PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean Bizet, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour la première fois dans l'histoire du Sénat de la Vème République, une commission permanente demande à se saisir pour avis d'un projet de loi constitutionnelle, qui relève au fond de la compétence de la commission des lois : c'est que le thème abordé par cette révision constitutionnelle dépasse largement le cadre de l'organisation et des compétences respectives des pouvoirs publics pour, à travers la réforme du Préambule de la Constitution, donner valeur constitutionnelle à « des principes fondamentaux relatifs au droit à un environnement protégé et au développement durable ».
La prise en compte de l'environnement et sa nécessaire articulation avec le développement économique relèvent à l'évidence de la compétence de notre commission, ce qui justifie cet avis.
Je me félicite, à cet égard, de la façon constructive dont nous avons travaillé avec M. Patrice Gélard, rapporteur au fond, dont j'ai pu apprécier les grandes qualités d'écoute tout au long des auditions que nous avions décidé d'organiser en commun.
Confronté au foisonnement des commentaires et des prises de position toujours passionnées et parfois peu nuancées, j'étais initialement réservé, je vous l'avoue, sur le sens à donner à cette réforme et inquiet de ses conséquences, notamment en ce qui concerne la poursuite du progrès scientifique et technologique, indispensable moteur de notre développement économique. Pour avoir pu en particulier, à travers le dossier des organismes génétiquement modifiés, mesurer les ravages que peut induire une mauvaise application du principe de précaution, il me semblait qu'en faire un principe constitutionnel pouvait pénaliser la recherche, l'innovation technologique, voire entraver l'activité économique, en nous condamnant à l'inaction au nom de l'impossible quête du risque zéro.
L'examen en conscience du dispositif proposé, les nombreuses auditions conduites avec la commission des lois, ainsi que le contenu très pertinent des deux études demandées par la commission des affaires économiques à M. Michel Prieur, éminent spécialiste du droit de l'environnement, et à M. Bertrand Mathieu, professeur de droit constitutionnel, m'ont conduit à réviser mon jugement.
Il faut raison garder et revenir au texte tel qu'il est proposé, pour en prendre toute la mesure et comprendre en particulier que l'inscription, au sommet de nos normes juridiques nationales, d'une charte consacrée à l'environnement et au développement durable, loin de dessaisir le Parlement, lui crée au contraire une « ardente obligation » de se saisir de cette matière, afin de lui donner plus de cohérence et un véritable sens politique.
Sur l'initiative de cette réforme, le Président de la République souhaite qu'un texte de valeur constitutionnelle consacre le principe d'une « écologie humaniste », c'est-à-dire d'« une écologie qui reconnaît la place centrale de l'homme sur la planète, et l'étendue de ses responsabilités ».
Le choix a donc porté sur une charte de l'environnement de 2004, auquel va se référer le préambule de la Constitution, à l'instar de la référence à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946.
Le parallélisme des intitulés traduit de façon symbolique la troisième étape ainsi franchie dans l'édifice constitutionnel français, à savoir la reconnaissance d'une écologie humaniste, qui consacre un droit de l'homme à l'environnement, complétant le volet des droits civils et politiques, ainsi que celui des droits économiques et sociaux.
Il faut souligner, pour s'en féliciter, que la procédure d'élaboration de ce texte s'est appuyée sur une démarche participative en raison des enjeux de société induits par cette réforme, à travers le remarquable travail de la commission Coppens, chargée de faire des propositions au Premier ministre, qui s'est appuyée sur des consultations d'experts, ainsi qu'à travers la consultation nationale, relayée par des assises territoriales de la charte de l'environnement, qui ont permis de dégager les attentes fortes de la société sur ce sujet.
Le projet de loi constitutionnelle déposé devant l'Assemblée nationale se composait de deux articles : l'article 1er, qui complète le préambule de la Constitution, et l'article 2, qui définit le contenu de la charte.
L'Assemblée nationale a adopté un article additionnel, qui complète l'article 34 de la Constitution, définissant le domaine de la loi, afin que cette dernière puisse déterminer les principes fondamentaux relatifs à la préservation de l'environnement, ce qui confirme, comme je l'indiquais il y a un instant, le rôle du Parlement en permettant à la loi de préciser notamment le contenu des principes inscrits dans la charte. Nous aurons donc l'occasion de nous revoir à l'occasion de ce dossier au cours de l'automne.
S'agissant des considérants qui résument la philosophie de la charte elle-même et qui doivent être entendus comme des principes à valeur déclarative contribuant à son interprétation, il est intéressant de noter que, au-delà du lien indissociable et indiscutable établi entre l'environnement et l'humanité, notamment l'impact grandissant des activités humaines, les deux derniers considérants affirment la nécessité de la préservation de l'environnement, en se plaçant dans une perspective de développement durable.
De cette construction, il est possible de déduire une vision positive et dynamique de la prise en compte de l'environnement : loin d'affirmer le primat d'un retour à une nature sanctuarisée, il s'agit de définir un mode de développement conciliant les trois piliers placés sur un pied d'égalité que sont le développement économique, le progrès social et la préservation de l'environnement. L'article 6 de la charte l'affirme ainsi.
Il est vrai que les principes non seulement de prévention, de réparation, qui englobe le principe « pollueur-payeur », mais aussi d'information et de participation en matière d'environnement, énoncés dans les articles 3, 4 et 7 de la charte, figurent déjà dans la partie législative du code de l'environnement. Toutefois, leur reconnaissance au niveau constitutionnel fait désormais obligation au législateur, mais aussi à l'administration à travers son pouvoir réglementaire, d'en tenir compte dans toutes les politiques sectorielles de manière transversale.
Ainsi, autant il est souhaitable que les services déconcentrés du ministère de l'industrie intègrent la prise en compte du développement durable, autant il serait très préjudiciable que les directions régionales de l'environnement s'approprient le monopole exclusif de sa mise en oeuvre dans la sphère économique. Au cours des débats qu'elle a organisés sur ce projet de loi constitutionnelle, la commission des affaires économiques et du Plan a été particulièrement nette sur ce point. A titre personnel, monsieur le ministre, permettez-moi d'insister.
En ce qui concerne l'article 5 de la charte de l'environnement, qui a suscité nombre d'inquiétudes souvent légitimes, la commission des affaires économiques a tenu à vérifier que la reconnaissance au niveau constitutionnel du principe de précaution n'induira pas d'entrave supplémentaire aux capacités d'innovation de nos entreprises.
Tel qu'il est proposé, le principe de précaution se démarque très nettement du principe de prévention, en ce qui concerne tant son fait déclencheur que son champ d'application. M. le garde des sceaux et M. le rapporteur saisi au fond ont tous deux été très clairs sur ce point qui, je le rappelle, constituait mon motif d'inquiétude ; il a été, depuis les auditions, largement levé.
Autant le principe de prévention constitue le pain quotidien de l'action des acteurs tant privés que publics dans le domaine de l'environnement, autant le principe de précaution ne trouve à s'appliquer que pour répondre à des situations exceptionnelles, car plusieurs éléments cumulatifs sont rigoureusement exigés pour justifier sa mise en oeuvre : d'une part, une incertitude scientifique sur la réalisation d'un dommage, en l'état actuel des connaissances scientifiques, l'incertitude portant sur l'hypothèse même du risque ; d'autre part, le caractère environnemental du dommage, qui doit être grave et irréversible.
Ces exigences mettent en évidence le rôle stratégique de l'expertise et la nécessité de veiller à ce qu'elle soit collégiale, indépendante et légitime.
Face à cette situation, l'article 5 impose un principe d'action précoce pour prévenir ou limiter le risque.
Cette obligation d'agir s'impose aux seules autorités publiques, à savoir l'Etat et les collectivités territoriales, ce qui suscite des craintes et des interrogations chez beaucoup d'entre elles, notamment parmi les petites communes, qui assurément ne disposent pas des moyens d'expertise nécessaires à l'application du principe de précaution. Fort opportunément, l'Assemblée nationale a précisé que l'intervention des autorités publiques devait s'entendre dans leurs domaines d'attribution, ce qui clarifie le rôle de chacune d'entre elles.
Ces autorités devront adopter des mesures provisoires et proportionnées, qui pourront être réversibles ou modifiées en fonction de la progression des connaissances et devront être proportionnées au regard du risque lui-même, mais aussi définies à partir d'un bilan coût-avantage ; et ce, en prenant en compte leur impact économique évalué à court et à long terme.
En définitive, les moyens choisis devront être limités à ce qui est effectivement nécessaire, ce qui impose aux autorités publiques d'avoir au préalable défini le niveau de risque acceptable.
Initialement, le projet de loi constitutionnelle indiquait que les mesures devaient éviter la réalisation du dommage, ce qui fixait une obligation de résultat aux autorités publiques difficilement compréhensible dans une situation d'incertitude. L'Assemblée nationale lui a préféré le verbe « parer à », qui laisse entendre que tout doit être fait, en l'état des connaissances et des moyens disponibles, sans fixer d'obligation de réussite ; M. le garde des sceaux et M. le rapporteur l'ont rappelé.
De façon concomitante, il est fait obligation de poursuivre les recherches afin d'évaluer les risques encourus. Il s'agit d'un véritable « aiguillon » pour la recherche scientifique et non pas d'un coup d'arrêt. Ainsi, dans le cas des organismes génétiquement modifiés, la mise en oeuvre de l'article 5 justifie pleinement la poursuite des recherches, y compris en plein champ, mais en y appliquant les plus strictes conditions de sécurité vis-à-vis des cultures traditionnelles et biologiques.
Enfin, faut-il craindre, à travers l'introduction dans la Constitution du principe de précaution, tel qu'il est rédigé dans l'article 5, une judiciarisation de la vie économique et la multiplication des contentieux ?
Les contentieux s'étant multipliés avant l'adoption de la charte, cette dernière devrait clarifier la jurisprudence et lui donner plus de cohérence. Les travaux parlementaires pourront utilement y contribuer.
Ainsi, la définition très précise des conditions de mise en oeuvre du principe de précaution devrait dissuader l'administration de chercher à renforcer les exigences posées en matière de prévention.
S'agissant de l'invocation du principe de précaution dans le contentieux de la responsabilité pénale, il faut répondre très clairement qu'il ne saurait en être ainsi, puisqu'un texte constitutionnel n'est pas un texte d'incrimination pénale, en application du principe selon lequel la loi pénale est d'interprétation stricte.
Enfin, bien que l'article 5 soit d'application directe, il convient de rappeler que cela n'interdit pas au législateur d'intervenir pour préciser les conditions de mise en oeuvre des procédures d'évaluation ou encore les critères d'adoption des mesures par les autorités publiques. La commission des affaires économiques, dans sa très grande majorité, souhaite l'intervention rapide d'une loi permettant de lever toutes les équivoques. Là encore, monsieur le ministre, je me permets d'insister sur ce point, car il a été au coeur des préoccupations de la commission des affaires économiques.
Après un débat très riche et varié, la commission des affaires économiques a émis un avis favorable à l'adoption de ce projet de loi constitutionnelle qui constitue, comme l'a souligné M. le garde des sceaux, « une révolution, mais une révolution sereine ». La charte de l'environnement reprend un corpus de droits qui existent déjà tant dans notre droit national que dans le droit communautaire, afin de leur donner plus de cohérence et inscrire résolument la préservation de l'environnement dans une démarche de développement durable.
En outre, je suis convaincu que les entreprises qui auront su intégrer la prise en compte de l'environnement dans une stratégie de développement durable y gagneront un crédit et des parts de marché supplémentaires, ce qui constitue autant d'atouts dans le contexte actuel de concurrence économique exacerbée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire : 80 minutes ;
Groupe socialiste : 44 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 19 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 16 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social, européen : 13 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe : 8 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la semaine du développement durable s'est ouverte la semaine dernière. Elle a pour objet notamment de renforcer la sensibilisation et l'éducation de nos concitoyens aux problèmes d'environnement.
Le texte que nous examinons aujourd'hui s'inscrit parfaitement dans ce cadre, en fixant des droits et des devoirs environnementaux à tous les citoyens. II prévoit ainsi, dans son article 8, que « l'éducation et la formation à l'environnement doivent contribuer à l'exercice des droits et devoirs définis par la présente charte ».
Je tiens, tout d'abord, à saluer la grande avancée que constitue ce texte. La protection de l'environnement et la préservation de la santé humaine se doivent d'être réaffirmées avec force. A l'heure où les atteintes à l'environnement semblent se multiplier - effet de serre, pollution des nappes phréatiques, marées noires, qui ne sont que des exemples parmi les plus parlants - et où les conséquences en matière de santé humaine sont indéniables, il est temps pour le législateur de prendre en compte la dimension environnementale dans le texte constitutionnel.
Mes chers collègues, nous sommes donc appelés à modifier le préambule de la Constitution, pour la première fois depuis sa rédaction, afin d'y inscrire la référence à la charte de l'environnement.
Il me paraît fondé de viser expressément la protection de l'environnement dans la Constitution. Cependant, je reste un peu dubitatif sur la forme même de la charte qui est soumise à notre examen et qui figure à l'article 2 du projet de loi constitutionnelle.
Je suis tout d'abord dubitatif quant aux places qui y sont accordées respectivement à la nature et à l'homme. En effet, nous sommes quelques-uns dans cette enceinte à déplorer que ce texte fasse primer l'environnement sur l'homme et aille même jusqu'à nier sa spécificité.
En affirmant, dans le premier considérant, « que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l'émergence de l'humanité », ce texte dénie l'intelligence de l'homme, sa capacité d'adaptation ou encore son caractère industrieux.
De même, il semble assimiler l'homme à un apprenti sorcier en précisant dans un considérant suivant qu'il « exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sur sa propre évolution ». Nous aurons l'occasion de revenir sur l'adjectif « croissant ». Je suis plutôt opposé à cette rédaction. C'est pourquoi, avec mes collègues du groupe de l'Union centriste, notamment Pierre Fauchon, je soumettrai à la sagesse du Sénat des amendements visant à modifier ou à supprimer ces deux considérants.
Je suis également un peu dubitatif quant à quelques principes qui sont énoncés, notamment le principe de précaution. Du fait de sa mention constitutionnelle et de la précision rédactionnelle de l'article 5, ce principe deviendra d'effet direct, c'est-à-dire directement invocable devant les tribunaux ordinaires, sans médiation de la loi. Ce principe, malgré les arguments très intéressants développés par les deux rapporteurs, peut paraître dangereux. En effet, la charte constitutionnalisera un principe en devenir, très tributaire, d'une part, des possibilités scientifiques du moment et, d'autre part, de la demande sociale et de l'écho que voudront bien en faire les juges.
Par ailleurs, ce principe brise la notion de preuve, qui est jusqu'à présent l'un des éléments fondateurs du droit de la responsabilité civile reposant sur le triptyque fait générateur- dommage-lien de causalité. En introduisant le principe de précaution dans la rédaction actuelle de la charte, j'ai l'impression que nous lui substituerons un principe de présomption plus ou moins irréfragable.
A l'avenir, c'est le soupçon qui risque de faire office de preuve. Ce soupçon sera de nature double puisqu'il caractérise à la fois l'existence d'un dommage et son caractère grave et irréversible.
J'attire l'attention du Sénat sur le fait que cette révolution probatoire pourrait être contagieuse et s'étendre à d'autres pans du droit commun.
Enfin, au niveau économique, on peut craindre, comme cela a déjà été indiqué, que la multiplication des contraintes et des incertitudes juridiques n'entraîne des ajournements, voire des décisions de refus, d'investissement ou d'implantation de sites industriels à fort potentiel d'emploi.
C'est pourquoi, sans être opposé au principe de précaution, je souhaite que soit insérée une référence à la loi dans l'article 5. Cela permettrait de renvoyer automatiquement le principe de précaution à une définition législative connue, celle de l'article L.110-1 du code de l'environnement issue de la loi Barnier de 1995. Par ailleurs, cette référence cantonnerait l'application immédiate du principe de précaution à la seule protection de l'environnement. Il reviendrait alors au législateur de le décliner autrement, s'il le souhaite, en fonction des secteurs et des risques qui pourraient apparaître à l'avenir.
Enfin, je dois avouer que je suis également dubitatif quant à l'opportunité d'adopter maintenant cette charte de l'environnement alors que, dans le même temps, au niveau européen, un accord sur le traité constitutionnel, qui comporte un chapitre relatif à l'environnement, vient d'être trouvé. Son texte indique en effet : « La politique de l'Union dans le domaine de l'environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l'Union. Elle est fondée sur les principes de précaution et d'action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement et sur le principe du pollueur-payeur ».
Dans ce contexte très précis d'un traité constitutionnel, on peut craindre légitimement que les dispositions de la charte, notamment son article 5, qui s'appliqueront à la France, ne posent un problème d'application et de cohérence avec celles qui sont en vigueur dans les autres pays membres. Ainsi, nous aurons beau nous afficher comme les plus vertueux en matière de prévention et de précaution, nous ne parviendrons pas pour autant à protéger pleinement notre espace national au plan environnemental sans l'insérer dans une réflexion sur l'espace européen.
Ces différents éléments m'ont conduit, ainsi que Pierre Fauchon et les membres du groupe de l'Union centriste, à déposer quelques amendements. En effet, nous pensons qu'un débat doit être engagé devant le Sénat et que sur cette base pourront être levées les réserves que nous émettons aujourd'hui et nous amener à être les plus nombreux possible à ajouter au sein de la Constitution les préoccupations liées à l'environnement et à la santé.
Il me reste enfin à féliciter MM. Gélard et Bizet et les membres des commissions des lois et des affaires économiques de leur travail puisque les questions que je viens d'évoquer ont, bien sûr, été déjà longuement développées au cours de nos travaux en commission. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Charles Guené.
M. Charles Guené. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'émergence récente d'une conscience du risque environnemental, qui prend sa source dans des catastrophes écologiques sans précédent, et l'engagement personnel que le Président de la République a pris à Johannesburg en 2002 nous permettent aujourd'hui d'examiner le projet de loi constitutionnelle relatif à la charte de l'environnement.
La réforme qui nous est proposée répond pleinement au voeu formulé par le Président de la République de voir le droit à un environnement protégé et préservé, reconnu à l'égal des droits de l'homme et des droits économiques et sociaux, énoncés dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et dans le préambule de la Constitution de 1946.
Nous ne pouvons que nous féliciter d'étudier un texte dont l'ambition est de préparer et d'anticiper l'avenir. Il s'agit avant tout de prendre lamesure des risques environnementaux auxquels nous sommes confrontés, alors même qu'ils ne sont pas le résultat de la seule fatalité.
En effet, l'ensemble des études nous démontre que les phénomènes préoccupants que nous observons, comme le réchauffement climatique ou la pollution de l'air, sont le fruit de l'activité des hommes : nous sommes responsables de l'environnement dans lequel nous évoluons. II s'agit d'autant de bombes à retardement.
Les analyses scientifiques montrent, en effet, que les conséquences de certaines pratiques actuelles ou passées n'atteindront leur paroxysme que dans plusieurs décennies. Je pense notamment à la destruction de la couche d'ozone.
Il nous incombe donc de prendre conscience collectivement des risques que nous encourrons si nous n'agissons pas rapidement, afin de répondre efficacement aux risques que nous faisons encourir aux générations futures, en prévoyant, dès à présent, les moyens de préserver l'avenir de notre humanité.
La rédaction de ce projet de loi constitutionnelle a fait l'objet de nombreuses allégations très critiques. Je m'attacherai à démontrer qu'elles sont le plus souvent infondées.
Si l'idée même de donner valeur constitutionnelle au droit de l'environnement n'était pas acquise par tous, la qualité et le cheminement de l'élaboration du texte ne peuvent que convaincre les plus sceptiques du bien-fondé de ses principes.
En effet, le texte a fait l'objet d'une procédure d'élaboration démocratique, en associant la société civile à sa préparation. Tout d'abord, la commission Coppens a rendu un rapport riche de propositions ; elle n'a pas hésité à préciser que « la charte de l'environnement était une nécessité de notre époque, face au constat de la situation actuelle de l'environnement ».
Comme le rappelait voilà quelques instants M. Gélard, plus de 55 000 questionnaires ont été adressés aux acteurs régionaux, et quatorze assises territoriales ont révélé la forte attente des Français qu'un texte encadre enfin le droit à l'environnement.
Nous pouvons donc aujourd'hui remercier le Gouvernement d'avoir su répondre au désir de nos concitoyens et de nous proposer la rédaction d'une telle charte sur le droit de l'environnement.
La charte consacre le principe d'une écologie humaniste, en le portant au plus haut niveau de notre hiérarchie des normes. La constitutionnalisation des principes énoncés dans la charte est le seul et unique moyen de mettre un terme aux dérives craintes et supposées que représente la non-réglementation du droit à l'environnement.
