'agenda et des Etats membres impose de faire mouvement, et ce mouvement sera visible.

Oui, l'agenda est contraignant. Il cumule les courses d'obstacles, et chaque passage de haie doit être pensé en fonction de l'ensemble de ce chemin critique : G8, OMC, élargissement.

La position française à l'ouverture de la négociation, qui était de dissocier la révision à mi-parcours de la PAC par rapport aux négociations de l'OMC, ne pouvait être tenue sur la durée. Partait-elle d'une juste appréciation du rapport des forces ?

Pour la quasi-totalité de nos partenaires, il faut aller à Cancùn, en septembre, avec des marges de manoeuvre et, pour cela, définir une position européenne sur la PAC en juillet. A défaut d'accord sous présidence grecque, on peut espérer que la présidence italienne bouclera la négociation en juillet.

Nous serons attentifs à ce que vous pourrez nous dire sur la rencontre de Corfou, la plus récente des rencontres entre les ministres de l'agriculture des Quinze, ces rencontres qui, pour être informelles, ne sont jamais neutres.

Je voudrais maintenant évoquer quelques points sur lesquels la mission d'information s'est justement attardée.

J'ai noté avec intérêt l'affirmation de son rapporteur à propos de la modulation. Comme nous avons eu, par le passé, des discussions à ce sujet dans cette même enceinte, je lui adresse tous mes encouragements pour faire mouvement dans cette direction.

Je souscris par ailleurs aux propositions de la mission d'information de sauvegarder des moyens de régulation conjoncturelle ainsi qu'à celles visant la restauration de la préférence communautaire.

L'une des principales innovations des propositions de la Commission européenne par rapport aux orientations de juillet 2002 concerne le secteur, stratégique à mes yeux, du lait.

Les produits laitiers, on le sait, ne faisaient l'objet que d'un papier d'option. La Commission propose un scénario de réforme du secteur qui, il faut le reconnaître, anticipe et prolonge celui qui avait été décidé à Berlin en 1999 : anticipation à 2004 de la baisse des prix décidée à Berlin pour 2005, suivie d'une baisse ultérieure.

Pour la Commission, ce système doit permettre de préserver les quotas laitiers jusqu'en 2014 en évitant la minorité de blocage des membres du club de Londres - Danemark, Suède, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni. On sait ces Etat hostiles aux quotas laitiers. Ils bénéficieraient d'un statu quo ; sauf décision contraire, les quotas laitiers expireront en 2008, aux termes de l'accord de Berlin, sans aides compensatoires.

La Commission ne manque pas de moyens d'intéresser l'Italie par ses propositions en matière de blé dur, créant ainsi les conditions pour la nécessaire préservation des quotas jusqu'en 2014. Nous attendons tous avec impatience ce que vous pourrez nous dire sur ce secteur.

Au coeur des propositions de la Commission européenne figure le découplage des aides par rapport à la production.

La Commission reste fidèle à sa volonté de découpler totalement en vue des négociations au sein de l'OMC. Cette proposition maximaliste laisse présager un compromis final sur la base d'un découplage partiel et progressif, ce qui est a priori compatible avec la position que l'on pourrait adopter à l'issue des négociations agricoles au sein de l'OMC.

Vous avez exprimé votre opposition résolue à ce découplage total.

Le découplage méritait-il autant d'indignation de la part des professionnels et, en écho, du ministre ? Il est vrai que se dire contre le découplage total n'interdit pas d'être pour le découplage partiel. La presse laisse entendre que la France ferait mouvement dans cette direction. Nous avons tous lu qu'un compromis s'esquisserait, circulerait sous le manteau, et que le découplage partiel serait accepté par la France. Je serais tenté de dire que c'était prévisible !

Tout se passe comme si la France prenait conscience, un peu tard selon moi, qu'il est préférable de se préparer à un compromis où le découplage serait bien cerné entre quinze plutôt que de laisser ce dernier à des arbitrages aléatoires à vingt-cinq.

La mission d'information souligne à juste titre que le découplage n'est pas une totale innovation, puisqu'il existe pour les céréales et pour les oléoprotéagineux. Bien entendu, et vous en êtes conscient, monsieur le ministre, il faudra mesurer les effets du découplage dans divers domaines, notamment sur les échanges de terres et sur le prix du foncier. La Commission doit, à votre demande, conduire les évaluations qui s'imposent.

La France s'est trouvée isolée par ses positions sur le découplage, qui font qu'elle ne retrouvera plus de minorité de blocage. Elle ne retrouvera plus non plus, sauf si vous nous assurez du contraire, le soutien de l'Allemagne, qui fut si précieux lors du Conseil européen de Bruxelles en 2002. L'Allemagne veut, par exemple, faire du découplage en élevage. A ce propos, le sommet franco-allemand de juin tombe opportunément pour opérer les ajustements qui s'avéreront nécessaires.

Reconnaissons que ces considérations diplomatiques sont bien pesantes dans ces discussions. Pour ne parler que des relations transatlantiques, convenons qu'entre la France et les Etats-Unis les questions agricoles furent souvent objet de polémiques, voire de contentieux. On pourrait en dire de même de l'Europe et des Etats-Unis.

A l'OMC, les Etats-Unis plaideront dans un premier temps, brutalement comme à l'accoutumée, avec le groupe de Cairns, pour désarmer les protections. Mais ils sauront, au milieu du gué, chercher des complicités pour sauvegarder ce qui peut l'être de leur farm bill ; peut-être à ce moment-là se retrouveront-ils avec l'Europe.

J'ai dit depuis longtemps que l'avenir de l'agriculture française et de l'agriculture européenne en général ne passait pas prioritairement par une production de masse pour le marché mondial à coups de restitutions. On connaît les effets d'une telle politique sur les agricultures des pays en voie de développement. On se souvient combien à Johannesburg la PAC fit l'objet d'une vive contestation. Cette dernière ne saurait être balayée d'un revers de main. On voit bien que la critique avait quelques fondements quand on constate avec quelle application la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, la FNSEA, l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, l'APCA, et le ministre ont allumé un contre-feu.

Présents à Johannesburg, Marcel Deneux et moi avons entendu et apprécié les engagements pris par Jacques Chirac en faveur du développement durable.

J'ai considéré également comme une avancée - mieux vaut tard que jamais ! - les déclarations faites par le Président de la République lors du sommet franco-africain du mois de février. En proposant, dans le cadre des négociations de l'OMC, un moratoire sur les aides accordées aux produits agricoles exportés vers l'Afrique, il rompait avec une pratique dénoncée par tous ceux qui ont à coeur de doter les pays en voie de développement des moyens d'assurer leur souveraineté alimentaire, de jouir de leur droit à se nourrir eux-mêmes en développant leur propre agriculture. Jacques Chirac a aussi demandé que soient rouverts les dossiers des matières premières - coton, café, cacao - en vue d'un nécessaire soutien des prix.

Que le ministre et la mission d'information, qui ne me semblent pas suffisamment sensibles au principe du développement durable, veillent à ne pas être démentis par le Président de la République si, du moins, celui-ci reste fidèle à ses engagements de Johannesburg !

Sur le thème de la mondialisation des échanges agricoles et des pays en voie de développement, la Commission européenne a émis de nombreuses propositions en matière d'accès sans droit de douane ni contingentement des pays les moins avancés aux marchés des pays développés. Nous attendons aussi que le premier pays agricole de l'Union avance ses idées et entraîne les autres Etats membres.

En la matière, je ne cède pas à un angélisme qui serait dans l'air du temps et qu'inspireraient le groupe de Cairns et les Etats-Unis, lesquels, en ce domaine, bernent le bon peuple. Là aussi, il y a à balayer devant certaines cours !

Par ailleurs, j'ai apprécié ce qu'a indiqué notre collègue Jean Bizet quant à la détermination du commissaire Pascal Lamy. Ayant eu, moi aussi, un échange avec ce dernier, je crois pouvoir témoigner de sa volonté de faire en sorte que l'agriculture ne soit pas, comme cela a pu être dit ici ou là, une variable d'ajustement dans les négociations.

Quoi qu'il en soit, dans le sens du comportement républicain que j'évoquais tout à l'heure, notre groupe n'entend pas vous compliquer la tâche, monsieur le ministre, dans une passe à haut risque pour l'agriculture française.

L'expérience nous autorise à dire que votre mission est éminemment difficile. Le monde agricole et, plus largement, la société attendent des prochaines négociations bien des réponses. Ne leur a-t-on pas trop suggéré qu'ils pouvaient en espérer beaucoup ?

Si la PAC a permis, pendant un temps, de garantir un tissu rural vivant et entretenu, il faut reconnaître qu'elle n'est plus en mesure de répondre à cet objectif. Elle a contribué à renforcer le phénomène d'agrandissement des exploitations, mais elle a aussi accentué la course au productivisme et les dérives environnementales qui en découlent.

La PAC attendue doit refonder la contractualisation entre l'agriculture, la société et les pouvoirs publics. L'affirmation du concept de multifonctionnalité agricole et rurale, auquel la Haute Assemblée et M. le ministre se sont montrés un peu plus favorables, doit être au coeur du contrat pour que les fonctions essentielles assumées par l'agriculture et par l'espace rural soient reconnues.

Monsieur le ministre, au terme de mon intervention, vous comprendrez combien vos réponses sont attendues avec grand intérêt tant par le monde agricole que par notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Mortemousque.

M. Dominique Mortemousque. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier notre collègue Gérard César d'avoir pris l'initiative de cette question orale avec débat sur la politique agricole commune.

Ce sujet, à mon sens, ne peut se résumer à de simples données chiffrées : 600 000 exploitations agricoles et 1,3 million d'agriculteurs.

L'agriculture française présente une spécificité particulière qui englobe les notions d'aménagement du territoire, de foncier, d'agroalimentaire.

L'agriculture française, deuxième exportatrice agroalimentaire mondiale, accomplit, depuis près d'un demi-siècle, un parcours intéressant, alliant performance, solidarité territoriale et solidarité humaine.

Or voilà que ce système équilibré, qui permet de disposer d'un territoire attractif, dont l'intérêt est reconnu à l'échelon européen, est remis en cause par les nouvelles orientations de la politique agricole commune.

En effet, le commissaire européen à l'agriculture, M. Fischler, a prévu que soient réduites jusqu'à 19 % d'ici à 2012 les aides directes perçues par les exploitants agricoles et que l'on procède au découpage par rapport au niveau de production.

Comment le secteur agricole du département de la Dordogne pourrait-il résister à une telle baisse des aides directes, conjuguée à celle des prix de soutien ?

Une telle perspective n'est pas acceptable puisqu'elle condamnerait les exploitants de la Dordogne et ceux de tous les départements ruraux à un déclin inéluctable, alors que l'activité économique et la présence humaine doivent être stimulées dans ces départements.

Monsieur le ministre, je suis parfaitement conscient du combat que vous menez pour que la crédibilité de la France reste à un rang élevé au sein de l'Europe agricole. Les 27 et 28 janvier dernier, lors d'un conseil agricole, vous avez clairement indiqué que la dégressivité des aides directes proposées par M. Fischler ne pouvait pas être acceptée par la France.

Je souhaiterais donc qu'à l'occasion de ce débat vous nous teniez informés de l'état d'avancement des négociations en cours avec la Commission européenne depuis votre intervention de janvier, dans laquelle vous défendiez courageusement les intérêts des agriculteurs français. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous le savons tous, l'agriculture a connu en un peu plus d'un demi-siècle des évolutions, dont le rythme tend à s'accélérer depuis quelques années.

Etre agriculteur, c'est vivre des combats permanents, toujours inachevés. Je dirai qu'ils sont encore plus permanents et encore plus inachevés en zone de montagne.

Mais ce qui est réconfortant, c'est que, malgré ses épreuves répétées, l'agriculture française est restée debout. Elle a été capable de s'adapter en restant fidèle à sa vocation initiale de production, à sa mission de nourrir le monde, voire, aujourd'hui, de bien le nourrir en prenant en compte l'indispensable sécurité alimentaire, mais aussi à sa mission environnementale, car ce sont les agriculteurs qui façonnent le paysage, répondant ainsi à nos aspirations.

Au début de l'année, la Commission européenne, notamment M. Fischler, a relancé la bataille sur l'avenir de la politique agricole commune, suscitant ainsi des inquiétudes propres à dissuader certains de continuer à exercer ce beau métier que certains parmi nous exercent ou ont exercé, celui d'agriculteur. Relancer cette bataille, c'est provoquer un découragement, un malaise, en dépouillant l'agriculteur de sa vocation initiale, en l'empêchant de vivre de la vente de ses productions et en le plongeant dans une relative incertitude. C'est en fait dénaturer un métier qui a su préserver des valeurs fondamentales, indispensables à notre société.

Vous le savez, monsieur le ministre, notre agriculture de montagne est spécifique ; elle doit le demeurer. Il convient de compenser ses handicaps et de convaincre nos concitoyens que cette compensation n'est pas un privilège, mais qu'elle répond à une exigence de parité. C'est la raison pour laquelle des aides compensatoires ne doivent pas entrer en compte dans le calcul du plafond des aides ; elles doivent être dissociées.

Comment évoquer les zones de montagne sans demander avec insistance que les plafonds subventionnables, en ce qui concerne les bâtiments d'élevage, soient revus à la hausse ? En effet, à 1 000 mètres d'altitude, ces bâtiments, ne peuvent être conçus de la même manière qu'à 100 mètres. Les exigences ne sont pas les mêmes, car les conditions climatiques ont toujours le dernier mot : rappelons-nous combien de fermes de montagne ont été emportées par l'ouragan de 1999 ! Il en est de même pour la collecte du lait : en zone de montagne, compte tenu d'une topographie très tourmentée et de risques de circulation indiscutablement aggravés, une aide doit être « légalisée ».

S'il est certes nécessaire d'adapter et d'améliorer la PAC, il n'y a pas urgence à la réformer. Il semblerait d'ailleurs que le vent de la sagesse et du bons sens souffle sur Bruxelles puisque ne serait pas envisagé le découplage total proposé par la Commission européenne.

Je voudrais, cependant, monsieur le ministre, vous poser une question, me faisant là modestement le porte-parole de nombreux agriculteurs : qu'entend-on exactement par « découplage partiel » ? Y aura-t-il une référence fixe et une référence mobile ?

Si nous reculons sur ce principe, comment pourrons-nous organiser et maîtriser nos filières de production ? Plus que jamais, les productions doivent être aménagées, réfléchies et orientées. Il faut étaler les réformes dans le temps et ne rien précipiter. C'est au aussi une des condiditions pour assurer la sécurité sanitaire et alimentaire.

En outre, peut-on honnêtement prétendre que, pour simplifier les règles, il faille passer par le découplage ? Il existe d'autres chemins que ceux qui mènent au découragement, qui conduisent à transformer une agriculture de production en une agriculture d'imagination, de sous-production, de désordre.

Ne bouleversons pas constamment les perspectives agricoles ! Pour qu'un agriculteur garde confiance, il doit regarder devant lui et avoir une vision rassurante de l'avenir.

Monsieur le ministre, pensez-vous suivre, aux côtés des agriculteurs, cette démarche de fermeté et de bon sens ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Hilaire Flandre.

M. Hilaire Flandre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le commissaire européen chargé des questions agricoles, M. Fischler, propose - une fois de plus, serais-je tenté de dire - de modifier les règles de fonctionnement de la politique agricole commune. Cette volonté constante, qui confine à l'entêtement, de proposer à des réformes dont rien ne justifie ni l'urgence ni l'ampleur crée un désarroi profond au sein de la profession agricole et décourage les candidatures à l'installation, pourtant déjà trop peu nombreuses.

Cette situation, dont on ne mesurera qu'avec le temps les conséquences néfastes, et bien souvent irréversibles, mérite que l'on s'y attarde quelque peu, et je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir accepté ce débat, comme je remercie la commission des affaires économiques de l'avoir suscité.

Certes, ce n'est pas la première fois que la politique agricole commune, pour laquelle notre pays s'est toujours fortement engagé et qui a été un puissant facteur d'intégration européenne et d'adhésion à l'idée de l'Europe, connaît des modifications.

Dès 1968, M. Sicco Mansholt, dans un plan resté célèbre, proposait de changer ce qui avait fait l'objet d'accords quelques années auparavant et qui s'appuyait sur trois principes : l'unité de marché, la préférence communautaire, la solidarité financière.

Sans remettre en cause ces principes, M. Mansholt souhaitait engager et encourager la modernisation des exploitations agricoles, concrétisée, à l'époque, par la mise en place des plans de développement.

Plus près de nous, en 1992, une nouvelle réforme est intervenue. Il s'est agi, alors, d'un véritable bouleversement, marqué par une importante baisse des prix des produits agricoles, accompagnée de versements compensatoires partiels calculés sur les rendements historiques de la région agricole ou du département considérés et l'obligation des jachères.

Avec plus de dix ans de recul, on peut mieux mesurer les effets de cette réforme. On pourrait la résumer d'une phrase : faire supporter au contribuable et non plus au consommateur le coût de l'alimentation.

Les effets néfastes se sont fait rapidement sentir. Il n'est pas inutile d'en rappeler quelques-uns, même si la plupart d'entre nous les connaissent parfaitement, car nous allons de nouveau les subir, mais sous une forme aggravée, avec la nouvelle réforme qui se profile.

La première conséquence de la réforme de 1992 fut la chute du nombre d'installations de jeunes agriculteurs. Malgré les plans de relance et les mesures incitatives, il n'y a plus aujourd'hui que 6 000 jeunes agriculteurs qui s'installent chaque année. Si ce mouvement se poursuit, au terme d'une génération, moins de 200 000 exploitations agricoles devront entretenir l'ensemble du territoire, c'est-à-dire dix fois moins qu'il y a quinze ou vingt ans. Certes, les agriculteurs ne représentent pas tout le monde rural, mais peut-on sérieusement imaginer un monde rural accueillant sans la présence d'un minimum d'agriculteurs actifs ?

La deuxième conséquence fut la baisse du revenu agricole. Cela est quelquefois contesté, car l'évolution du revenu global de l'agriculture, divisé par le nombre des agriculteurs, en diminution rapide comme nous l'avons vu, a pu donner l'illusion d'un maintien, voire d'une progression du revenu de ceux qui sont restés. Mais, vous en conviendrez, monsieur le ministre, les agriculteurs qui partent les premiers sont ceux qui gagnent le moins, quand ils ne perdent pas en fait de l'argent, et leur départ n'améliore en rien la situation de ceux qui restent.

M. Gérard Le Cam. Ça, c'est vrai !

M. Hilaire Flandre. Pour préciser les choses, j'ai repris les chiffres exacts de ma propre exploitation, de 1988 à 1997. Avec 128 hectares de polyculture, notre GAEC, ou groupement agricole d'exploitation en commun, constitué de deux ménages, a dégagé de 1988 à 1991, soit les quatre années précédant la réforme, un revenu agricole de 541 363 francs. En 1992, première année de la réforme, ce revenu est passé à 365 000 francs, soit une chute de près de 200 000 francs. En 1993, il est tombé à 288 000 francs et, en 1994, année la plus sombre, à 218 000 francs, soit 40 % seulement du revenu pris pour référence.

Ce n'est qu'à partir de 1995, 1996 et 1997 que le revenu a commencé à remonter pour retrouver son niveau antérieur. Mais cela s'explique par le fait qu'aucun investissement n'a été réalisé : me trouvant à la fin de ma vie professionnelle, j'ai « fait durer » autant qu'il m'était possible les installations et le matériel.

Bien entendu, au cours de la même période, pour la grande majorité des agriculteurs, la seule issue se trouvait dans l'agrandissement, et c'est la troisième conséquence de cette première réforme : la fuite en avant, la course aux hectares, qui a elle-même induit une élévation du coût des reprises ; d'où, par ailleurs, une difficulté supplémentaire pour les jeunes qui veulent s'installer.

Ainsi, la spirale d'une désertification accrue est en marche.

Quatrième conséquence : les mesures compensatoires accompagnant la baisse massive des prix des produits agricoles se font sur la base d'un rendement historique de la région agricole considérée et au vu des déclarations des agriculteurs, soumis par ailleurs à l'obligation de geler une partie de leur exploitation, en mettant certains champs en jachère.

Je formulerai deux remarques à ce sujet.

Premièrement, les exploitants situés dans les régions favorables bénéficient des compensations les plus importantes, ce qui est compréhensible et même justifié au début de la réforme, mais qui pose, à plus long terme, un problème d'équité.

Deuxièmement, les déclarations des agriculteurs entraînant le versement d'argent public, pour des montants parfois importants, elles sont naturellement soumises à des contrôles. Il n'y a là rien à redire, sinon que ces contrôles, souvent suspicieux, voire maladroits, provoquent un climat de tension détestable. A cet égard, je salue les efforts réalisés par votre administration, monsieur le ministre, pour simplifier les choses et éviter que les agriculteurs passent plus de temps à remplir des formulaires et ensuite à les justifier plutôt que de s'occuper de leurs champs ou de leur élevage.

La cinquième conséquence de cette réforme a été l'abandon de certaines productions et l'absence de véritable orientation.

La politique agricole commune mise en place dans les années soixante pouvait orienter les productions en fixant les prix, fort justement appelés « prix d'orientation ». La réforme de 1992, en faisant dépendre le revenu essentiellement des primes compensatoires, a rompu avec cette logique, et certaines productions pourtant nécessaires - je pense aux protéagineux et aux pois, en particulier - ont vu leur part régresser dans les assolements, faute d'avoir été correctement soutenues. Cela fait sans doute le bonheur des pays exportateurs de soja, mais accroît encore notre dépendance dans ce secteur qui, comme cela a été rappelé par plusieurs intervenants, s'élève à 75 % de nos besoins.

Vous le voyez, mes chers collègues, l'appréciation que je porte sur la réforme de 1992 est plutôt négative. Je ne lui reconnais que deux effets bénéfiques.

Elle a, d'abord, permis la reconquête du marché de l'alimentation animale par nos céréales. A l'heure actuelle, ce marché représente 6,5 millions de tonnes de blé, c'est-à-dire plus que la consommation humaine, qui s'élève à 4,8 millions de tonnes.

Elle a, ensuite, abouti à un certain rééquilibrage des revenus entre productions végétales et productions animales, en faveur de ces dernières.

Alors, me direz-vous, si la PAC mise en place depuis dix ans a tant d'inconvénients, pourquoi ne pas soutenir une nouvelle réforme ? Tout simplement parce que le projet de M. Fischler apparaît à la fois inopportun et inapproprié.

M. Fischler propose en effet de procéder, dans le secteur des végétaux, à une nouvelle baisse des prix, partiellement compensée par un réajustement des aides, et de globaliser celles-ci par exploitation, en fonction des aides reçues par le passé, indépendamment des productions de demain comme des besoins du marché.

Il étaie son projet par quatre arguments : la PAC coûte cher ; les aides européennes étant, selon lui, incompatibles avec les règles de l'OMC, il convient de rapprocher nos prix intérieurs du prix mondial et de pratiquer ce qu'il est convenu d'appeler le « découplage » ; les pays développés doivent non pas concurrencer l'agriculture du tiers monde mais, au contraire, faciliter son développement ; il convient de simplifier les formalités administratives des agriculteurs.

En résumé, M. Fischler veut poursuivre, en l'aggravant, l'orientation prise il y a dix ans et dont j'ai décrit les effets néfastes. Or rien ne justifie la précipitation.

Le Conseil européen, sur l'initiative de la France, a arrêté les mesures destinées à assurer le financement de la PAC pour les prochaines années, tout en l'encadrant afin d'éviter les dérives.

Alors que des négociations sur le commerce international vont s'ouvrir dans quelques mois, il est maladroit, me semble-t-il, de baisser la garde au moment où d'autres pays renforcent leur soutien à leur propre agriculture, comme l'a rappelé M. César.

J'ajoute que l'Union européenne est le premier importateur de produits agricoles en provenance des pays en voie de développement, lesquels ne sont d'ailleurs pas concurrents de nos propres produits ; il faut constamment le rappeler et mettre fin à cette accusation mensongère émanant de pays beaucoup moins vertueux, relayée benoîtement par des organisations non gouvernementales dont la bonne foi a pu être abusée.

M. Jean Bizet. Très juste !

M. Hilaire Flandre. Il ne faut pas craindre d'affirmer que le développement des pays les moins avancés résultera de l'essor de leurs propres agricultures vivrières. Pour cela, il convient de les inciter à mettre en place des organisations de marché commun par grands ensembles géographiques, le cas échéant en les y aidant.

Mais il faut surtout sortir du mythe du prix mondial, qui ne correspond qu'à une partie résiduelle du marché et ne saurait être représentatif de l'ensemble de celui-ci, c'est-à-dire de la confrontation de toute l'offre à toute la demande. Viendrait-il à l'esprit de quelqu'un de réclamer l'institution d'un salaire mondial et, ensuite, de l'appliquer aux conventions collectives ? Ce serait évidemment stupide. C'est tout aussi stupide pour les produits agricoles.

Quant au découplage des aides, ses effets seraient redoutables et il en résulterait une désorganisation totale des marchés agricoles.

L'absence de lien entre les soutiens à la production conduirait inexorablement à l'abandon de la production dans les terroirs les moins propices. Il s'ensuivrait une concentration de la production dans les zones les plus fertiles et une diminution globale de cette production. Or les besoins alimentaires mondiaux sont loin d'être assurés dans l'avenir ; j'y reviendrai dans un instant.

Ce mouvement de délocalisation s'accompagnerait d'une désorganisation des marchés, je l'ai dit, et de distorsions de concurrence tout à fait insupportables. Ce serait le cas, par exemple, si un céréalier, dont les aides seraient garanties et découplées, décidait de se lancer dans la production de légumes de plein champ, concurrençant ainsi des maraîchers qui, de leur côté, ne bénéficieraient d'aucune aide.

Ce simple exemple - mais on pourrait en citer beaucoup d'autres - montre que la réforme envisagée n'est pas la bonne et que la « copie » doit être revue pour permettre à l'agriculture de relever les défis qui l'attendent et de répondre encore mieux aux attentes de nos concitoyens : satisfaire les besoins alimentaires, aménager et entretenir le territoire, protéger l'environnement.

S'agissant tout d'abord de la satisfaction des besoins alimentaires, les progrès réalisés depuis cinquante ans par l'agriculture de notre pays sont tels que nos concitoyens peuvent penser que la ressource est inépuisable et que le seul problème de notre agriculture réside dans l'écoulement des surplus.

Il est vrai qu'en cinquante ans la France, qui était importatrice de blé, est devenue exportatrice de 54 % de sa production. Elle est parvenue au deuxième rang des exportations mondiales de produits agricoles et alimentaires et dégage un solde positif de 9 milliards d'euros par an, soit l'équivalent de l'exportation de 2 500 Twingo par jour.

En 1960, chaque agriculteur de notre pays nourrissait quinze personnes, lesquelles consacraient 35 % de leurs revenus à leurs besoins alimentaires. En 2002, chaque agriculteur de notre pays nourrit soixante personnes, et les ménages ne consacrent plus que 15 % de leur budget à l'alimentation. A titre de comparaison, les dépenses des ménages pour les loisirs et les services sont passées dans le même temps de 34 % à 48 % de leurs revenus.

Cette situation favorable des pays développés ne doit pas dissimuler la fragilité de l'approvisionnement mondial en céréales, particulièrement en blé. En 1990, le stock mondial de blé assurait quatre mois de consommation ; en 2002, la planète dispose de stocks représentant moins de trois mois de consommation.

Parallèlement, la population mondiale, qui est passée de 3 milliards d'individus en 1960 à 6 milliards aujourd'hui, devrait atteindre 9 milliards vers 2050. Ces simples chiffres indiquent l'importance de l'enjeu alimentaire et soulignent la nécessité d'accomplir encore des progrès.

Deuxième attente de nos concitoyens : l'occupation du territoire et l'entretien des espaces.

Dans notre pays, l'agriculture occupe 28 millions d'hectares, c'est-à-dire un peu plus de la moitié de l'ensemble de la surface nationale. On lui doit l'harmonie des paysages, l'entretien des chemins, des haies et des rivières. D'où l'importance de maintenir partout cette activité car, si la nature sauvage peut avoir ses charmes, elle se montre plus souvent agressive qu'accueillante.

Troisième attente : la protection de l'environnement.

Selon une idée très largement répandue et colportée complaisamment par certains, l'agriculture aujourd'hui serait polluante et dispendieuse de ressources, notamment d'eau, nécessaire à l'irrigation.

En quelques mots, je voudrais rétablir certaines vérités.

Tout d'abord, les plantes - nous l'avons tous appris en classe - captent le gaz carbonique de l'air et fixent le carbone dans le sol. Le stock de carbone fixé dans le sol agricole français est estimé à 3 milliards de tonnes et pourrait augmenter de 2 millions à 7 millions de tonnes par an grâce à l'application de pratiques culturales raisonnées.

Par ailleurs, sait-on qu'un hectare de maïs produit plus d'oxygène qu'un hectare de forêt ? Sait-on qu'un hectare de blé ou de betteraves destiné à la production d'éthanol permet d'économiser 3 tonnes de carbone fossile ?

L'utilisation d'engrais et d'herbicides, souvent mise en accusation, a constamment diminué depuis dix ou vingt ans. Ainsi, en dix ans, la quantité d'engrais globalement utilisée dans notre pays est passée de 6 millions à 4,8 millions de tonnes, soit une baisse de 20 %. Si l'on compare les quantités utilisées aux quantités produites, la baisse est encore beaucoup plus sensible. En azote - nous savons que les nitrates sont régulièrement pointés du doigt -, la diminution est de 2 % par an et par quintal de céréales produit et de 3 % par an et par tonne de sucre de betterave produite.

Dans ma région, des actions collectives de fumure raisonnée - je pense aux opérations « Fertimieux » - ont conduit à une diminution des fumures azotées de trente kilos par hectare de céréales, et de quarante à quarante-cinq kilos par hectare dans les systèmes de production animale.

En matière d'herbicides, la maîtrise est encore plus importante et les quantités ont été divisées par huit en vingt ans : elles sont passées de 2 500 grammes de matières actives par hectare dans les années quatre-vingt à 300 grammes de matière active par hectare aujourd'hui. Cela représente 30 milligrammes par mètre carré !

Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le voyez, aujourd'hui, loin d'être une activité ringarde, une activité du passé, comme pourraient le laisser croire des clichés trop faciles, l'agriculture est au contraire une activité performante, une activité d'avenir. Sa contribution à l'économie et à la protection de l'environnement mérite mieux qu'une réforme précipitée, qui ne ferait qu'accroître son désarroi.

Mais nous savons pouvoir compter sur votre détermination et votre ténacité, monsieur le ministre, pour lui ouvrir de vraies perspectives et amener les jeunes à s'y engager résolument. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Murat.

M. Bernard Murat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de sa création en 1961, la PAC s'appuyait sur des fondements solides : diminuer la dépendance par rapport à l'extérieur, encourager la production agricole par des prix garantis et des barrières à l'entrée, protéger le consommateur par des prix stables et assurer un niveau de vie équitable à la population agricole.

Les réformes successives, en particulier celles de 1992 et de 2000, nous ont progressivement éloignés de ces principes fondateurs : la préférence communautaire est régulièrement bafouée, entraînant les prix dans un mouvement de spirale à la baisse, compensée par des aides.

A l'intérieur de l'Union européenne apparaissent des divergences importantes sur le budget agricole. Chaque pays souhaite un retour financier équivalent à sa contribution et, afin de diminuer l'enveloppe consacrée à l'agriculture, une stagnation du budget agricole, certains pays allant même jusqu'à remettre en cause l'intérêt de la PAC.

C'est dans ce contexte que la Commission européenne a transmis les propositions réglementaires de ce qu'elle appelait la « revue à mi-parcours » et qu'elle appelle désormais à la réforme de la PAC.

Or elle va bien au-delà du mandat qui lui a été imparti en proposant une nouvelle réforme radicale de la politique agricole. Il faut le souligner, la seule réforme qui s'impose est celle qui a été décidée à Berlin, en 1999, dans le cadre de l'Agenda 2000, et qui doit s'appliquer jusqu'en 2006.

Comme Gérard César, notre excellent rapporteur de la mission d'information du Sénat sur la réforme de la politique agricole commune, nous ne pouvons aujourd'hui que contester l'urgence qu'il y aurait à procéder à une réforme d'envergure. L'adoption d'une nouvelle PAC trois ans seulement après l'entrée en vigueur de la précédente bouleverserait une fois de plus les repères des agriculteurs et risquerait de rendre ce secteur encore moins attractif auprès des jeunes, qui ont besoin d'un minimum de visibilité pour l'avenir.

Or, il ne faut pas s'y tromper, le projet de réforme de la PAC proposé par la Commission est réellement assimilable à une dérégulation et à un démantèlement des marchés tels qu'ils ont été mis en place depuis plus d'un demi-siècle par la France, puis par l'Europe.

En effet, le découpage total des aides par rapport à la production - proposition centrale de la réforme Fischler - pourrait engendrer des distorsions de concurrence, déstabiliser les marchés, accentuer la polarisation des productions sur le territoire, voire entraîner une réduction globale de l'activité agricole.

La mission d'information du Sénat estime que cette proposition est extrêmement risquée, monsieur le ministre. D'ailleurs, vous considérez vous-même que son instauration conduira à la privatisation de tout instrument de régulation des marchés, entraînant la dévitalisation de régions entières, notamment les plus fragiles, et à l'affaiblissement de la légitimité des aides.

Le monde agricole s'oppose fermement à sa mise en place, considérant que cette notion d'aide découplée mettrait en péril les politiques d'installation, le soutien étant octroyé non plus en fonction du travail mais en fonction de la propriété du foncier. De fait, la recherche de surfaces serait encore accrue et concurrencerait l'installation.

Le point le plus novateur de ce projet de réforme, à savoir le découplage total des aides, est unanimement contesté, et je ne dérogerai pas à cette unanimité.

Premièrement, le découplage risque de bouleverser les décisions de gestion des exploitants agricoles. Les productions les plus immédiatement rentables ou celles qui exigent le moins de travail pourraient être privilégiées. Il en découlerait une forte variabilité des prix et une déstabilisation des marchés. L'attribution d'une aide non conditionnée à l'obtention d'un volume minimal de production pourrait se traduire par une baisse des quantités produites chaque fois que le prix de vente ne couvre pas les charges directes, et donc par une diminution du nombre des exploitants.

Lorsqu'on connaît le phénomène, qui ne cesse de s'accentuer, de la diminution du nombre de producteurs et d'exploitations d'élevage, on ne peut que frémir. Le cas de la Corrèze est emblématique et, à terme, alors que ce mouvement se double désormais d'un accroissement de l'âge moyen des chefs d'exploitation, c'est le maintien d'une densité minimale de population qui est en cause dans certaines zones où l'activité agricole constitue le moteur de l'économie locale, ainsi que vous avez pu vous-même le constater, monsieur le ministre.

Deuxièmement, le dispositif peut parallèlement perturber les mécanismes profonds de la propriété foncière de transmission et d'installation en agriculture.

Enfin, il risque de toucher à l'image même du métier d'agriculteur et d'éleveur, tant dans le regard de la société que pour les exploitants eux-mêmes.

Concrètement, sur le terrain corrézien, l'idée du découplage total ou partiel fait bondir les éleveurs, eux dont les exploitations évoluent depuis 1992 au rythme de la PAC : ils estiment cette nouvelle mesure de la Commission dangereuse. Permettez-moi de les citer : « Le découplage est choquant. Pour les jeunes, il dévalorise le métier. Pour les futurs cédants, leur exploitation n'est pas mise en valeur. Pour tous, c'est la pérennité de l'agriculture qui est remise en cause. »

Face au rejet de ce nouveau dispositif, depuis quelques mois ont été émises des propositions relatives à la mise en place d'un découplage partiel. Comme vous le savez, aucune étude d'impact sur le découplage total - ni d'ailleurs sur le découplage partiel - des aides n'a été à ce jour fournie. Notre inquiétude est donc légitime.

Si l'on prend l'exemple de la filière bovine, qui se caractérise par une multiplicité d'aides, celle-ci gagnerait sûrement à être rationalisée ou simplifiée sans pour autant que l'on parle de découplage, terme issu - et là je vous cite, monsieur le ministre - du « jargon bureaucratique ». Tout comme vous, je déplore qu'un public d'initiés utilise ce concept sans considération pour le travail des femmes et des hommes concernés. Ah ! une agriculture sans agriculteur ! Voilà le rêve de bien des technocrates à Bruxelles !

Si la politique agricole commune n'a pas besoin d'être réformée dans l'immédiat, rien n'empêche en revanche d'apporter les améliorations nécessaires à son bon fonctionnement et de poursuivre le débat sur son avenir à plus long terme.

L'avenir de notre agriculture, c'est avant tout celui de nos agriculteurs, acteurs incontournables de l'aménagement durable de notre territoire. C'est d'abord pour eux que l'on doit réussir cette réforme !

Comme je le disais, une simplification dans le secteur de la viande bovine serait souhaitable. Compte tenu de la complexité du système des primes à l'animal, il paraît pertinent de remplacer les différentes aides bovines par une seule aide directe basée sur la surface, mais dont le calcul tiendrait aussi compte de l'emploi et du taux de chargement de ladite surface.

Par ailleurs, il conviendrait de renforcer et, surtout, de simplifier le volet « développement rural » de la PAC. Les projets d'audit des exploitations, les mesures proposées pour améliorer la qualité et l'adaptation aux normes méritent notamment d'être examinés. Mais leur mise en oeuvre ne doit pas conduire à des mécanismes bureaucratiques qui en annuleraient les effets bénéfiques.

La même remarque vaut pour l'application de la conditionnalité des aides qui, telle qu'elle est proposée, me semble d'une grande complexité, à rebours de l'effort de simplification qui s'impose à l'échelon national comme à l'échelon communautaire.

Nos agriculteurs veulent vivre de leurs productions, participer au développement économique de nos territoires et non pas être transformés en technocrates chasseurs de primes.

L'Union européenne a implicitement décidé d'atteindre un très haut niveau de normes, tant pour ce qui concerne la protection de l'environnement que le bien-être animal ou la sécurité sanitaire et alimentaire. Ce choix - juste - a cependant un coût élevé et l'on constate que les agriculteurs sont peu aidés pour mettre aux normes leurs installations. Parallèlement, il est demandé à ces derniers d'ouvrir leurs marchés, ce qui conduit à accueillir des produits dont on ne connaît pas la qualité exacte.

Des contrôles aux frontières existent déjà, ainsi que des programmes de coopération bilatéraux en matière de traçabilité et de sécurité sanitaire. Encore faut-il les renforcer : l'Union européenne doit aujourd'hui financer les conséquences de ses décisions en matière de réglementation et de mise aux normes.

Une chance, une « réelle opportunité », comme le dit si justement notre rapporteur M. César, s'offre donc à la Commission, dans le cadre de cette révision à mi-parcours, de développer le deuxième pilier de la PAC, en particulier s'agissant des mesures de soutien aux agriculteurs souhaitant s'engager dans des démarches de qualité et d'identification des produits.

Il en faut pas oublier que les filières de qualité constituent des créneaux pouvant offrir des prix plus élevés aux producteurs.

Pour vivre au coeur d'une région dans laquelle la production de viande bovine joue un rôle essentiel pour l'économie et la vitalité de notre territoire, je peux affirmer par expérience qu'aujourd'hui rien n'est plus important pour l'avenir de cette filière que la qualité. De grandes races, des conditions spécifiques de production, des éleveurs passionnés, voilà tous les ingrédients pour assurer aux consommateurs une viande haut de gamme et, de fait, assurer la vitalité et la pérennité de la production bovine française.

Si les crises de confiance répétées des consommateurs ont profondément marqué le marché européen, les perspectives paraissent plus équilibrées aujourd'hui. L'image du produit « viande bovine française » auprès des consommateurs est synonyme de qualité et de sécurité alimentaire, grâce à la mise en place d'une politique d'identification des races à viande fondée sur la traçabilité.

Mais tout cela a un coût. C'est pourquoi il serait judicieux d'augmenter les crédits consacrés aujourd'hui au deuxième pilier de la PAC.

En conclusion, alors que les négociations de l'OMC vont entrer dans une phase décisive, je crois nécessaire de poursuivre l'application de la PAC telle qu'elle a été définie pour la période prévue par les chefs d'Etat et de gouvernement.

Les réformes trop fréquentes fragilisent les exploitations : les agriculteurs ont en effet besoin de temps pour faire correctement leur métier, pour mieux comprendre leur production, pour mieux analyser les problèmes qu'ils peuvent rencontrer, pour faire en sorte que leur profession évolue dans un cadre réglementaire stable et pérenne.

L'actuelle PAC - pourquoi pas quelque peu améliorée ? - peut régir correctement l'Europe agricole jusqu'en 2006.

Monsieur le ministre, nous le savons tous, votre tâche n'est pas et ne sera pas facile. Mais vous avez su gagner la confiance du monde agricole français et nous n'ignorons pas que votre détermination est totale. C'est la raison pour laquelle vous pouvez compter sur l'entier soutien des sénateurs de l'UMP. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le président de la mission d'information, monsieur le rapporteur de la mission d'information, je voudrais tout d'abord vous remercier d'avoir pris ce matin l'initiative de cette question orale avec débat devant la Haute Assemblée. C'est une procédure qui, effectivement, nous permet de faire le point sur des sujets importants, comme celui-ci, qui mettent en jeu l'avenir de notre agriculture, de pays et, bien évidemment, celui de l'Union européenne.

Beaucoup de sujets ont été abordés ce matin. Je répondrai à toutes et à tous avec la plus grande précision possible. Mais, avant d'entrer dans le détail, je ferai quelques remarques d'ordre général.

Il est une question qu'il faut d'abord se poser : pourquoi des politiques agricoles ? Plus je me déplace en Europe et à travers le monde, plus je réalise que cette question, dont la réponse, pour nous, va de soi, est loin d'être évidente pour tous !

Nous pensons qu'il faut conduire des politiques agricoles actives, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, la terre n'est pas un facteur de production comme un autre. Ensuite, c'est un secteur qui est soumis à des aléas climatiques ou économiques différents de ceux des autres secteurs. Enfin, l'agriculture, ce n'est pas seulement la production de produits alimentaires, c'est aussi l'entretien des terroirs, l'emploi, la diversité de nos paysages et une part importante de notre identité.

Pour autant, serions-nous les seuls, nous les Européens, à mener des politiques agricoles ? En réalité, si nous nous tournons vers l'histoire du siècle passé, il est intéressant de constater que ce sont les Etats-Unis qui ont, sous le président Roosevelt, inventé les politiques agricoles contemporaines avec le New Deal. Quelque trente ans après, pour mettre en place la politique agricole commune, les différents ministres de l'agriculture des Etats membres et les commissaires européens chargés de l'agriculture ont examiné avec beaucoup d'attention ce qui s'était fait outre-Atlantique après la grande dépression et ils se sont inspirés de nombreuses caractéristiques du New Deal.

Nous ne devons donc éprouver aucune honte à conduire une politique agricole commune. Nous n'avons aucune raison de raser les murs et nous devons assumer nos choix politiques en la matière.

S'agissant de la PAC, le débat est idéologiquement très lourd, parce que se posent notamment deux questions fondamentales, celle du libre-échange et celle du prix mondial, M. Hilaire Flandre vient d'y faire allusion.

Pour ce qui concerne le libre-échange, les libéraux que nous sommes considèrent que l'accroissement des échanges commerciaux dans le monde va dans le bon sens et suit l'évolution générale de notre société contemporaine. Il suffit pour s'en rendre compte d'examiner la situation du monde au cours des périodes autarciques que nous avons connues dans l'entre-deux-guerres, ou encore la situation de notre pays lorsqu'un de mes lointains prédécesseurs, Jules Méline, menait une politique protectionniste.

Mais, immédiatement, un bémol s'impose : cet accroissement ne doit pas être réalisé à n'importe quel prix. Nous pensons que ce que le jargon des économistes désigne comme la « clause de la nation la plus favorisée » avantage toujours les plus favorisés. Le libre-échange est donc un outil, un moyen, mais en aucun cas une fin en soi. Il ne procède d'aucune vérité immanente ou révélée qui justifierait qu'on l'applique de manière aveugle.

Un raisonnement similaire peut être suivi à propos du prix mondial. Comme vous le savez, 5 % à 8 % à peine des produits agricoles font l'objet d'échanges sur le marché mondial. Dès lors, au nom de quoi ferions-nous dépendre les revenus de 92 % ou 95 % des producteurs de la planète d'un prix mondial lui-même illusoire, théorique et tout à fait meurtrier ?

Si je n'hésite pas à prononcer le mot « meurtrier », c'est pour deux raisons. D'abord, s'agissant des productions tropicales, le prix mondial résulte le plus souvent d'achats et de ventes sur des marchés à terme, c'est-à-dire de spéculations. Quant au prix des autres productions, chacun sait bien qu'il est déterminé par des exploitations hyperintensives s'intégrant dans un système latifundiaire qui ne correspond pas à notre vision du monde.

Le prix mondial ne correspond donc ni à un équilibre économique, ni à un équilibre social, ni à un équilibre environnemental.

