COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. BERNARD ANGELS

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. le président. La parole est à M. Jack Ralite, pour un rappel au règlement.

M. Jack Ralite. Mon rappel au règlement se fonde sur l'article 36 du règlement du Sénat.

Il a pour objet de dire ma stupéfaction devant la façon dont sont traités actuellement les recours de la CGT, de FO et de la Coordination des intermittents et précaires d'Ile-de-France contre le protocole du 26 juin 2003 relatif à l'application du régime d'assurance chômage aux professionnels intermittents du cinéma, de l'audiovisuel, de la diffusion et du spectacle.

Rappelons les faits. Le Gouvernement a agréé le 6 août 2003 un texte qui n'est pas le même que celui du 26 juin, lequel a été modifié entre-temps par le MEDEF et la CFDT, comme ceux-ci l'ont reconnu devant le juge. Il s'agit là d'une illégalité de la part de l'UNEDIC qui, conséquemment, rend illégal l'agrément gouvernemental.

Avant que le juge ne se prononce - il avait demandé une semaine -, la CFDT lui a écrit que l'affaire n'était pas à juger puisque l'UNEDIC se réunira le 13 novembre afin de tout resigner dans la légalité.

Le juge s'étant déclaré incompétent, c'est au Conseil d'Etat, saisi par ailleurs, qu'il revient de statuer, ce qu'il fera en décembre. Mais comme l'UNEDIC aura resigné l'accord d'ici là, le MEDEF et la CFDT espèrent secrètement que, tout étant rentré dans l'ordre, il n'y aura plus rien à statuer.

C'est extrêmement grave ! Imaginons le voleur d'un objet qui, pris la main dans le sac et le reconnaissant, rend l'objet. Est-ce une raison pour qu'il ne soit pas jugé ? Car, enfin, il y a eu vol ! Or, ici, il s'agit non pas d'un objet, mais d'un protocole engageant l'avenir de dizaines de milliers d'artistes et de techniciens du spectacle et, à travers eux, de pans entiers de la culture en France. Si rien ne se passe malgré les malhonnêtetés avouées, le protocole continuera son chemin et aura acquis une légalité abusive.

Cela n'est pas envisageable, notamment de la part du Gouvernement, qui a agréé le texte illégal et qui ne peut donc pas le laisser rediscuter sans annuler son agrément, sauf à reconnaître que, en France, en 2003, la politique sociale et culturelle peut passer en force même si elle est entachée d'illégalité.

Elle est belle la commisération ! Il est beau le dialogue social ! Quelle grande innovation !

Que le MEDEF agisse ainsi, c'est son affaire, mais il doit être fustigé. Que la CFDT ne saisisse même pas cette occasion pour amender le protocole comme elle ne cesse de répéter qu'elle va le faire, cela est antidémocratique. Que le MEDEF et la CFDT court-circuitent le Conseil d'Etat, cela est méprisant. Mais que le Gouvernement, dont le ministre de la culture a admis qu'il fallait travailler et améliorer le texte, bénisse ces pratiques, c'est indigne !

Il n'y a qu'une solution : lever l'agrément du mois d'août et ne pas le redonner, compte tenu des méfaits constatés. Un gouvernement doit savoir affronter des difficultés nobles. Dans le cas précis, s'il ne le fait pas, le Gouvernement aura alors lâchement cédé à la facilité.

Voilà quatre mois que se multiplient les actions des intermittents, des professionnels de la culture, de leurs partenaires. Un débat national est né, et il serait conclu sans négociation par un acte gouvernemental couvrant une forfaiture ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. Monsieur Ralite, je vous donne acte de votre rappel au règlement.

3

POLITIQUE DES TRANSPORTS

Discussion d'une question orale avec débat

(Ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 21.

M. Jacques Oudin attire l'attention du ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, sur l'intérêt qui s'attache à développer certains aspects de la politique des transports dans les trois domaines suivants : la programmation à long terme, l'approfondissement de la concertation et la garantie d'un financement pérenne s'appuyant sur le principe selon lequel le secteur des transports génère suffisamment de recettes pour payer la majeure partie de son propre développement.

En premier lieu, les infrastructures de transport sont des investissements à très long terme. La France avait élaboré il y a plus de vingt ans des schémas de structure, notamment pour les autoroutes. Il convient de reprendre une telle démarche en s'appuyant, d'une part, sur les schémas régionaux de transport et, d'autre part, sur les grands réseaux transeuropéens qui structurent l'Europe des transports et dont la France constitue le coeur.

En second lieu, il apparaît indispensable pour l'élaboration de ces schémas d'organiser une concertation à tous les échelons et en particulier avec les régions qui ont en charge l'élaboration des schémas régionaux de transport.

La multiplicité des opérateurs de transport nécessite en outre la rénovation d'une instance nationale qui serait à même de procéder à la consultation et à la formulation d'avis sur l'ensemble de la gestion des différents modes de transport. Cette instance pourrait être un Conseil national des transports réformé.

En dernier lieu, aucune politique des transports cohérente n'est concevable sans une refonte de la politique financière des transports.

Les réformes engagées dans le secteur ferroviaire doivent être poursuivies en intégrant les trois impératifs suivants : la poursuite de l'ouverture de ce secteur à la concurrence, la recherche d'une meilleure productivité globale de la SNCF et la régionalisation engagée depuis maintenant près de trois ans.

L'aspiration de nos concitoyens à des transports rapides nous amène à demander également l'accélération de la mise en oeuvre d'un réseau à grande vitesse et du développement des infrastructures dédiées au fret, et ce dans le contexte d'une Europe élargie.

En ce qui concerne le secteur autoroutier, il apparaît nécessaire de prévoir l'achèvement du maillage du territoire national, en prenant particulièrement en compte les grandes liaisons transeuropéennes.

Cela implique la réalisation de 4 000 kilomètres de routes rapides - autoroutes ou 2 × 2 voies - pour lesquelles une politique de financement et de péréquation doit être engagée.

A cet égard, la clarification du système financier des concessions autoroutières et la création d'un fonds de financement et de péréquation sont des éléments essentiels pour assurer le développement d'une politique des transports efficace, équitable et transparente.

La parole est à M. Jacques Oudin, auteur de la question.

M. Jacques Oudin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous entamons aujourd'hui un nouveau débat sur la politique des transports et les conditions de son financement. J'espère que, après le temps des études et des débats, viendra un jour le temps des décisions.

L'année 2003 a été marquée par un nombre considérable d'études, de travaux, de rapports. Citons l'audit du Conseil général des Ponts et Chaussées, en février, le rapport de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, la DATAR, en avril et, enfin, le débat d'orientation parlementaire sur les infrastructures de transport qui s'est tenu le 20 mai à l'Assemblée nationale et le 3 juin au Sénat.

La Haute Assemblée, pour sa part, n'est pas restée inactive et, à la demande du Gouvernement, de nombreux rapports ont été rédigés. Un pavillon attractif, un cabotage crédible de M. Henri de Richemont, en mars ; Fret ferroviaire français : la nouvelle bataille du rail de MM. Hubert Haenel et François Gerbaud, en mars également ; Interconnexion des lignes à grande vitesse européennes, de M. Bernard Joly, en novembre. N'oublions pas le rapport du député Christian Philip sur le thème des transports urbains.

A cela s'ajoutent également des initiatives privées, notamment celles qui ont été engagées par l'association TDIE, Transport Développement Intermodalité Environnement : l'Etude sur le recensement des besoins régionaux en infrastructures de transport, en novembre 2002 ; le dossier d'information diffusé à l'occasion du débat parlementaire en mai et juin, et un important travail cartographique présentant le Schéma national multimodal à long terme - à l'horizon 2030 - des infrastructures de transport en France dans le contexte de l'intégration européenne, schéma que vous recevrez tous dans quelques jours.

A défaut de pouvoir discuter aujourd'hui de ma proposition de loi sur les transports ou d'un projet de loi d'orientation et de programmation des transports, nous traitons aujourd'hui de la politique des transports à partir d'une question orale avec débat, et je remercie infiniment M. Gilles de Robien, notre dynamique ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, d'être parmi nous pour répondre à nos interrogations.

Toutefois, l'ensemble du système de financement des transports est conditionné par la conservation ou non par l'Etat de la « rente autoroutière », et même, monsieur le ministre, de la totalité de la « rente autoroutière » ! Il convient donc de mettre fin au mouvement de privatisation des sociétés publiques concessionnaires d'autoroutes. J'espère qu'il en sera décidé ainsi lors de la réunion du CIADT, le comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire, le 18 décembre prochain. Nous ne pouvons rien anticiper. Quoi qu'il en soit, il est urgent de passer de la phase d'étude et de réflexion à la phase décisionnelle.

Cette urgence à agir repose en fait sur trois constats.

Tout d'abord, et c'est le premier constat, les besoins en infrastructures de transport connaissent une croissance continue que le statu quo ne permet plus de contenir ni de satisfaire à moyen terme. Les demandes de nos concitoyens, des usagers, des professionnels et des collectivités territoriales sont particulièrement fortes en faveur d'infrastructures de transport assurant une qualité de service élevée en termes de sécurité, de rapidité, de régularité et de désenclavement des territoires.

Ainsi, en France, depuis vingt ans, les trajets parcourus par les voyageurs augmentent en moyenne de 13 à 14 milliards de voyageurs par kilomètre par an, et cette évolution n'est pas près de s'arrêter.

D'ici à 2020, le trafic annuel de marchandises devrait croître de 1,6 % à 3,1 % par an, et le transport maritime, quant à lui, doublera en dix ans.

L'association TDIE, dans l'Etude sur le recensement des besoins régionaux en infrastructures de transport dans les vingt prochaines années, a chiffré le besoin des collectivités territoriales à 140 milliards d'euros d'investissement.

Cette demande croissante est renforcée par l'intégration grandissante des réseaux français dans l'espace de transport européen. La France, chacun le sait, est une zone de transit incontournable. L'élargissement prochain de l'Europe à dix nouveaux pays augmentera encore le volume des trafics échangés.

Nos voisins attendent de nous des décisions. Les projets d'infrastructures de transport transeuropéennes ont d'ailleurs été récemment réactualisés par le groupe Van Miert. Ils font partie intégrante de l'initiative européenne de croissance. Il est donc urgent d'agir si nous ne voulons pas que la France perde son rôle au profit d'autres pays voisins, comme la Suisse et l'Autriche. Nous aimons bien ces pays, mais nous préférerions que la France tienne davantage sa place.

Ensuite, c'est le deuxième constat, les investissements publics consacrés aux infrastructures de transport ont connu une baisse continue en France. Nous avons largement expliqué ce point dans le rapport Refonder la politique financière des transports, que la commission des finances du Sénat a approuvé à l'unanimité voilà quelques mois. La part des transports dans le PIB est passée de 1,2 % à 0,9 %, et les investissements de l'Etat en infrastructures de transport sont passés, eux, de 0,7 % à 0,5 % au cours des dix dernières années. Ce désengagement financier de l'Etat n'est plus acceptable, car il a une contrepartie, chacun s'en doute, à savoir la croissance des participations financières des collectivités territoriales, qui ont augmenté de 24 % entre 1996 et 2002.

Enfin, et c'est le troisième constat, il est clairement prouvé que l'augmentation des grands investissements équipementiers réalisés par les pouvoirs publics favorise la croissance. L'OCDE et les études réalisées par l'administration américaine ont clairement fait apparaître qu'une augmentation du stock de capital public de 1 % provoque une hausse de la production de 0,34 %. En France, une étude sur les investissements routiers réalisés en 1970 dans le cadre du Ve plan avait démontré qu'un investissement public initial de 2 milliards de francs entraînait un volume de demande de près de 3,3 milliards de francs. C'est le principe du multiplicateur keynésien que nous connaissons bien, mais que nous avons tendance à oublier. M. Jean Poulit, ingénieur général des Ponts et Chaussées, a récemment mis en évidence la coïncidence entre le développement des grands axes de circulation et d'échange et les zones ayant les PIB les plus élevés.

Face à ces trois constats, notre politique des transports doit s'appuyer sur quatre piliers : des comptes clairs, une programmation à long terme, une concertation renouveléee et un financement efficace.

Il faut donc tout d'abord poursuivre la clarification des comptes des transports. J'avais déposé en ce sens un amendement qui est devenu l'article 12 de la loi de finances rectificative du 6 août 2002.

Nous avons besoin de connaître les recettes engendrées par l'activité des transports et les dépenses effectuées par tous les opérateurs dans ce domaine. Une conclusion s'impose : le secteur des transports peut autofinancer son développement grâce aux recettes qu'il entraîne. J'ai explicité cette conclusion dans mon rapport, et je n'y reviendrai donc pas. Mais chacun aura compris l'importance de ce point.

Ensuite, une politique des transports ne peut être appréhendée sur trois ans, cinq ans ou à l'échelle d'un contrat de plan. Elle doit être envisagée à long terme. Si nous voulons programmer nos structures de transports, il faut le faire à l'horizon 2030, ce qui correspond à une génération. En 1970, nous réfléchissions à la France de 2000. Aujourd'hui, il nous faut réfléchir à la France de 2030.

Nous devons nous doter d'un schéma de structure national et multimodial que compléteront des schémas interrégionaux et régionaux, intégrés dans un schéma européen. Nous savons que l'Europe s'en préoccupe.

Par ailleurs, il faut renouveler la concertation. Le Sénat examine actuellement le projet de loi relatif aux responsabilités locales, c'est-à-dire à la décentralisation. La multiplication des niveaux d'intervention et des échelons territoriaux compétents dans le secteur des transports impose qu'une structure efficace soit instituée afin d'assurer la concertation et d'améliorer la cohérence de l'action des acteurs de ce secteur. J'ai d'ailleurs déposé, en juillet 2001, une proposition de loi portant création d'un nouveau Conseil supérieur des transports.

Monsieur le ministre, il faut absolument rénover notre Conseil national des transports. Il s'agit non pas de se substituer à votre autorité, qui demeurera, mais de mettre en place une instance de conseil regroupant l'ensemble des acteurs du secteur des transports, une instance qui soit un lieu de concertation et de cohérence pour, je l'espère, une efficacité renouvelée.

Enfin, le dernier point, qui est aussi le plus délicat, est le financement.

Je l'ai dit, le secteur des transports peut autofinancer son développement pour peu que les recettes qu'il engendre puissent être drainées, localisées puis réparties entre tous les demandeurs chargés de financer les infrastructures.

Nous connaissons d'ailleurs la technique, puisque la France a une longue tradition des fonds de financement, qui disparaissent une fois leur objet rempli. Souvenez-vous du fonds spécial d'investissement routier, le FSIR, créé en 1951, du fonds spécial de grands travaux, le FSGT, créé en 1982, du fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables, le FITTVN, créé en 1995, sur l'initiative du Sénat, et je rends hommage à l'action menée alors par Jean François-Poncet et Gérard Larcher.

Mais je veux rappeler que de nombreux pays étrangers ont également créé des fonds de financement de leurs infrastructures de transport.

Ainsi, le fonds italien Infrastrutture Spa est chargé de financer 50 % du capital total investi dans des projets d'infrastructures, à travers des obligations à moyen et à long terme garanties par l'Etat, le reste étant fourni par des investisseurs privés.

Le fonds suisse a, lui, été accepté par trois votations populaires. Limité dans la durée, il définit les liaisons auxquelles il s'applique. Il est alimenté par des taxes sur les usagers, des financements d'origine européenne, etc., une part de ses financements étant d'ailleurs reversée aux cantons à des fins de protection de l'environnement.

Je citerai aussi le fonds canadien sur l'infrastructure stratégique, doté de 2 milliards de dollars.

Je n'insiste pas, mais je pourrais allonger cette liste, et je crois que la France ne peut prendre de retard dans ce domaine. Nous avons maintenant besoin d'une décision pour aboutir à un fonds dont les caractéristiques sont de trois ordres.

D'abord, c'est un instrument de péréquation intermodale, de la route, qui est le mode principal, vers les autres modes et notamment le fer, de péréquation spatiale, des régions les mieux fournies vers les régions les moins fournies, et de péréquation temporelle, du long terme vers le court terme. On sait, en effet, que ces infrastructures, qui coûtent cher et qui durent longtemps, ne peuvent s'équilibrer à court terme. C'est pourquoi un fonds de péréquation est nécessaire.

Ensuite, le fonds doit être créé sous la forme d'un établissement public cogéré par l'Etat et par les collectivités territoriales - soyons clairs, par les régions - afin de lui éviter un sort analogue à celui qu'ont connu le fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables, le fonds spécial de grands travaux, ou encore le fonds spécial d'investissement routier.

Enfin, le fonds doit être alimenté par les taxes perçues sur les usagers des transports de façon que ces derniers sachent où vont leurs contributions et, à la limite, si ces contributions augmentent, qu'ils sachent que le service qu'on leur rendra sera proportionnel.

Ces taxes pourraient être, par exemple, la taxe due par les titulaires d'ouvrages hydroélectriques, le produit de la taxe à l'aménagement du territoire ainsi que de la redevance domaniale acquittées par les sociétés concessionnaires d'autoroute, la redevance versée par la Compagnie nationale du Rhône et, enfin, le produit des participations financières que l'Etat détient dans les sociétés d'autoroute, ce que j'ai appelé la « rente autoroutière » et qu'il faut absolument préserver.

Cette politique vise en définitive à donner plus de dynamisme à notre pays dans le cadre européen, à faciliter la croissance, le développement, le désenclavement de notre région et à l'associer ainsi à l'initiative européenne de croissance. En somme, on en revient au projet que Jacques Delors défendait en 1993. Depuis, dix ans se sont écoulés, dix ans pendant lesquels on aurait peut-être pu faire plus d'efforts ; mais, faute d'une véritable évolution et de décisions en faveur du développement des transports, la France comme l'Europe ont hypothéqué durablement les conditions de leur développement et de leur croissance.

Je suis sûr que chacun dans cette assemblée a compris l'enjeu. Je souhaite maintenant, monsieur le ministre, que le Gouvernement prenne ses responsabilités et ses décisions. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 82 minutes ;

Groupe socialiste, 44 minutes ;

Groupe de l'Union centriste, 18 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 13 minutes.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Philippe Arnaud.

M. Philippe Arnaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais appuyer les propos de Jacques Oudin et insister sur la nécessité pour notre pays de conduire une politique volontariste et ambitieuse dans le domaine des transports.

Comme nous l'ont rappelé le rapport de la DATAR et l'audit de l'Inspection générale des finances et du Conseil général des Ponts et Chaussées publiés au printemps 2003, et comme cela fut ensuite souligné au Sénat lors du débat parlementaire du mois de juin dernier, il est indispensable de garantir et d'améliorer l'efficacité de notre système d'infrastructures de transport.

Les enjeux sont de taille.

Les flux de marchandises devraient continuer à progresser de façon exponentielle et même s'accélérer à l'occasion de l'élargissement de l'Union européenne. On parle d'une augmentation de 50 % du trafic routier d'ici à 2010.

La mobilité des personnes, qui, rappelons-le, est passée de 17 kilomètres par jour en 1970 à 35 kilomètres par jour actuellement en moyenne à l'échelle européenne, ne devrait pas baisser.

Pour éviter l'engorgement de certains axes existants, la construction de nouveaux axes routiers est donc indispensable.

L'interconnexion de différents réseaux à l'échelle européenne, en conformité avec les projets retenus dans le cadre du réseau transeuropéen de transport pour supprimer les goulets d'étranglement et aménager des itinéraires prioritaires, doit également être menée à bien. Rappelons à ce propos que, parmi les projets prioritaires figurant dans la récente proposition de décision de la Commission européenne, une douzaine intéressent la France au premier chef.

Il ne faut pas non plus oublier l'objectif de desserte équilibrée de notre territoire : ouverture d'une ligne ferroviaire à grande vitesse pour désenclaver telle région, décongestion d'une zone urbaine ici, réalisation d'une liaison routière transversale là.

Enfin, les attentes de la société, en matière de sécurité routière, de protection de l'environnement et de limitation des nuisances, notamment sonores, imposent également un rééquilibrage des différents modes de transport et un développement de l'intermodalité dans une perspective de complémentarité : il s'agit de revitaliser le rail, notamment son volet « fret », de développer le cabotage maritime et d'encourager la voie d'eau.

Ainsi, les besoins sont énormes. Vous-même avez évoqué, monsieur le ministre, un besoin de financement de la part de l'Etat de 4,4 milliards d'euros par an pendant vingt ans pour l'ensemble des modes de transport. Le surcroît de financement que l'Etat devrait mobiliser chaque année par rapport aux ressources disponibles serait d'environ 1,2 milliard d'euros. Or les ressources disponibles sont malheureusement, on le sait, beaucoup plus limitées.

La contrainte qui s'exerce actuellement sur les finances publiques et la nécessité d'assurer l'entretien, voire, dans certains cas, la réhabilitation des équipements existants, restreignent naturellement les financements susceptibles d'être affectés à la construction de nouvelles infrastructures.

La situation d'endettement que connaît Réseau ferré de France limite ses marges d'action. Par ailleurs, la disparition, que l'on peut regretter, de l'adossement prive le secteur autoroutier d'un mécanisme appréciable qui, pendant des années, a permis que les bénéfices dégagés par les autoroutes rentables en service financent la construction de nouveaux tronçons.

Il est donc nécessaire d'examiner les nouvelles sources de financement possibles.

L'idée d'une véritable tarification de l'utilisation des infrastructures, à laquelle la Commission européenne se montre attachée, fait son chemin. Ainsi, le Sénat a voté la semaine dernière, dans le cadre du projet de loi relatif aux responsabilités locales, une disposition autorisant l'Etat et les collectivités territoriales à instaurer des péages sur les routes express. S'il s'agit, bien entendu, d'une simple faculté laissée à la discrétion de chaque collectivité publique, il n'en demeure pas moins qu'elle pourra constituer une source intéressante de recettes.

La proposition, parfois évoquée, d'instaurer des péages spécifiques sur les poids lourds comme il en existe en Autriche et en Allemagne mériterait aussi, à mon sens, d'être creusée, en particulier s'agissant de la traversée de certaines zones sensibles ou encombrées. Cette piste paraît d'autant plus pertinente que notre territoire tend à devenir un lieu de transit pour de nombreux camions étrangers, sans retombées économiques réelles pour les régions traversées, mais avec en revanche toutes les nuisances habituelles.

Au sujet du transport routier, je souhaiterais rappeler ici les difficultés et les inquiétudes des entreprises françaises de ce secteur, qu'il faudra bien prendre en compte. On peut noter, par exemple, les lacunes et insuffisances du dispositif de régulation mis en place par les pouvoirs publics après les mesures de libéralisation de 1986-1989. En outre, la progression des coûts des facteurs de production a été de 56 % pour ces entreprises entre 1986 et 2002, notamment sur la fiscalité et les coûts sociaux, ce qui pose un réel problème avec l'élargissement de l'Europe, les entreprises polonaises, tchèques ou hongroises ayant, par exemple, des coûts salariaux qui représentent le tiers des coûts français. Des mesures d'harmonisation européenne ou d'accompagnement s'imposent donc pour que notre flotte routière reste compétitive, et donc pour que le pavillon français demeure et ne soit pas mis en berne.

Reprenant le fil de mon propos sur les sources de financement possibles, j'en viens aux dividendes des sociétés d'autoroutes. Comme le soulignait très justement notre collègue Jacques Oudin dans un tout récent rapport d'information, on peut s'interroger sur la manière dont ces recettes pourraient être affectées au financement de nouvelles infrastructures de transport.

Enfin, il faudra peut-être aussi se résoudre à réévaluer les redevances pour l'utilisation des infrastructures ferroviaires lorsque la SNCF aura restauré ses capacités financières. A cet égard, il convient de saluer l'effort consenti cette année par le Gouvernement en faveur du secteur ferroviaire dans le cadre du projet de loi de finances pour 2004, soit une augmentation de 1,1 milliard d'euros qui servira à freiner la dérive du financement et à soutenir l'entretien de voies et l'investissement.

Telles sont quelques-unes des pistes - il y en a d'autres - couramment évoquées pour diversifier le financement destiné aux transports.

Cependant, au-delà de la disponibilité des ressources, il apparaît indispensable de s'assurer de la stabilité et de la pérennité de ces dernières. C'est pourquoi il me semble souhaitable que, d'une manière ou d'une autre, l'on parvienne à une affectation durable des moyens au financement des infrastructures.

Enfin, et cette préoccupation rejoint, là encore, celle qui a été exprimée par notre collègue Jacques Oudin, toute politique de transport ambitieuse doit se traduire par une programmation à moyen terme. L'horizon de trente ans me semble pertinent s'agissant d'infrastructures de cette nature.

A cet égard, je reprendrai l'idée, exprimée par le président de la commission des affaires économiques du Sénat, M. Gérard Larcher, dans son intervention lors du débat de juin dernier sur les infrastructures, d'un schéma des infrastructures de transport assorti d'un calendrier et d'un plan prévisionnel de financement.

En ce qui concerne les priorités, je sais qu'un certain nombre d'entre elles devraient être annoncées d'ici à quelques semaines à l'occasion du prochain comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire je peux vous dire, monsieur le ministre, que nous attendons tous ce rendez-vous avec impatience, mais également avec confiance dans votre volonté de passer des débats aux actes. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. François Gerbaud.

M. François Gerbaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, initié par la question de Jacques Oudin, avec qui, sur ce sujet, je fais « tranport commun », ce débat sur la politique des transports prolonge et sans doute complète nos discussions sur les infrastructures de mai et de juin derniers. Il témoigne de la volonté du Sénat d'être plus étroitement associé aux grands choix qui, souvent, ont été arrêtés sans grande concertation par des institutions extérieures.

D'une certaine manière, il restitue au Sénat - au Parlement en général - sa capacité à exprimer une véritable approche stratégique sur les questions relatives aux infrastructures, l'associant ainsi à l'élaboration des grands schémas directeurs.

Ce retour « en première classe » de la réflexion et des propositions parlementaires, qui ont souvent cahoté dans le wagon de queue du convoi, nous vous le devons, monsieur le ministre, et je vous en remercie.

Parlementaires en mission, nous avons, par nos rapports, apporté à vos dossiers constats, analyses et propositions, qu'il s'agisse de la reconquête du fret ferroviaire, du transport maritime ou aérien. Vous les avez pris en considération, intégrés pour partie dans vos stratégies à long terme, même s'ils ne sont pas toujours en parfaite concordance avec les priorités de l'audit et du rapport de la DATAR.

Le Sénat a donc pris une part importante à l'évolution d'une politique de transport dont il a longtemps regretté que, faute de cohérence et de continuité, elle ne soit souvent que l'addition de coups partis et l'annonce de projets non financés avec des études inachevées.

Ces annonces séduisantes, qui empruntaient plus à l'incantation qu'au réalisme, ont eu sur les clients du rail, toujours légitimement plus impatients et plus exigeants, la saveur de l'attendu ; à court terme, elles ont suscité l'impatience de la réponse, à moyen terme, le doute sur la réalité des projets eux-mêmes, sur leur financement et sur leur aboutissement, lequel, le plus souvent, est intervenu à vingt ans ou à trente ans alors qu'on le croyait à portée de la main.

La page est tournée : nous voici aujourd'hui face au réel.

L'Etat et ses entreprises publiques, dont il est le tuteur, sont confrontés à deux pouvoirs nouveaux et à leurs logiques souvent différentes, pour ne pas dire contradictoires : les pouvoirs locaux, issus de la décentralisation, et le pouvoir communautaire, dont les directives sont autant de figures imposées.

Cette situation crée des inerties dont on ne peut sortir que par des choix et des priorités. Ces priorités sont au centre de vos responsabilités, et leur définition sera l'objectif du CIADT qui se tiendra très bientôt.

Tous les projets en attente ne seront sans doute pas retenus comme projets prioritaires, mais il ne faudrait pas que ceux qui n'auront pas reçu ce label prennent le chemin des archives de l'oubli ou du « peut attendre », perdant ainsi leur rôle essentiel dans l'aménagement du territoire.

Ainsi en est-il du projet de TGV pendulaire, dit projet POLT, entre Paris et Toulouse, via Orléans et Limoges.

L'audit ne l'a pas retenu comme prioritaire, la DATAR non plus. Je note au passage que nous ressentons comme un préjudice le fait que, sur certaines cartes de la DATAR, le tracé de la ligne ne figure même pas dans le réseau national ! Pourtant, la modernisation de cette liaison historique a été l'objet d'une convention, qui s'achèvera à la fin de l'année, qui associait à l'Etat les trois régions concernées : les régions Centre, Limousin et Midi-Pyrénées. Cette convention prévoyait pour 2007 au plus tôt la mise en service de six rames de TGV pendulaire permettant, au terme d'investissements très lourds sur les voies, des gains de temps jugés significatifs.

Sur le plan du financement, l'Etat apportait 639 millions de francs, les régions 530 millions de francs, soit, avec la participation de la SNCF et de RFF, un financement lourd de 1 587 millions de francs pour un projet innovant sur une ligne ancienne mais toujours stratégique.

C'était hier.

Où en sommes-nous aujourd'hui, monsieur le ministre ? C'est la question que vous posent tous les riverains de la ligne. Où en sommes-nous alors que la SNCF, qui n'y a jamais réellement cru, écarte désormais, avec bon sens, je le crois, ce qui était l'élément innovant du projet, à savoir le pendulaire ? Il semble en effet maintenant acquis que le système pendulaire, breveté et développé par Alstom, jugé techniquement performant, mais au confort plus que relatif pour les voyageurs - une enquête récente de la SNCF le prouve -, coûterait deux fois plus cher que prévu. De ce fait, ce ne serait plus l'une des composantes du POLT.

Pouvez-vous nous le confirmer, monsieur le ministre, afin que cessent, sur ce sujet, des débats récurrents qui tiennent plus de la polémique que du souci de l'aménagement du territoire ?

Pouvez-vous, surtout, nous assurer que sont toujours d'actualité les deux autres composantes du projet, à savoir la régénération de la ligne par tranches programmées et, à court terme, le renouvellement du matériel roulant remplaçant les trains Corail ?

Sur ce dernier point, deux possibilités nous semblent offertes : le nouveau train Corail TEOZ, qui donne toute satisfaction sur la ligne Paris-Clermont-Ferrand, et - pourquoi pas ? - des TGV Atlantique techniquement adaptables à la ligne et ouvrant celle-ci à l'interconnexion, qui lui est nécessaire.

Je pense à ces rames du TGV Atlantique appelées en renfort sur la ligne Paris-Lyon voilà quelques années. Elles y sont aujourd'hui en surnombre, du fait du rythme accéléré de livraison des TGV Sud-Est à deux étages. Cette perspective, hautement symbolique de l'opportunité de la liaison, pouvons-nous éventuellement l'envisager ou dois-je la mettre au rang des utopies ou des ambitions exagérées ?

Quant aux infrastructures, au-delà de leur entretien, c'est-à-dire de la protection du patrimoine, leur régénération programmée par section de ligne ne saurait en aucun cas être remise en cause.

La ligne Paris-Toulouse appartient en effet au réseau de transport européen de fret ferroviaire. On comprendrait mal, de ce seul fait, que ses performances techniques ne soient pas maintenues, qu'elle soit victime d'un abaissement de vitesse qui affaiblirait singulièrement l'offre de la SNCF. Ce serait en contradiction avec l'impératif d'aménagement du territoire et avec nos engagements européens.

Pour bien témoigner de la permanence de cet objectif, nous attendons que la procédure d'enquête publique sur la suppression des trente-neuf passages à niveau du département de l'Indre soit engagée, les études préalables ayant été faites.

Ces suppressions annoncées et conjointement acceptées par le département permettront de relever la vitesse des trains, de gagner du temps et de renforcer la sécurité routière et ferroviaire, qui sont, comme vous l'avez dit vous-même, monsieur le ministre, de grandes causes nationales.

Avant d'en terminer sur ce sujet, j'émets le voeu que vous puissiez, le moment venu, reprendre l'initiative d'une nouvelle convention avec les régions concernées et, avec les financements déjà acquis au travers du premier projet, continuer à mettre le nouveau projet en chantier avec cette nouvelle donne.

C'est là pour partie une mission que RFF, Réseau ferré de France, devra mener à bien, grâce à la nouvelle subvention d'investissement pour la régénération du réseau inscrite au projet de loi de finances et qui atteint aujourd'hui 900 millions d'euros en autorisations de programme.

C'est l'occasion, pour celui qui fut le rapporteur du projet de loi qui a créé RFF, de saluer votre décision de clarifier les comptes de cet établissement par le biais d'une meilleure lisibilité, en distinguant la dette héritée de la SNCF et la dette nouvelle résultant des investissements ferroviaires. Ces investissements seront renforcés, puisqu'une enveloppe de 138 millions d'euros est prévue pour les contrats de plan Etat-région, 135 millions d'euros étant affectés à la ligne à grande vitesse Est et 44 millions d'euros aux autres projets. Cet effort est important ; il entraîne et justifie ceux des régions et des collectivités locales partenaires, mais n'exclut pas la recherche de ressources financières nouvelles.

En effet, l'Etat est confronté à un défi en matière de besoins de financement, puisqu'il lui faudra, pendant vingt ans, trouver plus d'un milliard d'euros par an.

Dans notre rapport de mission sur le fret ferroviaire, Hubert Haenel et moi-même avions proposé que, comme cela se pratique en Allemagne et en Suisse, une ressource puisse être trouvée par le biais d'une redevance kilométrique « poids lourds » pour les véhicules traversant la France, le plus souvent sans créer de valeur ajoutée.

Nous avons également envisagé et souhaité la levée d'un grand emprunt européen et, en ce qui concerne les grands projets d'infrastructures communautaires, un plus grand engagement financier de l'Europe, allant au-delà des 10 % actuellement consentis.

Sur l'ensemble des moyens financiers nouveaux imaginés et proposés, vous vous êtes donné le temps de la réflexion avant d'annoncer vos décisions à la fin de l'année. A cet égard, vos contacts permanents avec Bruxelles ont-ils permis de lever les réserves que l'on pressent sur ces sujets et vos arbitrages sont-ils arrêtés ?

S'agissant de l'intermodalité, il ne manque pas de projets concernant la route, le fer, les fleuves, les canaux, les ports. Il faut ajouter à cette liste, me semble-t-il, l'aéronautique.

Il est de fait que, à l'exception des lignes à grande vitesse, pour les temps de trajet supérieurs à deux heures quarante-cinq ou trois heures, l'avion demeure le meilleur outil. On a regretté l'abandon de certaines liaisons régionales par Air France et constaté le naufrage des compagnies aériennes qui voulaient les assurer en remplacement. Il reste, heureusement, les liaisons de service public subventionnées par le Fonds d'intervention pour les aéroports et le transport aérien, le FIATA. Des modifications ont déjà été apportées au fonctionnement de celui-ci. Sans doute est-il opportun d'en accroître les possibilités financières, sujet d'actualité puisque le FIATA est en instance de réforme s'agissant des critères d'éligibilité aux crédits du fonds et de la détermination du taux de participation. Où en sommes-nous à cet égard ?