C'est en effet en l'absence d'un énoncé clair que les juges ont développé, sans encadrement législatif, leur jurisprudence. Ainsi, ceux qui pensent que la charte fait encourir un risque croissant de contentieux se trompent parce que, d'une part, en l'état actuel des choses, les menaces contentieuses existent déjà et, d'autre part, la charte encadre bien mieux que par le passé les différentes notions prétendument encore absconses.
Je souhaite revenir sur un aspect fondamental du texte, à savoir la promotion du développement durable figurant à l'article 6.
En effet, le texte de la charte est soucieux de concilier les exigences environnementales et les deux autres piliers du développement durable que sont le développement économique et le progrès social.
Dorénavant, ces trois notions devront être interprétées corrélativement lors de la mise en oeuvre des politiques publiques de l'environnement. Le principe de l'intégration de l'environnement dans les politiques publiques apparaît donc étroitement lié à la notion de développement durable.
La protection de l'environnement ne sera plus un objectif cloisonné dans sa mise en oeuvre, mais devra tenir compte des développements économiques et sociaux. La charte invite ainsi à une conciliation équilibrée entre ces trois moteurs du développement durable, ce qui est une garantie pour l'interprétation à venir du principe de précaution, qui ne pourra être entendu qu'au regard du développement économique et du progrès social.
En permanence, le législateur - mais également les magistrats - devra garder à l'esprit que l'environnement n'est pas un bloc adossé tel quel à notre Constitution, sans interaction avec les autresprincipes fondamentaux. Le pan entier de constitutionnalité que nous souhaitons rattacher aujourd'hui devra toujours être mis en perspective avec l'ensemble des autres droits et analysé corrélativement.
La constitutionnalisation de la charte est un symbole fort. La charte est une nouvelle étape du pacte républicain, un pilier fondé sur le développement durable. Il s'agit d'un choix de société qui affirme notre responsabilité vis-à-vis des générations futures.
La charte, dans son préambule, consacre l'environnement comme patrimoine commun des êtres humains et comme condition essentielle de l'existence de l'humanité. Je n'y vois pas de considérant métaphysique. Ce n'est pas là sa vocation.
La préservation de l'environnement est considérée comme un intérêt fondamental de la nation. L'environnement est, en effet, le patrimoine commun des êtres humains. Et c'est à ce titre de bien commun que la nation tout entière doit veiller à sa préservation.
Dans ses deux premiers articles, la charte énonce les droits et les devoirs de chacun vis-à-vis de l'environnement, à savoir le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé et le devoir de préserver et d'améliorer l'environnement.
Elle définit ensuite les règles normatives qui encadreront le droit à l'environnement : le devoir de prévenir ou de limiter les atteintes qui peuvent être portées à l'environnement et le devoir de réparer les dommages causés à l'environnement.
La charte consacre, par ailleurs, deux grands principes en accord avec l'évolution générale des théories de protection de l'environnement. Il s'agit de la reconnaissance du principe de précaution et de la définition du développement durable, comme une conciliation du développement économique et social et de la protection de l'environnement, ainsi que comme un choix qui doit répondre aux besoins du présent, sans compromettre la réalisation des générations à venir et des autres peuples.
La charte tend aussi à mettre en place diverses mesures pour permettre de rendre effective son application. Il s'agit des objectifs fixés par les articles 7, 8, 9 et 10 : l'éducation et la formation à l'environnement, le droit d'accéder aux informations relatives àce sujet, le concours apporté par la recherche et la cohérence entre la charte et l'action européenne et internationale de la France envers l'environnement.
Je souhaite revenir sur quelques points du texte qui ont fait l'objet de nombreux débats, et qui sont pourtant les raisons essentielles de mon entier soutien à la rédaction proposée.
En premier lieu, il s'agit de l'inscription dans notre droit du principe de précaution.
La charte affirme de façon raisonnée ledit principe à l'article 5. C'est la première foisqu'un texte de valeur constitutionnelle mentionne et définit cette notion.
Pourtant le principe de précaution n'est pas nouveau : il est le fondement de la Communauté européenne dans le domaine de l'environnement. En France, il est déjà intégré dans notre droit interne. La loi Barnier de 1995 avait défini la précaution. Ainsi, selon l'article L.110-1 du code de l'environnement, « le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ».
Ce principe était néanmoins affecté d'une imprécision. C'est pourquoi l'article 5 de la charte en donne une définition plus précise afin de lutter contre son détournement.
La première erreur des détracteurs est l'idée selon laquelle le principe de précaution serait insuffisamment défini : non seulement le texte de la charte permet de mieux définir que par le passé ce principe de précaution, mais il a le mérite de mieux l'encadrer.
En effet, la précaution est définie comme impliquant la présence nécessaire de deux conditions cumulatives : le risque d'un dommage grave et irréversible et l'absence de certitude de la réalisation du dommage en l'état des connaissances scientifiques.
La définition ainsi proposée par la charte est donc beaucoup plus claire que celle qui était donnée par le code de l'environnement dans lequel ces deux conditions cumulatives n'étaient qu'alternatives. Le texte permet donc d'éviter toute interprétation extensive du principe et de rassurer, en conséquence, ceux qui craignent que le principe ne puisse être invoqué trop facilement.
En l'absence d'adoption de la charte, le risque contentieux serait bien plus important.
D'autres s'inquiètent que l'adoption de ce principe de précaution ferait tendre notre société vers l'application d'un principe d'inaction.
Or le principe de précaution est un principe d'action, rattaché au principe de responsabilité, opposable à une règle d'abstention qui introduirait une logique d'inaction.
Le principe de précaution ne vise pas à éradiquer le risque et à donner une garantie d'absence de tout dommage ultérieur. Il se limite à calibrer l'action en fonction de la plausibilité des hypothèses de risques.
C'est l'exigence de la proportionnalité qui conduit à confirmer le principe comme une norme qui offrira de meilleures chances de défendre, sur la durée et de façon équilibrée, les différents intérêts fondamentaux de la nation.
Le principe de précaution a pour objet de parer, « par l'adoption de mesures provisoires et proportionnées », à la réalisation d'un dommage. Les autorités publiques ont une obligation de moyens et, en aucun cas, une obligation de résultats.
La définition de l'article 5 est donc parfaitement satisfaisante : seul le dommage à l'environnement est concerné par le principe de précaution.
Il ne concerne évidemment pas les risques d'atteinte directe à la santé de l'homme. Je crois qu'il est essentiel de rappeler cette précision, car nombreux sont ceux qui imaginaient que leur responsabilité pourrait être engagée sur ce terrain.
Là encore, l'adoption de la charte permettra de restreindre l'intervention des magistrats puisque subsistait jusqu'alors une ambiguïté quant au lien de causalité existant entre l'environnement et la santé.
Le volet relatif à la responsabilité des autorités publiques a également fait couler beaucoup d'encre.
Les autorités publiques visées par la charte sont l'Etat et les collectivités territoriales. Il est bon de rappeler toutefois que la responsabilité qui leur incombe ne peut être engagée que dans le cadre de leurs compétences.
Les autorités publiques sont donc ainsi fort bien protégées en raison de la définition de la précaution, d'une part, et de l'encadrement de leur responsabilité, d'autre part. L'article 5 ne pourrait donc être invoqué à l'encontre d'une collectivité territoriale sur des décisions qui relèvent de l'Etat, par exemple des autorisations de culture d'OGM.
Concernant le risque de pénalisation des fonctions des décideurs publics, il convient également de se montrer clair. Le risque est nul, et ce pour deux raisons comme l'a excellemment rapporté M. le ministre.
Tout d'abord, la charte ne définit aucune infraction concernant un manquement à la précaution ou à la mise en oeuvre du principe. En raison du principe pénal selon lequel il n'y a pas de poursuite sans définition claire d'une infraction, les élus locaux ne pourront donc être poursuivis sur ce terrain.
De surcroît, les termes de la loi Fauchon sont parfaitement clairs pour les cas relatifs au principe de précaution.
Aucune inquiétude, si légitime soit-elle, n'est fondée puisque, au stade de l'application du principe de précaution, nous ne sommes pas encore au stade du respect de l'observation des règles de prudence et de sécurité.
Enfin, aux termes de l'article 1er de la loi Fauchon, les décideurs ne seraient pénalement responsables que s'ils commettaient « une faute caractérisée qui exposerait autrui à un risque d'une particulière gravité », faute qu'ils « ne peuvent ignorer ».
Là encore, les termes des deux principes de précaution et de la responsabilité pénale des élus sont antinomiques.
Je tiens donc à rassurer les plus sceptiques.
Ce principe de précaution, en dépit de tout ce qui a été avancé, ne doit en aucun cas inquiéter les élus locaux. Bien au contraire, il est de notre devoir de les rassurer au lieu de laisser planer un doute sur cette importante question.
Enfin, un dernier point a attiré mon attention : l'article 9 relatif au concours de la recherche, à la préservation et à la mise en valeur de l'environnement dans le cadre de la mise en oeuvre du principe de précaution.
C'est contre ce dernier volet que les plus vives critiques ont été formulées : le principe de précaution constituerait une menace sur l'innovation et serait synonyme d'immobilisme.
La perspective de l'article 9 est pourtant tout autre. La connaissance scientifique a un double rôle à jouer dans cette ambitieuse entreprise de préservation de l'environnement.
D'une part, elle doit nous éclairer sur l'état réel de notre environnement, de la planète et de l'atmosphère ; d'autre part, elle doit nous permettre de définir et de mettre en oeuvre les moyens permettant d'atteindre l'objectif du développement durable.
L'application du principe de précaution ne devant paralyser ni les activités économiques ni la recherche scientifique, cette dernière contribue, dans des conditions de parfaite transparence, à lever l'incertitude et à permettre de passer des mesures de précaution à des mesures de prévention dès lors que les risques sont évalués et certains.
Comment prétendre que la recherche pourrait bloquer l'innovation ? Si nous nous interrogeons sur la fonction première de la recherche, celle-ci n'est-elle pas d'expérimenter toutes les techniques possibles afin de trouver des réponses aux problèmes et dangers réellement observés ?
Par conséquent, nous ne pouvons omettre d'inclure la recherche au concours de la préservation de l'environnement. Et la charte n'a pas vocation à conférer une finalité particulière aux travaux de la recherche, de manière à stimuler l'innovation, au-delà même de son rôle d'expert scientifique.
Sous le bénéfice de ces observations, nous considérons que ce texte est conforme aux attentes de nos concitoyens. La charte a une réelle ambition pour demain, celle d'élaborer des règles pour préparer le futur.
Sa rédaction même, vous l'aurez compris, ne fait courir aucun risque aux décideurs publics alors même que cet argument a longuement été développé par ses opposants.
Ce texte constitutionnel, au-delà de l'énonciation de principes généraux du droit à l'environnement, prévoit que les objectifs qu'il définit seront mis en oeuvre par le législateur. Une lourde tâche nous attend donc.
Enfin, je me félicite de l'action du Gouvernement en matière d'environnement.
L'adoption de cette charte n'est pas qu'un symbole constitutionnel. Elle est en quelque sorte un vecteur qui doit animer l'action de l'exécutif et du législatif.
Bien au-delà de l'énoncé de ces principes, le Gouvernement n'entend pas arrêter là son action.
Le plan « environnement-santé » et les mesures fortes qui font son ossature démontrent notre détermination à proposer des solutions concrètes pour mettre en oeuvre les principes que nous adoptons solennellement aujourd'hui.
Je tenais enfin à remercier sincèrement nos deux rapporteurs, notamment de leurs apports dans leurs domaines respectifs, juridique et scientifique, de compétences.
C'est donc avec conviction que le groupe UMP votera, dans sa grande majorité, ce texte en ayant conscience de réaliser un acte fort et d'adresser un signe majeur aux générations à venir (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Didier.
Mme Evelyne Didier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les grandes catastrophes écologiques, la pollution de l'air et de l'eau, le débat sur le réchauffement de la planète, pour ne s'en tenir qu'à ces thèmes, ont contribué à faire naître et se développer une conscience environnementale, ont fait grandir l'idée que la protection de l'environnement est une nécessité pour la survie de l'humanité.
Il faut d'ailleurs saluer le travail fait par les associations de défense de l'environnement, qui, inlassablement, depuis de nombreuses années, avec l'aide des scientifiques, ont alerté les pouvoirs publics sur l'urgence à agir.
Nous partageons leur point de vue et affirmons qu'il est possible de mettre en oeuvre des politiques environnementales ambitieuses et adaptées et de produire autrement en respectant l'homme et son environnement. C'est une question de volonté.
Nous partageons cette préoccupation et nous disons qu'il est urgent de prendre en compte dans toutes les politiques publiques, les questions liées à l'environnement.
Pourtant, nous regrettons que le débat qui nous rassemble aujourd'hui se soit focalisé sur le seul principe de précaution sans chercher à s'interroger vraiment sur les causes profondes de cette dégradation accélérée de notre environnement.
Le modèle économique libéral fondé sur la recherche du profit maximum est-il compatible avec la protection de l'environnement ? Nous disons clairement non !
Notre mode de production et de consommation épuise les ressources naturelles, pollue l'eau et l'air, appauvrit la biodiversité. Nous avons atteint un point critique où les capacités de régénération de la planète sont dépassées.
Cela veut-il dire que nous sommes opposés au progrès ? Là encore, nous répondons par la négative.
Cependant, le pillage des ressources naturelles, la recherche de la rentabilité à court terme qui écarte plus ou moins les préoccupations écologiques au nom de la compétitivité de notre économie ne représentent pas le progrès.
La seule véritable préoccupation du MEDEF est la rentabilité pour les actionnaires.
J'en veux pour preuve les préoccupations exprimées, lors de son audition, par M. Seillière qui nous faisait part de ses inquiétudes notamment à propos d'un éventuel élargissement de l'application du principe de précaution à d'autres domaines. Il a parlé de retard de la France, de menace pour la compétitivité, de coût acceptable, de contraintes asymétriques, de pertes de parts de marché
Combien faudra-t-il de catastrophes à M. Seillière pour que les discours changent ?
Le projet de loi constitutionnelle que nous examinons aujourd'hui a pour ambition de répondre à cette préoccupation des Français pour l'environnement tout en lui donnant une dimension universelle en faisant entrer dans la Constitution le droit à l'environnement, ainsi que les objectifs et les principes qui le gouvernent.
La forme choisie par le Président de la République pour mettre en oeuvre le changement constitutionnel est la plus solennelle qui soit.
Il ne s'agit pas moins que de compléter notre Constitution par un texte entier qui se veut peu ou prou l'équivalent de la Déclaration des droits de l'homme. Pas moins. Il s'agit donc d'un acte politique fort, destiné à marquer les esprits. Comme le souligne le rapport de la commission Coppens, « la charte est d'abord une démarche politique avant d'être juridique, dont la portée est éminemment symbolique ».
La volonté de marquer les esprits est évidente.
Si nous sommes d'accord globalement avec le texte de la charte, il nous est cependant difficile de faire abstraction du contexte dans lequel se déroule ce débat et de ne pas avoir à l'esprit le fossé qui existe entre cette démarche et la réalité des faits.
En effet, les actions menées par le Gouvernement sont souvent en opposition avec la défense des droits fondamentaux, à commencer par la casse des droits sociaux à laquelle nous assistons depuis deux ans.
Les crédits de la recherche diminuent alors qu'il faudrait au contraire promouvoir une recherche appliquée, indépendante des industriels, capable de répondre aux besoins des autorités publiques en matière d'expertise.
Le budget de l'ADEME est lui aussi en diminution alors que nous avons davantage besoin de ses savoir-faire.
Les associations de protection de l'environnement ne sont pas mieux loties. J'en oublie sûrement. J'arrête là.
Cependant, je voudrais surtout évoquer l'attitude du Président de la République.
Ses premières déclarations concernant la charte de l'environnement datent de 2001. Elles attestent un projet déjà affiné dans l'esprit du Président.
Pourtant, cela ne l'empêche pas, en septembre 2003, d'intervenir auprès de Bruxelles avec ses complices Tony Blair et Gerhard Schröder pour obtenir un assouplissement de la directive concernant le programme européen Reach, au nom de la compétitivité industrielle de l'Europe.
M. Josselin de Rohan. Sont-ce des délinquants, madame ?
Mme Evelyne Didier. Aujourd'hui, M. Raffarin se déclare en accord avec le programme Reach. Qui croire ? Tout cela fait un peu désordre, vous en conviendrez, monsieur le ministre.
Le travail effectué par la commission Coppens n'est pas à remettre en cause. Elle a permis de confronter puis de rapprocher les points de vue de nombreux experts pour remettre, au terme de ses travaux, une proposition de texte unanimement approuvée par ses membres. Pourtant, de notre point de vue, seule l'adoption de la charte par un référendum pourrait permettre de dire que c'est la volonté du peuple français qui s'est exprimée.
La charte de l'environnement s'inscrit dans le cadre de la promotion du développement durable. Son article 6 l'indique en effet explicitement, le texte amendé par l'Assemblée nationale précisant que les politiques publiques concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social.
L'adoption de la charte de l'environnement consacrera non seulement le pilier environnemental du développement durable mais aussi, par la même occasion, la valeur constitutionnelle du développement économique. Ce n'est pas anodin.
Ne perdons pas de vue, en effet, que l'Union européenne, dans son projet de constitution, souhaite aussi consacrer le développement durable fondé notamment sur une croissance équilibrée et une économie sociale de marché hautement compétitive.
Lorsque l'on sait que le MEDEF se considère comme « le meilleur garant du développement durable », on peut légitimement se demander si ce concept n'est pas, comme le dit l'économiste Jean-Marie Harribey, « une drôle d'intervention qui donne aux pires destructeurs des systèmes sociaux l'occasion d'offrir un visage de bienfaiteurs de l'humanité ».
Et que penser de la démission de Mme Tokia Saïfi, en pleine semaine nationale du développement durable, lorsqu'on sait qu'elle ne sera pas remplacée ?
M. Josselin de Rohan. Elle a été élue !
Mme Evelyne Didier. Certes, elle vient d'être élue mais elle ne sera pas remplacée !
M. Josselin de Rohan. Elle est irremplaçable !
Mme Evelyne Didier. Le projet de loi constitutionnelle, s'il est adopté, consacrera donc un nouveau droit fondamental. C'est un acte symbolique, mais pas seulement. Il est aussi l'occasion, cela a été dit, d'affirmer la volonté de la France de montrer le chemin, de développer une action forte sur la scène internationale, comme ce fut le cas pour les droits de l'homme et du citoyen. Une telle ambition peut impressionner. Ne risque-t-elle pas toutefois d'agacer ici ou là, en dehors de nos frontières ?
On nous dit aussi que l'adoption de la charte permettra d'encadrer le travail du législateur. Dans son rapport, M. Deflesselles explique que c'est sans doute là que réside l'intérêt premier de la charte. Il indique par ailleurs qu'il sera « désormais impossible de ratifier ou d'approuver un traité international dont une disposition aurait été déclarée contraire aux principes de la Constitution ». Vous savez, monsieur le ministre, que ce point fait débat, encore plus peut-être depuis la dernière décision du Conseil constitutionnel, qui fut diversement interprétée. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous éclairer sur ce sujet ?
Si la charte peut asseoir notre droit de l'environnement, elle ne peut constituer l'ultima verba. En effet, certains articles renvoient explicitement à la loi. Par ailleurs, si l'article 5 définit les procédures d'application du principe de précaution, il appelle lui aussi le travail du législateur. Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire si le Gouvernement a l'intention de soumettre rapidement au Parlement de nouveaux projets de loi qui prolongeraient et compléteraient ce texte ou si la volonté présidentielle s'arrête à la charte de l'environnement ?
Par ailleurs, certains ont peur des excès que l'application de l'article 5 pourrait engendrer. Ainsi, Michel Prieur indique dans son rapport que « le texte encadre strictement le principe en posant des conditions de fond et de forme très précises qui le rendront juridiquement difficilement et rarement applicable. »
Selon vous, monsieur le ministre, dans quels domaines le principe de précaution est-il susceptible d'être vraiment appliqué ? Pour notre part, nous défendrons un amendement visant à appliquer le principe de précaution lorsque le dommage est susceptible d'être grave ou irréversible. Nous estimons qu'une seule de ces deux conditions est suffisante pour déclencher les procédures.
Une autre de nos interrogations porte sur le texte adopté à l'Assemblée nationale, qui invite à évaluer les risques avant d'adopter des mesures. Ma collègue Marie-Claude Beaudeau reviendra plus précisément sur ce point.
Nous regrettons enfin qu'une mention explicite à la santé humaine ne figure pas dans l'article 5. Bien entendu, il s'agit d'une charte de l'environnement. Mais, si cette charte est bien d'inspiration humaniste, comme cela a été dit, elle dispose que la protection de l'environnement vise d'abord à consacrer le droit pour l'homme de vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé.