Disant cela, je le sais, je romps le concert de la pensée unique. Certes on peut lire exactement l'inverse dans moult rapports de l'OCDE, ou de la Banque mondiale ou dans la presse financière, notamment anglo-saxonne ; mais ce n'est pas parce qu'un mensonge est répété qu'il devient une vérité !

Nous devons tous fournir un énorme travail que je n'hésiterai pas à qualifier d'« idéologique », même si le mot peut paraître quelque peu décalé dans un débat sur les questions agricoles ; car c'est bien d'idéologie qu'il s'agit !

Au début des années soixante, l'Europe a fait le choix - non sans mal, d'ailleurs - d'une politique agricole commune ambitieuse. M. Gérard César a rappelé les heurs et malheurs de cette étape de la construction agricole européenne, et certains membres de la Haute Assemblée - M. Marcel Deneux, notamment -, qui y ont participé, savent de quoi je veux parler. Il faut, je crois, l'aborder avec une grande précision.

La politique agricole commune a eu sur l'agriculture européenne, et plus particulièrement sur l'agriculture française, de nombreux effets positifs, et M. Yves Détraigne a rappelé tout ce que nous lui devons. M. Gérard Le Cam, pour sa part, a davantage insisté sur certains aspects négatifs. Quant à moi, je crois sincèrement qu'il ne faut pas refuser ce choix de l'Europe agricole, car c'est lui qui a permis à notre continent et à notre pays d'accéder à l'autosuffisance alimentaire, et c'est encore lui qui a permis à la France de mener une politique agricole ambitieuse.

Tout ministre de l'agriculture français, qu'il soit passé, présent ou à venir, tient de Bruxelles environ les deux tiers de son budget, ce qui n'est pas négligeable. Cela étant, j'en ai un peu assez que notre pays soit systématiquement décrié et attaqué sur ce point. Oui, nous sommes un grand pays agricole ; nous sommes même le premier pays agricole européen, et nous n'avons pas à en rougir. Oui, nous obtenons des subventions importantes de Bruxelles. Mais il faut faire attention de ne pas se laisser intoxiquer, car ce qui compte, en réalité, c'est la globalité des relations budgétaires entre la France et l'Union européenne. Or voilà désormais bien des années que nous payons plus à l'Europe que nous n'en recevons ! Nos adversaires continuent de se plaire à stigmatiser les retours abusifs dont nous bénéficierions dans le domaine agricole. Pour notre part, nous ne critiquons jamais aucun pays nommément pour avoir abusivement reçu je ne sais quel chèque ou quelle ristourne au titre de tel aspect de la politique régionale européenne !

Nous sommes profondément européens. Pour autant, j'en conviens volontiers, la politique agricole commune n'est pas un monument indéboulonnable et, assurément, certaines réformes doivent être entreprises. Mais nous devons assumer avec beaucoup de sérénité et de conviction le choix d'une politique agricole commune ambitieuse, ce qui implique de répondre systématiquement aux critiques injustes dont la PAC fait l'objet.

M. Alain Vasselle. Très bien !

M. Hervé Gaymard, ministre. Les trois critiques principales qui lui sont adressées sont le fruit d'une mauvaise foi consommée.

Première critique : la politique agricole commune coûterait trop cher. Peut-être cela a-t-il été le cas au cours des décennies précédentes, qui ont été marquées par une progression du budget de la PAC s'apparentant à une explosion continue. Mais, aujourd'hui, les enveloppes budgétaires telles qu'elles ont été définies lors des dernières rencontres, notamment à Berlin en 1999, sont respectées. J'observe par ailleurs que, avant même l'augmentation des subventions américaines liée au récent farm bill, le montant de l'aide par exploitation agricole était d'un tiers inférieur en Europe à ce qu'il est aux Etats-Unis. Il faut donc définitivement tordre le cou à cette idée que la PAC serait trop coûteuse.

M. Alain Vasselle. Très bien !

M. Hervé Gaymard, ministre. Dans le même registre, on trouve scandaleux que les dépenses en faveur de la PAC représentent 45 % du budget de l'Union européenne. Il faut tout de même rappeler qu'elles en représentaient 80 % il y a vingt ans, et que tout cela s'explique par le fait qu'il n'existe pas aujourd'hui de politique commune plus intégrée ! Si tous les secteurs faisaient l'objet de politiques communes intégrées, la PAC ne représenterait que 1 % ou 2 % du budget de l'Union européenne, puisque tel est son poids réel si l'on tient compte à la fois du budget de l'Union européenne et de ceux des quinze Etats membres. Il faut le dire et le répéter : la PAC absorbe non pas 45 % des dépenses budgétaires européennes, mais de 1 % à 2 %.

Deuxième critique : la PAC serait par nature polluante. Sur ce point, pour reprendre une remarque de Mme Boyer, l'exemple de la Bretagne est assez éclairant.

La PAC serait à l'origine des problèmes de pollution que connaît la Bretagne, problèmes qui sont incontestables. Or, la carte représentant le niveau des aides reçues, par exploitation et par région, au titre de la PAC montre que la Bretagne - soit dit au passage, avec ma Savoie natale - est la région de France la moins aidée par Bruxelles, et ce pour une raison fort simple : deux de ses principales productions, le porc et la volaille, ne font pas l'objet d'aides communautaires.

M. Alain Vasselle. Très juste !

M. Hervé Gaymard, ministre. En réalité, les pratiques qui provoquent la pollution ne résultent pas des mécanismes de la PAC ; c'est au contraire l'absence d'organisation forte du marché qui conduit des zones entières à se placer dans une logique de production libérale obéissant aux seules lois du marché mondial. Sur ce sujet encore, il faut argumenter et argumenter sans cesse.

Il est une troisième critique dont la PAC fait l'objet : elle provoquerait la faim dans le monde. Ce n'est là, comme aurait dit Raymond Barre, que « billevesée », ce n'est que le fruit d'attaques concertées contre la politique agricole commune. Là non plus, il ne faut pas se laisser impressionner par cette désinformation. J'y reviendrai longuement lorsque j'évoquerai l'OMC, car ce sujet me paraît extrêmement important.

Quand nous sommes arrivés aux responsabilités, voilà maintenant un an, nous nous sommes trouvés confrontés, en matière agricole, à trois tâches majeures.

Il nous a d'abord fallu régler nombre de problèmes internes au sujet desquels m'ont été posées plusieurs questions que je ne voudrais pas laisser sans réponse. Nous avons également dû gérer un agenda européen et international très chargé qui incluait notamment la conférence de Johannesburg. Celle-ci, qui s'est tenue au mois d'août 2002, a vu s'illustrer la « diplomatie déclamatoire » en matière de développement durable, qui est née à Rio de Janeiro dix ans auparavant et que nous devrons suivre avec une grande attention.

Restent encore à assumer la revue à mi-parcours de la PAC, à l'échelon de l'Union européenne, et la négociation du volet agricole devant l'Organisation mondiale du commerce.

Le développement durable est un sujet sur lequel nous devons être extrêmement présents et offensifs. En particulier, il est exclu que nous soyons absents du débat. C'est la raison pour laquelle le Président de la République a participé au sommet de Johannesburg - auquel assistaient bien trop peu de chefs d'Etat et de gouvernement - et a prononcé un discours qui, tout le monde s'accorde à le reconnaître, a marqué les esprits.

L'Europe doit également participer à ce débat, car sa conception du développement agricole est tout à fait compatible avec la notion de développement durable. En réalité, alors que c'est le libéralisme échevelé qui va à l'encontre de la logique profonde du développement durable, les libéraux anglo-saxons utilisent aujourd'hui ce thème pour attaquer la politique agricole commune. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement mène une politique ambitieuse dans ce domaine.

Le développement durable, c'est bien évidemment, et on en parle à satiété, la promotion de pratiques agricoles respectueuses de l'environnement, donc des générations futures ; mais c'est aussi la pérennisation de la vie et de l'activité des hommes. Or, la meilleure façon de garantir cette « durabilité », c'est de maintenir la présence de paysans partout dans le monde, dans les pays en voie de développement comme dans les pays développés.

La deuxième échéance, c'est le cycle agricole de Doha. Comme vous le savez, pendant de longues décennies, les questions agricoles ne firent l'objet d'aucune négociation commerciale multilatérale. Elles commencèrent à poindre au sommet de Punta del Este de 1986, dans le cycle de l'Uruguay, pour trouver une conclusion avec les accords de Blair House en 1992, puis de Marrakech, qui, en 1994, aboutirent à la création de l'Organisation mondiale du commerce. Chacun se souvient des traumatismes que cette négociation, mal conduite par le gouvernement de l'époque, a laissés dans nos campagnes !

M. Alain Vasselle. Eh oui !

M. Hervé Gaymard, ministre. Le cycle actuel de négociations, dont l'un des temps forts sera la conférence ministérielle qui se tiendra à Cancún au mois de septembre prochain, s'appelle « cycle du développement ». Ce n'est pas un hasard ! Nous devrons donc remettre des propositions concrètes visant à améliorer la situation des pays en voie de développement.

Pour résumer, l'incantation au développement est-elle une hypocrisie de la part de pays riches qui veulent en réalité développer leurs exportations, ou bien le développement agricole des pays du Sud est-il une véritable préoccupation ? Nous, nous avons répondu. Nous disons : « chiche ! » Les pays en voie de développement ont des problèmes de développement agricole ? Eh bien, apportons-leur des réponses concrètes !

Telle est la raison pour laquelle les propositions formulées par M. le Président de la République lors du discours prononcé au mois de février dernier devant quarante chefs d'Etat et de gouvernement africains réunis à Paris ont été reprises à l'unanimité par l'Union européenne et sont depuis lors défendues dans les enceintes internationales. Je vous les rappelle.

La première concerne bien sûr le soutien aux exportations. Là aussi, nous disons : « chiche ! » Mettons en place un moratoire pour les pays pauvres et pour l'Afrique, à la condition cependant que tout le monde soit logé à la même enseigne et que les Etats-Unis démantèlent leurs marketing loans et leurs fausses aides alimentaires, puisque sur cette question des subventions à l'exportation aussi règne une grande hypocrisie.

Le deuxième proposition concerne l'accès aux marchés. Partant du principe, comme je l'indiquais tout à l'heure, que la clause de la nation la plus favorisée avantage les plus favorisés, il convient de prévoir un traitement spécifique et différencié pour les pays en voie de développement ; nous avons déjà formulé des propositions extrêmement précises.

Je soulignerai d'ailleurs que l'Europe s'est toujours montrée très novatrice en la matière et que nous fûmes les premiers à tracer la voie, en 1975, avec la convention de Lomé. Aujourd'hui, l'Europe importe quatre fois plus de produits alimentaires en provenance des pays du tiers monde que l'ensemble des pays du groupe de Cairns.

Alors, cessons de nous laisser diaboliser ! Ne rasons pas les murs ! Soyons fiers de ce que nous avons déjà accompli pour les pays en voie de développement et allons plus loin dans l'aide que nous leur apportons.

La troisième proposition concerne le prix des produits de base - café, coton, cacao -, dont la situation, chacun en conviendra, n'a rien à voir avec la politique agricole commune puisqu'elle résulte bien plutôt, pour le coton, de distorsions de marché liées à la politique américaine et, pour le café et le cacao, du caractère spéculatif de la fixation des cours. Sur cette question aussi nous avons avancé des propositions concrètes.

Dans le cadre de l'OMC, nous sommes fort normalement soumis, comme vous le savez, à une procédure très codifiée en vertu de laquelle l'Union européenne a fait parvenir au mois de mars à M. Stuart Harbinson, président du comité de négociations sur l'agriculture de l'OMC, un document élaboré sur la base du mandat que, à l'unanimité, elle avait donné en novembre 2000 au commissaire européen.

A la différence d'autres ensembles géopolitiques, l'Europe, a déjà réformé sa politique agricole voilà trois ans. Le document qu'elle a envoyé à M. Harbinson prend donc ce fait en compte, ce qui ne manque pas de sel au moment où les Américains ont adopté un farm bill prévoyant l'augmentation - excusez du peu ! - de 75 milliards de dollars du soutien aux fermiers américains. (M. Gérard César acquiesce.)

Le secrétariat de l'OMC a déjà publié deux documents que la Commission européenne et les Etats membres ont rejetés, estimant que la position du secrétariat était trop manifestement déséquilibrée en faveur des Etats-Unis. La prochaine étape, ce sera la négociation de Cancún. Comme l'a dit M. Louis Le Pensec, elle sera difficile. Ces négociations sont toujours complexes, ne serait-ce qu'en raison de la procédure ou de l'ambiance qui y règne. En tout cas, sachez-le, l'Europe est bien décidée à faire valoir la position qui est la sienne. Nous ne supporterons pas que l'agriculture européenne durable constitue la variable d'ajustement des intérêts des grandes puissances commerciales exportatrices.

Le troisième sujet concerne, bien évidemment, les évolutions de la politique agricole commune. Je tiens à remercier le président de la mission, M. Marcel Deneux, le rapporteur, M. Gérard César, et l'ensemble des sénatrices et des sénateurs qui ont participé à ce travail sur la réforme de la PAC d'avoir apporté cette très intéressante contribution.

Comme le rappelait à l'instant M. Louis Le Pensec, il s'agit effectivement de sujets très complexes, qui mêlent des notions ou des conceptions parfois obscures, avec des calendriers que nous ne maîtrisons pas nécessairement. C'est la raison pour laquelle ces négociations créent toujours de l'incertitude, donc de l'anxiété.

Pour tenter de répondre le plus méthodiquement possible aux questions que vous m'avez posées, je distinguerai trois points : la procédure, le calendrier et, enfin, ce qui est sûrement le plus important, le fond des choses.

Pour ce qui est de la procédure, plusieurs d'entre vous ont rappelé que les décisions de Berlin, en 1999, avaient prévu que, à partir de 2002, se déroulerait une revue à mi-parcours de la politique agricole commune, avec un ordre du jour précis M. Bernard Murat l'a mentionné tout à l'heure.

Voilà bientôt un an - le 10 juillet dernier -, la Commission européenne formulait, à l'issue de cette revue à mi-parcours, des propositions dans un document intéressant, certes, mais insolite : certains des points de l'ordre du jour de la revue à mi-parcours étaient abordés, mais des propositions, telles que le découplage total des aides, n'étaient pas du tout prévues. Quelques mois plus tard, en janvier dernier, lorsque la Commission a formulé ses propositions législatives, certaines mesures sur le lait - j'y reviendrai, puisque MM. Gérard Bailly et Louis Le Pensec m'ont interpellé sur ce sujet - n'étaient pas prévues sous cette forme-là dans la revue à mi-parcours.

Depuis le mois de juillet, nous avons travaillé. De nombreux conseils des ministres informels réunissant les ministres de l'agriculture ont eu lieu à Bruxelles, au Luxembourg, au Danemark - au mois de septembre dernier - et récemment en Grèce. Les deux tiers des Etats se sont prononcés contre la plupart des aspects de cette réforme ; j'y reviendrai en détail tout à l'heure. Aujourd'hui, la situation est toujours bloquée, et ce pour deux raisons.

Tout d'abord, l'année dernière - nous l'avons déjà oublié ! -, nous avions à faire face à une échéance très importante : l'élargissement de l'Europe et le volet agricole de ce dernier. Lorsque j'ai assisté à mes premiers conseils des ministres à Bruxelles ou à Luxembourg, il se disait dans les couloirs, que, de toute manière, il faudrait remettre en cause la politique agricole commune, car on ne pouvait pas à la fois la maintenir et élargir l'Europe. Et puisque la décision politique avait été prise d'élargir l'Europe à dix nouveaux Etats membres, il ne serait pas possible de conserver en l'état la politique agricole commune.

Eh bien ! je crois que nous sommes parvenus à donner tort à ces prophètes de malheur. En effet, grâce notamment à l'accord entre le Chancelier Gerhard Schröder et le Président de la République Jacques Chirac, le 15 octobre dernier, le Conseil européen a entériné des perspectives budgétaires à dix ans pour la politique agricole commune.

Je rappelle l'économie de cet accord. Il prévoit trois enveloppes : une enveloppe pour les Quinze, une enveloppe pour les dix nouveaux Etats membres et, le cas échéant, une enveloppe pour la Roumanie et pour la Bulgarie, si ces Etats rejoignent l'Union européenne dans les années à venir. Ces enveloppes seront chaque année augmentées de 1 % en euros constants. Je rappelle, par ailleurs, qu'elles sont fondées sur les plafonds de dépenses tels qu'ils avaient été déterminés à Berlin, et non pas sur les dépenses effectives. Comme ces dernières sont inférieures aux plafonds, nous avons de la marge et des perspectives budgétaires durables en matière de politique agricole commune pour les dix prochaines années. Il y a longtemps que nous n'avions pas eu une telle visibilité budgétaire dans le domaine agricole.

Pour résumer, le second semestre de l'année 2002 a été consacré plus à la négociation de l'élargissement qu'à la revue à mi-parcours. Mais nous avons quand même parlé de celle-ci, et c'est là le second facteur de blocage.

En effet, malgré ce qu'ont dit les différents Etats membres dans moult tours de table, la position de la Commission n'a pas varié d'un pouce : lorsqu'elle a formulé ses propositions législatives, notamment à la fin du mois de janvier, elle n'a tenu aucun compte des conclusions orales ou écrites que nous avions remises au conseil des ministres de l'agriculture. C'est pourquoi nous sommes toujours dans une situation de blocage.

Je voudrais dire quelques mots de la position française. Contrairement à ce que j'entends parfois, la France n'est pas seule, et cela s'entend de deux façons différentes.

La première signification, c'est que la France n'est pas isolée. J'ai pris l'initiative, avec sept autres de mes collègues, de publier un article - c'est une première ! - dans vingt quotidiens européens, le même jour, au mois de septembre, pour défendre le modèle agricole européen qui est le nôtre. Aujourd'hui, dix pays plus un, à savoir l'Allemagne, s'opposent, par exemple, au découplage total des aides ; nous aurons l'occasion d'en reparler. La France n'est donc pas isolée.

Mais quand je dis que la France n'est pas seule, c'est aussi - chacun le sait bien ici - parce qu'elle n'est pas seule à décider. Au conseil des ministres de l'agriculture, nous sommes quinze à voter ; l'année prochaine, nous serons vingt-cinq. Il y a un système de minorité de blocage et un système de majorité qualifiée. Toutefois, comme je l'ai dit au congrès de la FNSEA, voilà quelques semaines, à Rodez, avoir raison tout seul, revient, finalement, à avoir tort, puisque ce sont les autres qui décident sans vous. C'est la raison pour laquelle, depuis ma prise de fonction, j'ai toujours dit que, dans cette négociation, je serai ferme, mais pas fermé. Et ce n'est pas seulement une question de rhétorique : cette position est fidèle à notre ligne politique en la matière.

Avant d'en venir au fond des choses, je souhaite dire quelques mots du calendrier. Ces dernières semaines, j'ai lu des articles dans la presse...

M. Gérard César. Nous aussi !

M. Hervé Gaymard, ministre. ... selon lesquels il faudrait absolument négocier avant le 30 juin. Personnellement, je ne sais pas ce qu'il y a le 30 juin, si ce n'est que l'Union européenne aura un nouveau président et que l'on changera de semestre.

Ce dont il faut être bien conscient, c'est que, depuis le 15 octobre dernier, c'est-à-dire depuis l'accord budgétaire 2003-2013, aucune date contraignante ne s'impose à nous s'agissant de la réforme de la PAC : même pas 2006 ! Nous nous trouvons donc dans une configuration complètement différente de celle dans laquelle nous étions, par exemple, lors de la négociation sur la pêche l'année dernière : une date butoir était prévue, le 31 décembre. Autrement dit, si nous n'avions pas conclu d'accord le 31 décembre, il n'y avait plus de politique commune de la pêche.

Cette fois-ci, nous sommes dans une tout autre situation. En effet, un seul butoir était prévu en 2006 : le butoir budgétaire. Celui-ci a disparu puisqu'il a été reporté en 2013. Nous n'avons donc pas de date limite, et je suis très à l'aise en ce qui concerne le calendrier : pour moi, la bonne date sera tout simplement celle qui sera bonne pour les paysans français. Je n'ai pas le fétichisme du calendrier.

Par ailleurs, j'observe que l'Europe a déjà élaboré un papier ambitieux pour les négociations avec l'OMC et que le lien PAC-OMC n'est pas aussi étroit que certains veulent bien le dire. Je rappellerai du reste, pour tordre le cou à une rumeur, que le découplage total n'est aucunement exigé dans le cadre des négociations avec l'OMC, puisque, dans les deux papiers de M. Harbinson, à aucun moment le découplage total ne figure comme l'un des éléments clés pour le succès de l'OMC. Et l'on comprend bien pourquoi : les Américains ont mis en place, en 1995, un découplage total des aides et, maintenant, ils y renoncent. Donc, pas de tyrannie du calendrier !

J'en arrive au fond des choses.

J'ai toujours dit que le papier de la Commission comportait des points inacceptables, d'autres qui allaient dans le bon sens et, surtout, qu'il faisait l'impasse sur un certain nombre de choses très importantes pour l'avenir de l'agriculture française et européenne.

Parmi les points inacceptables figure, bien évidemment, le découplage total des aides. Je me suis d'ailleurs exprimé à de très nombreuses reprises sur ce sujet.

Le découplage total est une mauvaise idée née à l'OCDE et s'inspirant de ce qu'ont fait les Etats-Unis en 1995. Il ne figurait pas dans les premiers papiers de la Commission européenne et a été ajouté au dernier moment. C'est une mauvaise idée pour plusieurs raisons.

Premièrement, le découplage total romprait tout lien avec la production. Par conséquent, cela poserait un véritable problème, sur le plan éthique, par rapport au rôle de l'agriculteur dans la société.

Deuxièmement, nous nous priverions des moyens de régler les crises de marché.

Troisièmement, cela créerait des distorsions de concurrence entre diverses productions végétales ; chacun voit à quoi je fais allusion.

Quatrièmement, cela engendrerait une pression sur le foncier s'agissant de l'évaluation des exploitations agricoles pour les successions.

Enfin, cinquièmement, on entrerait dans un système d'échange de ces droits découplés qui, à bien des égards, pourrait ressembler à celui des assignats sous la Révolution française.

Je pense donc vraiment que le découplage total n'est pas une bonne idée. Une fois que l'on a dit cela - je rappelle que dix pays plus un l'affirment aujourd'hui officiellement à l'occasion des tours de table au conseil des ministres de l'agriculture -, va-t-on s'orienter vers des formules de découplage partiel ?

Comme l'ont dit MM. César, Soulage, Bailly et Demilly, ainsi que Mme Boyer, cette question du découplage partiel laisse substituer bien des ambiguïtés.

Aujourd'hui, on compte plusieurs propositions : une proposition espagnole, une proposition du Parlement européen, une proposition allemande, qui prend essentiellement comme référence des critères superficiels, et bien d'autres propositions. A l'évidence, il est légitime que de nombreuses idées différentes soient exprimées.

Du reste, j'observe qu'il existe, notamment dans le secteur céréalier, des formules de découplage partiel. Ce n'est donc pas complètement nouveau.

Par ailleurs, comme l'ont dit MM. Gérard Bailly et Bernard Murat, on constate une aspiration à une simplification des aides en matière animale. Chacun en convient, me semble-t-il.

Par conséquent, sur cette question du découplage partiel, les idées foisonnent.

Dès le mois de novembre dernier, j'ai demandé à la Commission européenne d'assortir toutes ces propositions de simulations et d'études d'impact. En effet, si je suis très prudent et très méticuleux dans cette négociation, c'est parce que - et c'est là l'un des défauts du processus de décision communautaire, comme M. Louis Le Pensec, pour l'avoir vécu lui-même, le sait bien - l'on a des positions extrêmement polarisées compte tenu du mécanisme de négociation et, par conséquent, la tentation d'en finir en signant, parfois à la sauvette, des compromis. Mais n'oublions pas que ces décisions concernent des hommes et des femmes. Il nous faut donc au minimum avoir une claire conscience des incidences des décisions que nous prenons parfois entre deux et trois heures du matin, dans un couloir mal éclairé du bâtiment de la Commission de Bruxelles.

C'est la raison pour laquelle j'attends toujours ces études alternatives et complémentaires. Et, là, je rejoins les propos qui ont été tenus par Gérard César : dire aujourd'hui que l'on est pour ou contre le découplage partiel n'a guère de sens, car cette notion recouvre quantité de choses différentes.

Pour être extrêmement précis et concret, je ne sais pas, sur ce sujet comme sur les autres, ce qui va se passer dans les semaines et dans les mois à venir. Si la Commission nous propose un compromis sur ce sujet en particulier, relayée ou non par la présidence grecque actuelle, bien évidemment, le Gouvernement étudiera cette proposition en liaison avec la représentation nationale et avec les organisations professionnelles agricoles pour déterminer la position de la France.

Mais, comme vous le savez, le mécanisme de la négociation communautaire est tel que c'est la Commission qui a le monopole de la proposition et ce sont les Etats membres qui disposent. Pour l'instant, nous ne disposons pas, car nous sommes contre les propositions de la Commission et nous en attendons donc de nouvelles pour nous prononcer.

Par conséquent, aujourd'hui, nous refusons le découplage total des aides.

Nous refusons également la baisse du prix d'intervention du lait et des céréales, car nous estimons que rien ne la justifie aujourd'hui compte tenu de la situation du marché.

S'agissant du lait en particulier, je souhaite entrer dans le détail. A cet effet, je vous livre les propositions de la Commission du mois de janvier dernier : prolongation d'un régime de quotas laitiers réformé jusqu'en 2014 - cela, on le dit haut et fort - mais avec une baisse - là, c'est écrit en tout petit - de 10 % de plus du prix du lait, c'est-à-dire 25 % au lieu des 15 % qui avaient été décidés à Berlin, et avec une augmentation des références laitières.

En réalité, derrière ces propositions anodines, on retrouve tout le débat sur les quotas laitiers. Comme l'a rappelé M. Louis Le Pensec, le Club de Londres est contre les quotas laitiers. Il pourrait actuellement constituer une minorité de blocage pour empêcher leur prolongation au-delà de 2008. J'utilise, bien évidemment, une grande partie de mon énergie à convaincre mes collègues européens du bien-fondé de ces quotas laitiers.

En effet, il existe, en Europe, trois catégories de pays qui s'opposent sur ce sujet.

Il y a d'abord ceux qui sont contre les quotas laitiers et contre les outils de maîtrise de production pour des raisons idéologiques : le Danemark, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l'Italie. J'espère que, de ce point de vue, cela va commencer à changer.

Puis il y a la France, seule dans sa catégorie, qui a utilisé les quotas laitiers pour réguler sa production en amont.

Enfin, il y a tous ceux qui, sans être opposés à ce principe, se demandent, comme les quotas laitiers se situent dans le haut de bilan de leurs entreprises industrielles - c'est notamment le cas en Allemagne et même en Espagne -, si ce système est vraiment le plus pertinent pour maîtriser la production. J'insiste sur ce point parce que MM. Gérard Bailly et Louis Le Pensec m'ont interrogé sur la question centrale du lait pour l'équilibre de nos territoires. Nous avons un combat très dur à mener pour maintenir les quotas laitiers et empêcher la baisse des prix.

Par ailleurs, la dégressivité des aides, dont M. Dominique Mortemousque a parlé, est, à nos yeux, inacceptable. Le projet Fischler vise à mettre en place - et c'est très intéressant - une dégressivité des aides, non pas pour financer le développement rural, mais pour compenser la baisse des prix du lait et des céréales. Parce que nous sommes cohérents dans notre raisonnement, nous ne voulons pas une baisse du prix d'intervention ni, par conséquent, une augmentation des aides directes au lait et aux céréales. Nous refusons la dégressivité des aides pour financer ces baisses de prix.

J'en viens aux dispositions plutôt acceptables : les mesures de simplification relevant du deuxième pilier. Je rejoins les propos tenus par Yves Détraigne, qui est un peu maoïste puisqu'il dit qu'il faut « marcher sur les deux jambes », les premier et deuxième piliers. (Sourires.) Il me paraît en effet stupide de vouloir opposer ces deux piliers. Il faut de tout pour faire l'agriculture : un premier pilier fort, mais également un deuxième pilier renforcé. Cela signifie que le fonctionnement de ce dernier doit être simplifié, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, et qu'il faut réduire le taux de cofinancement national, point sur lequel de nombreux pays s'accordent. Comme je l'ai toujours dit, et à la condition que le niveau soit raisonnable pour que cette mesure puisse profiter à l'agriculture française, une modulation n'est pas non plus à exclure en la matière.

Telles sont, parmi les propositions Fischler, celles qui sont acceptables, même si, dans le détail, elles peuvent encore être améliorées.

Enfin, des éléments font défaut dans le projet Fischler. Initialement, l'exercice que nous conduisons devait correspondre à une revue technique à mi-parcours. Le commissaire Fischler l'a transformé en quasi-réforme de la PAC en inscrivant la question centrale du découplage total au coeur de ses propositions.

On est passé, imperceptiblement, d'une revue à mi-parcours à une réforme de la PAC qui n'en est pas vraiment une parce qu'elle fait complètement l'impasse sur des sujets qui nous paraissent très importants. J'en citerai au moins quatre.

Tout d'abord, le premier point concerne les oléoprotéagineux. Dans ce domaine, les propositions de la Commission sont en retrait par rapport à la situation passée, et nous devons être plus ambitieux.

Par ailleurs, il me semblerait normal qu'un dispositif européen pour favoriser l'installation des jeunes agriculteurs soit adopté.

Ensuite, il est extrêmement important que l'Europe prenne en charge le coût des mises aux normes imposées en matière d'environnement, de bien-être animal et de sécurité sanitaire et alimentaire.

Nous avons certes les standards les plus élevés au monde, mais que l'on aide nos paysans à supporter le coût de ces mises aux normes qui les désavantage en termes de compétitivité par rapport à d'autres pays, y compris les Etats-Unis et le Canada qui n'ont pas ces standards !

Enfin, je citerai la gestion des filières en cas de crise. Nous avons connu depuis dix ans un démantèlement des outils de marché non seulement pour les productions qui font l'objet d'une forte organisation commune de marché, comme le lait, la viande, les céréales, mais également pour les fruits et légumes, le porc et la volaille, qui n'ont pas ces organisations communes de marché efficaces pour la gestion des crises. Dans ce domaine aussi, il nous faut avancer.

Telles sont les quelques réflexions que je voulais faire sur ces sujets européens, qui sont au coeur de nos préoccupations.

Avant de conclure, je répondrai brièvement aux points plus strictement d'ordre national, même si, en matière d'agriculture, il n'y a rien de national puisque tout a une dimension communautaire.

Tout d'abord, je répondrai à la question de Mme Yolande Boyer relative à la filière avicole, qui nous pose beaucoup de problèmes.

Lorsque nous sommes arrivés au Gouvernement, nous avons constaté un détournement de procédure en matière de tarifications douanières. En conséquence, l'Europe était envahie de volailles saumurées à vil prix provenant, notamment, du Brésil. Il nous a fallu six mois pour résoudre ce problème, mais nous sommes finalement parvenus à faire respecter la préférence communautaire. Depuis le début de l'année 2003, nous avons enregistré une chute d'environ un tiers de ces importations, et il faut s'en féliciter.

Vous avez ensuite évoqué, madame la sénatrice, le sujet de l'étiquetage. En effet, nous travaillons avec la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, pour que figure sur l'étiquette l'ensemble du cycle de production, et non pas seulement la mention « produit préparé en France », qui ne permet pas de savoir d'où vient la volaille. Il faut un étiquetage plus précis, qui permette de retracer l'origine de la volaille et le lieu où elle a été tuée, préparée et conditionnée, ce qui est très important, notamment s'agissant de plats cuisinés.

J'en viens maintenant à la question de l'organisation de la filière en amont. J'ai annoncé au mois de novembre dernier qu'une somme de 6 millions d'euros serait consacrée à la mise en place d'un plan de restructuration, le versement de cette somme étant conditionné par l'élaboration d'un tableau « entrées-sorties ». En effet, il y a quelques années, un plan de restructuration avait déjà été engagé : des centaines de milliers de mètres carrés avaient certes été détruits, mais d'autres bâtiments ayant été reconstruits ailleurs, il n'y a pas eu, en réalité, de maîtrise de la production.

J'ai donc proposé aux professionnels ce plan de restructuration. Je dois dire, et c'est malheureusement le symptôme d'une crise profonde, que les réponses qu'ils m'ont adressées, via les directions départementales de l'agriculture, ont été plus nombreuses que je ne l'imaginais au mois de novembre de l'année dernière, lorsque j'ai fait ces propositions. Avec les professionnels, nous allons désormais nous attacher à mettre en oeuvre ce plan.

S'agissant de la question de la filière « aval », madame la sénatrice, je sais que votre département et votre ville sont particulièrement touchés, surtout en ce moment. J'ai annoncé le versement par l'Etat de 3 millions d'euros à cette filière. Les régions et départements concernés m'ont déjà fait part de leur intention d'apporter leur contribution à ce plan global.

Comme vous l'avez dit, madame, ce plan ne doit pas être uniquement destiné à gérer les conséquences sociales, qui sont très importantes. C'est la raison pour laquelle François Fillon et moi-même avons saisi sur ce point la mission interministérielle pour disposer d'un véritable plan de requalification économique.

Sur ce sujet-là, comme sur d'autres, il faut des interprofessions qui fonctionnent bien, face, notamment, à la grande distribution. Le Sénat a d'ailleurs adopté un amendement en ce sens, lors de la discussion du projet de loi pour l'initiative économique. A cet égard, le secteur de la volaille - « des volailles », devrais-je dire, tant les productions sont différentes - était assez peu organisé, et chacun a bien pris conscience désormais de la nécessité de renforcer les interprofessions.

S'agissant ensuite des contrats territoriaux d'exploitation, ou CTE, et de la modulation des aides, je voudrais faire un bref rappel, sans esprit partisan.

A mon arrivée au ministère, la ligne budgétaire affectée aux CTE, s'élevait à 76 millions d'euros. Faute d'être plafonné, le dispositif n'était pas piloté : ainsi le montant moyen des CTE était-il à l'époque de 44 000 euros, loin de l'objectif initial qui avait été fixé à 24 000 euros. En outre, contrairement aux premières intentions, c'est dans les départements les plus « favorisés » en matière agricole, à la fois par les conditions climatiques et par les aides communautaires, que le montant moyen des CTE était le plus élevé.

Pour toutes ces raisons, j'ai décidé de recadrer le dispositif en le plafonnant et en le recentrant sur les mesures agro-environnementales utiles.

Les nouveaux contrats d'agriculture durables, ou CAD, ont non seulement un volet « environnement », mais également un volet « investissement », et leur montant est désormais plafonné à 27 000 euros. En 2003, il a été prévu de consacrer 490 millions d'euros au financement des CTE qui ont été signés et des nouveaux CAD qui le seront, montant à comparer aux 76 millions d'euros prévus en 2002.

S'agissant de la modulation, c'est une somme de 215 millions d'euros qui a été modulée. Le produit de la modulation des années 2000 et 2001 n'a pas été utilisé pour financer les CTE puisqu'il est toujours bloqué à Bruxelles. Je me bats d'ailleurs pour débloquer ces fonds dont nous avons besoin puisque la progression des dotations budgétaires pour les CTE et les CAD, l'augmentation de 70 % de la prime herbagère agro-environnementale et l'accroissement des indemnités compensatoires de handicaps naturels, les ICHN, nous permettent désormais de mobiliser l'ensemble des retours communautaires sur lesquels nous pouvons compter au titre du deuxième pilier. Ce n'était pas le cas à notre arrivée : je vous rappelle en effet qu'en 2001 la France a dû acquitter 31 millions d'euros d'amende à Bruxelles pour non-consommation des crédits du deuxième pilier.

Ma troisième observation s'adresse tout particulièrement à MM. Jean Boyer, Gérard Bailly et Bernard Murat, qui ont évoqué l'important problème de la montagne. Sachez que l'augmentation des ICHN, de la prime à l'herbe, ainsi que la majoration de 16 %, en 2003, des crédits affectés aux bâtiments d'élevage traduisent aussi concrètement les priorités du Gouvernement en faveur de la montagne.

Par ailleurs, j'ai demandé à Bruxelles que quelque chose soit fait pour la collecte du lait, et nous veillerons bien évidemment à ce que l'ensemble des zones aujourd'hui peu concernées par la PAC, c'est-à-dire la montagne, les zones intermédiaires et les zones de marais, soient mieux prises en compte dans le cadre des nouvelles orientations de la politique agricole commune.

Je conclurai mon propos en soulignant que, par son intervention, M. Hilaire Flandre, qui a cité des chiffres précis relatifs à sa propre exploitation, a bien rappelé ce qu'ont vécu les paysans français depuis maintenant une dizaine d'années, plus précisément depuis les accords du GATT et la réforme de la PAC qui est intervenue au début des années quatre-vingt-dix.

Il est vrai que la politique agricole commune de la fin des années quatre-vingt devait être réformée. Il y avait des surproductions et des surcoûts budgétaires. Sans doute eût-il mieux valu engager des réformes au moment opportun, mais c'est toujours plus facile à dire après coup.

Cela dit, chacun peut aujourd'hui le constater, au début des années quatre-vingt-dix, la préférence a été donnée, implicitement ou explicitement, aux prix bas et à une dérégulation toujours plus grande des organisations communes de marchés. Il est inutile de nous raconter des histoires : nous ne retrouverons pas, en 2003 ou dans les années qui viennent, la PAC mythique d'avant 1992. Cela étant, nous avons le devoir de construire une nouvelle politique agricole commune qui, à l'opposé de la vision ultralibérale qui prévaut trop souvent, permette de mettre en oeuvre ce modèle agricole européen qui nous est cher.

Comme je l'ai dit au début de mon propos, ce débat, avant d'être technique, est politique et même idéologique. Sachez que nous sommes résolus à le mener à bien, même s'il s'agit d'un combat extrêmement difficile eu égard à tous les renoncements que l'on a pu déplorer au cours des vingt années écoulées. En tout état de cause, ne doutez pas de ma résolution.

Je pourrais résumer l'attitude que j'adopterai dans ces négociations par trois idées fortes : tout d'abord, défendre les intérêts des paysans de notre pays ; ensuite, faire preuve de pragmatisme, parce que je ne suis pas un idéologue et qu'il ne faut pas avoir une approche idéologique des choses ; enfin, et c'est peut-être le plus important, redonner des perspectives aux agriculteurs. On ne peut pas continuellement réformer. Nous avons, l'année dernière, pour la première fois depuis plusieurs décennies, réintroduit, à Bruxelles, des perspectives budgétaires sur dix ans. Il nous reste maintenant à définir de nouvelles perspectives pour la politique agricole commune.

Voilà les quelques réflexions que je voulais formuler en remerciant encore M. le président de la commission des affaires économiques et l'auteur de la question d'avoir organisé cette matinée au Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir répondu de manière aussi précise aux orateurs et d'avoir ainsi contribué à donner à ce débat une qualité réellement exceptionnelle. Nul doute que M. le président de la commission des affaires économiques ainsi que M. le président et M. le rapporteur de la mission d'information sur la réforme de la PAC se réjouissent de l'avoir ouvert.

En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Serge Vinçon.)

PRÉSIDENCE DE M. SERGE VINÇON

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS

M. le président. La conférence des présidents a établi comme suit l'ordre du jour des prochaines séances du Sénat :

Mercredi 21 mai 2003 :

Ordre du jour prioritaire

A 15 heures et le soir :

1° Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux privilèges et immunités de la délégation du Comité international de la Croix-Rouge en France (n° 203, 2002-2003) ;

(La conférence des présidents a décidé de fixer au mardi 20 mai 2003, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte) ;

2° Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions relatives à certains personnels de DCN et GIAT Industries (n° 284, 2002-2003) ;

(La conférence des présidents a décidé de fixer au mardi 20 mai 2003, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte) ;

3° Projet de loi de programme pour l'outre-mer (Urgence déclarée) (n° 214, 2002-2003) ;

Mme Marlène Mélisse, rapporteur de la section des économies régionales et de l'aménagement du territoire du Conseil économique et social, interviendra avant la présentation du rapport de la commission des finances (article 42, alinéa 4, du règlement).

(La conférence des présidents a fixé :

- au mardi 20 mai 2003, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à trois heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mardi 20 mai 2003.)

Jeudi 22 mai 2003 :

A 9 h 30 :

Ordre du jour prioritaire

1° Suite du projet de loi de programme pour l'outre-mer ;

A 15 heures et le soir :

2° Questions d'actualité au Gouvernement ;

(L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant 11 heures) ;

Ordre du jour prioritaire

3° Suite de l'ordre du jour du matin.

Lundi 26 mai 2003 :

Ordre du jour prioritaire

A 16 heures et le soir :

Projet de loi portant décentralisation du revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité (n° 282, 2002-2003).

(La Conférence des Présidents a fixé :

- au lundi 26 mai 2003, à 11 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à deux heures trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le vendredi 23 mai 2003.)

Mardi 27 mai 2003 :

A 9 h 30 :

1° Dix-huit questions orales (l'ordre d'appel des questions sera fixé ultérieurement) :

- n° 176 de Mme Annick Bocandé à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable (Réglementation applicable aux sondages de cavités souterraines) ;

- n° 180 de M. Jean Besson à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (Aides de l'Etat à l'installation des réseaux d'assainissement des eaux) ;

- n° 185 de M. Daniel Goulet à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire (Saisine de la DATAR) ;

- n° 200 de M. Philippe Richert à Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées (Conditions d'attribution de l'allocation d'éducation spéciale) ;

- n° 231 de M. Bernard Piras à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche (Droits de reprographie des oeuvres reproduites dans les écoles du premier degré) ;

- n° 241 de M. Dominique Braye à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer (Desserte routière entre Cergy-Pontoise et Mantes-la-Jolie) ;

- n° 244 de M. Jean-François Picheral à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer (Percement du couloir ferroviaire Val de Durance-Montgenèvre) ;

- n° 245 de Mme Valérie Létard à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire (Reprise par les communes de personnels d'associations gérant des services publics) ;

- n° 246 de M. Roland Courteau à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité (Situation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) ;

- n° 249 de M. Michel Moreigne à M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire (TVA applicable à la tapisserie d'Aubusson) ;

- n° 250 de M. Serge Franchis à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales (Appellation Chablis) ;

- n° 252 de M. Paul Natali à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (Couverture du risque attentat en Corse) ;

- n° 253 de M. Claude Domeizel à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche (Difficultés dans le secteur de l'enseignement) ;

- n° 254 de Mme Marie-Christine Blandin à M. le garde des sceaux, ministre de la justice (Condamnation de responsables de la Confédération paysanne) ;

- n° 256 de M. Ladislas Poniatowski transmise à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable (Ressources financières de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) ;

- n° 257 de M. Bruno Sido à M. le ministre délégué à la famille (Chèque emploi services pour l'emploi d'assistantes maternelles) ;

- n° 258 de Mme Françoise Férat à M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire (Conditions d'inscription scolaire des enfants en zones rurales) ;

- n° 259 de M. José Balarello à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer (Aménagements du tunnel de Tende) ;

A 16 heures :

Ordre du jour prioritaire

2° Suite du projet de loi portant décentralisation du revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité.

A 19 heures :

3° Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant diverses dispositions relatives à l'urbanisme, à l'habitat et à la construction.

Le soir :

4° Suite du projet de loi portant décentralisation du revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité.

Mercredi 28 mai 2003 :

Ordre du jour prioritaire

A 15 heures et, éventuellement, le soir :

Suite du projet de loi portant décentralisation du revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité.

Mardi 3 juin 2003 :

A 9 h 30 :

1° Quinze questions orales (l'ordre d'appel des questions sera fixé ultérieurement) :

- n° 211 de M. Jean-Pierre Bel à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer (Avenir des auto-écoles) ;

- n° 239 de M. Jacques Oudin à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales (Modalités de transfert des moyens du Fonds national des adductions d'eau aux départements) ;

- n° 247 de M. Jean-Pierre Godefroy à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées (Mise en service du caisson hyperbare du centre hospitalier Louis-Pasteur [CHLP] de Cherbourg-Octeville) ;

- n° 248 de M. Jean-Paul Amoudry à Mme la ministre déléguée aux affaires européennes (Négociations d'accords bilatéraux entre l'Union européenne et la Suisse) ;

- n° 255 de Mme Michèle Demessine à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer (Financement du logement des saisonniers) ;

- n° 261 de M. Georges Mouly à Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées (Situation des personnes handicapées psychiques) ;

- n° 262 de M. Alain Vasselle à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (Récupération de la TVA sur les travaux d'enfouissement des lignes téléphoniques) ;

- n° 263 de M. Francis Grignon à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité (Modalités de versement des aides aux entreprises d'insertion) ;

- n° 264 de M. Philippe Madrelle à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable (Indemnisation des sinistrés du naufrage du Prestige) ;

- n° 265 de Mme Marie-Claude Beaudeau à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales (Sécurité des transports de fonds) ;

- n° 266 de M. Philippe Richert à Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées (Maintien à domicile des personnes lourdement handicapées) ;

- n° 267 de Mme Odette Herviaux à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées (Création d'une école des hautes études en santé publique) ;

- n° 268 de Mme Michèle San Vicente à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche (Avenir des personnels des centres d'information et d'orientation) ;

- n° 269 de Mme Josiane Mathon à Mme la ministre de la défense (Situation des sites Giat-Industrie de la Loire) ;

- n° 270 de M. Paul Loridant à Mme la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies (Fermeture de laboratoires de recherche du plateau de Saclay).