Dans notre rapport de mission sur le fret ferroviaire, Hubert Haenel et moi-même avions proposé la création d'un pôle fret à la SNCF, par souci de permettre à cette dernière de se donner, en quelque sorte, une filiale qui n'en serait pas une. Vous dites, monsieur le ministre, que la mise en place de celle-ci n'est pas d'actualité.

Ce pôle fret est attendu, avec les projets y afférents. Cette affaire est, dit-on, « en chantier ». Nous n'avons pas encore accès au chantier en question, où se jouent la fiabilité de l'entreprise et l'élaboration d'une réponse aux besoins croissants en matière de transport de marchandises, en France et en Europe.

Il serait gravement dommageable que l'on ne puisse pas dépasser les 43 milliards de tonnes kilométriques annoncés, ce qui semble prévu. Il ne faut pas oublier que la concurrence est désormais arrivée à notre porte, et que la Deutsche Bahn, pour ne citer que cette entreprise ferroviaire, a, dans ce domaine, de grandes possibilités et ambitions. Pour le Parlement, comme pour vous, c'est une affaire à suivre...

Enfin, pour conclure ce survol de l'intermodalité et du transport ferroviaire, je ferai le voeu que la France soit candidate à l'implantation de l'agence européenne pour l'interopérabilité et la sécurité ferroviaire. La région Nord - Pas-de-Calais s'est préparée à cette candidature. Un dossier a été réalisé pour le site de Valenciennes - Lille. Il revêt une grande importance à tous égards pour le renom du système ferroviaire français et de ses industries, d'une exceptionnelle qualité. Le meilleur exemple de cette excellence est la récente mise en service, sur la liaison transalpine, des nouveaux wagons Modalohr à petites roues, permettant un ferroutage moderne et exemplaire, innovation qui est à l'honneur des constructeurs français.

Ne dit-on pas, en effet, que l'Allemagne souhaiterait que certains matériels pour voyageurs soient conçus, par Alstom en particulier, à partir de matériels TGV de types différents ? Il s'agit en quelque sorte d'appliquer aux TGV la technique commerciale d'Airbus Industrie, qui fournit à ses différents clients des avions de configuration variable.

J'ajoute que la France s'est vu proposer d'accueillir cette agence au sommet de Laeken, en 2001. Elle n'a pas donné suite à cette proposition, au prétexte qu'elle était déjà candidate à l'accueil d'une autre agence. A-t-elle l'intention aujourd'hui de soutenir de nouveau sa candidature ? D'autres pays n'ont pas hésité à proposer d'accueillir deux agences ; pourquoi pas la France ?

En ce qui concerne l'agence ferroviaire, deux candidatures ont déjà été déposées : celles de Dresde et de Prague. Si l'une ou l'autre était retenue, il est clair que, dans ce domaine si important pour l'Europe, le poids de l'Allemagne, déjà prédominant dans le secteur ferroviaire européen, serait singulièrement renforcé. J'ajoute que ce pays vient de renoncer à son dernier train pendulaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Evelyne Didier.

Mme Evelyne Didier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avions, en juin dernier, lors du débat sur les infrastructures de transport, dénoncé la rupture décidée par le Gouvernement en matière de politique de transport.

Nous nous étions opposés à ce que le Gouvernement refuse de tenir des engagements pris, en gelant par exemple les crédits inscrits aux contrats de plan Etat-région, en mettant en cause des réflexions sur les dessertes interrégionales et régionales selon une conception du schéma régional des transports en cohérence avec l'aménagement du territoire national.

Nous avions dénoncé votre parti pris, monsieur le ministre, s'agissant du rapport d'audit financier réalisé à la demande du Gouvernement par le Conseil général des ponts et chaussées et l'Inspection générale des finances. En fait, ce document ne visait qu'à justifier les renoncements du Gouvernement, son désengagement de la mise en place d'une véritable politique de déplacements pour l'ensemble du territoire national. Il enferme les choix, en matière d'infrastructures de transport, dans une logique purement comptable.

Nous avions condamné cette réflexion sur le prétendu « tarissement des sources traditionnelles de financement », qui avait en fait pour seul objectif d'ouvrir la voie à l'instauration de nouvelles taxes locales ou, pour le dire autrement, de nouveaux impôts, à l'échelon décentralisé.

Ce faisant, nous dénoncions la volonté de mettre en oeuvre une décentralisation sans programme, se résumant à la seule dimension financière, autrement dit au transfert aux collectivités territoriales des charges financières que l'Etat se refusait désormais à assumer.

Nous rejetions ainsi le raisonnement, que l'on nous présente aujourd'hui comme une vérité première, selon lequel plus l'Etat s'amaigrit en se repliant sur ses strictes fonctions dites régaliennes, mieux l'économie s'en porte !

Tout d'abord, ce raisonnement est des plus spécieux. En restreignant son effort financier, l'Etat est amené à abandonner la dimension nationale de l'aménagement de notre territoire et le développement de l'intermodalité. Le respect des engagements pris en matière de développement durable exige pourtant des décisions volontaristes en ce sens. De plus, la suppression des aides aux transports en site propre et aux plans de déplacements urbains serait catastrophique.

Ensuite, ce raisonnement est des plus partiels. Il conduit à renoncer aux effets positifs que la dépense publique pourrait avoir sur la création d'emplois par le biais d'une politique de transport ambitieuse, conçue en coopération avec nos partenaires européens et s'inscrivant dans la durée.

Enfin, ce raisonnement est des plus fallacieux. Il remet en cause toutes les formes de solidarité nationale existantes, au profit de l'individualisme marchand.

Depuis le débat de juin dernier, quelles propositions ont été avancées en matière de financement de la politique de transport ?

Dans le projet de loi relatif aux responsabilités locales, il est prévu que les départements hériteront de l'entretien et de la modernisation des routes classées anciennement routes nationales, ce qui, au vu de la dégradation du réseau routier national, représentera un coût considérable.

A cela - on l'a vu lors du débat - s'ajoutera la possibilité, pour les régions, les départements, les communautés de communes et les communes, d'instituer des péages sur les routes express et les ouvrages d'art appartenant à leur domaine public.

Cela signifie que les départements devront, par la même occasion, prendre à leur charge l'entretien et la modernisation des ouvrages d'art construits sur les 15 000 à 20 000 kilomètres de routes nationales dont ils seront désormais propriétaires.

Par conséquent, il est proposé que les usagers, contribuables et citoyens, soient les payeurs. Ils subiront ainsi de plein fouet le coût de la multiplication des péages, ce qui s'ajoutera au relèvement de la taxe intérieure sur les produits pétroliers.

Vous dites qu'il ne s'agit là que d'une possibilité, monsieur le ministre, mais les finances locales ne sont pas extensibles à l'infini. Elles ne sont en tout cas pas à la mesure du désengagement financier de l'Etat. Pour les départements et les communes les plus pauvres, ce sera sans doute, malheureusement, l'ultime solution !

Le résultat d'une telle politique est donc double : elle renforcera les inégalités sociales et permettra en même temps d'ériger des frontières entre régions riches et régions pauvres.

Comme le disait très justement ma collègue et amie Marie-France Beaufils, vous rétablissez l'octroi, cette pratique moyenâgeuse, tout en vous targuant de modernisme.

Au fond, c'est la privatisation de nos routes et de leur accès que vous préparez ! Voulez-vous faire avec la route ce que la Grande-Bretagne a fait avec le rail ?

De cette manière, ce sont les collectivités territoriales elles-mêmes que vous mettez en concurrence, en habillant vos mesures d'un vocabulaire qui ne pourra duper longtemps nos concitoyens, que vous les présentiez sous l'angle de l'« attractivité » de nos territoires ou sous celui, peut-être plus pernicieux mais aussi plus explicite, de leur compétitivité.

Qui nierait que toutes ces mesures, en contribuant à fractionner les autorités de décision, signent un renoncement à l'aménagement équilibré et cohérent de notre territoire ?

Les députés de la majorité ont supprimé, lors de la discussion du projet de loi de finances, l'article qui visait à relever le taux du versement « transport » en compensation du désengagement financier de l'Etat. La suppression de ces lignes budgétaires qui avaient permis le développement des transports en commun urbains est significative de l'abandon par l'Etat d'un pan de sa politique d'aménagement du territoire. Quoique largement insuffisant et discutable, le relèvement de cette taxe aurait au moins permis de financer en partie les énormes besoins qui se manifestent dans ce domaine !

Autrement dit, ce sont de nouveau les collectivités territoriales et les usagers qui vont devoir supporter le coût du développement des transports collectifs.

La suppression de cet article rattaché témoigne que le Gouvernement a cédé aux pressions exercées par le patronat, plus particulièrement par son représentant principal, le MEDEF !

Vous préférez solliciter les usagers et les ménages, monsieur le ministre, plutôt que de taxer quelque peu les entreprises, sous prétexte qu'une telle mesure serait préjudiciable à l'emploi ! La baisse des charges engagée ces dernières années n'a pourtant pas fait la preuve de son efficacité : nous avons frôlé la récession, et le chômage ne cesse d'augmenter ! En fait, votre politique accentuera encore la baisse du pouvoir d'achat, par l'alourdissement des taxes de toutes sortes et des impôts locaux. En pesant sur la consommation, vous ralentirez, une fois de plus, la croissance économique et détruirez plus sûrement les emplois !

Vous avez fait le choix de la baisse de l'impôt sur le revenu, mais, parallèlement, le transfert de vos responsabilités aux collectivités territoriales, sans que les ressources nécessaires soient allouées à celles-ci, va se traduire par des augmentations de taxes et d'impôts locaux, auxquelles s'ajoutera la taxe « charité » qui contraindra les Français à travailler gratuitement un jour par an !

Ces mesures sont particulièrement inégalitaires sur le plan social. Elles le sont encore plus au regard des allégements importants accordés au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune par ce même gouvernement !

Lors de nos débats sur le projet de loi relatif aux responsabilités locales, le Gouvernement nous a assuré qu'il tranférerait, conformément à la Constitution, l'équivalent des crédits que l'Etat consacrait à l'exercice des missions concernées. Cependant, toutes les propositions financières relatives à la politique des transports doivent être mises en relation avec les objectifs budgétaires pour 2004 en cette matière. A périmètre constant, c'est une diminution de l'ordre de 4,2 % qui est prévue.

Pourtant, face aux enjeux du développement durable, il faudrait dédier une part plus importante de notre richesse nationale au développement de l'intermodalité et des infrastructures permettant de rééquilibrer, à terme, le rail et la route.

Ce n'est manifestement pas la voie que ce gouvernement a choisie ! La forte réduction de ce budget est significative de la rupture que le Gouvernement met en oeuvre sur le plan de la politique des transports ! Elle relève d'une politique de privatisation et de libéralisation.

Nous persistons à penser qu'une autre politique des transports, plus ambitieuse, est possible. D'autres choix, fondés sur des modes de financement différents, non seulement plus égalitaires mais également susceptibles de mobiliser de manière importante les richesses créées, sont envisageables.

Une politique ambitieuse, compatible avec les exigences du développement durable et visant à favoriser le développement des transports en commun et à permettre l'essor de l'intermodalité, une politique accordant la priorité au rééquilibrage des parts de marché entre la route et le rail en matière de fret est indispensable.

M. Jacques Oudin. Qu'a fait M. Gayssot ?

M. Eric Doligé. Rien !

Mme Evelyne Didier. Sous prétexte de contraintes budgétaires fortes, l'on veut faire renoncer la France aux grands projets d'infrastructures.

La France pourra-t-elle respecter ses engagements et suivre les recommandations du Livre blanc de la Commission européenne publié en 2001, qui préconisait, pour le fret, un transfert de la route vers le rail et les autres modes de transport ? Si elle renonce au schéma « multimodal volontariste », comme cela est apparu lors du débat sur les infrastructures, la France en sera bien incapable.

Qu'en est-il, par ailleurs, des engagements pris au sommet européen d'Essen, à l'issue duquel quatorze grands projets d'infrastructure, dont, je tiens à le rappeler, la liaison transalpine Lyon-Turin, avaient été retenus comme prioritaires ? Cette liaison, qui devrait permettre d'absorber de 700 000 à 1 million de camions par an, sera-t-elle vraiment réalisée ? Pourquoi ne pas engager dès maintenant les travaux, plutôt que de remettre à 2015 la mise en oeuvre du projet ? Pourquoi ne pas exiger, avec nos partenaires européens, des fonds européens plus importants ?

Nous devons faire un effort particulier en faveur du développement du fret ferroviaire.

Le rééquilibrage du marché entre le rail et la route ne passe pas par la libéralisation du secteur public, c'est-à-dire par la mise en concurrence des modes de transport et des systèmes nationaux de fret, qui aboutirait à un alignement par le bas des tarifs pour le fret ferroviaire, préjudiciable au développement des investissements en vue de la modernisation et du renforcement des capacités par le biais d'infrastructures nouvelles.

Cela suppose, de la part de la France, une politique plus volontariste et plus à même de traduire ces exigences à l'échelle européenne ! Cela suppose également de nouvelles conceptions en matière de financement, qui n'entraînent pas des augmentations de tarifs à la charge du contribuable.

En juin dernier, la mise en place d'une taxe sur les poids lourds avait été envisagée. Cette idée est-elle aujourd'hui « enterrée » ? Une telle taxe présenterait l'immense intérêt de réduire l'avantage concurrentiel dont bénéficie actuellement la route par rapport au rail.

L'Allemagne a, pour sa part, décidé d'accroître la contribution financière demandée pour les poids lourds utilisant le réseau autoroutier. Une telle politique, dont l'objet est de promouvoir une concurrence plus équitable entre le rail et la route, devrait permettre de dégager annuellement 3,4 milliards d'euros. La moitié de ces recettes serait majoritairement destinée au financement du rail. Pourquoi ne pas suivre cet exemple ?

En matière de nouveaux moyens de financement, nous constatons que vous souhaiteriez, monsieur le ministre, remettre en cause l'existence des deux fonds institués par la loi Gayssot, permettant le financement de la politique intermodale.

Le premier de ces fonds visait à financer sur le territoire national le développement des transports ferroviaire, maritime et fluvial. Le second tendait à permettre la mise en oeuvre de la politique intermodale dans le massif alpin. Tous deux ont aussi pour finalité de favoriser le rééquilibrage du marché du fret entre le rail et la route.

A la différence de l'ancien fonds, ces deux fonds sont exclusivement destinés à dégager des moyens de financement, y compris en utilisant la rente autoroutière, pour favoriser le développement de modes de transport autres que la route.

Le Gouvernement a-t-il l'intention de remettre en question ces deux fonds consacrés au financement d'une politique intermodale ? A-t-il la volonté de faire en sorte que la rente autoroutière soit consacrée prioritairement et majoritairement au financement d'une politique intermodale ? Nous sommes favorables à ce que ces deux fonds financent le rééquilibrage entre le rail et la route en matière de transport de marchandises, à ce qu'ils permettent le développement du ferroutage.

Nous considérons que la première phase de libéralisation du fret ferroviaire, entrée en vigueur en France le 15 mars dernier, n'est pas à même de permettre le développement du fret. Et nous refusons que s'engage d'ores et déjà le processus d'intégration du second paquet ferroviaire. Une période transitoire de cinq ans a été décidée. Un bilan devrait être fait avant de poursuivre la libéralisation. A l'horizon 2008, nous devrions avoir une analyse mesurant l'impact du premier paquet ferroviaire.

Nous nous y opposons d'autant plus que certaines mesures contenues dans ce deuxième paquet sont particulièrement dangereuses. Elles fixent en effet « des niveaux de sécurité minimaux » à atteindre tout en évoquant des « critères d'acceptation des risques » ! Comme dans d'autres secteurs, le processus de libéralisation conduit à une harmonisation vers le bas. Cela est encore plus inadmissible lorsque des questions de sécurité sont en jeu.

Je tiens encore à souligner que la politique de développement du transport de marchandises par rail exige des investissements sur le long terme. Les efforts engagés par le précédent gouvernement commencent à porter leurs fruits. (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.)

La première autoroute ferroviaire alpine franco-italienne vient d'être mise en place. Grâce à cette belle réussite, en 2006, 25 % du trafic de la vallée de la Maurienne, soit 300 000 camions par an, n'emprunteront plus la route.

Pour la sécurité - nous n'oublions pas le drame du tunnel du Mont-Blanc -, le développement du transport des poids lourds par chemin de fer constitue un grand progrès. Il en est de même pour l'environnement. Cette première étape dans le développement du ferroutage devrait être poursuivie. L'interruption de cette dynamique à peine enclenchée serait une énorme perte du point de vue de l'aménagement de notre territoire et de la sécurité routière.

La poursuite du mouvement de libéralisation que vous appelez de vos voeux compromettra plus encore le rééquilibrage entre le rail et la route. Il ne peut que déstabiliser l'opérateur historique et RFF. Ce faisant, ce sont bien les services publics qui sont remis en cause. La SNCF et RFF seront d'autant plus déstabilisés que le problème de la dette du système ferroviaire n'a toujours pas trouvé de solution.

Le débat d'aujourd'hui nous aura permis de souligner combien la politique en matière de transport manque d'ambition avant de manquer de moyens financiers !

Une réelle politique volontariste en ce domaine pourrait s'appuyer sur la création d'un pôle public de financement autour de la Caisse des dépôts et consignations, qui permettrait de mobiliser à la fois les fonds actuellement oisifs de la caisse, de l'ordre de 200 milliards d'euros, et notre propre système bancaire.

Les fonds européens pourraient également être mobilisés, sous la forme d'un emprunt destiné à la réalisation des grands projets d'infrastructure à l'échelle de l'Union européenne. Il semble que la Commission, réunie hier 11 novembre, veuille réduire le programme des grands travaux. Cela révèle, une fois de plus, les réticences des autorités bancaires européennes, au premier rang desquelles celles de la Banque européenne d'investissement. Son rôle devrait pourtant être précisément de réorienter les richesses vers la création d'emplois.

Le libéralisme est un choix politique ! C'est le choix du laisser-faire dont nous avons pu observer les conséquences désastreuses sur le plan tant humain qu'économique en Grande-Bretagne. Veillons à ne pas sacrifier, nous aussi, notre sécurité en subissant la vague de déréglementation et de libéralisation européenne ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, M. Jacques Oudin pose la question du développement de la politique des transports selon trois axes : la programmation à long terme, l'approfondissement de la concertation et la garantie de finances pérennes, conditions d'une politique efficace, équitable et transparente.

Le choix de ces trois axes va dans le bons sens. Je m'arrêterai sur la notion d'équité qu'il a mise en valeur, d'une part pour souligner la forte disparité actuelle en matière de transports routiers, d'autre part pour relever les risques d'accroissement de ces disparités et souligner les difficultés budgétaires insurmontables des départements les plus pauvres dans le cas du transfert de certaines routes nationales aux départements ainsi que leur impossibilité à moderniser, et même à maintenir, leur réseau.

Cette question orale prend une tout autre dimension avec la discussion en cours du projet de loi relatif aux responsabilités locales. Cette nouvelle étape de la décentralisation a le grand mérite de clarifier les compétences des différents niveaux de décision, tous domaines confondus. La part accordée au volet « transports » est substantielle, à la mesure de la confiance justifiée que le Gouvernement accorde à la gestion de proximité.

Je rappellerai rapidement l'inéquité qui existe à l'heure actuelle en matière de transports, en particulier concernant les routes. Il ne s'agit pas de comparer des réseaux routiers de départements ayant des populations trop dissemblables, traversés par les grands axes nationaux ou qui en sont éloignés, il s'agit de permettre que toute la France dispose non pas d'autoroutes, bien évidemment, mais d'un niveau décent d'infrastructures.

M. Jacques Oudin. Très bien !

M. Aymeri de Montesquiou. On ne peut maintenir une situation totalement déséquilibrée : il faut absolument rattraper les retards accumulés par les départements les plus pauvres. Combien reste-t-il de départements français non traversés par une autoroute ni reliés à une autoroute par une route décente à une époque où, comme le rappelait M. Jacques Oudin, les Français et les Européens aspirent à se déplacer sur les axes rapides ?

Les départements sont en compétition pour accueillir de nouvelles entreprises ; un réseau routier moderne fait partie des exigences qu'elles font valoir. On condamnerait définitivement les départements qui ne disposent pas d'un réseau performant en leur transférant des ressources qui, depuis vingt ans, ont été dérisoires et très inférieures à celles qui ont été investies dans les réseaux beaucoup plus modernes des départements riches.

Mon plaidoyer apparaîtra évidemment comme un plaidoyer pro domo, mais les problèmes que je soulève sont aussi ceux que rencontrent d'autres départements ruraux éloignés des grands axes et confrontés à des difficultés budgétaires.

Mon département est traversé par deux routes nationales qui sont ses axes vitaux : la RN 124 reliant Toulouse à Bayonne et la RN 21 qui relie Limoges à Tarbes. Les seules 2 × 2 voies se situent, sur cette route nationale, à l'est du département et totalisent 18 486 mètres. Je raisonne en mètres pour bien préciser combien chacun d'eux est précieux. Cet axe relie Toulouse à la préfecture du Gers. Pensez-vous, monsieur le ministre, que notre département a une chance de se développer tant qu'il sera le seul département de la région à ne pas être rattaché à la capitale régionale par une route à 2 × 2 voies ou par une autoroute ?

Pour ce qui est de l'autre axe, la RN 21, elle a été déclarée axe prioritaire européen le 17 juillet 1996, car elle permettrait de soulager les deux routes principales reliant la France à l'Espagne, de part et d'autre des Pyrénées. La RN 21 permet d'accéder à l'Espagne par leur centre. Est-il normal qu'un axe déclaré prioritaire à l'échelon européen ne le soit pas à l'échelon français ? Est-il juste que cet axe soit financé par l'Etat jusqu'aux portes du Gers alors que les départements mitoyens qu'elle traverse, beaucoup plus riches, bénéficieraient, eux, d'un financement national ?

Je souhaite rappeler que les retards se sont accumulés et ne résultent pas d'une mauvaise gestion récente de la part de l'Etat. Ils ne sont pas dus à un retard dans l'exécution du contrat de plan Etat-région : notre département n'a pas subi les effets de gel de crédits d'Etat, ce qui le conduit à un taux d'exécution de 71 %, supérieur de 26 points à la moyenne nationale. A mi-parcours, le contrat de plan est en passe d'être réalisé dans le Gers.

Mais cela ne suffit pas. Le retard de notre département, comme de certains autres, provient d'une planification initiale ancienne - d'une ambition initiale, devrais-je dire - bien en deçà des besoins réels. Aujourd'hui, la situation demeure profondément insatisfaisante.

Des disparités considérables existent donc. Or qu'est-il proposé pour permettre un rattrapage dans les départements ruraux ? Un renforcement de ces disparités !

Le transfert de certaines routes nationales aux départements, prévu par le projet de loi relatif aux responsabilités locales, n'est pas critiquable dans son principe. L'idée est même pertinente à en juger par la qualité du travail effectué sur la partie du réseau - 53 000 kilomètres - déjà transférée aux départements par la loi du 29 décembre 1971.

Simplement, ce transfert n'est pas la panacée pour un certain nombre de départements. Il pose un vrai problème d'équité, car les finances de ces départements ne leur permettent pas de disposer des moyens nécessaires, ni aujourd'hui ni pour l'avenir.

Comment mon département - mais aussi tant d'autres - pourra-t-il assumer l'entretien des routes qui pourraient lui être prochainement dévolues ? Monsieur le ministre vous avez évoqué la concertation entre l'Etat et les départements sur le transfert de certaines routes nationales. Pour notre région, elle a en effet débuté le 4 novembre. Que se passera-t-il si un département refuse le transfert ? Sur la base de 5 millions d'euros par kilomètre, la mise à 2 × 2 voies de la RN 21 nécessiterait 500 millions d'euros, soit plus de trois fois le budget annuel du département du Gers !

Il serait indispensable, dans un souci d'équité, je le répète, que l'Etat s'attache à financer la remise en état des routes nationales et leur modernisation avant leur transfert au département. Le Gouvernement envisage-t-il cette option, même si cette remise en état n'avait pas eu lieu avant le transfert décidé en 1971 ? Il a été précisé la semaine dernière lors des débats sur le projet de loi relatif aux responsabilités locales que, « depuis quatre ans, les crédits d'entretien avaient progressé de 30 % sur le réseau routier ». Les voies susceptibles d'êtres transférées ont-elles été toutes concernées par ces travaux ? Je crains que non.

L'une des hypothèses retenues pour permettre le financement des routes est l'instauration de péages, décidée soit par l'Etat en cas de routes relevant de l'Etat, soit par la collectivité locale. Qu'en est-il lorsque, en raison du mauvais état des routes nationales, les flux qui devraient naturellement traverser un département se détournent de celui-ci ?

Une autre hypothèse est le partage de la TIPP, la taxe intérieure sur les produits pétroliers. Qu'en est-il lorsque celle qui est générée par le département est très faible ?

Que proposer ? La mise en place de financements durables est évidemment nécessaire. Monsieur le ministre, le 3 juillet dernier, lors de votre audition devant la commission des finances, vous avez déclaré qu'« il était nécessaire de parvenir à un accord entre l'Etat et les départements concernant les modalités de compensation du transfert des routes nationales aux départements ». Pouvez-vous, aujourd'hui, nous apporter quelques précisions ? Qu'en est-il lorsqu'il n'y a pas accord, ce qui est une hypothèse plausible ?

Monsieur le ministre, quelle est votre appréciation de la proposition de M. Jacques Oudin relative à la création d'un fonds national de péréquation alimenté par une ressource pérenne ? Cette ressource est-elle définie ? S'agira-t-il d'une taxe pour l'aménagement du territoire, d'une partie des dividences des sociétés d'autoroutes ?

De deux choses l'une : ou bien l'Etat, malgré le contexte budgétaire tendu, s'engage à une mise à niveau des infrastructures routières dans les départements français notoirement mal lotis ; ou bien l'effort est partagé à l'échelon communautaire, car il est anormal que certaines régions situées dans des Etats membres comme l'Espagne, le Portugal, la Grèce ou l'Irlande aient bénéficié d'importants fonds européens pour leurs infrastructures alors que notre pays n'a disposé, pour ses départements les plus pauvres, que d'un très faible reliquat. Je le rappelle, il ne nous reste que peu d'années avant que nous n'ayons plus accès aux fonds structurels.

Vous l'aurez compris, je m'inquiète non seulement pour l'entretien, mais aussi pour l'extension de notre réseau routier. Notre collègue évoque le chiffre de 4 000 kilomètres de routes rapides à construire, autoroutes ou 2 x 2 voies.

En juin dernier, vous avez eu le mérite de lancer un grand débat parlementaire sur les infrastructures à l'horizon de 2020. Mais 2020, c'est demain, puisque, en moyenne, quinze ans s'écoulent entre le lancement des premières études et la mise en service d'une infrastructure.

Je conclurai sur deux points.

Monsieur le ministre, certains considèrent que les autoroutes de l'information vont bouleverser le paysage au point de lisser les disparités existantes. Elles permettront, en effet, aux zones les plus mal desservies d'être en contact avec n'importe quel point du monde. Néanmoins, il est faux de penser que ce type de liaisons compensera le manque d'infrastructures. En effet, sans routes modernes, comment les marchandises transiteront-elles ? Comment les touristes parviendront-ils jusqu'à nous avec des routes sur lesquelles ils ne peuvent rouler en toute sécurité ? Je me dois de rappeler que, rapporté à sa population, le Gers est, hélas ! le département le plus mortifère de France.

Par ailleurs, si la recherche d'équité est bien une priorité, il conviendrait d'inverser les flux financiers entre Paris et certaines régions. Est-il normal que, parmi d'autres ruraux, le contribuable gersois, qui dispose de très mauvaises conditions de transport, finance les transports collectifs d'une région aussi riche que l'Ile-de-France ? Je pense, bien sûr, à la RATP. Il serait beaucoup plus équitable que les Franciliens subventionnent les routes des régions pauvres, qu'ils sont fort heureux d'emprunter l'été venu.

Nous le savons, vous êtes un homme de conviction et un homme d'action. Vous avez rendu l'espoir à nos zones rurales avec votre loi « urbanisme et habitat ». Ne les décevez pas en matière de routes ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. Jacques Oudin. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner.

M. Daniel Reiner. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous sommes réunis une nouvelle fois pour parler des transports. Parler est certes utile, mais cela ne saurait suffire : il va bientôt falloir passer du discours à l'acte.

La question de notre collègue Jacques Oudin précède de peu l'examen par le Sénat du budget des transports pour 2004 - je ne l'anticiperai pas - et le comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire, prévu en décembre, qui devrait définir les priorités du Gouvernement pour les années à venir. Tout cela fait suite, assez naturellement, au débat organisé ici même le 3 juin dernier, à celui qui avait eu lieu à l'Assemblée nationale peu avant et à la publication d'audits et d'études, parfois controversés mais qui ont eu le mérite de nourrir la discussion.

M. Jacques Oudin a souhaité faire porter le débat sur trois points : la programmation à long terme des investissements, l'approfondissement de la concertation et la recherche d'un financement pérenne. J'aborderai ces trois questions dans mon intervention, en y ajoutant un certain nombre de considérations sur la politique menée par le Gouvernement en la matière.

Je commencerai par la programmation à long terme des investissements.

Ce point est revenu sans cesse dans notre débat du 3 juin dernier : l'idée d'une loi de programmation a été avancée sur de nombreuses travées, je l'ai évoquée moi-même, et vous aussi, monsieur le ministre, avez fait part de votre intérêt pour cette idée.

Aujourd'hui, qu'en est-il de cette proposition du Parlement ? Il semble ne plus en être question, tant il est vrai qu'elle ne doit guère enchanter Bercy et Matignon. Le ministère des transports y est-il favorable ?

Alors que devaient se traduire en chiffres dans le projet de loi de finances les déclarations rassurantes du Gouvernement en faveur des infrastructures, l'heure est plutôt au pessimisme et même à la déception sur nos travées, non seulement sur les chiffres, mais aussi sur le discours au ton trop libéral de la majorité qui tend - nous l'avons encore constaté récemment dans la discussion sur la décentralisation - à vouloir se contenter de faire payer de plus en plus les infrastructures par l'usager. Ne perdons pas de vue, mes chers collègues, que les infrastructures de transport font partie des services dus au public, que l'Etat a une mission d'aménagement du territoire et qu'il doit assurer la continuité entre les réseaux et la solidarité envers les régions et les départements défavorisés.

L'intérêt d'une loi de programmation ne devrait pas être à démontrer ici. Comment ne pas se rappeler l'apport de la loi d'orientation sur les transports intérieurs de 1982 ? Elle a permis à notre pays de rattraper une grande partie de son retard routier et de lancer un programme volontariste de lignes ferroviaires à grande vitesse.

Plus de vingt ans se sont écoulés depuis : ne serait-il pas temps de rééditer l'exercice ?

De même, je rappelle l'existence du schéma de services collectifs des transports que la majorité critique toujours à la première occasion, mais qui a pourtant affirmé deux grands objectifs à moyen et à long termes que je n'ai pas entendu remettre en cause : premièrement, organiser le transfert modal de la route vers le fer et la voie d'eau et, deuxièmement, développer les transports collectifs urbains et interurbains. Ne pourraient-ils d'ailleurs constituer le socle d'une future loi de programmation ?

Nous disposons de tous les éléments, d'une multitude de rapports aussi pertinents les uns que les autres. Nous avons pris des engagements internationaux pour réduire nos émissions de gaz carbonique. Bref, nous savons tous ce qu'il nous reste à faire.

Le diagnostic et les enjeux sont partagés sur toutes nos travées, mais nous tergiversons encore et nous cherchons désespérément la trace d'une nouvelle impulsion dans le projet de budget pour 2004, qui est marqué par la rigueur.

Pendant que notre pays donne l'impression de tourner en rond sur la question des transports, l'Europe continue à faire des propositions.

Parmi les grandes infrastructures de niveau européen qui constituent les réseaux transeuropéens de transports, les RTE, les conseils européens d'Essen en 1994 et de Dublin en 1996 ont défini une liste de quatorze grands projets prioritaires, dont trois lignes ferroviaires à grande vitesse concernant la France : le TGV Est européen, le TGV Sud européen vers l'Espagne et la liaison ferroviaire entre Lyon et Turin.

Ces quatorze grands projets devaient être réalisés à l'horizon 2010. Nous sommes aujourd'hui, de l'aveu même du Conseil européen, bien loin de cet objectif.

L'un de ces projets, la traversée ferroviaire des Pyrénées, était considéré comme hautement prioritaire par l'Europe, mais il semblait ne pas bénéficier du même traitement de la part de l'Etat français. Ce dossier est-il susceptible d'aboutir ?

Face à ces retards - essentiellement pour raisons financières -, la Commission a chargé un groupe d'experts présidé par l'ancien commissaire Karel Van Miert de formuler des propositions de relance.

Ces propositions ont été présentées par la commission au Conseil européen des ministres des transports du 9 octobre dernier, auquel vous avez participé, monsieur le ministre.

La Commission propose notamment de fixer le nouveau cap à 2020 pour l'achèvement des projets, en étendant la portée géographique des réseaux transeuropéens de transport de manière à y intégrer les futurs membres. Elle prévoit également de nouveaux mécanismes de coordination pour favoriser la coopération opérationnelle et financière entre Etats membres concernés par un même projet transfrontalier.

Par ailleurs, dix-sept nouveaux projets prioritaires viennent s'ajouter aux quatorze projets dits « d'Essen » : outre le lancement des « autoroutes de la mer », treize de ces dix-sept projets sont des projets ferroviaires, ce dont je me félicite.

Pouvez-vous, monsieur le ministre, faire part au Sénat de votre avis sur les propositions du groupe Van Miert ? Quelles seront les traductions concrètes de ces propositions en France ?

Permettez-moi d'ajouter un mot sur le fret ferroviaire.

Je me félicite de l'entrée en vigueur, le 3 août dernier, du programme européen « Marco Polo » destiné à soutenir le développement du transport combiné de marchandises et des alternatives à la route. Il est doté de 75 millions d'euros pour la période 2003-2006, et j'espère que la France saura l'utiliser à bon escient. Mais nous pouvons nourrir des craintes.

En effet, la baisse des crédits d'Etat destinés au transport combiné en 2003 amène certains opérateurs, comme la CNC dans mon département, à demander pour maintenir leur activité, des subventions d'équilibre aux collectivités locales. Est-ce un chantage ?

A ce sujet, j'ai appris que votre ministère avait défini un nouveau régime d'aide à l'exploitation de services réguliers de transport combiné de marchandises pour la période 2003-2007 et qu'un appel public à manifestation d'intérêt avait été lancé. Ce dispositif ne sera-t-il pas lui aussi victime des gels budgétaires ? Est-il garanti ? Pouvez-vous nous en dire plus ?