Après son examen par l'Assemblée nationale, l'article 1er du projet de loi constitutionnelle prévoit désormais que chacun a le droit de vivre dans un environnement « respectueux de la santé », comme si nos collègues de l'Assemblée nationale avaient de la santé une idée vague et générale.
Pourtant, la liste des atteintes à la santé liées à la dégradation de notre environnement s'allonge chaque jour. Récemment encore, l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale nous alertait sur le nombre de décès dus à la pollution atmosphérique. Les scientifiques signataires de l'appel de Paris nous interpellent sur les dangers de la pollution chimique. Qu'on le veuille ou non, la santé est bien au coeur de la question de la qualité de notre environnement, et plus particulièrement la santé dans le monde du travail. Ma collègue Marie-Claude Beaudeau, qui connaît bien ce sujet, vous interpellera également sur cette question.
Le Premier ministre en est d'ailleurs lui aussi convaincu, si l'on en croit ses déclarations lorsqu'il a présenté cette semaine le plan national santé-environnement, sorti juste à temps pour la conférence de l'OMS à Budapest. C'est un premier pas positif qu'il ne s'agit pas de dédaigner. Cependant, vous conviendrez que le budget alloué à ce plan, ainsi que le calendrier présenté ne sont pas à la hauteur d'un des problèmes de santé publique les plus préoccupants et les plus lourds auxquels nous devrons répondre dans les décennies à venir.
Je ne voudrais pas terminer mon propos sans saluer le travail qu'ont effectué MM. les rapporteurs. Après tous les débats qu'a suscités la charte, ils ont en effet su faire le point de manière claire sur ses diverses interprétations, facilitant ainsi notre compréhension du sujet. Mon propos sera complété par une intervention de notre collègue et ami Paul Vergès. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la protection de l'environnement par une charte est une nécessité pour tous les gouvernements, car l'avenir de la planète est de plus en plus une question grave du fait de deux phénomènes majeurs : d'une part, l'accroissement de la population mondiale, d'autre part, la volonté légitime des pays en voie de développement d'accéder à des niveaux de vie meilleurs, ce qui implique en particulier des consommations d'énergie, d'eau et d'espace par habitant largement supérieures à ce qu'elles sont actuellement.
II est essentiel que les pays les plus riches réagissent en mettant en place une stratégie de développement durable, qui soit économe en biens rares et qui modifie le moins possible les équilibres naturels.
Il faut agir avec détermination.
Voilà près de treize ans, à cette tribune, je demandais à l'Etat et aux pouvoirs publics de donner l'exemple en s'équipant en véhicules électriques, afin de diminuer la pollution en ville et l'effet de serre.
L'industrie française aurait alors pu devenir la première au monde dans ce secteur. Aujourd'hui, treize ans après, pour ne pas polluer en ville, il faut marcher, aller à bicyclette ou acheter une Toyota Prius ! Attendrons-nous encore ? Nous savons que le changement de climat s'accélère. Ceux qui pensent qu'il s'agit d'une perspective lointaine se trompent.
Les tornades tropicales, les inondations catastrophiques ont souvent lieu dans des zones éloignées, asiatiques, africaines, américaines. Mais cela se produit aussi parfois en Europe. Le changement est en cours.
J'applaudis donc à la taxation des véhicules les plus polluants et à l'aide aux plus propres. Il faut aller plus loin en prévenant les constructeurs qu'il ne s'agit là que d'un premier pas, pour qu'ils se préparent à temps.
Comment convaincre les milliards d'habitants de Chine, d'Inde et d'ailleurs de ne pas utiliser des véhicules et des poids lourds si nous-mêmes ne faisons rien pour éviter que les zones à climat tempéré de la planète ne disparaissent, que le Gulf Stream ne s'arrête, que le Niño ne s'emballe et qu'une partie de l'Antarctique au-dessus de la mer de Ross ne s'effondre ? Il y a là un problème extrêmement grave et brûlant.
Bravo pour le plan climat, bravo pour la vigueur éventuelle de la recherche dans le domaine de la prévention, par exemple les actions de l'ADEME, l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, du Centre scientifique et technique du bâtiment, du groupement EDEN en faveur d'une prise de conscience énergétique accrue, pour l'accélération de la recherche dans le domaine biologique, en vue d'une meilleure prévention.
En revanche, je dois avouer que la brillante éloquence, tant de M. Perben que de MM. les rapporteurs Patrice Gélard et Jean Bizet, en faveur du principe de précaution sont loin de m'avoir convaincu.
L'enfer, dit-on, est pavé de bonnes intentions, mais qu'en sera-t-il dans la réalité de l'inscription d'un principe dont la définition reste tout de même incertaine ? Je suis personnellement plus familier avec des principes physiques démontrés tels que le principe d'incertitude de Heisenberg ou le principe de moindre action de Maupertuis.
Que représentera dans l'esprit de nos populations, de notre système judiciaire, du Conseil constitutionnel un principe aussi curieux ? Il me semble inquiétant d'instaurer un principe de précaution en cas de risque inconnu.
L'excellente présentation de la revue Risques de mars 2004 montre que, en fait, la plupart des esprits, y compris les meilleurs esprits juridiques, sont sur ce point très incertains.
M. Guy Canivet, Premier président de la Cour de cassation, indique en citant Denis Mazeaud que serait engagée sans bénéfice du doute la responsabilité de ceux qui n'auraient pas anticipé, prévenu et neutralisé des risques dont l'origine serait des potentialités inconnues de dommages. Une responsabilité sous bénéfice du doute, c'est tout de même très nouveau et très inquiétant.
Il cite d'ailleurs à cet égard l'effet de serre et les pollutions marines, qui, à mon sens, relèvent en réalité non pas du principe de précaution, mais du principe de prévention. Cela signifie-t-il qu'il faut immédiatement déclencher un moratoire sur tout ce qui contribue à l'effet de serre : les centrales thermiques fonctionnant avec des carburants fossiles, le chauffage au gaz ou au mazout ? Cela entraînerait tout d'abord une délocalisation massive des industries qui consomment de l'énergie, notamment les plus polluantes d'entre elles, les industries pétrochimiques ou lourdes. Cela est inquiétant ! Cela entraînerait ensuite la délocalisation de pôles de compétences en recherche, comme le pensent nombre de scientifiques.
A cet égard, j'ai rencontré la directrice de l'Institut national de la recherche agronomique, l'INRA, qui m'a dit avoir déjà été condamnée en première instance par un tribunal au motif qu'elle avait découvert un principe pathogène dans une plante importée de Grèce. Elle n'a certes pas été condamnée en appel, mais cela prouve bien que, dans ce domaine, l'incertitude règne dans les milieux juridiques.
M. Philippe Arnaud. Absolument !
M. Pierre Laffitte. Le principe de précaution s'appliquant à des risques inconnus, le décideur devra apporter la preuve de l'absence de risques. Dans la vie de l'homme sur terre, l'absence de risques n'existe pas. Se déplacer en voiture ou en avion est un risque.
Or, aucune recherche, aucune innovation ne peut avoir lieu s'il faut au préalable démontrer qu'elle ne comporte aucun risque. Des dommages économiques et sociaux gravissimes peuvent résulter d'une application inconsidérée du principe de précaution.
Certes, dans leurs brillantes démonstrations, MM. les rapporteurs ont dit que cela ne se passerait pas ainsi. Mais, dans un pays qui n'a pas la culture du risque, où il est difficile de développer l'esprit d'entreprise, est-il réellement prioritaire d'inscrire ce principe dans la Constitution, avec les dérives éventuelles que cela pourrait entraîner, que d'éminents juristes prévoient d'ores et déjà, comme la prise de pouvoir par d'autres ?
L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et son conseil scientifique ont réalisé, chaque fois que se présentait un risque éventuel, des études de très haute portée et ont largement évalué les risques et les dommages correspondant aux saisines qui leur étaient confiées. Leurs rapports font foi dans le monde entier. On voit mal les instances judiciaires se doter de travaux comparables et aussi solides pour les multiples cas qui leur seraient soumis par les associations, par les médias, dans des domaines où l'émotion trop souvent l'emporte sur la raison.
Car qui peut croire que le nouveau pouvoir donné au juge constitutionnel restera lettre morte alors l'exposé des motifs de la charte précise que les dispositions devront être mises en oeuvre par l'ensemble des juridictions administratives et judiciaires ? Un juriste de renom l'a d'ailleurs relevé dans la revue Risques que j'ai citée tout à l'heure.
Si j'applaudis à l'inscription de précautions renforcées dans une charte de l'environnement sévère, réaliste et assortie des mesures d'application les plus drastiques possible, je ne crois pas en revanche que l'inscription du principe de précaution, qui, étonnamment, obligerait à apporter la preuve que les risques sont nuls, soit une bonne mesure. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est un texte singulier que celui qui nous est aujourd'hui présenté avec tant d'insistance. Car, sur le principe, tout le monde est d'accord avec son principe : inscrire dans notre Constitution l'objectif de valeur constitutionnelle de la sauvegarde et de l'amélioration de l'environnement. Je ne vois pas qui refuserait d'y souscrire !
Ce texte correspond au moment où nous en sommes de notre histoire et, comme M. le rapporteur l'a dit, nombre de pays européens ont inscrit cet objectif dans leur Constitution.
Je relève d'ailleurs que, depuis longtemps déjà, on trouve dans les programmes et les propositions du parti socialiste cette référence à une inscription dans la Constitution du principe de la sauvegarde de l'environnement.
Chacun sait cependant que nous n'avons pas la maîtrise de la Constitution : le Sénat voit d'un oeil généralement peu amène les propositions de révision constitutionnelle qui émanent de la gauche, même quand cette dernière est majoritaire à l'Assemblée nationale, et j'ai de cela quelques souvenirs personnels.
Ce n'est pas le cas aujourd'hui, alors que le Gouvernement propose au Sénat un texte dont je disais tout à l'heure qu'il me paraissait singulier eu égard au choix de la technique constitutionnelle. Pourquoi en effet être allé rechercher cette idée d'une charte constitutionnelle - sauf erreur de ma part, les deux termes n'ont jamais été accolés depuis la Restauration - de l'environnement « adossée » à la Constitution, notion qui, indiscutablement, est originale en droit constitutionnel ?
Ce n'est pas la bonne formule.
Le texte que vous nous soumettez aujourd'hui avec tant d'enthousiasme me paraît pouvoir se résumer - que ses auteurs me pardonnent ! - en trois mots : la suffisance, l'inutilité et la confusion.
M. Michel Charasse. Un vrai costume trois pièces !
M. Robert Badinter. Le principe, je le répète, est juste, mais il est entaché par ces trois défauts.
J'évoquerai d'abord la suffisance. L'emphase avec laquelle ce texte est présenté comme l'équivalent des grands textes fondamentaux de notre ordre constitutionnel est inouïe !
Voilà qu'on l'identifie à la grande Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789,...
M. Michel Charasse. Exact !
M. Robert Badinter. ... que tous nos ancêtres républicains qualifiaient, à juste titre, d'immortelle, qui, il faut le dire, est la gloire de la nation française et proclame, dans une langue incomparable, les grandes libertés politiques !
Voilà aussi qu'on compare la future charte au Préambule de la Constitution de 1946, certainement rédigé dans une langue moins belle, mais qui n'en porte pas moins l'empreinte douloureuse des temps que ceux qui l'ont conçu venaient de traverser. Je rappelle que l'assemblée constituante de 1946 était composée pour l'essentiel d'anciens résistants et de représentants de la France combattante qui, tous, voulaient donner à la République nouvelle le contenu social qui lui manquait.
L'heure serait venue d'ajouter, à égalité d'importance - vous voudriez que, après 1789 et 1946, 2004 soit vu comme un temps essentiel du développement des droits de l'homme dans les constitutions françaises -, un troisième volet : cette charte symbolique aurait ainsi la même valeur et la même force que les deux textes, et le premier d'entre eux en particulier, que j'évoquais.
Nous sommes, dans notre paisible Sénat, des législateurs modestes, des constituants laborieux ; je ne pense pas que, dans le cadre de cette session ordinaire de 2004, nous puissions prétendre nous hisser au niveau des grands révolutionnaires de 1789 et des résistants de l'assemblée constituante de 1946 ; je ne crois pas qu'il faille céder, comme auraient dit les Grecs, à la tentation de pareil hubris constitutionnel.
Soyons plus modestes, et soyons aussi plus précis.
Il s'agit d'inscrire dans la Constitution que la protection et l'amélioration d'un environnement équilibré et sain sont des objectifs de valeur constitutionnelle. Parfait !
Je rappelle que nous avons déjà de nombreuses lois sur la protection de l'environnement : la loi « montagne » de 1985, la loi « littoral » de 1986, la loi Barnier de 1995, et nous avons même, depuis janvier 2000, un code de l'environnement. Mais tous ces textes n'ont en effet que valeur législative seulement.
Je le répète, nous souscrivons à l'inscription dans la Constitution, au même titre que la sécurité des personnes et des biens, de cet objectif de valeur constitutionnelle. Nous déposerons à cet fin un amendement destiné à compléter l'article 1er de la Constitution, qui aura le mérite de la sobriété.
En revanche, la voie de l'adossement à la Constitution d'une magna carta, d'une charte constitutionnelle en matière d'environnement ne me paraît pas la bonne voie. Il n'est pas bon d'ajouter à une constitution des annexes auxquelles il est fait référence dans son corps. Il n'est pas plus compliqué d'inscrire dans la Constitution un titre nouveau - nous le proposerons - que d'y accoler un texte voulu comme une totalité. Je crois profondément que l'unité et la clarté de la Constitution doivent être sauvegardées.
Surtout, bornons-nous à être des législateurs constituants responsables au lieu de nous transformer en cette occasion en apôtres d'une nouvelle philosophie.
Cette remarque vaut pour le singulier préambule de la charte, nourri de considérations philosophiques et scientifiques...
M. Michel Charasse. Pseudo-scientifiques !
M. Robert Badinter. ...qui n'ont nullement leur place dans un texte constitutionnel et auxquelles leur inscription dans cette charte donnerait une valeur parfaitement injustifiée.
Comment admettre, à l'occasion de la reconnaissance d'un objectif constitutionnel de protection de l'environnement que vous prétendez faire consacrer « par le peuple français », au nom duquel vous légiférez, des affirmations aussi incertaines par leur contenu que catégoriques dans leur énoncé ?
Je sais bien que, depuis Solon, tous les philosophes se veulent législateurs et que le législateur incline volontiers, dans les meilleurs moments, à un peu de philosophie. Mais, tout de même, que le législateur constituant français évite de consacrer dans la Constitution des vues sur l'origine de l'humanité, sur son avenir, sur la diversité biologique et sur le progrès des sociétés humaines !
Fidèle disciple de Condorcet, je me permets de vous arrêter sur cette voie : ce sont là des concepts dont nous n'avons pas fini de débattre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - M. François Fortassin applaudit également.)
J'entends bien que vous les laissez dans le préambule de la Constitution, mais vous savez aussi bien que moi que le juge constitutionnel ne manque pas, lorsqu'il en a besoin, d'aller chercher dans un préambule la phrase qui lui permettra de dégager un principe constitutionnel dont il saura tirer avantageusement les conséquences pour formuler des avancées ou des censures.
Qu'est-ce qui autorise le Parlement français - nous tous - à se prononcer au nom du peuple français sur les « conditions d'émergence de l'humanité » ?
Gardons-nous de trancher en droit constitutionnel, par conséquent en droit positif, de tels problèmes ! Ceux qui croient en Dieu seront choqués par la proposition et les laïcs, dont je suis - dont nous sommes tous -, rappelleront que le principe de laïcité interdit toute référence dans notre Constitution aussi bien à Dieu qu'à toute conception philosophique ou scientifique qui serait ainsi consacrée par l'Etat républicain. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
Vous avez cité justement le texte de 1789, mais, monsieur le rapporteur, dois-je vous rappeler que le 26 août 1789 la France était encore une monarchie - sur la nature constitutionnelle de laquelle on pourrait d'ailleurs s'interroger - et que, de surcroît, le principe de laïcité n'avait pas pénétré une république encore inexistante ?
Libre à chacun d'entre nous de faire état de ses conceptions dans ses écrits, dans ses propos, dans les colloques, dans les commissions constituées à cet effet, mais, dans sa Constitution, la République doit s'en tenir strictement au principe de laïcité, qui - je renvoie à Condorcet -, quand il s'agit de la Constitution républicaine, signifie la neutralité philosophique et scientifique.
De surcroît, disons-le franchement, le Parlement, si peuplé soit-il de femmes et d'hommes éminents, n'est pas une académie des sciences morales, physiques ou naturelles.
Pour justifier la constitutionnalisation du principe de sauvegarde de l'environnement, vous n'avez donc pas besoin, mes chers collègues, de vous abandonner à ce lyrisme philosophico-scientifique ; gardez-vous des énoncés philosophiques qui n'ont pas leur place ici. Formulons des choix politiques et fondons ainsi le principe constitutionnel que nous désirons voir adopter. Sur ce point aussi, nous déposerons des amendements.
Au-delà de ces proclamations philosophiques, certains articles de la charte s'avèrent en outre complètement déclamatoires.
Portalis, dans une formule lapidaire, s'écriait : « Les lois sont des commandements. » Il avait raison. Proclamer un droit, c'est reconnaître qu'il existe des moyens juridiques de le faire respecter. Or, trop souvent - et cela ne date pas d'aujourd'hui - le législateur contemporain s'abandonne aux délices des déclarations de principe dépourvues de toute effectivité, que leurs auteurs ont tant de plaisir à énoncer.
L'engouement est commun. J'ai repris, justement parce qu'elle est proche de notre texte, la formulation de la loi Lepage du 30 décembre 1996, dans laquelle est reconnu à chacun « le droit de respirer un air qui ne nuise pas à la santé ». Qui serait contre ? Mais comment reconnaître à chacun le moyen de faire respecter le droit ainsi proclamé ?
Les Anglais disent avec raison, à la suite d'ailleurs des Romains, qu'il n'y a pas de droit sans action. Puisque l'on n'accorde pas ici le moyen de faire valoir de tels droits, plutôt que d'écrire dans l'article 1er de la charte que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », mieux vaut mettre à la charge de l'Etat lui-même l'obligation de veiller à la protection d'un environnement équilibré et respectueux de la santé.
J'avancerai le même type de considération mais sans m'y attarder, car nous y reviendrons au long du débat, sur les articles 2, 8 et 9 du texte qui nous est proposé.
De tels articles, de telles proclamations, faute de renvoi à la loi, relèvent simplement de la catégorie des pieuses intentions dont le Journal officiel est le cimetière consacré.
Surtout, le projet de loi constitutionnelle se révèle, à l'analyse juridique, chargé de difficultés d'application en même temps que lourd d'incertitudes et de confusion.
Je me réfère ici, bien entendu, à l'article 5 et à la constitutionnalisation du principe de précaution, déclaré d'application directe.
Reconnaître ce principe et lui donner une applicabilité directe en se dispensant expressément, consciemment, délibérément de l'intervention du législateur, pourtant prévue pour les autres articles - je pense en particulier au principe de prévention -, en prétendant qu'il pourra toujours intervenir plus tard mais que c'est pour l'instant inutile puisque le principe est d'applicabilité directe, c'est négliger la hiérarchie des normes et ouvrir la voie à un désordre juridique que je vais évoquer.
La première difficulté réside dans l'incertitude quant à ceux auxquels le principe s'applique. Vous avez exclu en l'état les personnes privées, notamment les entreprises industrielles et commerciales, et vous avez décidé d'obliger seulement les « autorités publiques » à veiller au respect du principe de précaution.
Ce faisant, et je vous ai d'ailleurs déjà posé la question, monsieur le rapporteur, on introduit dans notre droit - « sans précaution », dirai-je sans jeu de mots - un concept nouveau : les autorités publiques, catégorie nouvelle du droit public, qui ne se confond pas, je suis le premier à le reconnaître avec vous, avec les pouvoirs publics, qui, eux, sont bien connus dans notre droit.
Certes, vous nous en avez donné une interprétation, mais qui ne figure nulle part ailleurs que dans votre rapport : les autorités publiques sont constituées de « l'ensemble des personnes publiques dotées d'un pouvoir normatif, législatif ou réglementaire. A ce dernier titre sont concernés l'Etat et les services déconcentrés, les collectivités territoriales et leurs groupements ainsi que les autorités indépendantes dotées d'un pouvoir réglementaire ». Il aurait été plus simple et plus clair de ne pas introduire de notion aussi singulière, aussi nouvelle dans notre droit, et de se référer à l'ensemble des « personnes morales de droit public » !
Cependant, le véritable risque de confusion s'inscrit ailleurs : il réside dans l'applicabilité directe, innovation majeure et fâcheuse. A ma connaissance, aucune autre disposition constitutionnelle ne reconnaît, à ce jour, un droit subjectif dont des individus ou des associations pourraient se prévaloir directement, sans référence à la loi, à l'encontre des détenteurs de l'autorité publique.