A 16 heures et le soir :

Ordre du jour prioritaire

2° Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur les infrastructures (2003-2020) ;

(La conférence des présidents a fixé :

- à quinze minutes, le temps réservé au président de la commission des affaires économiques, au président, au rapporteur général de la commission des finances ainsi qu'au président de la délégation du Sénat à l'aménagement et au développement durable du territoire ;

- à sept heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 2 juin 2003.)

Mercredi 4 juin 2003 :

Ordre du jour prioritaire

A 15 heures :

1° Projet de loi organique relatif au référendum local (n° 297, 2002-2003).

(La conférence des présidents a fixé :

- au mardi 3 juin 2003, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte :

- à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mardi 3 juin 2003.)

Le soir :

2° Eventuellement, suite de l'ordre du jour de l'après-midi.

3° Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, relative à la dévolution du nom de famille (n° 285, 2002-2003).

(La conférence des présidents a fixé au mardi 3 juin 2003, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte.)

Jeudi 5 juin 2003 :

Ordre du jour prioritaire

A 9 h 30 et à 15 heures :

Deuxième lecture du projet de loi de sécurité financière, modifié par l'Assemblée nationale (n° 281, 2002-2003).

(La conférence des présidents a fixé :

- au mercredi 4 juin 2003, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mercredi 4 juin 2003.)

Mardi 10 juin 2003 :

Ordre du jour prioritaire

A 9 h 30, à 16 heures et le soir :

1° Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs (n° 240, 2002-2003).

(La conférence des présidents a décidé de fixer au vendredi 6 juin 2003, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte) ;

2° Deuxième lecture, sous réserve de sa transmission, du projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit (AN, n° 831).

(La conférence des présidents a décidé de fixer au vendredi 6 juin 2003, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte) ;

3° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la chasse (n° 300, 2002-2003).

(La conférence des présidents a fixé :

- au mardi 10 juin 2003, à 11 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à trois heures trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le vendredi 6 juin 2003.)

Mercredi 11 juin 2003 :

Ordre du jour prioritaire

A 15 heures et le soir :

Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la chasse.

Jeudi 12 juin 2003 :

A 9 h 30 :

Ordre du jour prioritaire

1° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, pour la confiance dans l'économie numérique (n° 195, 2002-2003).

(La conférence des présidents a fixé :

- au mardi 10 juin 2003, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mardi 10 juin 2003.)

A 15 heures et le soir :

2° Questions d'actualité au Gouvernement ;

(L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant 11 heures) ;

3° Suite de l'ordre du jour du matin.

Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?...

Ces propositions sont adoptées.

(M. Christian Poncelet remplace M. Serge Vinçon au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

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SOUHAITS DE BIENVENUE

À UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE

DE RUSSIE

M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir et l'honneur de saluer la présence dans notre tribune officielle d'une délégation du Conseil de la Fédération de Russie, conduite par son président, M. Sergueï Mironov. (M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

Cette visite s'inscrit dans le cadre des relations, désormais bien établies, entre nos deux assemblées et répond au déplacement que j'ai accompli à Moscou et à Saint-Pétersbourg, en septembre, en compagnie de cinq de nos collègues. Elle est particulièrement opportune dans le contexte international actuel et à quelques jours du début de la célébration du tricentenaire de Saint-Pétersbourg, chère au coeur du Président Mironov comme à celui du Président Poutine.

Nous nous rendrons demain au mémorial de Caen, avec nos collègues Jacques Chaumont, président du groupe interparlementaire France-Russie, Ambroise Dupont et René Garrec, sénateurs du Calvados, pour inaugurer avec nos amis russes une exposition consacrée au siège de Leningrad et saluer la mémoire de ceux qui sont morts pour la liberté et la patrie, qu'ils soient russes ou français.

Convaincu de l'utilité de ces rencontres régulières, je forme des voeux pour que nos efforts conjoints contribuent à rapprocher un peu plus encore nos deux peuples et concourent à un meilleur équilibre dans le monde. (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)

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AVENIR DES SERVICES PUBLICS

Discussion d'une question orale avec débat

(Ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 15.

M. Gérard Larcher appelle l'attention de M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire sur la réorganisation en cours de certains services publics relevant de la responsabilité de l'Etat.

L'action de proximité de nos principaux services publics est un enjeu essentiel pour l'aménagement du territoire de notre pays.

Or, dans le cadre de la relance actuelle de la décentralisation, de la réforme de l'Etat, mais aussi de l'ouverture à la concurrence impulsée par Bruxelles dans plusieurs secteurs, les structures de beaucoup de ces services publics vont devoir s'adapter. C'est une nécessité. Cette adaptation ne saurait toutefois se traduire ni par une remise en cause de la qualité des prestations d'intérêt général rendues à nos concitoyens dans les zones défavorisées, ni par un dépérissement de certains territoires.

Il convient, pour ce faire, de trouver le juste équilibre entre la nécessaire mutation des organismes chargés de services publics et l'indispensable respect d'un maillage pertinent du territoire.

La remise à plat de la carte d'accès aux services publics se doit, en conséquence, d'être engagée en concertation avec les élus locaux afin de déterminer les moyens de maintenir l'attractivité des territoires, notamment ruraux.

Cette démarche nécessite la définition de critères en termes d'accessibilité et de « péréquation » pour l'ensemble de l'offre de services sur un territoire donné : écoles, agences postales, services déconcentrés de l'Etat, hôpitaux, succursales de la Banque de France, SNCF...

C'est pourquoi il demande à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire de nous présenter les objectifs et la méthode du Gouvernement pour réussir pleinement cette nécessaire réforme.

Monsieur le ministre - cher Jean-Paul Delevoye -, mes chers collègues, fidèle à sa vocation d'avocat des collectivités locales, le Sénat démontre une fois encore l'intérêt qu'il porte à l'aménagement du territoire de notre pays, car, à l'évidence, les services publics sont au coeur des territoires, urbains ou ruraux, au coeur des préoccupations de nos concitoyens.

Ainsi, je me réjouis de la tenue de ce débat, « point d'orgue » de la table ronde que j'ai organisée, le 18 mars dernier, avec les présidents des associations d'élus locaux et à laquelle M. le ministre a bien voulu participer.

Aujourd'hui, notre objectif commun est de trouver le juste équilibre entre la nécessaire mutation des services publics et le respect d'un maillage pertinent du territoire auquel les Français sont attachés.

Délicate dans le contexte budgétaire actuel, la résolution de cette « équation » constitue une impérieuse nécessité qui revêt une signification et une importance accrues avec la relance de la décentralisation.

Ecoles, agences postales, hôpitaux, trésoreries, succursales de la Banque de France, subdivisions des services déconcentrés de l'Etat... autant de chantiers qui méritent un « tir groupé ».

Cet objectif de concertation et de coordination de l'action est essentiel si l'on veut parvenir à une juste répartition de ces services, conforter l'attractivité de nos territoires et mettre un terme à la spirale infernale de la « fracture territoriale », qui, finalement, pénalise toujours les plus faibles.

C'est tout le sens de ce débat qui sera l'occasion, pour chacun d'entre nous, d'engager un dialogue, courtois et fructueux, avec M. le ministre, qui ne manquera pas de nous livrer les clés de la réussite de cette réforme essentielle pour l'avenir de nos territoires et de notre pays.

La parole est à M. Gérard Larcher, auteur de la question.

M. Gérard Larcher. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacune et chacun d'entre nous, quel que soit le fauteuil qu'il occupe, entend monter du territoire rural, des villes moyennes, des zones en difficulté de notre territoire national, l'expression d'une certaine inquiétude.

Les associations d'élus et les élus locaux eux-mêmes saisissent régulièrement les sénateurs, représentants naturels et constitutionnels des collectivités territoriales, des préoccupations que leur inspirent les plans de réorganisation de divers services publics, pour certains installés de longue date sur leur territoire.

Sous votre présidence, monsieur le président, et c'est tout un symbole, je suis certain que nombre de nos collègues évoqueront les craintes que suscitent les perspectives de réduction de la présence territoriale de ces services publics que vous venez d'évoquer : bureaux de La Poste, écoles, services déconcentrés de l'Etat, hôpitaux, succursales de la Banque de France, voire tel ou tel centre de tri ou centre ferroviaire.

Les expressions du malaise que l'on perçoit ici et là dans nos régions sont multiples, mais elles me paraissent toutes avoir une source commune : la crainte qu'inspire un avenir incertain.

Cette crainte doit être comprise. Les inquiétudes exprimées doivent être entendues. On ne saurait, surtout au Sénat, les passer sous silence ou les considérer comme superfétatoires. Elles doivent être prises en compte dans la définition de la politique gouvernementale, à l'égard notamment de nos services publics de proximité.

Rien ne doit ni ne peut se faire en tenant à l'écart les élus locaux : tout doit se faire après discussion et concertation avec eux.

Il en va du respect que la République doit à ceux qui, au quotidien, s'engagent pour la réalisation des idéaux citoyens.

Il en va aussi du respect de l'exigence d'aménagement équilibré du territoire auquel le Sénat est particulièrement attaché. Nul ne peut en douter, l'irrigation des territoires par les services publics est en effet un facteur déterminant de leur développement, de l'équilibre d'ensemble du pays, de sa cohésion sociale et territoriale.

Il en va enfin de la nécessaire mise en oeuvre du principe d'égalité des citoyens, qui constitue l'un des fondements de notre droit public. Comment ce principe serait-il respecté si seuls certains de nos compatriotes avaient un accès facile à des services que la collectivité nationale a considérés comme étant d'intérêt général ?

Ce constat fait, devons-nous pour autant demeurer sourds aux véritables interrogations que soulèvent les formes que prend parfois la délivrance de ces prestations d'intérêt général sur le territoire ?

Pouvons-nous continuer à imposer à certaines de nos entreprises de service public dont le champ d'intervention va être entièrement ouvert à la concurrence - et je rappelle que, depuis vingt-cinq ans, tous les gouvernements ont, quelle que soit leur sensibilité, été favorables à cette ouverture à la concurrence - des obligations de dessertes que seul, nous le savons, un solide monopole permet de financer ?

Ne risquerions-nous pas, à suivre une telle voie, d'étouffer, de condamner à mort après l'échéance ces entreprises et, par là même, de compromettre gravement les missions d'intérêt collectif qu'elles assument ?

En ce domaine, pouvons-nous, par exemple, continuer à exiger de La Poste, qui doit se préparer à un choc concurrentiel majeur avec la fin, programmée pour 2009, de son monopole sur le courrier - je rappelle que l'arbitrage a eu lieu sous le précédent gouvernement -,...

M. Gérard Delfau. Hélas !

M. Gérard Larcher. ... qu'elle entretienne sans compensation un réseau de points de contact alors que 20 % d'entre eux travaillent effectivement moins de deux heures par jour et 15 % moins d'une heure par jour ?

Ce type de question vaut également pour des administrations. Ainsi, lorsqu'on parle de l'hôpital public, peut-on envisager de maintenir des maternités où le nombre d'accouchements par an est inférieur au seuil qui garanti la sécurité de la mère et du nouveau-né ? Alors que le professeur Papiernik, autorité en la matière, vient de démontrer que les équipes en obstétrique devaient compter au moins huit accoucheurs, est-il envisageable de prétendre assurer la continuité du service en même temps que sa sécurité ?

Regrouper les maternités comme la démographie médicale nous y contraindra ne veut cependant pas dire tout concentrer : on peut au contraire développer sur le terrain, à proximité, les consultations prénatales et périnatales. Dans ce cas, il nous faut conjuguer proximité, qualité et sécurité.

Lorsqu'on parle des services déconcentrés de l'Etat, peut-on raisonnablement considérer que les budgets nationaux ont une vocation illimitée à assurer le fonctionnement d'antennes locales dont certaines sont peu fréquentées par la population ?

Nous le savons tous, l'argent public est rare et les fonds de l'Etat de plus en plus sollicités. Or, il ne faut pas l'oublier, la dépense publique n'est pas extensible à l'infini. Les dotations que l'Etat affecte à certaines missions limitent le montant de celles qu'il peut attribuer à d'autres. Cependant ces dotations sont l'un des facteurs de la compétitivité nationale, et il y a donc des choix à faire. Ces choix deviennent cruciaux, tant des signes inquiétants appellent l'attention sur un début de déclin économique. Rappelons quand même, à cet égard, notre classement au trentième rang des pays de l'OCDE l'an dernier, soit dix rangs plus loin que l'année précédente !

La question se pose également de savoir si l'Etat est aujourd'hui le mieux à même de définir de manière pertinente le maillage local de nos services publics. Ne conviendrait-il pas, dans ce domaine, d'associer davantage à la réflexion nos collectivités territoriales, plus à même, en raison de leur connaissance intime du terrain, de définir le lieu d'affectation des allocations de ressources publiques et les modalités leur permettant d'avoir l'effet le plus large ?

Enfin, à l'heure où il est largement reconnu qu'une véritable réforme de l'Etat, dont vous êtes également chargé, monsieur le ministre, est indispensable pour assurer le redressement de notre pays, peut-on considérer que cette réforme ne devrait entraîner aucune conséquence sur les modalités d'organisation territoriale de nos services publics ?

D'une manière générale, dans un monde qui change à un rythme accéléré, peut-on se contenter d'exiger le statu quo ? Dans une Europe où les frontières s'estompent, pouvons-nous nous interdire de nous comparer aux autres ? En établissant de telles comparaisons, pouvons-nous, par exemple, objectivement estimer que la Banque de France, qui entre pour un peu plus de 16 % dans le capital de la Banque centrale européenne, ou BCE - au regard de la part de la population et du PIB français dans l'Union européenne -, doit continuer à employer 27 % des effectifs totaux des banques centrales de l'« eurosystème », alors qu'une partie de ses compétences traditionnelles a été transférée à la BCE ? Peut-elle raisonnablement, dans un tel contexte, envisager d'entretenir deux cent onze succursales de plein exercice, alors que, à titre de comparaison, en Espagne, il n'y en aura plus que vingt en 2004 ?

Au terme de ce questionnement, une interrogation centrale me paraît se dégager : n'avons-nous de choix politique qu'entre le sacrifice de l'aménagement du territoire à l'économie ou l'immolation progressive de l'économie sur l'autel du territoire ? Je ne le crois pas, mais nous ne pourrons concilier développement équilibré du territoire et adaptation aux exigences de la modernité économique qu'en faisant preuve de volonté, de lucidité et d'inventivité.

L'une de nos premières préoccupations doit à mon sens être de réfléchir aussi en termes d'accessibilité du service, et non pas seulement en termes de maintien systématique des formes traditionnelles de sa présence.

Je prendrai, là aussi, l'exemple du réseau postal. Aujourd'hui, le nombre et, par certains aspects, la répartition des bureaux de poste de plein exercice demeurent fort proches de ce qu'ils étaient dans la France encore rurale de 1914. Or, en 1914, ce réseau était conçu pour permettre la distribution du courrier en une journée en tout point du territoire national - c'était la définition retenue par l'administration postale avant la Première Guerre mondiale -, et, tout particulièrement en zone rurale, par des facteurs circulant à pied ou à bicyclette. Force est de constater que, de nos jours, il n'existe plus guère de facteurs qui, en zone rurale, font leur tournée à pied ou à bicyclette !

Mme Hélène Luc. Aujourd'hui, il y a le TGV !

M. Gérard Larcher. Ne serait-il pas possible de définir des critères d'accessibilité des services postaux prenant davantage en compte la réalité nouvelle du territoire, l'existence de moyens modernes de transport ou de communication ?

Beaucoup de postes européennes, attachées au service d'intérêt général, ont ainsi une grille d'implantation de leur réseau établie de manière à garantir que les citoyens n'auront pas plus d'un nombre préfixé de kilomètres à parcourir pour accéder à l'une de leurs antennes, celles-ci pouvant d'ailleurs venir à leur rencontre. En France, sans doute conviendrait-il de corriger ce critère de distance par ceux du temps moyen d'attente aux guichets dans les centres urbains et du temps nécessaire pour parcourir le nombre de kilomètres retenu dans des zones accidentées, telles que les zones de montagne.

Sur ce fondement, ne pourrait-on imposer à l'opérateur postal des critères garantissant aux citoyens un accès aisé tout en étant économiquement raisonnables ? Ne pourrait-on ainsi organiser une partie de ce maillage en l'appuyant sur des réseaux commerciaux, comme cela a été fait dans un certain nombre de pays de l'Union européenne ? Des expériences, dont les premiers bilans apparaissent d'ores et déjà satisfaisants, sont actuellement conduites par La Poste pour permettre la diffusion des principaux produits postaux par les commerces ruraux. L'appoint de ces prestations au chiffre d'affaires est d'ailleurs souvent un facteur favorisant l'équilibre des comptes de ces derniers et leur maintien sur le territoire. De telles expériences, monsieur le ministre, ne pourraient-elles pas être étendues ? La Poste ne pourrait-elle, parallèlement, développer ses services en ligne ? Ne pourrait-elle pas, en particulier, assurer des envois de courriels par Internet, auxquels elle conférerait date certaine, voire, sous certaines conditions à déterminer, valeur de courrier recommandé ? Nous avons formulé cette proposition voilà déjà bien longtemps dans cette enceinte.

L'exemple postal vaut pour d'autres services publics organisés en réseaux. L'idée clé, dans ce domaine, ne consisterait-elle pas à chercher à inventer dès aujourd'hui les réseaux de services publics de 2014, plutôt que de se focaliser sur le maintien des formes qu'avaient ces réseaux en 1914 ?

M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !

M. Gérard Larcher. Bien entendu, rien n'interdirait, dans la perspective qui vient d'être tracée, que, au-delà de ce que l'Etat imposerait comme critères d'accessibilité à l'échelon national, les collectivités territoriales fixent, si elles le souhaitent, des règles assurant une plus grande proximité physique. Cependant, ne conviendrait-il pas alors qu'elles prennent les moyens, notamment au travers d'une péréquation financière adaptée - sur laquelle il nous faudra bien revenir, puisque c'est un point essentiel -, d'assurer ce maillage complémentaire ? Sinon, en effet, les déséquilibres entre les zones les plus riches et les autres s'accentueraient.

Tout cela apparaîtrait logique à une réserve essentielle près : en certains points du territoire particulièrement défavorisés, où les collectivités locales se trouvent démunies, un effort de solidarité nationale devrait être consenti directement par l'Etat pour garantir un minimum d'activités sur le plan local.

Une telle logique imposerait bien entendu une remise en cause de nos habitudes d'uniformité réglementaire. On devrait accepter que les réponses ne soient pas toutes déclinées de manière identique partout. Les collectivités territoriales prenant en charge la partie complémentaire des réseaux publics nationaux pourraient être, selon la nature des dossiers, mais aussi en fonction des spécificités locales, tantôt la région, tantôt le département, tantôt les communautés de communes, tantôt, quand cela est possible, la commune seule. Le contrat entre l'Etat, la collectivité territoriale et, lorsque cela est nécessaire, l'opérateur de service public deviendrait alors le complément naturel du règlement national.

Au-delà de ces nouvelles formes d'organisation garantissant le caractère effectif de la prestation, un effort considérable devrait être consenti pour l'« irrigation » du territoire par les nouvelles technologies.

Le Sénat, sur l'initiative de sa commission des affaires économiques et de notre collègue Bruno Sido, a déjà fait des propositions visant à assurer la diffusion des moyens de téléphonie mobile dans les zones actuellement non couvertes,...

M. le président. Très bien !

M. Gérard Larcher. ... et l'on peut avoir bon espoir que ces propositions aient prochainement force de loi. Si nous n'insistons pas en ce sens, nous attendrons encore longtemps !

M. le président. Très bien !

M. Gérard Larcher. Les réflexions doivent maintenant s'accélérer s'agissant des moyens d'établir un meilleur maillage des territoires par les réseaux numériques à haut débit,...

M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !

M. Gérard Larcher. ... et des mesures adaptées devraient pouvoir être prises rapidement. Notre collègue Pierre Hérisson, président de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications, étudie lui aussi avec attention cette question, à laquelle vous avez vous-même, monsieur le ministre, porté un grand intérêt dans le cadre de la préparation du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique.

En effet, ne nous leurrons pas : en 2014, une présence immobilière massive des services publics sera sans doute moins nécessaire, mais ceux-ci ne pourront assurer des prestations de qualité au profit de nos concitoyens sans moyens modernes de communication.

Le combat pour le service public de demain passe donc par un intense effort d'investissement sur le territoire en matière de nouvelles technologies de communication.

Telles sont les quelques réflexions et interrogations que je souhaitais formuler devant vous, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom de la commission des affaires économiques. Les sénateurs membres de celle-ci sont particulièrement sensibles aux réalités économiques, mais ils sont également passionnément attachés à la diversité et à l'équilibre de nos territoires. Aussi la recherche de la conciliation politique entre ces deux impératifs, qui peuvent paraître opposés, est-elle bien au coeur de leurs préoccupations majeures.

Voilà pourquoi nous souhaitions vous interroger, monsieur le ministre. Ce débat est utile alors que nous allons bientôt examiner différents textes relatifs aux infrastructures de transport et à l'aménagement équilibré du territoire, au travers notamment de la décentralisation. Nous devons faire en sorte que cette décentralisation ne soit pas une « balkanisation », mais permette au contraire le renforcement de la vitalité du territoire, en sollicitant ces ressources primordiales que représentent les hommes et les femmes qui l'habitent.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tel est le sens de notre débat d'aujourd'hui, que nous avons souhaité organiser pour éclairer nos travaux futurs. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Gérard Delfau. Au moins, c'est clair !

Mme Marie-Claude Beaudeau. Oui, c'est très clair !

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 52 minutes ;

Groupe socialiste, 28 minutes ;

Groupe de l'Union centriste, 13 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 10 minutes.

Dans la suite du débat, la parole est à Mme Marie-France Beaufils.

Mme Marie-France Beaufils. Vous venez de dire, monsieur Larcher, que les élus locaux ressentaient une sourde inquiétude. J'ajouterai que cette inquiétude est partagée par les salariés de la fonction publique ; les manifestations qui se déroulent actuellement en témoignent amplement.

Mme Hélène Luc. Très bien !

Mme Marie-France Beaufils. Ce qui marque de façon essentielle les services publics depuis 1995, c'est l'accélération du processus de libéralisation, à la suite de l'intervention de l'accord général sur le commerce et les services, dénommé « AGCS » par les spécialistes, dont l'objet est d'assurer « un accès effectif au marché » s'agissant du gaz, de l'électricité, du service postal, de l'organisation du service aérien et du chemin de fer. C'est ce que vous appelez, monsieur Larcher, monsieur le ministre, la « réorganisation en cours » ; c'est ce que nous appelons, pour notre part, la déréglementation, la dérégulation, en réalité la tentative de privatisation de secteurs entiers qui pourtant, aujourd'hui encore, répondent à un objectif de justice sociale.

En effet, les services publics ont pour mission de garantir à chaque citoyen, dans des conditions d'égalité, quels que soient son niveau de revenu et son lieu d'habitation, l'accès à un ensemble de biens et de services jugés fondamentaux.

Vous savez, chers collègues de la majorité, que l'attachement au service public est fort dans notre pays et que les processus en cours soulèvent une vive réprobation chez les salariés et les usagers. Les derniers textes tendant à la transposition de directives européennes que vous avez votés, concernant Air France, France Télécom ou EDF-GDF, ont pour seul objet la privatisation de ces entreprises publiques, alors que les textes européens eux-mêmes ne l'imposaient pas.

L'adaptation « nécessaire » que vous avez évoquée dans votre intervention, monsieur Larcher, consiste en fait à appliquer plus fortement encore les règles de gestion des entreprises capitalistes à un secteur où la concurrence n'a pas de justification économique. Le libre jeu du marché que vous prônez est en contradiction totale avec la notion même de service public. Peut-on imaginer un instant que seuls ceux qui en auront les moyens puissent accéder à un service et que le coût de celui-ci soit différent selon que l'on réside à Paris ou dans le Limousin ? Peut-on imaginer que la concurrence soit la seule règle, ce qui supposerait la suppression de monopoles publics, tels que le service postal, qui ont fait la preuve, jusqu'à présent, de leur pertinence et de leur efficacité économique ?

Nous devons d'ailleurs tous constater que, là où la concurrence existe, le secteur privé tente très vite de constituer un monopole ou un oligopole : l'exemple de la distribution d'eau est marquant à cet égard. Peut-on admettre que la seule motivation à la fourniture de biens et de services fondamentaux soit la recherche du profit et la satisfaction des actionnaires ?

La question orale avec débat posée aujourd'hui est une vraie question de société. Fait-on le choix de la justice sociale, d'un aménagement du territoire respectueux de l'environnement, de l'égalité d'accès pour tous aux services publics ? Ce principe d'égalité, l'un des principes fondateurs de notre République, qui suppose de traiter les inégalités et non de remplacer l'égalité par l'équité, vous y avez déjà profondément porté atteinte par la récente révision constitutionnelle, chers collègues de la majorité.

Les salariés actifs ou retraités qui descendent en masse dans la rue nous rappellent que nos concitoyens sont attachés à ces valeurs et ne sont pas prêts à accepter vos renoncements.

Votre politique néolibérale contribue à l'affaiblissement et à l'érosion des services publics. Dans les années quatre-vingt, Mme Thatcher a été à l'origine de la disparition des services et entreprises publics en Grande-Bretagne. Les politiques européennes, qui ont été fortement inspirées par cette expérience, ont contribué à l'érosion des services publics en les ouvrant à la concurrence. Elles ont permis de confortables plus-values boursières pour les actionnaires mais n'ont pas répondu aux besoins des populations.

Aujourd'hui, le marché deviendrait la panacée et le service public ne serait admis que comme une exception tout juste tolérée, comme une dérogation au principe général de la concurrence.

Nous assistons, de la part des opérateurs, à une focalisation sur les bénéfices à court terme, avec ces corollaires que sont la suppression des emplois ou leur précarisation, ainsi que l'offre d'un service privilégié aux « gros clients », au détriment de celui qui est rendu aux particuliers, aux usagers.

La réforme constitutionnelle qui a été votée par le Congrès condamne notre République au morcellement ; votre volonté de concentrer l'action de l'Etat sur les seules missions dites « régaliennes » constitue un reniement de la mission de solidarité de ce dernier ; la réduction drastique des dépenses publiques n'est que la confirmation de votre politique d'abandon ; votre attaque brutale contre les retraites, qui annonce celle qui sera lancée contre la sécurité sociale, correspond aux attentes du MEDEF.

En modifiant l'article 1er de la Constitution, vous avez nié la première responsabilité de l'Etat, qui est d'assurer l'égalité entre les citoyens dans tous les domaines de l'action publique. Vous voulez permettre à l'Etat de se défausser en reportant les dépenses publiques sur les collectivités, afin de respecter les critères de Maastricht.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Très bien !

Mme Marie-France Beaufils. Vous renvoyez aux collectivités territoriales, sans leur donner les moyens de l'assumer, la responsabilité de satisfaire les besoins fondamentaux en matière d'éducation, de santé, d'économie, d'environnement, de logement, de lutte contre l'exclusion, et au regard de bien d'autres expérimentations possibles. Sans ressources suffisantes transférées aux collectivités territoriales et compte tenu de la disparité des richesses entre celles-ci, c'est la porte ouverte à la prise en charge par les citoyens eux-mêmes de leurs besoins.

L'heure n'est donc pas seulement, comme vous l'affirmez, monsieur Larcher, à la recherche des moyens de « remettre à plat la carte d'accès aux services publics » ; il faut également définir quels moyens l'Etat est prêt à consacrer à une véritable dynamisation de tous les territoires de notre pays.

La décentralisation, c'est aussi, dans le droit-fil des plans sociaux qui se succèdent, la disparition de plusieurs milliers d'emplois publics. Les conditions des transferts de compétences vont favoriser la privatisation de certains services, ainsi que la précarisation des recrutements et des statuts ; les personnels de l'éducation nationale, de l'équipement, pour ne citer que quelques exemples, ne sont pas disposés à accepter d'emblée des décisions élaborées sans aucune concertation. Je ne peux que les approuver.

Quand nous disons cela, nous ne disons pas que tout doit rester en l'état. Comment gérer les entreprises publiques, comment les démocratiser ? C'est là, en fait, le débat que nous devrions avoir.

Nous pensons, quant à nous, qu'il serait souhaitable que le secteur public puisse échapper, en France et en Europe, à la régulation par le marché et par la concurrence, à la contrainte de la rentabilité financière. Il doit, au contraire, contribuer à développer des droits nouveaux d'intervention, de contrôle et de gestion pour les agents, les usagers et les élus, au travers de leurs organisations. Pour cela, il faut envisager d'inverser la démarche et entreprendre des réformes qui permettent de se dégager des marchés financiers.

Le rôle de l'Etat reste essentiel, mais des changements d'orientation sont nécessaires : il faut desserrer les contraintes qui pèsent sur le budget national et, en particulier, abandonner le carcan que constitue le pacte de stabilité européen ; il faut renverser les priorités au bénéfice des dépenses sociales ; il faut revoir la fiscalité, en instaurant une imposition des revenus spéculatifs et des grandes fortunes et une réforme en profondeur des finances locales. Ainsi, des ressources nouvelles pourraient être dégagées en vue d'une augmentation significative des budgets publics.

Se soustraire à la domination des marchés financiers, c'est aussi éviter les risques qui sont liés à leur volatilité. Souvenons-nous de la fuite, en 1998, des fonds de pension américains qui détenaient 40 % du capital d'Alcatel, et de la crise qui s'ensuivit.

Pour réussir, il faut mobiliser les ressources qui sont gérées par le système bancaire et de crédit. Cela suppose la création d'un pôle public bancaire rassemblant les banques et les institutions publiques et semi-publiques, à but non lucratif, à vocation mutualiste ou coopérative. La Caisse des dépôts et consignations, la Caisse d'épargne et le service financier de La Poste pourraient le permettre.

Les 16,6 milliards d'euros que représentent les actuelles aides publiques à l'emploi pourraient alimenter un fonds national décentralisé, chargé de la distribution de crédits bonifiés, accordés à des projets d'investissement, en fonction de leur contribution à la création d'emplois et à la croissance réelle de l'économie, et ce sous le contrôle des salariés, de la population et des élus.

La concurrence est synonyme de suppressions d'emplois, de gâchis de ressources naturelles, d'inégalités de développement, de sources potentielles de conflits. Elle est devenue un principe inhumain. Il est temps, aujourd'hui, de penser d'autres modes de relations économiques fondés sur d'autres valeurs en favorisant la coopération. Le secteur public pourrait, en la matière, avoir un rôle moteur.

Par exemple, aujourd'hui, une bonne desserte de nos territoires ne suppose-t-elle pas que l'on recherche plus la complémentarité, l'intermodalité dans le domaine des transports ?

Il serait possible aussi d'envisager des coopérations public-privé pour développer des complémentarités et des synergies, transférables également au niveau international où les besoins à satisfaire sont colossaux, notamment dans les pays du tiers monde et de l'est européen.

Quelle est la place des usagers dans les services publics ?

Aujourd'hui, ils sont exclus des processus de décision. Nous proposons qu'ils aient réellement les moyens de participer aux choix.

Pour cela, les structures de direction doivent s'ouvrir aux usagers et aux élus. Elles doivent également être décentralisées avec des structures ayant délégation pour traiter des questions d'ordre régional ou local tout en gardant le statut national des entreprises ainsi que celui des personnels.

C'est ainsi que l'on pourra véritablement apporter une réponse pertinente aux besoins, sur tous les territoires.

Pour mener à bien leur tâche, les salariés, qu'ils relèvent du secteur public ou du secteur privé, doivent voir leur dignité fondée sur la citoyenneté dans l'entreprise, corollaire de la citoyenneté dans la cité. Or la recherche permanente de baisse des coûts salariaux, que vous traduisez par la remise en cause des statuts des personnels des services publics, ne peut y contribuer.

Le secteur public, dont la part est minoritaire dans notre économie et qui est soumis aux critères de gestion des entreprises privées, doit, contrairement à ce que vous faites, s'étendre, se moderniser et se démocratiser. Il faut développer de véritables pôles publics avec un réseau d'entreprises autour de secteurs fondamentaux : la communication et l'audiovisuel, les transports de voyageurs, la gestion de l'eau et des déchets, l'énergie, le crédit et les institutions financières. Dans votre conception de la société, la concurrence et le marché prédominent. Selon nous, une société fondée sur l'intérêt des êtres humains est la réponse attendue aux défis de notre temps. Les entreprises publiques ont un rôle décisif dans cette conception.

Monsieur le ministre, tous les actes du Gouvernement ont, depuis votre arrivée au pouvoir, le même objectif : mettre en place une société libérale en vous attaquant à la moindre parcelle démocratique et aux acquis sociaux des citoyens. C'est pourquoi les services publics sont au coeur de votre cible.

Monsieur le ministre, nous avons préféré, à l'occasion de cette question orale, et compte tenu des textes en préparation, vous faire part de notre conception des services publics et vous demander comment vous comptez intervenir pour que tous les domaines concernés par l'Accord général sur le commerce et les services soient retirés de la négociation de l'Organisation mondiale du commerce. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Mortemousque.

M. Dominique Mortemousque. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier chaleureusement notre collègue Gérard Larcher d'avoir pris l'initiative de déposer une question orale avec débat sur l'avenir des services publics.

Comme vous le savez, monsieur le ministre, ce sujet me tient à coeur et, à deux reprises déjà, je suis intervenu dans cet hémicycle pour appeler l'attention du Gouvernement sur la réorganisation des services publics en milieu rural et sur le développement des zones rurales.

Dans ma question orale du 17 décembre dernier, j'avais formulé quatre suggestions en faveur du service public en milieu rural : premièrement, dresser l'inventaire des services publics dans chaque département ; deuxièmement, faire le point sur la couverture du territoire par la téléphonie mobile et par l'accès à Internet grâce à l'ADSL ; troisièmement, soumettre les établissements publics à une seule autorité locale ; quatrièmement, évaluer chaque année l'organisation des services publics afin de l'adapter.

Depuis mon intervention, la situation a évolué. D'une part, monsieur le président du Sénat, vous nous avez annoncé, le 19 mars dernier, qu'un débat sur les services publics aurait lieu dans cet hémicycle d'ici à l'été. J'apprécie de constater que cette intention trouve aujourd'hui sa concrétisation. D'autre part, vous avez décidé, monsieur le ministre, de lancer une expérimentation sur l'offre des services publics dans trois départements, et je vous en remercie vivement.

Je crois devoir rappeler que, avec son avant-projet de loi sur le développement rural, le Gouvernement a pour ambition d'accroître l'attractivité des territoires ruraux.

La création d'activités nouvelles qui en résultera devrait renforcer la mise en place de services marchands de qualité. Mais le développement économique des territoires ruraux suppose un préalable : l'équipement de services de qualité modernes et accessibles à tous, accompagnés, bien sûr, d'une véritable politique de péréquation entre les territoires urbains et les territoires ruraux.

Aussi je souhaite, monsieur le ministre, que vous m'apportiez des précisions sur les modalités des expériences qui vont être menées en Dordogne mais également en Charente et en Savoie, et qui revêtent une importance toute particulière car elles permettront de généraliser sur d'autres territoires une offre nouvelle des services publics apportant une réponse adaptée aux besoins exprimés par de nombreuses collectivités locales.

Tout à l'heure, M. Gérard Larcher, a évoqué ce qui pourra se passer demain. Pour ma part, j'appliquerai le proverbe : « Aide-toi, le ciel t'aidera ». Nous sommes prêts à coopérer, à l'échelon des territoires. Dans le monde agricole, j'ai appris que, pour évoluer, il faut savoir faire de la coopération, c'est-à-dire monter des CUMA, ou coopératives d'utilisation de matériel agricole, s'organiser en GAEC, ou groupements agricoles d'exploitation en commun, et mettre en place des coopératives ; ce n'est qu'ensuite que l'on peut solliciter l'aide des pouvoirs publics. C'est dans cet esprit que nous allons travailler. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Henri de Raincourt. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, reconnaissons ensemble que, depuis de nombreuses années, la France rurale est la France oubliée.

Soyons francs et réalistes : il y avait de moins en moins d'habitants, de moins en moins d'électeurs. Doit-on en déduire que ce sont ces raisons qui ont empêché le monde rural de conserver sa vitalité, son dynamisme et sa parité sociale ? Pour ma part, je ne le pense pas. Depuis des années, on parle beaucoup de parité, on entend souvent dire que 80 % de la population vit sur 20 % du territoire. Au début du siècle dernier, comme l'a remarquablement exposé M. Gérard Larcher, c'était l'inverse : 80 % de la France était là où elle n'est pas aujourd'hui.

M. Gérard Larcher. Effectivement !

M. Jean Boyer. Mes chers collègues, la vie engendre la vie, mais le travail localise les populations. C'est lui qui retient au pays et qui engendre l'animation, l'existence d'une communauté de vie regroupant une population diverse et complémentaire. Mais tout cela n'est pas simple à réaliser. Quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous savons que les entreprises s'implantent là où elles veulent, et non où l'on souhaite qu'elles s'installent. Mais dépassionnons notre débat et, après la querelle des anciens et des modernes, ne créons pas une opposition entre les urbains et les ruraux.

M. Gérard Larcher. Très bien !

M. Jean Boyer. Avons-nous été assez courageux pour inciter certaines entreprises à s'implanter dans des communes rurales ? Avons-nous été capables de proposer la différence par des aides financières attractives ? Je ne le crois pas. On a certes établi des schémas, dressé l'état des lieux et délimité un zonage particulier. Très franchement, je crois que la culpabilité est collective et que les élus d'hier comme les élus actuels devraient reconnaître qu'il n'y a pas eu assez de décisions courageuses.

A-t-on porté suffisamment d'attention au monde rural afin que ceux qui y étaient nés puissent continuer à y vivre et à y travailler ? Je ne le crois pas. Tout d'abord, nos communes n'ont pas été suffisamment aidées, nous n'avons pas pris en compte l'espace à gérer. Il n'y a pas eu de mise en place d'un coefficient territorial réaliste et adapté. Comment une commune de deux cents habitants qui a l'obligation d'entretenir plus de vingt kilomètres de chemins ruraux ou de voies communales peut-elle dégager des moyens pour prendre des initiatives afin, notamment, de maintenir la présence des artisans ?

La France urbaine, je le sais, connaît, elle aussi, des difficultés, avec l'existence de friches industrielles souvent inquiétantes. Mais avons-nous accordé du crédit aux friches agricoles, qui, dans certains villages, représentent deux bâtiments sur trois ?

Aujourd'hui, ceux qui vivent dans ces villages, particulièrement les agriculteurs, s'inquiètent non pas de trouver des terres à exploiter, mais d'avoir des voisins avec lesquels échanger et vivre normalement.

Certaines prestations de services publics sont effectivement aujourd'hui assurées par des services privés, par des entreprises familiales, mais pour combien de temps encore ?

Alors que faire pour la France de demain ? Vous le savez tous, on regroupe les perceptions et les trésoreries ; les écoles publiques ou privées ferment ; on voit disparaître des classes ; on supprime des maternités. Tout cela a été dit. Depuis quelques semaines, la présence postale est souvent compressée. On accélère non pas la suppression des services postaux, mais la diminution de service.

Les gendarmeries, pour prendre un exemple qui me vient à l'esprit, se constituent en communautés de brigades. Cette évolution est certainement nécessaire, monsieur le ministre, mais, en pratique, elle se traduit très souvent par une réalité difficile. Les accidents n'ont pas obligatoirement lieu dans la journée. Or, en fin de journée, ceux qui assurent l'astreinte peuvent malheureusement se situer - j'ai des exemples concrets, y compris dans mon canton - à trente, voire à trente-cinq kilomètres du lieu de l'accident ou de l'incident. Il en est de même pour les services départementaux d'incendie et de secours. Comment peut-on parler de parité sociale quand un centre de secours se trouve à vingt kilomètres du lieu de l'accident ? La maison a le temps de brûler et la victime de mourir !

Monsieur le ministre, je ne suis que l'un des millions de ruraux qui, comme d'autres l'ont fait, souhaitent vous délivrer un message du coeur, vous lancer un véritable appel, parce que nous nous sentons désarmés.

Je sais qu'il est facile de dresser un constat et toujours difficile d'y apporter des solutions. Mais je voudrais que mon message soit collectif et que, majorité ou opposition, nous parlions d'une seule voix afin que, dans ces départements de montagne, on puisse garder l'espérance et maintenir une cohésion sociale.

Monsieur le ministre, vous avez reçu à plusieurs reprises la confiance des maires de France. Je suis de ceux qui, aujourd'hui - et je le dis non pas parce que vous êtes présent au banc du Gouvernement mais parce que c'est vrai -, ont confiance en vous et savent que vous ferez le maximum pour le monde rural. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. Jean-Pierre Godefroy. On verra !

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau.

M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, presque dix ans après le débat sur la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, présentée par MM. Charles Pasqua et Daniel Hoeffel, et dont notre collègue Gérard Larcher, président de la commission des affaires économiques, était le rapporteur, le climat a bien changé. Il n'est plus question de volontarisme pour le maintien de la présence des services publics sur l'ensemble du territoire, encore moins de reconquête des territoires ruraux délaissés ou des quartiers urbains désertés.

Le désengagement de la présence des entreprises publiques et des services déconcentrés de l'Etat est présenté comme une « nécessité » dictée par Bruxelles, la décentralisation et la réforme de l'Etat, selon les termes mêmes de l'auteur de la question M. Gérard Larcher.

Là où le Sénat avait imposé, à la suite de la mission François-Poncet, un schéma départemental des services publics, une étude d'impact pour chaque suppression projetée et le pouvoir de suspension dévolu au préfet en cas de contestation d'une décision, nous attendons vainement que le Gouvernement s'explique, qu'il fixe ses « objectifs » et une « méthode » alors que la nouvelle vague de fermetures ou de regroupements des sites se conjugue à l'affaiblissement, voire à la dégradation de la qualité des services en termes d'ouverture des bureaux ou de gamme de prestations.

C'est un recul généralisé qui s'accélère, même si, à cette tribune, unanimement, nous le déplorons.

La crise majeure qui secoue, en ce moment même, la fonction publique et le secteur public et nationalisé trouve, au-delà du problème aigu des retraites, sa source dans la conviction que la politique du Gouvernerment sacrifie délibérément les services publics d'Etat, ou nationalisés, se déchargeant sur les collectivités territoriales du soin d'atténuer l'impact négatif de cet abandon, sans se soucier de ce qui serait son corollaire : un transfert de dotation budgétaire pour compenser les charges ainsi créées et une péréquation généralisée des ressources pour égaliser les budgets entre collectivités riches et collectivités pauvres, comme le font notamment l'Allemagne et l'Espagne.

Dressons un premier bilan d'un an de gouvernement Raffarin : la fermeture, plutôt que la reconversion, des petites maternités et des cliniques polyvalentes s'est accélérée. Dans mon département, par exemple, nous nous battons durement pour que Lodève, sous-préfecture de 7 000 habitants, ne perde pas son unique centre de soins dont le potentiel en « lits » serait transféré à Montpellier. La reconquête des liaisons transversales, ou doublant de grands axes routiers par le chemin de fer, a été stoppée. Ainsi, l'engagement de l'Etat sur la desserte du Massif central par la SNCF - la ligne dite Béziers-Neussargues - est remis en question au détriment des communes desservies et du développement du fret ferroviaire, pourtant si nécessaire.

La fermeture des perceptions ou des trésoreries a repris à vive allure. Tous les personnels partant à la retraite ne sont pas remplacés, et ce sont des salariés moins formés ou vacataires qui, dans le meilleur des cas, leur succèdent.

La Banque de France s'apprête à fermer, dans l'Hérault, deux de ses trois succursales, celles de Béziers et de Sète, et, dans le Gard, celle d'Alès, au profit d'une implantation unique à Montpellier.

La Poste, quant à elle, est écartelée - nous sommes au moins d'accord sur ce point, monsieur Larcher ! - entre la nécessité d'équilibrer ses comptes, que plombent l'ouverture à la concurrence de la distribution du courrier, le développement du fax et de l'Internet, et la très forte demande des élus locaux en faveur du maintien du réseau d'agences et de bureaux de plein exercice sur l'ensemble de leur territoire. Or certaines catégories de la population des zones rurales et des quartiers urbains excentrés ou sensibles rencontrent désormais un problème majeur d'accès aux services financiers de base, dû au redéploiement des banques et à une sélection accrue de leur clientèle en fonction des revenus. Faisons un retour en arrière : qui aurait pu penser que le xxie siècle mettrait en cause le droit au compte et au chéquier que les CCP, les comptes chèques postaux, avaient inauguré à l'issue de la guerre de 1914-1918 ?

Telle est la liste non exhaustive des régressions en cours.