Comme tous ici, j'espère que l'expérience d'autoroute ferroviaire dans les Alpes, lancée le mois dernier, sera un succès.

Mais au-delà des diagnostics partagés et de la volonté de tous de développer le fret, les déclarations pessimistes se succèdent depuis quelques semaines, comme pour nous préparer à de mauvaises nouvelles : certains n'hésitent pas à se demander s'il est encore possible de sauver le fret ferroviaire. Le report de la présentation du « plan fret » de la SNCF au prochain conseil d'administration du 19 novembre n'annonce rien de bon. Le prix à payer s'annonce élevé : on parle de 6 000 à 10 000 suppressions d'emplois avec un plan d'accompagnement social, des abondons de sites, etc.

Il me revient de ma région des échos particulièrement défavorables. Ainsi, j'entends parler d'une réduction du fret ferroviaire de 50 milliards de tonnes par kilomètre à 35 milliards de tonnes par kilomètre, ce qui me semble aberrant ! Quel aveu d'impuissance, quel retour en arrière si ces chiffres étaient confirmés !

M. Michel Teston. Très bien !

M. Daniel Reiner. Quant à l'ouverture à la concurrence du 15 mars dernier, son faible succès pourrait laisser penser que la libéralisation n'est peut-être pas la solution miracle à tous les problèmes de la France, contrairement à certaines déclarations quelque peu incantatoires.

Je me réjouis d'ailleurs que les députés européens du groupe socialiste se soient opposés à la proposition du Parlement européen d'accélérer la libéralisation du transport ferroviaire de voyageurs.

J'en viens maintenant à l'approfondisement de la concertation.

Le débat qui s'est tenu au printemps au Sénat et à l'Assemblée nationale a constitué un exercice de concertation intéressant ; le Parlement a été écouté. A la lueur des annonces du CIADT « transports » des prochains jours, nous allons voir s'il a été entendu. Le contenu du projet de loi de finances ne nous laisse cependant guère d'illusions.

La concertation constitue incontestablement une condition nécessaire à la réussite d'une programmation à long terme des infrastructures de transport. Elle est indispensable avec l'Europe, nous venons de le voir, alors même que notre pays est pointé du doigt par Bruxelles.

Notre collègue évoque la nécessité de rénover le Conseil national des transports. Ne serait-ce pas plutôt un conseil européen des transports qui mériterait d'être mis en place à l'heure de l'élargissement ?

M. Jacques Oudin. Pourquoi pas ?

M. Daniel Reiner. La concertation est indispensable également entre l'Etat et les collectivités locales, ne serait-ce que par l'organisation de notre système d'investissement autour des contrats de plan Etat-région et la décentralisation du transport régional de voyageurs, qui semble déjà porter ses premiers fruits.

Hélas ! de l'aveu même des membres de la majorité à l'Assemblée nationale, l'exécution des contrats de plan est une vraie source d'inquiétude, notamment en matière ferroviaire. Les retards se multiplient, les surcoûts aussi. Il semblerait que l'engagement global de l'Etat, évalué à un peu plus de 1 milliard d'euros, n'était avancé qu'à hauteur de 25 % au début de l'année 2003. Avec les mesures de gel sans précédent de 2003 et celles qui pourraient être décidées en 2004, le risque est que l'achèvement des contrats de plan soit différé au-delà de 2007, voire jusqu'en 2010 !

Les engagements de l'Etat méritent donc d'être clarifiés, surtout au regard du texte que nous venons de voter dans le cadre de la décentralisation.

Cette perspective ne va guère inciter les collectivités à espérer beaucoup du volet « transports » du projet de loi de décentralisation. Il suffit pour s'en convaincre d'assister aux débats du Sénat depuis ces deux dernières semaines. Et l'opposition n'est pas la seule à s'inquiéter des conséquences financières des transferts, comme nous ne cessons de le constater.

Pourtant, les collectivités, comme par le passé, sont prêtes à prendre leurs responsabilités et à s'engager dans la construction d'infrastructures de transport respectueuses du développement durable. Je pense bien évidemment aux équipements de transports urbains.

Là encore, la douche froide a été au rendez-vous, avec des gels budgétaires records en 2003 et la suppression pure et simple des aides de l'Etat aux transports collectifs en site propre dans le projet de loi de finances.

Quelle distance des déclarations aux décisions ! Les mesures de substitution proposées par l'Etat, la hausse du taux du « versement transport » - le fameux article 77 de la loi de finances, pour l'instant supprimé - ou la mobilisation de la Caisse des dépôts et consignations ne suffiront pas à éviter l'inéluctable : la hausse des impôts locaux.

Aux dernières nouvelles, il semblerait que le Premier ministre ait accepté de revoir sa copie, après avoir reçu, le 3 novembre dernier, des représentants de l'association des maires de grandes villes, en annonçant un collectif budgétaire de 65 millions d'euros, bien loin, hélas ! des 300 millions d'euros initiaux. Ce chiffre peut-il nous être confirmé ?

Enfin, nous souhaiterions entendre le Gouvernement sur l'avenir du Conseil supérieur du service public ferroviaire, instauré par un décret de 1999 et soumis au feu des critiques dans certains rapports parlementaires qui proposent de faire assurer son fonctionnement par le Conseil général des ponts et chaussées ?

Faut-il réformer le Conseil national des transports mis en place par la LOTI ? Il nous faut en tout cas conserver un lieu de rencontre et de dialogue entre responsables publics, chefs d'entreprise et représentants des usagers, sans limiter son action à celui d'une chambre d'enregistrement. Au niveau local, je mesure régulièrement pour y participer l'intérêt des comités de desserte des lignes TER.

Venons-en maintenant à la question centrale, celle du financement.

Je souhaite poser un préalable.

Les besoins sont importants, c'est une réalité : selon vos déclarations du 3 juin dernier, monsieur le ministre, vous avez estimé que le besoin financier supplémentaire pour réaliser les projets étudiés par l'audit des Ponts et Chaussées s'élève à 1,2 milliard d'euros par an pendant vingt ans, soit 0,4 % du budget de l'Etat. Je continue à croire que cet effort n'est pas insurmontable pour notre pays.

Pour notre collègue Bernard Joly, qui vient de déposer un rapport, c'est 1 milliard d'euros de plus par an qui serait nécessaire pour accélérer le rythme de réalisation des lignes à grande vitesse, de façon à pouvoir mener deux chantiers de front.

A l'échelon européen, les chiffres s'envolent : les crédits du budget européen de 2003 pour les grands travaux s'élèvent aujourd'hui à 625 millions d'euros par an. Mais pour réaliser les grands projets que j'ai cités précédemment, il faudrait 220 milliards d'euros d'ici à 2020.

De fait, même si, je le sais, le sujet est quelque peu tabou, comment concrétiser un objectif aussi ambitieux sans redéploiement et sans augmentation du budget communautaire ?

Bref, il faut beaucoup d'argent. Mais nous savons tous que l'absence d'infrastructures de qualité, respectueuses du développement durable, nous coûterait au final encore plus cher.

Les pistes sont connues, nous les avons à peu près toutes évoquées lors de notre débat du printemps dernier, et je viens de les entendre à nouveau : taxation des poids lourds, développement de partenariats secteur public-secteur privé - avec ses limites, commme on l'a vu avec Eurotunnel -, appel à l'Union européenne qui, paraît-il, pourrait cofinancer ou proposer de cofinancer les projets prioritaires à hauteur non plus de 10 %, mais de 30 % - qu'en est-il réellement ? -, emprunt européen, péages modulés en fonction des horaires et des encombrements, etc.

Certaines sont déjà mises en oeuvre, et, disant cela, je pense notamment à l'augmentation de la TIPP sur le gazole. Mais pouvez-vous nous expliquer pourquoi elle n'a pas concerné les transports routiers ?

D'autres appellent la poursuite de la réflexion, comme la redevance d'usage routier pour les poids lourds qui semble poser un certain nombre de problèmes techniques chez nos voisins allemands.

Nous avons fait un constat quasi unanime : comment ne pas augmenter le coût du transport routier, au bénéfice des autres modes ? D'une manière générale, le prix du transport des marchandises - transport routier mais aussi maritime, bien sûr - sous la pression d'une concurrence échevelée et au prix d'un dumping social parfois choquant, n'est pas suffisamment dissuasif pour encourager le transfert modal.

Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire ici, nos débats doivent également nous amener à nous interroger sur les logiques de développement à flux tendus, si gourmands en infrastructures publiques.

L'utilisation des dividendes de la rente autoroutière, estimée à près de 60 milliards d'euros d'ici à la fin des concessions, vers l'année 2030, est une perspective sérieuse. Elle sera évoquée plus longuement par notre collègue Michel Teston. Qu'il me soit simplement permis de conseiller au Gouvernement, plus que jamais à la recherche d'argent frais, de ne pas céder à la tentation de se dessaisir de ses parts dans les sociétés d'autoroutes.

En matière ferroviaire, les regards se tournent bien entendu vers la capacité d'investissement de RFF, qui est handicapé par sa dette d'environ 26 milliards d'euros. A ce sujet, nous ne voyons guère d'inconvénients à la budgétisation de la contribution de l'Etat à hauteur de 800 millions d'euros au désendettement de l'entreprise. L'opération y gagnera en transparence, même si certains pourraient avoir la malice d'y voir un tour de passe-passe budgétaire visant à accroître artificiellement le budget des transports. Ce n'est pas mon cas.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Très bien !

M. Daniel Reiner. Moins rassurante pour la SNCF est l'augmentation des péages de 300 millions d'euros en cinq ans, soit 60 millions d'euros par an. Je sais que le niveau des péages en France se situe dans la moyenne européenne, sauf pour le fret, mais faut-il étrangler la SNCF alors qu'elle connaît actuellement de multiples difficultés ?

Ne serait-il pas préférable d'accroître les efforts budgétaires de l'Etat en faveur du désendettement de RFF et donc de lui permettre d'investir ? Vous savez que c'est la question centrale. Pour l'instant, l'apport de l'Etat parvient juste contenir la dette et, en aucun cas, à la faire réellement baisser.

C'est bien entendu un choix éminemment politique. La SNCF aussi a besoin d'investir pour améliorer sa situation et gagner des parts de marché, notamment en matière de fret ferroviaire. Est-il besoin d'indiquer au Parlement qu'Alstom aurait bien besoin de remplir son carnet de commandes ?

Reste l'hypothèse de la création d'un fonds spécial d'investissement pour les transports, voire d'un établissement public, hypothèse évoquée ici-même et que le Gouvernement avait accueillie à l'époque avec intérêt. Est-il toujours dans cette disposition d'esprit, monsieur le ministre ? Le projet de loi de finances ne le traduit guère, mais c'est peut-être un chantier qui sera ouvert pour 2005 !

En même temps, nous savons tous ici que Bercy veille à ne jamais laisser subsister trop longtemps des ressources affectées.

Mes chers collègues, on peut toujours débattre en ces lieux de la politique des transports. Le sujet est vital pour la nation et il passionne le Sénat.

Nous nous penchons donc régulièrement sur la question, et le débat est enrichi par les contributions multiples de nos collègues dans ce domaine.

Sur les enjeux et sur l'urgence d'investir, nos vues semblent assez partagées, et le Gouvernement a déclaré à plusieurs reprises, dans les derniers débats, partager nos analyses. Mais il prépare également le projet de loi de finances. Et là, la déception est au rendez-vous ! Où est l'impulsion nécessaire de l'Etat ? Où sont les nouvelles règles du jeu ? Ne parlons pas des gels budgétaires en cours d'année ou des appels incessants aux collectivités locales qui seront, elles, au rendez-vous de l'investissement. Mais à quel prix !

La croissance est-elle insuffisante pour pouvoir investir ? Mais l'investissement est pénalisé par les choix budgétaires hasardeux du Gouvernement. Je pense, comme ma collègue Evelyne Didier, à la baisse de l'impôt sur le revenu. C'est notre politique d'investissement dans les infrastructures de demain qui contribuera à la croissance.

En conclusion, à la lumière de ce débat et des conclusions du prochain CIADT que nous attendons impatiemment, nous ne manquerons certainement pas, monsieur le ministre, mes chers collègues, de revenir sur ces points lors de l'examen du budget des transports. Nous verrons bien si le Gouvernement ne pratique pas le double langage. A ce stade, nous attendons surtout des actes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Richert.

M. Philippe Richert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention s'articulera autour de quatre remarques.

La première concerne l'importance stratégique que revêtent les communications en France et en Europe, et d'abord pour répondre à l'attente de nos concitoyens en matière de qualité de vie.

Si l'on regarde certains camions allemands qui passent sur nos routes, on peut y lire : « Tant que votre terminal de PC ne vous ramènera pas vos fruits à la maison, vous aurez besoin de camions qui roulent sur des routes pour vous les apporter. » Ce n'est pas complètement faux, et nous avons toujours besoin de routes pour permettre la desserte de nos concitoyens.

Cette importance stratégique se retrouve aussi dans le rôle que jouent les communications pour préparer notre pays aux enjeux de la compétition internationale.

Ainsi, les routes continuent d'être un support du développement, et les investissements dans le domaine ferroviaire, qu'il s'agisse du TER ou du TGV, sont aussi nécessaires, les uns et les autres.

Cela dit, comment articuler les transports entre la ville et la banlieue ? Voilà bien un domaine où il faudra faire preuve d'imagination !

La desserte de Strasbourg est plutôt à la hauteur et son tramway est plutôt efficace, bien organisé et moderne. Là où existe un transport ferroviaire amenant la population dans Strasbourg, cela fonctionne plutôt bien. Mais un problème se pose dans des secteurs entiers du département où il n'y a pas de desserte ferroviaire pour se rendre en ville.

Comment font les usagers ? Ils entrent dans Strasbourg avec leur voiture, la garent, puis prennent le tramway. Il faudra donc imaginer des solutions novatrices permettant d'entrer dans la ville avec les transports en commun. Si nous ne le faisons pas, nous allons au devant de graves difficultés.

Dernier élément stratégique important : les canaux.

On sait l'erreur gravissime qu'ont commis Dominique Voynet et le gouvernement de M. Jospin en annihilant d'un trait de plume les efforts qui avaient été engagés pour la réalisation du canal Rhin-Rhône. Dans le même temps, les Allemands ont construit le canal Rhin-Main-Danube, dont les résultats ont dépassé, et de loin, les espérances. Il nous faudra donc réparer en la matière les erreurs de ceux qui nous ont précédé au gouvernement.

Deuxième remarque : l'Etat ne doit pas réduire sa part d'investissements.

Notre pays, comme la plupart des autres pays européens, connaît de graves problèmes pour équilibrer son budget. Evidemment, pour y remédier, la solution toute simple est de supprimer, chaque fois que possible, des programmes d'investissements. C'est ce qui a été fait en matière de transports en commun urbains, notamment.

C'est une erreur importante, parce que cela revient, chaque fois que cela se produit, à augmenter la part de fonctionnement dans notre pays au détriment de l'investissement. On ne peut pas laisser les collectivités financer seules les investissements. Pour moderniser notre pays, pour garder des marges de manoeuvre, pour éviter que tout notre effort ne porte que sur le fonctionnement, il nous faut continuer à investir.

Or, ce n'est pas exactement ce que fait l'Etat. Je me demande d'ailleurs si le transfert des routes nationales ne va pas aboutir à une diminution des investissements de l'Etat.

Comme notre collègue Aymeri de Montesquiou l'a souligné, il ne faudrait pas qu'à l'issue de la décentralisation les routes nationales devant faire l'objet d'importants programmes d'investissements reviennent aux collectivités tandis que les routes nationales déjà aménagées en 2 × 2 voies resteraient à l'Etat. C'est pourquoi nous aimerions y avoir la garantie que l'Etat continuera d'investir comme il se doit sur les routes nationales.

Ma troisième remarque concerne le développement durable et la politique de lutte contre l'effet de serre.

Nous savons que c'est l'un des grands enjeux planétaires, nous savons aussi que le Président de la République et le Gouvernement s'engagent de façon très volontariste dans cette voie, en particulier au travers de l'action du ministère de l'écologie et du développement durable.

Pour répondre à cette volonté, il faudra que les investissements prévus soient à la hauteur et fassent de notre pays un exemple en matière de lutte contre l'effet de serre.

Cela implique que nous devons continuer à investir en matière de transports en commun urbains. Cela implique que nous continuions à investir dans le transport ferroviaire régional. Cela implique que nous investissions dans les trains à grande vitesse, sachant notamment que l'avion est très producteur de gaz à effets de serre. Cela implique enfin que nous engagions des politiques de transports en commun interurbains novatrices.

Sur ce dernier point, je pense à des transports de type « transports guidés sur route », comme cela existe à Nancy. On pourra certainement éviter les petits problèmes qui sont survenus. Il y a d'autres constructeurs que Bombardier : Lohr, par exemple, qui fournit aussi un produit pour le fret, le Modalohr, que vous connaissez bien.

Car le fret est un secteur essentiel, et nous savons qu'il ne sera pas possible que la majorité du fret continue à être transportée par route. Notre pays doit s'engager de façon plus déterminée pour faire en sorte qu'une alternative soit offerte aux transporteurs.

Modalohr est un produit français qui pourraît être connu dans l'ensemble de l'Europe, voire bien au-delà. Nous devons favoriser cette pénétration en dehors de nos frontières.

J'en viens à ma quatrième et dernière remarque : notre nouvel horizon doit être l'Europe.

C'est une nécessité au niveau de l'interconnexion, mais c'est également un vecteur de développement local.

Ainsi, les lignes TGV ont favorisé le développement de toutes les régions traversées. A l'inverse, les régions où ne passe pas de TGV souffrent de plus en plus.

Prenons l'exemple de l'Alsace : pendant deux années consécutives, cette région a connu un accroissement du chômage de 15 %, soit 30 % d'augmentation sur deux ans ; c'est très inquiétant.

Nous devons donc investir pour favoriser le développement de nos territoires et, au-delà, le développement de l'Europe. En effet, en développant nos régions, en répondant aux attentes de nos concitoyens, nous favoriserons la croissance au niveau de l'Europe.

Pour arriver à cette convergence de moyens, il faut se fixer deux objectifs.

Tout d'abord, il faut arrêter la politique du coup par coup et le saucissonnage, et avoir une vision d'ensemble à moyen terme qui permette de replacer la politique des transports au coeur de nos priorités. Ce faisant, à la fois nous répondrons aux besoins de nos concitoyens et nous jouerons le rôle de catalyseur du développement de l'Europe.

Ensuite, cette politique ne doit pas être la simple addition des différents projets qui se juxtaposent. Il y en a, bien évidemment, en Alsace comme ailleurs, je pense à la deuxième phase du TGV Est-européen. Ces projets doivent être pour nous l'occasion de donner une nouvelle orientation à notre ambition, pour notre pays et pour l'Europe. Ainsi, les crédits et les moyens devront être conjugués et il faudra faire converger l'ensemble des mesures.

Il ne suffit pas de dire : il faut augmenter les tarifs de location des réseaux RFF, ou améliorer la compétitivité de nos sociétés, SNCF, RFF, sociétés d'autoroutes, ou maintenir hors privatisation les autoroutes pour profiter pleinement des bénéfices futurs attendus en matière de péage, ou augmenter la contribution du fret routier à l'investissement et à l'équipement des transports, ou innover en matière de mobilisation de crédits privés ou publics.

Non, il faut surtout essayer de faire converger l'ensemble de ces mesures, notamment, comme l'a dit notre collègue Jacques Oudin, à travers un fonds de financement, lequel me paraît susceptible de répondre à l'ensemble des objectifs fixés et de permettre à notre pays d'atteindre une nouvelle dimension dans sa politique de développement des transports.

Moderniser le pays et le faire tout en dynamisant les investissements au moment où la croissance mérite d'être soutenue, voilà deux raisons qui nous font espérer que la France s'engagera avec vigueur dans une politique de transports ambitieuse.

Vous pouvez compter sur nous, monsieur le ministre, pour vous soutenir dans ce difficile mais exaltant chantier. Nous savons que nous ne traversons pas une période de « vaches grasses », que les crédits ne sont pas illimités, mais nous savons aussi que c'est dans les moments difficiles qu'il faut savoir arrêter les décisions, prendre de l'avance, cela nous évitera de courir après les autres !

Nous espérons que, dans les réponses que vous nous apporterez, nous trouverons des motifs de satisfaction concernant lapolitique ambitieuse que le Sénat souhaite pour les transports. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Teston.

M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, menés au cours du premier semestre de l'année 2003, l'audit de l'Inspection générale des finances et du Conseil général des ponts et chaussées ainsi que l'étude prospective de la DATAR ont dressé un tableau global de la situation de la France en termes d'infrastructures de transports.

A partir de ces études, plusieurs constats s'imposent : la France apparaît comme un Etat relativement bien équipé et ayant comblé une grande partie de son retard en infrastructures ; les flux de personnes et de marchandises vont aller croissant et nécessiter, de fait, une adaptation des réseaux routiers, ferroviaires et fluviaux ; il existe néanmoins, en France, des territoires encore enclavés, dont l'accessibilité est réduite.

La DATAR a pointé douze départements souffrant d'un déficit d'accessibilité ; il s'agit des départements de l'Allier, des Alpes-de-Haute-Provence, de l'Ardèche, du Gers, des Hautes-Alpes, de la Haute-Saône, du Jura, des Landes, du Lot, de la Lozère, de la Meuse et des Vosges.

Ce déficit d'accessibilité est porteur de lourdes conséquences pour ces territoires, notamment en ce qui concerne le développement économique et la vitalité démographique. Comme le souligne la délégation du Sénat à l'aménagement et au développement durable du territoire, « un territoire mal desservi verra presque toujours son avenir compromis ».

Au-delà des difficultés liées à l'inégalité des territoires devant la desserte en infrastructures de transports, le projet de loi relatif aux responsabilités locales, actuellement en discussion devant le Sénat, prévoit le transfert d'une partie du réseau routier national aux départements.

Au titre de cette loi, ce sont les deux tiers des routes nationales qui vont être transférées aux départements, l'Etat gardant la responsabilité du tiers restant.

De nombreux élus s'inquiètent. L'Etat ne va-t-il pas garder les routes sur lesquelles des investissements ont été faits et transférer aux départements les parties du réseau les plus coûteuses en investissement et en entretien ? Le département dont je suis l'un des représentants au Sénat devra consentir d'importants efforts de modernisation des voies transférées, efforts qui seront extrêmement lourds pour les finances du conseil général.

Ce sont donc les départements les moins avantagés qui risquent de pâtir de cette situation. Alors que le maillage équilibré du territoire devrait être une préoccupation essentielle, les dispositions du projet de loi vont cristalliser les inégalités territoriales.

Les transports nécessitent une politique de long terme fondée sur des objectifs de dynamisme économique et démographique mais aussi sur des objectifs d'aménagement harmonieux du territoire. Pour atteindre ces objectifs, les besoins en infrastructures sont encore importants et doivent être financés de manière pérenne.

Or, mes chers collègues, ces difficultés seront encore accrues par les projets du Gouvernement, aux termes desquels il est prévu de ne transférer aucun crédit d'investissement sur le réseau national qui sera octroyé aux départements. Les moins riches d'entre eux, qui sont aussi les moins biens desservis, sont ceux qui auront le plus de difficultés pour trouver de réels moyens d'investissement.

Certes, lorsqu'il s'agira d'aménager des liaisons en connexion immédiate avec des autoroutes concédées, il devrait être possible de faire participer les sociétés autoroutières, puisque la majorité sénatoriale a adopté un amendement allant dans ce sens lors de l'examen de l'article 14 du projet de loi relatif aux responsabilités locales. Cette orientation fait débat dans la mesure où il est difficile d'admettre que les infrastructures nouvelles soient payées par les seuls usagers. Cela étant, rien n'empêche de réfléchir à une vision réaliste et souple de la fin du système de l'adossement.

Au-delà des cas de ce type, qui seront en définitive peu nombreux, j'affirme que le réseau routier national, transféré ou non transféré, doit être entretenu et, surtout, modernisé afin qu'il puisse répondre aux exigences de la croissance des échanges, mais aussi à celles de la sécurité.

Comment sortir de ce cercle vicieux qui consiste à reporter sur les collectivités territoriales des dépenses que le Gouvernement ne peut plus assurer et qui a pour effet la paupérisation croissante des territoires les moins favorisés, lesquels, de ce fait, ne peuvent plus s'en sortir ? Où est la solidarité de la nation dans cette approche ?

On me dira qu'il suffit de trouver de l'argent ! L'idéal serait de recourir à l'emprunt, si la dette de l'Etat n'était pas aussi élévée. En outre, il est inconcevable de demander aux seuls contribuables des territoires les plus en difficulté de payer les infrastructures nécessaires. C'est pourquoi, comme je l'ai précisé dans un courrier adressé à M. le ministre au mois de septembre, je plaide en faveur de la création d'un fonds d'intervention consacré aux infrastructures.

La question du financement des infrastructures a été soulevée dès le débat parlementaire organisé en mai et juin de cette année. Parmi les pistes évoquées figure, notamment, une redevance d'usage pour les poids lourds sur les liaisons nationales à 2 × 2 voies, solution qui n'est pas à exclure.

A également été avancée l'hypothèse d'une privatisation des sociétés d'autoroutes, solution à laquelle je n'adhère pas.

M. le ministre a, en outre, évoqué en septembre 2003 les ressources très importantes dégagées par les sociétés d'autoroutes : 34 milliards d'euros de dividendes dégagés à l'horizon 2032.

Cette piste mérite d'être particulièrement approfondie : en effet, il existe une véritable rente autoroutière qui pourrait être utilisée pour le développement d'infrastructures nécessaires si, par exemple, elle était affectée en ressource d'un fonds d'intervention.

Pourquoi privilégier la création d'un fonds d'intervention plutôt que la privatisation des sociétés autoroutières ?

Une privatisation procurerait une recette importante à l'Etat. Mais je crains - et je crois ne pas être le seul - que cette recette ne se perde rapidement dans des engagements à court terme.

En revanche, la création d'un fonds spécial d'investissement alimenté par un prélèvement sur les dividendes de la rente autoroutière aurait le mérite de constituer une ressource pérenne de financement pour soutenir l'effort de longue haleine que l'Etat doit consentir afin d'équiper tout le territoire national.

Comment utiliser ce fonds ? Compte tenu des besoins, il pourrait être utilisé en vue de financer plusieurs actions.

Une partie irait au financement de grandes infrastructures nationales destinées notamment à nous permettre de garder notre place de plaque tournante des échanges européens.

Une autre partie permettrait de développer des actions en faveur de la multimodalité.

Enfin, et surtout, pour assurer une desserte cohérente de tout le territoire national, il est indispensable de mettre en place une péréquation financière garante de la solidarité de l'Etat à l'égard de tous les territoires. Des ressources pourraient ainsi être prioritairement consacrées à l'équipement et à la modernisation des réseaux autoroutiers, transférés ou non transférés, situés dans les douze départements souffrant, aux termes de l'étude prospective de la DATAR, d'un déficit d'accessibilité.

La priorité ainsi donnée à ces territoires serait un signe fort d'une politique des transports réellement tournée vers l'aménagement du territoire et le développement durable. En effet, les territoires concernés prendraient toute leur place dans les échanges nationaux et européens.

Vous avez dit, monsieur le ministre, vouloir étudier l'hypothèse d'un fonds structurel avec une grande attention. Nous ne pouvons qu'espérer voir un tel fonds créé rapidement afin, notamment, que les départements les moins accessibles ne soient pas les laissés pour compte de la politique des transports en France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Vial.

M. Jean-Pierre Vial. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d'abord, je tiens à remercier notre collègue Jacques Oudin, qui est à l'origine de cette question orale, et le Gouvernement de lui avoir fait bon accueil : cela nous permet de prolonger le débat sur les grandes infrastructures engagé le 3 juin dernier.

Force est de constater que, à la suite du rapport d'audit, de l'étude prospective de la DATAR et des propositions volontaristes que formulaient nos collègues MM. Haenel et Gerbaud dans leur rapport, ce débat sera venu fort opportunément réactualiser les orientations du Livre blanc de la Commission européenne, dont on finissait, sciemment ou non, par oublier le bilan et les propositions stratégiques qu'il contenait.

Rappelant qu'« il est difficile de concevoir une croissance économique forte sans un système de transport efficace », le Livre blanc évoquait la crainte de saturation due au seul trafic routier, avec un risque de congestion en 2010 évalué à 1 % du PIB communautaire.

Il proposait déjà, face aux grands projets prioritaires identifiés dès 1994 lors du sommet d'Essen et aux besoins considérables en termes d'investissement, que le manque de capitaux publics et privés soit surmonté par des politiques innovantes de tarification et de financement des infrastructures.

Ce n'est donc pas un hasard si, constatant le retard pris pour le lancement des grands projets et devant l'impérieuse nécessité de se doter de grandes infrastructures, l'Europe a tenu à réaffirmer à plusieurs reprises, au cours des cinq derniers mois, son engagement.

Elle l'a fait le 30 juin dernier avec la remise à la Commission européenne du rapport Van Miert pour la réalisation d'un réseau de transport véritablement transeuropéen améliorant la cohésion territoriale et, de ce fait, la compétitivité ainsi que le potentiel de croissance de l'Union européenne.

Le 23 juillet 2003, afin de favoriser le développement de partenariat entre le secteur public et le secteur privé et la libération du marché, la Commission a, en outre, adopté une proposition tendant au rapprochement des systèmes nationaux de péages et de droits d'usage.

Le 1er octobre, la Commission a, par ailleurs, modifié son règlement de 1995 de manière à rendre possibles, pour les tronçons transfrontaliers, des projets déclarés d'intérêt européen clairement identifiés, en portant les taux de cofinancement communautaires jusqu'à 30 % du coût des projets.

Enfin, hier, 11 novembre, par sa proposition finale aux dirigeants de l'Union européenne, le président Romano Prodi a précisé que « les capitaux privés ne pourront suivre que si l'Europe met en place un cadre crédible et si elle démontre son engagement en faveur des projets ayant une dimension européenne ». Et « d'espérer que les gouvernements seront motivés et qu'ils prendront des décisions, souvent longtemps différées, sur ces projets », l'objectif de l'Europe étant « encore et toujours de faire en sorte que tous les projets soient menés à bien dans les délais ou avant l'échéance ».

Je ne reviendrai donc pas sur le régime des concessions autoroutières et de leur financement, qui a permis à notre pays de refaire son retard en quelques décennies, sinon pour souligner la force, mais aussi la fragilité, des mécanismes de financement, que notre collègue Jacques Oudin démontrait il y a une semaine dans cet hémicycle en rappelant les lourdes conséquences des mesures prises par l'ancien gouvernement.

En ma qualité d'élu savoyard et rhône-alpin, c'est bien entendu le Lyon-Turin que je veux évoquer, une liaison que les Italiens appellent volontiers Paris-Milan, et les Européens Lyon-Ljubljana, ce qui démontre, s'il en était besoin, sa dimension européenne. En réalité, vous le savez, monsieur le ministre, le Lyon-Turin, comme tout grand projet, n'effraie que ceux qui refusent d'affronter ses vrais enjeux, dont celui que constitue son financement.

On a construit des autoroutes parce que l'on a mis en place un mécanisme de financement par concessions. J'ai bien noté, d'ailleurs, monsieur le ministre, la volonté que vous avez exprimée au mois de juin, de revoir les contraintes françaises de l'adossement sur les courtes sections.

Que d'infrastructures autoroutières sont arrivées à l'équilibre bien avant l'échéance des études officielles ! Vous me permettrez de citer l'exemple du tunnel de Fréjus, qui a fait mentir toutes les études et pronostics de trafic.

Il en sera de même pour le transport de marchandises à condition qu'on en ait la volonté.

Dès l'accord franco-italien de janvier 2001, le Président de la République parlait de la nécessité d'un financement original et, la même année, Raymond Barre, président de la Transalpine, ainsi que Sergio Pininfarina réunissaient un groupe d'établissements financiers français et italiens qui allaient démontrer la pertinence d'un financement mixte.

Aujourd'hui, un financement privé d'au moins 20 % est admis par toutes les études réalisées par les cabinets spécialisés et le partenariat secteur public-secteur privé est devenu une évidence. C'est d'ailleurs une même proportion de 20 % d'apports privés qui a été retenue par la Suisse pour le financement des deux tunnels actuellement en cours de réalisation, le Lötschberg et le Saint-Gothard.

Il convient donc de mobiliser les financements publics sur la base d'un mécanisme moderne, juste et adapté.

Un mécanisme adapté sur la durée, car, au moment où les grands investissements sont financés sur trente à cinquante ans, on imagine mal qu'une telle infrastructure ne soit pas financée sur de telles durées.

Un mécanisme moderne, car c'est à l'usager de contribuer au financement de l'infrastructure, et les professionnels y sont prêts à condition que le coût soit adapté au service.

Un mécanisme juste, car les infrastructures lourdes, telles celles qui correspondent au franchissement d'obstacles naturels comme les massifs alpins ou pyrénéens, doivent pouvoir bénéficier d'une participation répartie sur tout le réseau national, voire européen.

Devant la crainte des Autrichiens face au risque de voir les utilisateurs privilégier certains itinéraires, des dirigeants suisses ont manifesté leur préférence pour des tarifs modulés, décidés en concertation par l'ensemble des pays concernés, dans une logique non plus de concurrence entre infrastructures mais d'offre globale sur l'arc alpin, où chaque ouvrage est nécessaire.

La création d'un fonds de péréquation nationale, qui pourrait avoir sa raison d'être au niveau européen pour certaines grandes infrastructures, serait de nature à regrouper les capacités financières nécessaires aux grands projets.

Monsieur le ministre, c'est dans ce contexte que la liaison Lyon-Turin doit se situer. Vous avez d'ailleurs, à plusieurs reprises, mis en avant sa dimension européenne, et j'ai été sensible à votre engagement personnel pour que le groupe Van Miert retienne ce projet. J'ai également été sensible à la démarche récente de M. le Premier ministre et du chef du gouvernement italien entreprise auprès du président de la Commission, M. Romano Prodi.

Voilà une semaine, la première navette Modalohr de l'autoroute ferroviaire est entrée en exploitation entre Aiton et Orbassano, et j'ai noté à quel point ce projet avait d'adeptes. Vous savez que le site de Bourgneuf-Aiton, en Savoie, est une plate-forme d'expérimentation et qu'elle ne deviendra une vraie ligne d'exploitation qu'avec la création d'une plate-forme à l'est de Lyon.

L'engagement de la France, attendu par nos voisins italiens, ne peut résulter, à l'issue de la consultation en cours, que du lancement de la ligne mixte entre Lyon et le sillon alpin, avec la réalisation des deux tunnels sous Chartreuse et sous Belledonne.