Je pose la question : pourquoi ne pas prévoir que le principe de précaution, comme le principe de prévention, s'exercera dans des conditions prévues par une loi, organique ou ordinaire, débattue et votée par le Parlement ? Pourquoi cette défiance à ce sujet, dans cet article, à l'égard du législateur, quand il s'agit du principe de précaution ?
La question est d'autant plus pertinente que nous sommes en présence d'un concept, on le reconnaîtra, encore mal défini. Vous affirmez qu'il est défini à l'article 5 de la charte : vous me permettrez de vous faire observer que c'est confondre la définition des modalités d'application d'un droit avec la nature et le contenu de ce droit lui-même !
L'application directe de ce concept mal défini va donc se révéler à haut risque pour les autorités concernées. Je prendrai un exemple concret : un maire confronté à un transport de matières dangereuses sur le territoire de sa commune, ou bien à un stockage provisoire de déchets industriels ou nucléaires, ou de déchets industriels polluants, sera-t-il contraint d'agir au titre de l'article 5 de la charte, puisque celui-ci est d'applicabilité directe ?
MM. Patrice Gélard, rapporteur, et Josselin de Rohan. Non !
M. Michel Charasse. Non, jusqu'à ce que le juge dise le contraire !
M. Robert Badinter. Et s'il agit conformément à des textes réglementaires ou législatifs spéciaux, toute association pourra invoquer l'applicabilité directe de l'article 5 et la supériorité de la norme constitutionnelle sur toute autre, et saisir le juge administratif pour réclamer des mesures plus contraignantes et plus onéreuses.
Vous m'objecterez que cette action ne prospérera pas. Mais nous n'en savons rien, en présence des hypothèses que j'ai évoquées ! Ce dont je suis sûr, en revanche, et je le conçois, et je le comprends, c'est de l'activisme des associations ; ce dont je suis convaincu, c'est que l'applicabilité directe de cet article 5 ne manquera pas d'engendrer de telles procédures, avec l'émotion, l'agitation et les coûts que chacun imagine - je renvoie ici à l'expérience de ceux qui ont l'habitude de la gestion des collectivités territoriales, quelles qu'elles soient.
Qui décidera, au regard de l'applicabilité directe de l'article 5 ? Le juge administratif ! A défaut de loi que, à tort d'ailleurs, on appellerait « loi écran », il va être amené, lui, juge administratif, à interpréter directement la Constitution, puisqu'on ne peut appliquer de texte sans l'interpréter. Il sera ainsi devenu juge de la portée de la Constitution et, le cas échéant, fera prévaloir son interprétation sur une loi spécifique dans le domaine de l'environnement.
Dans la rédaction que vous en proposez, et du fait de ce refus, pour moi incompréhensible, d'un renvoi à la loi organique ou ordinaire, l'article 5 signifie à la fois l'abaissement du législateur et la montée en puissance constitutionnelle du juge administratif - qui d'ailleurs n'en demande pas tant - et, au-delà de lui, appelle inévitablement le règne des experts. Car nous sommes dans un domaine où le recours à l'expertise est inévitable pour apprécier le risque encouru et l'efficacité des mesures prises ; il sera prédominant.
On comprendra dès lors que, comme l'ont suggéré et la commission Coppens et nombre de députés - y compris au sein de votre majorité, monsieur le ministre -, nous défendions un amendement tendant à ce que les conditions de mise en oeuvre du principe de précaution ainsi étendu soient définies par le législateur.
Reste une dernière question. Le principe de précaution est inscrit dans l'article 5, et vous nous avez dit qu'il se limitait à l'environnement. Mais, si vous adoptez le texte tel qu'il est proposé, il aboutira inévitablement à la reconnaissance par le juge constitutionnel qu'est admis dans la Constitution un principe de précaution en général.
M. Michel Charasse. Exactement !
M. Robert Badinter. Relisez votre texte : « Les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation... » L'article 5 ne traduit donc que l'application d'un principe général de précaution, mentionné dans la Constitution et qui, en l'occurrence, s'applique à l'environnement. Mais la reconnaissance du principe général est là, et ce principe de précaution, ainsi doté d'une existence constitutionnelle, est voué - et, pour ma part, j'en suis heureux - à déborder sur d'autres domaines, notamment sur le domaine de la santé. Vous n'y échapperez pas ; ou alors, il aurait fallu, évidemment, procéder autrement.
Je vous invite à le faire, mes chers collègues, et je rappelle l'exigence d'une loi ayant pour objet de mettre en oeuvre l'article 5.
Il est souvent question, ici du principe de précaution, là de tel autre... Il en est un en tout cas auquel vous avez clairement manqué dans ce texte : le principe de précaution juridique en matière constitutionnelle.
M. Michel Charasse. Voilà !
M. Robert Badinter. Celui-là, dans ce projet de loi, est entièrement bafoué.
M. Josselin de Rohan. Ils avaient le monopole du coeur, maintenant ils ont aussi le monopole du droit !
M. Robert Badinter. Le groupe socialiste a donc déposé des amendements. Je l'ai dit, il est pour la reconnaissance constitutionnelle de la protection, de la sauvegarde et de l'amélioration de l'environnement, mais pas selon la forme qui nous est proposée, notamment à l'article 5. C'est donc, mes chers collègues, en fonction du choix que vous ferez à propos de nos amendements qu'il déterminera sa position ultime.
Je conclurai en marquant ma surprise, pour ne pas dire plus, qu'avec tant d'éloquence vous ayez, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, à ce point souligné la perfection du texte adopté par l'Assemblée nationale. Permettez-moi de remarquer, maintenant que je suis un « vieux routier » de la vie publique, que c'est la première fois depuis plus de vingt ans que je constate que la Haute Assemblée, qui a dans le domaine constitutionnel le même pouvoir que l'Assemblée nationale - c'est assez remarquable pour être souligné -, est invitée à renoncer à toute amélioration, correction, adjonction,...
M. Michel Charasse. Absolument !
M. Josselin de Rohan. Si le texte est bon !
M. Robert Badinter. ... bref, est invitée à perdre toute liberté de création au moment même où elle débat d'innovations dont il vient d'être relevé qu'elles constituent le troisième volet des textes portant sur les grands principes et sur les grands droits de l'homme.
M. Josselin de Rohan. C'est spécieux !
M. Robert Badinter. Enjoindre au Sénat de voter conforme ce projet de loi constitutionnelle, qui doit devenir le troisième volet du grand triptyque que vous évoquiez et être placé au même rang que la Déclaration des droits de l'homme - rien de moins - et que le préambule de la Constitution de 1946 - qui reprend tous les droits sociaux-, demander à la Haute Assemblée de se taire et de voter ce texte dans la précipitation, tel qu'il est, alors qu'il appelle tant d'interrogations et de précisions, suscite ma perplexité : pourquoi cette hâte ? Pourquoi cette singulière précipitation ? Pourquoi cette invitation à une docilité si surprenante de la part du Sénat, quand il s'agit de l'exercice de son pouvoir constituant ?
Quelle est donc l'exigence prodigieuse de calendrier qui fait que, toutes affaires cessantes, nous devons inscrire dans la Constitution la garantie constitutionnelle du droit de l'environnement ? Où est le péril immédiat ? En fait, j'ai trouvé une réponse : cela me laisse à penser que, pour son allocution du 14 juillet, le Président de la République entend faire état de ce succès-là, à défaut d'autres dont ses drapeaux politiques n'auront pas été couronnés. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon introduction ressemblera fortement à celle de mon prédécesseur - je ne parle pas du talent, naturellement, qui est une autre question.
M. Josselin de Rohan. Vous êtes vous-même très talentueux, mon cher collègue !
M. Pierre Fauchon. Peut-être, mais aujourd'hui, je suis un peu bridé, figurez-vous ! (Rires et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jean Bizet, rapporteur pour avis. Ce n'est pas votre genre !
M. Philippe Richert. Vous faites preuve de modestie, c'est très bien !
M. Pierre Fauchon. Il est rare de se trouver dans une situation aussi embarrassante que celle dans laquelle nous place l'examen du présent projet de loi constitutionnelle.
D'une part, il convient de saluer l'élévation des problèmes de l'environnement au rang des priorités de notre vie publique par son insertion dans la Constitution : tout le monde est d'accord sur son bien-fondé. Mais, d'autre part, la singularité et les risques de paralysie que pourrait receler la démarche proposée appellent de fortes réserves.
En nous invitant à inscrire dans la Constitution la question de l'environnement, dont l'importance grandit en même temps que s'étendent les pouvoirs de l'homme, en plaçant cette question et les insondables problèmes qu'elle pose dans la lumière du principe de précaution, dont les difficultés d'énoncé révèlent à eux seuls l'importance, le Chef de l'Etat prend incontestablement une initiative qui relève de ses plus hautes responsabilités et à laquelle la plupart d'entre nous, je crois pouvoir l'affirmer, adhèrent pleinement. Il rompt ainsi solennellement avec cet autre principe attribué aux « Shadoks » et malheureusement caractéristique de la politique française en maintes circonstances de notre histoire : « A quoi bon chercher à savoir où on va, il sera bien temps de voir quand on y sera ! ». (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. On dirait du Charasse !
M. Pierre Fauchon. Il serait difficile d'être aussi drôle !
Saluons au passage comme une innovation qui mériterait de faire école la mention des devoirs de chaque citoyen à l'égard, précisément, de l'environnement, en même temps que l'énoncé de quelques obligations qui résultent de ces devoirs.
Etant de ceux qui ont toujours déploré un discours politique, et spécialement un discours constitutionnel, dans lequel on ne parle que de droits sans rappeler les devoirs qui en sont le corollaire, je me félicite grandement de voir que le texte proposé n'hésite pas à innover dans ce domaine, mettant ainsi le doigt sur le point faible d'une société qui flatte inlassablement le citoyen dans ses droits et dans ses créances sans jamais oser lui rappeler qu'il est aussi responsable et qu'il a donc des devoirs.
M. le garde des sceaux indiquait tout à l'heure que ce n'était pas si nouveau qu'on pourrait le croire, car déjà en 1789 il était question des devoirs. Je regrette qu'il ne soit plus parmi nous, car je me vois contraint de le contredire légèrement : je ne vois pas grande trace des devoirs dans la déclaration de 1789 et, ayant un peu étudié la biographie de l'abbé Grégoire, j'ai constaté que, s'il avait à l'époque proposé une déclaration des devoirs, celle-ci n'avait pas recueilli suffisamment de voix - environ le tiers - pour être retenue.
Ce n'est que dans la Constitution de l'an III que figure une déclaration des devoirs ; mais, comme ce texte n'a jamais été mis en application, la déclaration est restée lettre morte.
Cela dit, on peut s'interroger : faut-il pour autant sacraliser non seulement l'énoncé d'un principe, mais aussi des considérations dont certaines relèvent de la métaphysique - je ne reprendrai pas la démonstration, qui a été excellemment faite, mais on peut à tout le moins sourire -, en même temps qu'un ensemble de prescriptions dont certains esprits, qui ne sont pas nécessairement irresponsables ni orientés politiquement, M. Laffitte vient de le prouver, craignent qu'ils n'aggravent les embarras - j'emploie à dessein un terme modéré - déjà trop souvent paralysants, de l'action publique et, en conséquence, de l'initiative privée, qui lui est intimement liée.
Ce sont des questions qu'il devrait être permis de poser, pour la simple raison qu'elles s'imposent.
Sans doute fera-t-on observer que, d'ores et déjà, le code de l'environnement - issu de la loi Barnier relative au renforcement de la protection de l'environnement - énonce des prescriptions que la charte ne fait que reprendre, tandis qu'à l'échelon européen, depuis le traité de Maastricht, des règles ont été adoptées qui vont dans le même sens, et qu'il en résulte une situation de foisonnement fantastique de textes de jurisprudence, de décisions, foisonnement d'ailleurs rebelle à toute analyse et même à tout inventaire.
Est-ce une raison pour ajouter à ce foisonnement et à la confusion qui en résulte des rédactions nouvelles qui, revêtues de l'éminente dignité constitutionnelle, ne manqueront pas d'aviver les difficultés, avec le grave inconvénient, d'être des dispositions immuables. En effet, si la loi ordinaire ou organique peut toujours être amendée - ce dont nos travaux fournissent quotidiennement et inlassablement l'exemple -, la loi constitutionnelle, une fois adoptée, devient quasiment intouchable.
Tout le monde admet qu'il y aura des contentieux, mais espère que les décisions finales ne seront pas dramatiques. Soyons sérieux ! Nous savons tous que les issues de telles affaires sont incertaines et que, parfois, même les thèses les plus absurdes se font jour et pensons au simple risque de voir se multiplier les recours. Ainsi, la délivrance de permis de construire, la construction de routes, la réalisation d'ouvrages seront inlassablement attaquées : on objectera que les études nécessaires n'ont pas été menées à bien pour protéger les crapauds, les grenouilles, le ciel, la terre...
M. Michel Charasse. Et les coléoptères en plein vol !
M. Pierre Fauchon. C'est la cour des miracles que M. Charasse évoque avec le talent qui lui est familier. Nos affaires ne sont-elles pas déjà suffisamment embarrassées ?
N'est-ce pas une raison suffisante de s'en tenir, comme nous allons le proposer, à l'introduction dans la Constitution d'un principe simple, sobrement énoncé, renvoyant à la loi, éventuellement organique, le soin de décliner ce principe dans des dispositions qui pourront ainsi mieux s'intégrer dans le droit existant et bénéficier avec lui d'une souplesse et d'une capacité d'adaptation d'autant plus nécessaire que nous sommes dans un domaine dont la principale caractéristique est d'être mal connu.
La démarche, à coup sûr, serait plus modeste. Elle n'en préserverait pas moins l'idée essentielle du projet de loi et s'harmoniserait mieux avec notre tradition constitutionnelle qui ne comporte pas de tels développements. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen pose un certain nombre de principes comme celui de la présomption d'innocence et renvoie à des lois pour les développer.
Une telle démarche s'inscrirait mieux dans le contexte européen, ce qui semble essentiel au regard du caractère transfrontalier de nombreuses questions. Par ailleurs, il serait fâcheux de nous enfermer, pour les problèmes strictement nationaux, dans des contraintes dont nos partenaires et concurrents seraient affranchis.
Ainsi, le groupe de l'Union centriste soutiendra des amendements dans un esprit dont je tiens à souligner le caractère doublement et profondément positif. En effet, positif il l'est dans la mesure où il souscrit à l'inscription de la protection de l'environnement au rang de nos valeurs et de nos priorités constitutionnelles, mais positif il l'est également dans son souci de voir ce texte amendé. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Les membres de mon groupe, convaincus de la nécessité de mettre en place une véritable politique de protection de l'environnement, mais fermement attachés à affirmer la liberté de leur vote, se prononceront en tenant compte de l'accueil qui sera fait à leurs amendements. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Richert.
M. Philippe Richert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi constitutionnelle suscite en moi trois réactions que je voudrais brièvement commenter : satisfaction, interrogation, exigence.
Satisfaction d'abord de voir l'environnement évoqué à une place centrale, privilégiée, de l'édifice institutionnel. Trop souvent relégué au rang de préoccupation secondaire, l'environnement a parfois été considéré avec commisération comme une préoccupation annexe.
Aujourd'hui, l'environnement bouscule les priorités, jusque-là incontestées, que sont le développement économique et la protection sociale, non pas en remettant en cause leur importance respective, mais en se hissant au même niveau.
Le respect des principes environnementaux n'est plus seulement une formalité annexe dont il convient de s'acquitter, une sorte de péage à respecter pour développer en toute quiétude, mais il constitue dorénavant l'un des axes du principe de développement durable, au même titre que l'économie et le social.
L'environnement conditionne la qualité de vie de nos concitoyens, leur épanouissement - ils nous le rappellent d'ailleurs souvent - au même titre que la satisfaction des besoins économiques et sociaux. Il suffit de se rappeler quelques chiffres pour s'en convaincre.
Il y a quelques années encore, la bronchiolite était une maladie assez rare chez le nourrisson. Aujourd'hui, dans notre pays, 450 000 enfants en souffrent. Ce n'est pas une donnée accessoire pour les familles qui sont amenées à s'occuper de leur quotidien, de leur santé.
Que dire de l'explosion des chiffres de l'asthme ? Aujourd'hui, 250 000 de nos concitoyens en souffrent.
L'an dernier, la canicule a provoqué environ 14 000 décès supplémentaires. Cette catastrophe a sollicité tous les niveaux de pouvoir, mais surtout, elle a mis l'accent sur certaines évolutions de la société, comme la disparition progressive de certains liens traditionnels, du sens du bien commun ou encore du respect de certaines valeurs.
Savez-vous, mes chers collègues, que la pollution atmosphérique est tout aussi mortelle ? Tous les ans, en France, la pollution atmosphérique est responsable de 7 000 à 20 000 décès anticipés.
Pouvions-nous, dans ces conditions, continuer à considérer l'environnement comme un problème annexe ?
L'inscription de la charte de l'environnement en préambule de la Constitution est un acte fort qui, dans quelques années j'en suis sûr, servira de repère dans l'histoire du droit de l'environnement. En effet, loin de se contenter des préoccupations de l'immédiat, cette charte inscrit dans la loi fondamentale l'obligation de préserver l'avenir des générations futures, d'anticiper, de prévenir. Elle entérine aussi, et encadre même, les principes du code de l'environnement, comme M. le rapporteur l'a excellemment dit, à savoir le principe de précaution, le principe d'action préventive, le principe pollueur-payeur, et le droit de chacun de vivre dans un environnement sain.
A mon tour de reprendre la formule du président Chirac à Johannesburg : « La maison brûle et nous regardons ailleurs. »
Oui, mes chers collègues, hier, en 1992, une majorité de décideurs et de scientifiques ignoraient encore le réchauffement climatique, les conséquences des émissions de gaz à effet de serre.
Aujourd'hui, ceux qui en contestent la réalité sont de plus en plus isolés. Les prévisions laissent penser que dans cinquante ans, si les mesures adaptées ne sont pas prises, les conséquences vont se faire sentir dans toute leur diversité et dans toute leur ampleur : cinquante ans, c'est-à-dire nos petits enfants, cinquante ans, c'est-à-dire demain !
Bien entendu, et c'est une autre dimension à laquelle fait référence la charte, le problème est planétaire. Nous voyons bien aujourd'hui la réalité de cette interdépendance et la nécessité d'une réaction qui dépasse le cadre purement hexagonal.
Faut-il pour autant rester l'arme au pied, sous prétexte de ne pas pouvoir faire tout et tout seul, faut-il se contenter d'attendre ?
Avec Joseph Joubert, je voudrais dire que le but n'est pas toujours fixé pour être atteint, mais pour servir de point de mire. Avec cette charte, mes chers collègues, le cap est fixé.
Après la satisfaction, j'en viens aux interrogations.
Certains orateurs brillants ont déjà évoqué le thème central de ces interrogations, c'est-à-dire le principe de précaution.
Nous avons tous de multiples exemples pour illustrer la judiciarisation croissante de notre pays, sur le modèle américain. Aussi, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, j'aimerais avoir l'assurance que cette loi constitutionnelle ne contient pas en germe les éléments favorisant une accélération de cette évolution, dont les premières victimes seraient les décideurs et leurs projets.
En ce qui concerne les élus locaux, j'ai bien noté la distinction entre le principe de prévention et le principe de précaution. Il faudra néanmoins s'assurer que les garanties que nous avons apportées aux élus et aux responsables avec la loi Fauchon du 10 juillet 2000 ne seront pas amoindries ou remises en cause par cette loi constitutionnelle.
Au chapitre des interrogations, je voudrais dire également qu'il me paraît délicat de sanctuariser trop de textes de loi en les inscrivant dans la Constitution. Nous retouchons souvent notre loi fondamentale, et il ne paraît pas souhaitable de continuer à alourdir inutilement la Constitution par des textes successifs. Aujourd'hui, c'est l'environnement, demain, ce sera la culture ou d'autres éléments constitutifs de l'équilibre de l'homme ; en réalité, plus nous accroissons le domaine constitutionnel, plus nous augmentons la probabilité d'avoir à le retoucher régulièrement. Il y a excès de lois, on nous le rappelle souvent, il ne faudrait pas en venir à l'excès de révisions constitutionnelles.
J'en viens maintenant aux exigences.
L'inscription de cette charte dans la Constitution, pour importante qu'elle soit, n'est pas une fin en soi ; elle est une garantie, le signe tangible d'une volonté. Mais les grands principes qui sont évoqués se déclinent ensuite dans les lois, les règlements, le budget. L'effet bénéfique ne peut donc être total ou réel que s'il y a concordance entre la politique déclinée au quotidien et les grands principes qui sont affichés.