Mais le Gouvernement, porte d'autres atteintes plus insidieuses et sans doute beaucoup plus graves encore au service public, ce dont nos collègues maires prennent peu à peu conscience.

S'agissant de l'éducation, il tente de se décharger du poids budgétaire d'une partie des personnels tantôt sur les régions et les départements, tantôt sur les communes. Rappelons la suppression des aides éducateurs, et ce malgré l'aide précieuse que ces derniers apportent au bon déroulement de la vie scolaire, tout particulièrement au sein des collèges. Notons aussi le transfert des personnels spécialisés du second degré, qu'il s'agisse des personnels de l'enseignement technique, des personnels d'orientation ou de formation professionnelle.

Au-delà de la cassure opérée au sein de la communauté éducative - c'est un phénomène déjà grave en soi - se pose le problème de l'inégalité de richesse entre territoires.

A défaut d'une péréquation courageuse des ressources entre collectivités, le Gouvernement va aggraver les disparités déjà choquantes entre villes et villages, entre quartiers riches et quartiers pauvres, entre enseignement général et enseignement technique ou professionnel, entre universités et grandes écoles. Vous partagez d'ailleurs cette analyse, et vous avez eu l'honnêteté d'en faire état.

Selon vous, en effet, la décentralisation est porteuse d'inégalités nouvelles, et je reprends vos propos : « Quand vous donnez plus de libertés, les territoires les plus riches deviennent encore plus riches et les territoires les plus pauvres deviennent plus pauvres. » Vous ajoutiez, avec lucidité : « La péréquation est en panne ! » Raison majeure, monsieur le ministre, pour ne pas persévérer dans votre action et pour entendre le cri de colère des personnels de l'éducation nationale et des parents, qui occupent les établissements et défilent par centaines de milliers dans la rue. Un mouvement social profond, qui n'est pas seulement lié au problème des retraites, est en marche. Ecoutez-le et stoppez les mesures en cours avant même de parler de « l'avenir des services publics », comme nous y invite M. Larcher.

Cela est d'autant plus nécessaire qu'il s'agit non seulement de transfert, mais aussi d'une volonté moins clairement avouée de supprimer les postes d'enseignant pour l'accueil des enfants en maternelle dès l'âge de deux ans ; j'ai eu ici même tout récemment la confirmation de cette politique par votre collègue M. Darcos.

Evidemment, ce ne serait qu'une première étape et, progressivement, toute l'école maternelle serait sacrifiée, alors qu'elle fait la fierté de notre système d'enseignement et qu'elle assure le fondement de la cohésion sociale et de l'intégration des familles qui ne peuvent avoir accès à une assistante maternelle ou à une place en crèche.

Au moment où je vous parle, monsieur le ministre, l'école de ma commune est occupée par les parents et, hier, à Montpellier, plus de 20 000 manifestants ont défilé pour protester contre les mauvais coups portés au service public de l'éducation, qui doit rester national pour respecter le principe d'égalité entre les citoyens et entre les territoires.

M. Hilaire Flandre. C'est de la démagogie !

M. Gérard Delfau. Moins connu encore, mais tout aussi grave, est le transfert insidieux de la mission de sécurité publique, à la charge de l'Etat, aux collectivités territoriales, par le biais d'un élargissement des compétences des polices municipales, qui, selon le voeu de M. Nicolas Sarkozy, pourront se substituer de plus en plus à la gendarmerie et à la police nationale. Sans l'avouer - mais les maires doivent s'en rendre compte -, le Gouvernement a choisi de transférer aux communes, par étapes, les missions de police de proximité, réservant aux forces nationales la répression de la criminalité et du grand banditisme.

Ce glissement des tâches, s'agissant d'une mission régalienne de l'Etat, induit une conception fédéraliste de la République sans que soient mis en place les moyens financiers et les garde-fous législatifs qui permettraient d'éviter ce saut dans l'inconnu.

Le résultat de cette politique, sur le terrain, c'est l'étonnante attitude de certains officiers de police ou de gendarmerie qui, faute d'effectifs suffisants dans leurs unités, en viennent à reprocher à telle ou telle municipalité de n'avoir pas recruté le nombre de gardiens municipaux nécessaires pour assurer, malgré tout, la paix publique.

Ainsi les maires des communes pauvres sont-ils placés en porte-à-faux par rapport à la demande pressante de sécurité de la population et le retrait de l'Etat. La conséquence en est, d'une part, la généralisation de polices municipales qui patrouillent jour et nuit dans les communes dotées de ressources importantes et, d'autre part, la montée de la petite et moyenne délinquances dans toutes les autres collectivités. Telle est la réalité du terrain, malgré l'opinion flatteuse qui auréole encore, selon la presse, le ministre de l'intérieur, l'augmentation importante du budget national des forces de sécurité et de celui des prisons, et au moment où diminue le budget de l'éducation, ce qui est une première depuis longtemps !

Voilà, monsieur le ministre, ce que je voulais vous dire sur la situation présente des services publics. Leur avenir est bien sombre, à moins que le Gouvernement ne prenne la mesure de la colère des Français.

Soyez notre porte-parole au sein du Gouvernement, où la partie urbaine et riche de l'Ile-de-France est, comme d'habitude, bien représentée. Mais nous, nous représentons l'ensemble du territoire : dites à M. le Président de la République que la fracture sociale est à nouveau béante et que les inégalités entre les citoyens et entre les territoires s'aggravent de façon choquante.

Il faut surseoir aux mesures unilatérales de décentralisation, accepter de débattre d'une substantielle péréquation des ressources et revenir à un effort prioritaire en faveur de l'éducation. Telles sont les voies du retour à la paix sociale. Tels sont les fondements d'une réforme négociée des services publics que la France entière pourrait soutenir.

Quant à La Poste, ses missions ne pourront être maintenues que parallèlement à un élargissement de la gamme des prêts aux particuliers. Le ministre de l'économie et des finances est-il prêt à faire un pas dans ce sens ? C'est de cela qu'il faut parler, monsieur Larcher !

M. Gérard Larcher. On en parlera !

M. Gérard Delfau. Tout de suite, si vous le souhaitez ! Nous attendons vous et moi depuis si longtemps ! (Sourires.)

Chacun mesure à quel point la présence des services publics sur l'ensemble du territoire est un sujet sensible à chaque échéance politique. Le Gouvernement et la majorité qui y porteraient atteinte auraient à s'en expliquer devant les électeurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.)

M. Hilaire Flandre. C'est déjà ce qui s'est passé !

(M. Daniel Hoeffel remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. DANIEL HOEFFEL

vice-président

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yvon Trémel.

M. Pierre-Yvon Trémel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question orale de M. Larcher arrive vraiment à point nommé, tant l'actualité presse le Gouvernement et le Parlement de rendre plus lisible l'avenir qu'ils entendent réserver aux services publics.

Plusieurs orientations et plusieurs décisions annoncées par le Gouvernement viennent renforcer ce besoin d'éclairage, tandis que certaines prises de position de l'Union européenne et l'état des négociations au niveau de l'Organisation mondiale du commerce renforcent les interrogations et les inquiétudes.

Le débat très utile engendré par cette question orale se déroule à un moment où la France est secouée par des mouvements sociaux, dont le moteur est bien le devenir des services publics.

Ce débat se déroule au moment où le Premier ministre lance la préparation du budget de l'Etat pour 2004 et alors qu'il affirme que « l'Etat ne doit pas dépenser un euro de plus en 2004 », tout en poursuivant une politique de baisse des impôts. Parallèlement, le secrétaire d'Etat au budget affiche publiquement la volonté du Gouvernement de ne remplacer qu'un seul fonctionnaire partant à la retraite sur deux. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Notre échange a lieu alors que nous débattrons bientôt des lois organiques liées à la « grande réforme » voulue par le Premier ministre. Je parle de l'acte II de la décentralisation, aux termes duquel des agents en provenance des services de l'Etat seraient massivement transférés vers les collectivités territoriales.

Dans le même temps, la Commission européenne prévoit d'adopter le 21 mai prochain, c'est-à-dire demain, un livre vert sur les services d'intérêt général.

Ce document lancerait une réflexion sur le statut des services d'intérêt général - ce qui, dans le langage européen, signifie « services publics » - et sur leur rôle dans le modèle européen, après l'ouverture à la concurrence des industries de réseaux dans les domaines de la poste, de l'énergie, des transports et des télécommunications.

Toujours dans le même temps et dans le cadre des négociations multilatérales menées au sein de l'Organisation mondiale du commerce, l'accord général sur le commerce et les services, l'AGCS, vise à libéraliser tous les secteurs, à l'exception des services fournis dans l'exercice du pouvoir gouvernemental. L'intervention de l'Etat serait alors réduite à ses seules prérogatives régaliennes.

N'en jetez plus, la coupe est pleine !

Il est en effet urgent, dans un tel environnement, d'ouvrir de nouveau le débat sur l'avenir des services publics. C'est d'autant plus urgent que les élus de terrain que nous sommes sont les spectateurs quotidiens, année après année, d'une profonde remise en cause de la présence de l'Etat et de ses services sur le territoire.

Mais soyons encore plus concrets et prenons l'exemple d'un département. Vous ne m'en voudrez pas si j'évoque celui que je suis censé le mieux connaître : le département des Côtes-d'Armor.

Depuis le début de l'année 2003, la population costarmoricaine et ses élus ont pris connaissance des décisions suivantes.

S'agissant du Trésor public, toutes les perceptions comptant moins de trois agents seraient supprimées. Huit chefs-lieux de canton perdraient leur perception et une recette des finances serait appelée à disparaître.

Pour ce qui concerne la Banque de France, une succursale sur les deux présentes dans le département est supprimée. Ce sont au total sept implantations de la Banque de France en Bretagne qui vont être rayées de la carte.

En matière de police et de gendarmerie, un commissariat doté d'un effectif de cinquante-cinq personnes fermera ses portes en 2005 et une brigade de gendarmerie est supprimée.

Pour ce qui est de l'hôpital public, le service maternité d'un centre hospitalier d'une ville moyenne, géographiquement isolée, est condamné à fermer ses portes, alors même qu'il a fait l'objet d'une évaluation positive et qu'il répond aux normes de sécurité.

La direction départementale de La Poste a, pour sa part, lancé un important programme de restructuration de son réseau. Plusieurs bureaux de plein exercice sont concernés et il est projeté de les transformer en « agences postales communales » ou en « points de contact dans des établissements commerciaux ».

Cette évolution inquiète les élus locaux au point - et c'est un fait nouveau - que l'association départementale des maires propose la tenue d'états généraux du service public.

Nombre de nos collègues peuvent dresser le même constat dans leurs départements respectifs. Les multiples questions écrites ou orales qui ont été posées ces derniers mois au Gouvernement sur ce sujet reflètent bien le désarroi des élus face à ce mouvement de réorganisation des services. Ils évoquent en effet, quelle que soit leur sensibilité politique, le « démantèlement lancinant », l'« abandon des communes et des cantons ruraux ».

Le problème, nous le savons, n'est pas nouveau, mais les orientations du Gouvernement contribuent à mettre plus fortement en lumière les deux logiques qui s'affrontent : d'une part, la logique de la rationalisation des moyens exigée des responsables des services par le pouvoir politique, soucieux, en tant que gestionnaire, de gains de productivité et désireux de mieux maîtriser les dépenses publiques ; d'autre part, la logique du maintien de la présence de l'Etat sur tout le territoire, présence garante du respect de principes bien ancrés - égalité, proximité, attractivité.

Face à cette confrontation, les élus n'ont souvent d'autre choix que d'adopter des positions défensives, révélatrices, quel que soit le gouvernement en place, d'une grande incohérence : soit soutenir le Gouvernement dont ils se sentent proches, qui prend les décisions de fermeture, soit refuser ces décisions, à l'échelon local, lorsqu'elles concernent leur ville, leur commune, leur circonscription.

M. Larcher déclare : « Les structures de beaucoup de ces services publics vont devoir s'adapter. C'est une nécessité. » Mais il ajoute que cette adaptation ne saurait se traduire ni par une remise en cause de la qualité des prestations d'intérêt général rendues à nos concitoyens dans les zones défavorisées ni par un dépérissement de certains territoires.

Quant à M. le ministre, dont nous suivons avec intérêt les prises de position en réponse aux questions qui lui sont posées, il va sans doute nous proposer tout à l'heure de bâtir un nouveau contrat qui soit « gagnant-gagnant ». (Sourires.)

Nous sommes très attentifs aux propos de l'un et de l'autre. Il est deux points sur lesquels nous pouvons rapprocher nos points de vue.

D'une part, il convient de mettre au centre de la réflexion et de toute réorganisation des services publics l'usager, et non pas le service public lui-même.

D'autre part, nous avons l'« ardente obligation » de quitter des positions défensives et de bouger parce que le monde et la société changent, parce que de nouvelles technologies apparaissent, parce que les services publics ne sauraient échapper, comme toute organisation, à la recherche de la meilleure réponse à apporter à l'usager, de la plus grande efficacité au moindre coût.

Mais comment bouger ? C'est là que peuvent apparaître les divergences.

Deux préalables doivent être posés.

Premier préalable : du passé, ne faisons pas table rase ! (Sourires.)

Dans l'affrontement des deux logiques, nous ne partons pas de rien. Depuis une dizaine d'années, bien des réflexions ont été conduites ; nombre d'initiatives ont été prises.

Un rapide état des lieux permet de citer pêle-mêle : les schémas départementaux d'organisation et d'amélioration des services publics, les espaces ruraux pour l'emploi et la formation, les guichets initiative-emploi, les plates-formes de services publics, les maisons de services publics, les maisons de justice et du droit, le programme d'action gouvernemental pour l'entrée de la France dans la société de l'information, ou PAGESI, le développement de sites publics et des téléprocédures, les projets territoriaux de l'Etat, les commissions départementales d'organisation et de modernisation des services publics, et j'en oublie certainement.

Des évaluations de toutes ces initiatives ont été réalisées, et nous avons suffisamment de recul pour identifier ce qui marche comme ce qui ne marche pas, pour repérer les freins, les obstacles, les erreurs à éviter.

Je retiens, personnellement, que les succès dans la recherche de nouvelles relations entre les services publics et les usagers ont été obtenus lorsqu'il y a eu réellement analyse collective des besoins à satisfaire et mise en place d'un pacte de financement pluriannuel clair entre les partenaires.

Monsieur le ministre, nous aimerions savoir quelles leçons vous-même tirez de toutes ces expériences.

Deuxième préalable nécessaire : ne pas mettre la charrue avant les boeufs.

Il n'est pas possible de parler des services publics sans s'arrêter sur la définition que l'on entend donner du service public, sans clarifier les enjeux, les objectifs et les missions de service public.

Cela conduit à apporter des réponses à quelques questions fondamentales : quel Etat voulons-nous ? Quelle présence de l'Etat souhaitons-nous sur le territoire ? Qui doit assumer des missions de service public ? Dans quelles conditions et avec quel cahier des charges ?

L'exemple de La Poste, souvent cité, illustre bien la nécessité d'un cadrage préalable, faute de quoi tout dialogue avec son personnel, ses partenaires, ses clients, devient impossible pour l'opérateur.

Il n'est pas sérieux de préconiser de nouvelles formes de présence postale sur le territoire tant que le contrat liant l'Etat et La Poste, définissant la mission déléguée à l'opérateur, n'est pas connu, tant que ne sont pas révélés les moyens qui sont accordés pour cela à l'opérateur.

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. Pierre-Yvon Trémel. Nous restons tous trop flous dans notre approche des concepts de service public et d'accessibilité. Or, tant que ce flou subsistera, il sera difficile de dégager des critères et une méthodologie, car chaque détenteur d'une mission de service public, bloqué par les impératifs budgétaires, continuera d'avoir sa propre définition de l'accessibilité.

Ce débat nous donne l'occasion de vous entendre sur ce point, monsieur le ministre. Nous souhaitons que vous nous précisiez aujourd'hui quelles sont, pour vous, les missions de l'Etat, et dans quels domaines il doit être présent. S'agit-il seulement des domaines régaliens ? Quid des secteurs structurants qui sont au coeur du pacte social comme l'éducation et la santé, par exemple ? Sur quels principes se fonde votre conception du service public ?

Ces préalables fondamentaux étant posés, les réalités vécues dans un département très concerné, on l'a vu, par tout ce qui a trait à la réorganisation des services publics m'autorisent à livrer quelques réflexions.

Une nouvelle donne est à prendre en considération : celle du nouveau découpage territorial.

La présence des services publics doit bien, désormais, être abordée à partir des intercommunalités et, là où ils sont en place et bien vivants, des pays. Il s'agit tout simplement de s'organiser au niveau des nouveaux bassins de vie et d'être en mesure d'apporter des réponses différenciées.

Ce sont aussi les échelons qui permettent cette analyse des besoins des usagers, qui est fondamentale, et l'élaboration des projets nécessaires à toute refonte éventuelle.

Un mot est sur toutes les lèvres dès qu'apparaissent des projets de réorganisation : « concertation ». Tout le monde la demande, tout le monde affirme la pratiquer. Or nous constatons que le mot n'a pas, en réalité, le même sens pour tous les acteurs mobilisés.

La « concertation-bidon », la « concertation-caution », nous les connaissons et elles n'ont plus lieu d'être si l'on affirme être favorable à une démocratie vivante.

La voie, plus difficile, plus longue, de la participation des élus, des usagers à l'élaboration des réponses mérite d'être empruntée, à condition que soit identifiée dans la transparence la capacité à décider dans un délai annoncé à l'avance.

Cette participation n'est elle-même envisageable que s'il existe une information, une présentation des enjeux, le plus en amont possible de la décision.

Les technologies de l'information et de la communication sont également une chance à saisir pour établir de nouvelles relations entre les services publics et les citoyens.

Dans ce domaine, nous ne partons pas non plus du point zéro. La mise en oeuvre du programme d'action gouvernemental pour la société de l'information, lancé en 1998, la création récente de l'Agence pour le développement de l'administration électronique, permettent de percevoir, concrètement désormais, les convergences possibles entre le téléphone, l'Internet et les guichets pour l'accueil du public. Quelques administrations et collectivités territoriales ont, en outre, mené des expériences intéressantes et transférables.

Atteindre l'objectif visé suppose d'agir simultanément sur les trois leviers à actionner : l'offre, la demande et les outils.

Pour ce qui concerne l'offre, il nous faut, au travers de l'Internet à haut débit, proposer aux usagers des services publics tous les outils leur permettant de mieux connaître leurs droits, de préparer et d'effectuer en ligne leurs démarches administratives, de suivre leur dossier, de conserver, sous forme dématérialisée, les résultats de leurs démarches.

S'agissant de la demande, tant que, dans notre pays, le nombre d'internautes restera aussi limité qu'il l'est aujourd'hui, le développement des usages dans la relation entre services publics et usagers passera par la multiplication des points publics disposant de l'environnement indispensable : locaux accueillants et bien situés, accompagnement humain compétent.

Pour ce qui est des outils, je suis très étonné de constater que seuls quelques services - la plupart du temps, d'ailleurs, des organismes sociaux : ASSEDIC, CPAM, CAF - recourent actuellement à des moyens interactifs, qui sont d'ailleurs très performants ; je pense, par exemple, aux visio-guichets, qui permettent une relation interactive.

Un programme de soutien à l'investissement dans ce type d'outils et des plans de formation pour les agents mériteraient d'être portés par l'Etat.

Monsieur le ministre, quelles sont vos orientations en la matière ? Quelles propositions concrètes êtes-vous prêt à formuler pour donner une réelle impulsion à l'usage des technologies de l'information et de la communication dans les relations entre usagers et services publics ?

Le débat ne serait pas complet si nous n'évoquions les inquiétudes nées du contenu des négociations en cours dans le cadre de l'OMC.

Monsieur le ministre, nous souhaitons connaître votre analyse sur ce dossier et les initiatives qu'entend prendre le Gouvernement pour apporter au Parlement toutes informations utiles.

Nous voulons aussi savoir si vous êtes prêt à défendre l'adoption, proposée au Conseil de Barcelone, d'une directive-cadre sur les services d'intérêt général afin que puisse se mettre en place un droit autonome européen des services publics qui ne se réduise pas à des règles dérogatoires au droit commun du marché intérieur et de la concurrence.

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. Pierre-Yvon Trémel. Tous les événements récents nous montrent que la solidarité et la justice, l'égalité et la sécurité ne sauraient prévaloir grâce aux seuls mécanismes du marché.

Un nouveau besoin d'action publique, et donc d'Etat, est clairement et nettement exprimé.

L'usager placé au coeur du service public, les évolutions démographiques et sociologiques, l'amplification des progrès techniques, la construction européenne, la régulation mondiale, vos choix politiques, constituent un nouvel environnement et font apparaître de nouveaux enjeux. Face à ces enjeux, le service public doit à la fois préserver les acquis imprescriptibles de notre culture de service public qu'expriment ces fameux mots en « té » - égalité d'accès, garante de la cohésion sociale, universalité, garante de la cohésion territoriale, mutabilité, qualité, neutralité et continuité - et montrer sa volonté comme sa capacité de répondre à de nouvelles attentes.

C'est seulement à ce prix que seront réduites les fractures dont nous sommes les témoins : fractures territoriale et sociale, fractures numérique et civique.

Un Etat fort et présent financièrement - et pas seulement « passeur » de charges vers les collectivités locales - , une volonté politique clairement exprimée, une information mieux partagée, une concertation réelle, une nouvelle culture administrative : telles sont les conditions nécessaires pour qu'il soit possible de parler d'un avenir pour les services publics.

Les expérimentations lancées dans trois départements pilotes et l'expérience accumulée dans les autres départements vont nous donner l'occasion de mesurer la concordance entre les discours et les actes.

Ce débat, fruit d'une très bonne initiative, appelle d'autres rendez-vous tant le sujet est difficile, mais aussi éminemment politique, car il s'agit bien de la défense du pacte républicain, qui exige un renouveau de l'action publique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Murat.

M. Bernard Murat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le maintien des services publics en milieu rural est au coeur des préoccupations des élus locaux, car les territoires ruraux, pour exister pleinement à l'heure où tout s'inscrit dans une dimension internationale, se doivent plus que jamais d'offrir à leurs habitants des services de qualité, de manière à éviter la désertification.

Les services publics font partie du dispositif indispensable au maintien des populations rurales et conditionnent le développement d'autres activités économiques tout en constituant des gisements d'emplois pour les « ruraux », en particulier dans le domaine du tourisme vert. Nous le savons tous, les territoires qui se dotent d'un bon réseau de services aux personnes peuvent mieux que d'autres retenir leurs habitants.

Pour qu'une commune vive, il faut qu'il y ait une communauté, donc qu'existent des lieux de rencontre, de sociabilité, de vie commune. Maintenir une permanence physique locale du service public devient un objectif politique, sauf à renoncer à la démocratie de proximité telle qu'elle s'est historiquement développée dans notre pays, ainsi qu'à renoncer à l'aménagement durable de nos territoires.

Or, aujourd'hui, les problèmes les plus sensibles en zone rurale concernent le fonctionnement des écoles maternelles et primaires, des bureaux de poste, le maintien des effectifs de gendarmerie, des transports, de services de soins fiables, etc.

Toute fermeture de classe est ressentie dans les campagnes comme un traumatisme, car c'est de l'école que dépend souvent la décision des familles de s'installer ou simplement de rester dans la commune.

Par exemple, dans mon département, la Corrèze, mon collègue Georges Mouly et moi-même sommes régulièrement saisis par les élus de la suppression de certaines cabines téléphoniques, de l'adaptation des horaires d'ouverture du bureau de poste, de la délocalisation des facteurs, de la fermeture de classes maternelles ou primaires, et j'en passe...

Je citerai les noms de communes qui n'évoqueront pas grand-chose ici, mais je veux le faire parce que les maires me l'ont demandé : Saint-Germain, Saint-Robert, Neuvic, Beaulieu, Saint-Jal, Ayen. Toutes ces petites communes corréziennes, qui ont chacune leur histoire, ont été, parmi d'autres, touchées, au grand désarroi de leurs élus.

La seule justification de ce départ des services publics des zones rurales serait la réorganisation des services pour tenir compte d'une baisse de la démographie ou de la modernisation technologique.

Aujourd'hui, en toute occasion, les représentants de l'Etat incitent systématiquement les élus à se battre pour préserver le tissu économique rural. Quand ils ont dit ça, ils ont tout dit ! Mais quels sont nos moyens d'agir concrètement lorsqu'un artisan ou un commerçant décède ou décide de prendre sa retraite et que ces arrêts d'activité donnent des arguments aux administrations et services publics pour fermer classes, bureaux de poste, etc. ?

C'est donc un cercle vicieux, une spirale infernale que ces maires ruraux vivent au quotidien !

Les zones péri-urbaines sortent mieux leur épingle du jeu, au détriment, précisément, des zones les plus éloignées des principaux axes routiers.

La question est donc de savoir quel type d'activités économiques nous pouvons implanter et promouvoir dans les zones rurales. Quelles incitations peut-on trouver pour les futurs investisseurs ? Il est normal que l'Etat se modernise, mais il faut avoir le courage d'affirmer qu'une véritable politique de revitalisation passe par une péréquation inégalitaire en faveur des territoires ruraux.

Dans le même esprit, je propose d'installer des « zones franches rurales » et de développer tous les moyens de communication modernes, depuis le téléphone mobile jusqu'au haut débit.

Pour en revenir plus directement au service public - ou plus exactement au service qui était traditionnellement public -, je rappellerai que La Poste est entrée dans le domaine concurrentiel avec la loi de 1992 et que la masse salariale représente 80 % de son budget. Les marges de manoeuvre de l'entreprise La Poste sont donc extrêmement réduites au regard de la concurrence internationale.

Il convient de développer de nouvelles méthodes de maintien des services publics, faisant prévaloir une approche des véritables besoins des territoires et s'inscrivant dans une vision à long terme de leur développement, telle celle que font ressortir les contrats d'agglomération ou les contrats de pays.

De nouvelles solutions faisant appel à la polyvalence d'activités dans un même lieu et au partenariat entre public et privé pourraient être envisagées ; je pense au regroupement de services publics « sous un même toit ». Les maisons de pays et les maisons d'associations illustrent cette approche.

De nombreuses épiceries rurales britanniques abritent traditionnellement un guichet de poste, et la pharmacie la plus proche confie au commerçant local les médicaments commandés.

En France, il existe des points publics en milieu rural qui offrent essentiellement des prestations concernant le secteur du travail et de l'emploi. Depuis 1996, des maisons de services publics ont été créées à titre expérimental.

Pourquoi ne collaborerions-nous pas avec les chambres de commerce et d'industrie, qui pourraient mettre en oeuvre des partenariats en vue d'ouvrir des magasins où l'exploitation des services postaux deviendrait économiquement plus rentable, car jumelée avec la vente au détail de journaux, de tabacs, de produits de boulangerie, en particulier pendant la période estivale ?

Outre les services publics, on pourrait envisager de regrouper dans un même lieu des services au public proposés par des acteurs privés et professionnels libéraux. Ces « maisons » en milieu rural permettraient ainsi d'y maintenir tous les services de proximité qui sont utiles à la population : distribution du courrier et accès aux services associés aux nouvelles technologies seraient assumés par La Poste, informations et conseils sur l'assurance par les agents généraux, informations et conseils spécialisés par d'autres professions libérales et de services.

Malheureusement, monsieur le ministre, dans l'exercice de leurs missions, les structures polyvalentes rencontrent au moins deux problèmes majeurs. Le premier est d'ordre financier : les aides et les subventions n'ont aucun caractère d'automaticité. Le deuxième est lié aux ressources humaines, dans la mesure où les statuts très diversifiés des agents ne leur offrent aucune garantie de stabilité.

A ce sujet, monsieur le ministre, je tiens à vous dire combien, avec de nombreux autres élus locaux, maires et conseillers généraux, je suis choqué de constater que des fonctionnaires d'Etat trouvent dégradant de venir dans la fonction territoriale. Croyez-moi, les fonctionnaires territoriaux sont des gens d'aussi grande qualité que les fonctionnaires de l'Etat ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)

M. Gérard Larcher. Très bien !

M. Bernard Murat. C'est bien dommage, car ce mode d'intervention mériterait d'être développé : il répond en effet à une attente réelle et il préserve un principe fondamental, celui de l'égalité des usagers dans le cadre de la République.

Je sais, monsieur le ministre, que le comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire a dernièrement décidé de conduire des expériences d'organisation innovantes dans plusieurs départements. Il semblerait que, dans le projet de loi relatif au développement de l'espace rural que nous présentera prochainement le ministre de l'agriculture, certaines de ces pistes puissent être proposées.

En conclusion, je crois que les élus, quels qu'ils soient, doivent aborder l'avenir des services publics avec pragmatisme, en partenariat avec les acteurs locaux. Dans ce domaine, il est important que l'élu soit au centre des négociations et non pas toujours mis devant le fait accompli.

La notion de service public va devoir évoluer vers la notion de service au public, c'est-à-dire de service aux usagers. Je forme le voeu que la loi de décentralisation ait un effet positif pour la France en général et pour les zones rurales, qui en ont le plus besoin, en particulier, car il ne peut y avoir de politique si l'homme n'est pas au coeur de celle-ci. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Christian Gaudin.

M. Christian Gaudin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de la dernière assemblée générale de la Fédération nationale des maires ruraux, le 1er février 2003, Nicolas Jacquet, délégué général de la DATAR, se voulait rassurant sur la volonté politique de favoriser davantage la ruralité. Il annonçait notamment qu'il préférait voir une personne vendre dans une petite commune un billet SNCF, un carnet de timbres ou délivrer de l'argent auprès d'un service marchand qu'autant de personnes dans chacun de ces services respectifs au chef-lieu de canton.

Pouvons-nous espérer enfin une réelle volonté politique de sauvegarder les communes rurales pour préserver l'équilibre de notre territoire ?

Comme le rappelle M. Gérard Larcher dans sa question, la réorganisation en cours des services publics risque de se faire au détriment des zones rurales. C'est pourquoi l'ouverture à la concurrence de plusieurs secteurs impulsée par Bruxelles - je pense notamment à La Poste ou à la réforme de l'Etat - rend plus que jamais nécessaires la concertation avec les élus locaux, mais aussi la redéfinition avec les populations de la notion même de service public de proximité, en tenant compte des nouveaux comportements de la société.

Si le maintien des services publics est un problème crucial pour les habitants de ces zones rurales, il est tout aussi important pour eux de maintenir des commerces de proximité, en particulier des points alimentaires. Il est nécessaire de faire preuve d'innovation à cet égard.

Si le fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce, le FISAC, est une initiative louable, notamment pour les petites communes, il faut aller au-delà en s'appuyant sur l'intercommunalité. Je m'inspirerai d'exemples pris dans les départements de l'Aude et de la Manche. Face à la désertification rurale et à la fermeture des derniers commerces dans certains cantons, il a été décidé de créer, en s'appuyant sur les agences postales, des points multiservices qui permettent d'offrir aux habitants du canton des services marchands, par exemple une épicerie, un service de commande de médicaments, ou des services non marchands d'intérêt général. Les besoins étant différents dans chaque village, les points multiservices ont été conçus de manière souple afin de moduler l'offre de services.

Dans ces expériences, le rôle de l'intercommunalité a été déterminant. Cette initiative est exemplaire, car lutter contre la désertification des zones rurales, c'est avant tout maintenir les conditions nécessaires à une vie normale.

C'est pourquoi, monsieur le ministre, il me semble nécessaire de réfléchir à la mise en place de modes de soutiens nécessaires à ce type d'initiatives de services mixtes via l'intercommunalité de proximité.

La volonté politique, c'est d'abord une prise de conscience associée à des moyens. Je pense que les Français ont tout à fait pris conscience que les zones rurales constituent des lieux à vivre, et même à mieux vivre. Toutefois, assurer un minimum de services publics en facilitant notamment les points multiservices résulte davantage d'une volonté de sauvegarde, mais n'est pas suffisant pour instaurer la vitalité ou simplement l'attractivité d'un territoire. Seul l'emploi de proximité peut attacher et attirer une nouvelle population sur des territoires ruraux, ou tout simplement défavorisés.

Le principal objectif de la décentralisation doit être d'accompagner et d'impulser la croissance économique en dehors des pôles urbains. Depuis un siècle, les grandes révolutions industrielles ont souvent renforcé l'inégalité territoriale. Le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication, les NTIC, ne déroge malheureusement pas pour l'instant à la règle.

Ces NTIC présentent une structure comparable aux infrastructures de transport et elles sont aussi indispensables. Toutefois, elles sont flexibles et peuvent être implantées plus facilement. En améliorant les services et en développant de nouvelles fonctionnalités, les NTIC touchent tous les secteurs de l'économie. Leur implantation représente une réelle opportunité de développement économique, d'un développement qui doit être mis à la portée de tous.

Les réseaux de communication permettant l'accès à l'Internet rapide, le haut débit, sont devenus incontournables. Les services publics, comme les entreprises, ne seront compétitifs que reliés au haut débit. Assurons aux entreprises et aux services publics, sur tout le territoire et sans prendre de retard, la même chance de développement. Les communes rurales situées à proximité des pôles d'activité, même de taille réduite, pourront alors vendre leur qualité de vie.

L'égalité des citoyens face aux services qu'offrent les NTIC doit être assurée. Les échanges, commandes, conceptions de projets, facturations, inscriptions ou recherches parviendront, à Paris par exemple, dans les mêmes conditions et dans les mêmes temps, qu'ils soient réalisés à Marne-la-Vallée, sur les bords de Loire ou dans le Limousin.

La réorganisation des services publics ne constitue qu'un élément - certes vital, mais partiel - de l'enjeu que doivent relever les collectivités locales.

Monsieur le ministre, à l'occasion d'un colloque au Sénat, qui avait pour thème « Les enjeux du haut débit : collectivités locales et territoires à l'heure des choix », vous aviez, en conclusion des débats, non seulement résumé l'usage potentiel du haut débit dans une perspective territoriale, mais également soulevé les interrogations et les craintes éventuelles des collectivités locales. Ces dernières se voient confier un véritable enjeu : développer les services et l'économie sur l'ensemble de leur territoire en endossant le rôle nouveau d'opérateur, tout en garantissant une cohérence de leurs actions.

Si je comprends l'inquiétude des élus, je connais aussi leur capacité à se mobiliser. J'espère que les projets de loi qui seront prochainement examinés par le Sénat permettront de clarifier les objectifs et les possibilités offertes en matière de technologie, et surtout de prévoir l'accompagnement des collectivités territoriales qui devront assumer ces réformes.

Monsieur le ministre, faites des technologies de l'information une composante forte de l'aménagement du territoire, et donc un véritable service public de proximité. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après mon collègue Pierre-Yvon Trémel, je souhaiterais vous parler de l'avenir d'un service public en particulier, à savoir la Banque de France. Nous aurions pu décliner tous les services publics un par un mais, faute de temps, je me contenterai de n'en aborder qu'un.

Permettez-moi de vous faire part, monsieur le ministre, de mes inquiétudes et de celles de nombreux élus locaux à ce sujet.

Reprenons un instant la chronologie de ces derniers mois.

Octobre 2002 : premiers échos à propos d'un plan de restructuration dit « processus de réflexion et de concertation » - j'insiste sur ce dernier terme - « sur l'adaptation de son implantation territoriale » ; décembre 2002 : la direction de la Banque confie à son directeur général deux missions d'étude sur l'avenir de la Banque ; 7 février 2003 : publication des deux rapports Barroux et de leurs scénarii de restructuration ; 28 avril 2003 : annonce du scénario, choisi unilatéralement d'ailleurs, essentiellement départemental.

Moins de six mois pour sceller le sort de 115 succursales et 3 296 emplois, sans véritable concertation ! Des emplois qui, selon le gouverneur, seront supprimés sans licenciement. On pourrait d'ailleurs s'étonner de cette offre de départ en préretraite à des personnes qui ne l'ont pas demandé, au moment même où le Gouvernement entend prolonger la durée de cotisation pour les retraites ! L'OCDE s'inquiète de cette politique, estimant, dans le même état d'esprit, qu'on aura besoin dans le futur de plus de gens au travail pour supporter le poids de ceux qui seront à la retraite.

Nous sommes tous d'accord pour dire que la Banque de France a une mission de service public : ce rôle lui est d'ailleurs reconnu par le décret n° 601-2001 du 9 juillet 2001. En vertu de ce même décret, elle est donc soumise à des impératifs en termes d'aménagement du territoire.

La Banque de France fait ainsi partie de la liste des « établissements, organismes ou sociétés qui doivent élaborer un plan global et d'organisation » au regard de leur mission de service public. En l'absence de contrat de plan ou de service public, le décret n° 601-2001 prévoit bien que toute remise en cause des implantations territoriales de la Banque de France doit être précédée d'une étude d'impact.

Aujourd'hui, la Banque négocie un contrat de service public avec l'Etat. Depuis quand exactement, et selon quels termes ? Il est difficile de le savoir.

Un tel contrat soustrait donc la Banque de France aux obligations prévues par le décret du 9 juillet 2001, notamment à celle de réaliser une étude d'impact avant toute décision de réorganisation ou de suppression d'un service aux usagers.

Cette opportunité n'a pas, a priori, échappé aux services juridiques de la Banque de France, dont une note datée de 1996 relevait qu'avec un contrat de plan « il ne serait plus nécessaire de procéder à des études d'impact locales, études qui supposent la consultation de toutes les collectivités concernées ainsi que des préfets... »

Dès lors, on peut légitimement s'interroger sur le détournement de procédure que constituerait la conclusion d'un tel contrat de service public.

Monsieur le ministre, à la suite d'un courrier où je vous faisais part de cette interrogation, vous m'avez répondu qu'« aucun délai n'est imposé par les textes pour conclure un tel contrat » et que « la mise en chantier du contrat de service public n'a pu être engagée plus tôt du fait de contraintes particulières pesant sur la Banque de France, comme celles qui sont nées du passage à la monnaie unique ».

Soit ! Mais, je le réaffirme ici, tant que ce contrat n'est pas signé, les études d'impact doivent être réalisées.

M. Gérard Delfau. Eh oui !

M. Jean-Pierre Godefroy. Le contrat de service public ne doit pas se contenter d'entériner les décisions de la direction de la Banque, qui, selon moi, ne poursuit qu'une seule logique financière.

La négociation de ce contrat soulève, par ailleurs, d'autres interrogations. Il semblerait en effet, selon les indications d'un journaliste de la presse financière aux représentants syndicaux de la Banque, que le projet de contrat ait été entièrement rédigé par les services de la Banque de France et sous l'autorité de son gouverneur. Si tel est vraiment le cas, c'est inacceptable ! Qu'en est-il, monsieur le ministre ?

Il ressortirait également de ce projet de contrat que le périmètre des missions de service public qui seraient concernées par des obligations en termes d'aménagement du territoire serait restreint : surendettement, accès aux grands fichiers et exercice du droit au compte. C'est une vision a minima des garanties que vous entendez opposer à ce plan de restructuration !

Une étude juridique réalisée pour les syndicats indique d'ailleurs que, « si la loi prévoit une procédure particulière pour pallier l'absence de contrat de plan ou de service public, ce dans le but d'éviter la désertification en services publics de certaines régions, un contrat de service public ne peut pas, dans le seul but d'échapper à cette procédure, s'abstenir de régir l'ensemble des missions de service public imparti par la loi à cet organisme ».

Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous fournir des indications précises sur ce contrat en cours de négociation ? Pouvez-vous nous dire quelles missions sont concernées et quelles garanties sont exigées ?

Au-delà des problèmes juridiques que je viens d'évoquer - et qui ont leur importance dans la situation actuelle -, je veux vous rappeler l'importance du service public de la Banque de France dans de nombreuses villes moyennes.

La Banque de France est, à juste titre, considérée comme une institution majeure de la République. Au-delà des missions qui lui sont confiées dans le cadre de la politique monétaire et fiduciaire, elle rend des services irremplaçables à la collectivité nationale.

En assurant la responsabilité de la mise en circulation et de l'entretien des billets sur l'ensemble du territoire, elle garantit la confiance dans les billets et contribue à la sécurité des transports de fonds. Fermer une succursale, c'est transférer cette responsabilité aux transporteurs de fonds privés, qui auront plus de kilomètres à parcourir et qui devront réempaqueter la monnaie avant son transport, source d'insécurité supplémentaire. Qui plus est, la Banque de France est la seule à pouvoir encore collecter les francs, et je me suis laissé dire que ce n'était pas négligeable.

Les succursales de la Banque de France jouent depuis longtemps un rôle important au service du développement local et de l'emploi. Elles réalisent des expertises financières au service des collectivités locales, des entreprises et des bassins d'emplois, dont chacun s'accorde à reconnaître la qualité et la nécessité.

J'ajoute que la disparition d'une succursale de la Banque de France entraîne le plus souvent, au plan local - et au-delà des emplois directement menacés -, la fermeture de certaines agences bancaires commerciales et d'autres administrations.

En ce qui concerne mon département et la ville de Cherbourg, que je connais bien, ce mouvement est déjà amorcé puisque votre collègue M. Mer a, depuis, annoncé la fermeture du secteur de la direction départementale de la concurrence et de la répression des fraudes, la DDCCRF. La disparition d'une succursale est on ne peut plus préjudiciable au maintien des services publics et à l'activité économique et commerciale des zones concernées.

Mais la Banque de France s'est aussi vu confier par le législateur d'importantes missions au service de la cohésion sociale. Elle assure la gestion des fichiers d'intérêt général - fichier central des chèques, etc. - et, surtout, l'accueil des personnes surendettées comme le traitement de leur dossier. Elle remplit auprès de ce public fragile un vrai rôle de service social de proximité.

Le scénario retenu à la fin du mois d'avril - une succursale par département, essentiellement dans les villes-préfectures - ne tient absolument pas compte des réalités locales et d'aménagement du territoire. Les élus locaux de toutes tendances politiques, y compris vous-même, monsieur le ministre, en ont pourtant exprimé le souhait. Il est également l'expression d'une permanence centralisatrice se traduisant par le regroupement des services publics dans les agglomérations chefs-lieux de département. C'est pourquoi j'insiste sur la nécessaire réalisation des études d'impact locales, sous l'autorité des préfets.

Il est clair que la concertation annoncée en décembre par le gouverneur de la Banque de France est restée un faux-semblant.

A Cherbourg - on ne parle bien que de ce que l'on connaît ! -, la transformation de la succursale en un seul bureau d'accueil et d'information n'a pas de sens. Il faut rappeler que Cherbourg est le deuxième bassin de vie et d'emploi de la région Basse-Normandie, après Caen. La densité du tissu économique et la présence de grosses entreprises industrielles - la DCN, la COGEMA, avec l'usine de retraitement de La Hague, l'ANDRA, avec le site de stockage, la centrale EDF de Flamanville, la CMN, le port de commerce transmanche qui représente 1,5 million de passagers par an, derrière Calais, mais aussi le port de pêche, le port de plaisance qui est le premier port de passage de l'Hexagone avec Cannes, les industries laitières, les cultures maraîchères du Val-de-Saire, etc. - justifient largement le maintien d'une antenne économique.

Par ailleurs, le fait que la succursale traite la moitié des dossiers de surendettement du département justifie également le maintien d'un centre de traitement de ces dossiers.

Dans le schéma retenu par la direction de la Banque, l'accueil des personnes surendettées continuera de se faire à Cherbourg, avec un personnel réduit - deux personnes -, et les dossiers seront envoyés à Saint-Lô pour traitement. Les multiples allers-retours entre Saint-Lô et Cherbourg - soit 150 kilomètres - ne vont-ils pas ralentir la procédure et être très pénalisants pour les personnes concernées ? Le bassin de Cherbourg représente, je le rappelle, près de 40 % de la population du département ! Il aurait fallu imaginer l'aménagement du territoire avant de prendre les décisions, et il aurait fallu consulter les élus locaux !

La gestion de ce dossier semble échapper manifestement au Gouvernement. Est-ce volontaire, monsieur le ministre ?

Vous avez déclaré, à l'Assemblée nationale, que « la défense du service public n'est pas l'immobilisme ». Je suis pleinement d'accord avec vous. Vous avez également affirmé que « l'éthique des services publics n'est pas l'abandon des territoires ». Je suis encore plus d'accord avec vous. Mais prouvez-le ! Exigez du gouverneur de la Banque de France qu'il revoie sa copie et faites preuve de fermeté sur ce dossier en imposant une réelle étude d'impact, département par département, en consultant réellement les élus sur le terrain par la voie de la procédure prévue à cet effet. L'aménagement du territoire doit être non pas délégué aux directeurs régionaux de la Banque de France, mais bien aux préfets de la République, sous l'autorité du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Hérisson.

M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question posée par notre collègue Gérard Larcher démontre à l'évidence l'importance de ce débat, importance que les différentes interventions de cet après-midi attestent.

Pour ma part, je me pose les questions suivantes : quels services publics pour demain, quels en seront exactement les contours, qu'entendent nos concitoyens par « service public », et qu'en attendent-ils ?

Avant d'examiner dans le détail les différents domaines du service public, nous devons nous poser la question suivante : lorsque nous parlons, nous, les élus, de concertation, n'oublions pas de demander à l'ensemble de nos concitoyens ce qu'ils attendent demain du service public, car nous pourrions parfois, dans certains secteurs, être étonnés des réponses qu'ils pourraient apporter !