Il s'agit d'un engagement national, qui est lié à la volonté de faire du ferroutage le défi de la reconquête du transport ferroviaire de marchandises indispensable à une démarche de développement durable pour le franchissement des Alpes, en sachant que la ligne historique atteindra sa saturation à 17 millions de tonnes, alors que la Suisse considère que ses infrastructures seront saturées dès 2015.

Cette nécessaire réalisation des tunnels sous Chartreuse et sous Belledonne doit être l'occasion de saisir l'Europe pour que son engagement de financement à hauteur de 30 % ne se limite pas au seul tunnel de base et au tunnel sous Belledonne, qui fait partie de la section internationale au titre de l'accord franco-italien, mais qu'il inclue également le tunnel sous Chartreuse, qui doit être considéré comme faisant partie intégrante du franchissement des Alpes.

C'est donc cette section Chartreuse-Gravio, dont le coût s'élève à 10,67 milliards d'euros, qui doit être proposée à Bruxelles, conformément d'ailleurs à l'esprit des orientations de la proposition finale du 11 novembre. Mais cette section, monsieur le ministre, pourrait être financée, conjointement par la France et l'Italie, le franchissement des Alpes devant être regardé comme un tout, sans considération de la frontière entre les deux pays.

Je ne peux d'ailleurs que me féliciter de la proposition des deux chefs de gouvernement de mettre en place une commission comprenant des représentants de chaque pays, étant entendu qu'une telle délégation devrait être constituée d'un fonctionnaire et d'un élu, compte tenu de l'importance des discussions qui devront être conduites entre la France et l'Italie pour arrêter les prises en charge respectives, conformément aux dernières recommandations européennes.

Monsieur le ministre, favoriser les échanges, c'est renforcer l'Europe. Favoriser les échanges, c'est servir la croissance.

Je vous remercie de votre engagement à servir ces deux enjeux, qui viendront compléter le défi de l'aménagement de notre territoire national par une politique de développement durable, protectrice de l'environnement de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jacques Oudin. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je retrouve l'ambiance de notre débat du printemps dernier : même qualité des interventions, même connaissance des dossiers, aussi bien régionaux ou départementaux que nationaux. C'est un véritable bonheur que de pouvoir échanger sur ce dossier des infrastructures avec les membres de la Haute Assemblée, et je remercie vivement M. Oudin d'avoir suscité ce débat.

Avant d'aborder les questions particulières des uns et des autres, je me permettrai de faire une réponse générale.

Le problème que vous soulevez, monsieur Oudin, est évidemment au coeur de l'importante démarche que le Gouvernement a engagée voilà un an sur la problématique de nos infrastructures.

Cette démarche s'est appuyée tout d'abord sur un audit, dont on peut penser ce que l'on veut, mais qui a tout de même été réalisé par l'Inspection générale des finances et le Conseil général des Ponts et Chaussées. Cet audit a permis de faire le point sur la situation telle que l'a trouvée le Gouvernement lors de son installation.

La démarche de celui-ci s'est en outre appuyée sur un rapport de la DATAR - La France en Europe, quelle ambition pour la politique des transports ? - qui permettait de cadrer les enjeux.

Le Gouvernement a également pu alimenter sa réflexion grâce à des rapports spécifiques émanant de membres éminents de votre assemblée : sur le fret ferroviaire et le cabotage maritime.

Enfin, le débat parlementaire du printemps dernier auquel je faisais allusion au début de mon propos nous a été d'une grande utilité.

Je n'ai pas besoin de rappeler que, en 2002, le Gouvernement a constaté qu'un nombre important de projets de liaisons ferroviaires, routières, fluviales avaient été engagés, étudiés ou simplement annoncés par le gouvernement précédent sans que les financements nécessaires aient été assurés. L'audit a d'ailleurs relevé une impasse d'au moins 15 milliards d'euros par rapport aux moyens existants.

Le débat parlementaire qui a été organisé à la suite de cette constatation a été particulièrement enrichissant et a permis au Gouvernement de prendre toute la mesure de l'importance qu'accordent les parlememtaires - au premier chef, les sénateurs - au développement de nos infrastructures de transport dans une Europe qui poursuit son élargissement. Le Gouvernement a ainsi pu tirer profit de votre vision stratégique sur les besoins de la France et, en même temps, de votre regard sur les territoires qui la composent.

Ce grand intérêt que vous portez aux infrastructures est tout à fait légitime parce que notre pays devra faire face, dans les vingt années à venir, à une croissance encore soutenue des déplacements des hommes et des marchandises.

L'Europe élargie qui se dessine nous impose de conforter la France dans son rôle de plaque tournante des échanges entre les pays du Sud et l'Europe du Nord.

Les exigences d'un développement durable nécessitent par ailleurs de donner au mode ferroviaire - qu'il s'agisse de la grande vitesse ou du fret sur les grands corridors - une meilleure complémentarité avec le monde routier.

Je n'oublie pas l'optimisation de notre réseau fluvial. Le regain de vitalité de ce mode de transport est, je le crois, significatif d'un vrai changement d'état d'esprit chez les chargeurs. Il faut en profiter et capitaliser les 7 % de parts de marché qui ont été gagnées au cours de ces deux dernières années.

Notre niveau d'équipement est appréciable. Et d'autres pays nous envient sans doute ; mais, face aux enjeux qui nous attendent, nous ne pouvons pas nous reposer sur de prétendus lauriers : ces lauriers, à la vitesse de la construction européenne, se fânent très vite !

Depuis ce débat, dont les enseignements me guident dans la réflexion actuelle, Dominique Bussereau et moi-même travaillons sur les différentes pistes que vous avez évoquées, monsieur Oudin.

Nous partageons votre analyse sur la nécessité absolue d'une programmation à long terme, d'une planification au travers d'un schéma national d'infrastructures, compte tenu de la durée de maturation des projets.

Il nous faut en effet, aujourd'hui, disposer d'une vision à vingt, vingt-cinq, voire trente ans. Ce schéma national doit être bâti avec l'objectif d'ouvrir le territoire français sur l'Europe, d'assurer une desserte équilibrée du territoire, toujours dans une perspective de développement durable.

Mais il convient aussi de définir une programmation à plus court terme pour fixer des priorités d'action, s'appuyant sur des engagements financiers clairs et conformes aux enjeux.

Nous élaborons actuellement de tels documents, et je peux vous dire que les apports de l'association TDIE que vous coprésidez, monsieur Oudin - je pense en particulier au recensement des besoins régionaux - nous sont tout à fait précieux dans cette phase de réflexion.

En tout cas, il est évident qu'un schéma, quelle que soit sa qualité, n'est rien sans la définition d'un cadre de financement adapté ; à défaut d'un tel plan, ce n'est que du verbiage. Nous avons pu nous en rendre compte, hélas, avec les schémas de service !

C'est pourquoi la question du financement constitue un enjeu tout à fait essentiel.

Vous l'avez souligné, monsieur Oudin, nous engageons la réforme du secteur ferroviaire avec un mode de financement de RFF plus pérenne, grâce au rapprochement de la TIPP sur le gazole de la TIPP sur l'essence. Il eût été irresponsable de laisser filer la dette de RFF. La réalité nous rattrape toujours, à un moment ou à un autre, et il faut alors payer plus cher !

Le Gouvernement a donc pris ses responsabilités sur ce dossier et, même si ce n'est pas populaire, c'est tout à son honneur. C'est un premier pas important, qu'il nous faudra consolider dans les années à venir.

En outre, le Gouvernement a inscrit pour la première fois au budget des moyens véritables en faveur de la régénération du réseau ferroviaire, c'est-à-dire pour le gros entretien de l'existant, à savoir 675 millions d'euros de crédits de paiement pour 2004. Ainsi, RFF devrait enfin disposer d'une enveloppe fiable pour maintenir le réseau à niveau.

Pour les projets futurs, il nous faut, c'est vrai, trouver des moyens de financement nouveaux et pérennes. Plusieurs pistes existent à cet égard, que vous avez souvent évoquées.

Le prélèvement kilométrique sur les poids lourds, y compris sur les poids lourds étrangers, constitue une première piste, que nous étudions. Le Premier ministre a eu l'occasion de s'exprimer ici même sur ce sujet lors de l'ouverture de la session, et je n'y reviens pas.

Une piste d'étude n'est pas une décision. Il est normal que nous observions l'expérience de nos amis allemands. Chacun connaît d'ailleurs les difficultés qu'ils ont rencontrées lors de la mise en place de cette mesure. J'ai encore reçu la semaine dernière de mon homologue allemand le calendrier de la mise en place de ce système de prélèvement kilométrique.

Notre travail s'oriente également vers l'examen très attentif du considérable potentiel des autoroutes à générer de la ressource : plus d'une trentaine de milliards d'euros d'ici à la fin des concessions en dividendes cumulés, c'est tout de même loin d'être négligeable ! Cette piste apparaît aujourd'hui à beaucoup comme étant la plus prometteuse.

La création d'un fonds de financement et de péréquation présente des avantages indéniables. Il nous reste à trancher. Le Gouvernement étudie très soigneusement la faisabilité et les avantages d'une telle structure, qui pourrait être alimentée par des redevances, des ressources d'origine fiscale et, le cas échéant, par les dividendes de ses participations dans les sociétés autoroutières. Sa mission serait d'apporter la part de l'Etat aux opérateurs pour les projets de développement dont ils ont la charge, dans le cadre des objectifs qui seront fixés par le Gouvernement.

Cette formule représente effectivement l'une des formes les plus appropriées au regard de l'objectif de pérennité indispensable à des investissements qui portent naturellement sur de très longues périodes.

Monsieur Oudin, vous évoquez la mise en place d'une instance nationale à même de procéder à la consultation et à la formulation d'avis sur l'ensemble de la gestion des modes de transports. Il s'agirait, dans votre esprit, d'une rénovation du Conseil national des transports. Je partage votre sentiment. Nous engagerons, dès 2004, la rénovation du CNT et de ses structures. Les conseils départementaux seront ainsi supprimés, car nous avons constaté une certaine faiblesse de leur activité. Cette mesure, qui intervient dans le cadre des simplifications administratives, est d'ailleurs comparable à celle que vous avez proposée.

En revanche, nous souhaitons conforter le niveau régional, comme je l'ai indiqué le 24 octobre dernier, lors de l'examen du budget du ministère des transports à l'Assemblée nationale. Nous avons en effet besoin d'un outil efficace pour améliorer le partenariat entre l'Etat, les régions, les autorités organisatrices des transports et les professions. Puisque cet outil existe presque, il est inutile d'en créer un de plus. Nous devons adapter ensemble les actuels comités régionaux.

S'agissant du CNT proprement dit, nous souhaitons, dans l'immédiat, alléger ses structures. Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2004, l'Assemblée nationale a décidé de supprimer treize des emplois permanents du CNT en 2004 et les dix autres en 2005. Pour l'Assemblée nationale comme pour le Gouvernement, ces suppressions ne remettent pas en cause l'existence de cette structure de conseil et de concertation. Il s'agit de l'adosser plus clairement au ministère. Ainsi, comme je l'ai indiqué à l'Assemblée nationale, nous examinons actuellement le décret de 1984 qui régit le CNT et d'autres organismes afin de les moderniser.

L'utilité et la légitimité du CNT tiennent à ce qu'il rassemble en son sein des élus, des représentants des entreprises de transports et de leurs utilisateurs, ainsi que des organisations syndicales. Monsieur Oudin, la composition que vous proposez pour un conseil des transports, comparable au CNT mais plus resserré, me paraît parfaitement adaptée au rôle partenarial d'un tel organisme et à l'évolution des compétences des collectivités publiques en matière de transports depuis 1982.

En revanche, faut-il confier à ce conseil une mission de contrôle qui risque, tout de même, d'empiéter sur le rôle de vérification assuré actuellement, comme vous le savez, par la Cour des comptes ? Personne mieux que le magistrat que vous êtes ne connaît toute la rigueur et l'exactitude des contrôles actuels. Faut-il donc confier à une structure de plus des responsabilités qui se traduiront par de nouvelles procédures administratives pour les entreprises publiques ? La question reste ouverte.

En tout cas, je partage vos objectifs, tant sur la transparence que sur la nécessité d'une gestion plus active des outils du secteur. Nous aurions pu, pour cela, nous appuyer sur un conseil supérieur impliqué dans la gouvernance des entreprises et dans le pilotage de l'action de l'Etat.

Dans un contexte d'ouverture progressive des réseaux de transports, plusieurs opérateurs publics se trouveront dans une situation tout à fait différente. C'est dans ce contexte que le Gouvernement a déjà commencé à mobiliser d'autres moyens pour atteindre les mêmes objectifs. Nous tenons à responsabiliser les entreprises. A cet égard, la gouvernance des entreprises publiques est un élément fondamental de la politique suivie par le Gouvernement.

Une réforme de fond est d'ores et déjà engagée avec la création d'une agence des participations de l'Etat, pour que ce dernier joue pleinement le rôle d'« Etat actionnaire », parallèlement à son rôle d'« Etat tutelle ». La réforme majeure en termes de transparence prévue par la loi organique relative aux lois de finances modifiera aussi profondément la donne pour ce qui est directement géré par l'Etat.

J'en viens maintenant aux réponses aux autres intervenants.

M. Philippe Arnaud a rappelé les besoins de ressources nouvelles et le potentiel considérable des sociétés d'autoroutes. Il a aussi insisté sur l'importance de mettre ce type de ressources au service d'une politique de transport multimodale et durable. Ces trois points, je le dis avec force, sont indissociables. Ils sont au coeur du travail du Gouvernement pour accompagner la planification à moyen terme que nous préparons pour le comité interministériel de fin d'année.

La question d'une éventuelle redevance sur les poids lourds est un sujet complexe, aussi bien sur les plans économiques et juridiques que techniques. Des études sont donc indispensables pour étudier la faisabilité de ce système en France, en cohérence avec les orientations données par la Commission européenne. Il est encore trop tôt pour se prononcer, sachant qu'il est indispensable de préserver la compétitivité non seulement de nos territoires, mais aussi de nos entreprises.

Le parallèle entre l'Allemagne et la France n'est bien sûr pas tout à fait valable, puisqu'il y a infiniment plus de kilométrage en Allemagne qu'en France, et les coûts fixes devront donc être amortis sur une redevance tout de même moins importante en France. Cela méritait aussi d'être dit.

Monsieur Gerbaud, vous êtes un expert des questions ferroviaires, comme chacun le sait et le reconnaît, ici et ailleurs. Avec votre collègue Hubert Haenel, vous avez déjà fait de nombreuses propositions sur le fret, et vous venez de développer de nombreux points essentiels pour retrouver la voie de la croissance.

Je ne reviendrai pas sur les nouveaux financements prévus dans le projet de loi de finances pour 2004, qui donneront beaucoup plus de lisibilité au système. J'insisterai en revanche sur le fret. La position du Gouvernement est très claire : tout doit être mis en oeuvre pour obtenir la croissance durable du fret ferroviaire. Ce mode est en effet au coeur de la politique de transport, au coeur du développement durable.

La SNCF, même si elle a perdu beaucoup de parts de marché depuis quarante ans, doit jouer un rôle central, en utilisant notamment toutes les possibilités offertes par l'élargissement de l'Europe en 2004. En effet, l'élargissement, l'ouverture progressive des réseaux et le développement de l'interopérabilité se traduiront par une forte évolution des flux de transports de marchandises à longue distance. C'est sur ces flux que le rail peut et doit être compétitif par rapport à la route.

Le Gouvernement partage ainsi l'objectif de l'entreprise d'être l'un des premiers opérateurs ferroviaires à l'échelle de l'Europe, et fait confiance aux cheminots à cet égard. Le développement de l'activité de la SNCF en matière de fret nécessite d'améliorer fortement l'efficacité de l'appareil de production pour dégager des marges de manoeuvre permettant d'investir et de conquérir des marchés nouveaux, notamment à l'international.

Le Gouvernement soutient la démarche proposée par la SNCF, fondée sur deux volets : d'une part, l'amélioration de la qualité du service offert aux clients, indispensable à la fois pour reconquérir leur confiance, sensiblement émoussée, il est vrai, et pour permettre une évolution des prix ; d'autre part, la définition d'une politique commerciale visant la croissance du trafic et l'équilibre financier de cette activité, dont le très important déficit actuel entraîne celui des comptes de l'ensemble de l'entreprise.

Le Gouvernement prendra donc ses responsabilités pour accompagner la mise en oeuvre de ce projet, notamment sur le plan financier, dans des conditions respectant la réglementation européenne. Cette aide viendra compléter l'effort très substantiel déjà proposé par le Gouvernement pour le transport ferroviaire dans le projet de loi de finances pour 2004, qui a été adopté en première lecture à l'Assemblée nationale.

Le Gouvernement examinera dans les meilleurs délais les propositions précises de l'entreprise. Il s'agira d'étudier les modalités du soutien qui devra accompagner la mise en oeuvre du projet.

Monsieur le sénateur, vous avez également soulevé d'autres points.

S'agissant du POLT, si les travaux prévus sur les voies sont surtout destinés à faciliter la circulation des voyageurs, ils pourront naturellement aussi favoriser celle du fret.

Pour le FIATA, les évolutions en cours visent à rendre éligibles des lignes à très faible trafic - 5 000 passagers par an - ou des liaisons avec les hub régionaux. Le but est de favoriser les territoires les plus enclavés. Lorsque le trafic est extrêmement faible entre deux villes, le FIATA peut ainsi faire partie d'un dispositif de remplacement, après appel à concurrence.

Pour le POLT, je vous confirme la réalité du surcoût du matériel pendulaire TGV et l'avancement des études sur l'amélioration de la voie. Sur le matériel roulant, la question est posée. La SNCF n'est pas favorable, il faut le dire, à la solution du TGV standard sur cet itinéraire. Le train TEOZ représente une solution qui peut être mise en oeuvre rapidement, mais, comme vous le savez, sans gains de temps très significatifs.

S'agissant de l'agence de sécurité maritime européenne, la France soutient la candidature de Nantes avec force. Pour l'agence ferroviaire européenne, nous soutenons la candidature de Valenciennes-Lille. Nous connaissons ses concurrentes : la Bohême-Bourgogne et Florence.

S'agissant des péages spécifiques aux poids lourds, la Commission européenne a critiqué le système allemand des compensations versées aux transporteurs par le gouvernement, mais pas le système lui-même.

Madame Didier, vous avez défendu les fonds dédiés au financement des infrastructures, en particulier au financement des modes ferroviaires et fluviaux. Je suis obligé de vous rappeler que le dernier fonds ayant fonctionné est quand même le fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables ; or c'est malheureusement le précédent gouvernement, en la personne de mon éminent et ô combien sympathique prédécesseur, qui l'a supprimé !

Toute la démarche du Gouvernement vise donc à retrouver de la visibilité et des moyens pour financer les transports. A notre arrivée aux affaires, nous avons en effet trouvé au moins 15 milliards d'euros de promesses non financées et 40 milliards d'euros de dettes pesant sur le système ferroviaire.

Or, faute d'avoir résorbé cette dette pendant les années de forte croissance, elle a continué à « filer ». La première mesure concrète prise par le Gouvernement, après les débats, se retrouve dans le projet de loi de finances pour 2004 : pour la première fois, des moyens y sont dégagés, afin de moderniser le réseau ferroviaire et s'attaquer, enfin, à la dette, colossale, de RFF.

Madame Didier, vous avez aussi proposé un grand emprunt, en suggérant de mobiliser très largement l'épargne populaire. Selon moi, il peut s'agir d'un levier, mais ce ne sera en aucun cas le coeur de notre politique de financement. Emprunter, cela suppose en effet de s'endetter, de payer des intérêts : c'est donc repousser les problèmes sans éviter pour autant les remboursements. Il n'est pas question de fonder uniquement notre politique sur de la dette. Dans le domaine ferroviaire, nous ne voulons pas laisser à nos successeurs l'ardoise que nous avons trouvée à notre arrivée au Gouvernement !

Concernant les transports collectifs, après l'impulsion qui a été effectivement donnée par l'Etat, nous voulons maintenant doter les collectivités des moyens de conduire une politique ambitieuse et durable. Parallèlement aux mesures d'accompagnement qu'il a décidées, le Gouvernement a confié une mission à Christian Philip, député et vice-président du GART, le Groupement des autorités responsables de transport ; celui-ci devrait, d'ici à quelques semaines, nous proposer un schéma d'action durable.

Monsieur de Montesquiou, vous avez notamment demandé ce qui se passera si un département refuse la décentralisation. Il faut répondre par le terme « concertation ». En effet, avant de préparer les décrets d'application, nous organiserons bien sûr cette concertation que vous appelez de vos voeux, et que je suis venu confirmer la semaine dernière dans le Gers. Cette concertation sera suivie des décrets d'application.

A la question de savoir si nous prévoyons, avant le transfert, de remettre en état le réseau aujourd'hui national, la réponse doit être extrêmement simple : il faut confirmer les crédits d'entretien qui ont d'ailleurs été revalorisés. L'Etat transfère ce qui est actuellement en place, mais, si cela s'avère nécessaire, nous examinerons, par exemple, le cas précis de la RN 21, étant entendu, pour répondre à votre intervention, que son sort sera lié à cette recherche de concertation.

M. Eric Doligé. C'est dans le Gers... (Sourires.)

M. Gilles de Robien, ministre. Par ailleurs, concernant la RN 124, notre objectif est bel et bien l'aménagement à 2 x 2 voies entre Auch et Toulouse. Le trafic y est déjà notable et, pour le développement économique du Gers, il est très important de relier le chef-lieu de ce département à l'agglomération toulousaine. Un tel travail est déjà engagé depuis la récente mise en service de la déviation d'Aubiet. Je vous rappelle le lancement, qui interviendra l'année prochaine, des travaux d'ouvrages sur la section Aubiet-Auch.

S'agissant de la RN 21, j'ai relancé la réflexion qui doit nous permettre de définir une stratégie.

Monsieur le sénateur, le tronçon situé entre les autoroutes A 89, à hauteur de Périgueux, et A 62, à hauteur d'Agen, nous semble mériter un traitement prioritaire compte tenu de son positionnement et, à ce titre, présenter un intérêt structurant au sein du réseau national. C'est le sens des indications présentées lors de la réunion du 4 novembre à laquelle vous avez fait allusion, et qui ont permis de dessiner une première esquisse du futur réseau national structurant.

Comme vous le voyez, une démarche de concertation s'engage ; elle sera poursuivie en 2004 dès la promulgation de la loi. La RN 21 est bien le cas typique sur lequel il y a discussion, et nous y sommes les uns et les autres ouverts.

S'agissant des tranferts financiers, je vous confirme que les crédits d'entretien ont été largement revalorisés ces dernières années, et l'ensemble des dotations d'entretien et de maintenance actuellement mises en place sur le réseau à transférer sera mis à disposition du département. C'est le sens du projet de loi relatif aux responsabilités locales, qui est actuellement en discussion devant la Haute Assemblée.

Monsieur Reiner, vous craignez que le plan « fret » de la SNCF n'ait pour objectif de réduire les trafics. Non, monsieur le sénateur. Pourquoi faire le procès de ce plan avant même de le connaître ?

Le gouvernement précédent, je le rappelle, avait annoncé le doublement du volume du fret en dix ans. Alors si l'on annonce, pour notre part, la restriction, peut-être ce doublement se produira-t-il. Ne jouons pas à ce petit jeu-là, jouons plutôt au jeu de la vérité ! Derrière ce bel objectif, le trafic continuait, hélas ! vous le savez, à diminuer. Les pertes se sont envolées, avec, comme conséquence, une plus faible capacité d'investissement enfermant le fret dans une sorte de cercle vicieux et ne préparant pas l'avenir. Notre objectif, avec la SNCF, est de retrouver le plus rapidement possible la voie d'une croissance durable et saine.

Le groupe Van Miert a fait un excellent travail, monsieur Reiner. Il a bien défini les priorités grâce à la quasi-unanimité des ministres européens des transports.

La traversée des Pyrénées a été évoquée au sommet franco-espagnol qui s'est tenu à Carcassonne la semaine dernière. Nous avançons sur ce sujet avec le gouvernement espagnol et nous soutenons l'inscription de ce projet parmi les priorités européennes.

Pour le transport combiné, le Gouvernement a mis en place un nouveau régime d'aides en faveur de l'ensemble des opérateurs de ce mode de transport, mais, vous le savez, ce dernier ne peut s'appuyer uniquement sur des subventions.

Monsieur Richert, je partage votre analyse sur la nécessité de soutenir le développement de tous les modes de transport sans les opposer, ce qui serait inutile, tout en les inscrivant dans une politique de transport durable. Vous constaterez, dans la planification que le Gouvernement présentera le mois prochain, que tous les modes seront présents.

Concernant l'importance qu'il faut accorder à l'investissement, je partage là encore votre point de vue. La preuve en est que l'essentiel de la démarche engagée par le Gouvernement a porté sur les infrastructures. En complément, nous avons ouvert deux autres chantiers, l'un portant sur le fret ferroviaire, l'autre sur la modernisation de l'existant.

J'ajoute, monsieur le sénateur, que j'ai obtenu la signature de la ministre néerlandaise et du ministre belge des transports pour présenter une demande conjointe à la Commission afin d'attirer l'attention de cette dernière sur le canal Seine-Escaut, de façon que tous les modes de transport soient bien envisagés.

Monsieur Teston, s'agissant du transfert des routes nationales, je vous indique que le Gouvernement n'entend pas transférer aux départements des charges au travers du projet de loi relatif aux responsabilités locales.

M. André Lejeune. Ce n'est pas la première fois qu'il le fait !

M. Gilles de Robien, ministre. C'est vrai, c'était vous la fois précédente ! Vous l'avez fait dès 1982, et cela est reconnu. En tout cas, vous vous êtes exprimé avec une spontanéité qui manifeste la franchise !

M. André Lejeune. Je parle de 1972-1973 !

M. Gilles de Robien, ministre. Je vous le répète, monsieur le sénateur, le Gouvernement n'entend pas transférer des charges au travers du projet de loi relatif aux responsabilités locales. Il souhaite, bien au contraire, définir une organisation plus optimisée de notre système routier. En trente ans, beaucoup de choses ont évolué : des autoroutes ont été créées en grand nombre, la croissance des déplacements a été réelle. Il est donc logique de se poser cette question.

Comme vous le savez, l'Etat conservera la responsabilité d'un réseau structurant, dont l'exploitation impose une vision dépassant évidemment les limites territoriales. Il s'agit de ce que j'appelle les itinéraires d'excellence, à savoir les grands itinéraires interrégionaux, ceux sur lesquels les efforts d'investissement doivent rester très élevés pour les porter tous à 2 × 2 voies. Telle est bien, en effet, la vocation de la quasi-totalité du réseau structurant.

A l'opposé, les départements se verront confier, avec les moyens actuellement mis en place, une complète responsabilité sur les actes dont la logique d'exploitation reste locale. Le réseau que l'Etat conservera devra aussi permettre d'assurer une desserte équilibrée du territoire.

Tel le sens de la démarche de concertation qui s'engage avec les départements et que j'ai rappelée à M. Aymeri de Montesquiou : parvenir à bien préciser cette notion de réseau structurant et de réseau d'intérêt local. A cet égard, vous savez que le recul des cofinancements que nous connaissons aujourd'hui sur les investissements doit permettre de laisser aux départements les moyens d'assumer la propriété de ces nouvelles routes.

Monsieur Vial, sur la liaison Lyon-Turin, l'Etat respectera ses engagements. Le Premier ministre a signé avec M. Berlusconi un courrier demandant à la Commission l'inscription de cette liaison dans la liste des projets particulièrement prioritaires. Cette requête a été entendue puisque cette liaison figure sur la liste rendue publique hier soir.

Ma réponse est donc oui à la dimension européenne de ce projet et oui à son financement à la fois public et privé, sachant toutefois que le financement privé n'intervient que dans la mesure où la rentabilité existe.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je me suis efforcé de vous répondre le plus complètement possible. Bien sûr, je me suis adressé en priorité à M. Oudin, auteur de cette question orale. Si mes réponses aux autres intervenants ont été un peu plus brèves, sachez que les questions concernant tant la programmation à long terme, les sociétés d'autoroutes, l'affectation des ressources que l'utilité d'un établissement public financier ou la rénovation du Conseil national des transports sont vraiment toutes pertinentes et essentielles pour l'élaboration d'une véritable politique des transports.

Vos contributions jouent un rôle majeur dans le travail du Gouvernement. Il revient maintenant à ce dernier de vous répondre très précisément. Les dernières réunions d'arbitrage se déroulent actuellement. Le Gouvernement s'est engagé à respecter un calendrier relativement serré : le débat au printemps, les décisions avant l'hiver. Je peux vous l'affirmer, cet engagement sera tenu ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La séance est reprise.

4

PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES

Débat sur une déclaration du Gouvernement

(Ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur le rapport du Gouvernement sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, déposé en application de l'article 52 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

La parole est à M. le ministre.

M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, pour la seconde année, le Gouvernement vous soumet un rapport sur les prélèvements obligatoires et sur leur évolution.

Selon les termes de l'article 52 de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, dont la paternité revient largement à votre rapporteur général, ce rapport a vocation à éclairer la représentation nationale avant l'examen et le vote du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Son objet est double. D'abord, ce rapport doit offrir une vision consolidée des prélèvements des administrations publiques, qu'il s'agisse de l'Etat, des organismes sociaux ou des collectivités territoriales. Cette consolidation a trop longtemps fait défaut, au moins dans le débat budgétaire, alors qu'elle est déterminante pour définir une bonne stratégie des finances publiques. Ensuite, ce rapport doit vous fournir une évaluation financière précise, pour l'année en cours et pour les deux années suivantes, de chacune des dispositions législatives ou réglementaires envisagées par le Gouvernement dans le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Ce faisant, le dépôt de ce rapport est l'occasion d'organiser un débat global sur l'évolution des prélèvements obligatoires. Votre assemblée y est attachée. Le Gouvernement a souhaité répondre pleinement à cette attente en étant représenté par les ministres en charge des finances publiques et de la protection sociale.

La qualité des rapports de M. Vasselle, pour la commission des affaires sociales, et de M. Marini, rapporteur général, témoigne de votre intérêt pour ces débats.

Je note également que M. le rapporteur général a souhaité, au travers de son rapport, aller au-delà de la seule dimension macro-économique du débat sur les prélèvements pour y intégrer une discussion sur les perspectives de notre fiscalité. A titre personnel, je suis intéressé par cette ambition que M. Marini souhaite imprimer à nos travaux.

M. le président. Nous aussi !

M. Francis Mer, ministre. Nous sommes donc tous d'accord !

Je formulerai d'abord quelques observations critiques sur notre système des prélèvements obligatoires et sur les évolutions observées avant de vous présenter notre stratégie globale et sa traduction concrète dans le projet de loi de finances pour 2004. M. Christian Jacob vous exposera ensuite les conséquences des mesures du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 et abordera la question difficile des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale.

Je rappellerai tout d'abord trois particularités de notre système de prélèvements obligatoires.

En premier lieu, avec 43,9 % du produit national brut en 2002, soit 670 milliards d'euros, notre taux de prélèvements obligatoires est parmi les plus élevés de l'OCDE. Il se situe cinq points au-dessus de la moyenne de la zone euro, soit, en valeur absolue, quasiment la somme cumulée de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés.

Certes, les Etats effectuent des choix différents en matière de protection sociale, qu'il s'agisse du mode de financement du système de soins ou de la nature obligatoire ou facultative des régimes de retraite complémentaire. Il n'en demeure pas moins que la pression « fiscalo-sociale » est excessive dans notre pays.

En deuxième lieu, les prélèvements obligatoires représentent une masse importante, mais l'Etat n'en perçoit plus qu'un peu plus du tiers. Les organismes sociaux, qui incluent notamment les régimes d'assurance chômage et les régimes de retraite complémentaire, en sont, en fait, les premiers bénéficiaires, avec 49 % du total.

Il s'agit là d'une spécificité française - leur part n'est que de 33 % dans l'Union européenne et de 28 % parmi les pays de l'OCDE - qui est largement liée au mode de financement de la protection sociale, et pas seulement à son coût, et qui contribue à rendre nos prélèvements obligatoires peu élastiques à la baisse.

L'Etat ne représente, de son côté, qu'environ 36 % de l'ensemble, contre 11 % pour les collectivités locales, 2 % pour les organismes divers d'administration centrale, les ODAC, et 1 % au titre de l'Union européenne.

Cela pose donc la question de notre capacité collective de pilotage des prélèvements obligatoires : les prélèvements sociaux sont largement contraints par les dépenses ; par ailleurs, les prélèvements locaux sont déterminés de manière autonome par 40 000 collectivités. Il ne suffit donc pas que l'Etat baisse les impôts qui lui reviennent pour que les prélèvements obligatoires, dans leur globalité, diminuent de façon significative.

En troisième lieu, les prélèvements obligatoires pèsent massivement sur le facteur travail.

Le « taux effectif moyen de taxation » sur le travail, à savoir la somme des cotisations sociales, de l'impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée, la CSG, rapportée aux revenus du travail, est nettement supérieur aux moyennes de l'Europe et de l'OCDE : 42 % en France, contre 36 % au sein de l'Union européenne et 24 % aux Etats-Unis.

Cela se traduit par un écart important entre le coût du travail payé par les entreprises et les revenus nets du travail perçus par les ménages : ce « coin fiscalo-social » pèse simultanément sur l'offre et la demande de travail, avec des effets qui ne manquent pas de se faire sentir sur l'emploi.

Le constat est donc clair : le poids des prélèvements obligatoires est trop élevé en France. C'est un handicap pour notre capacité d'initiative et d'emploi. Il faut donc y remédier. Cela est d'autant plus nécessaire que nous sommes confrontés à deux défis majeurs.

D'une part, nous vivons dans un monde libre où l'attractivité relative des territoires est déterminante. Il n'est plus possible aujourd'hui d'ignorer ce que sont les politiques, y compris fiscales, de nos partenaires et concurrents.

D'autre part, nous allons très vite devoir faire face au défi du vieillissement. Le ralentissement, puis le recul de la population active freineront notre croissance potentielle, au moment où les dépenses de santé et de retraite augmenteront.

Nous ne pouvons donc pas attendre passivement que ces risques se matérialisent. C'est pour cela que le Gouvernement a mené à bien la réforme des retraites et qu'il engage celle de notre système d'assurance maladie. Mais, parallèlement, il faut travailler de manière urgente à soutenir et à renforcer notre potentiel de croissance.

Baisser les prélèvements est cependant une tâche ardue et complexe. Nous ne pouvons pas tout faire en même temps : il nous faut hiérarchiser nos priorités et respecter une cohérence globale de l'action engagée, y compris en termes de politique macro-économique et budgétaire.

Le premier axe de cette politique est d'encourager le travail en le revalorisant.