L'annonce faite il y a quelques jours en ce qui concerne le bonus-malus pour les voitures propres ou polluantes en est un exemple, et l'on comprend bien la cohérence de l'action qui est ainsi déclinée.
Les réflexions relatives à la fiscalité écologique dont il a été question lors d'un colloque que j'ai organisé au Sénat il y a quelques mois sont riches de propositions. Elles méritent d'être approfondies : elles montreront que ce principe constitutionnel que nous inscrivons est bien en amont des grandes décisions que nous avons à prendre pour, ensuite, permettre de décliner au quotidien les actions qui seront autant d'engagements concrets sur le terrain.
L'action de l'ADEME, tant pour ce qui est de la pollution atmosphérique que des gaz à effet de serre ou encore des déchets, se doit d'être confortée, et les priorités clairement définies. La politique de l'eau, enjeu ô combien important de ces prochaines décennies, mérite, elle aussi, d'être déclinée au regard des objectifs et des impératifs de cette charte.
Autant de défis, autant de politiques qui nous permettront, dans les mois qui viennent, de nous retrouver et de confronter nos analyses, nos espoirs et nos craintes pour le bonheur de nos concitoyens et la préservation de la planète pour les générations à venir.
Tel est l'enjeu de cette révision constitutionnelle que nous voulons aujourd'hui engager. Je suis persuadé que tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté voudront y apporter leur soutien dans le cadre des grandes orientations qui sont données, mais également au quotidien. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Paul Vergès.
M. Paul Vergès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle relatif à la charte de l'environnement nous invite à une réflexion sur un enjeu de civilisation.
Ce texte nous conduit à nous interroger sur les grandes forces qui vont agir au cours des prochains siècles, sur les mouvements de fond pas toujours visibles, mais déjà en action, qui remettent constamment en cause la réalité et façonneront l'existence commune des hommes au cours des prochains siècles.
Ce projet de loi constitutionnelle nous oblige, au-delà de la fureur des débats et des faux événements qui agitent le « microcosme », à porter notre regard au-delà de l'horizon des prochaines décennies, pour prendre la mesure des bouleversements qui menacent tous nos héritages et mettent en péril l'avenir même de l'humanité.
En effet, les effets combinés de la transition démographique actuelle, des changements climatiques et de la mondialisation, comme les questions posées par la sécurité alimentaire ou la génétique du vivant, sont de ces mutations qui appellent une vision renouvelée des rapports entre l'homme, la science, la nature et le monde. Elles appellent surtout une redéfinition de la notion même du progrès et, en définitive, une autre manière de concevoir l'économie et les modes de règlement politique.
Il faut véritablement aujourd'hui une « révolution copernicienne » des esprits qui puisse permettre une prise de conscience de ces enjeux à tous les niveaux.
A cet égard, je crois pouvoir dire que la conférence de Rio, réunie en 1992, fut un moment fondateur dans la prise de conscience à l'échelle planétaire que la conception du développement prévalant jusqu'alors conduisait le monde vers une impasse qui pouvait être mortelle. A travers un acte réel de civilisation, les chefs d'Etat du monde entier ont, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, reconnu la vulnérabilité de l'espèce humaine, ainsi que sa responsabilité directe dans les atteintes portées aux équilibres fondamentaux de la planète, au niveau tant de la biodiversité que du climat.
Si l'homme est comptable devant les autres hommes et devant les générations futures, il est aussi responsable devant les autres espèces qui font la vie. L'engagement pris à Rio, et réitéré à Johannesburg, de protéger la planète et l'ensemble des espèces contre la capacité humaine de destruction marque une rupture fondamentale dont nous n'avons pas fini de mesurer la portée.
Cette prise de conscience planétaire résulte essentiellement de l'alarme qu'a sonnée la communauté scientifique. Elle tire les conséquences du travail des experts, aujourd'hui unanimes à reconnaître que le rejet massif de gaz carbonique dans l'atmosphère pour les besoins de l'industrialisation induit des modifications climatiques porteuses de graves menaces contre la planète.
Or, depuis le début de l'ère industrielle, les rejets de gaz à effet de serre n'ont cessé de croître. Malgré les engagements pris, la plupart des pays industrialisés sont encore très éloignés des objectifs définis à Rio, à savoir la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre au niveau atteint en 1990.
Dès lors, comment demander à des pays du tiers-monde qui aspirent au développement de réparer les crimes contre l'environnement sur lesquels les vieilles puissances industrielles ont assis leur puissance actuelle ? Nous sommes face à une contradiction qu'il faudra savoir dépasser.
Si, aujourd'hui, 20 % de la planète consomme 80 % de l'énergie mondiale, qu'en sera t-il vers 2050 quand il faudra répondre aux besoins en énergie de dix milliards d'êtres humains et aux besoins engendrés par le développement des géants comme la Chine ou l'Inde ?
Il n'y a pas d'autre solution que de maîtriser la consommation des ressources énergétiques épuisables et de pousser encore plus loin la recherche pour le développement des énergies non polluantes.
Au-delà des proclamations, ce sont nos conceptions mêmes du progrès que nous avons érigées en modèle, qui sont aujourd'hui périmées et qu'il faut remettre en cause. Nous savons tous que l'extension à l'échelle mondiale de nos modes de production et du mode de vie occidental, qui est fondé sur la consommation, conduira la planète à une impasse.
Aujourd'hui, il s'agit donc de savoir comment nous allons pouvoir adapter les conquêtes techniques accumulées au cours des siècles à un monde totalement bouleversé et offrir un nouveau modèle de développement respectueux de l'environnement et de la santé des hommes. Dans ce monde nouveau, il est urgent de faire émerger et de faire respecter une éthique du progrès et du développement. En cela, parce qu'il porte en lui les éléments d'une remise en cause de nos héritages dans tous les domaines, le champ de l'environnement est révolutionnaire.
La consécration dans la Constitution de ce que « l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel », que « l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains », que « l'homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sur sa propre évolution » s'inscrit dans le strict prolongement du nouvel ordre promu à Rio.
Cette consécration constitutionnelle vient ainsi soutenir les efforts déployés à tous les niveaux depuis le Sommet de la planète pour faire triompher une approche durable du développement. Au niveau local, cela s'est traduit par les « Agenda 21 » élaborés par plusieurs régions, en particulier par la Réunion. Au niveau national, cela s'est traduit par une législation importante qui donne peu à peu corps à un véritable droit de l'environnement.
Je dois rappeler que notre Haute Assemblée n'a pas failli à cette tâche, en prenant notamment l'initiative de la loi tendant à conférer à la lutte contre l'effet de serre la qualité de priorité nationale et portant création d'un observatoire national sur les effets du réchauffement climatique.
Au-delà des réserves souvent pertinentes émises sur certains aspects du projet de loi, notamment sur le principe de précaution, l'essentiel ne peut être occulté.
En effet, la portée de ce projet de loi constitutionnelle va bien au-delà des interrogations actuelles qu'il peut susciter : donner valeur constitutionnelle au droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé constitue à l'évidence une avancée majeure. Ce texte indique clairement le choix symbolique fait par la France d'un modèle de développement durable, respectueux de l'environnement, de la biodiversité et de la santé des hommes. Tout l'enjeu consiste à présent à ancrer ces principes dans la réalité.
La portée de ce texte est aussi universelle. Car, comme dirait le philosophe, ce texte parle aussi à la place des plantes et des animaux sans voix.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'enjeu est majeur, mais simple : soit l'humanité saura trouver dans un sursaut collectif la voie de la civilisation, soit, au contraire, elle poursuivra sa marche, celle des aveugles conduite par des aveugles, vers un suicide collectif. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'ancien astronaute Jean-Pierre Haigneré déclarait tout récemment : « A cent kilomètres, on voit la Terre avec du recul. Je pense que les personnes qui auront la chance de voler à bord d'appareils comme SpaceShipOne prendront conscience de la beauté de notre planète et redescendront sur Terre avec une vision changée de l'environnement ». Le Président de la République n'a pas eu besoin de participer à un vol sous-orbital pour prendre conscience de l'importance de l'environnement et nous appeler à prendre nos responsabilités.
Aujourd'hui, nous avons une vision précise du sujet : les dernières découvertes scientifiques, et notamment le programme européen de forage en Antarctique EPICA, qui a révélé 740 000 ans de climat, confirment que l'activité humaine précipite le réchauffement de la planète.
Devant la dégradation de l'environnement, nous ne pouvons rester passifs et nous devons prendre nos responsabilités à l'égard des générations futures. La réponse constitutionnelle permettra de sensibiliser les Français aux questions environnementales, mais je voudrais m'interroger sur deux points : l'égalité entre le droit à un environnement sain et les autres droits figurant dans le préambule de la Constitution ; le principe de précaution inscrit à l'article 5 de la charte.
Tout d'abord, les droits politiques et économiques et le droit à un environnement sain sont-ils du même ordre ? Ces droits historiques sont une conquête majeure. Ne devons-nous pas préserver leur spécificité fondamentale ?
Ensuite, dans ce texte, il s'agit de trouver un équilibre entre toutes les mesures de prévention contre les actions ayant une incidence négative sur l'environnement et un usage pragmatique de la précaution.
Vraisemblablement, si le principe de précaution avait été inscrit dans notre Constitution lors de sa rédaction initiale, et donc élevé en principe de valeur constitutionnelle d'applicabilité directe, il aurait été difficile de construire les autoroutes ou le TGV. De toute évidence, le recours à l'énergie nucléaire aurait été écarté au regard de l'insuffisance des connaissances sur le traitement des déchets ; c'est pourtant la forme d'énergie qui permet de lutter le mieux contre l'effet de serre, tout en rendant possible la satisfaction de besoins croissants, en France comme à l'étranger.
Le principe de précaution, qui se situe au-delà de la prévention, paraît receler, quelles que soient les subtilités oratoires qui ont été utilisées, un potentiel négatif s'agissant du développement et de la recherche, alors qu'agir avec précaution et de la façon la plus rigoureuse doit offrir un degré suffisant de protection.
Il paraît plus prudent et, si j'ose dire, plus précautionneux, de nous appuyer sur le bon sens et les connaissances scientifiques actuelles, en évitant de recourir à un principe qui pourrait rigidifier l'activité humaine et notre économie.
Qui plus est, nous devons prendre en compte le caractère international de la question environnementale : si 119 Etats ont ratifié le protocole de Kyoto, rappelons qu'il n'est toujours pas ratifié par les Etats-Unis, que la Russie n'est pas en mesure de l'appliquer, que les pays en voie de développement, l'Inde et surtout la Chine, ne sont pas tenus de l'appliquer. Finalement, seuls l'Union européenne et le Japon jouent la carte du respect des conventions internationales. Notre économie ne doit pas souffrir d'une distorsion de concurrence dans la mondialisation, par la trop grande contrainte qu'elle s'imposerait.
Nous ne pouvons demander aux pays en développement d'observer des règles que nous n'avons pas appliquées jusqu'ici ; toutefois, pour manifester notre volonté de solidarité internationale et notre prise de conscience d'un patrimoine commun, nous devons affecter à certains de ces Etats des crédits spéciaux destinés à les aider à respecter les normes environnementales internationales.
Plus que jamais, l'homo sapiens sculpte le nouveau visage de la Terre. Il faut du courage et de la générosité pour faire des choix à moyen et à long terme. Mais il ne faut pas ignorer les incidences d'une probable jurisprudence qui, entre autres, risquerait d'inquiéter les maires devenus responsables de toutes les formes d'implantations sur le territoire de leur commune. Certains organismes de crédits hésitent déjà à participer à des projets paraissant offrir toutes les garanties pour le présent : ils hésiteront davantage si le principe de précaution est adopté, puisqu'il est impossible d'épuiser toutes les hypothèses s'agissant des conséquences possibles sur l'environnement.
Une prise de conscience était nécessaire devant la dégradation de l'environnement mondial. Si la France doit montrer l'exemple en se soumettant à toutes les exigences de la prévention et à toutes les précautions, il faut sans doute qu'elle se donne du temps pour inscrire dans sa Constitution le principe de précaution. C'est vrai, notre maison brûle et nous ne pouvons pas regarder ailleurs, mais si ce texte propose une avancée sauvegardant le futur, il ne doit pas entraîner un recul scientifique, économique et donc social. (Applaudissements sur les travées du RDSE. - M. Saunier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. « Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi. »
Avec cet article 4 de la charte de l'environnement, la question fondamentale de la responsabilité des acteurs économiques est implicitement posée.
Mais, monsieur le ministre, votre approche du traitement de ces responsabilités ne nous paraît pas à la hauteur de l'enjeu qui est posé, non plus que des défis auxquels notre société est confrontée. Car, face à la montée des risques environnementaux, les politiques publiques ont, à ce jour, très largement montré leurs limites face aux dérives inquiétantes des comportements opportunistes constatés sur le terrain économique, avec toutes les conséquences, parfois dramatiques, que l'on sait.
Citer ici les noms du Torrey Canyon, du Bolen, de l'Amoco Cadiz, de l'Exxon Valdez, du Prestige ou de l'Erika suffit à illustrer, pour un seul secteur d'activité, la lutte inégale du pot de terre environnemental - en l'occurrence littoral - contre le pot de fer que constituent certains groupes financiers ou multinationales sans scrupule.
On ne peut dès lors qu'être surpris de constater qu'au moment d'adosser à notre Constitution une charte visant à renforcer la protection de l'environnement, le principe pollueur-payeur ne figure explicitement dans aucun des articles. C'est pourtant un principe largement connu et apprécié, qui a déjà trouvé une traduction juridique.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Mais ce n'est pas le bon !
M. François Marc. En France, la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement a posé les grands principes du droit de l'environnement ; ceux-ci figurent désormais à l'article L. 110-1 du code de l'environnement, qui comporte d'ailleurs une rédaction précise s'agissant du principe pollueur-payeur : « Les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution ou de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur ». Aucune trace de cet énoncé ne figure dans le présent projet de charte !
Au plan communautaire, l'article 174 du traité instituant les Communautés européennes énonce clairement que le principe pollueur-payeur fait partie de ces principes sur lesquels est fondée la politique de la Communauté dans le domaine de l'environnement.
Ce n'est donc pas être pionnier que faire apparaître le principe pollueur-payeur ! Sa consécration constitutionnelle aurait constitué un facteur de sécurité juridique accrue et aurait contribué à prévenir de possibles revirements de jurisprudence.
Le contenu des débats qui se sont tenus à l'Assemblée nationale semble indiquer clairement que le Gouvernement se refuse à constitutionnaliser un lien de causalité systématique entre pollution et réparation intégrale.
Une affirmation claire du principe pollueur-payeur contribuerait à imposer, dans le champ des activités économiques, un corpus éthique qui ne peut être efficace que s'il est généralisé. Le souci grandissant de protection de l'environnement exprimé par l'opinion publique constitue un contexte favorable à une régulation politique accrue dans ce domaine.
Abordant la question de la responsabilité des acteurs économiques, je ne peux manquer d'évoquer l'éthique des affaires. En effet, si le potentiel créatif de l'humanité repose en premier lieu sur la libre entreprise, la société s'est, dans son ensemble, souvent refusé à croire que le monde des affaires puisse systématiquement se comporter de façon exemplaire. II est à cet égard révélateur que l'on ne parle le plus souvent « d'éthique des affaires » que pour en déplorer l'absence ! Il y a une méfiance a priori vis-à-vis de l'entreprise, dont témoignent nombre de sondages d'opinion réalisés ces dernières années dans les pays occidentaux.
Ainsi, par exemple, selon une enquête réalisée aux Etats-Unis, à la question : « jusqu'où iraient les entreprises pour s'assurer un surcroît de bénéfices ? », 47 % des sondés répondent que les entreprises « n'hésiteraient pas à porter atteinte à l'environnement » et 38 % qu'elles « mettraient en péril la santé de la population ». Seulement 8 % des sondés estiment que les entreprises « répugneraient à de telles pratiques. »
Au demeurant, il a maintes fois été démontré que la logique du profit à court terme est largement contradictoire par rapport à celle du développement durable et de la préservation rigoureuse de tous les équilibres environnementaux. C'est donc au législateur qu'il revient d'imposer une régulation contraignante.
Doit-on rappeler les catastrophes écologiques telles que celles de Minamata, Seveso, Bhopal, Zeebrugge et bien d'autres ? Elles témoignent à l'envi du pire des comportements imaginables eu égard à la morale collective. Le fait est qu'il n'existe pas, à l'heure actuelle, d'inculpation pénale automatique pour l'entreprise responsable, sa mise en cause n'intervenant que pour risque de négligence criminelle manifeste tenant à l'énormité du manquement au devoir de garde.
On peut ajouter que, très souvent, la réprobation publique tient moins au sinistre lui-même qu'à la manière dont l'entreprise y réagit et en assume, ou non, les conséquences. Dans le passé, certaines entreprises ont trop souvent donné l'impression d'être cyniques, insensibles et donc irresponsables.
Elles actionnent par leurs avocats et s'évertuent à minimiser les indemnités qu'elles auront à payer. L'exemple de l'Amoco Cadiz est, à cet égard, édifiant : dix ans de combat acharné des élus bretons pour réclamer une indemnisation légitime, et cela face à une multinationale pétrolière qui ne manifestait que mépris à leur égard.
Monsieur le ministre, l'article 4 se borne à imposer à l'auteur d'un dommage de « contribuer à » sa réparation, ce qui ouvre la possibilité d'une réparation partielle du dommage, le reliquat étant éventuellement mis à la charge de la solidarité nationale. Or, est-ce vraiment à l'Etat de devoir assumer a posteriori le coût d'un comportement qui est souvent le résultat d'une recherche déraisonnable de performance économique à tout prix ? Il y a là de quoi douter de la volonté du Gouvernement de voir définitivement disparaître ce genre de comportement !
Rappelons à ce propos qu'il est prévu en droit que la responsabilité civile d'une personne est engagée lorsqu'elle cause des dommages, chaque individu étant considéré comme responsable de ses actes. C'est cette philosophie juridique qui doit conduire les auteurs de dommages à les réparer intégralement. La nouvelle directive communautaire d'avril 2004 relative à la responsabilité environnementale manifeste d'ailleurs cette préoccupation.
Monsieur le ministre, la gravité des risques environnementaux, l'attente forte exprimée par nos concitoyens vers plus de responsabilisation des acteurs économiques et la poursuite de l'harmonisation européenne sont autant de facteurs qui nous incitent aujourd'hui, parce que nous sommes sincèrement attachés à la défense de l'environnement, à vous signifier les insuffisances du projet de charte, en souhaitant voir ce texte sensiblement amélioré par notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si la protection de l'environnement doit aujourd'hui être un sujet de préoccupation constant - ce que nul ne conteste - faut-il pour autant soumettre la recherche et le développement scientifique et technique - en définitive le progrès - à un risque d'application arbitraire et paralysante de ce fameux principe de précaution ?
Tel qu'il est rédigé, l'article 5 du projet de charte de l'environnement prévoit que le principe de précaution sera d'application directe. Cela signifie que tout individu pourra, au nom de ce principe, attaquer en justice l'inaction ou l'intervention supposée insuffisante, d'une autorité publique - dans certains cas le maire -, quand bien même cette position aurait été décidée après un examen minutieux des risques potentiels pouvant résulter de la réalisation d'un dommage.
Certes, on me dira - et on l'a dit ici - qu'il ne peut y avoir d'incrimination pénale du seul fait d'une disposition constitutionnelle, mais le problème n'est pas là. Le problème est que, même si elle est engagée à tort et vouée à l'échec, la procédure engagée au nom du principe de précaution retardera encore le lancement de la recherche, de l'investissement ou de la production à l'origine du contentieux alors que notre pays est déjà parmi ceux - pour ne pas dire celui - qui, au monde, imposent aux entreprises les contraintes les plus pesantes avant de lancer une opération.
Pour ceux qui n'en seraient pas déjà convaincus, je vais donner un exemple simple : le 27 avril 2000, le conseil d'administration de Malteurop, deuxième producteur de malt européen, présent partout sur la planète, a décidé l'extension de deux malteries, l'une en Espagne près de Pampelune et l'autre à Vitry-le-François dans la Marne, que je connais bien. L'inauguration de l'extension en Espagne a eu lieu le 4 septembre 2002 alors que l'inauguration de celle de Vitry ne devrait avoir lieu que le 8 octobre prochain. Ces deux années de retard à mettre au crédit - pour ne pas dire au débit - de notre pays nous auront tout simplement fait perdre 180 000 tonnes de production. Les exemples de ce type sont, hélas ! Nombreux.
Voulons-nous vraiment améliorer notre environnement en alourdissant encore les risques qui pèsent sur nos entreprises ? Si nous agissons de la sorte, nous léguerons alors à nos enfants un environnement sans doute préservé - voire amélioré - mais, hélas ! Sans emploi ni valeur ajoutée.