Je reprendrai la question de M. Larcher en m'arrêtant plus particulièrement sur les quatre services publics que sont le service postal, les communications électroniques, le service de l'eau et de l'assainissement, et l'organisation territoriale de la Banque de France.

Je m'adresserai à vous, monsieur le ministre, sous le regard vigilant du président Larcher, en tant que vice-président de l'Association des maires de France, mais aussi en tant que président de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications, fonctions qui traduisent une forme de continuité à l'égard du service public.

C'est la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications qui a proposé la mise en place des commissions départementales de présence postale territoriale. Il lui a fallu beaucoup de détermination, en 1998, pour soutenir que le plus important était non pas de s'attacher au maintien d'un bureau de poste déficitaire, mais de rechercher la manière de fournir à tous les services attendus à un prix abordable et avec une qualité acceptable par l'ensemble de la communauté nationale.

Nous devons répondre aux questions que j'ai évoquées sans démagogie, parce que nous avons le devoir d'assurer un accès égal de l'ensemble de nos concitoyens aux services publics.

Il a certes fallu essuyer quelques échecs, car trop d'élus locaux ont continué à privilégier le maintien dans des locaux propres voire la création d'une agence postale sans assurer à celle-ci un équilibre économique plus solide que celui du bureau de poste. Nous ne pouvons pas citer d'exemples de grandes réussites dans ce domaine.

Aujourd'hui, les mentalités évoluent rapidement : d'une part, l'intercommunalité facilite les partenariats ; d'autre part, les premiers résultats d'expérimentations engagées dans certaines communes pour valoriser les commerçants en place paraissent concluants.

Ces expérimentations permettent de mettre à la disposition du public des services postaux de base pendant les longues plages d'ouverture des magasins, souvent sept jours sur sept en milieu rural, en complément du service personnalisé « Allo-facteur » qui existe toujours.

La mise en route de ces nouveaux bureaux de poste me paraît bien plus facile que celle des maisons de services publics, qui étaient mal adaptées aux zones peu peuplées. Mais cela ne doit pas nous dispenser de mesurer attentivement le caractère durable de ces nouvelles conventions et la qualité des prestations offertes.

Les commissions départementales de présence postale territoriale avaient été mises en place pour aider un élu local à sortir « par le haut », selon la formule traditionnelle, d'une impasse dans laquelle il était engagé avec La Poste.

Je propose que ces commissions étudient la question de l'accessibilité des services les plus nécessaires aujourd'hui et recherchent les meilleurs partenariats. Je souhaite pouvoir compter sur vous, monsieur le ministre, pour qu'elles soient chargées d'élaborer les schémas de présence postale, en concertation avec les élus, les usagers et les clients, qui sont les premiers intéressés.

Des milliers de communes vivent sans bureau de poste. Mais je rappelle que, sur les 36 700 communes de France, 32 000 ont moins de 2 000 habitants et 10 000 ont des bureaux de poste. Par conséquent, plus de 20 000 communes n'ont pas, n'ont plus ou n'ont jamais eu de bureau de poste. Il faut le dire et s'en souvenir, non pour justifier des positions nouvelles, mais pour rappeler que la présence territoriale est ainsi depuis très longtemps. Elle relève d'une organisation qui, comme l'a rappelé M. Gérard Larcher, nous vient d'une autre époque, qui a eu ses mérites mais qui correspondait à une société complètement différente, beaucoup plus rurale.

La Commission supérieure du service public des postes et télécommunications, la CSSPPT, vient de rendre un avis sur le projet de régulation postale. Elle y réaffirme que seule La Poste sera en mesure de répondre à l'attente de nos concitoyens sur l'ensemble du territoire, à condition qu'on ne la charge pas de surcoûts injustifiés, discriminatoires vis-à-vis de la concurrence et insupportables pour ses clients, qui finiraient par ne plus avoir recours à ses services.

L'aménagement du territoire, c'est bien sûr la mission du Gouvernement, c'est celle du Parlement, c'est celle des collectivités territoriales. La satisfaction des clients, c'est la priorité de l'entreprise publique La Poste. Je crois qu'il fallait aussi le rappeler aujourd'hui.

Monsieur le ministre, je souhaite maintenant attirer votre attention sur la péréquation. Le prix du timbre, service universel, est le même, quelle que soit la distance parcourue sur le territoire intérieur par une lettre et quel que soit le point du territoire où elle a été déposée. Il s'agit d'une péréquation géographique. C'est le même prix partout pour le même service et pour des clients placés dans la même situation. Et si le même tarif est appliqué à deux entreprises envoyant le même grand nombre de lettres, il est cependant plus faible que le tarif appliqué à la lettre unique.

Au moment où La Poste s'ouvre la concurrence, ne jouons pas avec les mots sans en mesurer l'impact économique. Ne comptons pas déraisonnablement sur une péréquation qui ferait payer aux entreprises n'importe quel surcoût du service aux particuliers ou à la presse.

L'Etat, propriétaire de l'entreprise La Poste, doit lui permettre de se préparer à l'ouverture à la concurrence. L'absence des charges liées à l'aménagement du territoire ou au transport de la presse, que ne supportera pas, après-demain, une entreprise concurrente, lui permettrait d'afficher de meilleurs tarifs et d'écrémer les gros clients rentables. Ces charges doivent donc être compensées par des subventions, dont l'origine reste à déterminer, dès qu'elles dépassent les avantages retirés du maintien très provisoire d'un monopole déjà bien diminué.

M. Gérard Larcher, auquel la commission des affaires économiques a confié un rapport sur La Poste, nous soumettra prochainement ses propositions. Je souhaite qu'elles puissent être rendues publiques avant que le projet de contrat de plan entre l'Etat et La Poste ne soit soumis à l'avis de la CSSPPT.

Ce nouveau rapport sera certainement excellent, et je souhaite qu'il nous permette de conforter une position française aussi compatible que possible avec celle de nos partenaires européens.

Monsieur le ministre, il y a quelques années, lorsque l'on parlait du service public « à la française », nous observions parfois les sourires amusés, voire ironiques, de nos partenaires européens. Aujourd'hui, lorsque nous faisons la synthèse de l'évolution de l'ouverture à la concurrence, je crois que les services publics « à la française » non seulement ne font plus sourire, mais peuvent servir de modèle, bien sûr en les modernisant, bien sûr en les adaptant. Ils ne sont pas considérés comme à rejeter, contrairement à ce que certains imaginaient il y a quelques années.

On a parlé tout à l'heure à cette même tribune du flou de la définition de l'accessibilité. Ce ne serait sans doute pas une exception française que de poser une durée maximale de vingt minutes pour accéder à un service public. En outre, l'opérateur postal historique doit non seulement subsister, mais aussi pouvoir se développer, car la seule activité du courrier ne suffit pas à dégager les ressources nécessaires aux investissements. La Poste vit aujourd'hui difficilement les contraintes de l'ouverture à la concurrence de l'un de ses métiers.

La distribution du courrier est un métier en voie de diminution, et le facteur du troisième millénaire sera plus le facteur hertzien que le facteur à bicyclette. En effet, l'évolution et l'utilisation des nouvelles technologies auront un impact majeur sur l'évolution de l'organisation des services publics sur notre territoire.

Je voudrais maintenant dire quelques mots sur l'accès au service public des communications électroniques.

Si nous nous en tenons à la définition actuelle du service universel, l'équipement de la France en téléphone fixe de base est satisfaisant. Tous les pays européens ne peuvent pas en dire autant.

Mais, comme pour les bureaux de poste, il faudrait nous interroger sur la couverture en cabines téléphoniques installées sur le domaine public. La révision du service universel, prévu dans le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique, en sera l'occasion. Je voudrais saluer ici le travail de notre collègue Bruno Sido et ses propositions qui, je l'espère, pourront être intégrées dans ce projet de loi.

Je souhaite également la poursuite dans la voie de la modernisation par la transposition du « paquet télécom » européen.

Il nous faut aller plus loin. Vous et nous, monsieur le ministre, nous réclamons, comme un service public, l'accès au service GSM et au haut débit. Aidez-nous à inscrire dans la loi ce que sont des besoins suffisamment exprimés pour qu'ils puissent être considérés comme des services obligatoires. L'Etat aura alors la responsabilité de les mettre à la disposition de tous.

Devons-nous attendre une décision de la Commission européenne en faveur de l'inscription de ce domaine dans le périmètre du service universel ? Elle est au stade des incitations, des déclarations tendant à promouvoir l'usage du haut débit !

Nous attendons surtout, pour le milieu de l'année, selon un engagement du commissaire Erkki Liikanen, la publication des lignes directrices pour l'utilisation des fonds structurels européens.

Ces sujets-là ont également leur importance en termes de péréquation et de solidarité sur l'ensemble du territoire.

Monsieur le ministre, je vous demande de vous informer de l'avancement des réflexions de la Commission européenne dès que vous le pourrez, dès que vous en aurez une connaissance suffisamment précise et fiable.

Je souhaite aussi que vous nous annonciez les dispositions que vous comptez prendre pour que les crédits éventuellement mis à disposition des Etats membres soient effectivement utilisés en France, notamment là où la réorganisation des services publics est en jeu.

Vous allez pouvoir vous appuyer sur les facilités ouvertes par la décentralisation et l'intercommunalité. Vous aurez des interlocuteurs nouveaux dans les communes auxquelles de nouvelles fonctions d'acteurs des télécommunications vont être attribuées par une loi, dont Bruno Sido et moi-même seront les rapporteurs devant cette assemblée, dans quelques jours.

Pour faciliter cette modernisation des services publics, l'Association des maires de France vous demande d'ailleurs de clarifier, dans la loi sur les communications électroniques, la question de la propriété des infrastructures de télécommunication dans les opérations d'aménagement conduites dans les ZAC, les zones d'aménagement concertées, et les lotissements. Elle réitère aussi sa demande en faveur d'une meilleure transparence des opérateurs sur la localisation et la nature de leurs réseaux.

Il s'agit non pas de maintenir les services du passé, mais de former nos concitoyens à de nouveaux moyens d'accès à des services publics allégés, réformés, répondant à des besoins réels et actuels. Veillons aussi à garder la maîtrise de nos réseaux et de nos technologies de l'information qui relève, pour une partie, de la responsabilité de l'Etat, même en régime de concurrence ouverte.

J'ajouterai quelques mots sur la Banque de France pour saluer ici la position prise par l'Association des maires de France par la voix de son président. Selon lui, il fallait, à la faveur de la réorganisation du territoire, et sans s'engager obligatoirement dans les études d'impact, des analyses compliquées ou une concertation qui n'en finit jamais, que chaque département dispose d'une succursale, voire, à titre exceptionnel, de deux succursales dès lors que les enjeux le justifient, mais seulement dans ce cas.

Permettez-moi de dire également quelques mots sur les services publics relatifs à l'eau, l'assainissement, le traitement des déchets et, d'une façon générale, les services publics qui sont de la compétence des collectivités locales, plus particulièrement des communes, regroupées, pour beaucoup d'entre elles, dans l'intercommunalité.

Il faut nous interroger, en matière de services publics, sur une définition précise de la régie directe et de la gestion déléguée et voir comment nous pourrions accompagner et renforcer la maîtrise des coûts et des prix lorsque nos choix s'orientent vers la gestion déléguée.

En effet, si le fait d'externaliser un certain nombre de services à caractère industriel et économique facilite la gestion du budget d'une collectivité publique, encore faut-il que cette dernière soit sûre de maîtriser les coûts et les tarifs ! Dès lors que nous avons confié la gestion à un organisme extérieur, comment maîtriser finalement ce qui, selon la définition de la loi, n'est pas autre chose que le patrimoine commun de la nation : l'eau et la distribution de l'eau potable, qui seront, fort probablement, le principal enjeu planétaire du troisième millénaire.

Voilà, monsieur le ministre, brièvement résumées les quelques réflexions et interrogations que soulève le vaste débat suscité par l'aménagement du territoire et la place que peuvent occuper les services publics dans notre pays.

L'Europe nous impose de fixer le cahier des charges des entreprises qui sont soumises à la concurrence. Mais si nous donnons une définition suffisamment claire et transparente du service public et du service universel, je suis pour ma part convaincu qu'il peut fonctionner à la satisfaction générale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Georges Mouly.

M. Georges Mouly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet ne date pas d'aujourd'hui, mais il revêt aujourd'hui une acuité particulière. Je tiens donc à remercier M. Gérard Larcher d'avoir pris l'initiative de ce débat.

Assurer un traitement homogène et rendre un service de qualité à l'ensemble des usagers, quel que soit le territoire concerné, est une obligation d'équité. C'est ce qu'a déclaré M. le Premier ministre.

Le Gouvernement entend promouvoir le service, à la fois de proximité et diversifié, qui réponde aux besoins de la population dans les territoires ruraux. L'égalité d'accès au service public et une égale qualité dans le traitement des dossiers sont les principes mêmes dont la force nourrit les valeurs du service public.

Ces objectifs ambitieux ainsi ramassés en quelques formules doivent être atteints absolument ! Nous n'avons pas le choix, car nos concitoyens sont très exigeants, et à juste titre, en ce qui concerne les services de proximité.

Il s'agit là au demeurant d'un élément majeur d'une politique nationale respectueuse du citoyen.

Dans ce contexte, les décisions d'organisation non coordonnées prises par les organismes chargés d'une mission de service public ne sauraient que mettre en péril les dynamiques territoriales. Il convient au contraire de développer de nouvelles méthodes destinées à s'inscrire dans une approche à l'échelle globale d'un territoire.

L'objectif est que, sur un territoire donné, par exemple à l'échelle du pays, puisse se concevoir avec les différents acteurs, y compris les agents, un projet d'offre de services publics démultipliant l'accueil pour faciliter les démarches tout en rationalisant le traitement des demandes. L'usager est bien évidemment au coeur de cette démarche.

On ne saurait mieux dire, mais l'application n'en est sans doute pas si simple, les uns et les autres devant être animés d'une farouche volonté.

La première phase est celle qui consiste à faire le choix du territoire le plus opportun et à déplacer de ce fait le seul cadre communal. Ce n'est pas évident pour beaucoup d'élus et de nombreux citoyens, même si en aucun cas on ne saurait faire l'impasse, dans la phase de la recherche et de la réflexion sur le débat relatif à la place de la commune.

L'intercommunalité, chacun le constate, fait son chemin pour ce qui concerne les investissements. Le chemin est plus difficile pour les éléments de fonctionnement, tels les services publics. Les diverses formes d'intercommunalité sont trop souvent vécues, me semble-t-il, comme un empilement qui manque de lisibilité.

Il y a le pays, mais aussi la communauté de communes, les communautés d'agglomération, divers syndicats, les regroupements pédagogiques. En présence d'une telle diversité, pas toujours clairement perçue, il conviendra d'avancer avec une grande souplesse, monsieur le ministre.

Il faudra s'adapter aux réalités les plus évidentes sur le terrain. En tout cas, il ne faudra rien figer, rien imposer. L'adaptation est le mot fort en la circonstance, car il faut enfin admettre que l'organisation des services publics ne saurait rester en l'état ; il faut s'en convaincre et en convaincre les autres autour de soi, si besoin est.

La Banque de France, La Poste, l'école, pour ne prendre que quelques exemples, ne sauraient conserver, en 2004, le réseau d'implantation d'il y a cinq, dix ou vingt ans. C'est un dossier difficile en cet instant, tant il est vrai que le slogan « défense des services publics » cache à peine, bien souvent, la volonté de ne rien modifier.

L'information, la concertation doivent être larges. C'est le comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire, ou CIADT, du 13 décembre 2002 qui a décidé de relancer la concertation sur l'organisation territoriale des services et de conduire des expériences d'organisation innovante.

S'agissant de la nécessité de la concertation, comme l'a dit mon ami Bernard Murat, tout le monde est d'accord. Mais que se passe-t-il en réalité ?

Pas plus tard qu'il y a huit jours, j'ai reçu une lettre de cinq maires et de leur conseiller général dans laquelle ils écrivaient : « Informés du projet de regroupement des facteurs, nous protestons tous vigoureusement contre le départ du centre de distribution du canton et le manque d'information et de consultation des élus. »

Le regroupement des facteurs se justifie. Il a été réalisé ailleurs. En revanche, le manque d'information et de consultation n'est pas tolérable et est, pour le moins, maladroit. J'ai peine à croire que cela puisse encore se passer ainsi, mais c'est pourtant le cas.

En réponse à de nombreuses questions posées depuis des années concernant les services publics, il était fait référence, monsieur le ministre, à la commission d'organisation et d'amélioration des services publics. A ma connaissance, le fonctionnement de cette instance n'a pas été, à ce jour, souvent bénéfique. A cet égard, M. Gaymard a parlé d'une nécessaire évolution. Qu'en est-il aujourd'hui et qu'en sera-t-il demain ? Pour l'heure, le fonctionnement de cette commission n'est pas du tout satisfaisant.

Information et concertation sont des conditions indispensables en vue de l'organisation du service public. Cette organisation dans les zones faiblement peuplées nécessite donc des approches nouvelles. Elles seront construites, entre autres, sur les partenariats et la polyvalence des services.

Quel sera le cadre de ces partenariats ? Voilà qui nous renvoie à la question des structures, et je n'y insiste pas. Mais, de ce point de vue, comment ne pas se référer, même si ce n'est qu'un exemple, au réseau auquel les Français sont le plus attachés, le réseau de La Poste ? Bien que notre collègue M. Hérisson se soit brillamment exprimé sur ce sujet, j'aborderai la question, car je l'ai vécue sur le terrain.

Même s'il est nécessaire que son réseau évolue, La Poste reste bien, en milieu rural, le symbole du service public. Voici ce que j'ai lu sous la plume d'un directeur régional de La Poste : « Encore une fois, il faut redire que nous avons l'obligation légale de distribuer le courrier six jours sur sept sur tout le territoire. [...Mais] vouloir par exemple que tous les bureaux de poste de France soient ouverts aux mêmes heures est sans doute devenu une vision trop simpliste. » Contrairement à ce que pourraient penser certains, il ne s'agit pas de mettre à contribution les collectivités locales pour « monnayer » le maintien de La Poste. « Au contraire, poursuit ce directeur régional, nos propositions vont dans le sens inverse. » Et de mentionner le secrétariat de mairie qui, ici, a des heures libres, ou le commerçant avec qui, là, on pourrait passer une convention, pour conclure : « L'idéal serait de pouvoir ouvrir dans chaque commune rurale un guichet unique accessible. » Comment ne pas partager ce sentiment ?

Cependant, désireux d'approfondir ma connaissance de cet aspect des choses, j'ai étudié avec attention la convention portant organisation de l'agence postale communale.

Il est procédé à son article 5, intitulé « Rémunération de la prestation », à un calcul qui me paraît bien singulier. En effet, le premier paragraphe mentionne l'engagement de La Poste de verser à la commune « une indemnité mensuelle composée d'une part rémunérant le trafic réel de l'agence et d'une part complémentaire », cependant qu'il est question au septième paragraphe d'un engagement de « verser une indemnité mensuelle d'un montant équivalent aux charges de personnel jusqu'alors supportées par La Poste ». Vient alors la définition de la part complémentaire, « égale au montant global de cette indemnité diminué de la part liée au trafic ».

Trafic réel, charges de personnel, part complémentaire... J'avoue, monsieur le ministre, ne pas y voir très clair, voire ne pas comprendre. En réalité, je crains que les activités, qu'elles soient ou non incluses dans les « opérations postales », ne soient pas nettement définies dans la convention et que leur contenu ne soit même susceptible de varier selon l'issue des négociations engagées localement. Le partenariat, que chacun souhaite, manque à tout le moins de clarté !

J'ai cru pouvoir, dans l'attente du rapport qui a été évoqué tout à l'heure, m'attarder sur l'exemple de l'agence postale communale, qui me semble pertinent.

Pour ce qui est du partenariat entre La Poste et le commerce local, la possibilité de passer une convention de prestations postales avec un commerçant est-elle bien connue ? Je n'en suis pas sûr ! Un effort d'information doit être réalisé.

Après La Poste, on pense à l'école.

Le 6 mai dernier, M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire, a déclaré : « Notre politique est claire : nous voulons maintenir les écoles, même lorsque leurs effectifs sont faibles, parce que c'est une manière de maintenir un service public d'éducation proche des populations. »

Le débat doit bien plutôt porter sur l'accueil de la petite enfance, car l'école maternelle doit rester un lieu d'apprentissage scolaire et ne peut se contenter de suppléer à l'absence de structures de garde. Monsieur le ministre, je reviens ici sur un problème important que j'avais récemment abordé à l'occasion d'une question orale : la présence des enfants de deux ans dans les écoles maternelles en milieu rural.

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. Georges Mouly. La prise en compte de la scolarisation des jeunes enfants en milieu rural ne peut se faire que dans le cadre d'un schéma territorial concerté, encore une fois, à la définition duquel doivent participer l'inspection académique, les communes, les regroupements intercommunaux, le conseil général.

C'est dans cet esprit de partenariat que nous allons demander aux inspecteurs d'académie de préparer l'élaboration des prochaines cartes scolaires ; car nous en avons assez d'être mis devant le fait accompli lors de la préparation des rentrées scolaires.

J'en viens à un tout autre sujet : l'expérimentation. Il a été décidé au cours du comité interministériel de l'aménagement et du développement du territoire du mois de décembre 2002, le dernier CIADT, de conduire des expériences d'organisation innovantes dans plusieurs départements.

Je me permets de signaler que mon département est demandeur - mais il n'a toujours pas reçu de réponse à ce jour - et qu'il l'est d'autant plus que la décision y a été prise de créer en milieu rural des « maisons du département », lieux d'accueil et d'information sur les compétences du département où sont également organisées des permanences de service public : ce sont en quelque sorte des maisons de service public, dont vous reconnaissez vous-même, monsieur le ministre, que la création s'assimile trop souvent à un parcours du combattant. Dans mon département, elles existent, illustrant au moins en partie ce que peut être la polyvalence de services.

Ainsi, et ce sera ma conclusion, face à une inéluctable évolution des services publics s'affiche la volonté du Gouvernement d'assurer un traitement homogène de l'ensemble des usagers et de rendre un service public de qualité quel que soit le territoire concerné. S'impose donc une obligation d'équité, condition pour que le soutien au développement local, auquel les services publics doivent contribuer, soit efficace. Nous avons là, monsieur le ministre, un devoir de résultat.

C'est dire combien les décisions d'organisation ou de réorganisation doivent être coordonnées, à quel point une nouvelle méthode de réflexion doit être mise en oeuvre, dans un souci constant de concertation, de recherche du partenariat le plus opportun et de la polyvalence, chaque fois que celle-ci est possible, sans négliger l'expérimentation.

Vaste entreprise ! Mais, monsieur le ministre, vous en conviendrez, le temps presse. A défaut du Grenelle des services publics qu'évoque le président de l'Association des maires ruraux, l'Etat, responsable de l'aménagement du territoire et de l'indispensable politique de péréquation, doit lui aussi s'engager dans le processus de cette nécessaire réforme. Assurément, il saura y prendre toute sa part. Avec la décentralisation à venir, les services publics sont à un tournant que nous devons, monsieur le ministre, négocier tous ensemble. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne peux que me réjouir de l'initiative prise par le président du Sénat, M. Poncelet, et du souhait de M. Gérard Larcher d'ouvrir le débat sur l'avenir des services publics. En effet, comme l'indiquait M. Poncelet et comme l'ont rappelé les intervenants, le Sénat est le meilleur avocat des collectivités locales, qui sont, comme les services publics, au coeur du développement des territoires.

Je suis d'autant plus honoré de répondre à cette question orale que nous sommes dans le même temps confrontés à une formidable accélération non seulement des mutations économiques, mais aussi des mutations comportementales et sociétales. A l'évidence, nous devons répondre à ce type de défi non par le maintien des structures, mais par leur adaptation aux exigences nouvelles.

Puisque ce point a été abordé par un grand nombre d'orateurs, je réaffirmerai qu'il n'y a pas, d'un côté, les adversaires du service public et, de l'autre, ses défenseurs. Sans doute, des divergences se sont fait jour sur la réorientation du service public ; mais j'ai ressenti sur l'ensemble des travées un profond respect, que le Gouvernement partage, pour les agents du service public. J'ai souvent pris position pour refuser la critique systématique des fonctionnaires à laquelle se livrent certains ; il importe en revanche de critiquer systématiquement le système dans lequel ils se trouvent et dont ils sont quelquefois prisonniers. Car ce système perdure malgré son inadaptation aux exigences d'aujourd'hui, et nous sommes coresponsables de cette situation.

Avant de répondre à chacun des intervenants, je souhaite revenir sur la définition française du service public, qu'il est bon, à la veille de négociations internationales, de connaître avec précision ; car derrière cette notion se profilent nombre d'interrogations.

La définition française du service public distingue aujourd'hui très clairement entre les services publics non marchands - pour reprendre une terminologie mise à l'honneur à l'Assemblée nationale -, tels que la santé ou l'éducation, et les services publics marchands, tels que les télécommunications, les transports, les services postaux et la distribution de l'eau.

Aucune offre ni demande de libéralisation ne sera acceptée dans le domaine des services publics non marchands, et les offres de libéralisation pour les services publics marchands ne devront pas dépasser le degré de ce qui existe actuellement au sein du marché intérieur de l'Union européenne. Quant aux demandes de libéralisation à l'égard des pays tiers - question qui est au coeur du débat -, elles n'imposent en aucune manière le démantèlement ou la privatisation du service public et préservent tant le droit à réglementer que la liberté de définir un service public universel et minimum.

La fermeté de cette position garantit, selon moi, la préservation des intérêts français, car les négociations actuelles reposent sur le mécanisme des listes positive et des limitations de l'AGCS, mécanisme selon lequel aucun membre ne peut se voir contraint à privatiser un service public contre son gré ni à l'offrir à la concurrence. Chacun d'entre nous doit donc avoir une démarche pleinement responsable dans la détermination de ce que nous voulons faire, mais sans pour autant nourrir d'inquiétudes infondées.

Par ailleurs, il me semble que, lorsqu'il s'agit de définir le service public, nous souscrivons tous aux notions d'universalité, d'adaptabilité, de prix abordables, de péréquation tarifaire et de qualité. Nous devons bien évidemment nous interroger aujourd'hui sur l'adéquation et sur la nécessité d'une offre territoriale. Que nous le voulions ou non - plusieurs d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, l'ont évoqué -, nous sommes dans une logique de concurrence territoriale et de demande de consommation de territoire, que celle-ci émane des investisseurs, des touristes, des personnes âgées ou des jeunes.

L'offre et la demande doivent être en adéquation, et l'élaboration même de l'offre, si l'on veut qu'elle soit de qualité, doit tenir compte de la place, de la définition et du rôle du service public, qui doit être intégré d'une façon non plus cloisonnée, mais territorialisée.

Il me faut préciser quels sont les axes et les méthodes, puisque, de toute évidence, le débat porte aujourd'hui sur les objectifs, sur les méthodes et sur les moyens d'accompagner cette nécessaire évolution. Pour notre part, nous souhaitons très nettement distinguer - et je reprends souvent à ce sujet les propos de M. Hoeffel, président de l'Association des maires de France - la notion d'accessibilité de celle de proximité.

Nous entrons dans une société de l'intelligence où les infrastructures valent moins que les services qu'elles apportent. Il nous faudra donc conjuguer la notion d'espace et celle de temps, car la première attente de nos concitoyens, aujourd'hui, porte sur la facilité d'accès au service public, le traitement rapide des demandes, d'une manière sécurisée, sur le plan juridique et techniquement fiable ; on voit même apparaître des données nouvelles en matière de santé ou de protection. Tout cela nécessite probablement la constitution d'un service public - pardonnez-moi l'expression anglaise - « back office, front office ».

Comment améliorer l'accès au service public ? Comment, parallèlement, réorganiser des pôles d'intelligence administrative assurant une réponse de qualité ? Car, en matière de développement du territoire, un élément tout à fait nouveau a vu le jour : la pertinence ou la qualité d'une décision politique ne dépend plus seulement de la qualité de celles et ceux qui la conçoivent, elle est directement proportionnelle à la qualité de celles et ceux qui en permettent l'élaboration mais, surtout, l'application.

La répartition de l'intelligence administrative qui est à la disposition des acteurs locaux est donc devenue un réel enjeu dans le débat sur l'aménagement du territoire. La sécurité que procurerait la proximité physique d'un service qui, par ailleurs, ne s'acquitterait pas correctement de sa tâche serait donc un leurre, parce qu'elle masquerait une aggravation de l'inégalité entre les territoires. On ne peut donc imaginer un seul instant de conserver les architectures physiques passées, à l'instar des organigrammes d'armées qui restent identiques quels que soient leur champ d'action ou les défis à relever.

Nous sommes d'autant plus conduits à nous interroger que nous constatons que, dans certains pays au caractère fédéral très marqué, la répartition des pouvoirs entre les provinces et l'Etat central fait aujourd'hui l'objet de débats, la question centrale étant de savoir jusqu'où il ne faut pas décentraliser. La façon dont un virus a mis à mal le système de santé mondial est une illustration du fait qu'il y a des limites à ne pas franchir, sous peine de fragiliser les gestions nationales de la protection de la santé. On en trouverait un autre exemple dans les difficultés rencontrées pour mobiliser les moyens de lutte contre les pollutions maritimes.

Pourtant, il est clair qu'une concentration excessive des pouvoirs à l'échelon central favorise la mise en place de procédures pénalisantes en termes de réactivité et de mobilité, au détriment de la réponse de plus en plus rapide qu'attendent les acteurs économiques, pour qui le temps est un facteur d'efficacité et qui ne sauraient concevoir que cette accumulation permanente de procédures les contraigne à passer de plus en plus de temps à se concerter et de moins en moins de temps à décider. Les compétences sont donc moins bien utilisées, et il convient aujourd'hui que nous remédions à cette situation.

M. Gérard Larcher a souligné que rien ne peut se faire sans les élus locaux. C'est là une conviction forte que nous partageons. C'est pourquoi nous avons souhaité lancer des expériences pilotes dans trois départements : la Savoie, la Charente et la Dordogne. Nous envisageons d'ailleurs, monsieur Mouly, d'étendre le champ de ces expériences à la Corrèze, en réponse à une demande forte du président du conseil général, M. Dupont.

Aujourd'hui, nous sommes dans la logique d'une offre d'administration qui correspond à celle des structures telles qu'on peut les voir « d'en haut ». On peut certes en débattre, et certains d'entre vous l'ont fait, en particulier M. Gérard Delfau, qui, depuis plusieurs années, fait preuve d'une constance inébranlable.

Cette logique est extrêmement cloisonnée et empêche la mutualisation des compétences, qui sont simplement juxtaposées, ce qui conduit à des pertes d'énergie et de moyens tout à fait incroyables. Les administrations justifient même ce cloisonnement : il permettrait de se réorganiser et, quelquefois, de mieux partager le pouvoir. On s'aperçoit ainsi qu'une administration centrale est presque comme un général qui compte ses troupes et qui n'imagine pas un seul instant que l'on puisse lui enlever un fonctionnaire sur un territoire, même s'il n'exerce pas forcément une activité essentielle, pour le mettre à la disposition d'une administration voisine.

En réalité, ce qui compte, c'est le fait non pas tellement de passer d'une administration A à une administration B, mais de savoir si le territoire concerné a besoin de la mise à disposition d'une intelligence.

Pour les expériences pilotes que nous souhaitons mettre en place, nous donnons très nettement la consigne que l'élaboration de l'offre administrative obéisse à une logique rationnelle de développement du territoire. Car une logique purement défensive d'un service qui chercherait à retenir entre ses doigts le sable d'un déclin annoncé, et presque accepté par sentiment d'impuissance, rendrait un bien mauvais service aux territoires.

Pour notre part, nous estimons que le service public est une condition nécessaire, mais pas suffisante, à la lutte contre le déclin annoncé de certains territoires. L'argent public est destiné non pas à réduire un handicap, mais à accompagner une potentialité. Car chaque territoire, comme chaque individu, peut avoir un projet de développement.

Aujourd'hui, nous souhaitons mettre un frein à une utilisation aveugle de l'argent public. Il nous faut réfléchir à l'effet levier de l'usage de cet argent public sur le développement économique, sur le développement de la cohésion sociale et sur le développement du territoire.

On observe un éparpillement de l'argent public, parce que certains refusent de poser la vraie question : eu égard à l'objectif fixé, sont-ce les problèmes qui doivent s'adapter aux structures ou bien sont-ce les structures qui doivent s'adapter aux problèmes ? A chaque fois que nous posons la question au niveau administratif, on nous répond en invoquant un sentiment d'impuissance. Or, maintenant, nous demandons à l'administration de mettre son intelligence au service de la territorialisation de l'offre des services publics. On me dit qu'aujourd'hui on ne peut pas comparer un commerce et un bureau postal, voire une administration fiscale et un autre service, et ce pour des problèmes statutaires. Mais faire preuve d'intelligence, c'est savoir comment le faire et non pas pourquoi on ne peut pas le faire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. Gérard Larcher. Très bien !

M. Jean-Paul Delevoye, ministre. Ce que j'ai proposé dans certains départements fait tout simplement suite à ce que vous avez vous-mêmes relevé sur le terrain. Je suis allé, par exemple, dans une région qui était en train de mettre en place les maisons régionales de service public, alors que le département instaurait les maisons départementales de service public, que l'Etat était en train de réfléchir à la réorganisation de ses services publics et que les intercommunalités s'interrogeaient sur la rationalisation des services publics. Et dans les communes de ce département, nous aurions pu avoir une, deux, trois ou quatre maisons de services publics les unes à côté des autres pour mener éventuellement des politiques partagées.

Les expériences que nous mettons en place sont donc très claires. M. Vial, vice-président du conseil général, a très clairement interpellé le Gouvernement, car, depuis quelques années, il mène cette politique de réorganisation des services publics et, à l'évidence, son approche extrêmement pertinente de l'espace régional lui permet très concrètement de mener une réflexion sur l'espace départemental : quels sont les besoins du public en termes de services ? A partir de là, quelles sont les offres possibles de services ?

Dans cette expérience, nous souhaitons dépasser très largement le seul périmètre des services de l'Etat, c'est-à-dire intégrer l'ANPE, les ASSEDIC, La Poste, etc., tout ce qui, de près ou de loin, concerne le public. Il s'agit là d'une simple mesure de bon sens. De toutes les enquêtes que nous avons diligentées, il ressort que les services de l'Etat se voyaient reprocher la mauvaise qualité du service rendu tout simplement parce que la Caisse d'allocations familiales ne répondait pas au téléphone, ou bien en raison du délai trop long d'un autre service à satisfaire une demande, alors que l'Etat n'était pas responsable.

Par conséquent, aujourd'hui, dans ces expériences, il faut laisser une totale liberté aux acteurs de terrain : ce sont eux qui doivent organiser la construction de l'offre des services au public, et non pas l'Etat.

Par ailleurs, au sein du ministère de la fonction publique, nous devons faire en sorte que l'aspect statutaire ne constitue pas un frein à la mobilité ou à la mutualisation des moyens. Nous nous y sommes engagés !

Comme le fait M. Sido et comme le disait M. Hérisson, aujourd'hui, on doit distinguer l'accès au dossier de son traitement. L'émergence de pôles d'intelligence est parfaitement possible grâce aux nouvelles technologies. Lorsque le Trésor public rencontre une difficulté, il fait appel au Centre national de documentation du Trésor public. Et quand vous interrogez votre notaire sur une question juridique extrêmement difficile, il n'appelle pas son clerc : il interroge le Centre de recherche d'information et de documentation notariales, le CRIDON, qui se trouve à Lyon, et qui est disponible pour l'ensemble des notaires de France.

A l'heure actuelle, nous avons besoin de la bonne information, au bon moment, et au bon endroit. Trop d'information tue l'information ! L'éparpillement des services affaiblit la qualité des réponses attendues. Nous pouvons donc imaginer la construction pyramidale de pôles d'intelligence ayant la capacité d'irriguer toutes les préfectures, toutes les régions, ou seulement deux, trois, quatre ou cinq d'entre elles. A partir de ce moment là, nous sommes dans une logique d'offre de services publics eu égard à une demande territoriale qui correspond à un objectif politique : développer l'économie de ce territoire et assurer la cohésion sociale.

Dans dix ans ou quinze ans, si nous avons davantage la volonté d'accompagner les aides publiques en les globalisant, la réorganisation des services publics devra alors totalement correspondre à ces exigences nouvelles.

C'est important, car, si nous refusons de relever ce type de défi, la nature ayant horreur du vide, ce que nous ne ferons pas chez nous se fera forcément ailleurs et, demain, nous connaîtrons alors une situation totalement défensive. Je citerai un exemple, et MM. Pierre Hérisson et Gérard Larcher connaissent ce dossier mieux que moi : parce que nous n'avons pas voulu considérer La Poste comme un opérateur sur le plan européen, la poste allemande est devenue aujourd'hui l'un des plus gros opérateurs du monde, entraînant derrière elle toute une économie de services logistiques, ce qui risque de peser lourdement sur le marché européen. Avec la mondialisation et l'explosion des échanges, cette entreprise joue un rôle extrêmement important. En revanche, La Poste, elle, est restée sur la défensive, tout simplement parce que nous n'avons pas pris les décisions stratégiques qui s'imposaient.

Nous sommes donc très attentifs aux quatre expériences que nous allons développer. Les préfets recevront les instructions en la matière au cours des prochaines semaines. A l'évidence, nous sommes tout à fait déterminés à étendre le plus rapidement possible à l'ensemble du territoire toutes les évolutions nécessaires et à lever tous les verrous et toutes les interrogations qui subsistent.

M. Gérard Larcher a beaucoup parlé des hôpitaux et des écoles. Là aussi, la territorialisation des services publics - je le dis avec beaucoup de précaution - peut faire partie des expériences. Il est curieux qu'au moment où l'on se rend compte de la nécessité de mettre en oeuvre une territorialisation des services publics, chacun cherche à cloisonner d'une façon extrêmement forte son périmètre d'intervention sur le domaine public.

S'agissant des écoles, pour ma part, je ne suis pas du tout opposé - c'est plus une question que je pose -, le département payant les déplacements et l'Etat finançant les cours des professeurs, à ce que l'on réfléchisse à la mixité de ces fonds publics en vue d'améliorer l'offre éducative.

On observe, par exemple, d'une part, un vieillissement très important de la population et, d'autre part, des bâtiments scolaires quasiment remis à neuf par les collectivités locales depuis les lois de décentralisation de 1982. Ne peut-on imaginer que des collèges d'enseignement puissent aussi servir de lieux de formation professionnelle pour les artisans ou d'universités du troisième âge ? Pourquoi les bâtiments scolaires, qui sont vides pendant six mois de l'année, ne peuvent-ils pas être utilisés à d'autres fonctions que celles de l'éducation nationale ? Tout simplement parce que l'Etat l'interdit, alors que ce sont les collectivités locales qui payent !

Aujourd'hui, nous devons, dirais-je, oser l'impertinence. Nous éprouvons un sentiment d'impuissance face à la nécessaire rationalisation des services publics. Mais ne conviendrait-il pas de nous remettre en question en nous demandant si, tout compte fait, cette offre de service public ne pourrait pas être utilisée différemment ? Cette question, il faut nous la poser, à l'instar du ministre de l'intérieur, qui a procédé à la réorganisation des services de police et de gendarmerie.

Aujourd'hui, plus aucune question ne doit être taboue, même si les réponses sont peut-être complexes. Dans ce pays, nous avons le chic pour nous interdire a priori de nous poser certaines questions parce qu'elles sont forcément impertinentes ou qu'il est difficile, voire impossible, d'y répondre.

Si nous nous montrons incapables d'être compétitifs, si nous continuons à ne pas arbitrer, en termes budgétaires, entre les dépenses d'investissement et les dépenses de fonctionnement, et si nous nous contentons de subir le poids du passé, je crains que nous ne rencontrions quelques problèmes pour relever les défis de l'avenir.

M. Gérard Larcher a parlé de l'accessibilité ; il a fait référence à 1914 et à 2014. Je suis tout à fait d'accord avec lui.

Par ailleurs, certaines interrogations relatives à la notion de péréquation ont été soulevées. Je ne renie absolument pas ce que j'ai dit, monsieur Delfau ! Au contraire, cela me renforce dans mes convictions.

Notre pays oscille en permanence entre les concepts de liberté et d'égalité. Or, plus vous donnez de liberté, plus vous fragilisez le principe d'égalité. Les forts sont plus forts, les grands sont plus grands, etc., et je ne dis pas cela pour moi ! (Sourires.) Et plus vous respectez le principe d'égalité, plus vous freinez l'application du principe de liberté. Par conséquent, si nous sommes convaincus qu'il faut aujourd'hui doper la dynamique des territoires, il faut donner plus de liberté aux collectivités locales. Mais cela risque d'augmenter les déséquilibres entre les territoires.

En étudiant les effets des fonds structurels européens et des politiques de cohésion sociale, nous nous sommes rendu compte d'un paradoxe : alors qu'il y a une réduction des écarts de richesse entre les territoires, a contrario, on observe une augmentation de ces écarts à l'intérieur de ces pays !

Et dans les évolutions des territoires, on constate une réduction des écarts de revenu par habitant, tout simplement parce que ce qu'évoquait l'un d'entre vous, à savoir l'émergence d'un gain de pouvoir d'achat des classes moyennes par le travail en couple et la féminisation des fonctions, a conduit à l'éviction des centres-villes de cette classe moyenne, qui est allée habiter dans les zones périphériques, d'où le développement du rural péri-urbain.

On assiste donc aujourd'hui, sur l'ensemble du territoire, à une explosion des inégalités de proximité : dans le canton rural, il y a des écarts de richesse énormes d'un village à l'autre, et, dans une ville, entre un trottoir et un autre, on change de quartier.

Par conséquent, aujourd'hui, en termes d'adaptabilité des services publics, les notions de réactivité, d'accompagnement, de réduction des inégalités méritent un vrai débat. Le choix d'enseigner dans tel quartier plutôt que dans tel autre, les éléments de structuration, de sécurisation et autres nécessitent une lecture et un pilotage beaucoup plus fins, ce qui pose le problème de la territorialisation des politiques publiques.

Nous avons le souci - je m'adresse en particulier au président de la commission des finances, M. Jean Arthuis -, d'essayer de concilier le cloisonnement des logiques budgétaires avec la verticalité et l'horizontalité des moyens. Il nous faudra engager un débat de fond, afin d'éviter que l'on ne puisse se servir de la loi organique, qui présente l'énorme avantage de pouvoir procéder à l'évaluation des contrats d'objectifs, pour justifier l'incapacité de mutualiser des moyens sur un problème de territoire.

A cet égard, je fais confiance à la commission des finances du Sénat pour que nous puissions nous adapter. En toute logique, il nous faut raisonner en termes de gestion patrimoniale et de moyens, avec un bilan des actifs nets et des actifs bruts de l'Etat. Cette démarche nous permettra de moderniser les services publics et d'obtenir des locations ou des mises à disposition, avec une mutualisation des moyens sur le terrain.

Mme Beaufils, vous souhaitez profiter de ce débat pour évoquer ce qui, pour vous, constitue la nature même de l'économie publique par rapport à l'économie privée.

Personne ne peut vous reprocher d'avoir ce type de philosophie, auquel nous n'adhérons pas. Selon la logique qui est la vôtre, ce qui est public est forcément porteur d'égalité et ce qui est privé est nécessairement porteur d'inégalité. Les choses ne sont pas aussi dichotomiques !

Aujourd'hui l'Etat ne cherche pas à se défausser sur les collectivités locales s'agissant du respect des critères de Maastricht. Il s'agit là, en effet, tout simplement de l'addition de trois facteurs : les acteurs sociaux, les acteurs locaux et les acteurs de l'Etat, les trois étant liés.

Mme Marie-France Beaufils. Ce n'est pas notre lecture !

M. Jean-Paul Delevoye. ministre, Je m'en tiens à la lecture des critères du traité de Maastricht : la dette, les prélèvements obligatoires et le montant des dépenses publiques relatives aux trois acteurs, à savoir les dépenses sociales, les dépenses des collectivités locales et les dépenses de l'Etat.

D'ailleurs, si l'Allemagne rencontre, à l'heure actuelle, un certain nombre de difficultés par rapport au traité de Maastricht, c'est parce qu'elle connaît un déficit des acteurs locaux, un déficit de l'Etat fédéral et un déficit dans le domaine de la santé.

Aujourd'hui - je parle sous le contrôle de financiers -, nous devons mettre en place un contrat entre l'Etat, les collectivités locales et les acteurs sociaux pour respecter ces critères. On peut être contre le plafond fixé, mais c'est un autre débat. En tout état de cause, nous sommes dans une logique de prélèvement global s'agissant des acteurs publics sur le territoire. Nous avons donc l'obligation de conduire une réflexion commune aux trois acteurs concernés. Le fait de basculer d'un acteur sur l'autre ne nous permettra pas de régler le problème dans sa globalité.

Je ne vais pas ouvrir un débat sur les retraites ; nous aurons l'occasion d'y revenir.