Nous poursuivons, en 2004, la baisse de l'impôt sur le revenu des ménages, pour franchir le cap des 10 %. Cette baisse réduit l'écart entre le coût du travail pour l'entreprise et le revenu net du salarié. Il s'agit donc bien d'une revalorisation du travail, au-delà, bien sûr, des effets à court terme de soutien du pouvoir d'achat.

Simultanément, nous relevons la prime pour l'emploi. Cette mesure redistributive, qui concerne plus de huit millions de foyers modestes, est destinée à favoriser le retour à l'emploi, grâce à l'instauration d'un dispositif d'acompte forfaitaire. Il sera désormais possible de toucher cette prime plus rapidement après la reprise d'une activité professionnelle.

Enfin, nous allégeons les charges à hauteur de 1,2 million d'euros et recentrons ces allégements sur leur coeur de cible, à savoir les salaires les plus bas. Ces allégements de charges profitent directement aux salariés puisqu'ils permettent une revalorisation du SMIC, qui atteindra 11,4 % en trois ans pour le SMIC horaire. Ces allégements entraîneront un gain de plus de 800 euros pour un salarié au SMIC entre 2002 et 2004.

Ainsi, c'est bien à l'emploi et à la revalorisation du travail que nous affectons prioritairement, et que nous continuerons d'affecter, le fruit de notre effort de baisse des prélèvements.

Le second axe de cette politique consiste à soutenir l'innovation, la recherche et le développement des entreprises. L'enjeu est important : il s'agit de renforcer notre compétitivité pour préparer l'avenir, malgré le vieillissement de notre population. D'où le nouvel élan donné au crédit d'impôt recherche.

De même, nous permettons aux entreprises de se tourner résolument vers l'avenir en améliorant leur structure de bilan, grâce au report en avant des pertes, désormais illimité dans le temps.

Nous favorisons l'entreprenariat autour de projets de recherche et d'innovation en créant un statut spécifique de « jeune entreprise innovante » et un statut fiscal adapté aux investisseurs qui apporteront aux jeunes entreprises des capitaux et une expérience en matière de gestion.

Nous continuons également d'aider la création d'entreprises dans les zones défavorisées du territoire grâce à un dispositif d'exonération en faveur des entreprises nouvelles, qui est prorogé jusqu'en 2009, et dont les règles d'application ont été assouplies.

Enfin, une réforme en profondeur du régime fiscal des distributions est engagée, comme cela a été annoncé l'année dernière.

Dans ce même esprit, nous vous proposons la suppression du Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC, avec la réintégration au sein du budget général des allégements de charges et des ressources affectées au financement des 35 heures, afin de restituer au projet de loi de financement de la sécurité sociale sa vocation initiale, la protection sociale. Cela permet par ailleurs de faire apparaître le véritable coût de notre politique de l'emploi dans le budget de l'Etat. Désormais, le budget du travail et de l'emploi est le troisième budget de l'Etat, avec plus de 32 milliards d'euros de crédits.

En application de la loi organique relative aux lois de finances, nous franchissons enfin, avec le projet de loi de finances pour 2004 la dernière étape de la suppression de la parafiscalité. Le pouvoir réglementaire pouvait créer des taxes en s'exonérant d'une autorisation préalable du pouvoir législatif. La suppression de cette possibilité renforce les pouvoirs du Parlement en matière fiscale, ainsi que le principe du consentement démocratique à l'impôt.

Notre politique en matière de prélèvements obligatoires doit être cohérente avec la stratégie macroéconomique.

Sous la précédente législature, le Gouvernement avait engagé des baisses d'impôts et de nouvelles dépenses qui n'étaient pas financées par de véritables économies.

Les effets négatifs de cette politique ont été un temps masqués par les recettes exceptionnelles liées à la « bulle internet », qui a fait progresser les recettes fiscales deux fois plus rapidement que le PIB.

Avec l'éclatement de cette bulle, les excédents conjoncturels ont fondu comme neige au soleil, alors que les dépenses nouvelles et les baisses d'impôts non financées continuaient de se développer, portant en germe les déficits futurs.

L'indicateur de l'effort structurel, qui permet de mesurer l'impact des décisions en matière de politique bugétaire, montre d'ailleurs une dégradation structurelle de nos comptes publics de 1,3 point du PIB en 2000, puis de 0,8 point en 2001.

Nos finances publiques se trouvaient donc dans une situation de vulnérabilité en cas de ralentissement conjoncturel. Celui-ci est malheureusement survenu, et nous devons assainir nos comptes publics dans un contexte économique difficile générant des recettes publiques en forte diminution spontanée.

La situation de 2003 et de 2004 est à cet égard symétrique de celle des années 1999 à 2001.

Grâce à une politique déterminée, qui sera poursuivie, de maîtrise de la dépense publique, en particulier de celle de l'Etat, l'assainissement structurel est significatif par rapport à l'évolution que je vous ai indiquée voilà un instant, avec un effort structurel de 0,5 % du PIB en 2003 et de 0,8 % dans le projet de loi de finances pour 2004. Mais cet effort est masqué par la dégradation de la conjoncture, qui pèse sur les comptes publics à hauteur d'un point de PIB en 2003 et d'un quart de point en 2004, en dépit d'une amélioration.

Cette situation est à l'évidence ingrate, mais nous n'en demeurons pas moins déterminés à poursuivre dans la durée l'assainissement de nos comptes publics, tout en affichant dans la programmation pluriannuelle quatre règles du jeu claires, afin de ne pas répéter les erreurs du passé.

Jusqu'en 2007, le déficit structurel sera amélioré chaque année d'un minimum de 0,5 point du PIB. Si « bonnes surprises » conjoncturelles il y a, elles seront affectées à la réduction du déficit. Si nous sommes capables de dégager des marges de manoeuvre supplémentaires, c'est-à-dire de réduire notre déficit structurel de plus de 0,5 point par an, les gains correspondants pourront être recyclés sous forme de baisses des prélèvements obligatoires. Enfin, les baisses d'impôts, qui engendrent une perte permanente de recettes, seront financées dans la durée par les économies récurrentes.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les grandes lignes de notre politique en matière de prélèvements obligatoires, Mon colllègue Christian Jacob va maintenant vous exposer la façon dont cette politique se décline dans le domaine social. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les sénateurs, comme vous l'a rappelé M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie à l'instant, les prélèvements des administrations de sécurité sociale représentent la moitié des prélèvements obligatoires de notre pays, soit plus d'un cinquième du produit intérieur brut. C'est pourquoi il me paraît important d'être ici ce soir pour vous expliquer la politique du Gouvernement en matière de prélèvements sociaux.

Je vous présenterai tout d'abord la stratégie à moyen terme du Gouvernement, puis je vous détaillerai les mesures prévues pour l'année prochaine en matière de recettes sociales.

S'agissant de la protection sociale, le Gouvernement a choisi de préparer l'avenir, plutôt que de prendre des mesures conjoncturelles.

Vous connaissez les difficultés financières importantes qu'a rencontrées notre système de sécurité sociale en 2003 et celles qu'il connaîtra en 2004, notamment à cause de la faiblesse de la conjoncture économique. Nous aurons d'ailleurs le temps d'en débattre la semaine prochaine.

Face à ces difficultés, certains préconisent d'accroître les prélèvements sociaux sur le capital. De tels prélèvements auraient cependant pour conséquence de réduire l'investissement en France et de limiter les créations d'emplois. Par ailleurs, ils conduiraient les investisseurs à réclamer des bénéfices plus importants, ce qui ferait peser de fortes pressions sur les salariés afin qu'ils accroissent la productivité. Le résultat me paraît très négatif.

D'autres proposent d'augmenter la contribution sociale généralisée, la CSG. Avec une augmentation d'un point, la situation serait, paraît-il, réglée. Croyez-vous qu'il soit opportun de réduire le pouvoir d'achat des Français de 1 %, alors que la consommation est indispensable à la croissance économique ?

Le Gouvernement a répondu à cette question par la négative, parce qu'il a la volonté de soutenir le pouvoir d'achat des ménages et la croissance. Mais, plus fondamentalement, le Gouvernement, en phase avec l'ensemble de nos concitoyens, constate que la crise est profonde et que nous ne faisons pas simplement face à un manque de croissance. Augmenter les recettes sans adapter notre système de protection sociale ne servirait donc à rien !

Nous vivons plus longtemps et nous devons nous en réjouir. Mais la conséquence structurelle en est le vieillissement de notre population. Ce vieillissement, accompagné de l'aspiration de chacun à vivre mieux, a un effet important et durable sur nos régimes de protection sociale. La proportion de retraités croît, les dépenses de santé aussi.

Ainsi, d'ici à 2020, si l'on n'adapte pas le système d'assurance maladie, les besoins financiers auront augmenté de 3 à 4 points de PIB environ. Ce niveau est comparable à l'ensemble des dépenses de la branche famille !

Il paraît donc fondamental de réformer notre système de sécurité sociale. Le Gouvernement a commencé cette année avec la réforme des retraites, réforme d'autant plus difficile à réaliser que rien n'avait été fait depuis dix ans, malgré des rapports alarmistes sur le sujet.

Le Gouvernement poursuivra son action en 2004 avec la réforme de l'assurance maladie. Certes, certains voudraient que l'on agisse plus vite. Mais il est indispensable de prendre le temps du dialogue, de la concertation et de la négociation, compte tenu de l'importance du sujet.

Sans réforme, les hausses de prélèvements sociaux d'ici à 2020 risqueraient de pénaliser fortement notre économie et de remettre en question l'existence même de notre système de protection sociale.

L'objectif du Gouvernement est de sauvegarder cette protection sociale, de permettre à chaque retraité de vivre décemment, à chaque patient de bénéficier du meilleur de notre système de santé, à chaque couple d'élever ses enfants. Il est aussi de permettre à chaque Français de profiter des fruits de son travail.

Ainsi, en 2003 et en 2004, le Gouvernement a refusé tout prélèvement général. Seules certaines recettes ont augmenté, pour des raisons de santé publique.

Dans le domaine de la santé, le Gouvernement a décidé d'accroître les droits sur le tabac - il a augmenté le taux général au mois de juillet 2003 - ainsi que la taxe sur la promotion de l'industrie pharmaceutique.

L'augmentation des droits sur le tabac répond à un objectif clair en matière de santé publique.

Cette augmentation est motivée, d'abord et avant tout, par le drame que provoque le tabac en France. Savez-vous que, chaque jour, cent cinquante personnes meurent en France à cause du tabac ? Un fumeur régulier sur deux mourra prématurément des conséquences du tabagisme. Nous avons donc fait le choix de développer la prévention et de réduire les risques. Ce choix doit non seulement permettre d'améliorer la santé de nos concitoyens, mais aussi de faire des économies.

C'est pourquoi le Gouvernement a décidé d'augmenter de 800 millions d'euros les recettes provenant du tabac.

L'augmentation de la taxe sur la promotion de l'industrie pharmaceutique prévue par le Gouvernement dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale devrait permettre de limiter la surconsommation de médicaments.

Les médicaments sont un bienfait. Les antibiotiques ont permis de sauver des millions de vies humaines. On oublie parfois combien, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la pénicilline apportée par les Alliés a profondément modifié les soins. Ce sont encore les médicaments innovants qui permettent aujourd'hui de guérir de nombreux malades du cancer.

Mais la surconsommation de médicaments a aussi des effets pervers en termes de santé : risques iatrogènes, accoutumance des patients ou développement des résistances, par exemple.

Or la France est championne du monde en matière de consommation pharmaceutique. Cette situation est liée, au moins en partie, à l'effort exceptionnel de promotion effectué par les laboratoires. Un médecin reçoit en moyenne un visiteur médical par jour. Même si un minimum de promotion est compréhensible, trop de promotion pousse à la « surprescription ». Le Gouvernement a donc décidé d'inciter les laboratoires pharmaceutiques à modérer leur promotion en augmentant les taxes.

Pour terminer, j'évoquerai la dernière augmentation de recettes destinée à notre système de protection sociale, à savoir la contribution en faveur de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Le financement original de cette caisse permet une réelle solidarité, mais ne pénalise pas la croissance.

Le plus important me semble être de cette contribution. Jean-François Mattei a milité, comme d'autres, pour la création de cette nouvelle branche de la protection sociale. Et depuis dix-huit mois, il a beaucoup oeuvré en faveur d'une nouvelle forme de prise en charge de la dépendance. Il s'agit là d'une réelle ambition du Gouvernement.

Certains se plaignent de crédits insuffisants. Mais 2 milliards d'euros, soit 13 milliards de francs, ce n'est pas rien !

Et à ces 2 milliards d'euros s'ajoutent les efforts consentis dans le cadre du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Mais le plus important n'est pas là. Cette nouvelle branche permettra d'assurer un meilleur soutien des personnes handicapées et des personnes âgées dépendantes : leur prise en charge sera plus cohérente, plus globale, plus personnalisée et s'appuiera sur un service de proximité. Beaucoup reste à construire, mais le Gouvernement poursuivra sa tâche à la fois avec ardeur et détermination.

Oui, le Gouvernement souhaite éviter de nouveaux prélèvements inutiles. Il faut remettre notre système de protection sociale en état de marche : les dépenses publiques doivent être bien gérées, chaque euro dépensé doit l'être à bon escient.

C'est grâce à cela que le Gouvernement pourra investir pour l'avenir, pour la solidarité, afin de permettre à chaque personne dépendante de mener son projet de vie dans la dignité.

Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les propos qu'aurait souhaité tenir devant vous M. Jean-François Mattei, qui, retenu à l'Assemblée nationale par la discussion du projet de loi de finances pour 2004, ne pouvait malheureusement être présent ce soir dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce débat annuel sur les prélèvements obligatoires découle de l'article 52 de la loi organique sur les lois de finances, lequel résulte lui-même d'une initiative « paritaire », si j'ose dire, de la commission des affaires sociales et de la commission des finances du Sénat.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Quelle belle initiative ! (Sourires.)

M. Philippe Marini, rapporteur général. A cet instant, nous devons rendre un hommage particulier à notre ancien collègue Charles Descours, qui avait joué un rôle important dans la prise de cette initiative.

M. Roland du Luart. Tout à fait !

M. le président. C'est élégant ! Très bien !

M. Philippe Marini, rapporteur général. En 2004, le montant des prélèvements obligatoires devrait représenter globalement un peu plus de 700 milliards d'euros, dont près de la moitié seront désormais perçus au profit des administrations sociales. En pourcentage du PIB, il devrait s'établir à 43,5 %, ce qui fait apparaître une baisse significative, qui toutefois est essentiellement le fruit d'une mauvaise conjoncture et des conséquences de celle-ci tant sur les recettes fiscales que sur le rendement des cotisations sociales.

Sur ces 700 milliards d'euros, 12 % reviennent aux collectivités territoriales ; nous ne nous en occuperons pas ce soir.

M. Jean-Pierre Fourcade. Moi, si ! (Sourires.)

M. Philippe Marini, rapporteur général. Le reste se répartira entre les différents postes de dépenses de l'Etat, les organismes de sécurité sociale et l'Union européenne.

Au passage, nous pouvons remarquer que les prélèvements obligatoires, s'agissant en l'occurrence des recettes fiscales nettes, ne permettront pour 2004 de couvrir que 68 % des dépenses nettes du budget général, ce qui signifie que la différence proviendra des recettes non fiscales et des fonds levés sur les marchés financiers par voie d'emprunt.

M. Roland du Luart. Ce n'est pas très sain !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Cette remarque me conduit à donner une dimension supplémentaire au débat sur les prélèvements obligatoires : nous devons nous préoccuper de ce que ceux-ci deviendront dans l'avenir. N'oublions jamais que la dette d'aujourd'hui, ce sont les prélèvements obligatoires de demain et d'après-demain.

Ainsi, le débat auquel nous sommes conviés ce soir a d'abord une dimension pédagogique : il est l'occasion de constater le niveau global de la contrainte qui s'exerce sur le contribuable ou le redevable de cotisations sociales.

Au nom de la commission des affaires sociales, notre excellent collègue Alain Vasselle nous rappelle, à juste titre, que la vieille distinction entre les impôts qui alimentent le budget de l'Etat et les cotisations sociales qui alimentent celui des organismes sociaux est largement obsolète. En tout cas, elle s'estompe, car, de plus en plus, la sécurité sociale est financée par l'impôt, que ce soit par l'affectation directe du produit de taxes ou du fait de la compensation par l'Etat d'exonérations de cotisations sociales.

Notre rapport, établi au nom de la commission des finances, vise, quant à lui, à analyser la structure du système de prélèvements obligatoires en termes économiques. Quelle est la répercussion économique, macroéconomique ou sectorielle, le cas échéant, des différents éléments de ce système ? Au-delà des enseignements que nous pouvons tirer des constats établis, il est une question qui se dégage naturellement : dans une économie globalisée, comme celle que nous connaissons aujourd'hui, notre système de prélèvements obligatoires est-il adapté ?

La réponse - je m'empresse de vous la livrer, mes chers collègues - est négative. Je ne donnerai qu'un exemple à cet égard, celui-là même d'ailleurs qu'a évoqué tout à l'heure M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie : le poids des prélèvements sur les salaires est supérieur en France de cinq à six points de produit intérieur brut à la moyenne constatée pour l'ensemble de l'Union européenne. Notre pays souffre donc d'un déficit de compétitivité.

Le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, M. Alain Lambert, avait bien voulu accepter, lors du débat d'orientation budgétaire de juin dernier, que le présent rendez-vous nous permette également d'esquisser un débat d'orientation fiscale. Nous avons en effet besoin, mes chers collègues, de lisibilité et de visibilité en matière de politique fiscale, et nous devons savoir quels objectifs sont visés au travers de celle-ci, pour le moyen terme comme pour le long terme.

Autant le dire tout net et d'emblée, la première chose à faire en termes de réforme est de poursuivre la baisse des prélèvements obligatoires. C'est la voie que le Gouvernement a choisie, M. Francis Mer l'a réaffirmé tout à l'heure. Mais, pour consolider cette orientation, beaucoup reste à faire. Il faut surtout agir durablement sur le niveau de la dépense publique, ainsi que sur le rapport « qualité-prix », en quelque sorte, de la dépense consacrée à nos services collectifs.

C'est là tout l'enjeu non seulement des discussions budgétaires à venir, ministère par ministère, mais aussi de la réforme, maintenant en chantier, de l'assurance maladie.

S'agissant à présent de la structure du système de prélèvements obligatoires, la commission des finances a identifié quatre défis que nous voudrions, mes chers collègues, vous inciter à relever avec nous.

Le premier défi, c'est bien entendu celui de l'attractivité du territoire. Les récents et excellents travaux de nos collègues Denis Badré et André Ferrand ont montré que des mesures concrètes sont nécessaires pour attirer des activités en France et pour éviter que les entreprises, la main-d'oeuvre, en particulier très qualifiée, et les patrimoines ne quittent notre territoire.

Le deuxième défi, c'est la nécessité de financer des besoins croissants en matière de protection sociale. Il ne faut se faire aucune illusion à ce sujet : quelles que soient les réformes à venir, malgré l'indispensable maîtrise des dépenses de protection sociale, en particulier d'assurance maladie, le vieillissement de la population et l'évolution des techniques de santé nous conduisent à accepter une croissance globale des dépenses dans ces domaines. L'équation qui en résulte est bien sûr difficile à résoudre : comment faire face à une demande en expansion tout en réduisant globalement les prélèvements obligatoires, puisque telle est la volonté du Gouvernement et tel est l'intérêt du pays ?

Le troisième défi, qui nous intéresse plus concrètement ces jours-ci avec l'examen du projet de loi relatif aux responsabilités locales, c'est la décentralisation. Le transfert de responsabilités aux assemblées locales ne doit pas conduire à alourdir les prélèvements obligatoires. Il ne doit pas être un facteur de renchérissement du coût global de la machine administrative.

M. François Marc. C'est le rêve !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Dans cette perspective, la commission des finances formule quatre recommandations : il faut compenser loyalement les transferts de compétences,...

M. François Marc. Dans le temps ?

M. Robert Bret. Chiche !

M. Philippe Marini, rapporteur général. ... cesser de transférer des charges non compensées, mettre en oeuvre une réelle liberté de gestion pour les collectivités décentralisées dans les domaines qui leur sont transférés, enfin ajuster les services déconcentrés de l'Etat pour éviter les doublons administratifs. Le respect de ces quatre recommandations permettrait d'éviter l'accroissement des prélèvements obligatoires.

Le quatrième défi est de trouver des solutions de rechange au recours aux prélèvements obligatoires. Cela est possible et souhaitable dans toute une série de domaines, qu'il s'agisse du partage de la charge entre usagers et contribuables pour le financement des infrastructures routières - je pense ici aux travaux menés par la commission des finances sur l'initiative de notre collègue Jacques Oudin - ou des projets à l'étude dans bien des administrations en vue d'externaliser l'exécution de certaines missions qui pourraient être mieux assurée par le secteur privé que par l'Etat. Nous savons ainsi que, même en ce qui concerne le domaine régalien, des expériences intéressantes de ce type sont engagées au sein du ministère de la défense ou du ministère de l'intérieur.

Par ailleurs, toujours au titre des solutions de rechange que j'évoquais, il faut citer les « partenariats public-privé ». Dans le rapport que j'aurai l'honneur de présenter sur le projet de loi de finances pour 2004, je m'attarderai sur ce point, en particulier sur les conditions à remplir pour que l'arbitrage entre exécution classique de la mission par l'Etat et partenariat entre secteur public et secteur privé soit gagnant.

Il faut bien entendu éviter de considérer ces formules comme des panacées, les utiliser avec discernement, choisir les terrains d'application adéquats, se donner des objectifs et s'y tenir.

En tout état de cause, c'est bien de notre capacité à relever avec succès ces quatre défis que dépend la crédibilité de notre politique fiscale.

Revenons un instant, mes chers collègues, sur la question de l'attractivité du territoire. Comment obtenir que des activités viennent s'établir en France, comment éviter que d'autres ne la quittent ? La commission des finances du Sénat avait fait procéder, voilà quelques années, à des simulations par un organisme de prévisions macroéconomiques, dont il ressortait que c'est bien la baisse simultanée de l'impôt sur le revenu et des charges patronales qui est le meilleur stimulant pour la compétitivité et l'emploi. Au demeurant, c'est la politique que, dans l'ensemble, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin met en oeuvre.

Cependant, il faut, à notre sens, aller plus loin, au moins à ce stade de notre réflexion collective, et envisager une nouvelle répartition des prélèvements obligatoires en allégeant la charge reposant sur les assiettes délocalisables, en particulier le patrimoine et l'emploi.

A cet égard, saluons les mesures positives que comporte la loi Dutreil sur l'initiative économique, s'agissant de l'un des points en débat. Toutefois, nous voudrions élargir le champ de la réflexion et nous sommes nombreux à considérer, au sein de la commission des finances, que l'impôt de consommation est un impôt d'avenir,...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !

M. Philippe Marini, rapporteur général. ... car la consommation ne se délocalise pas.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. En effet !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Il est vrai qu'elle peut se tarir ou varier en fonction de la conjoncture, mais elle ne se délocalise pas,...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !

M. Philippe Marini, rapporteur général. ... je le répète, à la différence d'autres éléments, tels que le patrimoine ou la main-d'oeuvre. C'est pour cette raison que nous avons formulé l'idée, que nous versons au débat, d'une « TVA sociale », c'est-à-dire d'un impôt sur la consommation qui viendrait financer la protection sociale, en contrepartie d'un nouvel allégement des cotisations patronales afin de favoriser l'emploi...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Bien sûr !

M. Philippe Marini, rapporteur général. ... et des cotisations salariales pour redonner du pouvoir d'achat à tous les salariés.

A ce stade de la réflexion, nous avons l'intuition qu'il s'agit d'une bonne piste,...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Excellente !

M. Philippe Marini, rapporteur général. ... et nous voudrions qu'elle soit explorée plus avant au cours du débat.

Une autre bonne piste serait d'envisager sinon une fusion, du moins un rapprochement, une juxtaposition, dans un premier temps, de l'impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée, afin que nos concitoyens aient une vision globale « consolidée » des prélèvements fiscaux sur leurs revenus. C'est une idée reçue que de considérer que la moitié des Français ne paient pas d'impôt sur le revenu. Cela est faux, car l'ensemble des revenus est soumis à la CSG. En réalité, nous avons actuellement, un impôt sur le revenu à deux étages : le premier est proportionnel, le second progressif.

Il est important de rendre nos concitoyens conscients de ce fait, d'une part pour éviter de déresponsabiliser ceux qui auraient le sentiment que « tout est gratuit », d'autre part pour éviter d'alimenter trop fortement le sentiment, présent aujourd'hui chez certains, de « toujours payer pour les autres ». (Mme Marie-Claude Beaudeau s'esclaffe.)

Mes chers collègues, je voudrais conclure mon propos par quelques considérations de méthode.

D'abord, je tiens à dire l'intérêt que la commission des finances a pris à la lecture du récent rapport du Conseil des impôts consacré à la fiscalité dérogatoire. Celui-ci relève une préférence ancienne de notre pays pour les taux élevés et une longue tradition d'interventionnisme économique qui nous conduit à la multiplication, à la prolifération des régimes dérogatoires, des niches fiscales. Cette tradition, on l'alimente sans cesse, monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et on l'alimentera encore au travers de la prochaine loi de finances...

M. François Marc. Vous créez de nouvelles niches fiscales !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Cela suscite bien sûr, de notre part, des interrogations, car nous savons la difficulté de remettre en cause les situations acquises. Cependant, au terme de la lecture du rapport du Conseil des impôts, nous voici du moins incités à vous demander, monsieur le ministre, que les commissions des finances des deux assemblées se voient accorder la possibilité de recourir à ce même Conseil des impôts pour effectuer des études leur permettant d'éclairer les travaux législatifs.

M. Roland du Luart. C'est une bonne idée !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Messieurs les ministres, nous avons donc tâché, par nos rapports, de mettre en perspective la politique menée en matière de prélèvements obligatoires. Sans doute, au-delà de notre débat de ce soir, faudra-t-il approfondir cette voie ; c'est pourquoi nous avons évoqué, au sein de la commission des finances - encore une piste ! - l'idée d'une loi d'orientation fiscale, c'est-à-dire d'un texte par lequel le Parlement s'engagerait, après délibération publique, pour fixer des objectifs de long et de moyen termes, s'agissant du système de prélèvements obligatoires, sur le devenir de nos impôts et de nos cotisations, sur l'évolution de leur structure, sur les moyens d'atteindre, en quelque sorte, l'optimum économique. Etablissons des objectifs après avoir débattu de tout ce qui doit l'être ; cela permettrait, je le pense, de relativiser certains sujets de controverse immédiate concernant des mesures ponctuelles.

La fonction de notre débat de ce soir me semble donc bien nécessaire dans la période d'incertitude économique que nous connaissons. Messieurs les ministres, nous sommes, comme vous, convaincus que, après un temps de difficultés et de dépression économiques, l'économie redeviendra plus prospère. Il sera alors possible de répartir davantage, mais aussi d'arbitrer entre la libre initiative et les prélèvements obligatoires. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le débat que nous tenons ce soir se déroule, de façon symbolique, dans le cadre d'une journée consacrée à l'ordre du jour réservé au Parlement et vient donc, quelques instants, interrompre la discussion d'un texte essentiel pour la réussite de « l'acte II de la décentralisation ».

Cela traduit bien notre volonté d'examiner, sereinement, en préalable aux débats financiers de l'automne, la situation des prélèvements obligatoires, mais aussi et peut-être surtout de réfléchir à leur évolution. Pour cela, nous devons être, tous, comme vous, messieurs les ministres, animés d'un esprit de responsabilité et nous devons avoir le souci de faire oeuvre de pédagogie.

Il nous faut être animés d'un esprit de responsabilité, car si l'on peut se demander si telle charge doit relever de l'Etat, des branches de la sécurité sociale ou des collectivités territoriales, il est indispensable de garder présent à l'esprit que, en définitive, il n'y a qu'une catégorie de payeurs au nom de laquelle nous nous exprimons : les Français, ceux d'aujourd'hui, mais aussi ceux de demain.

En effet, à la charge actuelle de prélèvements obligatoires, qui représenteront 43,6 % du PIB en 2004, soit très exactement 702,8 milliards d'euros, s'ajoute, il ne faut pas l'oublier, celle que, aujourd'hui, nous imposons à nos enfants et petits-enfants, du fait de déficits financés par l'emprunt et qui sont autant de prélèvements différés. (M. François Marc s'exclame.) Une dette publique de 1 000 milliards d'euros à la fin de l'année 2004 et un déficit du budget de l'Etat de 55 milliards d'euros pour 2003, soit un milliard de francs par jour, cela signifie que chaque Français reçoit à sa naissance un « capital de dette publique » de 15 000 euros, soit autant de prélèvements obligatoires que nous avons décidé aujourd'hui, de façon quelque peu égoïste, de lui faire payer demain.

Pour traduire fidèlement la réalité, nous devrions donc prendre en compte, d'une part, les prélèvements obligatoires immédiats et, d'autre part, les prélèvements obligatoires différés, en d'autres termes le déficit public.

Il nous faut aussi faire oeuvre de pédagogie afin de mieux éclairer le débat, de faire en quelque sorte entrer de la lumière dans toutes les pièces de la maison des finances publiques pour que chacun de nos concitoyens ait le sentiment que le fruit de son travail ainsi prélevé n'est pas perdu, ne se dilue pas dans les méandres de la sphère publique et n'alimente pas des tuyauteries inextricables où seuls quelques spécialistes, notamment sur nos travées, arrivent encore à se retrouver.

De ce point de vue, je me félicite de la décision du Gouvernement d'avoir réintégré dans le budget de l'Etat le FOREC - ce « budget de nulle part », comme l'avait malicieusement qualifié le rapporteur général -, ce qui contribuera à simplifier quelque peu nos discussions à venir.

Il nous faudra également faire preuve de pédagogie pour faire comprendre et accepter par les Français le plan destiné à soutenir les personnes âgées et handicapées dépendantes, que M. le Premier ministre a annoncé jeudi dernier.

M. Charles Gautier. Vous aurez du mal !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Excellente dans ses intentions, cette journée de travail va dans le sens de la croissance. Pour qu'il y ait plus de croissance, il faut travailler plus. En outre, cela permettra de réhabiliter le travail comme valeur et facteur personnel d'épanouissement au sein de la collectivité.

Toutefois, ce plan se traduira par un surcroît de prélèvements obligatoires de 0,13 % du PIB en année pleine, et quelque 9 milliards d'euros de dépenses sociales supplémentaires jusqu'à 2008, au moment même où notre commission des finances s'inquiète du fait que les prélèvements sur les Français servent de plus en plus à financer des dépenses sociales...

Aussi, puisqu'il nous appartient aujourd'hui, à partir d'un « existant » qui a déjà été amplement décrit, de réfléchir aux évolutions à venir, je voudrais, pour ma part, insister sur trois points.

Nous avons un objectif : développer l'emploi pour faire reculer le fléau économique et social que constitue le chômage. Nous avons pour cela un moyen : réformer la sphère publique pour diminuer durablement, et non pas à crédit, les prélèvements obligatoires. Nous avons une contrainte : la mondialisation, qui représente un gigantesque potentiel de développement pour notre continent et le reste du monde, mais a, pour revers, les délocalisations d'entreprises, d'activités et d'emplois.

Notre objectif est d'avoir des prélèvements qui favorisent l'emploi et ne découragent plus ceux qui veulent travailler.

S'il nous faut continuer à réhabiliter le travail en tant que valeur, après la funeste erreur des 35 heures qui apparaît désormais à tous comme un évident contresens historique,...

M. François Marc. Quelque 230 000 chômeurs en moins !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. ... nous devons surtout rendre le travail plus attractif. En effet, si la structure de la fiscalité française est proche de la moyenne européenne, elle s'en distingue cependant par une exception notable : l'imposition du travail représente, en France, 12,4 % du PIB, soit très exactement cinq points de plus que la moyenne du reste de l'Union européenne, à savoir 7,4 % du PIB. De même, si l'imposition des revenus des ménages est, malgré tout, légèrement inférieure à la moyenne européenne - 14,9 % du PIB, contre 15,9 % -, elle se caractérise en France par un taux d'imposition maximal élevé et un seuil d'imposition au taux maximal assez faible, qui constituent autant de « désincitations » objectives à travailler davantage.

Messieurs les ministres, je me permets de vous mettre en garde contre toutes les tentations conjoncturelles visant à accroître encore les cotisations mises sur les salaires. J'ai compris que le financement du plan concernant les personnes âgées et handicapées se traduirait par un prélèvement de 0,3 % sur la masse salariale, représentant avec les prélèvements sur les revenus de l'épargne 0,13 % du PIB en année pleine. Donc, je vous mets en garde contre cet accroissement du prélèvement sur les salaires.

Pour la croissance et pour l'emploi, nous devons baisser les prélèvements obligatoires. Pour ce faire, il faut, au préalable, réformer la sphère publique.

Face à ce constat sans appel, afin d'encourager la compétitivité et l'emploi - nous le savons, car toutes les études économiques le démontrent -, le « cocktail gagnant » est celui qui associe une baisse simultanée de l'impôt sur le revenu et des charges sociales patronales. (M. François Marc s'exclame.)

Mais cette baisse, que nous appelons tous de nos voeux, ne peut se faire qu'à une condition : diminuer les dépenses publiques et, pour cela, réformer la sphère publique, qu'il s'agisse de l'Etat, des collectivités territoriales ou du secteur social.

Nous disposons d'outils pour y parvenir et je pense plus particulièrement à la loi organique relative aux lois de finances, cette nouvelle « Constitution budgétaire » que nous avons adoptée à la quasi-unanimité et qui a déjà commencé à entrer en vigueur.

Mais il est un facteur encore plus puissant et efficace : la volonté politique de se saisir de ce levier.

Elle seule permettra en effet à la loi organique relative aux lois de finances de vivre durablement et de ne pas rester un outil technique, à la disposition de la seule technostructure.

C'est la volonté politique qui a déjà permis à la majorité actuelle d'inverser la tendance « dépensophile » du précédent gouvernement (M. François Marc s'exclame de nouveau) en appliquant dans la fonction publique le principe du non-remplacement intégral de tous les départs à la retraite, en affichant comme priorité l'investissement, et non plus les dépenses de fonctionnement courant. C'est également ce gouvernement qui affirme, avec raison, qu'un bon budget n'est plus nécessairement un budget qui augmente, à l'image de la réussite déjà enregistrée, à moyens financiers constants, dans la lutte contre le fléau de l'insécurité routière.

M. Gérard Braun. Très bien !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Cette volonté politique devra nous encourager à étendre notre action réformatrice à la sphère sociale : après le difficile et courageux chantier de la réforme des retraites, je me félicite de la détermination gouvernementale à entamer celui de la réforme de l'assurance maladie en 2004, et ce sans tabou ni faux-semblants.