En maintenant l'article 5 de la charte dans la rédaction qui nous est proposée, il y a un risque réel - pour ne pas dire certain - de voir l'administration ouvrir encore plus grand le parapluie qu'elle passe déjà une bonne partie de son temps à déployer, et nos entreprises être amenées à se développer à l'étranger. Nous n'avons vraiment pas besoin de cela !
De plus, dans sa rédaction actuelle, l'article 5 de la charte laisse aux juges le soin de définir les conditions de mise en oeuvre du principe de précaution.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Mais non !
M. Yves Détraigne. La représentation nationale peut-elle accepter cette perspective ? Personnellement, je m'y refuse. Sur un sujet aussi délicat que celui-ci, la représentation nationale doit dire elle-même ce qu'elle veut.
J'ai bien entendu M. Gélard, rapporteur de la commission des lois, nous expliquer tout à l'heure que le fait qu'un principe constitutionnel soit d'application directe n'empêche pas le législateur d'intervenir et qu'il serait même souhaitable que celui-ci intervienne. Pourquoi ne pas l'écrire alors dans l'article 5 ? On l'a bien écrit dans d'autres articles de la charte où, pourtant, l'intervention du législateur semble moins nécessaire.
En outre, je souligne - accessoirement il est vrai - la contradiction qu'il y a à nous avoir fait adopter ici même, il y a environ un mois, lors de l'examen du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, des dispositions destinées à encourager les entreprises à s'installer dans les zones de revitalisation rurale et à nous proposer d'adopter, aujourd'hui, un principe de précaution qui, s'il reste d'application directe, ira à l'encontre de cette volonté de revitalisation du territoire.
Il est évident, mes chers collègues, que l'inscription d'un principe de précaution qui serait d'application directe dans la Constitution affecterait de manière grave et irréversible le développement économique de notre pays. Toute décision d'entreprendre présente un risque ; encore faut-il que les limites en soient connues. L'entrepreneur, par définition, est un homme qui prend des risques mais il sait aujourd'hui à quoi il s'expose. C'est pour cela qu'il accepte de les prendre, et c'est grâce à cela que notre économie et notre société progressent. Ne cassons pas ce cercle vertueux.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Quel est le rapport ?
M. Yves Détraigne. Après qu'un chef de gouvernement étranger s'est félicité, pour l'économie de son pays, de l'adoption par la France des 35 heures, souhaite-t-on, à nouveau, obtenir les félicitations de nos concurrents pour le cadeau que l'on s'apprête à leur faire alors qu'ils ne nous ont rien demandé ?
Pour ma part, je m'y refuse. Un environnement préservé, oui ! Mais au prix de la crainte d'entreprendre, de l'alourdissement de nos procédures et, finalement, du départ de nos entreprises, non !
Aussi, à défaut de renoncer à l'inscription du principe de précaution dans la Constitution, est-il de notre devoir d'encadrer sa mise en oeuvre ? On ne voit effectivement pas pourquoi la mise en oeuvre du principe de prévention prévu à l'article 3 de la charte, qui correspond pourtant à une situation où le risque est parfaitement cerné, devrait être encadrée par la loi, alors que celle du principe de précaution, qui engendre un risque beaucoup plus aléatoire, ne le serait pas, laissant ainsi la porte ouverte à toutes les dérives.
C'est pourquoi je vous proposerai - au nom du devoir de prévention d'un risque juridique et économique avéré - d'adopter un amendement prévoyant d'encadrer par la loi les conditions de l'application du principe de précaution. C'est pour moi le minimum que nous devons faire. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Yves Fréville.
M. Yves Fréville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je trouve tout à fait normal et je me réjouis qu'un troisième pilier soit consacré dans notre Constitution à la protection de l'environnement et à l'assurance d'un développement durable. Nos concitoyens l'attendent : c'était l'une des promesses du Président de la République et c'est une nécessité politique. En effet, notre environnement n'est plus un milieu naturel primaire, mais un milieu totalement artificiel : la population européenne vit à 80 % dans les villes et l'espace rural est cultivé depuis le néolithique...
Néanmoins, mon trouble subsiste sur certains aspects de cette charte et je souhaiterais les exprimer en toute liberté. Sans doute tient-il à ma formation d'économiste, qui m'empêche parfois de réagir dans les termes juridiques employés dans un texte constitutionnel. Veuillez m'en excuser. Mais a-t-on trouvé les mots justes pour définir ce troisième pilier et a-t-on défini des principes suffisamment clairs ?
La clarté parfois « obscure » du texte est amplifiée par le caractère plus ou moins normatif de son contenu.
D'abord, s'agissant des considérants de la charte, on nous dit qu'ils sont déclaratoires. C'est heureux, car je ne vois pas, moi non plus, l'intérêt de constitutionnaliser la pensée, sans doute très savante, mais parfois discutable, du professeur Yves Coppens. Toutefois, tout à l'heure vous m'avez inquiété, monsieur le rapporteur, en déclarant que ces considérants pouvaient avoir une valeur constitutionnelle si le Conseil Constitutionnel en décidait ainsi.
Je me pose donc la question de savoir ce que veulent dire les notions d'équilibre naturel, de diversité biologique et, bien qu'économiste, de mode de production. Ce sont autant d'interrogations qui n'ont pas été levées.
Ensuite, je constate que l'on mentionne « des droits et des devoirs » - c'est une question sur laquelle je reviendrai par la suite - au nombre desquels le principe de précaution serait d'application directe.
Je suis fort étonné que la méthode retenue pour expliquer le principe de précaution ait consisté, alors qu'il s'agissait de la mesure phare de la charte, à en restreindre au maximum le champ d'application. Je me demande encore, car c'est un risque, si nos concitoyens n'auront pas de cette mesure une interprétation tout à fait différente de la définition que nous pensons inscrire dans la Constitution.
Je me demande si la position suivant laquelle ce principe ne s'applique pas aux atteintes directes à la santé humaine ne finira pas par être d'autant plus intenable que tous nos concitoyens considéreront que l'environnement peut avoir des conséquences indirectes sur la santé.
Je voudrais aussi, et j'espère, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur que vous y serez sensibles, revenir sur la définition des autorités publiques.
Je comprends très bien, comme cela a été dit, que l'on entende par là l'Etat, les collectivités locales et toutes les autorités ayant un pouvoir réglementaire, mais j'ai été très inquiet d'entendre M. Badinter déclarer que cela pouvait être des personnes morales de droit public.
Dans ces conditions, les « autorités publiques » englobent-elles les organes de direction des établissements publics, étant précisé que, lorsque je parle des établissements publics, je pense évidemment aux universités et aux établissements de recherche ? Il me semble, bien entendu, que ces agents de la recherche doivent agir avec précaution, mais je souhaiterais qu'il soit très clairement dit que, n'ayant pas de pouvoir réglementaire, ils ne relèvent pas du principe de précaution. Les travaux parlementaires faisant foi, cette précision me paraîtrait utile.
L'article 3 ajouté au projet par nos collègues députés, dont Francis Delattre notamment, me satisfait pleinement et, à mon sens, aurait suffi : « La loi détermine les principes généraux de la préservation de l'environnement. »
Si j'estime que l'on a eu raison de retenir la formule « principes généraux », qui laisse sa place au pouvoir réglementaire, je m'interroge, sachant que c'est la loi ordinaire qui définira ces principes généraux quant à l'utilité d'avoir posé dans la charte des principes super-généraux. Je n'ai aucune objection à formuler à l'encontre des principes actuels. Mais, compte tenu de l'évolution de la recherche qui soulève sans cesse de nouveaux problèmes liés par exemple aux nanotechnologies, j'ai le sentiment que les principes que nous faisons figurer dans cette charte et qui résultent d'une fossilisation de la jurisprudence, seront vite appelés à se transformer au rythme des sciences et les techniques. Ces concepts que nous figeons aujourd'hui, de façon tout à fait rationnelle et évidente et contre lesquels je n'ai pas de critique majeure à formuler, je le répète, sont-ils adaptés à une Constitution que nous voulons, malgré tout, durable ?
Après ces remarques sur la forme, j'en arrive aux observations de fond.
J'ai bien relevé que la construction de la charte reposait sur un équilibre entre des droits et des devoirs, concepts juridiques.
Si l'on reprend tous les termes du texte qui nous est proposé, cet équilibre apparaît clairement. Ainsi, il est précisé, dans le cinquième considérant, que l'exploitation « excessive » doit être évitée et, dans le septième considérant, que des « choix » s'imposent, entre les besoins du présent et ceux des générations futures. A l'article 4, la formule « contribuer à la réparation des dommages » est préférée au terme « réparer ». A l'article 5, il est dit que des « mesures proportionnées » doivent être prises et, à l'article 6, qu'il faut « concilier » la protection de l'environnement avec le développement économique. On voit bien là le système de checks and balances entre les droits et devoirs, qui est organisé sur le plan juridique.
Ma conception personnelle de l'environnement est bien différente et fait sans doute intervenir un autre équilibre. Je considère que l'environnement est essentiellement un bien économique, collectif, que nous, représentants de l'Etat, devons défendre en opérant des choix au vu des avantages et des coûts.
Or je ne suis pas du tout certain qu'en appliquant le principe selon lequel il faut parvenir à l'efficacité maximale par rapport au coût, nous arrivions aux solutions d'équilibre que le juge nous imposera de respecter en fonction de son interprétation de ce que sont les droits et les devoirs.
Il nous faudra donc, pour préserver l'environnement, ce bien collectif, prendre des mesures très variées : réglementations, normes, taxes. Il nous faudra également négocier des arrangements préconisés par Coase et créer, dans la mesure où les conventions internationales nous l'imposeront parfois, des marchés de droit à polluer ou instaurer des systèmes de bonus-malus.
En conséquence, j'aimerais savoir si ce choix que nous devrons opérer entre toutes ces méthodes, en vertu du principe auquel je faisais allusion, du moindre coût, sera accepté par la jurisprudence au regard des principes que nous faisons figurer dans la Constitution. Ainsi, par exemple, le marché des droits à polluer est-il compatible avec le principe de réparation défini à l'article 4 ?
Telles sont les précisions que je souhaiterais obtenir afin de lever certains de mes doutes.
Je crois ces précisions d'autant plus importantes que le bien collectif « environnement » est de plus en plus international, qu'il sera naturellement, comme cela a été dit, essentiellement validé par des conventions internationales et qu'il ne faudrait pas que nous soyons conduits, comme cela se produit dans le domaine européen, à modifier sans cesse la Constitution pour l'adapter aux solutions internationales qui seront toujours plus efficaces en matière de protection de l'environnement.
Je terminerai mon propos, mes chers collègues, en évoquant le problème de la référence permanente à l'état des connaissances scientifiques lorsque l'on veut préciser le champ d'application du principe de précaution, du principe de prévention et de ce que je pourrais appeler « le principe de liberté ».
Si j'ai bien compris, le principe de prévention jouerait pour les systèmes de risques « probabilisables » dans l'acception scientifique du terme quand le calcul de probabilités et l'analyse statistique s'appliquent ; le principe de précaution jouerait en situation d'incertitude, lorsqu'il y aurait un doute scientifique ; le principe de liberté valant quand, en l'absence de doute scientifique, la liberté des entreprises et des chercheurs resterait totale.
La difficulté tient tout simplement au fait que l'état des connaissances scientifiques n'existe pas ! La science procède, non pas par affirmation de vérités, mais par destruction d'anciennes vérités qui, un jour, se révèlent erronées. Ainsi, à un moment donné, ce qui peut paraître comme « probabilisable » deviendra incertain et ce qui peut paraître comme incertain pourra ne plus faire le moindre doute. En conséquence, si l'on demande à des juges de trancher - car c'est bien à eux qu'il appartiendra finalement de le faire, ce qu'ils feront toujours a posteriori - ils auront tendance, comme on l'a très bien vu dans l'affaire du sang contaminé, à se fonder, non pas sur l'opinion dominante, mais, étant entendu qu'il y aura toujours des opinions dissidentes ou médiatisées, sur l'exception qui permettra de fragiliser la solution adoptée.
En toute bonne foi, on peut ainsi choisir de dire que c'est le principe de précaution qui s'applique et entendre, plus tard, la justice dire a posteriori, qu'en l'état des connaissances scientifiques, c'était le principe de prévention qui aurait dû s'appliquer, et ainsi de suite...
Je tenais, monsieur le ministre, mes chers collègues, à vous faire part de mes hésitations, de mes appréhensions. Elles ne concernent pas la nécessité d'une action forte du législateur ordinaire dans le domaine de la protection de l'environnement : je doute simplement du fait que les principes supérieurs devant encadrer cette action législative, qui est notre devoir, soient suffisamment stabilisés pour que les choix du législateur ne soient pas soumis au contrôle des juges et d'abord du juge constitutionnel. J'espère que la discussion que nous aurons permettra de lever les doutes qui subsistent en moi. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Miquel.
M. Gérard Miquel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le contexte actuel de dégradation continue de notre environnement planétaire, il est devenu urgent d'agir.
Des catastrophes industrielles de Seveso, Bhopal et Tchernobyl, aux marées noires de l'Erika ou du Prestige, de la réduction de la couche d'ozone au réchauffement climatique, le constat est accablant.
Si la situation est particulièrement inquiétante dans les pays en voie de développement, où l'absence de contraintes environnementales conduit notamment à la déforestation massive, à l'érosion des sols, à l'épuisement des ressources en eau, il est de notre devoir d'intervenir en premier lieu chez nous.
Collecte sélective des déchets et adoption de nouveaux procédés pour leur traitement, recherche de la meilleure qualité environnementale dans la conception de nos bâtiments publics, préservation de la ressource en eau et traitement de l'eau potable, tous ces exemples traduisent la prise de conscience individuelle et collective de la nécessaire dimension écologique de toute politique.
Protéger la nature à travers la faune, la flore et la biodiversité, c'est en même temps protéger l'homme.
Aujourd'hui, nous prenons acte de la volonté de M. le Président de la République d'inscrire dans la Constitution la charte de l'environnement. Je salue une certaine évolution, d'autant qu'en 1995 la relance des essais nucléaires dans le Pacifique ne s'inscrivait pas dans une démarche de cette nature. Nous aurions même pu croire à la sincérité de cette proposition si la politique menée depuis deux ans par le Gouvernement ne lui ôtait déjà toute crédibilité.
Je rappellerai pour mémoire : la réduction du budget de l'ADEME et des crédits de la recherche pourtant indispensables pour encadrer le principe de précaution ; la suppression de l'Institut français de l'environnement ; la fin du financement des transports en commun en site propre alors qu'il s'agit d'une priorité pour lutter contre l'émission de gaz à effet de serre ; la réduction drastique des crédits affectés au développement des adductions d'eau, et ce dans un contexte de reports successifs de la mise en place d'une réelle politique de l'eau.
Par ailleurs, le non-respect des engagements de l'Etat envers les régions, dans le cadre des contrats de plan sur les infrastructures ferroviaires, continue de favoriser l'accroissement du trafic routier avec les effets préjudiciables sur l'environnement qu'il génère immanquablement.
Cette orientation est d'ailleurs confirmée par le rapport d'audit sur les infrastructures de transport. C'est la route qui a été privilégiée dans le budget 2004 par la diminution du financement de Voies navigables de France, par la réduction de 25 % de la contribution aux charges d'infrastructures ferroviaires versée à Réseau ferré de France, enfin, par la suppression de la ligne réservée au financement des réseaux cyclables en agglomération et aux réalisations favorisant l'usage combiné du vélo et des transports en commun.
J'ajouterai le prélèvement de 210 millions sur les moyens propres des agences de l'eau et la suppression des contrats territoriaux d'exploitation, qui favorisaient le développement durable et étaient des instruments particulièrement intéressants dans toutes nos zones rurales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
D'ailleurs, comment être rassuré pour l'avenir quand les députés européens français de l'UMP votent contre l'instauration des seuils protecteurs définis à Kyoto pour l'émission des gaz à effet de serre ?
Et que dire du peu de cas qui a été fait du principe de précaution dans le dossier des OGM ?
Enfin, le Gouvernement consacre le principe d'éducation en matière d'environnement ; c'est une excellente chose. Mais, dans le même temps, il gèle les crédits des associations qui travaillent à la sensibilisation de la population.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Eh oui !
M. Gérard Miquel. Je voudrais m'arrêter un instant sur l'article 5 de ce texte relatif à l'application du principe de précaution, qui se pose surtout, pour l'heure, en « principe de préoccupation » pour les élus locaux.
Au-delà du flou des mesures provisoires et proportionnées évoquées dans cet article, que les collectivités territoriales devront adopter pour prévenir les atteintes à l'environnement, plusieurs associations les représentant ont fait part de leur crainte de voir imposer aux décideurs locaux une obligation générale en matière de mesures de précaution.
Par ailleurs, les contentieux résultant de la mise en oeuvre de ce principe de précaution ne seront-ils pas autant d'obstacles aux initiatives locales en matière de développement économique ? Nous savons bien que certaines associations de défense d'intérêts particuliers attendent le vote de cette charte pour en faire une sorte de droit au risque zéro et bloquer les innovations qui leur déplaisent, retardant ainsi à coup de procédures la réalisation de projets indispensables à la protection de l'environnement.
Il existe également un risque de voir ce principe servir de fondement à des incriminations pénales par les juges à l'encontre des élus locaux, et ce en dépit des arguments invoqués par certains juristes.
Enfin et surtout, l'application de ce principe ne sera pas sans conséquences sur les budgets locaux, dans le contexte difficile de réduction des dotations de l'Etat aux collectivités territoriales, lesquelles doivent déjà notamment, en vertu de la loi, construire des équipements pour le traitement des déchets ou des eaux usées, mettre leurs installations en conformité - c'est bien normal ! - avec des normes aux critères toujours plus sévères.
Vous comprendrez donc, monsieur le ministre, la vive inquiétude des élus locaux.
Le désengagement financier continu de l'Etat s'ajoutant à ces nouveaux besoins provoquera immanquablement une augmentation des redevances, des taxes et des impôts, qui deviendront rapidement insupportables aux habitants de nos territoires, en particulier de nos territoires ruraux, où les coûts sont répercutés sur un faible nombre d'habitants.
Au Gouvernement donc, monsieur le ministre, de nous démontrer et de démontrer aux élus locaux, qui ont de bonnes raisons d'en douter, la valeur universelle et exemplaire de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Arnaud.
M. Philippe Arnaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd'hui d'un noble et vaste sujet dont l'intérêt majeur n'aura échappé à personne, puisqu'il conditionne notre avenir, l'avenir de la planète, donc de l'humanité.
Comment peut-on être opposé à une charte sur l'environnement, dont l'annonce même, avant examen du contenu, recueille un écho favorable auprès de nos concitoyens ?
Oui, je suis favorable à l'écriture d'une charte de l'environnement ! Oui, j'affirme qu'il est nécessaire de tout mettre en oeuvre en fonction de nos connaissances scientifiques, de nos connaissances tout simplement, pour éviter que des risques connus, identifiés, ne prennent réalité. Cela relève de la prévention.
Il est aussi nécessaire d'anticiper, autant que faire se peut, sur des risques potentiels dont nous ne connaissons pas les facteurs ni a fortiori l'occurrence : c'est le principe de précaution.
Ce principe est déjà inscrit dans la loi et il fait couler beaucoup d'encre, car il est difficilement définissable et, surtout, il est quasiment impossible d'en fixer les limites.
Alors, en fonction des circonstances, des faits, de la nature de l'accident s'il survient, de l'étendue des dégâts, de la sensibilité de l'opinion publique, le juge apprécie. Cela est déjà inquiétant.
Le principe de précaution appliqué à l'environnement, sacralisé par son inscription dans le préambule de la Constitution, pose des questions fondamentales sur des sujets majeurs pour notre planète et son humanité, mais pose aussi des problèmes d'insécurité juridique que d'éminents juristes avant moi ont rappelés.
Au flou, en permanente évolution, du principe de précaution, à la confusion facile entre principe de précaution et principe de prévention, on ajoute le flou de la notion d'environnement.
Qui aujourd'hui, et même dans cette enceinte, peut définir clairement les principaux domaines que recouvre l'environnement ? D'ailleurs, quel domaine n'est pas concerné par l'environnement, qu'il le conditionne ou qu'il en découle ?
D'applicabilité directe, le principe constitutionnel de précaution renvoie au juge le soin de l'interpréter.
L'acte du parlementaire qui modifie la Constitution est un acte grave, irréversible, qui requiert parfaite information, clarté des objectifs, analyse approfondie et réflexion, car le constituant ne doit jamais se mettre en situation de regretter son acte : il serait coupable devant les générations à venir.
On est en droit de s'interroger, mes chers collègues, sur notre utilité, sur l'utilité du Sénat, devenue simple chambre d'enregistrement,...