Vous souhaitez un pôle public bancaire à but non lucratif. On peut avoir ce type d'idéal, mais je ne suis pas sûr qu'il soit compatible avec la réalité.

Dominique Mortemousque a très clairement interpellé le Gouvernement à plusieurs reprises s'agissant des expériences pilotes. Une expérience sera menée dans le département qu'il représente.

Pourquoi avoir retenu trois départements, et maintenant quatre avec la Corrèze ? Tout simplement parce que nous souhaitons avoir des évaluations comparatives.

En ce qui concerne la péréquation, je me suis souvent interrogé, avec MM. Gérard Larcher et Pierre Hérisson, pour ce qui est de la téléphonie mobile. A titre purement personnel - vous voyez toute la prudence que je mets dans mon propos -, je me demande si une taxation sur l'ensemble des flux de communication n'aurait pas permis de couvrir l'ensemble du territoire. Car ce qui est important, c'est non pas de distinguer une zone blanche d'une zone noire, mais de se dire qu'en tant qu'utilisateur du téléphone portable on ne subira pas une rupture de la qualité de service. En ma qualité d'usager, je ne verrais pas d'inconvénient à payer une taxe sur mes consommations, afin que le service soit identique sur l'ensemble du territoire.

Comme vous l'avez vous-mêmes bien compris, la téléphonie mobile et le haut débit sont l'un des facteurs importants du désenclavement des territoires. Nous avons pris un certain nombre de décisions. Un comité de pilotage sur la téléphonie mobile doit se réunir prochainement. Nous sommes aujourd'hui à même de pouvoir avancer. D'ici à la fin du mois de juin, nous devrions avoir arrêté la liste qui nous permettra d'enclencher la mobilisation des 44 millions d'euros prévus, de façon à aboutir très concrètement à un certain nombre de réalisations à la fin de l'année.

Le sénateur de la Haute-Loire, M. Jean Boyer, a plaidé pour la France rurale. Je crois lui avoir d'ores et déjà répondu sur les moyens que nous mobilisons pour tenter de remédier aux problèmes.

Monsieur Delfau, je connais votre engagement, votre motivation sur la problématique des pays. Je connais aussi vos réserves, notamment quand vous voyez une Ile-de-France riche...

MM. Jean-Jacques Hyest et Jean-Pierre Schosteck. Pas tant que cela !

M. Jean-Paul Delevoye, ministre. ... et une fracture sociale béante, par ailleurs. Je ne voudrais pas tomber dans ce cliché.

M. Jean-Jacques Hyest. Surtout pas ! (Sourires.)

M. Jean-Paul Delevoye, ministre. En effet, mis à part le département de M. Jean-Jacques Hyest, qui, bien évidemment, profite et de la richesse de l'Ile-de-France et de la beauté de la campagne, l'Ile-de-France souffre.

La France a besoin d'une Ile-de-France extrêmement compétitive.

M. Gérard Larcher. Exactement !

M. Jean-Paul Delevoye, ministre. Grâce à la DATAR et au débat que nous avons ouvert sur les infrastructures, nous devrions aboutir à une certaine complémentarité entre les régions, à condition, bien sûr, comme vous l'indiquiez, que nous sachions par la suite éviter ces fractures territoriales auxquelles nous sommes extrêmement sensibles, l'un comme l'autre, monsieur Delfau.

M. Pierre-Yvon Trémel s'est surtout interrogé sur la situation des succursales de la Banque de France dans les Côtes-d'Armor, sujet qu'il connaît bien.

Nous avons très clairement indiqué au Gouvernement qu'il devait y avoir maintien des prestations au public, à savoir les informations économiques. Nous avons des exigences très fortes en la matière. Nous souhaitons, là aussi, remettre l'usager au coeur du service public.

M. Bernard Murat s'est également très clairement exprimé en faveur du maintien des services publics et contre la désertification rurale, se faisant l'écho de la douleur de ces maires qui voient dans la réorganisation des services publics la menace de l'abandon de certains territoires.

Je connais cette problématique, notamment pour ce qui concerne l'école. J'évoquais tout à l'heure l'expérience pilote que nous allons lancer en Corrèze et qui permettra d'apporter des réponses en la matière.

M. Christian Gaudin a pris l'exemple du département de la Manche pour illustrer le développement des services marchands grâce aux points multiservices. Il s'inscrit totalement dans la réflexion qui est la nôtre.

M. Jean-Pierre Godefroy a beaucoup parlé de la Banque de France, nous livrant une chronologie très précise qui montre sa connaissance très profonde du sujet. Nous ne pensons pas qu'il faille des études d'impact, mais, dans le même temps, nous avons demandé au Gouverneur de faire en sorte qu'il n'y ait pas d'accroissement de la concentration. Autrement dit, tout ne doit pas forcément être localisé dans la ville chef-lieu. Au contraire, forts de la distinction entre pôle d'intelligence et pôle d'accès, nous pouvons mener une politique intelligente de l'aménagement du territoire.

M. Gérard Larcher. C'est important !

M. Jean-Paul Delevoye, ministre. Et, même s'agissant des hôpitaux, qu'évoquait tout à l'heure M. Larcher, nous devons concilier la nécessaire adaptation des maternités aux exigences de la sécurité avec le développement des services de proximité.

S'agissant, d'ailleurs, de télématique, moi qui ne suis pas technicien, j'ai pu tirer les leçons déjà très positives de l'expérience que nous menons actuellement en Aquitaine. Il s'agit de permettre aux radiologues de lire à distance des images de scanner, sans perdre de temps de consultation : les patients passent les examens dans les hôpitaux même éloignés et les radiologues interprètent les images depuis leur cabinet en ne perdant pas un seul instant. Le gain de temps est précieux, surtout dans un contexte de pénurie croissante de professionnels.

Nous voyons bien que les nouvelles technologies vont permettre un changement complet des pratiques professionnelles et la territorialisation d'un certain nombre de services de proximité, à condition, bien évidemment, que nous mettions notre intelligence au service d'une anticipation et d'une adaptation et que nous ne gâchions pas nos talents à conserver un présent qui, inéluctablement, sera battu en brèche par la réalité d'un avenir qui s'imposera.

M. Pierre Hérisson a proposé l'élaboration d'un schéma de présence postale. Nous sommes totalement dans cette logique-là. Je suis tout à fait prêt à intégrer cette dimension dans l'expérience qui sera lancée dans les quatre départements. Nous avons rencontré le président Bailly pour faire en sorte que les bureaux de poste soient un atout pour le développement du territoire et non pas une contrainte, même si cette charge ne saurait peser sur la seule entreprise. Nous avons très clairement affiché un certain nombre de cartes. Le temps doit remplacer l'espace en termes d'accès, en termes d'accessibilité. Nous devons, là aussi, réfléchir.

Monsieur Mouly, je crois avoir été au-delà peut-être de vos espérances en souhaitant que vous soyez récompensé des efforts que vous faites pour l'expérience pilote. C'est, ici, au Sénat, une marque de confiance supplémentaire envers un département qui a su montrer combien il était riche en talents pour aujourd'hui et pour demain. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. Nous avons eu un débat de qualité grâce à vous, monsieur le ministre, et à tous les orateurs, qui ont apporté des contributions utiles, intéressantes et constructives.

Qu'il me soit permis de remercier celui qui a pris l'initiative de ce débat, en l'occurrence, une fois de plus, M. Gérard Larcher. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Gérard Larcher. Merci, monsieur le président.

M. le président. En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

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SOUHAITS DE BIENVENUE

À UNE DÉLÉGATION DU VANUATU

M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir et l'honneur de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d'une délégation du Vanuatu conduite par son Premier ministre, M. Edward Natapei, accompagné de M. Serge Vohor, vice-Premier ministre et ministre des affaires étrangères, et de M. Posen, ministre des travaux publics et des transports, qui séjournent en France à l'invitation du Gouvernement français. (M. le secrétaire d'Etat, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)

Leur visite marque l'importance que notre pays attache à cet Etat du Pacifique, membre de la francophonie. Je vous rappelle les liens historiques que nous avons avec cet ancien condominium des Nouvelles-Hébrides et les relations privilégiées que nous entretenons avec lui à travers son plus proche voisin, la Nouvelle-Calédonie. Nous accordons beaucoup d'attention à ce pays, dont le développement est en cours.

Au nom du Sénat de la République française, je vous souhaite, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mesdames et messieurs les membres de la délégation du Vanuatu, une très cordiale bienvenue et je forme des voeux pour que votre séjour en France contribue à fortifier les liens et l'amitié entre nos deux pays. (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)

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APPLICATION DES PEINES

CONCERNANT LES MINEURS

Adoption des conclusions du rapport d'une commission

(Ordre du jour réservé)

 
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'application des peines concernant les mineurs
Art. 1er

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 291, 2002-2003) de M. Jean-Pierre Schosteck, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur la proposition de loi (n° 228, 2002-2003) de MM. Jean-Claude Carle et Jean-Pierre Schosteck relative à l'application des peines concernant les mineurs.

La conférence des présidents a inscrit cette proposition de loi à l'ordre du jour à la demande de la commission des lois et de M. Jean-Claude Carle, dans le prolongement des travaux de la commission d'enquête sur la délinquance des mineurs.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le 3 juillet 2002, la commission d'enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs rendait son rapport après avoir procédé à soixante-treize auditions et à quinze déplacements tant en France qu'à l'étranger.

Ces travaux ont permis à la commission, d'une part, de dresser un état des lieux assez complet des actions conduites pour prévenir et sanctionner la délinquance des mineurs et, d'autre part, de formuler de nombreuses propositions pour améliorer la situation.

Près d'un an plus tard, un grand nombre de ces propositions ont déjà été mises en oeuvre ; M. Jean-Claude Carle, qui était le rapporteur de la commission d'enquête, vous en parlera dans son intervention.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui a pour objet de mettre en oeuvre une proposition importante de la commission d'enquête, qui consiste à donner au juge des enfants une compétence pleine et entière en matière d'application des peines.

Pourquoi une telle proposition de loi ?

L'un des constats les plus frappants de la commission d'enquête a été celui de l'existence de discontinuités, de ruptures de suivi jalonnant le parcours des jeunes en difficulté ou des délinquants.

Cela commence parfois dès le plus jeune âge. Des enfants en grande difficulté, en souffrance, font l'objet d'un repérage précoce, mais l'absence de coordination entre les institutions compétentes conduit à une prise en charge très tardive. En bref, nous avons constaté qu'il manquait une sorte de « fil rouge » dans le suivi des mineurs.

Cette situation est encore plus critique lorsque les mineurs doivent faire l'objet d'une incarcération.

La commission d'enquête a estimé que l'enfermement des mineurs, qui est parfois nécessaire, devait être repensé complètement. On compte en permanence entre cinq cents et mille mineurs dans les établissements pénitentiaires de notre pays. Or l'incarcération des mineurs marque bien souvent la fin d'un parcours éducatif plutôt qu'une étape vers la réinsertion.

D'abord, les mineurs sont le plus souvent incarcérés en détention provisoire et non après un jugement. Le mineur est ainsi incarcéré sans savoir pour combien de temps ; plus tard viendra le jugement, au cours duquel la juridiction prononcera une peine couvrant la durée de la détention provisoire déjà effectuée. Un tel système, déjà peu compréhensible pour des adultes, l'est plus encore pour des adolescents.

Les conditions d'incarcération ne sont elles-mêmes pas satisfaisantes. Trop souvent, l'étanchéité entre les quartiers de mineurs des maisons d'arrêt et les autre parties de ces établissements est loin d'être assurée. Ainsi, beaucoup d'installations sont communes aux mineurs et aux majeurs, comme l'unité de soins ou le quartier disciplinaire.

Les activités éducatives demeurent souvent insuffisantes. Bien sûr, il y a des exceptions. Le centre de jeunes détenus de Fleury-Mérogis ou celui de Villepinte ont mis en place des parcours de détention allant de situations plus contraignantes à des situations moins contraignantes avec des allers-retours en fonction du comportement du mineur. Ce système n'est cependant possible que parce que ces centres de jeunes détenus disposent de locaux adaptés, qui n'existent pas dans la plupart des maisons d'arrêt.

L'incarcération marque surtout une rupture très importante dans le suivi du mineur. Lorsqu'un mineur est condamné à une peine exécutée en milieu ouvert, par exemple un travail d'intérêt général, le juge des enfants est compétent pour contrôler l'exécution de la peine. En revanche, lorsque le mineur est condamné à une peine d'emprisonnement, le juge des enfants n'est plus compétent ; c'est le juge de l'application des peines qui prend alors le relais et qui sera compétent pour décider éventuellement d'aménagements de peine, notamment la libération conditionnelle, les placements à l'extérieur ou les permissions de sortir.

Dans le même temps, le mineur, qui était en contact avec des éducateurs, perd ce lien en entrant en prison, car la Protection judiciaire de la jeunesse n'entre évidemment que très rarement dans les établissements pénitentiaires.

Ce système nous a paru contre-productif et antipédagogique. C'est pourquoi la commission d'enquête a formulé plusieurs propositions pour repenser l'enfermement des mineurs et, surtout, pour développer la notion de « parcours éducatif ».

La loi d'orientation et de programmation pour la justice nous a donné satisfaction en prévoyant la création de quatre cents places dans des établissements spécialisés. Monsieur le secrétaire d'Etat, nous tenons à saluer cette décision et nous vous faisons bien sûr toute confiance pour que ces établissements soient réalisés à la date prévue, afin que nous puissions fermer les quartiers de mineurs de certaines maisons d'arrêt dans lesquels tout travail éducatif est impossible.

Nous avons également proposé de permettre au juge des enfants de continuer à suivre le mineur délinquant, même en cas d'incarcération. Tel est bien l'objet de la présente proposition de loi.

La justice des mineurs est une justice spécialisée, sauf en ce qui concerne l'application des peines. Or il nous semble cohérent, en ce qui concerne les mineurs, que le même juge puisse suivre le mineur tout au long de son parcours.

Aujourd'hui, très peu d'aménagements de peine sont accordés aux mineurs. Cela tient notamment à cet enchevêtrement de compétences entre le juge des enfants et le juge de l'application des peines. Le juge de l'application des peines est compétent, mais il doit demander son avis au juge des enfants. Il paraît préférable que le juge des enfants, qui connaît le mineur, puisse être compétent en matière d'aménagement de peine.

Aussi Jean-Claude Carle et moi avons-nous proposé un dispositif prévoyant que, en cas de condamnation prononcée par une juridiction spcialisée pour mineurs, le juge des enfants exerce les attributions normalement dévolues au juge de l'application des peines jusqu'à ce que le condamné ait atteint l'âge de vingt et un ans.

L'âge de vingt et un ans nous a semblé approprié pour éviter un changement brutal de juge au jour de la majorité. Il paraît préférable de pouvoir prolonger la compétence du juge des enfants si la situation du condamné l'exige. La proposition de loi prévoit néanmoins que le juge des enfants peut se dessaisir au profit du juge de l'application des peines lorsque le condamné a atteint l'âge de dix-huit ans.

La proposition de loi permet également au juge des enfants de désigner un service de la Protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ, pour suivre l'exécution de certaines peines. Il s'agit d'une évolution importante, destinée à éviter que les mineurs ne perdent tout contact avec les éducateurs qui les ont suivis lorsqu'ils font l'objet d'une condamnation pénale. Cette mesure constitue un prolongement de la loi d'orientation et de programmation pour la justice, laquelle a prévu la présence d'éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse dans les établissements pénitentiaires.

Enfin, la proposition de loi prévoit naturellement que les juges des enfants devront visiter les établissements pénitentiaires de leur ressort, ce qui paraît logique s'ils deviennent compétents en matière d'application des peines.

La commission des lois a approuvé à l'unanimité le dispositif que je viens de présenter. Elle l'a toutefois légèrement modifié afin d'en renforcer la souplesse.

Le texte qu'elle vous propose, mes chers collègues, précise que, lorsque le condamné a atteint l'âge de dix-huit ans au jour du jugement, le juge des enfants ne sera compétent en matière d'application des peines que si la juridiction de jugement le décide. Je vous rappelle, en effet, que la compétence des juridictions spécialisées pour mineurs s'apprécie au jour de la commission du délit et non au jour du jugement. Ainsi, il arrive que des mineurs ayant commis un crime ou un délit à dix-sept ans soient jugés à l'âge de vingt ans ! Dans de tels cas, prévoir une compétence du juge des enfants en matière d'application des peines ne présentera que rarement d'utilité.

La commission des lois propose également de rendre applicable aux mineurs la mesure d'ajournement du prononcé de la peine assortie d'une mise à l'épreuve, qui peut présenter une grande utilité lorsque la juridiction souhaite prendre le temps de l'observation du mineur avant de prononcer une peine.

Telles sont, mes chers collègues, les principales dispositions du texte qui vous est soumis.

Cette proposition de loi renforcera la cohérence de la justice des mineurs. Son entrée en vigueur doit cependant être soigneusement préparée, car elle aura aussi pour effet d'augmenter les tâches des juges pour enfants.

Il conviendra donc que des moyens humains suffisants soient prévus pour que les juges des enfants soient en mesure de remplir leurs nouvelles obligations - tenue de débats contradictoires dans les établissements pénitentiaires, visite des établissements, participation aux commissions d'application des peines.

Par ailleurs, cette proposition de loi ne pourra être véritablement efficace que si elle s'accompagne d'un développement des possibilités d'aménagement de peine pour les mineurs : le nombre de places en semi-liberté pour les mineurs est insuffisant, de même que les possibilités de placements extérieurs.

Je crois profondément que le texte qui vous est soumis est utile : il vient compléter les nombreuses mesures que nous avons proposées et que le Gouvernement - dont je tiens à saluer l'attention qu'il a portée à nos travaux - a bien voulu reprendre dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation pour la justice.

Certes, beaucoup reste à faire en matière de prévention et de traitement de la délinquance, mais le chemin parcouru depuis un an et la discussion de cette proposition de loi montrent que notre travail n'a pas été totalement inutile. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement, sensible à l'évolution récente de la délinquance des mineurs, qui se caractérise par une augmentation significative du nombre des infractions commises et la précocité du passage à l'acte par les mineurs ou la particulière désocialisation de certains d'entre eux, a entendu y répondre de manière adaptée et a ainsi engagé l'indispensable réforme du droit pénal des mineurs.

La loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, que vous avez examinée et adoptée l'été dernier, a modifié de façon substantielle, dans son titre III portant réforme du droit pénal des mineurs, l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.

La loi a notamment élargi la gamme des mesures pouvant être prises par les juridictions spécialisées.

Elle a créé des centres éducatifs fermés pour les mineurs, comme le rappelait votre excellent rapporteur, où ceux-ci seront astreints à un « suivi éducatif et pédagogique renforcé ». Elle a également prévu des sanctions éducatives à l'encontre des mineurs âgés de dix ans ou plus.

La loi du 9 septembre 2002 s'est également attachée à renforcer la cohérence et la spécialisation des juges des enfants au cours de la phase d'application des peines.

De manière nouvelle, elle a introduit un article 20-9 dans l'ordonnance du 2 février 1945 qui tend à transférer au juge des enfants les compétences dévolues anciennement au tribunal pour enfants - cela correspond aux compétences dévolues pour les majeurs au tribunal correctionnel -, dont celle, notamment, de révoquer le sursis avec mise à l'épreuve, ce transfert de compétences s'opérant également en matière de sursis assorti de l'obligation d'effectuer un travail d'intérêt général.

Aujourd'hui, la compétence du juge des enfants en matière d'application des peines s'arrête cependant aux portes de l'établissement pénitentiaire, car il est chargé du seul suivi des mineurs laissés en liberté, le juge de l'application des peines prenant le relais pour le milieu fermé. Si ce dernier doit actuellement recueillir l'avis du juge des enfants chaque fois qu'il envisage l'aménagement de la peine privative de liberté, ce dispositif n'est pas totalement satisfaisant, comme vous l'avez excellemment dit, monsieur le rapporteur.

Répondant aux propositions de la commission d'enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs, dans son rapport déposé en juillet 2002 dont je veux à nouveau souligner l'excellence, MM. Carle et Schosteck ont souhaité, dans ces conditions, compléter l'article 20-9 de l'ordonnance du 2 février 1945 en vue de conférer au juge des enfants une compétence unique pour l'application des peines des mineurs condamnés, qu'ils soient libres ou détenus.

Les principes directeurs de l'ordonnance du 2 février 1945, notamment la spécialisation des juridictions des mineurs, sont ainsi réaffirmés avec vigueur.

Le texte retenu par la commission des lois introduit toutefois une plus grande souplesse dans le dispositif proposé en permettant à la juridiction de jugement de désigner de manière facultative le juge des enfants pour exercer les fonctions dévolues au juge de l'application des peines lorsque le mineur poursuivi a atteint l'âge de dix-huit ans au jour de la condamnation.

Ainsi, dès le prononcé de la condamnation, le juge compétent pour les modalités d'application de la peine sera clairement identifié : soit le juge des enfants par décision expresse, soit le juge de l'application des peines, le juge des enfants conservant toujours la possibilité de se dessaisir au profit du juge de l'application des peines lorsque les circonstances tenant à la personnalité du condamné ou à la durée de la peine l'exigeront.

Le caractère facultatif de la compétence du juge des enfants dans cette hypothèse permettra ainsi aux greffes des tribunaux pour enfants et aux juges d'absorber sans grande difficulté les nouveaux dossiers liés à ce transfert de compétences.

La compétence systématique du juge des enfants ne peut en effet se justifier que s'il s'agit d'assurer, dans la durée, un suivi effectif et continu des mineurs dans un véritable parcours éducatif de socialisation, y compris lorsque ces derniers sont incarcérés.

J'ai conscience que ce dispositif est de nature à renforcer la cohérence et l'efficacité de la justice pénale des mineurs et qu'il complète utilement la réforme initiée par le Gouvernement avec la loi du 9 septembre 2002.

Dans ces conditions, le Gouvernement se range à la position adoptée à l'unanimité par la commission des lois et vous demande de voter la présente proposition de loi, dont il vous remercie d'avoir pris l'initiative. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.

M. Jean-Claude Carle, Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, Clemenceau disait : « Si vous voulez faire quelque chose, faites-le ; sinon créez une commission. » Notre séance d'aujourd'hui montre qu'il arrive parfois que l'on fasse quelque chose en créant une commission.

Il y a un peu moins d'un an, la commission d'enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs rendait son rapport et dressait un état des lieux sans complaisance de la situation en matière de prévention et de traitement de la délinquance des mineurs.

Je rappellerai brièvement quelques éléments de cet état des lieux.

La délinquance des mineurs n'est pas un phénomène nouveau, mais la situation actuelle est préoccupante parce que cette délinquance est plus importante, plus violente et plus jeune.

En effet, les délits ont augmenté de 79 % depuis 1994, les actes avec violence ont été multipliés par dix en quatre ans et les jeunes qui les commettent ont, dans un cas sur deux, moins de seize ans.

Les mineurs délinquants connaissent souvent une situation familiale difficile - absence du père, relations conflictuelles au sein de la famille - et sont presque toujours en échec scolaire. Ils sont en mauvaise santé physique et psychique et font souvent une consommation importante d'alcool et de drogues, notamment de cannabis, considéré à tort comme une drogue douce. Même si l'accoutumance est lente, c'est une drogue très dangereuse.

La famille et l'école n'endiguent plus la délinquance. Tandis que de nombreux parents ont de grandes difficultés pour assurer l'éducation de leurs enfants, l'école n'est plus un sanctuaire à l'abri de la violence. A force de vouloir faire entrer tous les enfants dans un moule unique, l'école a fini par exclure plus gravement qu'auparavant une partie de ceux qui lui sont confiés.

La justice des mineurs n'est pas particulièrement laxiste, elle est erratique. Elle apporte bel et bien des réponses à la délinquance des mineurs, mais ces réponses ne sont pas claires, pas progressives, pas assez rapides et quelquefois elles ne sont pas mises en oeuvre. C'est un peu la politique de la « patate chaude », si vous me permettez cette expression : on se repasse non pas le bébé, mais le mineur délinquant.

Enfin, l'administration de la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ, qui est perpétuellement en réforme, semble néanmoins victime d'un inertie persistante, d'une crise de vocations et, en définitive, d'une véritable crise d'identité, donc d'une crise d'efficacité.

Face à ce constat, la commission d'enquête a formulé de nombreuses propositions organisées en dix grands principes que je rappellerai brièvement.

Premier principe : on n'agit bien que si l'on connaît bien. On a, il est vrai, une connaissance insuffisante de la situation puisque l'on estime que 80 % à 85 % des délits ne sont pas décelés par la police ou par la justice.

Deuxième principe : responsabiliser et soutenir la famille, notamment dans sa mission d'éducation et d'entretien de l'enfant.

Troisième principe : « Ouvrez une école, vous fermerez une prison », écrivait Victor Hugo. Cette phrase reste, me semble-t-il, d'actualité.

Quatrième principe : reconquérir un certain nombre de quartiers. La politique de la ville nécessite beaucoup de crédits et de moyens, mais les résultats enregistrés sont largement insuffisants, car les moyens mis en oeuvre sont trop complexes, inadaptés aux réalités. Nous avons ainsi recensé soixante-douze métiers d'animation différents et des coordinateurs ont dû être engagés, afin d'établir des liens entre ces différents métiers.

Cinquième principe : être impitoyable à l'égard des majeurs qui utilisent des mineurs pour commettre des infractions.

Sixième principe : en matière de justice, redécouvrir la dimension éducative de la sanction.

Septième principe : mettre en place des parcours éducatifs, mettre de la contrainte dans l'éducation et de l'éducation dans la contrainte, et retrouver cette dimension éducative de la sanction.

Huitième principe : au sein de la Protection judiciaire de la jeunesse, l'humain doit aujourd'hui l'emporter sur la bureaucratie.

Neuvième principe : établir des partenariats responsables avec les collectivités locales, notamment les départements, auxquels ont déjà été dévolues un certain nombre de compétences dans le domaine de la jeunesse.

Dixième principe : procéder à une évaluation à tous les étages, car l'ensemble du système, et particulièrement la PJJ, souffre d'un manque évident d'évaluation.

Près d'un an plus tard, un grand nombre de propositions de la commission d'enquête ont pu être mises en oeuvre, en particulier dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation pour la justice, grâce au soutien qu'a bien voulu apporter le Gouvernement à ces propositions.

Ainsi, pour réprimer efficacement le comportement des majeurs qui utilisent des mineurs pour commettre des infractions, nous avions proposé de supprimer la condition d'habitude nécessaire pour que le délit de provocation d'un mineur à commettre un crime ou un délit soit constitué, d'aggraver les peines encourues par un majeur pour vol ou violences en cas de participation d'un mineur agissant en qualité d'auteur ou de complice et, enfin, de combattre les filières d'immigration clandestine qui conduisent sur notre sol des enfants et adolescents exploités par des réseaux.

Toutes ces mesures ont été mises en oeuvre. Ainsi, pour lutter contre les réseaux qui exploitent les enfants et les adolescents, la loi pour la sécurité intérieure a créé des incriminations de traite des êtres humains et d'exploitation de la mendicité. Le ministre de l'intérieur a, par ailleurs, noué de nombreux contacts avec les pays d'origine des mineurs concernés, afin de rechercher des solutions en amont.

Pour améliorer le fonctionnement de la justice des mineurs, la commission d'enquête a formulé de nombreuses propositions.

Certaines tendent à élargir la gamme des mesures qui peuvent être prononcées à l'égard des mineurs de moins de treize ans pour prévoir la réparation, un éloignement de très brève durée, la confiscation des objets ayant servi à commettre l'infraction.

Une autre proposition vise à permettre le placement en détention provisoire des mineurs de treize à seize ans en matière correctionnelle, lorsque le mineur ne respecte pas les obligations d'un contrôle judiciaire ordonné par le juge.

D'autres propositions encore ont pour objet de créer une mesure de stage d'instruction civique qui pourrait être ordonnée par le parquet pour certaines infractions peu graves, ou d'accélérer les procédures en permettant au procureur de renvoyer un mineur, déjà connu de la justice, devant le tribunal pour enfants dans un délai de dix jours à un mois aux fins de jugement.

Enfin, une proposition vise à permettre le prononcé d'une amende civile à l'encontre des parents qui refusent de répondre aux convocations des magistrats.

Toutes ces mesures ont été mises en oeuvre dans la loi d'orientation et de programmation pour la justice, qui a notamment créé une procédure de jugement à délai rapproché.

Pour que l'incarcération des mineurs, lorsqu'elle est nécessaire, soit non plus une fin de parcours mais une étape vers la réinsertion, la commission d'enquête a notamment proposé de créer des établissements pénitentiaires spécialisés pour les mineurs, permettant une prise en charge éducative intensive pendant l'incarcération, et de faire du juge des enfants le juge de l'application des peines, y compris lorsque le mineur est incarcéré.

Monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement a décidé de créer 400 places dans des établissements spécialisés pour mineurs. Nous vous en remercions et comptons sur votre dynamisme pour que ce projet soit réalisé dans les meilleurs délais, et je pense en particulier au quartier Saint-Paul, à Lyon.

Quant à l'attribution au juge des enfants d'une pleine compétence en matière d'application des peines, elle fait l'objet de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.

D'autres évolutions, qui nécessitent plus de temps et qui ne sont pas toujours de nature législative, sont en cours et pourraient être mises en oeuvre dans le cadre de réformes plus globales.

Plusieurs propositions pourraient être mises en oeuvre dans le cadre de la nouvelle étape de la décentralisation. L'extension des compétences du service de la protection maternelle et infantile, la PMI, la clarification des rôles respectifs du juge des enfants et du service de l'aide sociale à l'enfance, l'ASE, pourraient en particulier faire l'objet d'expérimentations dans le cadre des possibilités ouvertes par la récente loi constitutionnelle sur la décentralisation.

De la même manière, la nouvelle étape de la décentralisation devrait favoriser la réforme de la politique de la ville souhaitée par la commission d'enquête du Sénat, qui demandait une simplification des objectifs, des méthodes et des programmes.

La rénovation des quartiers sinistrés devrait trouver sa concrétisation dans le projet de loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine qui devrait être prochainement présenté au Parlement.

L'amélioration de la connaissance de la délinquance des mineurs, qui faisait l'objet de la première proposition de la commission d'enquête, sera facilitée par la création, annoncée par le ministre de l'intérieur, d'un Observatoire de la délinquance.

La réforme de l'administration de la protection judiciaire de la jeunesse a été entamée et devra être poursuivie. D'ores et déjà, l'administration centrale a été réorganisée pour renforcer son rôle de conception et de pilotage. Par ailleurs, pour renforcer le suivi éducatif des mineurs, des éducateurs de la PJJ interviennent désormais régulièrement au sein des établissements pénitentiaires, conformément, là encore, au souhait de notre commission d'enquête.

La proposition de la commission d'enquête de renforcer les actions de sensibilisation aux dangers des drogues a trouvé un prolongement dans la création d'une commission d'enquête sénatoriale consacrée à la lutte contre les drogues illicites, présidée par Mme Nelly Olin et dont le rapporteur est M. Bernard Plasait. Cette commission devrait rendre son rapport au mois de juin.

Le bilan n'est donc pas médiocre. Beaucoup de choses ont déjà été faites ou sont en passe de l'être. Je tiens à remercier pour leur qualité d'écoute et leur disponibilité l'ensemble des ministres concernés, que Jean-Pierre Schosteck et moi-même avons rencontrés pour leur soumettre les propositions de la commission d'enquête. Cependant, comme l'a dit M. le rapporteur, beaucoup reste encore à faire.

Ainsi, dans le domaine de l'éducation, une action intense devra être menée pour que l'école ne soit plus un lieu d'exclusion de certains des élèves qui lui sont confiés. D'ores et déjà, certaines actions menées contre l'absentéisme scolaire ont été renforcées.

Il conviendra surtout de trouver les moyens pour briser l'humiliation ressentie par ceux qui ne parviennent pas à trouver leur place dans le moule du collège actuel : le collège unique ne peut plus être un collège uniforme ; il doit offrir à chaque enfant une vraie chance et des espaces de liberté. Sans remettre en cause l'obligation scolaire, il nous faudra trouver les moyens de valoriser l'intelligence de la main, l'intelligence du geste et des techniques, de matérialiser les métiers dans l'esprit des élèves pour favoriser une découverte plus précoce, mais non prématurée, du monde du travail. Je sais que le ministre de l'éducation et le ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire réfléchissent à ces questions. (Sourires sur les travées du groupe CRC.)

En matière de santé publique, notre commission d'enquête a constaté la grande misère de la psychiatrie de l'adolescent et a préconisé le développement de structures spécialisées en cette matière. Il est en effet effarant de constater que ce n'est que lorsqu'ils entrent en prison que certains mineurs ayant des problèmes psychiques graves rencontrent pour la première fois un psychiatre. Peut-être pourrons-nous aborder cette question dans le cadre du projet de loi d'orientation de santé publique qui devrait être prochainement présenté au Parlement.

D'autres propositions devront encore être concrétisées, en particulier la mise en place d'une politique d'éducation aux médias permettant aux jeunes d'être plus autonomes, critiques et responsables dans leur rapport à l'image. De même, dans l'action de responsabilisation des parents, la commission a proposé de rénover la tutelle aux prestations sociales pour que celle-ci revête une dimension éducative et ne soit pas seulement une sanction administrative mécanique des parents défaillants.

Monsieur le secrétaire d'Etat, le chantier est immense, mais nous avons la satisfaction de constater que nous avançons et que le travail du Sénat n'a pas été vain. Nous en avons une nouvelle preuve avec l'examen de cette proposition de loi, qui renforcera la cohérence de la justice des mineurs et contribuera à créer de véritables parcours éducatifs, qui sont la clé d'une amélioration de la prévention et du traitement de la délinquance des mineurs.

D'ores et déjà, une évolution positive doit être notée, grâce à la politique qui est aujourd'hui conduite. On a enfin cessé d'opposer stérilement l'éducation et la sanction pour rechercher des solutions globales, articulant l'éducation, la prévention, la sanction, la réinsertion, sans que l'une ou l'autre de ces actions soit considérée comme dominante par rapport aux autres.

En conclusion, qu'il me soit permis de citer la philosophe Hannah Arendt, pour qui « l'éducation est le point où se décide si nous aimons assez le monde pour en assurer la responsabilité, et de plus, le sauver de cette ruine qui serait inévitable sans ce renouvellement de jeunes et de nouveaux venus ».

Le groupe UMP votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, quelques mois après l'adoption de la loi d'orientation et de programmation pour la justice, qui a modifié un grand nombre de règles relatives à la justice des mineurs, il nous est aujourd'hui proposé de compléter le dispositif.

MM. Jean-Pierre Schosteck et Jean-Claude Carle l'ont rappelé, de nos jours, la délinquance des mineurs est un phénomène préoccupant : nous sommes confrontés à des délinquants plus jeunes, à des actes plus graves, à des faits plus nombreux.

N'ayons pas peur de dire ce qui est, non plus que de faire ce qui doit être fait, mais sans céder à la psychose. Les résultats de la dernière élection présidentielle ont montré que nous devions traiter sans crainte le problème de la délinquance des mineurs, tout comme d'ailleurs celui de la délinquance en règle générale. C'est notre rôle de parlementaires, d'hommes et de femmes politiques.

A cet égard, je tiens à mon tour à rappeler l'initiative sénatoriale qui a abouti à la mise en place d'une commission d'enquête sur la délinquance des mineurs : le rapport rendu public en juillet dernier a apporté de nombreuses informations utiles à une meilleure compréhension du phénomène.

Une grande partie des propositions formulées dans ce rapport ont d'ailleurs été reprises dans la loi d'orientation et de programmation pour la justice, et je voulais saluer, à cette occasion, le travail du président et du rapporteur de la commission d'enquête, MM. Jean-Pierre Schosteck et Jean-Claude Carle, qui sont également les auteurs de la proposition de loi qui nous est soumise ce soir.

Il nous est utilement proposé de compléter toute cette série de dispositions par une nouvelle mesure, absente de la loi d'orientation et de programmation, qui vise à conférer aux juges des enfants la compétence générale pour l'application des peines.

Avec ce transfert de compétences, le juge des enfants aura la possibilité d'individualiser la peine et de suivre le mineur jusqu'à la fin de son parcours judiciaire.

Il s'agit d'une très bonne idée : l'exposé des motifs le souligne à juste titre, cette disposition « devrait améliorer sensiblement la compréhension par les mineurs délinquants des décisions prises à leur égard » et elle « renforcera la spécialisation des juridictions pour mineurs ».

C'est un point important, car la spécialisation de la justice des mineurs est indispensable : la vocation du juge des enfants est différente de celle du juge pénal en général.

Le juge des enfants doit remplir une mission éducative parallèlement ou complémentairement à sa fonction répressive ; il doit prendre chaque mineur individuellement, connaître son entourage familial et son environnement pour tenter de comprendre son geste, ses comportements violents et pénalement répréhensibles.

Il nous faut défendre ce particularisme de la justice des mineurs parce qu'il est essentiel à la mission de celle-ci et à sa réussite. C'est pourquoi nous devons nous interroger sur les conséquences de la présente proposition de loi.

Si le transfert de cette nouvelle compétence au juge des enfants s'accompagnait en pratique d'un dessaisissement de ses compétences en matière de protection de l'enfance et d'action éducative, nous ferions une grave erreur, car nous affaiblirions le juge des enfants. Or, c'est sa double casquette qui fait la force de la justice des mineurs en France.

Il ne faut pas, faute de leur donner les moyens et le temps nécessaire, que l'on spécialise ces juges en « super Zorro » de la justice des mineurs. Le message ne passerait pas auprès des jeunes et il serait vain de prétendre atteindre l'objectif très louable, et loué par tous, du présent texte.

En qualité de parlementaires, nous devons donc défendre l'ensemble cohérent que constitue la juridiction des mineurs, défendre cet équilibre des fonctions entre l'action éducative et l'action répressive.

La commission d'enquête a souhaité, à juste titre, que de « véritables parcours éducatifs puissent être mis en place et qu'une continuité soit assurée dans le suivi des mineurs délinquants ».

La présente proposition de loi a ce même objectif et c'est pourquoi le groupe de l'Union centriste et moi-même sommes favorables au transfert de compétences qu'elle prévoit. Mais, je le répète, il est nécessaire d'accompagner cette proposition de loi d'une augmentation des moyens, notamment des effectifs, consacrés à la justice des mineurs.

Les délais de traitement des affaires sont d'ores et déjà très longs, trop longs. N'aggravons pas la situation par ce transfert de compétences. L'inconvénient matériel ne doit pas être utilisé comme un argument pour dessaisir le juge des enfants de ses compétences en matière de protection de l'enfance.

Monsieur le secrétaire d'Etat, je serai d'autant plus favorable à cette proposition de loi que vous nous apporterez l'assurance que l'augmentation des effectifs et des moyens sera poursuivie.

Nous savons quels efforts sont réalisés depuis quelques mois : les budgets comme les effectifs ont augmenté. Cependant, parce que nous sommes convaincus que la réussite de la nouvelle mesure passe par une prise en charge matérielle, nous nous permettons d'insister.

La position du groupe de l'Union centriste est donc la suivante : oui, le suivi des mineurs délinquants est une nécessité ; oui, le texte proposé par MM. Jean-Pierre Schosteck et Jean-Claude Carle est excellent ; mais nous devrons veiller à ce que le transfert de compétences ait pour effet non pas de réduire la spécificité du juge des enfants mais bien au contraire de la renforcer. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle André.

Mme Michèle André. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la violence à l'école, les incendies de voitures dans les quartiers et la multiplication des actes d'incivilité se conjuguent pour donner naissance à une « peur des jeunes », relayée par une médiatisation plus ou moins sepctaculaire de ces phénomènes.

La délinquance des mineurs, sujet de préoccupation des gouvernements successifs, a été l'un des enjeux de la campagne présidentielle de 2002.

Cette représentation de la jeunesse n'est pourtant pas nouvelle. Au xixe siècle, la jeunesse était perçue comme un groupe social instable et potentiellement dangereux. Ainsi, en 1922, Emile Garçon, dans son manuel de droit pénal, écrivait : « Quoi qu'il en soit, le problème de l'enfance coupable demeure l'un des problèmes les plus douloureux de l'heure présente. Les statistiques les plus sûres comme les observations les plus faciles prouvent, d'une part, que la criminalité juvénile s'accroît dans des proportions fort inquiétantes, et, d'autre part, que l'âge moyen de la criminalité s'abaisse selon une courbe très rapide. » Quoi de plus actuel ?

Souvenons-nous également de la crainte qu'inspiraient dans les années cinquante les bandes de « blousons noirs » puis, plus tard, les « loubards ». Quelles qu'en soient les causes, cette délinquance est le signe d'un échec de la socialisation.

M. Lionel Jospin avait engagé, en 1998, une réflexion en profondeur sur la délinquance des mineurs qu'il avait confiée à nos collègues de l'Assemblée nationale, Mme Christine Lazerges et M. Jean-Pierre Balduyck, et qui avait abouti à la rédaction d'un rapport.

Notre assemblée, quant à elle, a présenté en 2002, sur le même sujet - vous y avez tous fait allusion - le rapport de la commission d'enquête que vous présidiez, monsieur le rapporteur, rapport également porteur de suggestions intéressantes.

Par ailleurs, deux rapports parlementaires, l'un de M. Louis Mermaz à l'Assemblée nationale, l'autre de notre collègue Jean-Jacques Hyest, relatifs à l'administration pénitentiaire, ont fait état des mauvaises conditions de détention des mineurs au sein des établissements pénitentiaires.

Les deux rapports consacrés à la délinquance des mineurs avaient démontré le bien-fondé de l'ordonnance de 1945, véritable charte de l'enfance délinquante, texte remarquable qui prévoit un panel de sanctions pouvant largement répondre à toutes les situations.

Sans tenir compte des suggestions faites par ces différentes commissions, rompant en cela avec la priorité éducative consacrée par l'ordonnance de 1945, le Gouvernement prit en juillet dernier des mesures à caractère purement répressif.

Sous couvert d'urgence, ces mesures ont été adoptées sans concertation, les critiques formulées par tous les spécialistes de la jeunesse, qu'il s'agisse des éducateurs, des juges des enfants ou des défenseurs des droits des enfants, n'ont pas été entendues.

Vous avez, monsieur le secrétaire d'Etat, créé des centres éducatifs fermés destinés à accueillir les mineurs délinquants récidivistes. Deux des soixante centres dont vous avez annoncé la création d'ici à 2007 ont ouvert leurs portes au début du premier trimestre 2003. Aujourd'hui, à l'occasion de l'examen de cette proposition de loi, je souhaiterais que vous fassiez le point sur ces centres : leur fonctionnement, leur insertion dans le voisinage, les effets - dont la presse se fait parfois l'écho - du non-respect de la symbolique du centre « fermé ».

La prison, réponse parfois inévitable que la société doit apporter à la délinquance des mineurs, ne doit pas pour autant compromettre l'insertion du mineur dans la société.

Les rapports précédemment évoqués ont tous démontré l'humiliation que constituent les prisons en France, et plus particulièrement le caractère indigne et criminogène - notre collègue Jean-Claude Carle vient d'y faire allusion - des quartiers pour mineurs, totalement inadaptés.

Vous vous êtes engagé, monsieur le secrétaire d'Etat, à créer des établissements pénitentiaires modernes. Nous les attendons, mais ils n'existent pas aujourd'hui, et nous craignons que la prison pour les mineurs, à laquelle vous avez de plus en plus recours, ne continue pendant des années à être l'école du crime.

J'en arrive à la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui et qui a pour principal objet d'attribuer au juge des enfants une compétence pleine et entière en matière d'application des peines prononcées par les juridictions spécialisées pour mineurs, y compris en cas d'incarcération.

Le juge dispose d'ores et déjà de compétences étendues en matière d'application des peines prononcées par les juridictions spécialisées pour mineurs. Il est en effet compétent pour suivre les condamnations exécutées en milieu ouvert : emprisonnement assorti d'un sursis avec mise à l'épreuve, emprisonnement assorti d'un sursis avec obligation d'accomplir un travail d'intérêt général, travail d'intérêt général, suivi socio-judiciaire, ajournement du prononcé de la peine assorti d'une mise à l'épreuve.

Le juge de l'application des peines est, quant à lui, actuellement seul compétent, que les condamnés soient majeurs ou mineurs, pour statuer sur l'individualisation des peines d'emprisonnement, même si, depuis la loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes, les mesures d'aménagement des peines les plus importantes sont prises à l'issue d'un débat contradictoire et peuvent faire l'objet d'un appel porté devant la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel.

Certaines décisions sont également prises par la commission d'application des peines ; c'est le cas pour les sorties sous escorte, les permissions de sortie et les réductions de peine. Le juge de l'application des peines doit recueillir l'avis du juge des enfants chaque fois qu'il exerce à l'égard d'un mineur l'une des attributions qui lui sont conférées en matière d'individualisation des peines d'emprisonnement. Ce système ne permet cependant pas la mise en oeuvre, pour les mineurs, d'un véritable parcours éducatif.

En effet, comme le faisait remarquer la commission d'enquête de notre assemblée, en plus de la vétusté des prisons et de la promiscuité des mineurs et des majeurs, les mineurs ne font que rarement l'objet de mesures d'aménagement des peines parce qu'ils sont le plus souvent incarcérés en détention provisoire et que les quartiers de maison d'arrêt ne se prêtent guère à des mesures de semi-liberté. Il est également fréquent que la sortie de prison ne fasse l'objet d'aucun accompagnement, le mineur passant ainsi de la contention totale à la liberté totale.

Afin de contribuer à assurer une continuité dans le suivi des mineurs délinquants, la présente proposition de loi tend à donner au juge des enfants une compétence pleine et entière en matière d'application des peines prononcées par les juridictions pour mineurs.

Le tribunal pour enfants et la chambre spéciale des mineurs exerceront alors les fonctions dévolues en matière d'application des peines au tribunal correctionnel et à la chambre correctionnelle. Ces juridictions exercent en effet une compétence en cas d'appel des décisions du juge de l'application des peines.

Votre texte, monsieur le rapporteur, prévoit que le juge des enfants exercera les fonctions dévolues au juge de l'application des peines jusqu'à ce que le condamné ait atteint l'âge de vint et un ans. Toutefois, il permet au juge des enfants de se dessaisir au profit du juge de l'application des peines lorsque le condamné a atteint l'âge de dix-huit ans, en raison de la peine prononcée et de la personnalité.

La proposition de loi prévoit également que le juge des enfants pourra désigner un service de la Protection judiciaire de la jeunesse pour veiller au respect des obligations imposées au condamné. Le juge des enfants, par ailleurs, sera tenu de visiter les établissements pénitentiaires.

Nous ne pouvons que nous féliciter de ces mesures. En effet, une des solutions au problème de la délinquance des mineurs passe par un souci permanent d'individualisation des peines et suppose que soit donné un véritable contenu à la détention des mineurs, quelle que soit sa durée, à travers la réalisation d'un programme socio-éducatif cohérent et obligatoire, associant le suivi médical et psychologique, la scolarisation, la formation, les activités sportives et culturelles.

Je veux toutefois faire deux remarques.

D'abord, je ne comprends par pourquoi cette disposition n'a pas été débattue lors de l'examen, il y a un an, de la loi de d'orientation et programmation pour la justice qui a réformé en profondeur le droit pénal des mineurs, car il est toujours plus intéressant de procéder à une modification d'ensemble que d'agir par petites touches.

Ensuite, comme les magistrats eux-mêmes, nous nous réjouissons que le juge des enfants demeure le pivot de la mise en oeuvre de l'ordonnance de 1945 : les juridictions pour mineurs exercent une double mission dont l'importance ne cesse d'augmenter. Les juges des enfants et les juges d'instruction chargés des mineurs sont surchargés, d'où un allongement des délais de jugement très préjudiciables tant aux mineurs qu'aux victimes ; la présente réforme va encore accroître la charge de travail de ces juges, ce que dans leur dévouement ils acceptent. Il est donc impératif d'accompagner le dispositif proposé d'une augmentation sensible des postes de juges pour enfants.

Je souhaiterais, monsieur le secrétaire d'Etat, connaître vos intentions sur ce point alors que la préparation du budget pour 2004 se déroule avec pour mot d'ordre, signifié par le Premier ministre, « zéro dépense supplémentaire » et alors que le remplacement d'un fonctionnaire seulement sur deux partant à la retraite est annoncé. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. - M. Gérard Delfau applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo.

Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il y a un an était créée dans notre assemblée une commission d'enquête sur la délinquance des mineurs, devenue le leitmotiv d'une campagne électorale largement sinon exclusivement centrée sur la sécurité et dont on a pu mesurer, le 21 avril 2002, les effets pervers.

La commission d'enquête avait néanmoins su tirer un bilan nuancé de la situation et relever, loin des idées véhiculées, la nécessité d'une action globale concernant les mineurs. Elle préconisait un certain nombre de mesures dont la plupart devaient intervenir hors du champ du pénal, en direction de la famille, de l'école et des quartiers.

Je n'ai pas la même appréciation que vous, monsieur le rapporteur, sur les suites qui ont été données à la commission d'enquête : la légendaire « sagesse » du Sénat ne devait pas longtemps résister puisque, dès l'été, les conclusions de la commission servaient de support, sinon de prétexte, à un durcissement très clair de l'arsenal pénal à l'égard des mineurs.

Au coeur de cette nouvelle politique, la loi du 9 septembre 2002 devait prétendument pallier les carences des dispositifs répressifs antérieurs en aggravant les mécanismes répressifs.

Tant et si bien que l'on a fini par oublier un des principaux constats du rapport de la commission d'enquête : « La justice des mineurs en France n'est pas particulièrement laxiste, elle est erratique. »

La présente proposition de loi est donc particulièrement bienvenue pour nous rappeler que cette justice doit être confortée dans les principes essentiels posés en 1945 mais bien oubliés par la présente majorité : la spécialisation des magistrats, la primauté de l'action éducative et la personnalisation de la peine.

En effet, l'objet du présent texte est de faire du juge des enfants le juge de l'application des peines dans tous les cas où la peine concerne un mineur, y compris en cas d'incarcération, compétence qui relève à l'heure actuelle du juge de l'application des peines.

A ce titre, la proposition de loi présente un double intérêt.

D'abord, et c'est selon moi son apport essentiel, elle conforte le principe de la spécialisation de la justice des mineurs, principe largement écorné l'été dernier. On se souvient en effet que la première mouture de l'avant-projet de loi de programmation et d'orientation pour la justice prévoyait d'octroyer une compétence étendue au juge de proximité - juge non professionnel - à toutes les premières infractions commises par les mineurs. La contradiction avec notre tradition pénale comme avec nos engagements internationaux - au premier chef, avec la convention internationale des droits de l'enfant - était telle que le Gouvernement avait fini par circonscrire la compétence du juge de proximité aux infractions relevant aujourd'hui du tribunal de police.

Parallèlement, les modifications procédurales substantielles opérées par la loi tendaient très largement à récuser le principe de spécificité consacré par l'article 40 de la convention internationale des droits de l'enfant pour rapprocher sensiblement la justice des mineurs de celle des majeurs : tel est le sens des dispositions qui autorisent la retenue comme la détention provisoire des moins de seize ans, des procédures de jugement à délai rapproché, du renforcement du rôle du parquet et de la possibilité de « sanctions » pour les mineurs de treize ans.

Au-delà même de la loi, le principe de spécialisation n'est pas toujours appliqué : l'absence de parquet spécialisé dans certains tribunaux, y compris les plus importants, comme celui de Nanterre, en est l'illustration. Le Gouvernement constatait d'ailleurs lui-même dans une circulaire du mois de décembre l'existence de nombreux manquements à la spécialisation.

Ce recul de la spécialisation trouve son écho, comme le soulignait le rapport de la commission d'enquête, au sein des organes de police et de gendarmerie, qui ne disposent pas toujours, loin s'en faut, de brigades spécialisées.

La présente proposition de loi permettra, je le souhaite en tout cas, de mettre fin à ce mouvement de déspécialisation qui tente encore certains.

Il est un deuxième élément sur lequel la proposition de loi recueille notre approbation : en faisant du juge des enfants un juge de l'application de l'ensemble des peines prononcées par les juridictions spécialisées pour mineurs, on retrouve en quelque sorte le fil rouge du suivi éducatif du mineur, fil trop souvent rompu par l'incarcération.

La discontinuité dans le suivi, longtemps dénoncée par les juges des enfants, vient en effet de ce que les juges d'application des peines ont rarement une connaissance approfondie de la personnalité du mineur et des différentes mesures éducatives ou de contrôle judiciaire déjà prononcées. C'est d'autant plus vrai que le juge de l'application des peines compétent n'est pas toujours forcément celui du ressort du tribunal pour enfants : à titre d'exemple, les mineurs incarcérés à la maison d'arrêt de Luynes en vertu d'une condamnation du tribunal pour enfants de Marseille sont suivis par le juge d'application des peines d'Aix-en-Provence.

Il faut souhaiter que la mise en place d'un « parcours éducatif » favorise le volet éducatif de l'incarcération en même temps qu'une meilleure responsabilisation du juge face à sa décision, puisque celui-ci devra se préoccuper largement de l'objectif de réinsertion du mineur.

Néanmoins, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen veulent espérer que cette extension de la compétence du juge des enfants n'est pas envisagée dans la perspective d'une logique de généralisation et de banalisation de l'incarcération.

Il est à nos yeux essentiel que celle-ci, si elle est dans certains cas nécessaire, conserve un caractère exceptionnel et ultime. Toute autre interprétation nous mettrait en contradiction tant avec les travaux des commissions d'enquête parlementaires sur les prisons qu'avec les textes internationaux, au premier chef avec l'article 37 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ce rappel nous paraît tout à fait indispensable dans un contexte d'alourdissement généralisé des peines où l'on place à nouveau l'incarcération au coeur de la politique pénale. L'adoption d'un dispositif renforcé de solutions de rechange à l'incarcération viendra à peine contrebalancer cette tendance si l'on ne mobilise pas les moyens nécessaires : à l'heure actuelle, on le sait, le recours aux travaux d'intérêt général, les TIG, est impossible, faute de volonté ou de moyens.

Après le report, sinon l'abandon, de la mise en oeuvre du principe de l'encellulement individuel, il est à craindre que l'article 11, alinéa 4, de la loi du 9 septembre 2002, qui pose l'obligation de créer des quartiers réservés en détention pour les mineurs, n'ait en réalité que peu d'effet.

Au-delà des motifs de satisfaction qu'apporte cette proposition de loi, un certain nombre d'interrogations demeurent, qu'il me faut ici évoquer.

On doit d'abord regretter que les analyses et les recommandations de la commission d'enquête sur la délinquance des mineurs ne trouvent une traduction législative que sur le plan répressif et pénal et que les autres aspects, notamment préventifs, de la lutte contre la délinquance des mineurs soient largement laissés de côté.

Cela est si vrai que le rappel régulier de l'ample champ de la réflexion des commissaires finit par prendre des allures de litanie plus que d'engagement. Je souhaiterais que la prochaine proposition de loi que l'on ne manquera pas de nous présenter sur un sujet qui suscite tant d'intérêt de la part du législateur puisse avoir une dimension extrajudiciaire. Ce serait, à mon sens, un signe fort adressé à tous ces professionnels que la commission d'enquête a entendus et qui ont attiré notre attention sur les dangers d'une vision de la lutte contre la délinquance des mineurs par trop étriquée et centrée sur le volet pénal.

Cependant, les annonces de coupes budgétaires ne vont pas dans le sens d'un développement des dispositifs de prévention, notamment à l'école. Je ne m'étendrai pas sur ce thème, mais chacun sait que ce n'est pas en diminuant les moyens de l'école que l'on parviendra à faire de celle-ci un lieu de prévention, comme le souhaiterait notre collègue Jean-Claude Carle.

La seconde réserve que je formulerai a trait à la question des moyens, qui ne peut être passée sous silence tant ceux-ci conditionnent le succès de l'application du présent texte.

Le renforcement des moyens a été au coeur des préoccupations de la commission d'enquête. « Juridictions de mineurs saturées », « difficultés d'organisation, de moyens, de pratiques » : la justice des mineurs est loin d'être dans une situation confortable, alors que son rôle est devenu central. Le rapport indique ainsi, sans aucune équivoque, que « l'activité des juges des enfants n'a cessé d'augmenter au cours des dernières années. Et malgré les recrutements effectués, le nombre de juges demeure insuffisant dans notre pays ». Or étendre la compétence du juge des enfants implique un accroissement important de sa charge de travail.

Au titre de ces nouvelles compétences, le juge des enfants sera chargé de prendre toutes les mesures d'aménagement des peines, c'est-à-dire la suspension ou le fractionnement de celles-ci, le placement à l'extérieur, le placement sous surveillance électronique, la semi-liberté, la libération conditionnelle : autant de décisions juridictionnelles susceptibles d'appel.

Le juge des enfants sera également chargé de prendre les mesures d'individualisation de la peine, telles les réductions de peine ou permissions de sortie, qui constituent des mesures d'administration judiciaire.

Enfin, il aura une fonction de partenariat, de suivi et de contrôle, ainsi que de recherche en matière d'aménagement de la peine.

Par conséquent, sans une prise de conscience de la nécessité d'accroître le nombre des juges, ce texte restera sans effet, ou sera mal appliqué. Avertie de ces difficultés, la commission des lois a proposé d'appliquer cette réforme aux peines prononcées après le 1er janvier 2004. Je me demande si prendre une telle mesure n'induirait pas une rupture d'égalité entre les jeunes détenus ; n'aurait-il pas été préférable de retenir la proposition de l'Association française des magistrats de la jeunesse, qui souhaite une application au 1er septembre 2004 pour l'ensemble des détenus ? Cette question devait être soulevée.

Toutes ces remarques nous conduisent à une interrogation centrale, qui porte sur la conception même que la majorité se fait de la justice des mineurs.

La présente proposition de loi ne préfigure-t-elle pas un recentrage de l'action du juge des enfants sur les mesures répressives, l'assistance éducative devant, à terme, échapper à sa compétence pour ressortir aux seuls départements ?

Cette éventualité, qui a de quoi inquiéter, n'est rien moins que fantasmatique si l'on se réfère tant à l'exposé des motifs de la proposition de loi qu'à l'annonce des différents textes qui devraient nous être soumis dans les prochains mois.

Ainsi, une phrase de l'exposé des motifs du présent texte, selon laquelle d'autres propositions de la commission d'enquête pourront « prendre place dans la nouvelle étape de la décentralisation, en cours de réalisation, notamment (...) la clarification des rôles respectifs du département et de la Protection judiciaire de la jeunesse en matière d'assistance éducative », a particulièrement retenu mon attention.

On sait que la Protection judiciaire de la jeunesse se trouve de nouveau sous le feu des critiques, un rapport à paraître de la Cour des comptes faisant état de difficultés à se plier à la nouvelle « culture » d'enfermement du Gouvernement, ainsi que de problèmes de gestion et d'encadrement. Ces critiques font écho à celles qui se développent depuis un an.

En outre, la commission d'enquête sur la délinquance des mineurs avait fait référence aux critiques adressées aux juges des enfants à propos du placement trop systématique de mineurs délinquants au titre de l'assistance éducative, mettant en parallèle cette question avec celle du financement de l'action éducative par les départements. Elle concluait d'ailleurs de la manière suivante : « Comment s'étonner dès lors que certains proposent régulièrement de priver le juge des enfants de ses compétences en matière éducative, afin qu'il se consacre au traitement de la délinquance ? »

Or, si la commission d'enquête a semblé entériner la double compétence du juge des enfants en matière pénale et d'assistance éducative, on sait que la question de la départementalisation de l'assistance éducative - et pourquoi pas celle de la mise sous la tutelle des départements de la Protection judiciaire de la jeunesse ? - est contenue en germe dans la proposition de loi relative au droit d'expérimentation des collectivités territoriales, dont le champ d'application recouvre, si l'on en croit les assises de février dernier, la protection de l'enfance.

Si une telle option était choisie, c'est la compétence traditionnelle du juge des enfants en matière d'assistance éducative - laquelle remonte à l'ordonnance du 23 décembre 1958 - qui serait remise en question. L'article 375-1 du code civil, qui dispose que « le juge des enfants est compétent, à charge d'appel, pour tout ce qui concerne l'assistance éducative », deviendrait alors largement sans objet.

Je souhaiterais savoir, monsieur le rapporteur, si, à vos yeux, il apparaît toujours « souhaitable que le juge des enfants demeure compétent en matière d'assistance éducative et de délinquance » et si vous veillerez à défendre cette conception, à donner aux juges des enfants les moyens d'exercer cette double compétence et à renforcer un rôle éducatif bien souvent oublié à l'occasion des dernières réformes.

C'est sur cet appel, qui, je l'espère, ne restera pas sans écho, que je conclurai mon intervention au nom du groupe communiste, républicain et citoyen, lequel soutient au fond la proposition de loi et votera cette réforme. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat. Etant donné la qualité de vos interventions, mesdames, messsieurs les sénateurs, il me paraît plus que légitime de prendre, malgré l'heure tardive, quelques instants pour à la fois vous remercier et vous rassurer.

En effet, si j'ai bien compris que l'unanimité règne sur vos travées, j'ai également senti que, de même que tous les chemins mènent à Rome mais par des parcours différents, les voies que vous empruntez pour parvenir à cet accord ne sont pas identiques : si certaines routes sont belles, droites, arborées, d'autres sont plus escarpées et sinueuses ! (Sourires.)

Je tiens tout d'abord à féliciter MM. Carle et Schosteck pour la qualité de leur travail, qui m'avait déjà frappé à l'époque où j'étais maire. La Haute Assemblée démontre, à cette occasion, que prendre de la hauteur signifie non pas s'éloigner des problèmes, mais, au contraire, les englober dans une vision d'ensemble.

La précision des propositions formulées témoigne d'une remarquable connaissance de sujets qui préoccupent les élus locaux, lesquels se trouvent en première ligne pour affronter les problèmes liés à la délinquance des mineurs.

L'excellence du rapport présenté a d'ailleurs largement inspiré l'action du Gouvernement, au-delà de toute considération électorale.

En effet, tant la réforme de la Protection judiciaire de la jeunesse que la création de centres éducatifs fermés ou d'établissements pénitentiaires spécialisés pour les mineurs se trouvaient au coeur du rapport sénatorial, qui évoquait d'ailleurs la nécessité d'expérimenter une décentralisation de l'assistance éducative. Cette proposition a été reprise dans le projet de loi que vous présentera bientôt mon collègue Patrick Devedjian. C'est dire, monsieur Carle, combien j'ai apprécié la qualité du travail que vous avez fourni et celle de votre intervention ce soir.

Madame Borvo, il n'est pas juste d'affirmer que placer au centre de la campagne électorale pour l'élection présidentielle le thème de l'insécurité a entraîné le résultat que l'on sait ! J'estime au contraire que, si nous n'avions pas agi ainsi, le résultat aurait été encore pire ! Voyez quelle image la France aurait donné d'elle-même à l'étranger si celui qui est arrivé deuxième au premier tour - nous sommes d'accord pour considérer que c'était déjà trop - avait pris la première place ! Que des femmes et des hommes, dont vous faites partie, mesdames, messieurs les sénateurs, aient su aborder franchement le sujet de l'insécurité et répondre aux attentes du peuple français a permis d'éviter une catastrophe plus grande encore.

Je voudrais rassurer M. Zocchetto, dont j'ai écouté attentivement les propos. Certes, sans moyens suffisants, notre action pourrait paraître vaine. Par conséquent, quels sont les moyens que nous engageons ?

En 2002, vingt postes de juge des enfants ont été créés, ce qui montre bien la détermination du Gouvernement. Dix autres postes ont été créés à la mi-2003 et vingt le seront encore à la fin de cette année, soit un total de cinquante postes supplémentaires en dix-huit mois. Une augmentation de 25 % des effectifs des magistrats spécialisés, en incluant les substituts, est prévue. A la fin de 2003, 180 postes d'éducateur auront été créés, et je peux dire devant la Haute Assemblée, sans craindre d'être démenti, que, dans les difficultés que nous connaissons, qui imposent en particulier à l'Etat d'adapter ses dépenses au niveau de ses recettes, le secteur de la justice se trouve en quelque sorte « sanctuarisé », comme cela a été dit et répété. Les arbitrages budgétaires qui seront bientôt rendus ne remettront pas en cause cette politique de création de postes.

J'espère que ces indications permettront de lever les inquiétudes que vous avez formulées quant aux moyens, monsieur le sénateur.

Madame André, vous avez exprimé votre préoccupation s'agissant de la création des centres éducatifs fermés et souhaité qu'un point soit fait sur ce sujet. Je vous donnerai donc maintenant quelques éléments chiffrés à cet égard.

Nous prévoyons, dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi d'orientation et de programmation pour la justice, la création de soixante centres éducatifs fermés au cours de la législature. Douze d'entre eux ont été créés ou le seront cette année. Trois fonctionnent déjà depuis la mi-mars : un en Gironde, à Sainte-Eulalie, charmante bourgade située au bord de l'Atlantique, un dans la Drôme, à Valence, et le dernier dans l'Allier, à Lusigny. Dix mineurs y ont déjà été placés. Ce dispositif monte progressivement en puissance, puisqu'un grand nombre de demandes de placement sont en cours d'instruction. Nous estimons que, à la fin de cette année, ce seront bien douze centres éducatifs fermés qui pourront accueillir des jeunes.

Des interrogations sont également apparues quant aux délais de réalisation du programme de création d'établissements pénitentiaires pour mineurs. Le 27 mai prochain, la commission spéciale des marchés se réunira pour émettre son avis sur l'appel d'offres, avis qui, je n'en doute pas, sera favorable. L'appel d'offres sera ensuite immédiatement lancé, avec l'objectif d'ouvrir ces établissements pénitentiaires pour mineurs en 2006, le délai de construction devant être de deux ans et demi au maximum. Nous avons d'ailleurs bon espoir de parvenir à réduire encore un peu celui-ci, mais vous connaissez comme moi les contraintes légales auxquelles nous devons naturellement nous conformer.

Je souligne à votre intention, monsieur Carle, que le garde des sceaux, M. Dominique Perben, est particulièrement sensible à la situation des établissements pénitentiaires de votre région et au scandale que représente le quartier pour mineurs des prisons lyonnaises. Ainsi, nous avons déjà déterminé sur quel terrain sera construit le nouvel établissement pénitentiaire pour mineurs ; les choses pourront donc aller très vite à Lyon, et Dominique Perben et moi-même aurons prochainement l'occasion de remercier les élus locaux, dont vous êtes, qui nous aurons aidés dans cette affaire.

En effet, il est un peu trop facile de se plaindre...

M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !

M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat. ... de la vétusté et de la surpopulation des prisons et de ne rien faire pour aider l'Etat quand il s'engage pour résoudre les problèmes, voire de lui mettre des bâtons dans les roues en dressant la population et les élus contre un projet pénitentiaire, alors que les études d'impact auxquelles nous procédons permettent de minorer les nuisances. On ne peut pas pleurer d'un côté et se rebeller de l'autre contre l'action publique ! Il faut être cohérent ! Je tiens à vous remercier ici encore une fois, monsieur Carle, de nous avoir aidés à traiter le dossier lyonnais, ô combien important.

Par ailleurs, il est exact, madame Borvo, que la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vise à renforcer encore la spécialisation de la justice des mineurs. C'est en cela que le Gouvernement l'approuve sans réserve. Les juges des enfants peuvent et doivent décider des mesures et prononcer des peines. Il est donc logique qu'ils puissent aménager ces dernières. C'est là une réponse très efficace, nous semble-t-il, au problème de la détention des mineurs - quelque 850 mineurs sont aujourd'hui placés - en attendant la création de 400 places en établissements pénitentiaires spécialisés et la rénovation des quartiers pour mineurs, que l'on a trop souvent tendance à oublier.

J'indiquerai enfin, à l'adresse de madame Borvo et de l'ensemble des membres de la Haute Assemblée, qu'un texte relatif à la prévention de la délinquance est en préparation. Son élaboration associe les ministres de l'intérieur, de l'éducation nationale, de la famille et de la ville, ce qui explique que nous ayons besoin d'un peu de temps.

Je voudrais insister auprès de la Haute Assemblée sur le fait que, là aussi, on ne peut pas vouloir tout et son contraire. La mission centrale de l'Etat a trait à la répression. Les élus locaux, les collectivités territoriales peuvent l'aider en matière de prévention, alors qu'ils ne peuvent intervenir quand il s'agit de répression. Il est donc légitime que l'Etat se préoccupe d'abord du volet relatif à la répression, que nous serons unanimes, sauf à sombrer dans la naïveté, à juger malheureusement nécessaire, la prévention devant faire l'objet d'une concertation préalable avec les collectivités territoriales.

Telles sont les réponses que je voulais apporter aux excellentes interventions que j'ai entendues. Je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, d'avoir tous manifesté le souci d'améliorer le fonctionnement de la justice des enfants, et de renforcer le dispositif de l'ordonnance de 1945, qui, malgré des insuffisances qui ont d'ailleurs été, au fil du temps, largement résorbées, marque la volonté du législateur et de la République de donner à la justice des enfants un véritable cadre républicain. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. Nous passons à la discussion des articles.

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'application des peines concernant les mineurs
Art. 2

Article 1er

M. le président. « Art. 1er. - L'article 20-9 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante est ainsi rédigé :

« Art. 20-9. - I. En cas de condamnation prononcée par une juridiction spécialisée pour mineurs, le juge des enfants exerce les fonctions dévolues au juge de l'application des peines par le code pénal et le code de procédure pénale, jusqu'à ce que la personne condamnée ait atteint l'âge de vingt et un ans. Le tribunal pour enfants et la chambre spéciale des mineurs exercent alors les attributions dévolues en matière d'application des peines au tribunal correctionnel et à la chambre des appels correctionnels.

« Lorsque le condamné a atteint l'âge de dix-huit ans au jour du jugement, le juge des enfants n'est compétent que si la juridiction spécialisée le décide par décision spéciale.

« En raison de la personnalité du mineur ou de la durée de la peine prononcée, le juge des enfants peut se dessaisir au profit du juge de l'application des peines lorsque le condamné a atteint l'âge de dix-huit ans.

« En cas de placement sous surveillance électronique, de sursis avec mise à l'épreuve, de sursis assorti de l'obligation d'accomplir un travail d'intérêt général, de travail d'intérêt général, d'ajournement avec mise à l'épreuve, de suivi socio-judiciaire et de libération conditionnelle, le juge des enfants désigne un service du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse pour veiller au respect des obligations imposées au condamné. Le juge des enfants peut également désigner à cette fin le service pénitentiaire d'insertion et de probation lorsque le condamné a atteint l'âge de dix-huit ans.

« II. En cas de condamnation prononcée par une juridiction spécialisée pour mineurs à une peine d'emprisonnement assortie d'un sursis avec mise à l'épreuve ou d'un sursis assorti de l'obligation d'accomplir un travail d'intérêt général, le juge des enfants, saisi d'office ou sur requête du procureur de la République, exerce également les attributions confiées au tribunal correctionnel par les articles 741-3 à 744-1 du code de procédure pénale, notamment pour ordonner la révocation des mesures de contrôle ou des obligations imposées au condamné.

« La juridiction de jugement peut, si la personnalité du mineur le justifie, assortir cette peine de l'une des mesures définies aux articles 16 et 19 de la présente ordonnance, ces mesures pouvant être modifiées pendant toute la durée de l'exécution de la peine par le juge des enfants. Elle peut notamment décider de placer le mineur dans un centre éducatif fermé prévu par l'article 33.

« La juridiction de jugement peut alors astreindre le condamné, dans les conditions prévues à l'article 132-43 du code pénal, à l'obligation de respecter les conditions d'exécution des mesures visées à l'alinéa précédent ; le non-respect de cette obligation peut entraîner la révocation du sursis avec mise à l'épreuve et la mise à exécution de la peine d'emprisonnement.

« Le responsable du service qui veille à la bonne exécution de la peine doit faire rapport au procureur de la République ainsi qu'au juge des enfants en cas de non-respect par le mineur des obligations qui lui ont été imposées.

« III. Un décret fixe en tant que de besoin les conditions d'application du présent article. »

Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Art. 1er
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Art. 3

Article 2

M. le président. « Art. 2. - Au premier alinéa de l'article 727 du code de procédure pénale, après les mots : "le juge d'instruction,", sont insérés les mots : "le juge des enfants,". » - (Adopté.)

Art. 2
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Art. 4

Article 3

M. le président. « Art. 3. - Le dernier alinéa de l'article 747-3 du code de procédure pénale est supprimé. » - (Adopté.)

Art. 3
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Art. 5

Article 4

M. le président. « Art. 4. - L'article 763-8 du code de procédure pénale est abrogé. » - (Adopté.)

Art. 4
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Art. 6

Article 5

M. le président. « Art. 5. - La première phrase du second alinéa de l'article 20-5 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante est supprimée. » - (Adopté.)

Art. 5
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Art. 7

Article 6

M. le président. « Art. 6. - L'article 20-7 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante est ainsi modifié :

« I. - Au premier alinéa, les mots : "132-58 à 132-62" sont remplacés par les mots : "132-58 à 132-65".

« II. - Au dernier alinéa, les mots : "132-63 à 132-70-1" sont remplacés par les mots : "132-66 à 132-70". » - (Adopté.)

Art. 6
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Art. 8

Article 7

M. le président. « Art. 7. - La présente loi est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis-et-Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises. » - (Adopté.)

Art. 7
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 8

M. le président. « Art. 8. - Les dispositions de la présente loi sont applicables aux condamnations prononcées à compter du 1er janvier 2004. » - (Adopté.)

Vote sur l'ensemble

Art. 8
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président Avant de mettre aux voix les conclusions du rapport de la commission des lois sur la proposition de loi n° 228, je donne la parole à M. Gérard Delfau, pour explication de vote.

M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les travaux de la commission d'enquête de la Haute Assemblée sur la délinquance des mineurs ont permis à nos collègues MM. Schosteck et Carle d'aboutir, en juillet dernier, à un rapport utile, bien informé et équilibré, sur un sujet qui donne lieu, parfois, à des surenchères sécuritaires.

Ces travaux trouvent, ce soir, un nouveau prolongement. C'est heureux, d'abord pour le Sénat, mais aussi pour la justice elle-même qui, par l'extension des pouvoirs du juge des enfants, se voit confirmée, grâce à cette proposition de loi, dans sa spécialisation et dans sa nécessaire professionnalisation, les deux n'étant pas incompatibles.

J'approuve donc complètement cette proposition de loi. Je souhaite simplement que, comme cela a été dit, l'accroissement de charges qui incombera aux juges des enfants soit compensé par des moyens financiers et humains importants. Et je veux, en cet instant, rendre hommage à ce corps si remarquable des juges des enfants, qui accomplissent, au sein de l'institution judiciaire, une tâche à la fois délicate et primordiale.

Le dispositif que nous allons adopter n'est, bien sûr, qu'un élément de la réorganisation d'ensemble de la politique mise en oeuvre pour dissuader les mineurs de commettre des actes de délinquance. Beaucoup reste à faire. Il faut d'abord redonner confiance aux personnels de la Protection judiciaire de la jeunesse, qui, depuis des années, sont confrontés à une crise d'identité.

Beaucoup reste à faire également pour assurer au maire - vous l'évoquiez tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat - une place spécifique dans les dispositifs de prévention. Le maire se heurte parfois sur le terrain à des blocages et à de l'incompréhension quant à son rôle d'élu local. Il est facilement mis en accusation par la population quand se produisent des délits et des crimes. Il se heurte parfois à l'incompréhension des forces de sécurité et à la justice quand il tente de coordonner l'effort de chacun et quand il essaie simplement de faire bénéficier les diverses instances de l'Etat de sa connaissance des quartiers afin qu'elles puissent mieux remplir les missions qui leur incombent.

Savez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, que la circulaire du 17 juillet 2002 relative aux contrats locaux de sécurité, qui ont succédé à d'autres dispositifs et notamment aux conseils intercommunaux de prévention de la délinquance, peine à s'appliquer même quand le maire le demande avec insistance.

De même, monsieur le secrétaire d'Etat, il faut relancer la procédure des travaux d'intérêt général, trop souvent impossibles à mettre en oeuvre aujourd'hui, faute d'un accueil professionnalisé. Là encore, le rôle des collectivités locales peut êre utile.

Bref, l'adoption à l'unanimité de cette proposition de loi montrera que la nation tout entière entend conjuguer à la fois l'objectif d'éducation et, si nécessaire, l'application de la sanction. Ce sera un signal positif pour tous ceux qui ont pour mission d'aider notre jeunesse à trouver sa place dans notre société. Mais, je le répète, ce n'est qu'une étape. Sachez, monsieur le secrétaire d'Etat, que, sur l'ensemble de ces travées, nous sommes très déterminés à contribuer à cette nécessaire avancée, car il en va effectivement de notre démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - MM. Jean-Guy Branger et Jean-Claude Carle applaudissent également.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix les conclusions du rapport de la commission des lois sur la proposition de loi n° 228 (2002-2003).

(La proposition de loi est adoptée à l'unanimité.)

M. Gérard Delfau. C'est rare mais mérité !

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'application des peines concernant les mineurs
 

11

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. Roger Besse une proposition de loi ouvrant à titre dérogatoire la fonction publique à des recrutements contractuels pour les administrations confrontées à des vacances de postes dans les domaines d'action prioritaires de l'Etat et des collectivités publiques.

La proposition de loi sera imprimée sous le n° 302, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

12

TEXTES SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION

DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

Avant-projet de budget rectificatif n° 3 au budget 2003 - Etat général des recettes.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-2224 (annexe 3) et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

Projet de position commune du Conseil 2002/.../PESC du ....... modifiant et prorogeant la position commune 2001/357/PESC concernant des mesures restrictives à l'encontre du Liberia.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-2271 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier minsitre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant la proposition modifiée de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CEE) n° 95/93 du Conseil, du 18 janvier 1993, fixant des règles communes en ce qui concerne l'attribution des créneaux horaires dans les aéroports de la Communauté.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-2272 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

Projet de budget d'Europol pour 2004.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-2273 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, sousmis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

Projet de budget rectificatif d'Europol pour 2003.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-2274 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

Avant-projet de budget (APB) général des Communautés européennes pour l'exercice 2004 - Volume 0 - Introduction générale.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-2275 (annexe 1) et distribué.

13

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 21 mai 2003, à quinze heures et le soir :

1. Discussion de la proposition de loi (n° 203, 2002-2003), adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux privilèges et immunités de la délégation du Comité international de la Croix-Rouge en France.

Rapport (n° 294, 2002-2003) de M. Robert Del Picchia, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.

2. Discussion de la proposition de loi (n° 284, 2002-2003), adoptée par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions relatives à certains personnels de DCN et GIAT Industries.

Rapport (n° 295, 2002-2003) de M. Serge Vinçon, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.

3. Discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 214, 2002-2003) de programme pour l'outre-mer.

Rapport (n° 296, 2002-2003) de M. Roland du Luart, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.

Avis (n° 299, 2002-2003) de Mme Valérie Létard, fait au nom de la commission des affaires sociales.

Avis (n° 292, 2002-2003) de M. Daniel Soulage, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan.

Avis (n° 293, 2002-2003) de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.

Avis (n° 298, 2002-2003) de M. Victor Reux, fait au nom de la commission des affaires culturelles.

Aucune inscription de parole dans la discussion générale n'est plus recevable.

Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.

Délais limites pour les inscriptions de parole

et pour le dépôt des amendements

Projet de loi portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité (n° 282, 2002-2003) :

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : vendredi 23 mai 2003, à dix-sept heures ;

Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 26 mai 2003, à onze heures.

Personne ne demande la parole ?...

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures vingt-cinq.)

Le Directeur

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD

ORDRE DU JOUR

DES PROCHAINES SÉANCES DU SÉNAT

établi par le Sénat dans sa séance du mardi 20 mai 2003 à la suite des conclusions de la conférence des présidents

Mercredi 21 mai 2003 :

Ordre du jour prioritaire

A 15 heures et le soir :

1° Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux privilèges et immunités de la délégation du Comité international de la Croix-rouge en France (n° 203, 2002-2003) ;

(La conférence des présidents a décidé de fixer au mardi 20 mai 2003, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte) ;

2° Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions relatives à certains personnels de DCN et GIAT Industries (n° 284, 2002-2003) ;

(La conférence des présidents a décidé de fixer au mardi 20 mai 2003, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte) ;

3° Projet de loi de programme pour l'outre-mer (urgence déclarée) (n° 214, 2002-2003).

Mme Marlène Mélisse, rapporteur de la section des économies régionales et de l'aménagement du territoire du Conseil économique et social, interviendra avant la présentation du rapport de la commission des finances (art. 42, alinéa 4, du règlement).

(La conférence des présidents a fixé :

- au mardi 20 mai 2003, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à trois heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mardi 20 mai 2003.)

Jeudi 22 mai 2003 :

A 9 h 30 :

Ordre du jour prioritaire

1° Suite du projet de loi de programme pour l'outre-mer ;

A 15 heures et le soir :

2° Questions d'actualité au Gouvernement ;

(L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant 11 heures) ;

Ordre du jour prioritaire

3° Suite de l'ordre du jour du matin.

Lundi 26 mai 2003 :

Ordre du jour prioritaire

A 16 heures et le soir :

Projet de loi portant décentralisation du revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité (n° 282, 2002-2003).

(La conférence des présidents a fixé :

- au lundi 26 mai 2003, à 11 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à deux heures trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le vendredi 23 mai 2003.)

Mardi 27 mai 2003 :

A 9 h 30 :

1° Dix-huit questions orales (l'ordre d'appel des questions sera fixé ultérieurement) :

- n° 176 de Mme Annick Bocandé à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable (Réglementation applicable aux sondages de cavités souterraines) ;

- n° 180 de M. Jean Besson à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (Aides de l'Etat à l'installation des réseaux d'assainissement des eaux) ;

- n° 185 de M. Daniel Goulet à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire (Saisine de la DATAR) ;

- n° 200 de M. Philippe Richert à Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées (Conditions d'attribution de l'allocation d'éducation spéciale) ;

- n° 231 de M. Bernard Piras à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche (Droits de reprographie des oeuvres reproduites dans les écoles du premier degré) ;

- n° 241 de M. Dominique Braye à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer (Desserte routière entre Cergy-Pontoise et Mantes-la-Jolie) ;

- n° 244 de M. Jean-François Picheral à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer (Percement du couloir ferroviaire Val de Durance-Montgenèvre) ;

- n° 245 de Mme Valérie Létard à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire (Reprise par les communes de personnels d'associations gérant des services publics) ;

- n° 246 de M. Roland Courteau à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité (Situation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) ;

- n° 249 de M. Michel Moreigne à M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire (TVA applicable à la tapisserie d'Aubusson) ;

- n° 250 de M. Serge Franchis à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales (Appellation « Chablis ») ;

- n° 252 de M. Paul Natali à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (Couverture du risque attentat en Corse) ;

- n° 253 de M. Claude Domeizel à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche (Difficultés dans le secteur de l'enseignement) ;

- n° 254 de Mme Marie-Christine Blandin à M. le garde des sceaux, ministre de la justice (Condamnation de responsables de la Confédération paysanne) ;

- n° 256 de M. Ladislas Poniatowski transmise à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable (Ressources financières de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) ;

- n° 257 de M. Bruno Sido à M. le ministre délégué à la famille (Chèque emploi-services pour l'emploi d'assistantes maternelles) ;

- n° 258 de Mme Françoise Férat à M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire (Conditions d'inscription scolaire des enfants en zones rurales) ;

- n° 259 de M. José Balarello à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer (Aménagements du tunnel de Tende).

A 16 heures :

Ordre du jour prioritaire

2° Suite du projet de loi portant décentralisation du revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité ;

A 19 heures :

3° Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant diverses dispositions relatives à l'urbanisme, à l'habitat et à la construction ;

Le soir :

4° Suite du projet de loi portant décentralisation du revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité.

Mercredi 28 mai 2003 :

Ordre du jour prioritaire

A 15 heures et, éventuellement, le soir :

Suite du projet de loi portant décentralisation du revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité.

Mardi 3 juin 2003 :

A 9 h 30 :

1° Quinze questions orales (l'ordre d'appel des questions sera fixé ultérieurement) :

- n° 211 de M. Jean-Pierre Bel à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer (Avenir des auto-écoles) ;

- n° 239 de M. Jacques Oudin à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales (Modalités de transfert des moyens du Fonds national des adductions d'eau aux départements) ;

- n° 247 de M. Jean-Pierre Godefroy à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées (Mise en service du caisson hyperbare du centre hospitalier Louis-Pasteur [CHLP] de Cherbourg-Octeville) ;

- n° 248 de M. Jean-Paul Amoudry à Mme la ministre déléguée aux affaires européennes (Négociations d'accords bilatéraux entre l'Union européenne et la Suisse) ;

- n° 255 de Mme Michèle Demessine à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer (Financement du logement des saisonniers) ;

- n° 261 de M. Georges Mouly à Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées (Situation des personnes handicapées psychiques) ;

- n° 262 de M. Alain Vasselle à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (Récupération de la TVA sur les travaux d'enfouissement des lignes téléphoniques) ;

- n° 263 de M. Francis Grignon à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité (Modalités de versement des aides aux entreprises d'insertion) ;

- n° 264 de M. Philippe Madrelle à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable (Indemnisation des sinistrés du naufrage du Prestige) ;

- n° 265 de Mme Marie-Claude Beaudeau à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales (Sécurité des transports de fonds) ;

- n° 266 de M. Philippe Richert à Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées (Maintien à domicile des personnes lourdement handicapées) ;

- n° 267 de Mme Odette Herviaux à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées (Création d'une école des hautes études en santé publique) ;

- n° 268 de Mme Michèle San Vicente à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche (Avenir des personnels des centres d'information et d'orientation) ;

- n° 269 de Mme Josiane Mathon à Mme la ministre de la défense (Situation des sites GIAT-Industries de la Loire) ;

- n° 270 de M. Paul Loridant à Mme la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies (Fermeture de laboratoires de recherche du plateau de Saclay).

A 16 heures et le soir :

Ordre du jour prioritaire

2° Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur les infrastructures 2003-2020.

(La conférence des présidents a fixé :

- à quinze minutes, le temps réservé au président de la commission des affaires économiques, au président, au rapporteur général de la commission des finances ainsi qu'au président de la délégation du Sénat à l'aménagement et au développement durable du territoire ;

- à sept heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 2 juin 2003.)

Mercredi 4 juin 2003 :

Ordre du jour prioritaire

A 15 heures :

1° Projet de loi organique relatif au référendum local (n° 297, 2002-2003) ;

(La conférence des présidents a fixé :

- au mardi 3 juin 2003, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte :

- à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mardi 3 juin 2003) ;

Le soir :

2° Eventuellement, suite de l'ordre du jour de l'après-midi ;

3° Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, relative à la dévolution du nom de famille (n° 285, 2002-2003).

(La conférence des présidents a fixé au mardi 3 juin 2003, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte.)

Jeudi 5 juin 2003 :

Ordre du jour prioritaire

A 9 h 30 et à 15 heures :

Deuxième lecture du projet de loi de sécurité financière, modifié par l'Assemblée nationale (n° 281, 2002-2003).

(La conférence des présidents a fixé :

- au mercredi 4 juin 2003, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mercredi 4 juin 2003.)

Mardi 10 juin 2003 :

Ordre du jour prioritaire

A 9 h 30, à 16 heures et le soir :

1° Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs (n° 240, 2002-2003) ;

(La conférence des présidents a décidé de fixer au vendredi 6 juin 2003, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte) ;

2° Deuxième lecture, sous réserve de sa transmission, du projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit (AN, n° 831) ;

(La conférence des présidents a décidé de fixer au vendredi 6 juin 2003, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte) ;

3° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la chasse (n° 300, 2002-2003).

(La conférence des présidents a fixé :

- au mardi 10 juin 2003, à 11 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à trois heures trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le vendredi 6 juin 2003.)

Mercredi 11 juin 2003 :

Ordre du jour prioritaire

A 15 heures et le soir :

Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la chasse.

Jeudi 12 juin 2003 :

A 9 h 30 :

Ordre du jour prioritaire

1° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, pour la confiance dans l'économie numérique (n° 195, 2002-2003) ;

(La conférence des présidents a fixé :

- au mardi 10 juin 2003, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mardi 10 juin 2003.)

A 15 heures et le soir :

2° Questions d'actualité au Gouvernement ;

(L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant 11 heures) ;

3° Suite de l'ordre du jour du matin.

A N N E X E 1

Questions orales inscrites à l'ordre du jour

de la séance du mardi 27 mai 2003

N° 176. - Mme Annick Bocandé attire l'attention de Mme la ministre de l'écologie et du développement durable sur les problèmes du coût de sondage des sols et d'indemnisation des propriétaires de maisons et de terrains situés sur et à proximité de cavités souterraines. Son département est en effet très touché par ces phénomènes, à l'origine de véritables drames humains, qui posent des problèmes d'une rare complexité, tant technique que juridique, pour les victimes comme pour les collectivités locales. En effet, au nom du principe de précaution, certains propriétaires ne peuvent plus bâtir, effectuer d'agrandissement ni vendre leur bien, à moins de faire effectuer des sondages très coûteux et, dans certains cas encore plus onéreux, de procéder aux comblements des cavités. D'autres, lorsqu'ils n'ont pas déjà été victimes d'un affaissement, voire d'un effondrement, se voient contraints de quitter leur habitation. Les permis de construire ayant été, pour la plupart, délivrés antérieurement aux lois de décentralisation, plusieurs communes ont exprimé le souhait que l'Etat prenne ses responsabilités en subventionnant une partie des sondages et en indemnisant les propriétaires de maisons situées sur une cavité. C'est pourquoi, avec ses collègues sénateurs de la Seine-Maritime et de l'Eure, elle avait déposé une proposition de loi en ce sens. La loi relative à la démocratie de proximité n° 2002-276 du 13 février 2002, dans son titre VI, article 159, répond pour partie à ces requêtes. Malheureusement, à ce jour, les décrets d'application ne sont toujours pas sortis. Elle lui demande de lui indiquer dans quels délais seront fixées les modalités d'application de cette loi tant attendue par les victimes et élus locaux et sur laquelle ils ont fondé beaucoup d'espoir.