Ainsi, il nous faut d'ores et déjà réfléchir aux moyens de faire face à la « dynamique » inquiétante de la progression des charges sociales, notamment en étudiant un possible rapprochement entre l'impôt sur le revenu et la CSG, cette dernière présentant toutes les caractéristiques d'un impôt moderne : large assiette, taux faible et absence de dérogations, ces « tristes niches fiscales » qui sapent toutes nos assiettes fiscales, ainsi que le dernier rapport du Conseil des impôts l'a dénoncé. Supprimer la distinction entre CSG déductible et CSG non déductible, voilà une réforme que nous devrions engager sans délai. Réformer l'Etat, c'est aussi simplifier les modalités de calcul et de recouvrement des impôts, taxes et cotisations sociales, et donc résister à la tentation des régimes particuliers, de dérogations qui sont autant de complexités et de risques d'arbitraire et de contentieux fiscal.

Ces réformes sont d'autant plus nécessaires que nous vivons désormais sous une contrainte qui s'impose à tous : la mondialisation.

La mondialisation, à l'image de la langue d'Esope, peut en effet être la meilleure ou la pire des choses.

Nous n'en voyons trop souvent que les effets dévastateurs en termes de délocalisations d'entreprises attirées par le dumping fiscal au sein de l'Union européenne, ou en termes de fuite des « cerveaux », qui pousse les talents les plus prometteurs à se mettre au service de systèmes d'imposition étrangers moins confiscatoires, aux dépens de notre propre autonomie fiscale. Les acteurs économiques, soyons-en conscients, mettent en concurrence les salariés du monde entier.

Puisqu'il nous faut nous pencher sur la compatibilité de nos prélèvements obligatoires avec la mondialisation, dans un contexte marqué par l'accélération des délocalisations, j'estime qu'il convient de remplacer progressivement les impôts de production par les impôts de consommation - M. le rapporteur général vient d'évoquer ce point voilà quelques instants à cette tribune -, car ce sont les seuls qui touchent de la même façon les biens et les services produits en France et ceux qui sont manufacturés ou produits dans d'autres pays.

Je pense donc que la mise en place d'un impôt de consommation à vocation sociale, la « TVA sociale », peut constituer une intéressante piste de réflexion et d'action. Elle allégerait en effet utilement les charges pesant sur les entreprises restées en France en permettant, par le biais de la TVA perçue sur les importations, de faire contribuer au financement de notre protection sociale les entreprises ayant quitté le territoire national et se situant donc à l'étranger.

J'ajouterai un mot sur le grand écart entre les taux de 19,6 % et de 5,5 %, accélérateur de revendications corporatistes et facteur de déséquilibres possibles du budget de l'Etat, monsieur le ministre. Ayons conscience, chers collègues, que l'économie de proximité peut elle aussi se délocaliser. En fait, elle bascule parfois dans l'économie « grise », à l'écart de la légalité. Il est donc urgent de créer un taux de TVA intermédiaire, autour de 10-12 %. Cette problématique, monsieur le ministre, doit être comprise par nos partenaires européens, qui sont confrontés aux mêmes difficultés que nous.

Messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes tous bien persuadés de l'intérêt de ce débat, qui nous permet de dresser le constat d'un système de prélèvements obligatoires trop confiscatoire, et surtout bien orienté. La loi de finances pour 2004 pas plus que le projet de loi de financement de la sécurité sociale ne vont se prêter à un exercice de claire lisibilité à propos des prélèvements obligatoires, exercice rendu quelque peu difficile par la conjoncture rebelle que nous devons affronter. J'ose espérer que le débat de ce soir nous aide à jalonner un parcours engageant.

Pour cela, nous avons tracé quelques perspectives - la fusion de la CSG et de l'impôt sur le revenu, la TVA sociale -, notamment que nous allons explorer plus avant au sein de notre commission des finances. Nous comptons également et surtout sur l'appui et sur la détermination du Gouvernement pour faire vivre la réforme, au service de l'intérêt de notre pays et de nos concitoyens. Il est temps de sortir du « concours Lépine de la fiscalité » et de dessiner un horizon fiscal cohérent, clair, compréhensible, équitable et compétitif au regard de l'attractivité du territoire français, encourageant pour tous ceux qui souhaitent travailler et investir en France. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce débat doit beaucoup à la volonté du Sénat, de sa commission des affaires sociales et de sa commission des finances, de sacraliser, entre l'organisation de deux discussions budgétaires, un moment de dialogue sur l'évolution des prélèvements obligatoires. Les orateurs qui m'ont précédé ont mentionné le rôle éminent joué par notre ancien collègue Charles Descours dans la création de ce débat, et je tiens à les en remercier, tout particulièrement M. le rapporteur général.

Nous savons tous, de manière détaillée grâce aux rapports de nos deux commissions, les masses considérables que représentent les prélèvements obligatoires et la place singulière que tiennent, parmi eux, les prélèvements sociaux.

Je souhaiterais, au nom de M. Alain Vasselle qui ne pouvait être parmi nous ce soir, insister à cet égard sur trois points importants : les limites d'une nouvelle augmentation de la CSG, la reconstitution désormais préoccupante d'une dette sociale et l'importance de la clarification des périmètres financiers respectifs de l'Etat et de la sécurité sociale.

L'évolution des prélèvements sociaux sur la dernière décennie témoigne d'une recherche permanente de ressources nouvelles, se traduisant par une fiscalisation progressive des ressources de la protection sociale.

Ainsi, les cotisations salariales de l'assurance maladie ont progressivement été remplacées par la CSG, et la règle de la compensation des allégements de cotisation, lorsqu'elle est respectée, aboutit à ce que les recettes fiscales prélevées par l'Etat se substituent aux cotisations patronales.

Or ce mouvement, qui est poussé très loin aujourd'hui puisque les cotisations salariales d'assurance maladie sont résiduelles et que le montant des allégements de cotisation atteint 20 milliards d'euros, n'apparaît pas en mesure d'assurer l'équilibre des comptes sociaux, comme en témoigne le recours croissant à l'endettement.

Certes, les statistiques officielles des comptes sociaux, celles transmises à l'Union européenne, ne font état que d'un endettement raisonnable des administrations sociales, à hauteur de 14 milliards d'euros. Mais ce constat s'apparente en fait à une erreur de parallaxe : en effet, ce chiffre ne prend pas en compte les 38 milliards d'euros que la Caisse d'amortissement de la dette sociale, la CADES, tâche d'apurer, car ceux-ci relèvent d'un autre périmètre financier.

La sécurité sociale ne doit marcher à aucun prix sur les traces d'un Etat qui n'a plus connu de budget équilibré depuis vingt ans.

Le rejet de ce type de dérive a d'ailleurs été formellement affirmé : nous le devons historiquement au gouvernement de M. Alain Juppé, dont faisait partie M. Jean Arthuis, qui a posé les premières limites pour que les comptes sociaux ne se fourvoient pas dans l'impasse de l'endettement. Le refinancement de la sécurité sociale reposait alors sur un attelage équilibré : une structure d'amortissement de la dette limitée dans le temps et une autorisation de « découvert financier » annuellement plafonné.

Dès lors que la structure a été rouverte à plusieurs reprises et que le découvert atteint des sommets étourdissants, quelle logique préside encore à la maîtrise de nos comptes sociaux ?

M. Alain Vasselle a eu la bonté d'adresser un clin d'oeil à mon intention dans l'avant-propos de son rapport. Je lui rendrai volontiers la pareille en rappelant qu'il fut, devant la dérive du coût de la santé, l'un des tout premiers à affirmer qu'il y aurait quelque paradoxe à envisager tout uniment une hausse nouvelle des prélèvements sociaux. Ce serait - je le cite - « alimenter une usine à gaz sans avoir remis de l'ordre dans les tuyaux et supprimé les dérivations suspectes ».

De fait, le précédent gouvernement s'est employé, pendant cinq ans, à détourner les recettes dont le plan Juppé avait doté la sécurité sociale pour prix de son redressement durable. Cette opération a été réalisée au moyen d'un « écheveau » de tuyauteries resté célèbre entre les quatre caisses de sécurité sociale, les différents fonds de financement et le budget de l'Etat. Elle s'est mise en place au mépris de toute cohérence entre les missions des uns et des autres.

Nous en supprimons cette année le symbole fameux que fut le FOREC, et c'est un bon point. Pour autant, nous ne savons pas restituer à la sécurité sociale les « otages » de cette période révolue, c'est-à-dire les ressources qui lui furent distraites et dont le montant approche tout de même, il faut le savoir, les 5 milliards d'euros annuels, pas plus d'ailleurs que nous ne trouvons les moyens de l'indemniser.

Il faut bien le reconnaître, maintenant que nous sommes entre nous : dans le domaine des finances publiques, notre sport national consiste à se repasser le mistigri des déficits, alors même que le jeu est à somme nulle au regard des exigences européennes.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Très juste !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Sur ce terrain, convenons-en, la sécurité sociale apparaît en situation de faiblesse stratégique. Le budget de l'Etat s'appuie sur une administration aux traditions séculaires et les collectivités locales disposent de forts relais parlementaires.

La sécurité sociale, pour sa part, est dépourvue d'un protecteur puissant dans l'appareil d'Etat et elle souffre, de surcroît, de l'absence d'une réelle affectio societatis entre ses acteurs, gestionnaires, tuteurs, assurés, cotisants ou prestataires.

Pour autant, peut-on raisonnablement espérer faire aboutir une réforme de la sécurité sociale si l'ensemble des partenaires responsables de sa gestion demeurent sourds à tout discours de responsabilité parce qu'ils conservent, bien entendu, la faculté de nous opposer, à tort ou à raison, l'indiscipline financière supposée de l'Etat ?

C'est là l'enjeu véritable de la clarification des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale qui doit être poursuivie non par purisme ou esthétisme financier, mais bien parce qu'elle permet d'afficher une cohérence intellectuelle sur laquelle une véritable réforme pourra valablement s'appuyer.

A ce titre et sans préjuger les débats qui auront peut-être lieu dans le futur, puisque l'hypothèse est déjà avancée ici ou là, je rappellerai que l'augmentation de la CSG soulève de vraies difficultés.

Le taux global de la CSG atteint déjà 7,5 % des revenus d'activité. Or, je le rappelle, l'atout décisif de cette contribution était justement de reposer sur la combinaison d'une assiette large et d'un taux bas. L'augmentation ininterrompue du taux aboutira fatalement à des demandes d'exonération ou d'abattement, c'est-à-dire de réduction d'assiette, qui remettront profondément en cause la nature et l'efficacité du prélèvement.

La précédente majorité avait déjà tenté de faire de la CSG un instrument de redistribution sociale, selon des modalités d'ailleurs suffisamment injustes pour encourir la censure du Conseil constitutionnel. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Cela dit, en cas de nouvelle augmentation de la taxe, ce même Conseil pourrait rappeler au législateur qu'il considère la CSG comme une « imposition de toute nature » et que celle-ci doit, dès lors, se conformer aux principes constitutionnels applicables à la fiscalité, notamment au principe de progressivité.

Or instaurer une CSG progressive constituerait une modification risquée de la philosophie de la sécurité sociale consistant à privilégier des prélèvements progressifs pour financer des prestations de plus en plus soumises à l'application de conditions de ressources.

Pour conclure mon intervention, j'insisterai sur la nécessité de rendre cohérents nos débats respectifs.

C'est au Premier président de la Cour des comptes que je dois cette illustration frappante de la petite révolution qu'a constitué la création d'une loi de financement de la sécurité sociale et du caractère encore imparfait avec lequel nous appréhendons cette innovation.

Il faisait à juste titre remarquer, avec la bonhomie qui le caractérise, quel petit séisme pouvait constituer, pour l'organisation de notre appareil d'Etat et pour nos débats parlementaires, le fait que la première recette fiscale française, la CSG, soit votée non pas en loi de finances mais en loi de financement de la sécurité sociale.

Ce constat un peu « brutal » n'est pas isolé : il faut rappeler que les produits de la seule branche maladie sont plus importants que l'ensemble formé par l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés et la taxe intérieure sur les produits pétroliers.

Pour autant, ce n'est qu'au cours d'un débat de quelques heures, mardi prochain dans la soirée - pour ceux que cela intéresse ! -, que nous aurons l'occasion d'en discuter.

C'est en effet aussi le temps que nous accordons à l'analyse de nos finances sociales qui donne à ces dernières toute leur importance. Tant que nous les considérerons comme un magma hétérogène, instable et poreux, il n'y a guère d'espoir de parvenir à l'amélioration des comptes sociaux.

Je ne crois pas que nos collègues de la commission des finances se sentent, à quelques égards, dépossédés par le fait que nous consacrions un peu plus de temps à la loi de financement de la sécurité sociale.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Pas du tout !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je n'interprète pas non plus l'éventualité d'une fusion CSG-impôt sur le revenu, au demeurant bien complexe, comme une volonté de rapatrier la discussion de tous les prélèvements obligatoires, recettes de l'Etat comme recettes sociales, au sein d'un même ensemble consolidé.

En revanche, je crois sincèrement que la réforme de la loi organique relative aux lois de finances constitue un espoir.

L'architecture des lois de financement de la sécurité sociale, qui fut en son temps un saut dans l'inconnu, confine aujourd'hui nos discussions budgétaires dans une incommode ambiguïté.

Est-il logique que nous nous apprêtions à voter dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale l'assiette et les taux des droits de consommation sur les tabacs, dont le produit est dûment enregistré dans les prévisions de recettes des organismes sociaux, alors que la répartition au bénéfice de ces mêmes organismes est opérée par le projet de loi de finances ?

Je ne crois pas que nous ayons souhaité, ni même envisagé, en tant que législateur organique en 1996 et en 2001, ces multiples morcellements qui aujourd'hui se produisent et grandissent, donnant l'impression d'un terrible désordre.

Les quelques dépenses qui pourraient en effet être implicitement autorisées en loi de financement de la sécurité sociale, avant même que le législateur ne les aient explicitement votées en loi de finances, témoignent du fait que l'exemple caricatural de la fiscalité du tabac n'est pas isolé.

J'ai lu dans la réponse du ministre des finances au rapport de la Cour des comptes sur l'exécution de la loi de financement qu'il souhaitait et attendait la perspective d'une réforme des lois de financement de la sécurité sociale.

Monsieur le ministre, la commission des affaires sociales a, dès 1999, mis en place un groupe de travail, dressé un bilan et formulé des propositions. La proposition de loi déposée par Charles Descours en 2000 pourrait aujourd'hui opportunément être rapportée et complétée des fruits d'une expérience toujours plus riche.

Nous avons, nous aussi, des idées neuves en la matière et nous attendons avec impatience l'occasion de pouvoir débattre d'une réforme de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 51 minutes ;

Groupe socialiste, 28 minutes ;

Groupe de l'Union centriste, 13 minutes ;

Groupe comuniste républicain et citoyen, 12 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 10 minutes.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.

M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, m'exprimant au nom du groupe UMP, je tiens d'abord à témoigner du grand intérêt que nous portons à ce débat qui, par le biais de l'évolution des prélèvements obligatoires, nous permet d'examiner enfin, comme l'avait demandé le Sénat, les perspectives de financement du budget de l'Etat et celles du budget de la sécurité sociale.

En examinant de manière globale et parallèle les deux mécanismes, on s'aperçoit clairement des difficultés de financement de notre action publique et des problèmes de frontière qui se posent et que M. le président de la commission des affaires sociales vient de rappeler, sans oublier les difficultés plus anciennes qui sont présentes dans toutes les mémoires.

Je voudrais d'abord dire au Gouvernement que mon groupe approuve la stratégie qui a été développée par M. Mer et par M. Jacob : focaliser la nécessaire réduction des prélèvements obligatoires sur l'impôt sur le revenu et sur l'allégement des charges pesant sur les bas salaires.

On aurait pu envisager une forme de réduction générale de tous les prélèvements fiscaux ou sociaux. Le fait de focaliser la diminution sur ces deux éléments est essentiel, d'une part, pour réhabiliter le travail dans notre société et, d'autre part, pour donner des signes à ceux qui investissent, c'est-à-dire aux particuliers et aux entreprises, afin d'essayer d'améliorer la situation générale de nos finances publiques.

Je bornerai mon propos aux quatre points qui me paraissent dominer le débat.

Si vous le permettez, messieurs les ministres, je n'évoquerai pas ce qui s'est passé depuis cinq, dix ou quinze ans.

Je voudrais simplement parler des quatre points essentiels qui vont dominer l'action du Gouvernement et du Parlement au cours des prochaines années.

Premier point : nous sommes dans une économie ouverte sur le monde qui est régie par une monnaie européene. Cette double caractéristique nous impose, quoi que nous fassions et quoi que nous disions, de nous rapprocher d'un certain nombre de moyennes de la zone euro concernant les prélèvements obligatoires - et même concernant la structure d'un certain nombre de ces prélèvements - , sauf à favoriser la délocalisation de nos entreprises ou la réduction drastique de la création d'entreprises dans ce pays.

Vous l'avez parfaitement rappelé dans votre exposé introductif, monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et le rapporteur général ainsi que les présidents de la commission des finances et de la commission des affaires sociales l'ont également dit. Je ne m'appesantirai donc pas sur ce point, mais je souhaiterais qu'il résulte de ce débat que l'objectif essentiel pour les prochaines années du Gouvernement et de la majorité qui le soutient, c'est de rapprocher notre pays le plus rapidement possible - bien sûr cela dépendra de la conjoncture du niveau moyen des prélèvements obligatoires dans la zone euro. Je dis non pas « dans l'Union européenne », mais « dans la zone euro », parce que c'est l'élément monétaire qui est fondamental dans cette affaire.

Il faudrait que, d'ici à 2007, terme du mandat du président de la République et de l'Assemblée nationale, des progrès satifaisants aient été réalisés dans cette direction. Il ne faut en effet pas oublier que l'élasticité des recettes fiscales et sociales par rapport à la conjoncture n'est pas de un. Lorsque la conjoncture se ralentit, les recettes fiscales chutent plus rapidement que l'évolution de la conjoncture.

M. Philippe Marini, rapporteur général. C'était 0,3 % cet été !

M. Jean-Pierre Fourcade. Au contraire, lorsque la conjoncture redémarre et que le taux de croissance atteint des niveaux raisonnables de 2,5 % ou de 3 %, les recettes fiscales augmentent plus vite et, en conséquence, le niveau des prélèvements obligatoires s'accroît.

Il faut essayer d'avoir une vue claire en la matière et fixer comme objectif central de la politique au cours des prochaines années de nous rapprocher le plus rapidement possible du niveau moyen des prélèvements obligatoires de nos partenaires de la zone euro.

M. François Marc. Augmentez la croissance !

M. Jean-Pierre Fourcade. Deuxième point : le financement de la protection sociale.

Ce problème central a dominé les exposés de nos deux présidents de commission. Comme ils l'ont parfaitement dit, il aurait été stupide d'équilibrer le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 par une majoration du taux de la CSG. Cela nous aurait en effet dispensé - comme ce fut bien souvent le cas, hélas - de toute réforme structurelle de la sécurité sociale.

Le projet qui nous est présenté n'est évidemment pas satisfaisant,...

M. André Vantomme. Ça, c'est vrai !

M. Jean-Pierre Fourcade. ... car un déficit de 10 milliards d'euros est tout de même important, mais il convient de procéder aux modifications de fiscalité après avoir opéré les réformes de structure et non pas augmenter les ressources pour ne pas faire les réformes de structure qui s'imposent.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Fourcade. Hélas ! on l'a beaucoup fait par le passé.

Si nous voulons nous rapprocher de l'objectif européen, il faut d'abord faire les réformes de structure.

Cela a été fait pour les retraites. Ce n'est pas totalement réglé,...

M. Charles Gautier. Loin de là !

M. Jean-Pierre Fourcade. ... mais cela va dans le bon sens, malgré tout ce qui s'est passé. Cela devra être fait pour l'assurance maladie.

Le problème, ce n'est pas de maîtriser l'augmentation des dépenses, puisque nous savons tous que les dépenses de santé ne feront que progresser dans notre société, c'est de maîtriser le remboursement des dépenses de santé avec l'ensemble des outils qui sont disponibles.

La question du financement de la protection sociale est essentielle. Je précise à cet égard, monsieur le ministre délégué, que mon groupe approuve l'éventualité de la création d'une cinquième branche pour le handicap et la dépendance. C'est vraiment essentiel pour le devenir de nos comptes sociaux au cours des prochaines années.

La prestation spécifique dépendance puis l'allocation personnalisée d'autonomie étaient des mesures provisoires et temporaires. Il faut désormais aller vers l'instauration d'une cinquième branche.

Le troisième point, qui est encore plus délicat, porte sur la conciliation des prélèvements fiscaux avec le développement de l'économie et de l'emploi, surtout durant une période au cours de laquelle la notion de développement durable devient le coeur de la réflexion de ceux qui, créant des entreprises et des équipements publics, développent l'ensemble des éléments de vie collective.

Il faut que le Gouvernement et le Parlement engagent une réflexion sur la manière de concilier la lourdeur du prélèvement fiscal, le développement économique et la relance de l'emploi. A cet égard, j'ai noté que tant M. Arthuis que M. Marini avaient évoqué des perspectives de réforme.

La première perspective viserait à relier davantage la CSG et l'impôt sur le revenu. Pour mettre un terme à cette idée fausse selon laquelle seule la moitié des Français paierait l'impôt sur le revenu alors qu'une grande partie paierait la CSG, il faut créer un pont entre les deux prélèvements. On en reviendrait alors au système antérieur à 1959, quand existaient une taxe proportionnelle et une surtaxe progressive. (M. le rapporteur général fait un signe d'approbation.)

Monsieur le ministre, j'ai commencé ma carrière en essayant de démonter ce système pour créer l'impôt sur le revenu des personnes physiques, qui supprimait justement l'impôt proportionnel. (Sourires.) Mais chacun le sait, en matière de fiscalité et de dépenses publiques, la vie est un perpétuel recommencement ! (Nouveaux sourires.)

Deuxième perspective : la TVA sociale. Je dois le dire, je suis beaucoup plus réservé que la commission des finances sur ce sujet.

Chaque fois que je rencontre un dirigeant d'entreprise, il milite pour la suppression de la taxe professionnelle, pour la réduction des charges sociales et il n'a qu'une solution de rechange : la TVA, en créant une TVA sociale !

En France, le taux de TVA atteint déjà 19,60 %. Dans ce domaine, comme dans d'autres, il me semble très dangereux de s'écarter des taux pratiqués par nos concurrents européens. Sans être orfèvre en la matière, je ne crois pas qu'il faille s'attarder longuement sur cette idée de transfert de l'impôt sur l'activité vers l'impôt sur la consommation parce que cela risquerait de soulever un certain nombre de difficultés au regard de notre propre consommation.

Enfin, dernier point : la décentralisation.

M. Marini a posé quatre conditions. Je les reprendrai à mon compte et j'en ajouterai trois supplémentaires.

Dans tout pays décentralisé il est effectivement normal que l'augmentation du prélèvement fiscal des collectivités territoriales soit proportionnelle à la diminution du prélèvement de l'Etat.

D'ailleurs, l'affirmation selon laquelle il ne doit pas y avoir d'augmentation du prélèvement fiscal local me paraît contredite par l'ensemble des expériences qui peuvent être menées en Europe, en Amérique, au Canada, en Nouvelle-Zélande ou dans tout autre pays de même niveau de développement que la France.

Le problème, c'est qu'il doit absolument y avoir corrélation entre la baisse du prélèvement de l'Etat et l'augmentation du prélèvement des collectivités de façon à garantir une stabilité du coût de la machine administrative.

Pour ce faire, voici les trois conditions que j'ajoute à celles de M. Marini.

Premièrement, toute décentralisation doit se traduire non seulement par un transfert de ressources, mais également par un transfert de personnes, de manière à alléger l'appareil public et à éviter la création de doubles emplois entre les collectivités territoriales et l'Etat, notamment les administrations centrales.

Deuxièmement, il faut réfléchir très longuement à la modification des normes. En effet, les fonctionnaires de l'Etat qui n'ont plus de subventions à octroyer se concentrent sur l'établissement de normes. Or l'accumulation de ces normes, qui s'empilent par couches sédimentaires, crée aux collectivités territoriales des difficultés considérables.

Troisièmement, il faudra arriver à engager une réforme profonde de la fiscalité locale, s'agissant aussi bien de la taxation des entreprises que de la taxation des ménages. Il faudra partir de valeurs réelles, c'est-à-dire des valeurs vénales et non des valeurs calculées par une administration très nombreuse, passant un temps fou à chiffrer une valeur locative qui ne représente plus rien et qui ne constitue pas une base réelle.

En ce qui concerne la taxe professionnelle, il faudra avoir le courage de supprimer la notion de taxation de l'investissement historique, qui crée à l'heure actuelle un certain nombre de difficultés aux investisseurs, et accepter que la base de la taxe soit désormais l'investissement avec les amortissements, de telle sorte que la fiscalité des entreprises affectée aux régions, aux communautés, aux départements et aux communes soit fondée sur des valeurs réelles amorties et non pas sur des valeurs historiques.

En fait, l'objectif central est de nous rapprocher le plus vite possible des taux moyens de prélèvements obligatoires. Mais il ne servira pas à grand-chose de vouloir réduire les prélèvements obligatoires si on ne s'attaque pas à la racine du problème, si l'on ne réduit pas la dépense publique.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. Jean-Pierre Fourcade. Nous devons faire un effort gigantesque de réduction des dépenses publiques. Et, pour cela, il nous faut agir sur le nombre d'emplois, sur les normes, sur les procédures, sur l'entassement des compétences.

Quand nous aurons le courage de nous attaquer à ces quatre domaines, nous pourrons alors réduire nos dépenses, et, partant, réduire nos prélèvements obligatoires. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce débat, désormais annuel, sur les prélèvements obligatoires, présente, en cette fin d'année 2003, un caractère tout à fait particulier.

Nous sommes en effet en présence, avec l'exécution budgétaire 2003, d'une situation particulièrement dégradée où, paradoxalement, le poids des impôts et des taxes s'accroît relativement.

La situation est claire : l'effondrement de la croissance, confinant à la récession économique, alourdit relativement les prélèvements obligatoires alors même que le Gouvernement avait fait la promesse de les réduire au cours de la législature.

Le processus entamé au printemps 2002 s'est poursuivi et perdure avec le contenu du projet de loi de finances pour 2004 : on continue de réduire l'impôt sur le revenu au travers de la baisse des taux d'imposition retenus pour le barème tandis que les droits indirects continuent de jouir d'une belle santé, qu'illustre la hausse des droits sur le tabac ou sur les produits pétroliers.

Quant aux impositions locales, elles sont particulièrement dynamiques, conséquence objective de la politique suivie au niveau national, qui décentralise sans moyens et confie aux assemblées locales le soin de jouer le rôle de « pompier » quand la situation économique et sociale prend un coup de chaud.

Cela ne retire rien au fait que la politique mise en oeuvre par le Gouvernement tend à la réduction des prélèvement obligatoires, au nom d'une conception pour le moins surprenante de la compétitivé de notre économie, qui vise au dumping social et fiscal.

Après nous avoir abreuvés pendant plusieurs années de discours plus ou moins fiables sur la délocalisation des activités et des talents, on veut aujourd'hui nous faire accepter une pédagogie de renoncement visant à discréditer l'action publique au profit de l'initiative privée, qui serait seule capable de répondre aux exigences du moment.

Le traitement du dossier de la canicule constitue, de ce point de vue, un exemple presque emblématique : il y a eu défaillance dans le suivi des effets de la canicule auprès de nos concitoyens les plus fragiles, défaillance liée manifestement aux politiques de rationnement des dépenses sociales menées depuis trop longtemps. Et l'on nous a proposé, à la rentrée de septembre, une émission spéciale à la télévision destinée à solliciter la solidarité et la générosité populaires !

Cette manière de répondre aux besoins collectifs par la voie de l'initiative privée et de la solidarité montre le véritable visage de ce que l'on appelle la réduction des prélèvements obligatoires : la baisse des impôts va de pair avec une réduction de la dépense publique, qui rend d'ailleurs encore plus insupportable le fait de continuer à payer des impôts et taxes pour les contribuables les plus modestes.

La réalité est connue : ce sont les ménages les plus modestes, les plus démunis qui subissent, en bout de course, les effets de cette politique.

Moins de prélèvements au nom de la compétitivité de nos entreprises ou de la résistance à la concurrence étrangère, c'est moins de dépenses publiques, et donc moins de réponses aux besoins sociaux.

Aujourd'hui, il en est ainsi pour la dépense publique assumée par l'Etat.

Pour demain, on souhaite bien entendu en faire autant s'agissant de la protection sociale, l'augmentation des cotisations mutualistes venant compenser le désengagement progressif de l'assurance collective financée par la sécurité sociale.

Pour après-demain, avec la mise en oeuvre de la décentralisation et la privatisation du service public local - sujet dont nous débattons depuis plusieurs jours -, on escompte sans doute que le paiement de quelques péages routiers, la marchandisation du service public de l'éducation ou de la culture permettront de réduire le niveau des prélèvements obligatoires locaux.

Trop d'impôts tue l'impôt, disait-on il y a quelques années. Nous aurions tendance à penser aujourd'hui que toujours moins d'impôt va finir par engendrer plus de fracture sociale, plus d'inégalités et plus d'injustice.

C'est pourquoi nous sommes partisans d'une réflexion nouvelle sur le sens donné à notre système de prélèvements obligatoires, parce qu'il doit répondre aux objectifs mêmes de notre logique constitutionnelle, faisant de la réponse aux besoins collectifs la raison même de l'intervention publique dans l'économie et dans la société.

Dois-je rappeler, du haut de cette tribune, les termes du préambule de la Constitution de 1946, élément essentiel de notre bloc de constitutionnalité ?

Pour ce qui nous concerne, la dépense publique, et donc le système de prélèvements obligatoires qui permet de la financer, se doit de répondre à plusieurs impératifs.

Le premier est de satisfaire à l'exigence de justice fiscale et sociale.

En cette matière, force est de constater que, loin de respecter la définition de l'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, notre système fiscal continue de souffrir de survivances du passé, qui accordent une vertu cardinale aux droits indirects au détriment de l'impôt progressif, plus représentatif de la capacité contributive de chacun et de chacune des contribuables.

La TVA et la TIPP, taille et gabelle d'aujourd'hui, ont encore de beaux jours devant elles, tandis que la baisse de l'impôt sur le revenu illustre d'une manière signifiante le peu de justice qui anime la politique de réduction des prélèvements obligatoires que mène le Gouvernement.

Mais, au-delà de la justice fiscale et au-delà même du débat sur la capacité redistributrice de notre système de prélèvements, se pose la question de l'efficacité économique de ce système.

Certains ont pour habitude de crier haro sur la dépense dès lors qu'il s'agit de rémunérer les fonctionnaires, et singulièrement les enseignants, les salariés de l'équipement, ou d'autres encore.

Il est vrai que l'on s'apprête, dans un certain nombre de cas, à transférer dans les délais les meilleurs une partie de ces personnels aux collectivités locales, ce qui ne saurait manquer de créer à l'avenir les conditions d'une nouvelle poussée de fièvre de la fiscalité locale.

Mais on oublie soigneusement de souligner que des milliards et des milliards d'euros sont dépensés chaque année pour aider les entreprises, charge budgétaire dont l'efficacité est sans doute à mesurer à l'aune de la détérioration de la situation de l'emploi, et ce malgré la forte incitation au développement de l'emploi non qualifié qui anime l'essentiel de cette politique. Nous avons perdu 250 000 emplois depuis deux ans, ce qui signifie 250 000 chômeurs de plus.

L'existence d'un bloc de 16 milliards d'euros d'allégements de cotisations sociales financés par l'Etat doit être pointée en ce qu'elle représente un coût équivalent à 80 % du produit de la TIPP, 40 % de l'impôt sur les sociétés et près du tiers de l'impôt sur le revenu.

Allouer ainsi une part non négligeable de la ressource publique au financement de ce qui se substitue à un prélèvement social demeure profondément discutable et doit donc être discuté.

Nous pourrions citer d'autres exemples, comme les appels d'offres de dépenses militaires dont se trouve exclu le GIAT, le groupement industriel des armements terrestres, ce qui fait que l'argent public se mobilise pour assurer la rentabilité de fournisseurs étrangers et, parallèlement, pour liquider la majorité des emplois de l'équipementier national en accompagnant le plan social, conséquence des choix industriels.

De manière générale, on ne peut que rejeter, sans la moindre équivoque, cette politique qui vise à créer un même mouvement de réduction de la dépense publique utile et des prélèvements obligatoires.

Nous ne croyons pas à une société harmonieuse où la « désocialisation » des besoins et leur financement individualisé, que ce soit pour la santé ou pour la retraite, comme nous y invitent la loi sur la santé publique, la loi de financement de la sécurité sociale ou la loi portant réforme des retraites, répondraient à l'exigence de justice sociale et d'efficacité économique qui doit habiter toute politique publique.

Ce que vous nous promettez, messieurs les ministres, c'est toujours plus d'inégalités et de fracture sociale.

La réduction des prélèvements obligatoires que vous appelez de vos voeux et qui porte votre politique va de pair avec la financiarisation accrue de la santé, de la retraite ou encore de l'accès à la culture ou à l'éducation, toutes charges que votre Etat libéral se refuse à estimer comme prioritaires.

Vous l'avez compris, messieurs les ministres, nous ne vous suivrons pas dans cette démarche génératrice d'exclusion sociale et de tensions futures, ce que nous ne souhaitons pas pour la population de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, fruit d'une heureuse initiative sénatoriale inscrite désormais dans la loi, le débat qui nous est proposé aujourd'hui s'inscrit dans un contexte pour le moins ambivalent : s'agissant de l'Europe d'une part, avec l'élaboration de sa constitution, son élargissement, son économie qui manifeste les premiers signes de sensibilité à l'amélioration de l'environnement international ; s'agissant de la conjoncture française d'autre part, avec un budget « des temps difficiles », qui ne satisfera sans doute personne, une croissance proche de zéro et les multiples effets à retardement de la loi sur les 35 heures encore insuffisamment corrigés.

Que sont précisément ces prélèvements qui font, ce soir, l'objet de nos attentions ? Quelles sont les tendances qui gouvernent leurs évolutions ? Quelle est enfin la structure de notre environnement fiscal ?

S'agissant, en premier lieu, de la notion de prélèvement obligatoire, je m'interroge sur le fait que le champ couvert par sa définition ne recouvre pas l'ensemble des recettes fiscales et sociales votées. Ainsi, les cotisations sociales imputées, qui constituent la contrepartie de prestations fournies directement et représentent 15 % des cotisations sociales, certaines taxes et cotisations versées à des organismes autres que les administrations publiques, mais aussi tous les prélèvements considérés comme volontaires échappent à l'appellation !