M. Charles Gautier. C'est exact !
M. Philippe Arnaud. ...si l'on ne peut contribuer, en raison d'un vote conforme, à l'élaboration de la loi constitutionnelle.
Je regrette que, sur un sujet aussi grave, il ne soit pas donné au Parlement le temps nécessaire de la discussion et de la réflexion pour permettre à chacun d'être mieux éclairé et peut-être, comme l'a fait notre excellent rapporteur, M. Bizet, de pouvoir, au fil des mois, cheminer intellectuellement et évoluer dans ses positions.
Pour ce qui me concerne, j'estime en mon âme et conscience ne pas disposer des éléments suffisants pour forger mon opinion.
Au cours des travaux préparatoires et dans les couloirs, je n'ai entendu que critiques et réserves majeures, des inquiétudes aussi et des avis désabusés : « cela ne changera rien ! ».
Alors, ne voulant pas repousser d'un revers de main le devoir de vigilance qui doit être le nôtre ni banaliser l'attention permanente que nous devons porter à l'homme et à son environnement, qui est un sujet politique majeur, je m'abstiendrai - par précaution - sur ce texte. Croyez bien que je le regrette car j'aurais préféré - c'est la noblesse de notre fonction de constituant - apporter ma contribution responsable par un vote positif ou négatif. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf.
M. Jean-René Lecerf. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne prétends pas à l'originalité en évoquant le caractère tout à fait exceptionnel des débats qui nous réunissent aujourd'hui autour de la charte de l'environnement.
Exceptionnel, puisqu'il s'agit d'une modification de notre Constitution, et notamment de son préambule, qui a une haute ambition : consacrer une nouvelle dimension de notre pacte républicain dans la continuité de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et du préambule de la Constitution de 1946, sans prétendre bien évidemment à l'excellence de ces textes fondateurs.
Aux côtés de la reconnaissance des droits civils et politiques de la période révolutionnaire et des droits économiques et sociaux de l'après-guerre, il s'agit d'affirmer aujourd'hui les droits de la troisième génération, en plaçant la protection de l'environnement au sommet de la hiérarchie des normes, droit créance imposant pour sa traduction concrète l'intervention de l'Etat, inspiré par une écologie humaniste, entièrement au service de la seule querelle qui vaille : celle de l'homme.
Exceptionnel encore, puisqu'il s'agit de prendre enfin la mesure des risques environnementaux majeurs auxquels notre pays, notre planète et l'ensemble de ses habitants sont aujourd'hui confrontés.
Des catastrophes écologiques se sont multipliées ; d'autres, bien pire encore, apparaissent probables sinon incontournables, et pourtant chaque Etat, sinon chaque individu, poursuit trop souvent une politique de l'autruche, peut-être justifiée par des considérations légitimes de court terme, mais qui insulte de plus en plus l'avenir.
Exceptionnel enfin, car il s'agit de se préoccuper davantage du sort des générations futures que de celui de nos contemporains, préoccupation qui, reconnaissons-le, n'est pas toujours naturelle aux politiques. J'y vois d'ailleurs toute la richesse de la notion de nation, qui dépasse les générations présentes, pour embrasser aussi tous ceux qui nous ont précédés et tous ceux qui nous succéderont. La planète nous a été léguée par nos pères, il nous revient de la transmettre à notre tour à nos enfants sans hypothéquer les chances des générations futures.
Il ne m'appartient certes pas de déterminer les modalités de la procédure constitutionnelle, mais les représentants de la souveraineté nationale me semblent investis, sur ce thème, d'une incontestable légitimité et je ne saurais m'associer à ceux qui ne conçoivent pas de modification du préambule de la Constitution sans référendum.
En lisant les débats de l'Assemblée nationale, je constate d'ailleurs qu'aucune hostilité de principe ne s'est manifestée de la part de l'opposition. J'en veux pour preuve les explications de vote des porte-parole des groupes socialiste et communiste. Christophe Caresche déclare ainsi : « Malgré ses imperfections, ce texte est nécessaire. II l'est au regard de la dégradation de notre environnement. Il l'est au regard du retard pris par la France en matière de politique de l'environnement et en matière juridique, puisque de nombreux pays ont déjà intégré le droit à l'environnement dans leur Constitution ». Patrick Braouzec, pour sa part, souligne que les députés communistes et républicains souscrivent sans réserve à cette consécration constitutionnelle qui manifeste la prise de conscience par notre peuple de l'importance des enjeux écologiques.
Dans un esprit d'oecuménisme, j'aurais volontiers, mes chers collègues, cité également les Verts, s'ils n'avaient fait preuve dans ce débat d'une discrétion aussi totale qu'inattendue.
Est-ce à dire que ces remarques largement consensuelles ne laissent pas place à nombre d'interrogations ? Au contraire, de nombreuses et fortes craintes se sont exprimées tant dans les rangs de l'opposition que dans ceux de la majorité.
Il en est ainsi du risque de dessaisissement du législateur au profit du juge constitutionnel ou du juge de droit commun, et il est vrai que la judiciarisation constitue un travers suffisamment grave de notre société pour que l'on s'arrête un instant à cette objection.
Le gouvernement des juges n'a jamais été et ne sera jamais un idéal de démocratie, et l'on se prend parfois à rêver, lorsque l'on relit L'esprit des lois de Montesquieu, à la clarté de l'interprétation de la séparation des pouvoirs du président à mortier du parlement de Bordeaux.
Mais la lecture du texte ne nous montre-t-elle pas le constant appel au législateur des articles 3, 4 et 7 de la charte, sans oublier l'heureuse modification apportée par l'Assemblée nationale avec la nouvelle rédaction de l'article 34 de la Constitution et la reconnaissance éclatante de la compétence du législateur pour déterminer les principes fondamentaux de la préservation de l'environnement ?
Même l'application directe de l'article 5 relatif au principe de précaution ne s'oppose en aucune manière à une intervention du législateur pour préciser le droit et encadrer la jurisprudence.
La balle est donc dans le camp du Parlement et du Gouvernement, si je puis me permettre cette formule familière. Libre à eux de ne pas répondre aux sollicitations de la réforme constitutionnelle, et ce sera alors dans le vide juridique, créé par la carence du législateur, que le juge puisera un pouvoir prétorien sans partage, à l'image de la jurisprudence administrative relative au droit de grève.
A cet égard, aux termes du préambule de la Constitution de 1946, « le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Cependant, il a bien fallu au Conseil d'Etat, en l'absence d'une réglementation générale, concilier l'exercice du droit de grève avec le principe de continuité du service public.
Ce débat ne nous offre-t-il pas également l'opportunité de préciser autant que faire se peut l'intention du législateur afin que celle-ci vienne encadrer et limiter les potentialités d'interprétations jurisprudentielles ?
Certains redoutent une extension, j'allais dire une contamination, du principe de précaution, bien au-delà des strictes questions d'environnement, notamment à tout ce qui relève du domaine de la santé, avec toutes les conséquences que cela pourrait induire en termes de capacité d'innovations et de recherche. La formulation de l'article 1er de la charte, selon laquelle « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », peut donner crédit à cette hypothèse.
Même si l'impact de l'environnement sur la santé s'avère incontournable, le rappel dans les débats parlementaires que cette charte n'est pas un texte de santé publique et que la santé, en tant que telle, ne peut faire l'objet du principe de précaution, devrait répondre aux appréhensions des uns et des autres.
A l'inverse, les conditions de mise en oeuvre du principe de précaution, en matière environnementale cette fois, peuvent apparaître tellement contraignantes qu'elles pourraient s'apparenter à l'hypothèse d'école suivante : réalisation incertaine des dommages, possibilité d'affecter de manière à la fois grave et irréversible l'environnement. Se donnerait-on bonne conscience à peu de frais ?
Je prends un exemple : la ville dont j'étais maire avant d'être élu sénateur est traversée par une rivière, la Marque, qui était considérée, il n'y a pas si longtemps encore, comme l'un des cours d'eau les plus pollués de notre pays.
M. Patrice Gélard, rapporteur. C'est exact !
M. Jean-René Lecerf. Des décennies d'activités industrielles intenses y avaient accumulé un stock de résidus toxiques, et la ville avait tourné le dos à cette rivière morte, dont les nuisances olfactives faisaient envisager sa couverture et sa transformation en égout. Parfois, par grande chaleur, la rivière était parcourue de flammèches.
Une rivière qui brûle, voilà bien une image d'apocalypse ! Et pourtant, les collectivités territoriales se sont mises au travail : des stations d'épuration ont été construites, la pollution industrielle, puis la pollution domestique, ont été maîtrisées. Ces pollutions de flux une fois jugulées, et avant même que des curages ne s'attaquent à la pollution de stock, la rivière a recommencé à vivre : des phénomènes d'autoépuration sont réapparus avec le retour de la faune et de la flore. Aujourd'hui, les pécheurs sont de retour, preuve que la nature est bonne fille, pour peu que l'on décide de lui venir en aide.
A proprement parler, le dommage n'était donc pas irréversible, si tant est que nous ne basculions pas ici du principe de précaution au principe de prévention, mais vous savez que l'opportunité de ces curages reste aujourd'hui scientifiquement discutée. Au demeurant, nous pourrions convenir que l'irréversibilité ne doit pas nécessairement s'avérer absolue, mais qu'elle peut s'apprécier, par exemple, à l'aune d'une génération.
Certes, mes chers collègues, le risque zéro n'existe pas et ne peut se voir assigné comme objectif dans une société en mouvement, fût-ce même en matière législative et juridique. Mais la véritable nature du principe de précaution n'est-elle pas finalement la transposition d'une norme de bon sens ? Les uns regrettent qu'un tel principe ne fasse pas l'objet d'une définition exhaustive, mais les autres estiment, au contraire, que trop de précision nuirait à son adaptation en vue de gérer des situations par hypothèse multiples et hétérogènes.
Tel qu'il est défini, le principe de précaution m'évoque largement le bilan coûts-avantages cher aux spécialistes du contentieux de l'utilité publique des opérations d'expropriation, voire certains aspects du contrôle de proportionnalité. Il imposera parfois à l'administration, dans son processus décisionnel en manière d'environnement, la comparaison de plusieurs variantes. Parmi celles-ci, la variante zéro, c'est-à-dire le choix de ne rien faire, ne représente qu'une hypothèse qui ne s'apparentera d'ailleurs pas nécessairement au risque zéro.
En conclusion, permettez-moi de rappeler, mes chers collègues, quelques-unes des grandes dates de la protection de l'environnement dans notre pays : 1964, avec la mise en place des agences de l'eau et la fondation du principe pollueur-payeur, largement dépassé par l'actuelle charte, mais qui rendit d'immenses services ; 1971, avec le premier ministère de l'environnement, confié à Robert Poujade, ce « ministère de l'impossible », comme il le qualifiait alors luimême ; 1975, avec la loi Jarrot ; 1976, avec la loi relative à la protection de la nature ; 1995, avec la loi Barnier ; 2003, avec la loi Bachelot.
La famille politique à laquelle j'appartiens n'avait déjà pas hier de complexe à nourrir en matière de protection de l'environnement. Avec cette charte, notre pays peut retrouver un rôle de phare et d'exemple en Europe et dans le monde.
Vous connaissez le mot du maréchal Joffre à propos de la bataille de la Marne : « Je ne sais pas qui l'a gagnée, mais je sais bien qui l'aurait perdue ». Je m'autorise à le plagier et à l'appliquer à la bataille de l'environnement. Elle est loin d'être gagnée. Mais, si le Président de la République et la majorité parlementaire ne plaçaient pas aujourd'hui la plus haute des ambitions dans cette charte de l'environnement, je sais bien qui l'aurait déjà perdue. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Cela ne me choque pas que l'environnement entre dans le droit constitutionnel.
Il est vrai que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ou le préambule de la Constitution furent écrits dans des souffles beaucoup plus passionnels et sanglants de l'histoire des peuples.
La société se mettait en mouvement sur elle-même, les hommes parlaient aux hommes et, après des siècles d'oppression, ils allaient naître égaux.
A nous en tenir, cependant, à la justice des actions de l'homme sur l'homme, qui est loin d'être acquise, nous avons négligé que nous ne sommes pas de purs esprits. Bien qu'habillés, policés et causants, nous ne survivons qu'en ingérant des matières végétales ou animales par la bouche et de l'oxygène par le nez.
Ce n'est ni une croyance ni une considération philosophique : c'est un fait, et les faits sont têtus. Oui, notre vie dépend de notre environnement, et il est juste de mettre en garde ceux qui veulent le compromettre.
D'ailleurs, ceux qui le compromettent aujourd'hui sont ceux qui, depuis toujours, bafouent les droits des autres. Ceux qui s'enrichissent en exploitant leurs salariés, en licenciant, en délocalisant sont les mêmes que ceux qui contaminent l'eau, rendent l'air irrespirable et épuisent les ressources.
Le droit des hommes et des femmes à ce que leur environnement, part de bien commun, ne soit pas souillé et compromis s'inscrit, certes, avec moins de panache, mais s'inscrirait peut-être avec autant de morts dans les acquis des contre-pouvoirs et des luttes.
Il n'est néanmoins pas innocent que des textes apparaissent quand les effets dévastateurs de notre développement non durable touchent les peuples les plus riches.
Quand la fabrication de nos pesticides rendait aveugles des centaines d'Indiens à Bhopal, quand nos déchets chimiques ne causaient de malformations qu'en Afrique, quand les désordres climatiques provoquaient des cyclones et des tempêtes dans le Pacifique, nous étions tous moins « sensibles ».
Mais voici que l'eau potable se fait rare, que l'érosion enlève les sols, que le nombre de cancers s'envole, que la pollution rend malade et tue, que les morts de l'amiante se multiplient, en attendant les décès dus aux éthers de glycol. Ciel, « mon » environnement !
Ce texte s'inscrit donc dans une aspiration tardive, mais légitime, des Français, qui sont spectateurs et victimes des dégradations. Le Président de la République, habile à parler de ce qui touche, ne s'y est trompé ; et voici que le Gouvernement nous propose une charte de l'environnement.
C'est un beau texte, a priori, bien que malmené par ses accoucheurs et sauvé par Yves Coppens.
Mais, au-delà de votre besoin de communication, comment croyez-vous être crédibles ?
Vous qui venez de refuser que l'Etat soit le garant de la sécurité de la filière nucléaire.
Vous qui jouez la carte du « tout-camion », du « toutvoiture », aux dépens du rail et de la SNCF.
Vous dont les amis attendent avec impatience les OGM.
Vous dont les ministres, au Conseil de l'Europe, sont intervenus contre un vote du Parlement qui prévoyait que les pollueurs potentiels s'assurent ou prévoient une réserve financière.
Vous dont le Président est intervenu auprès de l'Union européenne contre le registre « inventaire, évaluations et autorisations » des substances chimiques.
Vous dont les amis du MEDEF, de la chimie, de l'agroalimentaire ou de l'automobile nous ont tous écrit contre la charte.
Vous dont le rapporteur, M. Gélard, s'employait, en dix points, à démontrer que, non, tout cela ne ferait pas mal, et recommandait l'utilisation de l'outil antidémocratique du vote conforme, parce qu'il ne pouvait y avoir aucune amélioration.
Et je vous épargne le livre de Luc Ferry...
M. Patrice Gélard, rapporteur. Madame Blandin, me permettez-vous de vous interrompre ?
Mme Marie-Christine Blandin. Je vous en prie, monsieur le rapporteur.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Madame Blandin, en quoi un vote conforme est-il antidémocratique ?
Mme Marie-Christine Blandin. Il bafoue le Sénat !
M. Patrice Gélard, rapporteur. A partir du moment où un texte est correctement rédigé par l'autre assemblée, on peut parfaitement aboutir à un vote conforme. Cela n'a rien d'antidémocratique !
La discussion parlementaire va se dérouler et ce que propose le rapporteur ne sera pas forcément ce que votera le Sénat.
Le terme « antidémocratique », pour qualifier un vote conforme, n'a donc pas lieu d'être.
M. le président. Veuillez poursuivre, madame Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Il est vrai, monsieur le rapporteur, que vous n'avez pas donné d'ordres. Nous verrons donc ce que feront vos amis...
Je disais que je vous épargnais l'évocation du livre de votre ami Luc Ferry, vomissant sa haine des protecteurs de l'environnement. Après tout, nous avons aussi eu Claude Allègre, qui considérait que l'amiante était inoffensive...
Bref, vous n'êtes pas crédibles. En amour, il n'y a que les preuves qui comptent, et vous n'en donnez pas.
Par conséquent, sans pour autant les suivre, je comprends mes collègues qui sont défavorables à votre initiative, tant vous êtes à contre-emploi.
En revanche, je récuse les arguments d'atteinte à la compétitivité.
Chaque grande mutation sociétale a eu son cortège de protestations de ce type. Rappelez-vous : la faillite des planteurs de coton, parce que l'on abolissait l'esclavage ; la fin des mines et du textile, parce que l'on interdisait le travail des enfants ; la dégradation de la démocratie, parce que les femmes allaient voter ; et, aujourd'hui, l'entreprise menacée et le législateur bafoué, parce que l'on adosse à la Constitution des phrases attendues des Français comme : « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. »
Pour une phrase comme celle-là, pour votre principe de précaution, même très modeste et très amputé, pour le message porté par cette charte, pour le travail des quatre cents chercheurs qui la soutiennent, pour la peur que sème ce texte chez les moins scrupuleux qui mettent n'importe quoi sur le marché, parce que j'ai l'espoir que la vraie mise en oeuvre se fera par la gauche, et parce que je ne jette pas le bébé avec l'eau du bain, je pourrai voter ce projet de loi constitutionnelle, sous réserve, bien sûr, du sort que lui fera le débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre.
M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d'abord à rendre hommage à la qualité du débat, largement due à l'important travail réalisé par les deux rapporteurs, M. Patrice Gélard, au nom de la commission des lois, et M. Jean Bizet, au nom de la commission des affaires économiques, saisie pour avis.
Les discussions au sein des deux commissions ont été également très éclairantes.
Le rapport de M. Patrice Gélard, comme son intervention sont lumineux et - je le lui disais tout à l'heure -d'une grande clarté.
Je partage entièrement ses analyses et ses explications sur la pleine valeur constitutionnelle de la charte soumise à votre approbation. Elle est incontestable compte tenu de la pleine souveraineté du pouvoir constituant et de la procédure d'approbation de la charte. Les travaux préparatoires de vos commissions permettraient d'écarter, s'il en était besoin, le moindre doute à ce sujet.
S'agissant de la portée de la Charte et des effets juridiques qui en sont attendus, le travail préparatoire est également éclairant, que l'on considère le texte dans son ensemble ou par article. Les analyses concernant la mise en oeuvre de la charte par le législateur à l'occasion des lois futures, le contrôle qui sera opéré par le Conseil constitutionnel, les implications devant le juge sont précises et pédagogiques.
Tant sur la responsabilité pénale, qui ne peut en aucun cas être affectée par ce texte, comme l'a rappelé M. le garde des sceaux, que sur la responsabilité civile, qui sera nécessairement encadrée par la loi, ou encore sur la responsabilité de la puissance publique pour mauvaise application éventuelle du principe de précaution, il convient de se reporter aux explications précises du rapport de M. Gélard.
M. Jean Bizet, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, a effectué un important travail de clarification, aussi bien lors des travaux de la commission qu'au cours de son intervention. Il a notamment distingué le principe de prévention du principe de précaution. J'ai noté son expression d' « aiguillon de la recherche » pour décrire le principe de précaution.
M. Bizet a interrogé le Gouvernement quant à l'élaboration d'un projet de loi relatif au principe de précaution. A l'heure actuelle, cette question est régie par l'article L.101-1 du code de l'environnement issu de la loi Barnier. Sans doute faudra-t-il un jour revoir cet article, qui n'est pas en harmonie complète avec la charte. Nous pourrons alors envisager s'il convient d'aller plus loin. Il pourrait se révéler utile de préciser la procédure applicable : initiative de la mise en oeuvre, consultations à prévoir, débat public si besoin est, publicité des mesures et des évaluations complémentaires.
M. Jean Bizet a également mis l'accent sur la réparation du dommage au milieu naturel que le nouveau principe de réparation va ouvrir.
C'est une des avancées principales de la charte. Cette obligation, prévue à l'article 4, vaut pour toutes les composantes du dommage environnemental, qu'il touche les personnes, les biens ou les pertes économiques. Je tenais à le souligner.
Quant aux demandes de report de l'examen de ce projet de loi, je ne peux bien entendu que les rejeter.
Le projet de loi a été adopté par le Gouvernement et déposé au Parlement en juin 2003, à l'issue d'un processus long, approfondi et d'une complète transparence, dans lequel Roselyne Bachelot s'est beaucoup investie.
Les travaux préparatoires très fouillés et les nombreuses auditions conduits dans les deux chambres ont permis de répondre à toutes les interrogations, mais aussi d'éclairer tous les aspects de la présente réforme constitutionnelle.
M. François Zocchetto s'est interrogé sur l'opportunité, pour le Parlement, de se prononcer maintenant sur la charte de l'environnement alors que la Constitution européenne est en cours d'adoption.
D'abord, il n'y a aucune contradiction entre la charte de l'environnement et la Constitution européenne. Ensuite, la France se doit d'être juridiquement prête lorsque la Constitution européenne entrera en vigueur.
Par son avis favorable, la commission des lois marque aussi la qualité des améliorations apportées par l'Assemblée nationale. M. le garde des sceaux en a fait une analyse très complète. Je n'y reviens donc pas.
Le rôle du Parlement dans la mise en oeuvre de ce texte a été consolidé. C'est tout à fait cohérent avec l'importance nouvelle reconnue à l'écologie par la charte elle-même.
En particulier, la modification de l'article 34 de la Constitution apporte au législateur la garantie qu'il sera au coeur de la mise en oeuvre de tous les articles de la charte, qu'il s'agisse des objectifs ou des principes.
Il est clair pour beaucoup d'entre vous, et c'est pour moi une conviction profonde, que notre planète se trouve dans une situation sans précédent depuis la préhistoire. C'est également l'analyse qui est développée dans le rapport de la commission Coppens.
Les crises écologiques se multiplient : changements climatiques, dangers sur la biodiversité, disparition de nombreuses espèces,... pour ne citer que celles-là.
Les réponses du passé ne valent plus pour l'avenir. Nous sommes contraints à l'innovation et au changement. C'est pourquoi je veux insister aussi sur le fait que cette charte n'est pas celle de la frilosité ni de l'immobilisme, bien au contraire.
Il n'y aura pas de progrès écologique contre le progrès économique et social. Les mêmes capacités d'invention de l'homme, les mêmes forces d'innovation technologique qui ont marqué les révolutions industrielles des deux derniers siècles doivent être mises au service de nouveaux modèles de développement, de nouvelles sources d'énergie, de nouveaux modes de consommation, en somme d'un nouveau modèle économique respectueux des équilibres de la biosphère. Ceux qui sauront le découvrir et le promouvoir seront, j'en suis persuadé, en avance. Ils auront même un avantage compétitif sur ceux qui resteront fidèles aux modèles anciens. Mais ce modèle ne saurait être celui du renoncement aux fruits de la croissance économique.
De ce point de vue, deux considérations sont importantes ; elles ont été bien soulignées par M. Guené.
D'abord, la charte ne doit pas être isolée du reste de la Constitution avec laquelle elle se combine. La Constitution comporte en effet une liste de droits économiques et sociaux. Par ailleurs, dans l'article 6 de la charte, qui constitue en quelque sorte la charte du développement durable, la combinaison des préoccupations écologiques, économiques et sociales, est clairement affirmée.
Les craintes de M. Détraigne quant à l'implantation des entreprises en milieu rural sont sans fondement. La législation sur les installations classées est conforme aux préconisations de la charte. Elle continuera de permettre la conciliation de l'économie et de l'écologie au plan local.
Monsieur Laffitte, il n'y aura pas de progrès écologique sans progrès scientifique. L'écologie est d'abord une science. En qualité de ministre de l'écologie, je tiens à insister sur l'importance de la recherche scientifique.
La charte a vocation à stimuler la recherche. Plus largement, le développement durable suppose que l'innovation soit au coeur de nos préoccupations. C'est bien grâce à la masse considérable des connaissances qui ont été accumulées depuis quelques décennies que nous avons compris l'ampleur de ces menaces.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Tout à fait !
M. Serge Lepeltier, ministre. L'exemple du réchauffement climatique est à cet égard significatif. L'ampleur de ce phénomène nous conduit à une autre conclusion : sans de nouveaux progrès des connaissances, nous ne trouverons pas la réponse à un tel défi.
C'est évidemment par l'exploration de nouvelles solutions techniques, de nouvelles filières énergétiques, et pas seulement par une morale de l'abstention que nous avancerons, même si le changement des comportements n'en demeure pas moins nécessaire.
La charte de l'environnement a justement vocation à stimuler la recherche. Son article 9 est d'ailleurs dédié à la recherche. Par ailleurs, dans son article 5, relatif au principe de précaution, elle met en place une procédure très originale. Les mesures de précaution doivent être transitoires et s'accompagner d'un effort d'évaluation, c'est-à-dire d'un effort de progrès de la connaissance. En d'autres termes, chaque fois que l'on mettra en oeuvre le principe de précaution, il y aura nécessairement une dynamisation de la recherche scientifique.
La charte nous incitera également à développer la dimension internationale de notre action en faveur de l'environnement. Je remercie M. de Montesquiou d'avoir insisté sur cette dimension. Comme M. Vergès, je suis frappé de ce que la charte nous soit présentée après un cheminement international très cohérent, ponctué par les conférences de Rio et de Johannesburg.
L'article 10 de la charte fait référence à l'action internationale de la France. Je considère que la mission d'un ministre de l'écologie réside, dans une très large mesure, dans son action internationale.
Le dialogue avec les pays du Sud est capital. Il est également indispensable que les contraintes que nous imposons à notre économie au nom de l'environnement restent cohérentes avec celles de nos partenaires développés. Nous y travaillons sans cesse et, croyez-moi, le poids moral de la charte va beaucoup nous aider.
J'ai entendu des remarques que je synthétiserai ainsi : le Gouvernement et sa majorité proposent une charte de l'environnement mais leur politique n'est pas à la hauteur des exigences de cette charte.
M. Claude Saunier. C'est vrai !
M. Serge Lepeltier, ministre. Permettez-moi de faire à ce sujet quelques brefs rappels.
La profonde réforme de la lutte contre les risques, réalisée sous l'impulsion de Roselyne Bachelot, marquera le droit de l'environnement. L'action déterminée de mon prédécesseur produira également des résultats durables dans la lutte contre les inondations.
Puisque j'ai prononcé le mot « durable », comment passer sous silence la stratégie du développement durable, dont j'assurerai directement le suivi après le départ de Tokia Saïfi. J'envisage de soumettre rapidement un projet de loi sur l'eau qui comportera des mesures très novatrices.
Le plan Climat, qui sera prochainement rendu public, comportera des mesures ambitieuses dans tous les secteurs, y compris dans les transports. La presse a suffisamment rendu compte ces jours-ci du plan national Santé-environnement. Je n'ai pas besoin d'insister sur son importance ni sur son ambition. D'ailleurs, nombre d'intervenants ont évoqué le principe du bonus-malus que nous souhaitons inscrire au nombre des mesures environnementales.
Je tiens aussi à rassurer Mme Didier s'agissant du programme européen REACH relatif à la mise sur le marché de très nombreuses substances chimiques.
La France accueille favorablement cette initiative de la Commission et ne pose que des questions de nature technique, notamment d'articulation avec d'autres réglementations.
Je tiens également à rassurer ceux qui disent en substance : transposons les directives et appliquons les lois au lieu d'inscrire une référence à l'environnement dans la Constitution !
Certes, nous avons connu naguère un grand laisser-aller dans la transposition des directives relatives à l'environnement, et ce quelles que soient les majorités. Toutefois, grâce au recours aux ordonnances et à la mobilisation des services, nous sommes en train de remédier à cette situation.
Le Gouvernement s'applique également à améliorer l'exécution des lois par le renforcement des effectifs de l'inspection des installations classées et par la conduite d'études très approfondies sur la modernisation de la police de l'environnement. Les raisons d'espérer, je vous prie de le croire, ne manquent pas !
Enfin, et c'est peut-être le point le plus important, le fait, pour un ministre de l'environnement, de pouvoir s'appuyer sur un socle constitutionnel dans les discussions, toujours très nourries, qu'il a avec les différents groupes de pression et avec les autres départements ministériels sera un atout considérable et très concret pour la défense de l'environnement.
Nous aurons l'occasion de revenir lors de la discussion du projet de loi de finances sur les moyens financiers consacrés à la mise en oeuvre de la politique de l'environnement. Pour l'heure, je me limiterai à souligner que le budget de mon ministère, qui était de 769 millions d'euros en 2002, atteint cette année 856 millions d'euros. Les moyens supplémentaires dégagés sont concentrés sur des actions dont l'importance ne vous échappera pas : je pense entre autres au renforcement des effectifs de l'inspection des installations classées, à raison de cent postes par an jusqu'à la fin de la législature. Au total, ce sont quatre cents postes qui seront ainsi créés.
Je voudrais maintenant revenir sur la réparation, dont les obligations sont fixées à l'article 4. Certains prétendent qu'il y aurait recul par rapport au principe pollueur-payeur, dont les termes n'ont pas été retenus. Il faut une explication claire sur le choix de l'expression « contribue à réparer » et l'omission de l'expression « principe pollueur-payeur ». Il y a eu nombre de malentendus sur ce sujet et je souhaiterais les dissiper.
Le principe de réparation des atteintes à l'environnement est une avancée de la charte,...
M. Patrice Gélard, rapporteur. Il n'existait pas.
M. Serge Lepeltier, ministre. ...ce n'est absolument pas un recul. Cela signifie que, désormais, les pollueurs devront réparer, outre les dommages habituels, des atteintes qui ne concernent pas les propriétés privées, comme les atteintes à la faune sauvage. A cet égard, je rassure Mme Blandin : l'article 4 englobe également la responsabilité traditionnelle vis-à-vis des biens privés mais il y ajoute la responsabilité environnementale. Le principe de réparation va donc beaucoup plus loin que le principe pollueur-payeur, reconnu de longue date en droit de l'environnement.
En effet, le principe pollueur-payeur n'est pas défini dans le traité communautaire lui-même. Mais il est défini ou interprété de manière constante dans les textes de référence en droit international ou communautaire. C'est d'abord un principe économique qui met l'accent sur le financement principalement de l'action préventive et de la lutte contre les pollutions déjà constatées. Ce n'est pas actuellement un principe de responsabilité, et certains textes le précisent explicitement.
Je souligne que la commission Coppens, après un travail approfondi, et d'ailleurs dans les deux versions du projet de charte qu'elle a remis, retient également l'expression « contribution à la réparation ».
Dans sa nouveauté, on ne peut pas établir ce principe, c'est vrai, de manière absolue, comme dans le droit classique de la responsabilité, puisque les atteintes à l'environnement peuvent être incommensurables par rapport aux dommages classiques.
L'objectif est donc clairement la réparation intégrale. Mais il appartient au législateur de fixer les limites et les conditions de cette obligation de réparation sans être lié par une formulation trop absolue.
M. Yves Fréville a évoqué le principe de réparation et l'application d'un certain nombre d'outils désormais utilisés, en particulier les quotas d'émission de gaz à effet de serre.
Je précise que le gaz à effet de serre n'est pas un polluant, c'est son accumulation qui pose problème, mais, pour la démonstration, considérons-le comme un polluant.
S'agissant des quotas d'émission, la question qu'a posée M. Fréville est la suivante : l'entreprise qui a le droit d'émettre un polluant, par exemple parce qu'elle a acheté un droit d'émission, peut-elle être obligée de réparer les conséquences de la pollution émise ? Il s'agit d'une question importante. Mais cette question n'est pas propre à la charte, c'est la question classique de la responsabilité pour dégâts causés par des activités licites, donc légales.
Notre droit connaît la responsabilité sans faute. Il faut donc combiner la sécurité juridique des bénéficiaires d'autorisation, puisque le détenteur d'un quota d'émission est autorisé à émettre, et l'obligation pour chacun d'indemniser les dommages qu'il provoque.
La solution, c'est tout simplement la loi qui la définira, et c'est pourquoi l'article 4 renvoie à la loi. Il existe de nombreux exemples dans le droit actuel. Ainsi, une entreprise autorisée à émettre des polluants doit indemniser les voisins installés avant elle si elle provoque des dégâts, mais elle n'est pas tenue d'indemniser ceux qui s'installent après son implantation. On voit bien là que la loi exprime ce qui doit être ; elle pourra donc dire comment traiter, au regard de l'article 4 de la charte, les entreprises qui auront acheté des quotas.
J'ajoute que, dans ce cas précis, le système de quotas est fait pour limiter et diminuer les émissions ; ce n'est pas un droit à augmentation. Donc, il va plutôt dans le sens des objectifs de la charte, et naturellement la loi pourra, et à mon sens devra, en tenir compte.
Je souhaite également revenir sur l'article relatif au principe de précaution. Il a donné lieu à de très nombreux commentaires, pas toujours concordants. Le ministre de la justice et moi-même, comme l'ensemble du Gouvernement, sommes en parfait accord sur ce point. Je constate d'ailleurs que nos analyses sont confortées par celles des deux rapporteurs et d'un certain nombre d'orateurs ; je pense en particulier à M. Lecerf.
Je voudrais d'abord répondre à MM. Badinter et Fauchon que, si le Gouvernement souhaite voir le principe de précaution inscrit au niveau de la Constitution, c'est parce que nombre des mesures de précaution qu'il y aura lieu de prendre devront être adoptées par le législateur ; c'est pourquoi nous souhaitons que la norme qui organise ce principe soit supérieure à la loi.
Dans la charte, le principe de précaution est, c'est vrai, le seul principe d'effet direct. Pourquoi ? Parce qu'il envisage des solutions à la fois très particulières et très graves qu'il est difficile de réglementer par avance dans un texte de portée générale et permanente comme l'est une loi. (M. Jean-Pierre Sueur s'exclame.) L'expérience du passé, concernant par exemple la détérioration de la couche d'ozone, puis le changement climatique, a témoigné qu'il fallait souvent agir sans attendre, notamment s'en attendre une loi qui interprète.
Cet effet direct signifie qu'une loi n'est pas nécessaire pour en définir les modalités d'application, comme c'est déjà le cas aujourd'hui, et à la différence des articles précédents. Pour autant, effet direct ne signifie nullement organisation de l'arbitraire administratif. L'administration reste, comme toujours, tenue dans son action au respect du principe de légalité. Les mesures prises au titre du principe de précaution, de nature diverse - budgétaires, organisationnelles, réglementaires, individuelles, programmes de recherche, etc. -doivent être légalement prises. Elles doivent donc respecter en particulier les autres principes de niveau constitutionnel déjà consacrés ; je pense notamment au principe d'égalité.
Effet direct ne signifie pas davantage dessaisissement du législateur. Les analyses concordent sur ce point. Pour le moment, le principe peut être mis en oeuvre dans le cadre des moyens dont dispose la puissance publique - qu'il s'agisse de la recherche ou de l'expertise - ou des législations qui permettent déjà de réglementer certaines activités pour la protection de l'environnement.
L'effet direct, c'est donc une mise en oeuvre sans délai de ce principe, mais cela n'a rien à voir avec les effets diaboliques que tendent à lui prêter ses adversaires.
Par ailleurs, comme l'a très bien analysé votre rapporteur, le principe édicte une obligation de moyens, et non une obligation de résultat. Par construction, au moment même on l'on prend les mesures de précaution, l'on ne peut pas juger si l'on parviendra ou non à parer le dommage.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Tout à fait !
M. Serge Lepeltier, ministre. L'obligation est d'y tendre. Parfois, l'échelle de temps des phénomènes en cause est longue, comme pour le cycle de certains produits chimiques évoluant dans le milieu naturel. Le juge, dans la jurisprudence en vigueur, tient pleinement compte de la difficulté inhérente aux situations en cause.
MM. Yves Fréville et Robert Badinter se sont interrogés sur la notion d'autorités publiques.
Pour le Gouvernement, la réponse ne fait pas de doute : ce sont l'Etat, les collectivités territoriales et, d'une manière générale, les personnes morales dotées d'un pouvoir réglementaire, étant entendu que l'obligation de prendre des mesures de précaution ne s'entend que dans le cadre strict de leurs compétences juridiques.
Enfin, j'apporterai une dernière clarification d'importance sur environnement et santé.
Cette charte est une charte de l'environnement, et l'article 5 est destiné à protéger l'environnement. Mais, bien entendu, il s'agit de le protéger en premier lieu dans la perspective de protéger l'homme lui-même ; c'est l'objet de l'article 1er. Donc, il est clair que chaque fois que l'atteinte grave et irréversible à l'environnement envisagée dans le contexte de l'article 5 a également des implications sur la santé, directes ou indirectes, on reste dans le champ de cet article 5.
Je pense, à titre d'exemple, à l'appauvrissement de la couche d'ozone, qui induit des dommages majeurs à l'écosystème, à l'ensemble de la biosphère, mais aussi qui aggrave directement l'incidence des cancers de la peau. Cela dit, et je suis en plein accord avec M. Philippe Richert sur ce point, on ne doit pas réduire les questions d'environnement aux questions sanitaires. La question de la biodiversité, par exemple, est effectivement majeure.
Mais le point d'entrée dans les prévisions de l'article, c'est bien l'environnement, ce n'est pas la santé elle-même. L'avis auquel s'est rangé le Gouvernement, c'est qu'il ne convient pas d'appliquer ce principe aux actes médicaux, à la recherche thérapeutique ; c'est pourquoi la formulation retenue l'exclut.
Enfin, il faut se rappeler que le principe de précaution n'a vocation à s'appliquer que dans les circonstances exceptionnelles qu'il décrit : le principe majeur d'action face aux atteintes à l'environnement, c'est le principe de prévention, et il protège aussi bien l'environnement que, à travers lui, la santé en tant qu'elle est liée à l'environnement.
Ce caractère exceptionnel du principe de précaution justifie que ses conditions d'intervention ne soient pas trop larges. C'est pourquoi, contrairement à ce qu'ont soutenu certains orateurs, il convient, à mon avis, de maintenir la rédaction qui prévoit que les dommages à l'environnement doivent être graves et irréversibles, et non pas « graves ou irréversibles ».
Avant de terminer, je voudrais, puisqu'elle a été citée, commenter la toute récente décision du Conseil constitutionnel rendue à propos de la loi pour la confiance dans l'économie numérique. Elle éclaire le débat sur la position de la charte par rapport au droit communautaire, soulevé par maints orateurs.
Cette décision est une nouvelle illustration de la primauté du droit communautaire, pour la première fois dans le contexte de la transposition d'une directive, à laquelle sont opposés des principes de niveau constitutionnel. Elle a déjà fait l'objet de nombreux commentaires, trop rapides comme souvent.
En réalité, cette décision préserve complètement l'autorité de la charte dont nous discutons en ce jour, et je voudrais expliquer pourquoi.
Je cite le considérant essentiel : « la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle à laquelle il ne pourrait être fait obstacle qu'en raison d'une disposition expresse contraire de la Constitution ; (...) en l'absence d'une telle disposition, il n'appartient qu'au juge communautaire, saisi le cas échéant à titre préjudiciel, de contrôler le respect par une directive communautaire tant des compétences définies par les traités que des droits fondamentaux garantis par l'article 6 du traité sur l'Union européenne ; ».
Ainsi, le cas échéant, une disposition de la charte de l'environnement qui serait en contradiction avec une directive ou qui donnerait une définition plus précise et plus contraignante d'un principe figurant au traité aurait valeur supérieure au droit communautaire devant le juge constitutionnel. L'autorité de la charte est donc préservée par cette décision. Mais il faut souligner aussi l'importance de formulations précises et contraignantes, si nous voulons qu'elles puissent conduire à écarter une clause plus imprécise du droit communautaire. Cela justifie donc pleinement la précision de certains articles de la charte, en particulier de l'article 5.
Pour conclure, je dirai qu'il nous faut une charte de l'environnement de niveau constitutionnel, au coeur - comme l'a dit le garde des sceaux - de notre « pacte républicain ». Il nous faut changer d'échelle et de rythme dans l'action et les décisions à prendre. II faut aussi changer de niveau dans le texte qui exprime cette volonté.
A M. Robert Badinter, qui a utilisé un terme très fort, celui de « suffisance », pour qualifier le texte, je répondrai que, pour moi, 1789 fut le fruit d'un siècle de progrès dans la pensée politique, le Siècle des lumières, et que 1946 fut le fruit de décennies de progrès de la pensée sociale. Aujourd'hui, nous avons derrière nous un siècle de progrès économiques, qui n'est pas sans faire peur, sans faire peser des risques majeurs sur notre environnement, à la base de progrès dans la pensée écologique.
Nos illustres prédécesseurs de 1789 soulignaient, en introduction à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qu'ils l'adoptaient « afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ».
Cette même volonté de rappel permanent à la mémoire, sous une forme juridique et non purement littéraire, doit fortement nous animer. C'est pourquoi les principes du droit de l'environnement, ceux qui organisent notre responsabilité à l'égard des générations futures, doivent figurer dans la Constitution, à côté des autres principes fondamentaux.
Comme l'a dit M. Paul Vergès, dans une formule qu'il a attribuée au philosophe et que je trouve poétique, « ce texte parle aussi à la place des plantes et des animaux sans voix ». (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Serge Vinçon.)