N° 180. - M. Jean Besson sollicite l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur les difficultés d'application du décret du 16 décembre 1999 dans le cadre de la loi sur « l'eau ». En effet, la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 dite « loi sur l'eau » fait obligation aux communes de prendre en charge les dépenses relatives aux systèmes d'assainissement collectif. Le décret n° 94-469 du 3 juin 1994 précise que les communes dotées d'un réseau d'assainissement collectif doivent pour les plus petites d'entre elles mettre en place un traitement de leurs eaux usées avant le 31 décembre 2005. Dans le département de la Drôme, de très nombreuses communes à faible population permanente, et à faible potentiel fiscal, doivent engager des opérations multiples et coûteuses souvent, dans le bourg centre et dans les hameaux (au nombre parfois de deux ou trois ou plus). Des dispositifs de financements exceptionnels avaient pu être mis en place généralement avec des subventions exceptionnelles pour parvenir à un taux de subvention globalement suffisant au regard des possibilités financières de ces communes qui pouvait atteindre 85 %, voire 95 %. Cette situation s'est singulièrement compliquée avec le décret n° 99-1060 du 16 décembre 1999 qui stipule qu'il ne peut y avoir de subvention de l'Etat au-delà du plafond de 80 % d'aides publiques. Compte tenu de la contrainte du plafond des aides publiques qu'il impose, même avec les dispositions dérogatoires possibles, qui permettent une prise en charge par le budget principal de la commune des dépenses d'équipements qui relèvent normalement du budget annexe de l'assainissement, les communes sont confrontées à une impasse budgétaire. Le décret de 1999 qui ne prévoit aucune disposition particulière pour les plus petites communes ne permettra pas à celles-ci de réaliser leurs investissements d'assainissement collectif comme la loi les y oblige. Le retard pris dans l'application de la directive 91/271/CEE du 21 mai 1991 risque fort de s'aggraver. Il lui demande quelles solutions envisage le Gouvernement pour introduire une souplesse nécessaire dans l'application de ce décret du 16 décembre 1999.

N° 185. - M. Daniel Goulet attire l'attention de M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire sur la saisine de la délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR). A l'heure du 40e anniversaire de sa création, la DATAR est plus que jamais un instrument décisif du développement économique équilibré des territoires. Aussi, pour rendre ses expertises plus accessibles, le Gouvernement ne pourrait-il pas envisager d'en faciliter la saisine ? En effet, en ouvrant la saisine aux élus, aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), comme aux associations, la DATAR se rapprocherait encore des citoyens, qui pourraient ainsi bénéficier de ses analyses et de ses actions. Il lui demande sa position sur cette suggestion.

N° 200. - M. Philippe Richert attire l'attention de Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées sur un cas d'espèce relatif à la non-information d'une famille sur ses droits à l'allocation spéciale (AES). Il semble que ni le milieu médical, ni le milieu éducatif n'aient informé cette famille de ses droits alors que l'enfant, pour lequel les parents auraient pu toucher l'AES, présentait très tôt des signes caractéristiques de troubles y ouvrant droit. Une demande de rétroactivité d'AES, tout à fait justifiée, a été présentée à la commission départementale d'éducation spéciale (CDES), sur la base de certificats médicaux et frais engagés par ces parents aux revenus modestes. Cette dernière y a opposé un refus catégorique. M. Philippe Richert a alors saisi le Médiateur de la République, qui est intervenu une nouvelle fois auprès du CDES du Bas-Rhin, par voie de recommandation en équité afin qu'il puisse être procédé à un réexamen de ce dossier. Les membres de la commission plénière ont refusé de modifier la date d'attribution de l'AES en se fondant sur le principe de non-rétroactivité qui a toujours été opposé aux familles qui ont présenté des demandes analogues. La seule issue serait pour la famille de rechercher par voie judiciaire la responsabilité du médecin et/ou du milieu éducatif. Cette solution est d'autant plus inenvisageable pour une famille aux revenus modestes que l'issue d'une telle démarche est incertaine. Aussi, il souhaiterait recueillir son avis sur ce cas d'espèce et savoir si, à l'avenir, elle envisage de donner des instructions pour que plus de souplesse puisse être autorisée par son administration dans de telles situations.

N° 231. - M. Bernard Piras attire l'attention de M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche sur les droits de reprographie des oeuvres reproduites dans les écoles du premier degré. Le Gouvernement s'était engagé à saisir le Conseil d'Etat afin de confirmer que ces frais relevaient bien de la compétence de l'éducation nationale, au titre des dépenses pédagogiques, et non pas de celles des communes. Or, ce dernier vient de rendre un avis dans lequel il considère que cette charge incombe aux communes au motif que le législateur, à l'inverse des départements et des régions, n'aurait pas entendu décharger la commune du financement des dépenses pédagogiques. Le Centre français d'exploitation du droit de copie a récemment saisi, sur la base de cet avis, les maires, afin de conclure des contrats mettant à la charge des communes ces droits de reprographie. Il semble qu'une concertation doive prochainement avoir lieu entre l'Association des maires de France, le Centre français d'exploitation du droit de copie et les administrations concernées, afin d'examiner et organiser ensemble les modalités pratiques consécutives à cet avis. Il a été alerté à plusieurs reprises par des maires de son département qui, désemparés, ne souhaitent pas pour le moment, devant l'opacité de la situation, signer lesdits contrats. Il tient quand même à lui faire part de l'incompréhension des maires au regard de la discrimination faite entre les différents niveaux de collectivités en matière d'éducation. Il souhaite donc le saisir pour qu'il puisse lui apporter des éclaircissements sur ce dossier, et plus particulièrement sur la position que doivent adopter les édiles en attendant l'issue de cette concertation.

N° 241. - M. Dominique Braye appelle l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer sur le risque d'un report sine die de la création d'une nouvelle desserte routière entre Cergy-Pontoise et Mantes-la-Jolie (projet C13-F13). En effet, le récent rapport d'audit de l'inspection générale des finances et du Conseil général des ponts et chaussées sur les grands projets d'infrastructures de transport préconise d'envisager la réalisation de ce projet au-delà de 2020, estimant « qu'il ne remplirait pas les fonctions prioritaires qui sont celles du réseau routier national structurant ». Or cette liaison, évoquée depuis des décennies, est toujours très attendue par l'ensemble des élus et des habitants de la Seine Aval, dans les Yvelines mais aussi du Val-d'Oise, afin de désengorger le trafic routier sur la RD 190, de remédier au difficile franchissement de la Seine au niveau de Meulan-Les Mureaux et d'améliorer la desserte routière entre les deux importantes agglomérations de l'ouest parisien que sont Cergy-Pontoise et Mantes-la-Jolie. Dans le cadre de la mise en oeuvre du contrat de plan Etat-régions, des actions d'aménagement du territoire et de redynamisation sont prévues sur le territoire prioritaire de la Seine Aval, couvrant 23 communes entre Mantes et Meulan-Les Mureaux. Parmi les champs d'intervention figurent le développement du tissu économique et l'amélioration de la desserte du territoire, sans oublier le renforcement de l'attractivité résidentielle. Or le projet C13-F13 est un axe absolument prioritaire pour le développement et l'équilibre de ce territoire ainsi que pour le bien-être quotidien de ses habitants. Il lui demande donc de rassurer l'ensemble des élus et la population de ce territoire quant à la volonté de l'Etat de voir aboutir le projet C13-F13, ses décisions n'étant pas engagées par les conclusions de cet audit qui a simplement une valeur consultative et qui semble avoir omis la dimension régionale prioritaire du développement de la Seine Aval.

N° 244. - M. Jean-François Picheral attire l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer sur la programmation à venir du percement du couloir ferroviaire Val de Durance-Montgenèvre. Son prédécesseur avait pris position en faveur de ce percement et avait insisté sur les avantages de cette option. Il avait par ailleurs annoncé que ce chantier, dont le coût correspondrait au dixième du coût annoncé pour le projet Lyon-Turin, pourrait être achevé dès 2010. Cependant, l'hypothèse d'un retard de l'avancement des travaux du tunnel de Montgenèvre serait susceptible d'entraîner des conséquences graves dans la région du sud-est de la France, et notamment provoquerait un engorgement routier sans précédent. Les schémas multimodaux des services collectifs des transports, adoptés au comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire, avaient en effet prévu le quadruplement du « volume de congestion » sur les axes rhodanien et languedocien à l'horizon 2020. La mise en service préalable de l'axe des transports alternatifs apparaissait donc comme une condition nécessaire à la mise en oeuvre des chantiers envisagés. A cette fin, la commission intergouvernementale (CIG) pour l'amélioration des liaisons franco-italiennes dans les Alpes du Sud avait constitué plusieurs groupes de travail, chargés notamment d'examiner les perspectives de développement du transport ferroviaire. Le 25 mars 2002, cette commission avait adopté le mandat du groupe de travail, dont la mission première était d'examiner l'intérêt et la faisabilité technique, juridique, financière et environnementale d'un projet de liaison ferroviaire entre le Val de Durance en France et le Val de Suse en Italie, franchissant la crête des Alpes sous le Montgenèvre. Or, selon certaines informations, depuis cette date, aucune avancée sur ce dossier n'a eu lieu. Il ne peut donc que s'étonner d'un tel constat, et s'inquiéter pour les conséquences sur le trafic des retards pris par la commission. C'est pourquoi il lui demande de lui indiquer quelles ont été les activités du groupe de travail mandaté par la CIG sur ce dossier depuis le 25 mars 2002.

N° 245. - Mme Valérie Létard attire l'attention de M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire sur les différents problèmes qui se posent aux communes qui souhaitent reprendre en régie les activités précédemment confiées par elles à des associations, en particulier en ce qui concerne notamment le devenir des personnels contractuels et la reprise de leur ancienneté. Or plusieurs chambres régionales des comptes ont jugé récemment que la pratique assez largement répandue pour des collectivités territoriales de faire participer des associations à des activités de service public pouvait constituer une gestion de fait. Pour se conformer au droit, de nombreuses collectivités réfléchissent donc à la possibilité de réintégrer en leur sein des activités déléguées à des associations. Dans de nombreux cas, et c'est notamment la situation de l'association Val Enfance de Valenciennes, la reprise de l'ancienneté des agents de ces associations constitue une réelle difficulté. C'est pourquoi elle lui demande, compte tenu du bilan des premières applications de l'article 9 de la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001, de lui indiquer quelles mesures pourraient être envisagées, notamment au regard du droit européen, pour régler les difficultés rencontrées par les communes pour la reprise de personnels contractuels employés par des associations gérant des services publics administratifs et de lui préciser selon quel calendrier ces mesures pourraient intervenir.

N° 246. - M. Roland Courteau attire l'attention de M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité sur la mise en oeuvre de la réforme de la tarification dans les établissements d'hébergement pour les personnes âgées dépendantes (EHPAD). Cette réforme implique, pour ces établissements, la signature d'une convention tripartite (établissement, conseil général, Etat), et porte sur une tarification ternaire : un tarif d'hébergement financé par la personne âgée et éventuellement par l'aide sociale, un tarif dépendance financé par l'APA (allocation personnalisée d'autonomie) avec une participation du bénéficiaire, et enfin un tarif soins, financé par l'assurance maladie. Il lui indique qu'un plan pluriannuel d'amélioration de la qualité en maison de retraite avait été adopté, qui devait se traduire par cinq tranches annuelles d'un montant de 183 millions d'euros, soit 930 millions sur cinq ans. Si, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, la date butoir de signature de ces conventions a été repoussée du 31 décembre 2003 au 31 décembre 2005, en revanche, l'assurance a été donnée que les 6 000 conventions tripartites restant à signer pourraient l'être à raison de 2 000 environ par an, dont 1 800 pour l'année 2003. Or, selon les informations dont il dispose, il semblerait que les enveloppes budgétaires pour 2003 aient été réduites à zéro et que, par voie de conséquence, les services déconcentrés de l'Etat refusent de signer de nouvelles conventions, voire de les instruire, retardant ainsi la mise en oeuvre de dispositions visant pourtant à garantir des prestations de qualité et à médicaliser les établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes, notamment ceux qui ne disposent pas de cures médicales et fonctionnent avec du personnel libéral rémunéré à l'acte. Il lui précise que dans l'Aude, où sur les 58 établissements existants 50 accueillent des personnes âgées dépendantes et sont concernés par la réforme, tout retard apporté dans la mise en oeuvre de celle-ci rendra plus critique encore la situation, d'autant que progressivement les infirmières libérales, confrontées à des problèmes de quotas, refusent d'intervenir dans les établissements non médicalisés où elles allaient jusque-là. Face à un tel contexte, qualifié de grave et concernant un domaine particulièrement sensible, il lui demande s'il entend réviser sa position et faire en sorte que les engagements de l'Etat soient respectés dès 2003.

N° 249. - M. Michel Moreigne souhaite attirer l'attention de M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire sur le taux de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) appliqué à la tapisserie d'Aubusson. Jusqu'à présent les lissiers pouvaient bénéficier du taux réduit de 5,5 % pour la vente de cette production artistique séculaire. Une interprétation du code général des impôts combinant l'article 98 A (II, 4), annexe III, et l'article 278 septies entraînerait l'application du taux normal de TVA (19,6 %). Or, la tapisserie, oeuvre d'art résultant bien du travail d'un lissier (artisan ou en société) et d'un cartonnier, paraît ressortir de l'article 98 A (II, 4) de l'annexe III du code précité. Cela concerne tant les tapisseries contemporaines que les interprétations de tapisseries anciennes réalisées sur la base d'un carton (ou maquette). Il lui demande de préciser l'interprétation du code général des impôts sur ce point.

N° 250. - M. Serge Franchis attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales sur le préjudice d'image et sur le déficit des ventes que la mise en marché de « faux chablis » fait subir à l'appellation « chablis ». En volume mondial, le « faux chablis » produit chaque année, bien qu'en réduction très importante par rapport aux évaluations pratiquées en 1989, représente encore l'équivalent de 7 à 8 fois la production totale du vignoble chablisien en Bourgogne. Les Etats-Unis sont les principaux producteurs de « faux chablis », qu'ils exportent essentiellement au Canada. En conséquence, le chablis français pénètre peu le marché de l'Amérique du Nord (3,55 % des exportations aux Etats-Unis et 2,28 % au Canada). L'Argentine reste le deuxième producteur de faux chablis, avec une consommation réservée au marché intérieur. Le chablis argentin, comme le chablis américain, est considéré comme un vin d'entrée de gamme et se vend à un prix inférieur à 4 pesos argentins (1,1 euro). Sur ces marchés, les professionnels ont à manifester leur réaction par voie de campagne de communication et par une démarche commerciale auprès des principaux distributeurs de chablis français. L'accompagnement de l'Institut national des appellations d'origine (INAO) dans une action juridique pour la reconnaissance des indications géographiques paraît également souhaitable. Il lui demande si son ministère s'est saisi de ce problème complexe pour faire jouer la carte de la différenciation, notamment sur le marché américain, entre le vrai et le faux chablis.

N° 252. - M. Paul Natali attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur le problème de la couverture du risque attentat en Corse. Le récent plasticage de la perception de Borgo, bâtiment déjà visé en octobre 2001, ainsi que les différents attentats perpétrés à différents endroits de l'île, posent à nouveau avec acuité la question de la couverture de ce risque. A la fin des années 80, afin d'y faire face, les compagnies d'assurance s'étaient regroupées sous la forme d'un « pool des risques aggravés » et ce système s'était révélé satisfaisant. Malheureusement, il a été supprimé il y a plus de deux ans, et le précédent gouvernement a échoué à trouver avec les assureurs une solution qui ne pénalise pas les victimes de ces attentats. Or ce déficit de couverture entrave considérablement l'activité des entreprises et hypothèque sérieusement le développement économique et social de la Corse. C'est pourquoi il souhaiterait savoir si le Gouvernement entend traiter ce dossier, notamment en examinant avec la profession de l'assurance les solutions qui pourraient être envisagées.

N° 253. - M. Claude Domeizel attire l'attention de M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche sur les difficultés qui apparaissent pour la prochaine rentrée scolaire. Il note que les mouvements de protestation à l'égard du service public se multiplient, qu'ils viennent des parents ou du personnel (enseignant ou non). Les motifs ne manquent pas : suppression des aides-éducateurs et des surveillants, suppression de 5 000 postes de contractuel, transfert de personnel par le biais de la décentralisation, insuffisance d'enseignants pour la prochaine rentrée scolaire. Dans le département des Alpes-de-Haute-Provence, le mécontentement s'amplifie tant dans l'enseignement élémentaire et préélémentaire que dans les collèges. L'élaboration de la carte scolaire du primaire est laborieuse par manque de création de postes. Dans les collèges, les dotations horaires sont en diminution pour un nombre d'élèves identique ou supérieur. Pour exemple, le collège Jean-Giono à Manosque, classé en ZEP, voit, pour une structure équivalente et un effectif quasiment inchangé, sa dotation horaire 2003-2004 fortement diminuée, la dotation de la SEGPA restant en deçà des exigences minimum officielles. Le temps d'enseignement de la totalité des matières s'en trouve réduit. De plus, l'obligation d'intégrer des heures « itinéraires de découvertes », discipline nouvelle et intéressante, fait disparaître des heures d'enseignement général non compensées par ailleurs. Globalement, cet établissement, mais il n'est malheureusement pas un cas isolé, comptabilise un déficit d'une quarantaine d'heures pour assurer un enseignement normal. Outre les conséquences dont seront victimes les élèves, les conditions de travail risquent de créer un découragement parmi le personnel, particulièrement dans les collèges situés dans les secteurs difficiles. Dans le cadre d'une rigueur budgétaire appliquée à l'éducation nationale, on peut craindre qu'une simple opération comptable porte atteinte à la qualité de ce service public dans une période où, plus que jamais, la jeunesse a besoin, par le biais de l'école, de références pour se construire. Les élèves, les enseignants et les parents attendent une réponse rassurante de sa part.

N° 254. - Mme Marie-Christine Blandin souhaite attirer l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'atteinte aux libertés syndicales que représente la condamnation de deux responsables syndicaux de la Confédération paysanne pour des actes commis dans le cadre de leurs responsabilités syndicales. Pour avoir participé à des actions syndicales ayant consisté à neutraliser des essais de plants d'organismes génétiquement modifiés, ces deux responsables syndicaux se trouvent condamnés à dix mois de prison ferme. Ces condamnations excessivement lourdes sont sans commune mesure avec les faits reprochés. En effet, les actions non violentes menées par la Confédération paysanne ont toujours eu une dimension essentiellement symbolique. Leur but, plus que de porter préjudice aux entreprises visées, était avant tout de déclencher un débat national sur une technologie qui menace l'autonomie des paysans vis-à-vis de grands groupes semenciers, et que la majorité de nos concitoyens refuse de trouver dans leur assiette. Il faut d'ailleurs rendre justice à l'action de ce syndicat pour avoir su déclencher un débat national d'une grande ampleur médiatique. Face aux multinationales de l'agro-chimie, aux lobbies de l'agriculture productiviste et aux semenciers américains, seules des actions symboliques retentissantes pouvaient permettre aux petits agriculteurs et aux simples citoyens de faire entendre leur désarroi. Que ces actions puissent sortir parfois du cadre légal et que le syndicat soit alors condamné en justice, cela s'entend, même si on attend encore les condamnations de la FNSEA pour le saccage des bureaux de la ministre de l'environnement. Mais nous ne pouvons admettre un tel acharnement procédurier à l'encontre de personnes. Leur action a été menée dans le cadre d'un mandat syndical décidé collectivement et démocratiquement : c'est donc le syndicat dans son ensemble qui devrait faire l'objet d'une condamnation. Aux yeux de l'opinion publique, l'incarcération de ces responsables syndicaux constituerait une atteinte avérée au droit syndical et remettrait en cause le bien-fondé du débat public sur les OGM, du droit de tous de jouir d'une alimentation et d'un environnement sains, ainsi que du droit de faire prévaloir l'intérêt général sur des intérêts privés. Elle souhaiterait connaître l'état d'avancement de l'instruction par les services de la demande de grâce exprimée par de très nombreux concitoyens et s'il a d'ores et déjà obtenu une réponse de la présidence de la République concernant cette question.

N° 256. - M. Ladislas Poniatowski souhaiterait obtenir de M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire des informations sur l'évolution des ressources de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) qui sont passées de 77 millions d'euros en 2002 à environ 45 millions d'euros en budget initial 2003. Il désirerait, en particulier, savoir si ces montants permettront à l'agence de poursuivre son action dans des conditions satisfaisantes, considérant notamment que la seule part du budget consacré à l'action régionale se montait à 45 millions d'euros en 2002. Il constate que les sommes nécessaires pour financer les demandes d'aide à l'investissement dans les secteurs du solaire thermique et du solaire photovoltaïque, des chaufferies à bois et du biogaz et les demandes de subventions destinées au cofinancement d'études de prédiagnostic dépassent, d'ores et déjà, largement les 37,5 millions d'euros inscrits au budget 2003. Il souhaiterait savoir s'il est exact qu'environ 20 millions d'euros font défaut, au titre de l'exercice en cours, pour financer ces actions afin de poursuivre un effort de développement qui doit être continu, à peine de porter préjudice au décollage de cette industrie. Il tient à souligner, à titre d'exemple, que dans le photovoltaïque l'objectif minimum compatible avec le maintien des 1 000 emplois de la filière - soit 2 mégawatts de panneaux raccordés au réseau électrique - ne pourra être atteint avec la dotation actuelle puisque les crédits au titre de 2003 seront tous consommés en juin prochain. Il en va de même, semble-t-il, dans le solaire thermique où il était prévu d'installer 75 000 mètres carrés en 2003. Il tient à souligner le caractère stratégique de ces industries et la nécessité de leur apporter une aide constante dans le long terme soit en rétablissant le volume des dotations initialement prévues, soit en reportant au profit de ces secteurs des crédits non consommés existants sur d'autres lignes budgétaires.

N° 257. - M. Bruno Sido appelle l'attention de M. le ministre délégué à la famille sur l'opportunité d'étendre l'utilisation du chèque emploi-service à l'emploi des assistantes maternelles agréées à titre non permanent. Le succès rencontré par ce dispositif réside en effet non seulement dans la déductibilité fiscale d'une partie du montant du salaire et des charges sociales correspondantes de l'employé, mais aussi dans la simplification des démarches administratives réduites à leur plus simple expression. L'extension de ce dispositif à l'emploi des assistantes maternelles agréées gardant les enfants à leur domicile serait en parfaite adéquation avec la démarche ambitieuse de simplifications administratives actuellement en cours.

N° 258. - Mme Françoise Férat appelle l'attention de M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire sur les inquiétudes suscitées, parmi les maires du syndicat scolaire du Belval, par un récent jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qui annule la décision du maire de Ville-en-Tardenois de refuser l'inscription d'un enfant au « motif inopérant d'augmentation croissante des effectifs dans les écoles du groupement de la communauté de communes » d'Ardre-et-Tardenois. Du fait de leur activité professionnelle et de l'absence de services de restauration et (ou) de garderie dans l'école, les requérants se voient donc reconnaître la faculté d'inscrire leur enfant dans une école différente de celle prévue par le périmètre scolaire, dès lors qu'il existe à proximité du domicile parental plusieurs écoles publiques localisées ou non sur le territoire de la commune. En l'espèce, ce jugement va inciter plusieurs familles résidant dans les communes du Châtillonnais à entreprendre une démarche identique auprès de la mairie de Ville-en-Tardenois. Cette dernière sera contrainte de les accueillir dès lors que le nombre d'élèves, fixé par voie réglementaire, n'est pas atteint. Cette situation risque de conduire au dépeuplement du groupe scolaire de Cuchery, et ce malgré la présence d'assistantes maternelles agréées disponibles, qui peuvent donc assurer les missions de garde et de restauration. Elle pourrait également obérer la capacité d'accueil de l'établissement de Ville-en-Tardenois, commune sujette à une arrivée massive de familles en raison de la construction de la ligne à grande vitesse. C'est donc tout un équilibre scolaire, fruit de la réflexion de l'inspection académique et des importants investissements intercommunaux, qui sera remis en cause. Il lui semble donc indispensable d'appréhender la réelle portée d'une telle décision qui pourrait, à l'avenir, être consacrée par la jurisprudence du Conseil d'Etat. Cette reconnaissance pourrait en particulier influer sur les initiatives des collectivités qui contribuent à une part importante du financement du système éducatif. A la lumière de ces éléments, elle lui demande de bien vouloir lui préciser les mesures qu'il envisage de prendre pour assurer le maintien des effectifs de nos écoles rurales, pièces maîtresses de l'aménagement du territoire et garantes d'une scolarisation ouverte à tous.

N° 259. - M. José Balarello rappelle à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer que la RN 204 et le tunnel routier du col de Tende sont le lien le plus direct entre la Côte d'Azur et le Piémont, région qui est, avec sa capitale Turin, l'une des plus riches de l'Union européenne. Or, aucune synergie n'a été mise en place entre ces deux pôles en dehors du tourisme, du fait de l'inexistence de moyens de communication rapides tant routiers que ferroviaires. Cette situation déplorable ne saurait perdurer car bien que les réseaux routiers et ferroviaires existent, ils sont obsolètes par suite d'un manque évident de volonté politique et de souci de coordination tant à Paris qu'à Rome. Aussi, ayant déjà posé quinze questions écrites ou orales sur le sujet, sans compter une trentaine de lettres aux différents interlocuteurs concernés par ce dossier, il lui demande des réponses précises sur les points suivants : 1. En ce qui concerne la sécurité du tunnel actuel de Tende, après la réunion franco-italienne qui s'est tenue à Tende le 20 mars 2003, la DDE et l'ANAS se sont-elles mises d'accord sur un programme de travaux minimaux à effectuer, sans interrompre le trafic, l'interprétation des textes étant totalement différente pour la France et pour l'Italie alors que le tunnel est pour moitié en France et pour moitié en Italie ? 2. Combien de temps faudra-t-il encore attendre avant que le ministre et son collègue italien imposent à leurs services une vision commune des travaux à réaliser, soit un seul nouveau tunnel de grand gabarit, soit deux nouveaux tunnels avec réalésage du tunnel actuel, soit deux nouveaux tunnels de même gabarit ? En effet, la commission franco-italienne dont la dernière réunion a eu lieu le 7 avril 2003 à Turin n'a rien décidé. La proposition de directive européenne E 2189 ayant trait aux « exigences de sécurité minimale applicables aux tunnels » et ses trois annexes, y compris le projet de réécriture de l'annexe I proposée par les pays de l'Arc alpin ne doit-elle pas faciliter une approche rapide et commune de ce dossier avec nos voisins italiens ? 3. N'est-il pas urgent d'installer une cellule de concertation regroupant trois ingénieurs, l'un de la DDE des Alpes-Maritimes, les deux autres de l'ANAS, dépendant des provinces d'Imperia et de Cuneo, afin de connaître les projets neufs, les réparations et les fermetures de la RN 204 et de la SS20 ?

A N N E X E 2

Questions orales inscrites à l'ordre du jour

de la séance du mardi 3 juin 2003

N° 211. - M. Jean-Pierre Bel attire l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer sur l'avenir des auto-écoles. Depuis le 1er janvier 2002, la gestion du service des examens au permis de conduire est placée sous la tutelle de la direction départementale de l'équipement, avec autorité fonctionnelle au 1er avril prochain et la réorganisation des examens totalement effective en août 2003. Sur ce dernier point, une révision de la répartition des centres d'examens est en cours dans son département de l'Ariège. On s'oriente vers un regroupement de plusieurs centres d'examens sur la sous-préfecture de Pamiers, obligeant les candidats du pays d'Olmes à effectuer 80 km aller-retour. Tout ceci sans aucune concertation. A l'heure où le Premier ministre parle de nécessaire décentralisation dans l'accomplissement de territoires pertinents, on est en droit de se demander si le projet de « centralisation » effective vers une zone urbaine ne contribue pas, au contraire, à vider de son sens la politique territoriale. Et ce d'autant qu'à ce propos, on se trouve face à un réel cas de maintien du service public pour de nombreux candidats pour qui l'obtention du permis de conduire n'est pas un luxe mais une réelle nécessité. Il souhaiterait connaître la position du Gouvernement sur cette question aux répercussions importantes en termes d'aménagement du territoire et de service public.

N° 239. - M. Jacques Oudin attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales sur la nécessité de préserver le rôle essentiel de péréquation et de solidarité que joue le Fonds national des adductions d'eau (FNDAE) en faveur des communes rurales. La solidarité entre le milieu urbain et le monde rural s'avère plus que jamais nécessaire. En effet, les taux de non-conformité de l'eau distribuée en zone rurale sont actuellement deux fois supérieurs à ceux observés en milieu urbain. En outre, les ressources en eau en milieu rural sont très exposées aux pollutions diffuses, ce qui impose le recours à des technologies de traitement sophistiquées et coûteuses. Les efforts à fournir sont d'autant plus considérables que la dispersion de l'habitat en milieu rural conduit à des linéaires de réseaux beaucoup plus importants par habitant desservi. Lors de la synthèse des Assises des libertés locales à Rouen, le 28 février 2003, le transfert des moyens du FNDAE de l'Etat aux départements a été annoncé. Dans ce cadre, il souhaite connaître les dispositions envisagées pour préserver une certaine péréquation entre départements, dans la mesure où les recettes de la redevance assise sur les consommations d'eau seront bien supérieures dans les zones les plus urbanisées. Il lui demande en outre de bien vouloir lui préciser dans quel cadre les réflexions pour la réforme du FNDAE seront poursuivies et les modalités de concertation qui seront engagées avec les associations d'élus.

N° 247. - M. Jean-Pierre Godefroy souhaite attirer l'attention de M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées sur l'installation du caisson hyperbare attribué au centre hospitalier Louis Pasteur (CHLP) de Cherbourg-Octeville. Le maintien dans le Nord-Cotentin d'un tel équipement, jugé indispensable par tous, avait en effet été acquis après la fermeture du centre hospitalier des armées René Le Bas. L'engagement ministériel correspondant s'était caractérisé par la possibilité d'inclure le surcoût du bâtiment accueillant ce caisson dans le programme de restructuration de l'établissement à hauteur de 440 000 euros ; engagement avait été également pris par votre prédécesseur d'en accompagner le fonctionnement. Ainsi, par décision du 18 mars 2003, l'agence régionale de l'hospitalisation (ARH) de Basse-Normandie a accordé une autorisation de fonctionnement au CHLP. Néanmoins, cette décision d'autorisation précise que « l'exploitation de cet équipement est subordonnée à l'attribution d'une enveloppe ministérielle spécifique, en sus de la dotation régionalisée limitative des dépenses hospitalières ». L'établissement avait envisagé de mettre en service ce caisson hyperbare avant la fin de l'année 2003 ; or cela demande un recrutement anticipé et une formation spécialisée pour le personnel médical, infirmier et technique nécessaire à son fonctionnement. C'est pourquoi il est indispensable que le centre hospitalier puisse avoir un financement assuré au moins 6 à 9 mois avant la mise en fonctionnement, c'est-à-dire sans délai. Les dépenses nécessaires à l'installation du caisson puis à sa pérennisation ont été évaluées respectivement pour un montant de 281 000 euros (dépenses non reconductibles) et 811 400 euros (dépenses reconductibles) par le conseil d'administration de l'hôpital ; présentées à l'ARH de Basse-Normandie, elles n'ont fait à ce jour l'objet d'aucune observation. C'est pourquoi il lui demande de bien vouloir attribuer rapidement les moyens nécessaires au fonctionnement de cet équipement indispensable.

N° 248. - M. Jean-Paul Amoudry appelle l'attention de Mme la ministre déléguée aux affaires européennes sur les négociations qui seraient en cours entre l'Union européenne et la Suisse, en vue de la conclusion d'accords bilatéraux, visant à compléter et prolonger ceux conclus le 11 décembre 1998. Il lui indique que les élus locaux et parlementaires français des départements frontaliers n'ont, à ce jour, été informés ni par les services de l'Etat ni par ceux de l'Union européenne du contenu de ces négociations, ni même de leur existence, alors que leurs homologues suisses y sont, semble-t-il, étroitement associés. Il souligne que les conséquences des précédents accords bilatéraux, entrés en vigueur le 1er juin 2002, apparaissent d'ores et déjà particulièrement inquiétantes pour certains départements frontaliers, notamment l'Ain et la Haute-Savoie, conformément aux craintes exprimées par des parlementaires français lors de l'examen du projet de loi autorisant leur ratification. On constate ainsi une augmentation significative des coûts du logement, qui atteignent un niveau difficilement supportable pour les salariés français, une pénurie de personnel dans certaines professions de l'artisanat et des services, ainsi qu'une saturation croissante des réseaux de transport routier. Il apparaît donc indispensable aux élus et responsables économiques des départements touchés par ces effets négatifs de s'efforcer de les corriger, notamment à l'occasion des négociations en cours. Aussi, il lui demande de bien vouloir lui faire connaître les initiatives que le gouvernement français entend engager en concertation avec l'Union européenne pour que les responsables locaux puissent être enfin consultés et entendus avant la conclusion des négociations de ces nouveaux accords bilatéraux.

N° 255. - Mme Michelle Demessine souhaite interroger M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer sur les difficultés rencontrées par les conseils généraux quant au financement du logement des travailleurs saisonniers, suite au non-renouvellement de la dotation spécifique prêt locatif à usage social (PLUS) et prêt locatif social (PLS) qui leur était allouée. Principale difficulté à laquelle sont confrontés les travailleurs saisonniers, la question du logement a fait l'objet sous la précédente législature de plusieurs réformes répondant aux attentes de ce milieu professionnel très présent dans les départements touristiques. Elaborées conjointement par les secrétaires d'Etat du logement et du tourisme et par les professionnels de la montagne et du tourisme, ces mesures ont permis d'impulser la création sur l'ensemble du territoire de plusieurs centaines de logements destinés aux saisonniers. Pourtant, malgré l'effet positif de ces dispositions sur la projection de programmes de réalisation de logements, il apparaît que dans un strict souci d'économie budgétaire la dotation spécifique en PLUS et PLS allouée aux départements utilisateurs des mesures pour les saisonniers ne sera pas reconduite. Dans le cas de la Savoie, fortement utilisatrice, ce sont 300 logements prévus en 2003 qui ne pourront être construits alors qu'ils répondaient à une attente des employeurs et des salariés des massifs. Les conséquences sur l'activité économique et sur l'emploi de la zone concernée sont en proportion. C'est autant d'emplois directs et induits qui s'en verront affectés, portant préjudice au développement des activités touristiques des sites, et plus généralement à l'attractivité professionnelle du département. Par ailleurs, émanation d'une directive nationale, ce choix budgétaire de l'Etat fait peser sur les finances des conseils généraux des charges financières supplémentaires qui vont se traduire par un accroissement de la fiscalité locale compte tenu des engagements déjà pris. Alors même qu'ils sont particulièrement touchés par cette sollicitation financière de plus en plus lourde, résultant d'un désengagement de l'Etat au nom d'une certaine conception de la décentralisation. Elle lui demande donc les dispositions qu'il envisage de mettre en oeuvre afin de pallier les difficultés économiques et financières que rencontrent les départements confrontés à cette baisse de dotation.

N° 261. - M. Georges Mouly appelle l'attention de Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées sur la situation des personnes handicapées psychiques et de leur entourage, souvent isolés, pour lesquels il serait légitime de mettre en oeuvre un véritable programme d'actions visant à répondre à leurs besoins spécifiques tel que suggéré par l'Union nationale des amis et familles de malades mentaux. Il lui demande donc si elle envisage de lancer un plan de soutien à la maladie mentale, incluant, par exemple, la création de lieux de vie adaptés, des mesures d'accompagnement de la personne et de soutien aux aidants familiaux, souvent démunis face aux ravages de la maladie mentale.

N° 262. - M. Alain Vasselle souhaite attirer l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur les difficultés rencontrées par les collectivités territoriales s'agissant de la récupération de la TVA sur les travaux d'enfouissement de lignes téléphoniques qu'elles réalisent. Les collectivités sont fortement impliquées dans la réalisation de ces travaux qu'elles conduisent sous maîtrise d'ouvrage. Elles assurent, pour ces mêmes opérations, une part déterminante du financement nécessaire, et bénéficient également de subventions du conseil général. Les réseaux ainsi effacés constituent de véritables opérations de valorisation esthétique, de sécurisation et de protection du patrimoine des collectivités. Ils contribuent, en outre, à augmenter la durée d'utilisation et de conservation des réseaux de télécommunication. Tout en demeurant propriétaires des ouvrages ainsi réalisés, les collectivités en concèdent l'usage, moyennant loyer, à un opérateur de télécommunication, en l'occurrence France Télécom. Ces investissements représentent des sommes excessivement lourdes, notamment pour les petites collectivités rurales, qui doivent de plus faire face désormais au désengagement financier de France Télécom pour les opérations à venir. Or, en l'état actuel, ces travaux ne donneraient pas lieu à récupération de TVA, ce qui impose aux collectivités de supporter une charge financière encore plus aggravante. Jusqu'à présent, les solutions de récupération de TVA proposées ne semblent pas réalisables. Eu égard aux sommes considérables en jeu et à la préoccupation grandissante des collectivités en la matière, il souhaiterait connaître les dispositions que le Gouvernement compte prendre pour permettre notamment aux collectivités aux moyens financiers et humains modestes de récupérer, selon les modalités les plus simples possibles, la TVA sur leurs investissements d'effacement des réseaux téléphoniques.

N° 263. - M. Francis Grignon appelle l'attention de M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité sur les modalités du versement de l'aide de l'Etat aux entreprises d'insertion. En effet, à ce jour, certaines entreprises d'insertion d'Alsace n'ont pas encore perçu les sommes versées au titre de l'enveloppe du ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Ces sommes sont pourtant destinées à contribuer, sur l'année civile, au financement des surcoûts liés au surencadrement et à la moindre productivité des salariés en insertion. Cette situation récurrente pourrait être réglée de manière définitive si le financement de l'activité sociale des entreprises d'insertion pouvait faire l'objet d'un versement mensuel tel que cela se pratique pour les contrats emploi solidarité (CES). Il souhaiterait donc savoir si le Gouvernement envisage de mettre en oeuvre cette proposition.

N° 264. - M. Philippe Madrelle appelle l'attention de Mme la ministre de l'écologie et du développement durable sur les conséquences de l'insuffisance et de l'inadéquation des crédits du Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL), qui est dans l'incapacité d'acquitter la facture du sinistre engendré par le naufrage du Prestige. Il lui rappelle que face, au montant des dégâts occasionnés par la marée noire en Espagne et en France, estimé à un milliard d'euros, le taux d'indemnisation à 15 % est ridiculement bas. Alors que l'Etat et les collectivités locales ont déjà engagé des sommes considérables pour nettoyer les plages et tenter de prévenir les dégâts écologiques, compte tenu de la lenteur des procédures judiciaires, il lui demande de bien vouloir lui préciser les mesures qu'elle compte prendre afin que le principe du pollueur-payeur soit appliqué et que les trop nombreuses victimes de cette catastrophe soient indemnisées dans les meilleurs délais.

N° 265. - Mme Marie-Claude Beaudeau attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales sur les difficultés croissantes en matière de sécurité pour le convoyage, le transfert des fonds, l'emploi et la vie des convoyeurs de fonds. Elle lui demande de lui confirmer l'échec des technologies nouvelles, ainsi que de l'utilisation des voitures banalisées aussi bien en matière de sécurité pour les personnels que d'efficacité de la protection des fonds. Elle s'étonne de constater l'existence de licenciements décidés par les sociétés de transport de fonds, qui devraient plutôt procéder à de nouvelles embauches pour aboutir à la mise en place de fourgons blindés, avec trois convoyeurs armés ayant reçu une formation professionnelle suffisante notamment en matière de maniement des armes. Ce qui suppose une politique tout à fait nouvelle de recrutement. Elle lui demande de lui faire connaître les mesures qu'il envisage pour contraindre les sociétés de transport de fonds à recruter les personnels en nombre suffisant et leur assurer la formation professionnelle nécessaire. Elle lui demande enfin s'il n'estime pas que le bilan des mises en conformité des installations industrielles, bancaires ou commerciales recevant des fonds appelle de nouvelles mesures d'aménagement ou de construction avec obligation de les inscrire dans un dossier de permis de construire ou de déclaration de travaux avec avis des collectivités locales concernées et des services de la préfecture.

N° 266. - M. Philippe Richert attire l'attention de Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées sur le maintien à domicile des personnes lourdement handicapées. Traditionnellement hébergées en structures spécialisées, elles sont maintenant de plus en plus nombreuses à vouloir se maintenir dans leur environnement familier. Or, les prestations légales seules sont insuffisantes pour permettre le financement des aides nécessaires à leur besoin. Une circulaire de la direction générale de l'action sociale du 11 octobre 2002 fait état de projets expérimentaux et encourage les services de l'Etat à se rapprocher des conseils généraux afin de déterminer en commun des dispositifs et des modes de financement. Par voie de fait, les dispositifs mis en place sont très variables d'un département à l'autre. Il souhaiterait donc savoir si elle envisage une harmonisation des dispositifs dans un texte qui viserait à réformer la loi d'orientation n° 75-534 du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées.

N° 267. - Mme Odette Herviaux rappelle à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées que, dans le cadre du projet relatif à la politique de santé publique, il envisage la création d'une école des hautes études en santé publique. Dans un premier temps, elle avait craint que cette création se fasse au détriment de l'Ecole nationale de la santé publique établie à Rennes, qui a formé depuis quarante ans plus de 10 000 professionnels de haut niveau et qui exerce un rayonnement international de tout premier plan grâce à une double compétence, rarement rencontrée, en santé publique et en management. Chacun s'accorde pour reconnaître que l'Ecole nationale de la santé publique relèvera d'autant mieux les défis de demain qu'elle sera dotée des outils juridiques, financiers et humains appropriés. Un changement de statut capable de garantir l'attractivité et les compétences des équipes d'enseignement et de recherche, une ouverture européenne résolue, une capacité d'intervention en réseau avec d'autres institutions sont quelques-unes de ces pistes d'avenir que revendique d'ailleurs le conseil d'administration de l'école. Elle a bien noté les déclarations récentes précisant que l'école de Rennes n'était menacée ni dans sa localisation ni dans sa vocation pédagogique, en précisant que c'est autour de l'ENSP qu'il souhaite créer, avec le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, le réseau de formation en santé publique. Au moment où le Gouvernement plaide à juste titre la décentralisation, il serait inconvenant d'organiser son transfert vers Paris ou d'y localiser les missions nobles, Rennes conservant celles considérées comme secondaires. Elle lui demande de lui confirmer, d'une part, la pérennité de l'ENSP et de son développement et, d'autre part, la localisation, à Rennes, à partir de l'ENSP, de cette école des hautes études en santé publique.

N° 268. - Mme Michèle San Vicente attire l'attention de M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche sur l'avenir des personnes des centres d'information et d'orientation. En effet, par courrier officiel en date du 12 mars 2003, il annonçait aux conseillers d'orientation psychologues et directeurs de CIO le transfert des personnels au profit des conseils régionaux, dans le cadre de l'acte II de la décentralisation. Hormis les inquiétudes légitimes soulevées par de telles dispositions, elle souhaite savoir sur quels critères le Gouvernement aura pu prendre une telle décision, sachant que le transfert des nouvelles compétences n'est pas encore effectif.

N° 269. - Mme Josiane Mathon appelle l'attention de Mme la ministre de la défense sur les liens entretenus par les trois sites de GIAT-Industries de la Loire avec l'ensemble du tissu socio-économique du département et souhaite connaître ses intentions concernant la prise en compte des propositions alternatives au projet de l'actuelle direction.

N° 270. - M. Paul Loridant appelle l'attention de Mme la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies sur la situation critique que traversent la source de neutrons ORPHEE et le laboratoire mixte CEA-CNRS Léon-Brillouin (LLB). Ces deux centres constituent un très grand équipement de recherche (TGE) implanté sur le plateau de Saclay dont l'avenir semble remis en cause. En effet, les organismes de tutelle, durement touchés par les diminutions budgétaires, ont fait part de leur intention soit de se retirer totalement (CNRS), en rupture avec les engagements de la convention en vigueur, soit de diminuer considérablement les coûts (CEA). Sans solution de financement pour 2004, cette installation serait fermée fin 2003. La fermeture de LLB et d'ORPHEE serait un coup sérieux pour l'avenir de la recherche française et son rayonnement, n'entraînant que des économies dérisoires à court terme. C'est pourquoi il l'interroge pour savoir quelles mesures elle entend prendre pour assurer la pérennité de ce très grand équipement de recherche.

NOMINATION D'UN RAPPORTEUR

COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES ET DU PLAN

M. Ladislas Poniatowski a été nommé rapporteur sur le projet de loi n° 300 (2002-2003), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la chasse.