Plus encore, les prélèvements résultant de décisions autonomes ne sont pas retracés dans les lois de finances. A l'inverse, certaines recettes votées dans des lois de finances ne sont pas considérées comme des prélèvements obligatoires.

Le taux de prélèvement représentant le rapport du produit de l'ensemble des prélèvements sur le PIB paraît dès lors un indicateur sujet à caution, notamment dans les comparaisons avec les autres pays.

Les impôts ne prennent un sens économique que lorsqu'ils sont rapportés à la masse des richesses sur lesquelles ils sont prélevés et à l'utilisation qui en est faite par le budget. C'est ainsi qu'est appréciée la charge fiscale. Les prélèvements constituant cette charge ont pris leur envol au début des années quatre-vingt, pour se maintenir allégrement aux environs de 45 % du PIB.

Leur répartition entre les administrations publiques a évolué, la part de l'Etat reculant au profit des organismes de sécurité sociale et des administrations locales du fait de la hausse considérable et incompressible des dépenses sociales et de l'incidence des transferts au profit des collectivités locales. La marge de manoeuvre de l'Etat ne cesse donc de diminuer.

Du point de vue de la structure de ces prélèvements, retenons l'importance accrue de la fiscalité, la création de nouveaux prélèvements fiscaux, comme la CSG, et de nouveaux transferts de fiscalité de l'Etat vers des organismes de sécurité sociale.

La France se maintient de la sorte en tête des pays où la part de prélèvements obligatoires dans la richesse nationale est la plus élevée, loin devant la moyenne de l'Union européenne et celle de l'OCDE !

C'est notamment le niveau très élevé de cotisations sociales dans la part des prélèvements et le poids de ceux-ci opérés au profit des organismes de sécurité sociale qui expliquent l'importance de cette pression. Il s'agit là de la plus grande source de recettes des administrations ! La moitié des prélèvements sont effectués au profit de ces organismes alors qu'un peu plus d'un quart seulement l'est dans les autres Etats de l'OCDE.

Il importe ainsi de relativiser la portée des comparaisons. Considérons notamment que l'analyse des niveaux de prélèvements doit être interprétée à l'aune du niveau de la dépense publique et de la place des services publics dans l'économie.

Il est évident que le poids de ces prélèvements reste excessif, mais l'ensemble des archaïsmes m'incite à craindre une absence de baisse réelle. De glissements en transferts, le poids global des prélèvements, de natures certes diverses, ne cessera de croître si une volonté politique forte, prenant des décisions difficiles, ne se concrétise pas. De façon surprenante, devoir et courage sont une forme de l'hédonisme en politique.

Pour ce qui concerne la nature de notre environnement fiscal, je souhaite aborder certains thèmes qui me paraissent fondamentaux : comment redonner espoir et dynamisme à notre économie ? La productivité des Français est la première du monde, alors que le PIB par habitant est tombé au niveau le plus bas par rapport aux autres pays de l'Union européenne.

La fiscalité ne constitue-t-elle pas une explication première de cette anomalie ? Elle est trop complexe, pour beaucoup illisible. Truffée d'exceptions, elle est caractérisée par son poids excessif. Ces exceptions ont été mises en place par des gouvernements successifs, qui avaient des programmes politiques et économiques différents, sinon opposés, mais qui ont dû se rendre à l'évidence : la fiscalité française est devenue dissuasive.

Est-il alors anormal qu'un salarié choisisse le pays où, après impôts, il lui reste un revenu supérieur ? Est-il anormal qu'un investisseur choisisse un pays où son projet sera moins taxé ?

M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est normal !

M. Aymeri de Montesquiou. Est-il anormal qu'un entrepreneur choisisse un pays où son travail est mieux rémunéré ?

M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est normal !

M. Aymeri de Montesquiou. Pourquoi le gouvernement de Lionel Jospin a-t-il choisi les Pays-Bas pour accueillir la holding formée par Renault et par Nissan ? Nous connaissons tous la réponse, même si certains refusent de l'admettre : le système fiscal français n'est pas compétitif. Lorsque François Mitterrand, en 1988, déclare : « L'impôt tue l'impôt », et que Jacques Chirac, en 2002, place la baisse d'impôt au rang de priorité, disent-ils des choses différentes ? Bien sûr que non !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien ! Utile rappel !

M. Aymeri de Montesquiou. Toutes les réflexions sur la fiscalité doivent intégrer le paramètre européen. Le pacte de stabilité pour tous et une fiscalité propre à chaque membre de l'Union ne peuvent être totalement dissociés. Cela implique que les dépenses majeures se situent dans une fourchette qui les rende comparables.

L'Europe sociale n'est certes pas bâtie, mais une politique étrangère et de défense a été décidée : elle doit être conduite. L'équité voudrait que chacun, en tant que copropriétaire, contribue de façon comparable à l'effort de sécurité. Or, aujourd'hui, cet effort est très disparate puisque, selon le pays, son niveau, exprimé en pourcentage du PIB, varie du simple au double.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, la baisse des prélèvements, la disparition des rigidités structurelles du marché du travail, de sévères corrections à la mauvaise gestion des systèmes d'indemnisation sociale devraient permettre à la France de faciliter, puis de préserver une croissance qui sera largement portée par l'innovation et la recherche, c'est-à-dire par l'intelligence des Français.

Cependant, la valorisation des ressources humaines, la réhabilitation du travail et de ses fruits, la préservation de notre patrimoine intellectuel me semblent encore fragilisées et combattues : tous les archaïsmes évoqués, toutes les idéologies dépassées et démenties par les faits sont de nos jours vivaces et nuisent à l'épanouissement d'une société moderne.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Excellent !

M. Aymeri de Montesquiou. De ce fait, une loi d'orientation fiscale serait nécessaire pour rendre aux Français leur travail et ses fruits : la France doit-elle être le seul Etat au monde où il est concevable de payer plus d'impôts que le travail et le capital ne produisent de revenus ?

M. André Lejeune. Des chiffres !

M. Aymeri de Montesquiou. L'environnement économique et monétaire nous paraît devenir enfin favorable. Ne gâchons pas à nouveau cette chance !

Pour ce qui nous concerne, au-delà de la dette, nous ne pourrons pas supporter longtemps que 20 % des dépenses de l'Etat ne soient pas couvertes par des recettes autres que l'emprunt.

Mes chers collègues, l'attractivité du territoire, la maîtrise des dépenses sociales, la décentralisation et la réforme de la fiscalité sont aujourd'hui des priorités. Heureusement, sans doute, l'Union européenne nous obligera à nous réformer et à tendre vers l'harmonisation fiscale.

La France a des atouts formidables de par sa situation géographique, au coeur stratégique de l'Europe ; elle a un savoir-faire reconnu et dispose d'une main-d'oeuvre, de cadres et d'entrepreneurs qui placent notre pays en tête pour la productivité. Toutefois, notre fiscalité devenue confiscatoire décourage de nombreux Français qui choisissent d'autres pays de l'Union européenne, ou des pays plus lointains, dans lesquels les investisseurs, les entrepreneurs et les salariés perçoivent des revenus nets supérieurs à ceux qu'ils percevraient en France.

Même si notre pays offre des agréments de vie, nous ne pouvons ignorer que, souvent, le revenu après impôts y est plus faible. La mondialisation nous conduit à faire des comparaisons qui nous rendent admiratifs devant le taux de croissance de certains pays. Faisons une constatation sociale. Dans tous ces pays où la croissance fascine, existe un élément commun : les générations actives veulent que leurs enfants connaissent une vie meilleure que la leur. Souvent, en France, cette volonté n'existe plus. Beaucoup se disent : « A quoi bon ? Si je travaille plus, l'Etat va tout me prendre. » Ce découragement est désastreux pour le dynamisme de notre économie !

Pour redonner envie d'investir et d'entreprendre, la fiscalité des entreprises doit être comparable à celle de nos voisins. Pour redonner le goût du travail, celui-ci doit être récompensé. Notre économie doit être florissante, non seulement pour faire correspondre une fiscalité équilibrée à une politique sociale juste, mais aussi pour donner envie à nos concitoyens de retrouver les années qu'aujourd'hui nous appelons « glorieuses ». (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Gérard Miquel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Gérard Miquel. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, par rapport à l'an dernier, le débat sur les prélèvements obligatoires se fait discret cette année. (C'est vrai ! sur les travées du groupe socialiste. - Protestations sur les travées de l'UMP.) Force est de constater par ailleurs qu'il est relégué - et nous avec, mes chers collègues - en seconde partie de soirée !

La communication gouvernementale a clairement opté pour un profil bas. La raison en est simple : les résultats de la politique fiscale du Gouvernement sont mauvais. (M. le rapporteur général s'exclame.) Le Président de la République a fait miroiter une baisse des impôts de 30 milliards d'euros en cinq ans. Mais, concrètement, loin de diminuer, les impôts pris dans leur ensemble stagnent, voire augmentent !

M. Jean-Marc Todeschini. Pour les pauvres !

M. Gérard Miquel. Certes, le Gouvernement affiche une baisse du taux de prélèvements obligatoires entre 2002 et 2004, mais il s'agit manifestement d'une baisse en trompe-l'oeil. En effet, comme l'indique le Gouvernement dans son rapport, cette baisse résulte intégralement de l'évolution spontanée des prélèvements obligatoires et non des mesures prises par le Gouvernement. C'est incontestable, de 2002 à 2004, le taux de prélèvements obligatoires aura reculé de 1,1 point et, comme le souligne le Gouvernement dans ce même rapport, le taux de prélèvements obligatoires spontané aura également reculé de 1,1 point sur la même période.

Seul un coefficient d'élasticité des prélèvements obligatoires inférieur à 1, conséquence automatique du marasme économique actuel, nous évite une envolée des prélèvements obligatoires. Cependant, au moindre retour de la croissance économique, le coefficient d'élasticité et les prélèvements obligatoires monteront en flèche !

Par ailleurs, la baisse du taux de prélèvements obligatoires est essentiellement concentrée sur l'année 2002. Elle a été de 0,8 point cette année-là, contre seulement 0,1 point en 2003 et 0,2 point en 2004, selon les prévisions gouvernementales. Or 60 % des réductions d'impôts de l'année 2002 sont le fait du gouvernement de Lionel Jospin ! Ce chiffrage est d'autant plus incontestable qu'il figure dans le rapport sur les prélèvements obligatoires déposé par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin en 2002 : Jean-Pierre Raffarin s'avouerait-il vaincu par Lionel Jospin ? En fait, il l'est déjà, à l'issue d'une période comparable, en termes d'opinions favorables !

M. Claude Domeizel. C'est vrai !

M. Gérard Miquel. En revanche, monsieur le rapporteur général, dans le rapport de la commission des finances vous n'abordez pas ces informations, certes élémentaires, mais néanmoins de nature à éclairer notre débat. Ce faisant, vous esquivez délibérément l'essentiel. Vous soulignez à profusion la baisse du taux de prélèvements obligatoires, mais vous n'analysez jamais ses ressorts.

Monsieur le rapporteur général, la déception qui en découle est d'autant plus forte que vous nous aviez habitués à plus de subtilité et, surtout, plus de rigueur dans l'analyse ! (C'est vrai ! sur les travées du groupe socialiste.) Comment est-il possible de ne pas mentionner que, sans l'effondrement de leur coefficient d'élasticité, les prélèvements obligatoires, exprimés en pourcentage du PIB, auraient vivement progressé en 2003 ? Par ailleurs, le large exercice de prospective auquel vous vous livrez dans votre rapport ressemble fort à une opération de diversion pour camoufler les résultats de la politique fiscale du Gouvernement.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur Miquel, me permettez-vous de vous interrompre ?

M. Gérard Miquel. Je vous en prie, monsieur le rapporteur général.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général, avec l'autorisation de l'orateur.

M. Philippe Marini, rapporteur général. J'ai souligné la correspondance existant entre l'élasticité des recettes fiscales et des cotisations sociales par rapport à la croissance, d'une part, et par rapport aux taux de prélèvements obligatoires, d'autre part, tant dans le rapport sur les prélèvements obligatoires établi au nom de la commission des finances que dans le rapport en cours de préparation sur le projet de loi de finances pour 2004. D'ailleurs, Jean-Pierre Fourcade a très bien repris tout à l'heure cet aspect des choses.

Monsieur Gérard Miquel, je n'ai en rien prétendu que la baisse du taux de prélèvements obligatoires entre 2000 et 2002 était imputable à la politique du Gouvernement. J'ai indiqué que cette baisse s'expliquait essentiellement par des facteurs conjoncturels. Par conséquent, cher collègue, sur ce sujet au moins, nous ne sommes pas en désaccord, et, dès lors, vous n'avez pas de matière à critique, même si, sur d'autres points, vous en aurez certainement ! (Sourires.)

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Miquel.

M. Gérard Miquel. J'en aurai certainement sur d'autres points, monsieur le rapporteur général !

Les Français doivent savoir que les impôts augmentent encore plus dans la réalité que ne le laissent apparaître les statistiques officielles. En effet, l'évolution de la fiscalité locale n'est pas prise en compte dans les chiffres qui nous sont fournis, alors que le produit et le taux des impôts locaux ont respectivement progressé de 4 % et de 2,5 % cette année.

De plus, la situation sera probablement pire en 2004, en raison de l'intensification des transferts de charges liés à la décentralisation « façon Raffarin », notamment les 5 à 6 milliards d'euros pour financer le revenu minimum d'insertion, dont la charge incombera aux départements, et le coût de la mise en place du revenu minimum d'activité.

Par ailleurs, le taux de prélèvements obligatoires en 2004, annoncé par le Gouvernement, est sensiblement sous-évalué pour une autre raison. En effet, dès le mois de juillet 2004, l'« impôt Raffarin », lié à la suppression d'un jour de RTT, entrera en vigueur et engendrera des recettes fiscales supplémentaires qui ne sont pas encore prises en compte dans les statistiques.

Les Français doivent aussi savoir que c'est un non-sens de parler de baisse des prélèvements obligatoires lorsque le déficit public atteint 4,2 % du PIB. Fin 2003, la baisse de l'impôt sur le revenu mise en oeuvre par le Gouvernement représentera 3,5 milliards d'euros tandis que, dans le même temps, le déficit du seul budget de l'Etat atteindra au moins 56 milliards d'euros, soit 14 milliards d'euros supplémentaires par rapport au montant évalué par l'audit réalisé en juin 2002. D'un côté, moins 3,5 milliards d'euros ; de l'autre, plus 14 milliards d'euros. Conclusion : le Gouvernement, monsieur le ministre, remet à demain l'impôt qui aurait dû être payé aujourd'hui !

A n'en pas douter, après les élections de l'année prochaine, les Français passeront à la caisse.

M. François Marc. Eh oui !

M. Gérard Miquel. Il le faudra bien pour combler le déficit de l'Etat, auquel s'ajoute, malheureusement, le déficit « abyssal » de la sécurité sociale, selon le propre terme du ministre de la santé. Certes, la croissance économique entraînera mécaniquement un surcroît de recettes, mais il serait illusoire de croire qu'elle pourrait venir à bout de tels déséquilibres.

La hausse des impôts dans les mois à venir est d'autant plus certaine qu'il semble, monsieur le ministre, que le Gouvernement négocie avec Bruxelles un « cocktail » de hausses d'impôts afin d'éviter les sanctions européennes pour « déficit excessif ».

La conjonction de l'ensemble de ces facteurs ne pousse pas à l'optimisme. L'avenir s'annonce bien sombre pour le contribuable !

M. Jean-Marc Todeschini. Ça, c'est vrai !

M. Gérard Miquel. Par ailleurs, la réduction des prélèvements obligatoires ne doit pas s'accompagner d'une remise en cause des services publics ou des transferts sociaux, sinon les effets positifs et négatifs de ces politiques se neutralisent, avec, en fin de compte, aucun bénéfice pour le citoyen. C'est une évidence, mais, malheureusement, le Gouvernement semble l'ignorer.

En conséquence, l'actuelle baisse du taux de prélèvements obligatoires s'accompagne d'une hausse des autres prélèvements. Ainsi, les déremboursements de médicaments prévus en 2004 se traduiront-ils pour les mutuelles par une charge supplémentaire d'un milliard d'euros selon Jean-Pierre Davant, président de la Fédération nationale de la mutualité française. Pour leur part, les AGF ont annoncé à la fin du mois de septembre un nouveau relèvement de leurs primes d'assurance. Le directeur général du groupe l'explique ainsi : « Nous avions programmé une augmentation de tarif provisionnelle de 3 % au 1er octobre sur les déremboursements qui ne manqueraient pas d'arriver. Bien nous en a pris. » Eh oui, avec la droite, mieux vaut être prudent et anticiper les sorties d'argent ! ( Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)

M. François Marc. C'est incroyable !

M. Gérard Miquel. Mes chers collègues, les Français ne font pas la différence entre hausse des impôts et hausse des cotisations. Ce n'est que bon sens, car seul le montant de leur revenu disponible importe. Dès lors, ils se demandent à quoi rime de payer moins d'impôts si, dans le même temps, les primes d'assurance augmentent.

Comme nous l'avons vu, la droite ne respecte pas sa promesse d'abaisser les impôts. C'est critiquable, certes, mais ce n'est pas l'aspect le plus condamnable de sa politique fiscale. En effet, derrière l'apparente stabilité des prélèvements obligatoires se cache une scandaleuse remise en cause de leur architecture, au détriment des impôts progressifs.

Monsieur le ministre, depuis bientôt deux ans, le Gouvernement mène une attaque en règle contre les impôts progressifs et la solidarité fiscale. Les impôts des riches diminuent alors que les impôts payés par tous les Français augmentent. Cette politique inique est d'autant moins justifiée que les prélèvements progressifs représentent seulement 17,4 % de l'ensemble des prélèvements obligatoires en France, contre 24 %, en moyenne, dans les pays de l'OCDE.

M. Charles Gautier. C'est un scandale !

M. Gérard Miquel. C'est notre collègue député Gilles Carrez, peu suspect de gauchisme, tout le monde en conviendra ici, qui le souligne. Dès lors, seul l'aveuglement idéologique et le désir de revanche sociale peuvent motiver la baisse de l'impôt de solidarité sur la fortune, l'ISF, et de l'impôt sur le revenu.

M. François Marc. Eh oui !

M. Gérard Miquel. Selon la droite, les réductions d'impôt sur le revenu inciteraient les Français à travailler plus. Or cela n'a jamais été démontré ! Ce n'est que pure spéculation ! Comment imaginer, d'ailleurs, qu'un salarié puisse décider de lui-même de travailler plus et de gagner plus ? A-t-on déjà entendu un salarié dire à son patron : « J'ai décidé de travailler plus, car l'impôt sur le revenu a baissé. Donc, vous devez augmenter mon salaire en conséquence » ? C'est complètement irréaliste !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Il n'y a pas que les salariés !

M. Gérard Miquel. Pourtant, vous y croyez, mes chers collègues de la majorité, ou vous faites semblant d'y croire.

Quant aux travailleurs indépendants que je rencontre dans mon département, nombre d'entre eux m'ont avoué profiter de la hausse de leur revenu résultant de la réduction d'impôt pour « lever le pied » ! Ils font le choix de travailler moins ! Exactement le contraire de ce que recherche prétendument le Gouvernement.

M. François Marc. Eh oui !

M. Gérard Miquel. Vous allégez l'ISF et l'impôt sur le revenu, mais vous alourdissez la taxe sur le gazole, les taxes sur le tabac, le forfait hospitalier, les tarifs publics et vous contraignez les collectivités territoriales à relever leur taxe d'habitation, leurs taxes foncières et leur taxe professionnelle. Or, la baisse de l'ISF profite à moins de 300 000 contribuables ! Selon la Cour des comptes, en 2002, seuls 10,2 % des Français ont accaparé 69,2 % des 2,6 milliards d'allégement de l'impôt sur le revenu.

Ainsi, pour un couple marié sans enfant, gagnant 500 000 euros, l'économie d'impôt en 2004 par rapport à 2003 atteint 6 955 euros, soit plus de 45 000 francs ! En revanche, elle n'est que de 284 euros, soit 1 862 francs, pour un couple marié avec deux enfants et un salaire de 50 000 euros. Résultat, la droite donne vingt-quatre fois plus aux hauts revenus qu'aux revenus moyens d'une famille.

M. François Marc. C'est la vérité !

M. André Vantomme. C'est scandaleux !

M. Gérard Miquel. Selon la Cour des comptes, 53,2 % des Français n'ont rien retiré de la baisse de l'impôt sur le revenu !

En 2004, pour financer la baisse de 1,8 milliard d'euros de l'impôt sur le revenu, profitant surtout aux plus riches, vous allez, monsieur le ministre, faire travailler tous les salariés un jour de plus, ce qui rapportera 1,9 milliard d'euros ! Pour ceux qui en doutaient encore, l'UMP, c'est vraiment « l'Union pour une minorité de privilégiés » ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est vraiment abusif !

M. Gérard Miquel. Pas du tout, monsieur le rapporteur général ! C'est un constat !

M. François Marc. Il fallait le dire !

M. Jean-Marc Todeschini. C'est l'exacte vérité !

M. le président. Poursuivez, monsieur Miquel.

M. Gérard Miquel. Les salariés devront travailler sans être payés ; après les privilégiés, la droite rétablit la corvée de l'Ancien Régime ! (Applaudissements sur les mêmes travées. - Exclamations sur les travées de l'UMP.)

D'autres choix sont évidemment possibles. Par exemple, en l'absence de la baisse de l'impôt sur le revenu des riches, les personnes âgées auraient pu bénéficier de 3,4 milliards d'euros supplémentaires,...

M. André Vantomme. C'est exact !

M. Gérard Miquel. ... et cela sans que les salariés travaillent un jour de plus ! Le coût des réductions d'impôt sur le revenu depuis juillet 2002 représente 5,3 milliards d'euros par an alors que la suppression d'un jour de RTT ne rapportera que 1,9 milliard d'euros.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Alors, il faudra en supprimer plus ! (Sourires.)

M. Gérard Miquel. Le Premier ministre offre sa compassion aux personnes âgées mais réserve sa générosité à « la France d'en haut » !

Et comment croire que cet argent ira à nos anciens, alors que 400 millions d'euros seront détournés pour financer l'allocation personnalisée d'autonomie que vous avez, mes chers collègues de la majorité, fortement critiquée ?

M. Philippe Marini, rapporteur général. Cela ne concerne pas les personnes âgées ! Cela concerne les jeunes !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela concerne qui l'APA ? Les nouveaux-nés ?

M. Gérard Miquel. Mais aujourd'hui, nous constatons que, malheureusement, nous ne sommes pas allés assez loin puisqu'il faut en rajouter un peu pour les personnes âgées, ce qui est bien normal !

Les salariés apprécieront les vraies raisons de l'effort supplémentaire qui leur est demandé.

Les classes moyennes sont également les grandes sacrifiées de la politique ultralibérale que vous conduisez.

La hausse réelle de la prime pour l'emploi, la PPE, en 2004 sera de 80 millions d'euros et non de 500 millions d'euros, comme vous l'annoncez. Considérer, comme le fait le Gouvernement, que l'indexation de la PPE sur l'inflation et le SMIC constitue un progrès relève tout simplement de la manipulation.

Cela reviendrait à dire, par exemple, que depuis que l'impôt sur le revenu existe, il a été allégé tous les ans dans les lois de finances ! C'est bien évidemment absurde ! Quant au coût de l'acompte de la PPE créé en 2004, soit 120 millions d'euros, il sera récupéré par l'Etat en 2005.

Ainsi, la hausse réelle de la PPE est vingt-deux fois moindre que la baisse de l'impôt sur le revenu en 2004 !

La politique fiscale menée par le Gouvernement est socialement injuste, mais elle aussi économiquement inefficace.

Les cadeaux fiscaux faits aux riches n'ont aucun effet d'entraînement sur la consommation et sur l'activité économique.

M. André Vantomme. Aucun !

M. Gérard Miquel. Au lieu d'être consommés, ces suppléments de revenu sont épargnés, car les riches n'en ont pas besoin pour vivre au quotidien.

M. Philippe Marini, rapporteur général. A quoi sert l'épargne ?

M. Gérard Miquel. Vous avez déclaré, monsieur le ministre, que la baisse de l'impôt sur le revenu décidée par le Gouvernement n'a pas eu d'effet significatif sur la consommation. Pourtant, le Gouvernement l'amplifie pour 2004.

Le peu de soutien à l'activité qui pourrait résulter de cette mesure est complètement annihilé par la rigueur budgétaire mise en oeuvre. Les crédits inscrits en 2004 stagnent en volume et, compte tenu des gels déjà annoncés, les crédits consommmés reculeront.

Avec une politique économique aussi inappropriée, l'échec était inévitable. C'est ainsi qu'en 2003, la croissance du PIB sera de seulement 0,2 % en France, selon l'INSEE.

M. François Marc. Et encore !

M. Gérard Miquel. En revanche, elle sera deux fois supérieure dans la zone euro.

Les Français n'ont pas oublié, mes chers collègues, que, sous le gouvernement de Lionel Jospin, notre pays avait toujours réalisé une performance supérieure à celle de nos partenaires européens. Mais il est vrai que la politique menée à l'époque était différente.

M. François Marc. Eh oui ! Elle était bonne !

M. Gérard Miquel. Les baisses de charges sans contrepartie de réduction du temps de travail ou d'embauches sont inefficaces et coûteuses. Elles constituent un effet d'aubaine évident pour les entreprises et leurs actionnaires. Selon l'Observatoire français des conjonctures économiques, la politique de l'emploi du Gouvernement devrait détruire au total 60 000 postes en 2004 ! A ce niveau, il s'agit d'une politique contre l'emploi et non pas pour l'emploi ! Le chômage frappera 10 % de la population active à la fin de cette année, contre 8,6 % en 2001.

La création de l'« impôt Raffarin » et la suppression simultanée d'un jour de RTT mettront au moins 20 000 personnes au chômage. Actuellement, faute de commandes, les entreprises tournent au ralenti et licencient. Quasiment aucune ne recourt aux heures supplémentaires. Dans ces conditions, la hausse de la durée du travail leur permettra de fonctionner avec encore moins d'effectifs. Cette mesure n'est donc plus seulement un gadget : elle est dangereuse !

A l'inverse, les 35 heures tant décriées ont créé 350 000 emplois selon l'INSEE.

Les petits cadeaux fiscaux faits aux riches continueront à creuser le déficit public en 2004, alors qu'il atteint déjà 4,2 % du PIB en 2003, mettant ainsi la France au ban des nations européennes.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, la politique de prélèvements obligatoires du Gouvernement est socialement injuste, économiquement inefficace et financièrement désastreuse. C'est pourquoi le groupe socialiste la combattra avec la plus grande détermination. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. François Marc. Il faut changer de gouvernement !

M. le président. La parole est à M. Denis Badré.

M. Denis Badré. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la tenue et, j'espère, l'institutionnalisation durable d'un débat sur les prélèvements obligatoires sont particulièrement bienvenues. Dans le contexte d'un monde ouvert, il est plus qu'utile d'avoir une exacte appréciation de nos charges fiscales et sociales, de leur poids respectif et, en leur sein, de la part de chacun des postes de prélèvements. Il est également nécessaire de connaître, autant que possible, leurs effets sociaux et économiques, ainsi que l'impact d'éventuelles modifications sur la croissance et l'emploi.

Il est, de plus, évidemment loin d'être inutile de remettre tout cela en perspective dans le temps et de tirer les enseignements voulus des évolutions constatées au cours des dernières années.

De tous ces points de vue, le rapport de M. Philippe Marini offre le meilleur des supports à la réflexion engagée au sein de notre commission des finances, sous l'autorité très éclairée de M. Jean Arthuis.

Je ferai d'abord trois remarques générales sur ce rapport.

Premièrement, chaque année, lors du débat budgétaire, est évoquée l'idée d'un débat particulier sur la fiscalité agricole. Je suis heureux de constater que cette idée progresse : MM. Jean Arthuis, Philippe Marini et Joël Bourdin ont, en effet, commencé à en poser les fondements.

Deuxièmement, même si les deux thèmes de l'agriculture et de l'énergie se recoupent sur la question des biocarburants, on ne pourra pas non plus faire l'économie d'une réflexion sur l'énergie et sa fiscalité.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout à fait !

M. Denis Badré. Sur ce thème, plus encore que sur beaucoup d'autres, une approche européenne s'imposera.

Troisièmement, au temps où nous avons la volonté de faire progresser la décentralisation, il est à noter que les prélèvements au profit des administrations locales représentent pour l'instant moins de 12 % du total des prélèvements. Il faut garder ce chiffre en mémoire.

Je formulerai une remarque particulière sur le rapport de M. Philippe Marini, pour répondre aux interrogations de certains lecteurs particulièrement attentifs : je précise que l'estimation des prélèvements obligatoires affectés au bénéfice de l'Union européenne à hauteur de 5,4 milliards d'euros, soit moins de 1 % du total des prélèvements obligatoires, ne doit pas être confondue, bien sûr, avec le prélèvement sur recettes, qui, lui, est de 16,4 milliards d'euros.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Voilà !

M. Denis Badré. Je suis certain, toutefois, que seuls les lecteurs attentifs du rapport avaient remarqué cela.

M. Gérard Miquel. Ah oui !

M. Denis Badré. Vous ne serez pas surpris, messieurs les ministres, de me voir insister d'emblée sur la nécessité de restaurer la compétitivité de la France au regard de ses partenaires de l'Union européenne et, encore bien plus, de ses concurrents dans le monde.

Globalement, nous avons à supporter un poids de prélèvements qui ne laisse aucune chance à la plupart de nos compétiteurs. Il faut que nous ayons de bien solides capacités pour ne pas être écrasés par ce handicap. C'est l'un des plus lourds en Europe et a fortiori dans le monde. Que notre protection sociale soit développée et que notre organisation générale soit en avance, tant mieux. Mais il est bon de vérifier à tout instant que tel est bien toujours le cas. Veillons en particulier à ce que, à force d'être performante, notre administration ne devienne pas paralysante.

Morny, ministre de l'intérieur de Napoléon III - on peut le citer de temps en temps ! - ne rappelait-il pas déjà aux fonctionnaires de l'époque que leur mission était « non pas l'entrave, mais la régulation et l'expédition, en ayant bien sûr d'abord le souci du plus faible ». Tout un programme, qui n'a pas pris une ride !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Il faut le faire !

M. Denis Badré. Cela dit, les Français ont le goût de l'entreprise et ils offrent des compétences reconnues et enviées. Il faut les aider à exprimer leurs talents, si possible en France. Nous devons leur donner le sentiment que notre administration française les accompagne et les soutient !

Pour ce qui concerne les prélèvements, un choc psychologique s'impose, qui rassure les Français en manifestant une volonté gouvernementale de renverser la tendance. La baisse de l'impôt sur le revenu va dans ce sens. Une modification, même de principe, de l'impôt de solidarité sur la fortune, aurait à cet égard valeur emblématique. Quand pourrons-nous avoir sur ce sujet un débat dépassionné ? L'idéologie pourra-t-elle un jour être mise entre parenthèses, le temps de voir où est l'intérêt du pays ?

Le fait que trois cents nouveaux contributeurs à l'ISF quittent la France chaque année, bien peu revenant ensuite, ne peut nous laisser indifférents. Qu'il s'agisse de personnes plus jeunes et aux patrimoines plus importants que la moyenne des contributeurs, donc parmi les plus dynamiques, doit nous faire réfléchir. Et combien de jeunes sont partis avant même d'avoir payé l'ISF et n'apparaissent pas dans les statistiques ! Ce sont là encore les plus dynamiques !

Chaque départ, chaque non-retour, c'est de l'ISF en moins, mais aussi et surtout de l'investissement, de l'activité, de l'emploi, de la consommation, donc des rentrées fiscales de toutes natures, en moins chez nous. C'est aussi de la richesse créée chez nos concurrents, avec lesquels l'écart de compétitivité va donc se creuser encore et sans cesse !

Au risque d'être un peu lourd, je répète que notre objectif doit être d'amener ceux qui sont prêts à partir à renoncer à leur projet, et ceux qui pourraient revenir à le faire.

Et surtout, pour relativiser les choses, comprenons bien que, si nous avons du mal à ne pas donner un tour passionnel à nos débats sur ce sujet, c'est souvent aussi en termes passionnels que réagissent ceux qui se posent la question d'un éventuel départ. Nous sommes dans le domaine psychologique. Ils sont prêts à comprendre que tout ne peut être fait. Un geste, même symbolique, peut leur redonner confiance. Exprimant un changement de cap et une volonté politique, un tel geste peut modifier l'image qu'ils ont actuellement de notre pays, comme celle qu'en ont les étrangers qui pourraient vouloir s'installer en France. Je suis d'autant plus désolé de voir que, loin de proposer un geste symbolique de cette nature, nous en sommes encore à alourdir l'ISF, en refusant d'en actualiser le barème.

Dans le même temps, certains de nos partenaires de l'Union n'hésitent pas, eux, à aborder le problème de l'amnistie fiscale, comme cela avait d'ailleurs été fait en 1958 par le général de Gaulle et Antoine Pinay ! Il y a les pays paralysés par l'idéologie ou par la peur de donner le sentiment qu'on pourrait « faire un cadeau aux riches », et il y a les pays qui considèrent avec pragmatisme qu'inviter leurs ressortissants à soutenir financièrement de préférence l'économie de leur pays et à payer des impôts est d'abord bon pour le pays.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Excellent !

M. Denis Badré. N'oublions jamais que c'est rarement de gaieté de coeur que des Français quittent la France : il faut que l'intérêt qu'ils ont à le faire soit très fort !

Derrière les analyses psychologiques, l'économie garde évidemment ses droits. Pour revenir au problème général des réformes fiscales à engager pour que notre pays retrouve plus rapidement le chemin de la croissance et de l'emploi, je soulignerai simplement, après M. le rapporteur général, que les mesures les plus sûrement efficaces sont celles qui comportent une baisse des cotisations sociales des employeurs. Nous ne le répéterons jamais assez.

A cet égard, nous devons nous arrêter sur les conclusions présentées par la Commission européenne concernant l'expérience du passage au taux réduit de TVA pour certains services à haute intensité de main-d'oeuvre. En ce qui concerne les travaux dans le bâtiment, la Commission considère que la réduction du travail au noir est difficile à évaluer, mais que le bilan en termes de créations d'emplois serait moins intéressant que le résultat escompté. Ce point serait sans doute à valider. Une analyse très attentive s'impose sur le déroulement de l'expérience en France. Nos conclusions pourraient en effet ne pas recouper complètement celles de la Commission.

Toujours est-il qu'au point où nous en sommes, si nous ne voulons pas dresser nombre de nos compatriotes contre l'Europe, il nous faut obtenir la consolidation du taux réduit de TVA pour les travaux dans le bâtiment - et elle n'est pas certaine - ainsi que l'autorisation de passer à ce taux réduit pour les cédéroms éducatifs et l'ensemble de la restauration, à l'exception bien sûr des boissons alcoolisées.

Sur ces deux points, il s'agit d'abord d'une question de justice plutôt que d'un effet sur l'emploi : comment continuer à traiter différemment les documents éducatifs selon qu'ils sont édités sur papier ou sur un support électronique, ce qui n'existait pas en 1991, lorsque la réglementation actuelle a été fixée ? Comment justifier les disparités de traitements entre les restaurations traditionnelles, rapides et collectives ?

D'ailleurs, des engagements ont été pris, vous le savez mieux que quiconque, monsieur le ministre. Aujourd'hui, la Commission est plus que réservée. Son credo reste - nous l'avons souvent entendu - qu'il ne faut rien changer à l'annexe H à la directive sur la TVA, laquelle fixe la liste des biens et des services que les Etats peuvent taxer au taux réduit, puisque l'objectif de la Commission demeure de passer le plus tôt possible à un régime commun de TVA. La Commission marque dans cet esprit une volonté d'effacer toutes les dérogations agrégées au fil du temps. Certains de nos partenaires suivent également une ligne aussi restrictive, alors que notre pays figure parmi ceux qui demandent le plus. Monsieur le ministre, là encore, vous savez cela mieux que quiconque.

Nous avons vraiment besoin d'alliés dans cette négociation, et peut-être de monnaie d'échange. Dans le contexte actuel, malheureusement, les alliés et les monnaies d'échange se font rares. Et nous l'avons un peu cherché. Il nous faut d'urgence, et avec un peu d'humilité, nous remettre au service de l'Union et surtout redevenir européens, parmi et avec nos partenaires de l'Union !

J'ajoute que si des difficultés particulières apparaissent en France sur ces questions, c'est notamment parce que notre taux normal est l'un des plus élevés, notre taux réduit, l'un des plus faibles ; par conséquent, la distance entre les deux est particulièrement forte et les disparités sont spécialement choquantes. M. le président de la commission des finances le rappelait tout à l'heure et y insistait : la possibilité d'un deuxième taux réduit - entre 5 % et 15 % - existe. Elle est ouverte par la réglementation européenne. Peut-être ne devrons-nous pas toujours en écarter l'idée ? Ce pourrait être à terme une solution nous permettant de progresser vers la justice fiscale.

La réforme de l'Etat a été engagée avec celle des retraites. Lorsqu'on voit aujourd'hui que le poids des prélèvements sociaux a largement dépassé celui des prélèvements opérés dans le domaine fiscal - 48 % contre 39 % selon le rapport - et que l'écart entre eux continue à se creuser, on mesure l'importance et l'urgence d'une poursuite de profondes réformes dans le domaine de notre protection sociale.

Ici réside sans aucun doute le plus lourd des défis que nous ayons à relever, sans que nous disposions d'ailleurs d'un droit à l'erreur ! Une accélération des réformes structurelles dans le domaine social représente la première condition du redressement de nos finances publiques.

Je conclurai mon intervention en déplorant à nouveau la complexité et l'instabilité de notre fiscalité. Notre interventionnisme économique a trouvé dans notre fiscalité un champ de manoeuvre à sa mesure. Le temps semble venu de prendre conscience des limites à opposer à l'interventionnisme, comme au perfectionnisme fiscal à travers lequel s'exprime trop naturellement cet interventionnisme.

Le mot de la fin en matière de fiscalité, comme dans beaucoup d'autres domaines d'ailleurs, doit rester à l'Europe. Tant que nous tergiverserons devant la nécessité d'une harmonisation fiscale au sein de l'Union, nos réformes nationales ne seront jamais que des palliatifs, nécessaires bien sûr, mais insuffisants puisque de portée trop limitée. Et plus nous nous engagerons tardivement sur la voie de l'harmonisation, plus elle sera douloureuse pour nous. En effet, la distance qui nous sépare de la moyenne de nos partenaires ne cesse de se creuser, tandis que nos capacités naturelles à jouer de la concurrence fiscale ne vont jamais en s'améliorant, malheureusement.

Messieurs les ministres, les intérêts de nos contribuables, de nos entreprises et, à terme, ceux du pays sont en jeu. Il nous faut en toute priorité accepter de relever ce défi de l'harmonisation fiscale. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Joël Bourdin.

M. Joël Bourdin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention dans ce débat sera principalement consacrée à vous présenter les quelques conclusions que j'ai tirées, en tant que président de la délégation du Sénat pour la planification, des travaux conduits avec M. le rapporteur général de la commission des finances sur les réformes fiscales menées en Europe dans les années 1990.

Mais, auparavant, je tiens à me réjouir de la tenue de ce débat, qui doit tant à la volonté tenace et éclairée de notre rapporteur général. Il doit nous permettre d'envisager l'ensemble du spectre des prélèvements obligatoires et, ainsi, de dépasser les points de vue partiels auxquels nous contraignent le saucissonnage de nos grands textes financiers et, plus naturellement, la place de plus en plus importante occupée par la fiscalité locale. Il devrait également être l'occasion de mettre en perspective la « politique des prélèvements » que le Gouvernement entend mener, non seulement pour l'année à venir mais encore dans le moyen terme. Enfin, ce débat pourrait et devrait fournir l'occasion d'une évaluation de notre architecture de prélèvements ou de l'impact de telle ou telle de ses composantes.

J'ai lu que des doutes sur l'utilité de ce débat avaient pu être exprimés. Je vous invite, messieurs les ministres, à ne pas y céder, et j'ai bon espoir que nous puissions, grâce au dynamisme et à l'opiniâtreté des présidents de nos commissions, instaurer, avec ce rendez-vous, une sorte d'institutionnalisation, bien nécessaire au Parlement, de l'évaluation des politiques fiscales. J'ai été frappé, à la lecture du rapport du Gouvernement, par l'horizon d'analyse assez court qui y est privilégié. Je sais que ce débat représente une sorte de répétition générale avant l'examen très prochain du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances.

Mais l'insistance mise sur les mesures nouvelles ne doit pas nous faire oublier ce que je pourrais nommer, par analogie avec une tradition d'examen des crédits heureusement supprimée par la loi organique relative aux lois de finances, les « mesures fiscales votées ». C'est bien sur la stratification de nos prélèvements obligatoires que nous devons porter notre attention. A cet égard, je me permets de suggérer, monsieur le ministre, qu'à l'avenir le rapport du Gouvernement comporte l'examen systématique et approfondi d'une thématique donnée et qu'un dialogue s'instaure avec le Parlement pour procéder à un véritable exercice d'évaluation.

J'aurai l'occasion de présenter la semaine prochaine un rapport sur l'évolution de l'économie française et des finances publiques à l'horizon 2008. Je ne peux dévoiler aujourd'hui les résultats des projections macroéconomiques sur lesquelles il s'appuie. Mais, sous peine de mettre fin à un suspense intolérable, je puis dire que les marges pour une réduction substantielle des prélèvements obligatoires à ce terme seront extrêmement réduites.

Le Gouvernement le reconnaît lucidement dans sa programmation à moyen terme et, plus encore, il revendique la priorité donnée à la réduction du déficit public. Il est vrai que nous y sommes bien obligés, tant par les règles du pacte de stabilité et de croissance que par l'objectif de renverser la tendance à l'augmentation du poids de la dette publique.

Si nous voulons encore croire à une réduction plus volontariste de la pression fiscale, il nous reste à espérer que le Gouvernement réussisse à trouver les clefs de la réforme de l'Etat. La volonté existe, mais il faut faire plus, et les quelques hésitations qui ont présidé à la préparation du projet de loi de finances nous démontrent, une fois de plus, la nécessité de procéder à une meilleure institutionnalisation de l'évaluation des politiques publiques, afin d'identifier les réformes de structure sans lesquelles la maîtrise durable des dépenses publiques est illusoire. Sur ce sujet aussi je présenterai, dans les prochains jours, un rapport à la Délégation du Sénat pour la planification. Le Parlement devra trouver toute sa place dans la modernisation de nos outils d'intelligence collective.

Les prélèvements obligatoires occupent une place de choix dans les débats publics et notre débat n'en est que plus justifié. Cependant, je ne peux manquer de relever, en préambule de nos travaux, le sentiment de frustration que suscite cette notion si usuellement mise en avant. Je relève que le rapport du Gouvernement s'en fait, à juste titre, l'écho.

Les prélèvements obligatoires se définissent comme « l'ensemble des versements obligatoires effectués sans contrepartie au profit des administrations publiques ». Cette définition est empreinte d'un juridisme qui ne peut qu'engendrer une réelle insatisfaction pour l'économiste. Le taux de prélèvements obligatoires est susceptible de varier selon les modalités que revêt l'intervention publique : que celle-ci prenne la forme d'une dépense fiscale, et le taux de prélèvements sera net de cette dépense ; qu'au contraire, à même niveau d'intervention publique, il y ait consommation de crédits, et le taux de prélèvements intégrera les recettes qui financent cette dépense. Il sera donc plus élevé dans le second cas que dans le premier.

Surtout, les pays qui collectivisent certaines dépenses ont, d'un point de vue comptable, des prélèvements obligatoires supérieurs aux pays dans lesquels ces mêmes dépenses restent privées, ce qui ne dit pas grand-chose sur l'essentiel, à savoir le niveau comparé des satisfactions que tirent les agents de la dépense qu'ils réalisent.

Ainsi, la part relative des assurances privées et publiques dans le domaine de la protection sociale constitue une explication majeure des écarts de prélèvements obligatoires entre pays développés. Sans refuser tout intérêt à ces écarts, on voit bien que la question principale est ailleurs : elle réside dans la capacité des systèmes à satisfaire au mieux les attentes des utilisateurs, c'est-à-dire, d'un côté, les contribuables, de l'autre, les cotisants « volontaires ». Les conclusions tirées de la comparaison des taux de prélèvements obligatoires doivent donc être entourées de prudence et de modestie.

Sous ces importantes réserves, le premier enseignement frappant du rapport que nous avons adopté en commun avec la commission des finances est que s'est produit, dans les années quatre-vingt-dix, un alourdissement des prélèvements obligatoires en Europe. Cet alourdissement a atteint, en moyenne, 1,8 point de PIB. Peu de pays européens ont vu leur niveau de prélèvements baisser : seuls les Pays-Bas et l'Irlande peuvent être mentionnés comme tels.

Vue de Sirius, la constitution du marché unique et l'adoption de l'euro n'ont pas entraîné de phénomène systématique de moins-disant fiscal. Deux évolutions ont joué : d'une part, les pays du Sud, en retard de développement, ont considérablement augmenté leur pression fiscale ; d'autre part, les pays européens ont dû rétablir leurs comptes publics mis à mal par le ralentissement économique du début des années quatre-vingt-dix dans la perspective de la qualification à l'euro, ce qui s'est fait par le recours à des prélèvements supplémentaires.

Derrière ces évolutions moyennes et l'impression qu'elles dessinent de l'absence d'une intensification de la concurrence fiscale, il faut toutefois mettre en évidence certaines nuances.

Tout d'abord, il faut tenir compte d'un fait important : les situations de départ étaient assez fortement contrastées, et si un certain rapprochement s'est opéré en moyenne, c'est en raison de l'augmentation des prélèvements qu'ont connue les pays du Sud. Parmi les pays développés - hors les pays scandinaves, qui ont de forts particularismes -, on peut distinguer, en revanche, deux groupes de pays qui ont un peu divergé : d'un côté, l'Allemagne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont allégé leurs prélèvements ; de l'autre, l'Italie, la Belgique et la France ont relativement plus accru leur pression fiscale. In fine, des écarts importants subsistent en Europe, et la France, hors les pays scandinaves, est le pays qui prélève le plus avec la Belgique.

Par ailleurs, l'analyse de la concurrence fiscale ne peut être complète que si, au-delà du taux global de prélèvement obligatoire, on se penche sur les différents prélèvements. Sur ce point, il semble bien que de réaménagements de taux en régimes légaux dérogatoires, les pays européens soient entrés dans une véritable compétition fiscale. Nous n'avons que peu progressé sur la voie de l'harmonisation fiscale, mais des évolutions sont malgré tout intervenues, dont il faut se féliciter. Nous devons nous efforcer de les prolonger, en particulier lutter contre les dispositifs de concurrence fiscale déloyale.

Mais il est certainement vain d'imaginer imposer notre système fiscal à une Europe qui accorde à l'intervention publique une place beaucoup plus mesurée que nous. Il reste à savoir si, dans ces conditions, nous serons en mesure de préserver en totalité notre modèle social. Vaste question qui appelle un débat public organisé !

La deuxième conclusion de notre rapport, c'est qu'aucun pays européen n'a connu de grande réforme de sa fiscalité, l'expression « réforme » devant être entendue comme recouvrant un ensemble de mesures destinées à modifier sensiblement soit le niveau, soit l'architecture des prélèvements obligatoires dans le cadre de la poursuite d'objectifs clairement énoncés. Ce n'est que dans la toute dernière partie des années quatre-vingt-dix qu'apparaissent des programmes réellement substantiels et en général orientés vers la baisse des taux de prélèvements.

On peut en tirer deux constatations : d'abord, qu'on le regrette ou non, il apparaît que les périodes de ralentissement économique se prêtent mal à des réformes structurelles et qu'il convient de saisir très vite toutes les opportunités de la croissance, donc dès qu'elles se présentent, pour procéder à ces réformes ; ensuite, et surtout, l'ensemble des pays européens semblent partager la même conviction d'une lourdeur excessive de leurs prélèvements. C'est du moins ce que révèle l'analyse des objectifs énoncés en général lors de la présentation des modifications apportées aux prélèvements obligatoires en Europe au cours des années quatre-vingt-dix.

Mais il faut bien reconnaître que l'augmentation du poids des prélèvements obligatoires a tranché de façon assez spectaculaire avec l'affichage des mesures fiscales adoptées en Europe ; c'est le troisième constat. En somme, si nulle part plus qu'en France le « paradoxe de Strauss-Kahn », inventé par notre rapporteur général, ne s'est trouvé autant vérifié, on peut dire que presque tous les ministres des finances européens ont eu leur petit paradoxe personnel.

Une caractéristique fréquente des aménagements des prélèvements réalisés par les pays européens a été de réduire les taux légaux des différents prélèvements. Cette préoccupation a concerné aussi bien l'impôt sur les sociétés que l'impôt sur le revenu des personnes physiques, voire la TVA.

Pourtant, le poids de tous ces prélèvements exprimé en part de PIB s'est accru. Tel est le paradoxe !

Deux grandes explications peuvent être apportées à cette situation.

La première relève des mécanismes de la croissance économique, avec deux composantes. La première composante tient à la progressivité des systèmes de prélèvements ; elle a amplifié la progression des revenus en termes de recettes fiscales, notamment pour celles qui proviennent de l'impôt sur le revenu des ménages. La deuxième composante concerne la déformation du partage de la valeur ajoutée au profit des entreprises, laquelle s'est traduite par une augmentation parallèle du poids de l'imposition des sociétés dans le PIB.

La seconde explication tient au fait que, en même temps que les pays affichaient des baisses de taux légaux de prélèvements, ils ont souvent procédé à des aménagements destinés à élargir les assiettes d'imposition. Ce processus a souvent été conduit au nom d'une plus grande neutralité de l'impôt, et les années quatre-vingt-dix apparaissent en Europe comme des années où, globalement, avec d'importantes exceptions sur lesquelles je reviendrai, le caractère incitatif des systèmes de prélèvements est passé au second plan derrière un objectif d'équité horizontale dans le traitement des différents revenus. Cet objectif est discutable, mais il a le mérite d'une certaine noblesse. Il est en tout cas plus noble que les autres motivations de cet élargissement des bases imposables, telle que la nécessité de compenser les pertes de revenu liées aux baisses des taux par ce moyen.

Ce dernier objectif a d'ailleurs été atteint parfois par des moyens extrêmement douteux, comme la non-indexation des barèmes d'imposition, dont la France s'est malheureusement fait une sorte de spécialité. Permettez-moi de regretter à ce sujet que le Gouvernement persiste dans cette voie à propos d'un impôt particulièrement antiéconomique et socialement peu équitable : l'ISF.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !

M. Joël Bourdin. Je voudrais tempérer l'idée que je viens d'énoncer sur le renoncement par les Etats européens à la fonction d'incitation des systèmes de prélèvements. Celle-ci est restée assez vivace dans deux domaines : les prélèvements sur les revenus du travail et les prélèvements sur les entreprises.

S'agissant des prélèvements sur les salaires, la plupart des pays ont aménagé les prélèvements sur les revenus du travail, afin de résoudre les problèmes d'emploi ou de répartition rencontrés par eux : les problèmes d'emploi, c'est-à-dire non seulement le chômage, mais aussi la faiblesse des taux de participation au marché du travail ; les problèmes de répartition pour les pays dans lesquels il existe une frange très importante de travailleurs pauvres, comme au Royaume-Uni.

Dans ce contexte, la politique conduite en France m'apparaît assez singulière et particulièrement contestable.

Tout d'abord, les différentes réformes entreprises y ont sensiblement accentué la progressivité des prélèvements sur les ménages au détriment des classes moyennes, alors que, du fait des caractéristiques de notre impôt sur le revenu des personnes physiques, cette progressivité était déjà très forte. Ensuite, les mesures que nous prenons pour réformer nos prélèvements et lutter contre le chômage sont souvent singulières soit qu'elles soient mal adaptées à leur objectif, soit qu'elles interviennent dans un contexte de politique économique qui en atténue considérablement l'efficacité.

Au rang de ces mesures, je voudrais évoquer la prime pour l'emploi : elle est beaucoup plus largement accordée que dans le dispositif britannique analogue. Dès lors, le bénéfice individuel qu'en retire chaque personne éligible est nettement moins grand, ce qui peut avoir un impact négatif sur les effets incitatifs attendus de ce dispositif.

Mais surtout - et cela illustre les problèmes importants de combinaison entre politique économique et politique fiscale -, là où nos voisins, lorsqu'ils ont procédé à des réductions de cotisations sociales, ont réduit assez sensiblement le coût du travail, pour notre part, nous l'avons fait pour compenser la hausse du coût du travail à laquelle nous avons consenti en adoptant le dispositif sur les 35 heures ou en augmentant dans des proportions considérables le SMIC.

Je dois dire, enfin, que nous sommes peut-être en train de créer une sorte de « trappe à bas salaires » de plus en plus large,...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !

M. Joël Bourdin. ... où nous risquons de dissuader l'effort et les qualifications, ce qui n'est pas non plus très positif.

Rien de cela n'est anodin pour la compétitivité et le dynamisme de notre économie.

La situation de la France en matière de prélèvements sur les entreprises est également peu favorable. Comme dans d'autres pays européens, nous avons procédé à des baisses du taux de l'impôt sur les sociétés au cours des années quatre-vingt-dix. Comme dans d'autres pays européens, ce processus n'a pas débouché sur un allègement des prélèvements sur les entreprises en raison de l'empilement d'autres impositions et de l'élargissement de l'assiette imposable. Mais il est évidemment très préoccupant d'observer - tous les indices de prélèvements sur les entreprises vont dans ce sens - que notre pays est celui qui taxe le plus ses entreprises, et de loin.

En conclusion, je voudrais insister sur un message : si les perspectives de baisse du niveau des prélèvements obligatoires pour la période immédiate sont très faibles, nous ne devons pas nous résigner à l'inaction en reproduisant l'expérience réalisée par les pays européens au cours des années quatre-vingt-dix. Nous devons mettre en oeuvre une réforme structurelle de notre système de prélèvements axée sur la conciliation d'une répartition humaine du revenu national et d'un objectif têtu de dynamisation de notre croissance.

A cet égard, je voudrais terminer mon intervention en rappelant que la Délégation du Sénat pour la planification a suggéré, au cours de ses travaux de l'année en cours, de réfléchir à deux pistes particulières.

D'une part, une étude réalisée par la Commission européenne a montré que la fiscalité pesant sur les investissements est sensiblement plus lourde en France que chez nos voisins européens. L'étude évalue l'imposition que supporterait un investissement type dont la rentabilité serait de 20 %. Un investisseur subirait dans notre pays un taux moyen d'imposition de 34 %. En Grande-Bretagne ou en Italie, ce taux s'élèverait à 28 %, ce qui est conforme à la moyenne européenne. Seule l'Allemagne impose plus lourdement les investissements que la France. Nous devons remédier à cette situation pénalisante et rendre notre fiscalité plus « amicale » à l'investissement, ce qui justifie d'ailleurs pleinement les efforts entrepris sur le crédit d'impôt recherche.

D'autre part, il nous faut bien reconnaître que notre fiscalité sur les revenus financiers est peu cohérente avec l'objectif de développer l'épargne des ménages en actions. En particulier, la taxation des dividendes est sensiblement plus élevée que celle qui est imposée aux revenus obligataires. S'il existe de nombreux régimes fiscaux dérogatoires, nous manquons aujourd'hui d'une évaluation d'ensemble des effets incitatifs de ces dispositifs. Il est donc souhaitable que la fiscalité de l'épargne évolue. Elle devrait mieux encourager la détention d'actions, et non la détention d'actifs sans risque, et devrait favoriser les engagements en matière d'épargne durable.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Très juste !

M. Joël Bourdin. Enfin - mais il s'agit plus d'un chantier que d'une piste -, nous devons réfléchir, d'une part, aux liens qui peuvent exister entre notre régime fiscal et le haut niveau du taux d'épargne disponible des ménages, d'autre part, aux moyens fiscaux susceptibles de trouver une affectation dynamique à l'épargne particulièrement élevée des ménages français. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Francis Mer, ministre. Les échanges que nous avons eus à l'occasion de ce débat sont très riches et il est difficile d'imaginer pouvoir répondre à tous les sujets qui ont été traités avec efficacité et exhaustivité. Quoi qu'il en soit, cela nous permettra, au cours des prochains trimestres, d'approfondir notre réflexion sur un sujet majeur qui a été largement évoqué ce soir : comment notre politique fiscale, qui se traduit, bien sûr, par des prélèvements obligatoires, pourra-t-elle être optimisée dans l'intérêt de notre pays et de tous ses acteurs ?

Il est clair que nous devons commencer par diminuer le coût de nos interventions. Loin de moi l'idée de vouloir absolument comparer, au travers de pourcentages, des politiques éventuellement différentes d'un pays à un autre en ce qui concerne la contrepartie des prélèvements obligatoires, même si, globalement, nous devons tous reconnaître que ces prélèvements sont quand même élevés. Cette approche qui consiste à optimiser le coût de certaines interventions est déjà en cours dans différents ministères. Au travers de la loi de financement de la sécurité sociale, qui sera commentée tout à l'heure par mon collègue Christian Jacob, nous aurons la possibilité de découvrir les moyens de mieux gérer certaines dépenses. Ce sera une première étape dans la diminution des taux des prélèvements obligatoires.

Tous les intervenants ont, directement ou indirectement, attiré notre attention sur le fait que les règles du jeu dans lequel l'économie se développe aujourd'hui ont changé par rapport à celles qui prévalaient il y a trente ou quarante ans. Ces règles nous ont permis de développer notre politique économique, y compris en matière de prélèvements obligatoires à l'intérieur de frontières qui maîtrisaient les échanges.

Aujourd'hui, en Europe comme ailleurs dans le monde, règne la liberté : la liberté de choisir, d'aller, de partir, de ne pas revenir, et donc de préférer tel pays à tel autre pour y déployer ses talents.

C'est autour de cette notion de liberté - du moins est-ce ainsi que je perçois les choses - que nous devons travailler sur notre fiscalité et sur nos prélèvements obligatoires. Nous sommes, que nous le voulions ou non, en concurrence avec d'autres pays, et ce pas uniquement au sein de la zone euro.

La concurrence, au bon sens du terme, est en fait un gage d'efficacité. Il nous faut sans doute mieux intégrer cette notion que nous ne l'avons fait jusqu'à présent dans notre manière de concevoir notre propre politique fiscale sous ses différents aspects, à travers les prélèvements obligatoires.

Je me dois, malheureusement ou heureusement, je ne sais, de détromper ceux qui espèrent que nous parvenions en Europe à une harmonisation fiscale, la règle du jeu en la matière aujourd'hui étant l'unanimité. Or, vous le savez, un certain nombre de pays n'ont nullement l'intention de suivre l'exemple des autres. Ils sont en effet satisfaits de leur propre politique, en laquelle ils voient non pas une pratique du dumping, mais l'exercice de la liberté.

Il nous faut donc être aussi attractifs que possible, non seulement pour les étrangers désireux de se rendre en France, mais également pour les Français qui doivent y rester, leur permettre de bouger rapidement et librement, tout en tenant compte des décisions devant parfois être prises, à l'unanimité, à l'échelon européen. Cessons donc de dire que le sujet est facile. Il doit faire l'objet de longues réflexions de notre part.

J'ai apprécié à leur juste valeur toutes les propositions qui ont été faites. Nous en tiendrons bien sûr compte dans nos réflexions, en concertation avec la commission des finances et, plus généralement, avec toutes les commissions intéressées.

Nous avons, il est vrai, un énorme travail de réflexion à mener sur la fiscalité. Il doit, à mon sens, s'articuler autour de l'idée que, la liberté étant la règle aujourd'hui, il faut définir une politique fiscale qui, tout en nous apportant les ressources nécessaires au financement de toutes les prestations sociales que nous aurons décidé de conserver, c'est-à-dire l'essentiel d'entre elles tout de même, sera le mieux à même de concourir au dynamisme de notre économie et de ses acteurs, et ce dans le respect d'un certain nombre de règles d'égalité ou d'éthique propres à notre culture, règles qui peuvent être assez différentes de celles qui prévalent dans d'autres pays.

Ces sujets sont importants et délicats. Nous devons les traiter dans la durée et commencer immédiatement à y réfléchir. Les enjeux sont considérables. Toutes les propositions et réflexions qui me seront faites seront les bienvenues. En effet, nous devons, ensemble, optimiser notre dynamisme et notre potentiel de croissance et trouver les meilleures conditions d'une amélioration progressive de la politique fiscale qui est l'un des éléments majeurs du succès économique auquel nous aspirons tous.

Tels sont les commentaires généraux que je souhaitais faire. Vous voudrez bien m'excuser de ne pas entrer dans le détail et ne pas répondre individuellement à chacun des orateurs qui se sont exprimés ce soir.

Soyez en tout cas assurés que tous les aspects évoqués ici feront l'objet, de notre part, de la plus grande attention. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Christian Jacob, ministre délégué. Monsieur le rapporteur général, le Gouvernement partage pleinement votre souci d'identifier les dépenses effectivement utiles en matière d'assurance maladie, comme la Cour des comptes nous y invite d'ailleurs, ce qui, il faut en convenir, n'est pas toujours le cas. Je pense ici à un certain nombre de dépenses liées à des arrêts de travail, notamment pour de longues durées.

Il faut aussi s'interroger sur ce que le système d'assurance maladie doit réellement prendre en charge et sur ce qui doit relever des organismes complémentaires.

Vous avez fait allusion, monsieur le rapporteur général, au partenariat entre le secteur public et le secteur privé, auquel je suis très attaché. Nous l'avons mis en place dans le cadre de la politique familiale, et je pense que c'est un point d'avenir.

Monsieur About, vous avez quant à vous évoqué la suppression du FOREC. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 permettra effectivement une clarification dans ce domaine. Celle-ci était attendue depuis lontemps, et la Haute Assemblée y a pris une grande part. Nous poursuivrons sur la voie de la simplification.

La prise en charge de la dépendance est une très grande ambition, à la hauteur, je crois, des besoins qui sont extrêmement importants. Comme vous l'avez souligné, c'est à la fois un appel au travail et à la solidarité. Nous devons toutefois veiller à ce que les recettes supplémentaires ne perturbent pas la croissance économique.

Monsieur About, nous sommes, comme vous, soucieux de limiter l'endettement de la sécurité sociale. Une réforme de fond a été engagée, s'agissant notamment des retraites et de l'assurance maladie. Dans quelques mois, lorsque nous regarderons en arrière, nous pourrons nous féliciter d'avoir mené à bien deux réformes aussi importantes.

Nous devons travailler ensemble, comme vous nous y avez invités, à la réforme du système d'assurance maladie et à l'évolution de la loi organique. M. Jean-François Mattei, à l'occasion du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, aura l'occasion de préciser ses objectifs.

M. Fourcade a évoqué le choix fait par le Gouvernement sur les réformes de structures ; je n'y reviendrai pas. Ce point, s'il ne fait peut-être pas l'unanimité, rassemble au moins la majorité.

Monsieur Foucaud, je ne reviendrai pas sur les reproches que vous nous adressez concernant la canicule, notamment sur le manque de moyens, et ne vous demanderai donc pas ce que vous avez fait au cours des cinq dernières années. M. le Premier ministre a annoncé un plan d'une grande ampleur, de nature à répondre aux attentes.

Monsieur de Montesquiou, comme vous, je pense qu'il faut être prudent lorsque l'on compare les prélèvements obligatoires. Cela a été dit par d'autres sénateurs. Il faut effectivement dans ce cas être en mesure de prendre en compte avec précision l'ensemble des dépenses et des transferts. Pour autant, cela ne signifie pas que notre situation est bonne. Cela nous oblige, comme l'a souligné M. Arthuis, à nous concentrer sur les dépenses utiles.

Monsieur Miquel, je pense vous avoir déjà répondu. Si je ne vous connaissais pas comme je vous connais et si je ne vous portais pas la sympathie que je vous porte, je pourrais répondre à votre bon mot : « Le représentant du PS, le parti des sectaires »,... ce qui, bien entendu, n'est pas le cas. (Sourires sur les travées de l'Union centriste.)

Monsieur Badré, j'apprécie votre soutien au sujet des biocarburants, sujet qui n'a pas été évoqué, mais qui me tient à coeur et sur lequel nous pouvons nous retrouver.

L'attachement du Gouvernement à la réforme de l'assurance maladie a été démontré à plusieurs reprises. S'il faut réformer avec détermination - le Gouvernement n'en manque pas -, il faut aussi se donner le temps de la négociation et de la concertation. Un homme de dialogue comme vous le sait mieux que quiconque.

Monsieur Bourdin, vous avez raison s'agissant des prélèvements obligatoires. Comme je l'ai indiqué à M. le rapporteur général, la question est de savoir où l'on place le curseur, entre ce qui relève de l'assurance maladie et ce qui peut relever d'un organisme complémentaire.

Telles sont les quelques remarques que je voulais présenter. Je terminerai mon propos en remerciant l'ensemble des sénateurs, notamment M. le rapporteur général, pour la qualité de ce débat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Le débat est clos.

Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le numéro 61 et distribuée.

5

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. Robert Del Picchia une proposition de loi relative au système d'imposition des transmissions à titre gratuit des patrimoines des Français établis en France.

La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 62, distribuée et renvoyée à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

6

TEXTES SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION

DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de décision du Conseil sur le commerce de certains produits sidérurgiques entre la Communauté européenne et l'Ukraine.

Ce texte sera imprimé sous le numéro E-2424 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministe le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant modification du règlement (CE) n° 1726/2000 relatif à la coopération et au développement avec l'Afrique du Sud.

Ce texte sera imprimé sous le numéro E-2425 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de décision du Conseil instituant des conseils consultatifs régionaux dans le cadre de la politique commune de la pêche.

Ce texte sera imprimé sous le numéro E-2426 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de décision du Conseil définissant la position de la Communauté à l'égard de la prorogation de l'accord international de 1992 sur le sucre.

Ce texte sera imprimé sous le numéro E-2427 et distribué.

7

DÉPÔT DE RAPPORTS

M. le président. J'ai reçu de M. Alex Türk un rapport, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur la proposition de résolution (n° 49, 2003-2004) présentée par M. Hubert Haenel au nom de la délégation pour l'Union européenne, en application de l'article 73 bis du règlement, sur le projet de protocole modifiant la convention Europol proposé par le Danemark (n° E-2064).

Le rapport sera imprimé sous le numéro 58 et distribué.

J'ai reçu de MM. Alain Vasselle, Jean-Louis Lorrain, Dominique Leclerc et André Lardeux un rapport, fait au nom de la commission des affaires sociales, sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, adopté par l'Assemblée nationale (n° 54, 2003-2004).

Le rapport sera imprimé sous le numéro 59 et distribué.

8

DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION

M. le président. J'ai reçu de M. Jacques Legendre un rapport d'information, fait au nom de la commission des affaires culturelles, sur l'enseignement des langues étrangères en France.

Le rapport d'information sera imprimé sous le numéro 63 et distribué.

9

DÉPÔT D'UN AVIS

M. le président. J'ai reçu de M. Adrien Gouteyron un avis présenté, au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, adopté par l'Assemblée nationale (n° 54, 2003-2004).

L'avis sera imprimé sous le numéro 60 et distribué.

10

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, jeudi 13 novembre 2003 :

A neuf heures trente :

1. Discussion du projet de loi (n° 437 rectifié, 2002-2003) relatif à la parité entre hommes et femmes sur les listes de candidats à l'élection des membres de l'Assemblée de Corse.

Rapport (n° 53, 2003-2004) fait par M. Michel Dreyfus-Schmidt, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.

Aucune inscription de parole dans la discussion générale n'est plus recevable.

Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.

2. Suite de la discussion du projet de loi (n° 4, 2003-2004) relatif aux responsabilités locales.

Rapport (n° 31, 2003-2004) fait par M. Jean-Pierre Schosteck, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.

Rapport pour avis (n° 32, 2003-2004) de M. Philippe Richert, fait au nom de la commission des affaires culturelles.

Rapport pour avis (n° 34, 2003-2004) de M. Georges Gruillot, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan.

Rapport pour avis (n° 33, 2003-2004) de Mme Annick Bocandé, fait au nom de la commission des affaires sociales.

Rapport pour avis (n° 41, 2003-2004) de M. Michel Mercier, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.

Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.

A quinze heures et le soir :

3. Questions d'actualité au Gouvernement ;

4. Suite de l'ordre du jour du matin.

Délai limite pour les inscriptions de parole

et pour le dépôt des amendements

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, adopté par l'Assemblée nationale (n° 54, 2003-2004) :

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : vendredi 14 novembre, à dix-sept heures.

Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat sur l'assurance-maladie : lundi 17 novembre 2003, à dix-sept heures.

Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat sur la famille : mardi 18 novembre 2003, à dix-sept heures.

Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 17 novembre 2003, à onze heures.

Sous réserve de sa transmission, projet de loi de finances pour 2004 (A.N., n° 1093) :

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 19 novembre 2003, à dix-sept heures.

Délai limite pour le dépôt des amendements aux articles de la première partie : jeudi 20 novembre 2003, à dix heures trente.

Personne ne demande la parole ?...

La séance est levée.

(La séance est levée le jeudi 13 novembre 2003, à zéro heure trente.)

Le Directeur

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD