PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi de finances pour 2005, adopté par l'Assemblée nationale.
Dans l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant la défense, nous en sommes parvenus aux quatre dernières questions des orateurs des groupes.
Chaque intervenant dispose, je le rappelle, de cinq minutes maximum pour poser sa question, le ministre a trois minutes pour lui répondre, après quoi l'orateur dispose de deux minutes maximum au titre de son droit de réplique.
La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de budget de la défense pour l'année 2005 a provoqué parmi les commentateurs, et jusque parmi les principaux responsables des armées, une amorce de débat stratégique de fond dont je voudrais ici me faire l'écho. Je souhaiterais évidemment que ce débat se prolonge au-delà de nos assemblées pour atteindre l'opinion publique.
Le débat porte d'abord sur le contexte international, sur la réalité des menaces qui pèsent sur le monde et sur notre pays et, par conséquent, sur la pertinence de notre concept de dissuasion nucléaire.
D'un point de vue stratégique, le concept de dissuasion nucléaire reposait hier sur une réalité qui désormais n'est plus : la menace que représentait l'Union soviétique. La dissuasion du faible au fort pouvait s'expliquer face à un ennemi potentiel clairement identifié, la protection de notre territoire sanctuarisé relevant d'une capacité de riposte purement nationale et dépendant de la seule décision des autorités françaises.
Or, la donne a changé. Les conflits régionaux, les affrontements interethniques, la menace terroriste, les conditions de prolifération se sont aggravés.
Une question se pose donc : une défense accordant une telle place au nucléaire correspond-t-elle à l'évolution des réalités géopolitiques et des menaces qui pèsent aujourd'hui sur la sécurité des Etats démocratiques et des peuples ?
J'espère, madame la ministre, que vous ne vous contenterez pas de clore le débat en affirmant, comme vous l'avez fait en commission, qu'il serait « irresponsable » de remettre en cause la dissuasion et que vous nous expliquerez comment évolue la doctrine de la France sur ces questions.
Interrogée voilà quelques heures par Didier Boulaud, vous avez affirmé que la doctrine française n'avait pas changé. Il existe pourtant un certain nombre d'indices de cette évolution. Qui décide de faire évoluer les armes, en recherchant - j'y mets les guillemets que la formule appelle - une « précision chirurgicale » ? Ne s'agit-il pas là des prémices d'une évolution doctrinale et stratégique, visant à passer de la dissuasion à l'égard d'un Etat à l'intervention ciblée ?
Par ailleurs, un autre débat s'impose à l'occasion de cette discussion budgétaire sur l'accélération nécessaire de la politique européenne de défense.
Nos intérêts vitaux ne sont pas différents de ceux de nos voisins. Vous avez évoqué les efforts, et même les progrès, qui sont en cours dans le sens d'une défense continentale assumée de façon mieux partagée. J'en prends acte. Mais comment ne pas constater les lenteurs et parfois les contradictions, particulièrement en termes de coopération industrielle, de matériels et de programmes d'équipement ?
Madame la ministre, les différents éléments que nous affichons sur le papier comme étant complémentaires ne sont-ils pas, en pratique, contradictoires ? La France peut-elle courir plusieurs lièvres à la fois ? Votre gouvernement n'est-il pas en situation de n'atteindre, à long terme, aucun des objectifs qu'il affiche ?
Concrètement, les militaires eux-mêmes se font l'écho de graves difficultés : d'un côté, un coût de développement d'armes nouvelles - 5 milliards d'euros pour la seule simulation des essais -, auquel s'ajoutent les sommes à consacrer au démantèlement des installations et des armes de premières générations ; de l'autre, un retard important et une dérive des budgets de la plupart des programmes majeurs - le Rafale, le Tigre, le NH 90 - conçus et lancés voilà maintenant une vingtaine d'année, dans un contexte d'ailleurs radicalement différent.
Les problèmes sont connus : nos vecteurs manquent d'allonge et nécessitent une flotte importante de ravitailleurs en vol ; des programmes nouveaux comme le transporteur militaire A 400 M ou les frégates multimissions ont été lancés trop tardivement. La maintenance des équipements et le niveau d'entraînement s'en trouvent réduits, tandis que certains matériels sont à bout de souffle.
Au total, en continuant à accorder une part énorme, et que, pour ma part, je juge excessive, de ses crédits à l'arme nucléaire, la France ne compromet-elle pas l'efficacité de ses forces classiques aujourd'hui mobilisées pour des actions d'interposition et de retour à la paix ? Ne fait-elle pas obstacle à une avancée plus rapide de l'Europe de la défense ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Madame la sénatrice, il est vrai que nous faisons face aujourd'hui à une multiplication des crises régionales, d'une part, et à un risque terroriste patent, d'autre part.
Cela dit, les autres risques existent toujours, même s'ils ont pris des formes nouvelles. Je le rappelais tout à l'heure, alors que des pays comme la Corée du Nord, le Pakistan, l'Iran peut-être, se dotent de l'arme nucléaire, alors que d'autres pays se préparent à s'en doter, il me paraîtrait totalement irresponsable de ne pas songer à protéger le territoire national contre ce genre de risques et à en faire éventuellement bénéficier d'autres pays alentour.
Il n'y a pas de changement de doctrine en la matière, je le répète, et le Président de la République l'a réaffirmé en 2001, il n'y a donc pas si longtemps. Il n'est question que de l'adaptation d'un certain nombre de nos armes afin qu'elles soient plus précises et conservent un caractère réellement dissuasif aux yeux d'un adversaire potentiel.
Par ailleurs, vous m'avez interrogée sur les programmes européens. S'il est vrai que ces programmes étaient, voilà quelques années encore, des rêves ou des utopies, je constate, depuis deux ans et demi, la mise en oeuvre très concrète d'un ensemble de programmes. Je pense à l'A 400 M, qui n'était effectivement pas « bouclé » à mon arrivée au ministère de la défense, mais qui l'est depuis. Les livraisons auront lieu prochainement.
Il en est exactement de même de l'hélicoptère de combat Tigre, dont les premiers seront livrés cette année, du NH 90, dont les programmes ont été lancés et dont les dates de livraison sont connues, du programme Galileo et du missile Meteor, pour ne citer que ces exemples.
En la matière, les programmes et les efforts complémentaires existent bien. Il s'agit bien de réalités et non d'utopies.
En ce qui concerne maintenant les programmes nationaux, la loi de programmation militaire a parfaitement équilibré les différentes composantes de notre protection : d'un coté, le nucléaire, dont la part dans l'ensemble de notre défense a considérablement diminué par rapport à ces dernières années, de l'autre, l'ensemble des autres programmes destinés à nous permettre de faire face aux différents types de menace que vous évoquiez tout à l'heure et également de tenir nos engagements internationaux, notamment lorsqu'il s'agit de projection.
Madame la sénatrice, comme vous, je ne peux que regretter le retard qu'accusent un certain nombre de programmes. Si de tels retards n'avaient pas été pris, nous aurions sans doute moins de dépenses au titre du maintien en condition opérationnelle, ou MCO. Et c'est bien parce que nos matériels sont vieillissants que nos coûts d'entretien sont extrêmement élevés. Or, madame la sénatrice, si nous avons du retard, il me semble que nous le devons essentiellement au gouvernement dont vous étiez membre ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Roger Romani. Touché !
M. Didier Boulaud. Pas en cinq ans ! C'est trop facile ! Un programme prend quinze ans. Le retard remonte donc à Balladur !
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Je note, madame la ministre, que vous ne m'avez pas répondu sur l'évolution des concepts mêmes utilisés dans le cadre de la dissuasion.
Mme Dominique Voynet. Le problème n'est pas uniquement d'ordre quantitatif. Il s'agit également de la définition de la doctrine...
Mme Dominique Voynet. ...et de l'utilisation des différents concepts. Il aurait été raisonnable de trouver des lieux pour en discuter de façon approfondie Nombreux sont ceux qui, au sein de l'armée et même du Gouvernement, déplorent comme nous, parlementaires, que le débat soit si pauvre sur ces questions.
Vous avez cité, madame la ministre, les autres risques qui continuent d'exister. Nous ne sommes effectivement pas confrontés uniquement à des groupes terroristes ou à des « Etats voyous », pour reprendre un concept bien curieux qui s'est banalisé. La Corée du Nord, le Pakistan, l'Iran, sont probablement dotés d'armes contre lesquelles nous devons nous protéger. Simplement, je ne crois pas que nous puissions nous résigner, du moins aussi facilement que vous semblez le faire, à la relance actuelle de la course à des armements hypersophistiqués et sans rapport avec la réalité des tensions mondiales.
Il ne s'agit pas de renoncer à l'usage de la force lorsqu'elle nécessaire et fondée sur le droit. Simplement il faut mettre en cohérence nos conceptions stratégiques et notre outil de défense avec nos ambitions, européennes et internationales, au service de la paix.
De ce fait, je crois prioritaire de l'affirmer ici, notamment à l'occasion d'une discussion budgétaire, nous ne devons pas renoncer à l'objectif d'un désarmement multilatéral et contrôlé. Les discussions marquent évidemment le pas dans le cadre multilatéral, nous le verrons à l'occasion de la reprise des discussions dans le cadre de la révision du traité de non-prolifération nucléaire qui se tiendront en mai 2005.
Pour ma part, je pense que la France doit renoncer à l'escalade technologique en matière d'armes nucléaires et de boucliers antimissiles à laquelle se livrent les Etats-Unis et qu'elle doit utiliser son statut de puissance nucléaire pour relancer activement le traité de non-prolifération nucléaire.
Même si vous l'avez présenté comme un progrès et l'un des objectifs de la période qui vient, la construction d'une Europe de la défense doit décidément devenir notre ambition centrale, qu'il s'agisse de notre action diplomatique, de l'organisation de nos armées ou de la conception et de la planification de nos équipements militaires.
J'observe, madame la ministre, les recompositions en cours de nos groupes d'armement ; ils étonnent les plus fidèles de nos alliés. Je redoute que votre gouvernement, soumis à leur contrainte, pour ne pas dire à leurs pressions et à leurs lobbies, ne poursuive dans ces conditions une politique « au fil de l'eau », fort préjudiciable à l'avenir de notre sécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Madame la ministre, ma question sera beaucoup moins générale.
J'ai noté que de nombreux orateurs, depuis le début de l'après-midi, on dit du projet de budget de la défense qu'il était « contraint », en dépit du fait qu'il respecte parfaitement la loi de programmation militaire.
Cependant, vous disposez, madame la ministre, de deux moyens pour assouplir la gestion de l'ensemble des crédits qui vous sont confiés.
Le premier de ces moyens est l'externalisation d'un certain nombre de services. Vous avez évoqué à titre d'exemple le matériel automobile commercial. Cette externalisation vous a-t-elle permis de dégager des marges de manoeuvre suffisantes ? L'externalisation des services pourrait être poussée beaucoup plus loin et concerner, par exemple, les services comptables.
L'externalisation de la gestion des bâtiments de la gendarmerie est une très bonne idée en ce qu'elle permettra certainement d'améliorer la gestion de l'ensemble. J'aimerais savoir ce que cela représente en termes d'activités et de services dans l'ensemble de votre gestion.
Bien entendu, les crédits d'investissement ne peuvent être concernés, mais je suis persuadé qu'il est possible, dans le cadre d'un programme pluriannuel d'externalisation, d'assouplir la gestion de l'ensemble des crédits.
Le second de ces moyens, plus difficile à mettre en oeuvre, consiste à recruter du personnel civil. Les membres de la commission des affaires étrangères ont été frappés, lorsqu'ils ont auditionné l'amiral Battet, de constater que la marine comptait 44 000 marins et 11 000 personnels civils, ces derniers constituant un pourcentage très important des effectifs. Ce pourcentage est plus faible dans l'armée de terre, dans l'armée de l'air et dans la gendarmerie.
Madame la ministre, avez-vous utilisé la totalité des marges de manoeuvre que vous ont données les lois de finances successives ? Parvenez-vous à trouver les spécialistes dont vous avez besoin ? Il est ainsi prévu de recruter sept cents gendarmes - je pense que vous les trouverez -, cinquante-cinq médecins afin de renforcer les services médicaux - ce sera plus difficile ! - et, enfin, vingt personnes pour la direction générale des services extérieurs, la DGSE. Il s'agira à l'évidence d'experts dans des spécialités très pointues, qui maîtriseront parfaitement des langues aussi difficiles pour nous Français que le chinois, l'arabe et toutes ces langues dont nous ne sommes pas très férus. Parviendrez-vous à les recruter, madame la ministre ?
Par ailleurs, je voudrais savoir, d'une part, si vous utilisez la totalité des marges de manoeuvre dont vous disposez pour le recrutement des personnels civils, d'autre part, si vous n'allez pas être obligée de mettre en place des systèmes de gestion particuliers pour ces personnels civils à qui les méthodes appliquées pour gérer les militaires ne peuvent être étendues du fait du pluralisme syndical, des comités techniques paritaires, notamment.
Autrement dit, quelles méthodes de gestion allez-vous mettre en oeuvre pour gérer ces personnels civils, qui, à terme, vont représenter une partie importante des effectifs ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Monsieur Fourcade, je veux agir avec pragmatisme et j'examine donc toujours le rapport coût-avantage. C'est, me semble-t-il, la condition d'une bonne gestion. Cela signifie notamment que, pour ce qui est de l'externalisation, nous procédons systématiquement à une étude préalable des appels d'offres.
Les trois premières opérations que nous avons envisagées et que nous lançons cette année sont, comme vous l'avez dit, l'externalisation de la gestion des véhicules de la gamme commerciale - il n'est, bien entendu, pas question de « toucher » aux véhicules opérationnels -, celle de la gestion des immeubles destinés au logement des gendarmes et celle de la formation de base des pilotes d'hélicoptère. Cette dernière n'implique pas l'utilisation de matériels spécialisés et nous faisons donc une économie.
Bien entendu, nous ferons ensuite le bilan de ces opérations et nous examinerons, au fur et à mesure, quelles autres possibilités s'offrent à nous.
J'ai parlé du rapport coût-avantage. Un des problèmes auxquels nous nous heurtons lorsque nous nous adressons à l'extérieur est, je le dis d'emblée, celui du coût supplémentaire du fait du paiement de la TVA. Nous prenons donc en considération non seulement la qualité de la prestation que l'on nous offre, mais également son coût.
Nous devrons poursuivre en ce sens, et notre démarche relève non pas de l'idéologie, mais bien d'un souci de bonne gestion.
Quant aux personnels civils, le ministère de la défense y recourt depuis longtemps, mais il est vrai que la professionnalisation tend logiquement à ce que ces personnels prennent une place plus grande, les personnels militaires se voyant confier toute la partie opérationnelle ou projetable.
Le taux de personnels civils employés par le ministère de la défense est de près de 20 % et continue à progresser. J'ai commandé dans le courant de l'année dernière un rapport, qui m'a été remis il y a environ deux mois, sur la place et le rôle, armée par armée, des personnels civils de façon à la fois à valoriser ces personnels et à parvenir à une juste répartition des métiers.
Je suis très attentive à cette juste répartition, étant entendu que le remplacement des personnels militaires par des personnels civils ne pourra se faire que progressivement, ne serait-ce que parce que nous devons tenir compte des personnels en place.
En ce qui concerne nos capacités de recrutement, nous n'avons pas de problème particulier, mais il y a évidemment des différences selon les métiers et les aides que nous pouvons apporter sont modulées en conséquence. Je l'ai déjà dit, nous accordons désormais chaque année aux personnels, au titre de la reconnaissance professionnelle, l'équivalent des cinq années 1997 à 2002, justement pour rendre plus attractifs certains de nos métiers.
Quant à nos méthodes de gestion, elles sont tout ce qu'il y a de plus classiques : la gestion des fonctionnaires civils du ministère de la défense obéit exactement aux mêmes principes que la gestion des autres fonctionnaires et ne soulève pas de problème majeur.
Je tiens d'ailleurs à rendre hommage aux personnels civils du ministère de la défense : ils ont à coeur de bien faire leur métier et, à l'instar des militaires, ils sont tout à fait conscients du rôle déterminant qu'ils jouent dans la défense de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Je tiens simplement à remercier Mme la ministre de la qualité de sa réponse.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la ministre, avec 32,82 milliards d'euros de crédits pour 2005, le budget de la défense progresse de 1,6 % par rapport à 2004. Pourtant, nombre d'incertitudes demeurent quant au financement de plusieurs programmes d'armement, étant entendu que la question n'est pas de savoir si ces programmes sont ou non surdimensionnés, même si les débats au sein de la commission des finances du Sénat ont révélé les doutes de certains membres de votre majorité. Ces programmes ont été actés par la loi de programmation militaire 2003-2008.
Vous dites, madame la ministre, que, pour la troisième année consécutive, votre budget respecte scrupuleusement la loi de programmation. Pourtant, un certain nombre de projets restent flous. Je pense particulièrement au programme des frégates européennes multimissions, les FREMM.
Le programme FREMM prévoit la construction, en coopération avec l'Italie, de dix-sept frégates. Pour la France, huit frégates sont prévues dans le cadre de la programmation, soit quatre en 2005 et quatre en 2007. La commande aurait dû être passée avant la fin de 2004. Cependant, si 1,7 milliard d'euros d'autorisations de programme sont inscrits au budget de 2005, aucun crédit de paiement n'apparaît.
Votre ministère dit réfléchir à un « schéma de financement innovant ».
Dans son rapport, M Fréville indique que le problème de financement des FREMM est lié à la restructuration de DCN : la transformation de cette société aurait pesé sur les crédits de la marine nationale, les crédits de paiement destinés au financement des FREMM ayant été utilisés pour financer la restructuration.
Il me semble, madame la ministre, que vous devez à la représentation nationale des explications supplémentaires sur ce sujet. Il faut lever les doutes quant au financement de ces frégates. Cette commande est d'une importance capitale notamment pour la DCN, dont le sort même est incertain.
Le Gouvernement entretient le plus grand flou quant à l'avenir de l'industrie navale et militaire française. Lors d'une récente séance de questions d'actualité, M Devedjian a tout bonnement refusé de répondre à la question que je lui posais quant à l'hypothèse d'un rachat de Thales par EADS et ses conséquences.
Cette question est pourtant de la première importance, car, jusqu'à présent, c'est l'hypothèse d'un rapprochement entre DCN et Thales qui était privilégiée, et j'ai cru comprendre, en entendant votre réponse à M. Boyer, qu'elle l'était aussi par vous.
On comprend mieux désormais le blocage du projet par Dassault et Alcatel, actionnaires de Thales. En fait, le seul élément tangible semble être l'ouverture du capital de DCN et la possibilité de filialisation que vous avez annoncée lors du dernier salon Euronaval. Pourtant, là aussi, c'est le flou qui domine.
Lors du changement de statut de DCN, le Gouvernement s'était engagé à rendre compte annuellement devant l'Assemblée nationale et le Sénat de l'état d'avancement du projet et du contrat d'entreprise de la nouvelle société. Nous avons pourtant le plus grand mal à obtenir des informations. Reste qu'il nous importe de connaître la réalité du projet industriel de l'Etat concernant DCN !
En 2002, l'Etat s'était engagé à conserver 100 % du capital. Jusqu'à présent, vous n'aviez jamais remis en cause cet engagement, madame la ministre, mais votre réponse à notre collègue André Boyer m'incite à penser que les choses ont changé. Dès lors, on peut se demander quand et comment l'ouverture du capital interviendra.
Le Conseil d'Etat s'est opposé à l'incorporation des dispositions relatives à cette ouverture dans le projet de loi de finances rectificative à venir. Il semblerait que vous hésitiez entre deux hypothèses : déposer un texte spécifique à l'Assemblée nationale dans les trois à six mois qui viennent ou intégrer la mesure dans le prochain projet de loi portant diverses mesures d'ordre économique et financier. Pour ma part, j'estime que, eu égard à son importance, cette mesure mérite un débat spécifique !
Vous avez annoncé, madame la ministre, la présentation d'un texte, mercredi prochain, en conseil des ministres, ce qui semble démontrer que vous privilégiez la seconde hypothèse, mais je souhaiterais que vous me le confirmiez.
Cette éventuelle ouverture du capital de DCN soulève diverses questions, que vous avez certainement envisagées.
Pouvez-vous nous dire comment sera garanti le contrôle du capital par l'Etat, s'il est garanti ? Comment sera conservée l'unicité de l'entreprise ? Comment seront assurés son plan de charge et les engagements de l'Etat ? Comment les garanties statutaires données aux ouvriers d'Etat et aux fonctionnaires affectés à la nouvelle société DCN seront-elles préservées ? Avec l'ouverture du capital, que deviendront le statut des ouvriers de l'Etat et, surtout, leur régime de retraite ? Ce dernier devra-t-il être adossé au régime général, comme pour EDF-GDF ? Si oui, dans quelles conditions et pour quel montant ? Enfin, comment cet adossement serait-il financé ?
Les syndicats de DCN ont déjà eu l'occasion de dénoncer, à propos des relations avec leur direction, l'absence de dialogue et de perspectives. Vous les avez reçus, mais, jusqu'à ce que vous fassiez l'annonce de l'ouverture du capital, ils n'avaient jamais été informés du projet et, aujourd'hui encore, ils ont le plus grand mal à savoir où on veut les emmener.
Toutes ces incertitudes ne font que renforcer les craintes des personnels, des industriels de la sous-traitance, dont la situation est plus que jamais fragile, et des collectivités locales. Je vous saurais gré, madame la ministre, de bien vouloir apporter au plus vite à tous ceux qui s'interrogent des réponses claires et précises.
M. Didier Boulaud. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Monsieur Godefroy, pour vous répondre, je vais devoir me répéter, et je vous prie de m'en excuser.
Ainsi, en ce qui concerne les FREMM, je répète qu'il n'y a effectivement pas de crédits de paiement, puisqu'il n'y aura de paiement ni en 2005, ni en 2006, ni en 2007. Nous en sommes au stade des autorisations de programme, qui, elles, figurent bien dans le projet de budget.
M. Yves Fréville, rapporteur spécial. Très bien !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Vous parlez par ailleurs d'« un problème de financement lié à la restructuration de DCN ». Je ne partage pas du tout cette analyse, puisque, encore une fois, s'il n'y a pas de crédits de paiement, c'est simplement parce que nous en sommes au stade des commandes, donc des autorisations de programme.
Quant au sort de DCN, j'ai déjà eu l'occasion d'indiquer qu'aujourd'hui nous étions en avance sur le contrat d'entreprise.
J'ajoute que le carnet de commandes de DCN est plein et qu'il va d'ailleurs être encore complété par les frégates multimissions.
Il est indispensable pour qu'elles soient viables de donner à nos industries d'armement les moyens d'atteindre une taille qui soit au minimum européenne afin qu'elles puissent faire face à la concurrence internationale et notamment, en matière maritime, à la concurrence de l'Asie du Sud-Est.
Je me situe bien dans cette logique : c'est afin que DCN puisse passer les alliances qui lui permettront d'être confortée que je souhaite ouvrir son capital.
J'ai annoncé que le projet de loi serait présenté mercredi en conseil des ministres ; ce projet de loi sera déposé devant le Parlement juste à la fin de l'examen du projet de loi de finances rectificative. Nous respectons donc exactement le calendrier que j'avais indiqué.
Nous avons en effet interrogé le Conseil d'Etat pour savoir quelle formule devait être adoptée : fallait-il introduire notre texte dans le projet de loi de finances rectificative, puisqu'il comporte des dispositions qui en relèvent ou fallait-il, puisqu'il comporte également des dispositions d'une autre nature, comme celles qui sont relatives aux garanties statutaires que nous entendons donner aux personnels, élaborer un projet de loi séparé ? Cette seconde solution a semblé préférable et c'est donc un texte séparé qui sera examiné suivant le calendrier que j'ai indiqué.
« Absence de dialogue et de perspectives », avez-vous encore dit, monsieur Godefroy.
Je ferai remarquer qu'un texte préalable relatif à DCN a été présenté par un gouvernement précédent, dans lequel vous aviez beaucoup d'amis, sous la forme d'un simple amendement « glissé » à la dernière minute ...
Pour ma part, j'ai annoncé plus d'un mois auparavant et très publiquement ce que nous allions faire et comment nous allions procéder. La forme retenue, à savoir celle d'un projet de loi, donnera lieu à une discussion aussi bien en commission que dans les deux hémicycles.
M. Yves Fréville, rapporteur spécial. Très bien !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Vous le voyez, la transparence caractérise la démarche que j'ai retenue, ce qui tranche avec le passé s'agissant de DCN.
Nous discuterons donc de l'ensemble des questions que vous avez posées lorsque le projet de loi sera examiné. Aujourd'hui, je peux simplement vous répéter que les garanties statutaires qui seront apportées aux personnels de DCN correspondront aux engagements qu'avait pris l'Etat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Je ne vais pas allonger le débat, puisque nous reviendrons sur ces questions essentielles à l'occasion de l'examen de ce texte dont je retiens que ce sera un texte particulier, qui fera la navette d'une façon tout à fait normale,...
M. Jean-Pierre Godefroy. ...sur lequel nous pourrons procéder à des auditions et débattre normalement.
M. Jean-Pierre Godefroy. C'est fort bien, car tout cela me semble très important.
Concernant les frégates multimissions, je n'ai fait que reprendre ce que j'ai lu dans le rapport de la commission des finances, d'où ma surprise. Vous m'avez répondu, je vous en remercie.
J'insiste beaucoup, madame la ministre, sur le fait que des engagements très fermes ont été pris envers les salariés sous statut d'ouvrier d'Etat. C'est en tant que membre de la commission des affaires sociales que je réagis : s'il y a un changement de statut, nous allons sans aucun doute être confrontés au même problème que pour EDF-GDF et il va falloir trouver un système d'adossement du régime des retraites.
Comment pourront cohabiter, au sein d'une société dont le capital sera ouvert et au sein duquel l'Etat pourrait donc devenir minoritaire, des personnels bénéficiant d'un statut d'Etat, d'une retraite de l'Etat et des personnels relevant du droit privé ? Une telle formule me semble assez complexe, mais nous aurons l'occasion d'en discuter le moment venu.
M. le président. La parole est à M. Robert Del Picchia.
M. Robert Del Picchia. Madame le ministre, au risque de me répéter, mais je crois que cela en vaut la peine, j'aimerais vous assurer une nouvelle fois de mon soutien concernant l'action militaire française conduite en Côte d'Ivoire.
En ma qualité de sénateur des Français établis hors de France et au nom de mes collègues, j'estime utile de le rappeler : on ne le fera jamais assez !
Madame la ministre, je vous ai bien écoutée et, en entendant vos différentes réponses, j'avais l'impression d'assister à Questions pour un champion tant vous vous êtes montrée « incollable ».
M. Didier Boulaud. C'est La tête et les jambes !
M. Robert Del Picchia. Madame la ministre, puisque vous avez eu réponse à tout, ou presque, je me suis efforcé de trouver des questions plus difficiles encore. (Sourires.) Je vous soumettrai donc trois questions de fond et une petite question technique par laquelle je commencerai.
S'agissant des financements innovants, ils ne s'appliqueraient pas aux NH 90, car, nous dit-on, la commande ne serait pas suffisamment importante. Je vous pose cette question technique pour être sûr que vous n'aurez pas la réponse !
M. Didier Boulaud. C'est « quitte ou double » !
M. Robert Del Picchia. J'en viens aux questions de fond.
Avec le service national, la défense avait une fonction sociale d'intégration et de promotion professionnelles. Etant donné la brièveté des journées d'appel et de préparation à la défense, ou JAPD, elle ne peut plus remplir ce rôle, ni même d'ailleurs assurer le bilan sanitaire que constituait la visite médicale.
Quatre ans après la professionnalisation des armées, le ministère de la défense est-il à même de tenir une place dans l'action de cohésion sociale. Comment peut-il participer à la formation professionnelle des couches sociales les moins favorisées ?
Question plus difficile encore, ...
M. Jean-Louis Carrère. Superbanco !
M. Robert Del Picchia. ...la communauté internationale s'inquiète d'une éventuelle intervention rwandaise en République démocratique du Congo.
M. Charles Pasqua. C'est déjà fait !
M. Robert Del Picchia. Mais qu'en est-il officiellement ? Qu'elle est l'ampleur de l'opération ? Alors que la région est engagée dans un délicat processus de paix, après une guerre très meurtrière qui semble devoir reprendre, les forces européennes doivent-elles intervenir dans la région des Grands lacs pour prévenir ce que j'appellerai un « Ituri II » ? La coopération européenne en matière de défense, projet communautaire ambitieux, est-elle en mesure de le faire, aujourd'hui ?
Enfin, madame la ministre, bien que nous ayons longuement parlé de l'Europe de la défense et de ses avancées - la stratégie de sécurité, l'Agence européenne, la gendarmerie européenne à propos de laquelle je salue votre initiative - je souhaiterais vous poser une dernière question. Puisque, dans sa rédaction actuelle, le paragraphe 7 de l'article I-41 du projet de traité établissant une constitution pour l'Europe dispose que l'OTAN « reste, pour les Etats qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en oeuvre. », comment la défense française se positionne-t-elle face à l'OTAN ? Qu'attend la France de l'OTAN ?
Je vous remercie par avance de vos réponses.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Monsieur le sénateur, en ce qui concerne les financements innovants, il a été envisagé d'avancer la livraison des NH 90, en optant pour un autre type de financement. Cela étant, il nous est apparu que le coût supplémentaire demandé par Eurocopter était trop important par rapport au nombre d'appareils commandés, et qu'il n'entrait pas dans la loi de programmation militaire.
Cet élément est à rapprocher des propos que j'ai tenus sur l'externalisation : nous sommes contraints d'examiner au cas par cas le rapport coût-avantage. En l'espèce, les conditions qui nous étaient faites n'étaient pas assez intéressantes pour nous, ce qui nous a conduits à les refuser.
Il est vrai que, d'ordre général, les commandes supplémentaires se traduisent par une baisse du prix à l'unité, mais, en l'occurrence, la baisse n'est pas suffisante pour la commande que nous sommes en mesure de passer et qui correspond à nos besoins.
S'agissant du rôle de la défense dans l'action de cohésion sociale, on a beaucoup dit, en effet, que, avec le service national, avaient également disparu la mise en commun des savoirs et la formation minimale dispensée aux jeunes qu'il permettait. Gardons-nous, toutefois, d'entretenir ce qui n'est qu'un mythe : mis à part le permis de conduire, on ne pouvait guère parler de véritable formation !
M. Didier Boulaud. Pour la moitié des jeunes !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Aujourd'hui, le rôle de la défense en matière de cohésion sociale est de deux types.
D'abord, il s'agit d'une formation, certes, très succincte, mais commune aux garçons et aux filles à travers la JAPD. Je me suis efforcée de rendre cet enseignement, très sommaire puisqu'il se déroule sur une seule journée, plus intéressant et plus formateur quant à la responsabilisation de chaque jeune par rapport à son pays. J'ai d'ailleurs fait refaire les modules de présentation de la JAPD, pour les rendre plus attractifs et plus instructifs.
Dans le même esprit, j'ai souhaité que cette journée comporte une initiation au brevet de secourisme, afin que chaque jeune, non seulement sache pratiquer les gestes qui sauvent, mais soit conscient, avec cette possibilité d'intervenir lors d'accidents, qu'il est un peu responsable des autres.
Ensuite et surtout, la professionnalisation a permis un autre type d'intégration sociale et professionnelle qui, bien que concernant moins de personnes, agit plus en profondeur. Chaque année, en effet, la défense recrute entre 30 000 et 35 000 jeunes de tous niveaux, y compris des polytechniciens et des saint-cyriens, mais qui, pour la plupart, n'ont pas de formation.
Après avoir dispensé à ces jeunes une formation professionnelle de base et leur avoir appris un métier, la défense se chargera aussi de leur intégration professionnelle lorsqu'ils partiront, une fois arrivés au terme de contrats qui sont en général courts, c'est-à-dire au bout de cinq ou dix ans. De ce point de vue, nous enregistrons un taux de réussite tout à fait extraordinaire, puisque 96 % des jeunes qui quittent la défense sont intégrés dans les entreprises au titre d'un contrat à durée indéterminée. La défense est ainsi certainement l'organisme d'intégration professionnelle, et donc sociale, le plus performant de notre pays. Ce phénomène se reproduisant tous les ans, le rôle de la défense, bien que souvent méconnu, est donc tout à fait essentiel en la matière.
Pour ce qui concerne les relations actuelles entre le Rwanda et la République démocratique du Congo, il est vrai que la France est intervenue, voilà maintenant dix-huit mois, dans une opération difficile, qui était la première menée de façon autonome par l'Union européenne et qui a été une parfaite réussite.
Aujourd'hui, les conditions sont cependant extrêmement différentes.
D'abord, il ne faut pas oublier que l'ONU a obtenu, à la suite de notre intervention, des effectifs supplémentaires ; deux brigades sont ainsi en cours de déploiement dans cette région.
Ensuite, à notre demande et justement pour tenir compte des événements survenus antérieurement, les moyens, notamment juridiques, de l'ONU ont été renforcés, à l'instar de ceux dont la France avait disposé en la matière.
Aujourd'hui, l'ONU est donc effectivement en mesure d'exercer une pression politique et diplomatique sur les acteurs de cette crise. Cela a d'ailleurs été le cas, notamment la semaine dernière, au niveau du Conseil de sécurité, où le président rwandais a été mis en garde contre toute ingérence en République démocratique du Congo.
Je ne pense donc pas qu'il y ait recours à l'Union européenne, ni même mise en oeuvre du programme ReCAMP, ou renforcement des capacités africaines de maintien de la paix, qui est destiné à permettre l'équipement d'un certain nombre de forces africaines en cas de besoin.
Enfin, vous m'avez interrogée sur le projet de constitution européenne et sa référence à l'OTAN. Bien entendu, nous continuons à dire de l'OTAN qu'elle est le fondement de notre défense dès lors qu'une menace majeure pourrait peser sur l'Europe.
Cela étant, puisque vous me demandez ce qu'attend la France de l'OTAN en dehors de cette action générale, j'aurais tendance à inverser la question : qu'est-ce que l'OTAN attend de la France ? En effet, il ne faudrait pas oublier que notre pays est d'ores et déjà l'un des premiers contributeurs. A ce propos, je vous rappelle que, à l'heure où je vous parle, ce sont des généraux français qui dirigent les deux opérations les plus importantes, et au demeurant extrêmement difficiles, de l'OTAN : le général de Kermabon, au Kosovo, et un autre général français qui, à la tête de l'état-major de l'Eurocorps, dirige les forces de l'OTAN en Afghanistan.
Si la France compte parmi les contributeurs les plus importants de l'OTAN et commande ses deux opérations les plus importantes, elle joue, de surcroît, un rôle moteur dans la création d'une Europe de la défense. Cette dernière est elle-même appelée à intervenir, soit seule, comme alternative à l'OTAN ainsi qu'elle l'a fait, l'année dernière en Ituri, soit en liaison avec l'OTAN dont elle assure la relève, comme elle le fait depuis une semaine en Bosnie ou comme elle l'a fait, l'année dernière, en Macédoine, soit encore au sein de l'OTAN dont elle dirige certaines opérations.
Renforcer la défense européenne, c'est également, pour nous, un moyen de renforcer notre capacité, de façon autonome ou en liaison avec l'OTAN, de travailler pour la paix dans le monde et pour la stabilisation d'un certain nombre de zones.
Par là même, nous remplissons pleinement notre rôle, conformément à notre conception de ce que peut et doit être la place de la France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Robert Del Picchia.
M. Robert Del Picchia. En répondant à toutes mes questions Mme le ministre a gagné mon vote et donc des millions pour son ministère. (Sourires.)
M. Didier Boulaud. C'est surprenant !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. A ce stade de notre discussion, et après un débat interactif riche et intéressant (M. Didier Boulaud s'esclaffe), je voudrais formuler une proposition, et vous poser, madame la ministre, une ultime question.
Je propose que nous prenions le temps de mener une réflexion sur les modalités de constatation budgétaire des investissements militaires.
Lorsque les arbitrages sont trop difficiles, nous pouvons, en effet, être tentés de traiter différemment les investissements, tant les instruments dont nous disposons sont rudimentaires. Il n'y a pas si longtemps, j'ai effectué un déplacement dans un pays membre de l'Union européenne qui était à peu près parvenu à ramener le déficit à 3 % de son PIB conformément au pacte de stabilité et de croissance. J'ai appris à cette occasion que ce pays, ayant à acquérir un sous-marin, avait choisi la formule du crédit-bail, ce qui lui permet, plutôt que de passer l'investissement sur un seul exercice, de l'étaler sur des annuités, lui évitant ainsi de franchir ce seuil des 3 %.
Il nous faudra bien, comme on le voit avec les frégates, reparler de ces financements innovants. En effet, il arrivera un moment où, au-delà des autorisations de programme, l'Etat sera probablement conduit à donner une garantie. Il faudra bien, alors, trouver des organismes financiers pour porter l'opération et convenir de taux d'intérêt intercalaires. Cela, en soit, amènera le Gouvernement à saisir le parlement d'une autorisation de garantie. Il s'agira d'engagements hors bilan.
J'ai noté votre observation sur le problème, non négligeable, de la TVA. En effet, pour un investissement de 15 milliards d'euros TVA comprise, l'Etat perçoit près de 2,5 milliards d'euros de ressources au titre de cette taxe.
La proposition que je voudrais vous faire, en accord avec le rapporteur spécial, M. Yves Fréville, c'est que nous profitions du prochain semestre pour conduire une mission d'information sur les modalités de comptabilisation budgétaire de ces investissements. Faisons quelques comparaisons au plan européen, prenons l'attache d'Eurostat, qui est en quelque sorte le régulateur des constatations budgétaires, afin que tous les partenaires appliquent les mêmes méthodes, les mêmes nomenclatures, pour permettre une véritable comparaison.
Nous pourrions ainsi nous retrouver pour un débat à la fin du premier semestre 2005, avec une perception plus globale de la problématique des investissements dans la défense, prenant en compte la dimension TVA et son impact sur le budget de l'Etat. Une telle approche nous permettrait sans doute de nous projeter dans l'avenir, avec des modalités plus appropriées tendant à étaler les investissements dans le temps, par la voie des amortissements, plutôt que de faire peser sur un exercice donné le poids global d'un investissement. Cette méthode est plus judicieuse si nous voulons obtenir un tableau fidèle de la situation.
Il y a urgence à convenir de ces modalités, avant même que ne s'enclenche le nouveau système d'information budgétaire, comptable et financière de l'Etat et avant que ne débute la mise en oeuvre de la loi relative aux lois de finances.
Telle est la proposition, madame la ministre. J'en viens maintenant à mon interrogation ; elle concerne le futur texte portant ouverture du capital de DCN.
Je me réjouis que vous ayez choisi la formule du projet de loi, mais je ne vous cache pas mon inquiétude quant au calendrier. J'ai compris que le conseil des ministres se prononcerait mercredi prochain, que les députés pourraient débattre du texte le 16 décembre, et que, vraisemblablement, le Sénat en serait saisi en séance publique le 23 décembre.
Or je voudrais vous rendre attentive, madame la ministre, aux contraintes qui sont les nôtres. Nous sommes totalement impliqués dans la discussion de la loi de finances jusqu'au 14 décembre au soir et peut-être même jusqu'à une heure avancée de la nuit. Dès le lendemain, nous devrons réunir la commission des finances pour prendre position sur la loi de finances rectificative, ce qui nous occupera les 16 et 17 décembre. Et je n'aurai garde d'oublier les différentes commissions mixtes paritaires sur la loi de finances pour 2005, puis sur la loi de finances rectificative. Dans ce contexte, ajouter l'examen d'un projet de loi supplémentaire ne va pas sans poser problème.
Dès lors, si vous pouviez dès ce soir nous en dire un peu plus sur les dimensions de ce projet de loi, nous pourrions nous y préparer.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Monsieur le président de la commission des finances, c'est avec beaucoup d'intérêt que j'accueille votre proposition de création d'une mission d'information sur les modalités budgétaires.
C'est une réflexion qui serait certainement très utile, d'abord à la Haute assemblée, mais aussi au ministre de la défense. Peut-être même nous réservera-t-elle quelques surprises. Nous découvrirons peut-être, par exemple, qu'à partir du moment où nous mettons en place des modalités qui garantissent un financement régulier sur la durée, les industriels, ayant ainsi une garantie, seront moins tentés de prendre eux-mêmes des garanties sur les prix. Ainsi, ces nouvelles modalités, dès lors qu'elles assurent la réalité du financement, peuvent elles-mêmes être sources d'économies.
En-dehors du problème de TVA, dont nous parlions à l'instant, c'est là un aspect extrêmement important qui ne nous empêchera néanmoins pas de regarder dans quels cas les financements innovants sont possibles, dans quels cas ils paraissent moins cohérents, et d'étudier aussi les différents exemples de financement innovants.
La réflexion restait à mener en la matière, et je suis donc extrêmement favorable à cette proposition. Sachez que vous aurez l'entier soutien et l'entière participation du ministère de la défense sur ce projet.
En ce qui concerne DCN, j'ai bien conscience des contraintes du calendrier parlementaire, et nous allons tout faire pour vous faciliter la tâche, notamment en vous transmettant le projet de texte le plus tôt possible, sachant que ce dernier présente le gros avantage, monsieur le président, de n'être constitué que d'un article unique !
Mme Hélène Luc. Ce n'est pas un argument !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Madame Luc, je répondais à M. le président de la commission des finances, qui m'a interrogé sur les dimensions de ce texte : celui-ci est effectivement très court, tout en apportant les garanties nécessaires aux personnels concernés.
Mme Hélène Luc. Ce n'est pas pour cela que nous allons le voter à la sauvette !
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement qui concerne directement l'organisation de nos travaux.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Je ne suis pas très satisfait par ce que je viens d'apprendre, et je vais vous dire pourquoi.
Tout à l'heure, madame la ministre, je vous ai précisément interrogée sur DCN et le texte qui doit la concerner.
Je suis obligé de reconnaître, madame la ministre, que vous ne m'avez pas donné les informations que M. le président de la commission des finances vient de m'apporter quant aux délais de discussion prévus.
Vous m'avez, certes, répondu que l'ouverture du capital de DCN ferait l'objet d'un texte spécifique, mais vous avez omis de préciser que, du fait du calendrier extrêmement « serré » qu'a décrit M. le président de la commission des finances, la solution du projet de loi spécifique dont on nous vante les vertus n'est qu'un habillage. Quand donc pourrons-nous aborder toutes les questions que suscite cette ouverture du capital de DCN ? Certainement pas à l'occasion de la discussion d'un article unique ! Mais j'aimerais en savoir plus.
Vraiment, nous trouvons dommage que vous ayez décidé de procéder ainsi. D'ailleurs, puisque vous évoquiez les la précédente réforme du statut de DC, je ne me souviens pas qu'il y en ait eu beaucoup, dans la majorité sénatoriale, pour protester contre la méthode employée à l'époque.
Mais une autre question me vient immédiatement à l'esprit, madame la ministre : ce projet de loi sera-t-il présenté en urgence ?
On nous promet un large débat sur l'avenir de DCN, et nous apprenons aux détours d'une communication de notre président de la commission des finances que tout, ou presque, doit être bouclé le 23 décembre !
Madame la ministre, ce n'est pas une façon de décider de l'avenir de DCN !
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits concernant le ministère de la défense et figurant aux articles 48 et 49.
Article 48
Pour 2005, les crédits de mesures nouvelles de dépenses ordinaires des services militaires applicables au titre III : « Moyens des armes et services » s'élèvent au total à la somme de 261 312 144 €.
M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc, sur l'article.
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, je ne peux pas ne pas réagir à ce que je viens d'entendre. Madame la ministre, si faire adopter un texte un 23 décembre n'est pas contraindre le Parlement à l'examiner à la sauvette, on se demande ce que l'expression veut dire ! Nous n'acceptons pas une telle méthode
En ce qui concerne maintenant le titre III relatif aux moyens des armes et services, force est de constater qu'il existe des disparités entre les orientations données aux différents volets de ce budget.
De cette situation naît un déséquilibre en faveur du titre V qui, conjugué à la très large sous-estimation du coût financier de la professionnalisation des armées et au coût des OPEX, dont Robert Hue a parlé tout à l'heure, fait apparaître une situation de forte tension sur le plan social et humain, sur le sort des personnels, tant civils que militaires.
D'ores et déjà, il est à noter que les objectifs fixés par la loi de programmation militaire en matière d'effectifs ne seront pas totalement tenus. En ce qui concerne les personnels civils, ce sont 1 168 emplois qui seront supprimés au profit d'une politique d'externalisation menée à marche forcée.
Le but est-il de réduire au final à la portion congrue le périmètre des emplois civils relevant du ministère de la défense au profit des sous-traitances et du secteur privé ?
Je ne peux que m'opposer à une telle méthode, qui aura inévitablement un coût social et pourrait entraîner de graves dysfonctionnements dans la mise en oeuvre de certaines missions du ministère de la défense.
Dans le cadre des restructurations d'envergure engagées par le Gouvernement, je prendrai le cas de la direction centrale du matériel de l'armée de terre, la DCMAT, dont 50 % des effectifs seraient, semble-t-il, appelés à disparaître à terme, ou encore celui de la DGA, dont le changement de statut des centres d'essais laisse présager un avenir sombre pour les personnels.
Parallèlement, apparaît au sein même des armées un malaise croissant. Les personnels militaires sont inquiets des mesures qui les pénalisent. Ils s'inquiètent de voir le ralentissement, voire, dans nombre de cas, le gel des recrutements et des promotions. Ils ne comprennent pas les différences de traitement existantes entre les différentes armes.
A ce sujet, et à titre d'exemple, l'armée de terre, dont le malaise est sans doute le plus palpable, craint une réduction drastique de ses effectifs pour 2005. Tout à l'heure, madame la ministre, vous avez annoncé des mesures : mais ces promesses seront-elles vraiment tenues ?
Je ne reviendrai pas sur le sort des personnels hautement qualifiés de nos industries de défense, qu'il s'agisse des personnels du GIAT, de la DCN ou encore de la SNECMA. Les restructurations et fusions ouvrent la voie à des menaces sur les emplois et les statuts et à des dévalorisations salariales qui sont inacceptables.
Je terminerai en vous rappelant, madame la ministre, que la capacité opérationnelle des armées ne dépend pas uniquement de la modernisation et de la disponibilité des équipements ; elle dépend aussi et avant tout des hommes et des femmes, de leur mission pour la défense nationale, pour garantir la souveraineté, et oeuvrer pour la paix dans le monde.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade, pour explication de vote sur l'article 48.
M. Jean-Pierre Plancade. Madame la ministre, vous nous avez présenté aujourd'hui un budget sous haute tension financière. Vous avez tenté de résister aux assauts de Bercy, qui lorgne en permanence - on l'a lu et entendu - vers la rue Saint- Dominique. Je dois dire que vous avez réussi, mais partiellement.
En effet, comme cela a été dit par plusieurs intervenants, nous avons constaté des carences sur le titre III, en particulier des problèmes de recrutement, qui ont été d'ailleurs évoqués en commission par le chef d'état-major.
Nous avons aussi émis des critiques concernant la distribution des crédits d'équipement, notamment en ce qui concerne la préparation de l'avenir, la recherche, la politique spatiale.
Un point un particulier, qui a été largement évoqué, nous rend perplexes : il s'agit de l'inscription d'une dotation budgétaire de 100 millions d'euros en faveur des OPEX. En effet, tous l'ont souligné, et sur l'ensemble de ces travées, la somme nécessaire s'évalue entre 600 et 650 millions d'euros, ce que vous-même avez reconnu, me semble-t-il.
Plus tard, il sera probablement nécessaire de piocher ailleurs, peut-être même dans le titre V, pour combler le retard.
Vous avez créé la ligne budgétaire - et c'est très bien -, mais il faut aller jusqu'au bout de la logique et donc inscrire la dépense réellement estimée, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Qu'en est-il du projet du second porte-avions dont le programme doit être lancé en 2005 ? Nous n'en savons pas grand-chose, sinon presque rien. Il n'apparaît nulle part dans le projet de loi de finances qui nous est présenté et ne bénéficie d'aucune ligne budgétaire, pas même de provisions financières.
Je ne reviendrai pas sur la question des frégates, vous nous avez répondu, et je n'évoquerai que pour mémoire le prix du baril de pétrole : vous retenez un prix de 25 dollars, alors même qu'il se situe aujourd'hui autour de 50 dollars.
M. André Dulait. Il baisse : il serait proche de 33 dollars !
M. Jean-Pierre Plancade. Il nous est demandé aujourd'hui d'examiner, voire d'approuver un budget qui affiche, certes, une progression qu'il n'a pas connue depuis très longtemps, et je le dis très tranquillement. Cependant, il devra être largement modifié, car il ne correspond pas sur toutes les lignes à la loi de programmation militaire, notamment en matière de recherche.
De façon plus générale, - et c'est pourquoi le groupe socialiste ne le votera pas -, ce projet de budget s'inscrit dans une politique plus large, à laquelle nous ne souscrivons pas, qui consiste à réduire les déficits budgétaires en allégeant l'impôt pour les plus aisés, en augmentant les charges sociales des salariés, et à réaliser une réduction du déficit public qui ne respecte les engagements européens que grâce à une rentrée importante non budgétaire et non renouvelable.
Pour toutes ces raisons, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste ne votera pas ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Je mets aux voix l'ensemble de l'article 48.
Mme Hélène Luc. Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre !
(L'article 48 est adopté.)
Article 49
I. - Il est ouvert à la ministre de la défense, pour 2005, au titre des mesures nouvelles sur les dépenses en capital des services militaires, des autorisations de programme ainsi réparties :
Titre V : « Equipement » 14 935 506 000 €
Titre VI : « Subventions d'investissement accordées par l'Etat » 379 382 000 €
Total 15 314 888 000 €
II. - Il est ouvert à la ministre de la défense, pour 2005, au titre des mesures nouvelles sur les dépenses en capital des services militaires, des crédits de paiement ainsi répartis :
Titre V : « Equipement » 2 233 809 000 €
Titre VI : « Subventions d'investissement accordées
par l'Etat » 330 695 000 €
Total 2 564 504 000 €
M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud, sur l'article.
M. Didier Boulaud. L'examen de l'article 49 est l'occasion, madame la ministre, d'évoquer un sujet dont il a été peu question pendant ce débat, le renseignement. Or nous savons que le renseignement est un enjeu majeur de la politique de sécurité et de défense.
Aujourd'hui, l'organisation des sociétés démocratiques et des pouvoirs publics est soumise à la tension engendrée par ce qu'il est convenu d'appeler « le terrorisme de masse ». Je pense qu'il convient d'aborder cette question d'une manière globale, et ce débat budgétaire nous fournit l'occasion d'esquisser une analyse de la politique du Gouvernement en matière de renseignement.
Les crédits placés à la disposition du ministère de la défense constituent une part importante du financement de la fonction « renseignement ». Ce ministère a sous son contrôle direct, les crédits de la DGSE, la direction générale de la sécurité extérieure, de la DRM, la direction du renseignement militaire, et de la DPSD, la direction de la protection et de la sécurité de la défense. Il s'agit là de l'essentiel de l'architecture du renseignement en France.
Je suis obligé de constater que ces crédits sont globalement insuffisants : en euros courants, les dotations prévues pour 2005, à hauteur de 300,28 millions d'euros, sont inférieures à celles qui ont été votées en 2003 et qui s'élevaient à 304,15 millions d'euros.
En ce qui concerne les personnels, je ne suis pas non plus très satisfait. Il a déjà été signalé, dans différents rapports parlementaires, que les effectifs restent pratiquement stables, ce qui est contradictoire avec la politique affichée qui consisterait à donner la priorité au renseignement humain. Au ministère de la défense, sur 1 000 créations de postes annoncées, vingt seulement iront à la DGSE, ce qui pose problème, puisque nous savons par ailleurs que les effectifs réels de la DGSE sont sensiblement inférieurs aux chiffres théoriques, notamment en raison des postes de militaires non pourvus.
Il est indispensable de réfléchir aux moyens nécessaires pour garantir l'efficacité des services de renseignement à moyen et à long terme. Le budget de la défense devra revoir certaines de ses priorités à la lumière des évolutions récentes du monde contemporain.
En la matière, les recommandations du Livre blanc de 1996 et de la loi de programmation militaire sont-elles encore adaptées à l'évolution des menaces et aux exigences de déploiement de la première ligne de défense qu'est le renseignement ?
Nous le savons tous, et les événements tragiques à New York et à Madrid nous l'ont malheureusement rappelé, la menace terroriste est toujours présente. Mais nous savons aussi que le terrorisme se combat, d'abord et avant tout, avec le renseignement. Cependant, compte tenu de la multiplicité des structures de renseignement et des failles connues dans leur coordination, leur efficacité pourrait être prise en défaut.
Les services de renseignement britanniques ou américains connaissent d'ailleurs actuellement d'importantes réformes. Le système américain, rudement mis à l'épreuve en septembre 2001, cherche à exploiter les enseignements de cette tragédie.
Le rapport de la commission d'enquête nationale sur les attaques terroristes contre les Etats-Unis a dressé un diagnostic sévère et a proposé une série de changements de fond. Cette commission, créée en novembre 2002 par le Congrès et le Président des Etats-Unis, était composée de dix parlementaires, cinq républicains et cinq démocrates. De la lecture de ce rapport, fort instructive, je ne retiendrai ici qu'une première recommandation : elle a trait à la nécessaire unification et centralisation de la « communauté du renseignement ».
La commission tire ainsi la leçon de l'incroyable chapelet d'erreurs de jugement, de défaillances politiques et, surtout, organisationnelles, qui ont caractérisé la posture américaine face au terrorisme et qui a débouché sur les attentats du 11 septembre.
Elle propose notamment « d'unifier les très nombreux participants à la lutte contre-terroriste et la somme de leurs connaissances dans un système de partage de l'information conçu en réseau pour transcender les cloisonnements gouvernementaux traditionnels ». Ce n'est pas parole d'évangile, mais nous aurions tort de ne pas profiter de cette expérience américaine.
Le système français du renseignement ne pourra pas faire l'économie d'une modernisation de son fonctionnement et de ses méthodes de travail. Or, à notre connaissance et à la différence de nos grands alliés, le Gouvernement n'a pas encore entamé une réforme de nos services de renseignement.
Notre collègue, Yves Fromion, député de la majorité présidentielle, signale, dans son excellent rapport pour avis Espace, communication et renseignement, que, en dépit des efforts accomplis, « sil est indéniable que les synergies entre les services de renseignement français peuvent et doivent être encouragées ».
D'où ma deuxième question : le moment n'est-il pas venu de revoir le fonctionnement actuel, dispersé et cloisonné de nos services, dont la compétence et le dévouement des personnels ne sont pas en cause, afin d'obtenir une meilleure coordination des efforts et des moyens aboutissant à une efficacité accrue à hauteur de la menace ?
J'en arrive à ma conclusion qui prendra, elle aussi, la forme d'une ultime interrogation. Elle concerne le rôle du Parlement face aux services de renseignement.
Madame la ministre, les événements survenus récemment en Afrique, hier dans les Balkans ou en Asie mineure, nous imposent d'être extrêmement attentifs et vigilants. La sécurité et la défense dépendent, et ce n'est pas nouveau, de l'activité et de l'efficacité de nos services de renseignement. Il faut rechercher au maximum, et en toute circonstance, l'amélioration de la posture de sécurité de la France et de l'Europe. Je pense que les parlementaires, les représentants du peuple que nous sommes, ont, dans ce domaine aussi, un rôle à jouer.
Pour me faire comprendre, je reprendrai ici une argumentation que vous connaissez déjà, mais le silence de votre gouvernement en la matière m'incite à persévérer.
Aux Etats-Unis, la commission d'enquête précédemment citée préconise dans ses recommandations de « renforcer la surveillance exercée par le Congrès sur le renseignement et la sécurité intérieure ». En France, comme dans la plupart des démocraties, les services de renseignement dépendent de l'autorité de l'exécutif, mais notre pays est quasiment le seul, parmi ses partenaires et alliés, à ne pas s'être doté d'un organe de contrôle parlementaire de ses services secrets.
Des organes parlementaires de contrôle des activités de renseignement ont été crées en Allemagne depuis 1956, en Italie depuis 1977, aux États-Unis depuis 1976-1977, en Espagne depuis 1992 et au Royaume-Uni depuis 1994.
Est-il normal et souhaitable que la France se singularise en la matière ? Pourquoi ne pas créer au sein de chaque assemblée une instance, rattachée à la commission compétente, chargée d'exercer le contrôle des activités de renseignement ?
Dans l'immédiat, pourquoi ne pas accepter la proposition faite par mon collègue député Jean-Michel Boucheron, lors du récent débat budgétaire à l'Assemblée nationale, consistant à faire en sorte « que la DGSE remette chaque année un rapport de situation aux commissions de la défense des deux chambres » ? Il s'agirait là d'un premier tout petit pas en avant !
Je dois ajouter que, de plus en plus, cette mission doit se concrétiser dans le cadre de notre Europe en construction. Voilà pourquoi je salue l'action de l'Institut des hautes études de défense nationale, l'IHEDN, et son rôle dans la construction d'une identité européenne de sécurité et de défense. Actuellement l'IHEDN s'ouvre utilement à la création du futur Collège européen de défense. Puissent les financements du Gouvernement être à la hauteur de ses hautes ambitions !
Enfin, madame la ministre, chaque fois que je vous écoute, je vous entends faire référence aux retards accumulés par le gouvernement précédent, qui serait si nombreux qu'il est aujourd'hui quasiment impossible de les rattraper. Mais je m'interroge : depuis 1995, nous avons en France le même chef des armées ; il n'a pas changé. Entre-temps, se sont succédé quatre Premiers ministres - trois de droite, un de gauche -, quatre ministres de la défense - trois de droite, un de gauche. Je m'étonne que le chef des armées n'ait pas réagi à ce retard que vous nous signalez si souvent. Qu'a-t-il fait depuis 1995 ?
M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc.
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je citerai deux chiffres : cette année encore, les crédits d'équipement relatifs à la dissuasion augmentent de plus de 20 % et représentent près de 10 % du budget de la défense, ce qui tranche avec la pauvreté des budgets sociaux, alors même que de nombreuses voix, notamment de militaires et de membres éminents de la majorité gouvernementale, s'interrogent sérieusement sur le bien-fondé d'une politique de développement du nucléaire.
La modernisation des armes nucléaires se justifie d'autant moins que ces dernières sont inadaptées aux menaces mondiales du terrorisme et des conflits régionaux. Ainsi, il est urgent de repenser en profondeur notre stratégie et de cesser de penser en termes de dissuasion comme centre et vecteur de la défense.
La commission scientifique de l'Union interparlementaire des pays membres et associés de l'OTAN, dont je suis membre, a tenu sa dernière assemblée générale en Italie, le 12 novembre dernier. Ce fut l'occasion d'un débat à la fois émouvant et sérieux, qui démontre les dangers qu'encourt l'humanité avec la progression des armes nucléaires.
Les Etats-Unis multiplient par deux les crédits consacrés au nucléaire dans l'espace. A cela s'ajoutent les déclarations de M. Poutine nous annonçant de nouvelles armes nucléaires. Il y a vraiment de quoi être très inquiet !
L'avenir nécessite un repositionnement clair, qui doit mettre l'accent sur une politique multidimensionnelle de sécurité : j'entends par là une politique en adéquation et en interaction avec l'environnement interne et européen, international et géopolitique, une politique de relance du processus multilatéral onusien.
En effet, il convient de relancer et de promouvoir l'arsenal législatif en matière de désarmement et de non-prolifération nucléaire dont l'ONU s'est dotée.
A cet égard, je rappelle qu'à l'occasion de la révision du traité de non-prolifération nucléaire qui interviendra l'an prochain à l'ONU, notre pays doit jouer son rôle et garantir nos engagements internationaux, ce dont je ne doute pas. Je souhaite que la France mène une politique courageuse pendant cette discussion à l'ONU, à l'image de la position qu'elle a prise sur l'Irak.
Il faut cesser d'agir en termes de globalisation de l'environnement, comme le fait le gouvernement des Etats-Unis à l'heure actuelle, au travers d'une vision simpliste du monde, pour justifier un désir de domination et une surenchère à l'armement. Il faut à la fois se détacher d'un quelconque suivisme et prévenir tout risque d'être happé dans cette spirale infernale.
Cette mise en garde n'est pas anodine et trouve son prolongement dans la mise en place de l'actuelle politique européenne de défense qui, même si elle est embryonnaire, appelle toute notre vigilance, et c'est pourquoi nous voterons contre le traité constitutionnel européen.
M. Jacques Valade. Comme c'est dommage !
Mme Hélène Luc. L'Europe, telle qu'elle fonctionne aujourd'hui et telle qu'elle est conçue dans le projet de Constitution, ne concourt pas, loin s'en faut, à envisager une véritable perspective d'autonomie dans le domaine de la défense.
J'en veux pour preuve l'article I-40 qui prévoit, dans son paragraphe 2 : « La politique de l'Union respecte les obligations découlant du Traité de l'Atlantique Nord pour certains Etats membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre. »
L'action de la France et des pays européens doit permettre d'adopter une politique de défense originale, audacieuse et autonome, qui intégrerait les grands enjeux économiques, sociaux, institutionnels, démocratiques et culturels de la mondialisation.
J'aurais souhaité, mais je n'en ai pas le temps, aborder les problèmes de la gendarmerie. (Non ! sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Louis Carrère. Prenez-le !
Mme Hélène Luc. Je souligne néanmoins que j'approuve, comme je l'ai fait l'année dernière, les propos de mon ami André Rouvière.
Parce qu'il ne répond pas à l'ensemble de ses attentes, le groupe communiste républicain et citoyen votera contre ce budget.
En guise de conclusion, je tiens à vous communiquer, ce soir, le souhait qu'avait formulé le grand et regretté philosophe français Jacques Derrida, d'« une puissance militaire indépendante des Etats-Unis et de l'OTAN, ni offensive, ni défensive, ni préventive, intervenant au service d'une nouvelle ONU ». Je vous laisse, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, méditer cette pensée d'un véritable visionnaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Monsieur le président, je souhaite remercier l'ensemble des membres de la Haute Assemblée de la qualité et de la tenue de ce débat, et surtout de l'adoption de ce budget qui nous permet ainsi de donner à nos militaires les moyens qui leur sont nécessaires pour remplir leur mission au service de la paix et de la France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant la défense.
Éducation nationale, enseignement supérieur et recherche
III. - Recherche
M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant l'éducation nationale, l'enseignement supérieur et la recherche : III.- Recherche.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Maurice Blin, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la recherche française traverse aujourd'hui une crise grave. Au-delà des revendications à caractère financier auxquelles le Gouvernement s'efforce de répondre, cette crise révèle un malaise profond.
Cependant, à quelque chose malheur est bon. Le retentissement médiatique a eu deux effets positifs. Il a entraîné une prise de conscience, dans l'opinion, du rôle vital que joue la recherche pour l'avenir de la nation. De plus - et c'est un élément au moins aussi important -, à l'issue des états généraux de Grenoble, qui ont réuni la plus grande partie des membres de la recherche française, l'ensemble des chercheurs a reconnu les dysfonctionnements dont souffre notre appareil de recherche et l'urgence de procéder à sa rénovation.
C'est à cette tâche ambitieuse et difficile à laquelle vous vous attelez aujourd'hui, monsieur le ministre. Permettez-moi, mes chers collègues, d'en dire, en quelques mots, les mérites et les difficultés.
Après les restrictions budgétaires de 2002 et de 2003, inspirées, sinon justifiées, par d'importantes sous-consommations de crédits, après le rétablissement des 550 postes de titulaires, dont la transformation en contractuels avait été très mal vécue, le budget de l'an prochain augmente de près de 5 %.
Ainsi, il sera porté remède au décalage grandissant entre les autorisations de programme et les crédits de paiement, puisque ces derniers augmentent de plus de 27 %. Le budget civil de recherche et de développement, le BCRD, c'est-à-dire l'ensemble des crédits de recherche réparti entre une dizaine de ministères, augmente, pour sa part, de 4 %, soit de 350 millions d'euros. C'est un effort important qu'il convient de souligner, d'apprécier et d'approuver.
Au total, les moyens de la recherche devraient ainsi progresser de 1 milliard d'euros, et nous souhaitons, monsieur le ministre, que cette dotation supplémentaire annuelle se poursuive pendant six ans ; j'y insiste, mais je sais que vous y attachez également une attention toute particulière.
Ainsi, si cela se produit, comme nous le souhaitons, l'effort de recherche français atteindrait en 2010, enfin, les 3 % du produit intérieur brut, un pourcentage conforme à la norme de la stratégie européenne qui a été fixée à Lisbonne voilà quatre ans. Ce milliard d'euros se répartira en trois tiers à peu près égaux : les frais de laboratoire et de personnel, la dotation à une agence nationale pour la recherche abondée il est vrai par des crédits de privatisation, qui sera opérationnelle dès janvier 2005 sous la forme d'un groupement d'intérêt public, et enfin différents avantages fiscaux consentis aux entreprises privées qui s'engageront dans des projets communs de recherche aux côtés d'organismes publics et d'universités.
Ce projet de budget pour 2005, dont l'augmentation des crédits est très supérieure à celle des autres ministères, montre que la recherche est désormais considérée non pas seulement par le Gouvernement ou par les chercheurs, mais également par l'opinion générale - ce qui constitue un progrès considérable - comme une priorité nationale. Il met un terme au déclin dont témoigne hélas ! la modestie des résultats de la recherche et au retard qu'elle accuse aujourd'hui sur les pays voisins.
Ce projet de budget est la première étape d'un processus qui devrait, en six ans, rendre à la recherche les chances de rénovation qu'elle a laissé échapper au cours de la dernière décennie. Ce rétablissement n'est pas seulement une affaire de crédits, la communauté scientifique elle-même en convient. Les compétences sont là, et nombre de pays étrangers se les disputent.
En fait, c'est l'organisation ou, pour oser dire le vrai, la désorganisation, voire l'inorganisation du système où s'inscrivent ces compétences qui interdit aux chercheurs de qualité et de talent de s'épanouir, et les conduit à s'en détourner.
Je rappellerai rapidement quelques-unes des principales faiblesses de la recherche. Ce sont autant de contradictions qui sont à l'origine de son manque de productivité.
Tout d'abord, notre système de recherche est un grand corps aux membres multiples, mais sans véritable tête capable de leur imposer un minimum de cohérence et d'unité. Par conséquent, il vit dans la dépendance de l'Etat, ou plutôt d'une dizaine de ministères, et chacun défend son pré carré.
Le Centre national de la recherche scientifique, le CNRS, de brillant renom il n'y a pas si longtemps, est aujourd'hui à la fois le symbole et la caricature de cet état de choses.
Né en 1939, il y a donc bientôt soixante-dix ans, pour pallier - déjà ! - l'insuffisance de la recherche universitaire, fort de 25 000 fonctionnaires, dont moins de la moitié sont des chercheurs, il est aujourd'hui une maison coûteuse - son budget s'élèvera l'an prochain à 2,5 milliards d'euros -, une maison sans maître - la durée de vie de son directeur général était jusqu'à présent de deux ans -, qui est divisée en départements multiples où hélas ! le corporatisme a prospéré.
Lié par plus de mille contrats avec des équipes universitaires, ce vaste complexe échappe, en vérité, à l'évaluation, car celle-ci supposerait une gestion rigoureuse. Or, on en est très loin.
Je prendrai un autre exemple, plus inquiétant encore, celui du retard pris - et c'est un paradoxe - par la patrie de Pasteur dans les sciences de la vie. Ce retard résulte largement de la dispersion des organismes et des crédits qui, à des titres divers, ont cru avoir, chacun de leur côté, à en connaître.
J'en viens au deuxième paradoxe. La loi Chevènement de 1982 a fait du chercheur français- le temps a montré que ce n'était pas une idée saine - un fonctionnaire à vie. Ce système n'existe dans aucun autre pays. Du coup, rien n'a été prévu pour offrir au chercheur en cours de carrière d'autres responsabilités, quand son dynamisme fléchit à cause de son âge.
L'âge moyen du chercheur français est l'un des plus élevés au monde : quarante-sept ans, soit un âge trop élevé pour que le chercheur garde sa créativité et fasse surtout sa place aux plus jeunes. Cette fixité du statut, facteur d'immobilisme, affecte en particulier les établissements publics à caractère scientifique et technologique, les EPST, tels que le CNRS, l'Institut national de la recherche agronomique, l'INRA, ou l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, l'INSERM, bien que ce dernier consente de louables efforts pour l'assouplir, un fait qui doit être souligné. Ensemble, ils accueilleront néanmoins l'an prochain 190 chercheurs et 360 ingénieurs-techniciens supplémentaires.
A l'inverse, voués à la recherche fondamentale, les EPST contrastent avec les EPIC, qui, comme leur nom l'indique, sont à finalité industrielle et commerciale, tels que le Commissariat à l'énergie atomique, le CEA, et le Centre national d'études spatiales, le CNES. Ceux-ci bénéficient fort heureusement d'une plus grande souplesse de gestion. Cette souplesse a permis au CEA de procéder sans drame, et en dix ans, à une réorientation de ses activités et de son personnel, et au CNES d'occuper sans conteste la première place dans la recherche et l'industrie spatiales en Europe.
Ces deux exemples démontrent que la question des structures l'emporte sur tout le reste ; lorsqu'elle est bien traitée, nous obtenons des résultats exceptionnels.
Mes chers collègues, il est vrai que, dans les nouvelles technologies, le fondamental - la recherche de base, comme l'on dit - et l'appliqué, le civil et le militaire, la recherche et le marché ne font plus qu'un. Toute recherche est désormais duale. La distinction d'hier, tradition hélas ! bien française, entre le clerc et le profane, le gratuit et l'utile, le savoir pur et le profit, une distinction souvent inavouable et, au reste, contredite en son temps par toute la carrière de Pasteur, et qui nous fait mal et nous paralyse, n'est plus de mise. Pasteur est parti de la levure, du vin et de leur maladie pour déboucher, un peu plus tard, sur le microbe, la plus spectaculaire révolution biologique qu'ait connue l'Europe du XIXe siècle
Enfin, j'aborderai le troisième handicap, qui n'est pas le moindre : la césure, le divorce entre l'université et la recherche nous prive d'une arme qui, partout ailleurs, hors de nos frontières, fait tous les jours ses preuves.
Cette césure explique le prestige des grandes écoles à la française qui alimentent, hélas, presque seules, les cellules de recherche dans l'entreprise privée, laquelle se trouve ainsi largement marginalisée au niveau de notre effort en matière de recherche. Elle réduit d'autant les débouchés auxquels accèdent tout naturellement, dans les autres pays, les titulaires de titres universitaires.
A la racine de cette coupure qui altère gravement l'image et l'attrait de l'université française à l'étranger, on retrouve deux singularités françaises.
La première, c'est l'obligation qui a été faite à l'université française, un jour qui n'est pas si lointain, d'accueillir sans sélection préalable et au nom d'un principe d'uniformité mal compris, des millions d'étudiants, dont certains sont et restent sans vocation ni sanction. Cette obligation a provoqué un déséquilibre entre les deux fonctions d'encadrement et d'enseignement des étudiants, d'une part, et la recherche, d'autre part, et ce au détriment et de l'une et de l'autre, car elles sont appelées à se féconder réciproquement. On constate d'ailleurs le même déséquilibre au sein des centres hospitaliers universitaires, les CHU, qui sont aux prises à la fois avec l'afflux des malades et leurs tâches en matière de recherche.
Quant à la seconde singularité française, disons-le en toute simplicité sans accuser quiconque, elle tient au mode de désignation des dirigeants.
Elus par un collège de pairs, ces dirigeants ne disposent pas toujours du recul et de l'autorité nécessaires pour appréhender l'avenir de l'université dans sa vérité, c'est-à-dire dans ses liens essentiels avec son environnement économique et social. L'université est ainsi exposée à vivre quelquefois hors du temps et de la société qu'elle devrait servir.
Ce rappel, trop rapide, j'en ai conscience, des défis que doit relever la recherche française est loin d'être complet. Il permet cependant de prendre la mesure de la tâche qui vous attend, monsieur le ministre.
La loi de programmation et d'orientation que vous annoncez devrait apporter un commencement de réponse. Quelles seront les étapes de ce vaste chantier, monsieur le ministre ? Il devrait être possible- c'est une suggestion parmi d'autres - d'apporter cohérence et unité dans certaines filières, à l'image - nous avons des exemples très positifs, par ailleurs - de celle de l'atome où elles existent heureusement depuis les origines, alliant le militaire et le civil, la théorie - c'est le CEA - et l'application - c'est EDF -, ou encore le public et le privé.
Ce pourrait être, par exemple, le cas de l'énergie, un domaine qui est confronté aux problèmes croissants et de la rareté et de la pollution, et peut-être surtout les biotechnologies et les monotechnologies - une perspective d'extrême avenir - qui souffrent chez nous d'un retard inquiétant.
L'Agence nationale pour la recherche, dont la création nous est annoncée, aura-t-elle la capacité d'orientation, c'est-à-dire de choix, qui donnerait une visibilité et une efficacité nouvelles à un corps de recherche qui est aujourd'hui tragiquement dispersé ?
Ce rôle ne pourrait-il être réservé plutôt, me semble-t-il, à un haut conseil scientifique composé de personnalités beaucoup moins nombreuses, mais à l'autorité incontestable, et dont la mission serait d'appliquer les directives ?
Le même impératif de choix s'imposera demain à l'Europe, où nous avons à jouer un rôle éminent, et nous le jouons dans l'atome, dans l'espace. En effet, compte tenu du coût croissant des instruments de recherche, une nation moyenne, comme la nôtre, ne peut plus assumer seule la recherche. Les pays européens devront donc demain à la fois s'unir et se spécialiser. On le constate d'ailleurs dès aujourd'hui dans le domaine militaire. C'est dire que le défi de la recherche, qu'il soit européen ou français, s'il est, certes, financier, est d'abord un phénomène de culture et, surtout, de volonté politique.
Monsieur le ministre, l'établissement de « pôles d'excellence » signifie fort pertinemment, et fort heureusement, la réconciliation entre les organismes publics, les universités et les entreprises privées, dont l'absence génère gaspillage et impuissance. Ne pourrait-on pas imaginer que nous connaissions, avant la fin de l'année 2005, date à laquelle nous vous donnons rendez-vous, monsieur le ministre, des réalisations qui aient valeur d'exemple et d'entraînement ?
Quant au statut de chercheur, un des plus graves problèmes que vous ayez à traiter, monsieur le ministre, il serait certainement sécurisé et valorisé si le chercheur était davantage intéressé financièrement au résultat de ses travaux. C'est ce que s'efforce actuellement de mettre en place l'INSERM, et les résultats sont extrêmement probants. L'évaluation pluriannuelle et a posteriori de l'activité des directeurs de laboratoire, et non plus comme aujourd'hui a priori et annuelle, sous l'oeil de Bercy, une tutelle de moins en moins bien supportée, dégagerait une marge accrue de responsabilité et d'autonomie dans l'activité de recherche, qui deviendrait alors un terrain privilégié d'application de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF.
En quelques mois, j'ai pu saisir cet univers complexe qu'est la recherche à la française. Je ne suis pas du tout certain que nous réussissions à faire en sorte, monsieur le ministre, que, dans une année, dans deux ou trois années, la LOLF se soit imposée avec sa clarté, sa rigueur et son utilité. Peut-être pourrez-vous accélérer le mouvement, monsieur le ministre, mais rien n'est moins sûr. En effet, la route sera longue dans un monde qui a, peu à peu, désappris le goût du calcul et le respect du temps. Pourtant, il faut que vous vous y engagiez, tout comme nous et, comme le font d'autres démocraties, sous peine de voir la nation française s'épuiser dans des combats coûteux, mais dispersés et sans lendemain.
De la réponse à ces problèmes clés dépend, je le dis sans forcer le ton, parce que je le pense très profondément, l'avenir de notre recherche, et donc celui de la nation.
Pour mener à bien cette vaste entreprise, vous pourrez, monsieur le ministre, - je le dis au nom de la commission des finances - compter sur le soutien sans faille de la Haute Assemblée. Elle vous accompagnera tout au long d'une entreprise dont le projet de budget que vous présentez ce soir constitue un premier pas prometteur. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis.
M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, pour la recherche et les nouvelles technologies. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je regrette que nous soyons conduits à examiner un budget aussi fondamental pour l'avenir de notre pays à une heure si tardive...
M. Claude Saunier. Tout à fait !
M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis. ...et devant un auditoire aussi peu nombreux.
La crise qu'a connue le secteur de la recherche, évoquée par notre rapporteur spécial, M. Blin, a effectivement eu pour conséquence positive de mettre en lumière ce secteur.
Je suis sans doute moins optimiste que notre collègue pour ce qui est de la pérennité de cette préoccupation dans les médias et de la volonté des décideurs d'accorder la priorité à la recherche et à l'innovation. Celles-ci sont pourtant fondamentales pour la France et pour l'Europe, y compris pour l'existence future d'une Europe économiquement et techniquement crédible. Il n'est que de voir les progrès phénoménaux réalisés aux Etats-Unis, au Japon et dans les pays asiatiques pour s'en convaincre
La grave inquiétude qui règne dans les milieux de la recherche publique a donné lieu à quantité de débats, de rapports, d'études, de suggestions. Les trois commissions compétentes du Sénat ont d'ailleurs formé un groupe commun de réflexion sur l'avenir de la recherche, dont les conclusions rejoignaient pour une bonne part celles de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et de beaucoup d'autres. Mon rapport écrit fait référence à tous ces travaux et je me permettrai, compte tenu du peu de temps dont je dispose, d'y renvoyer les lecteurs intéressés.
Votre projet de budget pour 2005, monsieur le ministre, préfigure les orientations de la future loi d'orientation et de programmation pour la recherche, et j'en suis très heureux. Ce projet de loi, qui suscite d'énormes espoirs, doit valoriser l'excellence et l'expérimentation audacieuse ; il doit non seulement donner plus de moyens à la recherche, mais aussi et surtout développer de nouvelles formes de structures, mieux à mêmes de libérer les énergies qui sont trop souvent enserrées dans des carcans administratifs.
A cet égard, des expérimentations intéressantes pourraient bientôt être réalisées, en particulier des pôles de compétitivité de forte attractivité au niveau mondial, sur le modèle combiné du Stanford Research Institute et du Massachusetts Institute of Technology, ou bien encore des zones d'excellence telles qu'elles sont proposées dans l'appel d'offres de la DATAR.
Ces initiatives ne me paraissent toutefois pas suffisamment mettre l'accent sur la composante technologique et s'apparentent plus, dans certains cas, à des clusters, certes industriels, mais qui ne sont pas forcément liés à l'innovation fondamentale.
Monsieur le ministre, l'innovation devra certainement être « sanctuarisée » par la future loi d'orientation et de programmation. Nous attendons beaucoup de cette action, qui est par nature régalienne, au même titre que le budget de la défense. C'est l'avenir de notre nation qui est en jeu ! Je forme donc le voeu que le budget de la recherche puisse, à terme, être débattu aussi longuement que celui de l'agriculture ou de la défense, ce qui n'est pas le cas actuellement.
J'ai examiné le budget de la recherche pour 2005 en considérant qu'il préparait ce projet de loi d'orientation et de programmation et, par conséquent, je me réjouis que la recherche ait été déclarée prioritaire et qu'elle le soit effectivement. Ses moyens sont dotés de 1 milliard d'euros supplémentaire, conformément aux engagements du Gouvernement. Cet effort, le plus important depuis vingt ans, devra impérativement être poursuivi et s'inscrire dans la durée, surtout si nous voulons montrer l'exemple et réussir à atteindre l'objectif de 3 % du PIB consacrés à la recherche.
Les moyens des établissements de recherche enregistrent une hausse sensible, à l'exception de l'Institut français du pétrole, ce qui est tout de même assez étonnant en cette période d'incertitude énergétique. Qui plus est, en gelant certains crédits, on oblige en quelque sorte l'Institut à vendre les fleurons de la couronne, ce qui, vous en conviendrez, est une curieuse façon d'aider ceux qui réussissent, encore une fois surtout eu égard à l'importance croissante de l'énergie.
Je sais bien, monsieur le ministre, que le ministère de la recherche n'est pas seul en cause et que la question relève au moins autant du ministère de l'industrie ; c'est tout de même un signe fâcheux qu'il conviendrait à mon sens d'éviter, l'excellence de l'Institut du pétrole étant reconnue dans le monde entier et par la profession, s'agissant notamment de la liaison entre la recherche fondamentale, le développement industriel et l'innovation.
Monsieur le ministre, j'aimerais que vous nous apportiez quelques précisions sur la proposition avancée par le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie, visant à permettre l'accès au monitorat à un plus grand nombre d'étudiants inscrits en formation doctorale. Cette idée me paraît très pertinente et conforme à la notion d' « expérimentation innovante ».
Sans m'appesantir sur les actions qui permettent de revaloriser régulièrement le budget de la recherche, j'en viens à l'Agence nationale pour la recherche, qui me paraît constituer la grande innovation de ce projet.
La création de cette agence constitue le premier grand geste en faveur du financement de projets et non plus uniquement de structures. C'est un point capital et l'Agence sera évidemment d'une importance considérable.
Je me réjouis que le rapport d'information de la commission des affaires culturelles, La culture scientifique et technique pour tous : une priorité nationale, ait guidé l'élaboration du plan national de diffusion de la culture scientifique et technique, encore que sa mise en oeuvre ne soit pas aussi rapide que nous le souhaitions.
Pour renforcer l'attractivité des carrières de la recherche et de l'innovation, un plan pluriannuel de l'emploi scientifique devrait, me semble-t-il, être élaboré. Cela pose pour partie le problème du statut et comprend les questions de l'assouplissement des obligations des jeunes enseignants-chercheurs, de l'évolution des carrières, de la réforme de l'évaluation, des conséquences en termes de rémunération, du recours nécessaire et accru à des emplois contractuels, notamment sur des postes d'accueil de haut niveau.
Au regard de ce que je viens d'énumérer, le budget de la recherche pour 2005 va dans le bon sens et la commission des affaires culturelles a donné un avis favorable à son adoption. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Henri Revol, rapporteur pour avis.
M. Henri Revol, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, disons-le sans ambages, ce budget fera date dans l'histoire de la recherche française.
Ce budget, les engagements d'ores et déjà pris jusqu'en 2007 ainsi que la perspective de la prochaine loi d'orientation et de programmation démontrent une volonté qui se traduit par des moyens nouveaux, mais aussi par un esprit nouveau.
Quand la France est capable de s'engager en Europe, elle est reconnue et elle est suivie. La récente annonce de l'installation du réacteur thermonucléaire expérimental international ITER à Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône, en est un exemple frappant.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Vous allez tout de même un peu vite, mon cher collègue...
M. Henri Revol, rapporteur pour avis. Plus précisément, ce budget nous donne au moins trois grands motifs de satisfaction que j'assortirai chacun d'une question.
Premier motif de satisfaction, je me félicite, bien évidemment, de l'augmentation, sans précédent depuis dix ans, du budget civil de recherche et de développement. Les crédits du ministère délégué à la recherche en représentent 70 %, le reste est réparti entre treize autres ministères. C'est un engagement fort du Gouvernement dans le cadre fixé par le Président de la République. Chacun ne peut que s'en réjouir.
En revanche, je m'interroge sur le contrôle budgétaire du Parlement. La loi organique relative aux lois de finances rend l'effort budgétaire de recherche plus lisible au sein de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » où chaque ministère disposera d'un programme regroupant ses actions de recherche. Toutefois, le contrôle parlementaire portant sur l'effort de recherche extrabudgétaire pourra-t-il être correctement exercé ?
Cette année, par exemple, les deux tiers du milliard d'euros supplémentaires pour la recherche n'apparaissent pas dans les crédits des ministères. De surcroît, l'un des deux tiers en question n'apparaît pas dans le projet de loi de finances que nous examinons ce soir. Et pour cause : il consiste en la dotation d'un groupement d'intérêt public, l'Agence nationale de la recherche, par des produits de privatisation qui ne sont pas inscrits au budget.
Monsieur le ministre, je souhaiterai savoir comment, parallèlement à la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances, il sera possible d'assurer un contrôle du Parlement sur ces autres financements de l'Etat en faveur de la recherche.
Mon deuxième motif de satisfaction porte sur la philosophie qui inspire la création de cette Agence nationale de la recherche. Cette agence de moyens est destinée à promouvoir un financement par projet et non plus seulement par organisme, avec des moyens nouveaux, jusqu'alors inédits : 350 millions d'euros en 2005. Je vois une autre nouveauté tout à fait remarquable dans le fait que des priorités thématiques claires sont désormais affichées.
Quels seront les délais de financement effectifs des projets à partir du début de l'année 2005 ? Cette question m'a été inspirée par les équipes et les organismes que j'ai rencontrés dont les thématiques entrent dans les priorités arrêtées. Je pense, notamment, à l'Institut Pasteur et aux recherches sur la grippe aviaire ou encore au projet Agora du Centre national d'études spatiales qui pourrait déboucher, très vite, sur une solution innovante d'Internet à haut débit pour ceux de nos territoires qui ne sont pas couverts par les réseaux terrestres.
Enfin, troisième et dernier motif de satisfaction, je me félicite du renforcement du soutien à la recherche et l'innovation privée. Après la hausse du budget civil de recherche et développement et le financement de l'Agence nationale de la recherche, le dernier tiers du milliard d'euros supplémentaire pour 2005 ira au soutien à la recherche ; la pleine application de la réforme du crédit d'impôt recherche comptera pour 235 millions d'euros.
La commission des affaires économiques du Sénat s'est posé la question d'une réorientation de ce crédit d'impôt en direction des PME-PMI. Ces dernières en ont, sans doute, plus besoin que d'autres : elles bénéficient de moins de 10 % des aides directes à l'innovation, alors qu'elles en réalisent plus de 20 %.
Cela suppose sans doute d'élargir l'assiette et les critères du crédit d'impôt et d'augmenter encore la part en volume des dépenses de recherche et développement pour l'ensemble des entreprises, voire pour les seules PME-PMI.
Ces questions se posent aujourd'hui. Elles se poseront dans les mois à venir, à l'occasion de la discussion de la loi d'orientation et de programmation, à laquelle nous nous préparons déjà. Dans cette attente, la commission des affaires économiques a émis un avis favorable sur cet excellent budget. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 33 minutes ;
Groupe socialiste, 21 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 5 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 5 minutes.
Je vous rappelle qu'en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite, avant toute chose, saluer la mobilisation historique des chercheurs. Elle a permis l'ouverture d'un vaste débat consacré à l'avenir de la recherche.
Des Etats généraux de la recherche ont émergé un grand nombre de propositions, exposées publiquement en novembre dernier. Le rapport final indique notamment que « la sagesse politique voudrait que les conclusions du document final soient prises en compte par le Gouvernement ».
Malheureusement, l'examen du budget montre que les chercheurs n'ont pas été totalement entendus. Certes, on note quelques points positifs tels que le remplacement des départs à la retraite ou la création de deux cents postes pour l'accueil de scientifiques étrangers. La situation de l'emploi dans la recherche n'en demeure pas moins particulièrement préoccupante.
Ce ne sont certainement pas les cent cinquante postes de maître de conférence nouvellement créés qui relanceront réellement la recherche universitaire. Plus grave encore, aucune mesure ne vient renforcer l'attractivité des carrières scientifiques. Pour échapper au chômage ou au déclassement social, de jeunes chercheurs n'ont souvent d'autre choix que de s'expatrier.
A l'heure où beaucoup de nos jeunes concitoyens se détournent des filières scientifiques, mettre en oeuvre une politique de recrutements massifs et de lutte contre les emplois précaires dans la recherche publique relève de l'urgence.
Outre la mise en place d'un plan pluriannuel de l'emploi scientifique, le rapport des Etats généraux préconise la création de contrats à durée déterminée pour financer la préparation des doctorats, la définition d'un statut de « chercheur ou enseignant - chercheur associé » transformant les dispositifs existants, souvent précaires.
Je ne cite ici que quelques-unes des recommandations émises par les chercheurs, mais elles auraient mérité d'être prises en compte dans leur totalité.
Monsieur le ministre, vous vous félicitez de présenter un budget en progression de 1 milliard d'euros. En réalité, les laboratoires publics ne bénéficieront que d'un tiers de cette somme. Celle-ci viendra seulement combler une partie du retard accumulé en 2003 et 2004, pour cause de gel ou d'annulation de crédits.
Parallèlement, 300 millions d'euros de mesures fiscales sont destinés au secteur privé, c'est-à-dire en faveur du développement de la recherche appliquée. L'efficacité de telles dispositions demeure inconnue. Et vos choix budgétaires, monsieur le ministre, démontrent l'insuffisante reconnaissance du rôle moteur de la recherche fondamentale.
Et ce n'est pas avec ce budget que la recherche et les chercheurs pourront faire preuve de toute leur créativité.
L'Etat se devrait d'investir massivement en faveur du développement de la recherche publique. Source de connaissance, elle nourrit les activités d'innovation, le foisonnement créatif. En outre, elle alimente et éclaire la réflexion de nos concitoyens sur l'évolution de la société dans le long terme, fournit les éléments contradictoires de décision permettant de répondre, au mieux, aux grands défis du monde contemporain.
A l'heure de la société de la connaissance et de l'information, l'Etat doit plus que jamais, à nos yeux, consacrer ses efforts en faveur du développement de la formation à la recherche et par la recherche, mission essentielle du secteur public. Sans cela, la France se verra durablement distancée dans les domaines scientifiques et technologiques, en particulier par des pays comme la Chine ou l'Inde, sans oublier naturellement les Etats-Unis et le Japon.
A notre époque, la recherche scientifique constitue un immense système d'information au plan mondial. Chaque pays se doit d'y participer, sous peine sinon d'être démuni devant bien des problèmes. D'où l'importance de la communication scientifique, qui n'est plus à démontrer. Je rappelle, au passage, que les moyens classiques de publication sont en crise.
Cela étant, l'affectation de 350 millions d'euros à la future Agence nationale de la recherche est quelque peu surprenante. Alors que nous ignorons tout encore à ce jour de l'organisation et du financement à moyen terme de cette structure, comment comprendre qu'un tiers de l'effort budgétaire lui soit consacré ? Quelles sont les compétences réelles de cette agence ? Sera-t-elle une agence de moyens ? Distribuera-t-elle des crédits aux laboratoires selon le critère de l'excellence scientifique ? Mettra-t-elle en place des pôles de compétitivité ? Sera-t-elle un outil de pilotage de la recherche par le Gouvernement en fonction de ses priorités ? Du reste, Bruxelles pilote la recherche européenne par cette voie.
Encourager la créativité suppose de libérer les énergies.
Le professeur Jean-Pierre Kahane, membre de l'Académie des sciences, rappelle ainsi que « les acteurs de la recherche ne sont pas, ne peuvent pas être de simples exécutants. Au minimum, ils doivent interpréter les directives. Ils doivent aussi savoir s'en écarter, improviser en fonction de ce qu'ils découvrent, tracer de nouvelles voies. L'efficacité de la recherche dans la quête de l'inconnu implique la liberté de l'esprit. »
L'indépendance des chercheurs vis-à-vis de leur autorité de tutelle, leur autonomie par rapport au monde économique sont essentielles. « Car la curiosité et l'inventivité aboutissent à des découvertes et des inventions imprévues. Il s'agit donc, dans tous les secteurs de la recherche, de privilégier un certain désordre créateur plutôt que l'optimisation à la mode. Dans l'édification des grands programmes de recherche qui peuvent avoir un effet mobilisateur, il faut varier les approches et chercher l'inspiration dans les besoins en friche dans le monde entier. »
La définition des programmes de recherche ne peut être conditionnée à des notions de rentabilité stricto sensu ; sinon, certains champs de recherche, pourtant fondamentaux, seront délaissés. Trop de laboratoires sont stérilisés par la gestion de la pénurie.
Toutes les disciplines doivent avoir leur place dans le dispositif de recherche national. Je pense, en particulier, aux sciences humaines et sociales dont l'importance est trop souvent minorée bien que celles-ci permettent de mieux appréhender les principales évolutions du monde contemporain.
C'est dans ce domaine en particulier que peut progresser l'idée de science et de « conscience européenne ». Cela a été souligné au Collège de France réuni ces derniers jours sur les valeurs de l'humanisme que portait le fondateur de cette institution au XVIe siècle, Guillaume Budé. Plutôt que d'humanisme, nous parlerions aujourd'hui d'une certaine éthique de l'existence, de foi dans les capacités de l'homme à bâtir un monde plus juste, plus équilibré, plus respectueux des personnes.
Monsieur le ministre, vous n'avez pas donné suite aux recommandations émises conjointement par le mouvement « Sauvons la Recherche » et le comité d'initiative et de proposition. Les responsables de ces collectifs avaient notamment attiré votre attention sur l'urgence de la situation des jeunes chercheurs. Aussi vous avaient-ils demandé « que le plan pluriannuel de l'emploi scientifique annoncé prenne effet dès le budget 2005 ».
Les chercheurs attendaient un signe fort du Gouvernement leur permettant de croire à la sincérité de son engagement en faveur de la recherche. Le budget présenté aujourd'hui ne traduit en aucun cas la volonté politique d'inscrire la recherche au rang des priorités nationales, dans une perspective de refondation du système de recherche. Il ne permettra pas à la part de la recherche publique d'atteindre, d'ici à 2010, à 1 % du PIB, condition pourtant indispensable pour atteindre l'objectif fixé à Lisbonne de 3% du PIB européen consacré à la recherche.
Avec mes amis du groupe communiste républicain et citoyen, nous ne pouvons voter ce budget 2005, caractérisé une nouvelle fois par un manque d'ambition. Croyez bien que je le regrette, au nom d'une certaine idée de la recherche scientifique et de l'avenir de la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe RDSE dans sa majorité votera cet excellent budget.
Je reviens ce soir d'une réunion organisée par la Commission européenne à Stuttgart et à Karlsruhe. J'ai y notamment entendu la société SAP, numéro un mondial des progiciels, exposer comment elle s'est lancée dans le corporate venture, le capital-risque d'entreprise. Peu de sociétés européennes s'engagent dans de telles aventures !
J'ai également écouté la présentation de la société DaimlerChrysler. Elle consacre chaque année 6,5 milliards d'euros à la recherche, soit un pourcentage dont peu d'entreprises peuvent s'enorgueillir...
On a beaucoup parlé du processus de Lisbonne : invocation plutôt qu'action ! Les innovations de votre budget, dont je me suis fait l'écho, ont été fort bien perçues. En particulier, la recherche de structures souples, publiques et privées, en expérimentation cette année, permettant de libérer les chercheurs du carcan administratif - je veux parler des fondations de recherche - a été très bien accueillie.
C'est très important, parce que l'innovation est tout de même le fruit du travail d'hommes et de femmes dont la formation et le talent leur permettent d'être audacieux et entreprenants ; il faut donc libérer leur énergie.
Libérer l'énergie des chercheurs et des innovateurs, telle devrait être l'une des conclusions majeures des nombreux travaux et débats qui ont été évoqués notamment par M. Renar. Car ces discussions ne se sont pas uniquement traduites par de nouvelles revendications ; elles ont également permis des propositions, des suggestions de modification de structure, qui tiennent un rôle primordial dans cette réflexion générale sur la recherche.
Mais l'innovation, c'est aussi de l'argent, et de l'argent supplémentaire, car si nous n'en avons pas au-delà de ce que les pays européens dans leur ensemble peuvent consacrer, nous n'aurons certainement pas la possibilité de rattraper le retard que nous avons pris par rapport à d'autres, qui vont tout simplement plus vite que nous. Car ce n'est pas parce que nous accélérons que certains n'accélèrent pas encore plus !
Pour ma part, je pense que le pari de Lisbonne n'est pas gagné. Par conséquent il faut trouver un autre financement. Puisque nous ne pouvons pas le trouver uniquement à l'échelon national, il faut le trouver à l'échelon européen. Or, jusqu'à présent, l'Europe ne fait que redistribuer l'argent que les Etats lui donnent.
Mais, après tout, il ne faudrait pas oublier la Banque européenne d'investissement. A cet égard, vous connaissez notre projet d'un emprunt destiné à développer l'économie par l'innovation, monsieur le ministre, car il commence à rallier nombre de personnes. Nous en avons parlé à différentes occasions, à l'OCDE, dans les réunions d'Eurêka, à Varsovie à l'occasion d'un colloque sur l'énergie ; nous en avons également parlé à Malmö, à l'occasion d'un colloque consacré aux télécommunications et à la recherche militaire. Chaque fois, nous avons constaté que les représentants des milieux industriels et scientifiques, voire, dans certains cas, les ministres, trouvaient que le recours à l'emprunt auprès de cet établissement constituait une solution du type de l'oeuf de Christophe Colomb !
Il reste à préciser les modalités de remboursement de cet emprunt, et l'effet qu'aura l'opération en termes d'augmentation du produit intérieur brut. Un grand nombre d'études, dont l'une réalisée par Bercy, concluent que l'emprunt est possible dans la mesure où le produit intérieur brut généré pendant les dix ans qui viennent dépasse quatre à cinq fois ce qui est investi. Or certaines études, notamment celles qui sont réalisées par la filière électronique, démontrent que le produit intérieur brut généré par les innovations peut monter jusqu'à vingt fois dans des secteurs comme ceux de la télévision haute définition ou les recherches de logiciels.
Enfin, en ce qui concerne la délicate question de l'appui aux petites et moyennes entreprises, la seule solution consiste à monter un système sur le modèle du small business administration et, surtout, du programme SBIR, ou small business innovation research, ce qui n'est pas possible dans un seul Etat. Le ministère de l'industrie a bien tenté d'encourager cette formule, mais sans la rendre obligatoire, et les différents industriels ont clairement fait savoir leurs réticences à l'égard des PME, ce que l'on peut comprendre. En outre, au titre de la commande publique, on pourrait contrarier les règles de la concurrence, et Bruxelles ne le permettrait pas.
Voilà pourquoi l'idée d'un tel système a été tellement bien accueillie, au point que nous avons créé un groupe international, ELITE, ou élargissement de l'innovation et des talents en Europe. Ce groupe, qui comporte déjà une cinquantaine de membres répartis dans différents pays européens, va essayer de vous aider, monsieur le ministre, et d'aider les décideurs pour que l'innovation en Europe devienne beaucoup plus florissante.
En effet, si le mouvement des chercheurs a rendu la recherche et l'innovation plus crédibles, je crains que, notamment pour les expérimentations, le financement de la recherche au moyen de structures beaucoup plus souples, en particulier par des fondations, ne soit pas toujours très bien accueilli de la plupart des ministères, et notamment de celui auquel nous ne pouvons pas manquer de faire référence dans ces discussions budgétaires.
Monsieur le ministre, il est nécessaire de poursuivre le combat que vous avez engagé. Sachez que le Sénat dans son ensemble sera derrière vous. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 10 % de hausse et 1 milliard d'euros de plus pour la recherche, ce sont les chiffres très prometteurs brandis par le Gouvernement. Prometteurs si l'on s'en tient à l'affichage, mais que cachent ces données, en réalité ? D'abord, se contenter de ces chiffres, c'est faire fi du passé. Et le passé, en l'occurrence, ou plutôt votre passif, monsieur le ministre, ce sont des moyens pour la recherche sacrifiés en loi de finances initiale, avec une baisse à structure constante du budget civil de recherche et développement, et plus encore par les régulations en cours d'exercice.
Dans le « bleu » budgétaire, la différence entre les crédits des budgets 2004 et 2005 fait apparaître seulement 356,1 millions d'euros supplémentaires. Or ces millions d'euros ne représentent qu'une partie du rattrapage des 618 millions d'euros de réduction et d'annulations de crédits réalisées entre 2002 et 2004. Par comparaison, et pour mémoire, entre 1998 et 2001, les laboratoires ont connu une progression régulière de 26,5 % au total de leurs moyens de fonctionnement, sans aucune régulation.
De plus, la hausse du budget civil de recherche et développement pour 2005 n'est que de 4 % ce qui, compte tenu de l'inflation, ramène l'augmentation effective, en euros constant à 2,2 % seulement.
Enfin, le reste du milliard annoncé, soit 300 millions d'euros au titre du crédit d'impôt recherche sous forme d'avoir fiscal aux entreprises, et 350 millions d'euros pour la future agence nationale de la recherche, l'ANR, issus du produit des privatisations, ne relève pas de votre responsabilité et peut très bien fluctuer.
Ainsi, à ce manque de sincérité dans la présentation du budget de la recherche pour 2005 s'ajoutent de fortes incertitudes sur la mise à disposition des fonds.
En effet, Bercy envisagerait de revoir les crédits de l'ANR à la baisse. Dans ces conditions, pouvez-vous, monsieur le ministre, donner à la Haute Assemblée des garanties sur ces 350 millions d'euros, ainsi que sur les 104 millions d'euros restants du fonds créé par la loi de finances de 2004, inscrits dans un compte d'affectation spéciale du Trésor pour le financement des fondations et sur lesquels il me semble que vous comptiez également ?
Néanmoins, je tiens à préciser d'ores et déjà que, même si vous étiez en mesure de nous garantir les engagements de Bercy, ce geste ne suffirait pas à nous rassurer quant à la concrétisation de ce budget. Votre ministère, certes, pour la dernière année, puisque les choses changeront avec l'entrée en application de la loi organique relative aux lois de finances, ne maîtrise en effet qu'un peu plus du tiers du BCRD.
Or, pour vos collègues du Gouvernement, il faut bien l'avouer, la recherche est bien souvent une variable d'ajustement de l'exercice budgétaire.
Et la mise en question de la sincérité budgétaire de ce gouvernement n'est pas l'apanage de l'opposition. J'en veux pour preuve le commentaire du rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, qui est lui-même très clair sur ce sujet, puisqu'il « n'approuve la structure de l'augmentation du budget 2005 que si un engagement formel du type de celui pris pour la loi de programmation militaire est adopté ». Et, citant en particulier l'augmentation prévue pour l'Agence nationale de la recherche et les financements liés aux nouvelles mesures fiscales, il indique qu'il « serait en effet aisé de puiser sur ces lignes budgétaires, puisqu'il s'agit de projets et non de gestion de personnels. Et les précédents rendent prudents ! ».
Si les précédents rendent même un rapporteur pour avis prudent, au groupe socialiste, ils nous rendent plus que sceptiques ! Et je ne reparlerai même pas de l'engagement pris à Barcelone de consacrer 3 % de notre PIB à la recherche, qui, à force de s'éloigner de notre portée, d'année en année, finit par constituer une véritable chimère.
Le même scepticisme nous gagne s'agissant de l'Agence nationale de recherche, qui doit théoriquement être opérationnelle dans moins de trois semaines, et sur les fondations qu'elle est censée financer.
Sur ce sujet aussi, notre collègue Pierre Laffitte, dans son rapport pour avis, écrit noir sur blanc : « Il semble que la concrétisation de ces projets ne soit pas encore obtenue, des réticences de certains services du ministère des finances n'étant pas encore vaincues ». Pour notre part, si nos incertitudes portent sur le financement, nous formulons aussi de fortes réserves, pour ne pas dire plus, sur les modalités de création et de fonctionnement de cette agence.
Votre idée, monsieur le ministre, est de créer un groupement d'intérêt public opérationnel au 1er janvier 2005, auquel se substituera, à terme, avec la loi de programmation et d'orientation sur la recherche, un établissement public. Or, même pour un groupement d'intérêt public, les délais sont un peu courts, puisque les consultations des conseils d'administration des organismes participant au groupement d'intérêt public, à propos desquels d'ailleurs on peut se poser quelques questions sur les critères de choix, viennent de débuter en catastrophe.
Dans ces conditions, il paraît plus qu'illusoire de penser que cette agence puisse être opérationnelle à la date prévue. Mais ce ne sera qu'un retard de plus en matière de recherche à porter à l'actif de ce gouvernement. Et quand bien même elle le serait, la sélection des projets à soutenir, le lancement des appels d'offres, les réponses aux appels d'offres, leur évaluation, toute cette procédure exige un temps de mise en oeuvre long, de sorte que l'argent ne sera pas disponible pour les projets en 2005.
Il en est de même pour les fondations. Je suis désolé de devoir en revenir toujours à Bercy, mais un autre débat concernant la structure financière des futures fondations pour la recherche semble ne pas être encore tranché, puisque le ministère des finances voudrait limiter la part de capital consomptible de ces fondations à la moitié de leur capital total. Pourtant, une fondation à capital entièrement consomptible permet de s'engager sur un capital déterminé consommable au fur et à mesure, au service d'un objectif précis défini par les statuts, et pour une durée qui, elle, n'est pas déterminée à l'avance. Sur ce point précis, nous souhaiterions aussi des éclaircissements, monsieur le ministre. Selon vos chiffres, et dans le meilleur des cas, près de 500 millions d'euros sont en suspens avec le projet d'agence nationale de la recherche, soit plus que la totalité des crédits de fonctionnement alloués à la recherche universitaire.
Finalement, ce qui ressort des précédents exercices budgétaires et des divers freins précédemment évoqués, ce à quoi il faut ajouter la longueur du processus de discussion pour l'élaboration de la future loi de programmation et d'orientation et son report, c'est que le Gouvernement a d'ores et déjà fait les économies qu'il souhaitait, qu'il joue la montre pour desserrer, le plus tard possible, les cordons de la bourse, tout simplement parce que sa marge de manoeuvre, notamment du fait des cadeaux fiscaux plus que discutables qu'il a décidés, est limitée, et qu'il sait pertinemment qu'il ne pourra pas se permettre de décevoir une fois de plus le milieu de la recherche.
Or l'argent non consommé, c'est du temps perdu pour la recherche, et nous en avons suffisamment perdu comme cela depuis deux ans. La situation de l'emploi scientifique dans ce budget en est l'illustration flagrante.
Alors même qu'elle constitue la préoccupation majeure du milieu de la recherche, que l'avenir des jeunes chercheurs est au coeur de leur mobilisation, c'est l'attentisme. Bien sûr, le Gouvernement a tenu les promesses arrachées par le mouvement des chercheurs le printemps dernier, il ne pouvait pas en être autrement, mais, en dehors de cela, c'est le néant pour l'emploi pérenne. Les simples maintiens de postes statutaires sur deux exercices constituent un gage bien faible au regard des estimations européennes qui évaluent à 700 000 le nombre d'emplois de chercheurs supplémentaires nécessaires d'ici à 2010.
Concernant les pôles de compétitivité, outre le flou dans les modalités du dispositif et l'absence de compensation des exonérations de taxes professionnelle et foncière des entreprises déjà relevée par mes collègues lors de l'examen de l'article 12 du projet de loi de finances, il n'a été question, pour l'instant, que de mesures fiscales et sociales incitatives en faveur des entreprises. Aussi souhaiterais-je savoir, monsieur le ministre, quelles incitations, par exemple en termes de moyens supplémentaires, de soutien au montage de projets ou de recrutements de post-doctorants, sont envisagées pour les organismes de recherche publics, explicitement cités comme acteurs principaux des pôles de compétitivité à dominante technologique ?
J'aborderai enfin le volet européen de la recherche. Comme notre collègue Pierre Laffitte, j'attendais les conclusions du Conseil « compétitivité » des 25 et 26 novembre dernier, sur les grands traits du septième programme cadre pour la recherche et le développement, or celui-ci n'a donné malheureusement lieu à aucune proposition concrète. Je partage tout à fait la position de notre rapporteur à propos du nécessaire allègement des procédures européennes. J'ajouterai qu'un des enjeux pour nos laboratoires publics est de pouvoir bénéficier d'une mutualisation de personnels compétents pour répondre aux appels d'offres de Bruxelles, afin d'améliorer le taux de retour pour notre pays.
Nous sommes favorables également, comme nous l'avons indiqué à Grenoble, lors des assises nationales de la recherche, à l'exclusion des dépenses de recherche du pacte de stabilité européen.
En revanche, contrairement à notre ami Pierre Laffitte, nous ne pouvons être favorables au budget de la recherche pour 2005, qui est bien loin d'impulser la dynamique nécessaire et réclamée par le mouvement des chercheurs pour l'avenir de notre système de recherche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Adeline Gousseau.
Mme Adeline Gousseau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord vous prier d'excuser notre collègue Jean-Paul Emorine, qui avait prévu de s'exprimer sur ce budget en sa qualité de président de la commission des affaires économiques mais qui, en raison d'un empêchement imprévu, ne pourra être avec nous ce soir. Il m'a fait l'honneur de me demander de m'exprimer ce soir en son nom, en ma qualité de membre de cette commission.
La recherche est devenue un enjeu économique essentiel pour notre économie, notre place dans le monde et nos emplois. C'est une réalité qui va désormais au-delà de son intérêt intrinsèque pour l'augmentation des connaissances humaines.
C'est pour cette raison que le président de la commission des affaires économiques et du Plan souhaitait vous faire part de ses réflexions au seuil de cette année 2005, qui sera l'année de la loi d'orientation et de programmation pour la recherche à laquelle notre commission - comme d'autres - se prépare activement. Vous avez pu vous en rendre compte en écoutant le rapporteur pour avis Henri Revol.
Notre collègue Christian Gaudin, rapporteur pour avis des crédits de l'industrie, a, lui aussi, beaucoup travaillé sur les nouveaux pôles de compétitivité. Et, toujours au sein de notre commission, Bernard Dussaut, nous a présenté un avis budgétaire sur les industries agroalimentaires, dans lequel il pose des questions fortes sur la recherche en matière de biocarburants.
Monsieur le ministre, le président Jean-Paul Emorine souhaitait vous assurer que la commission des affaires économiques du Sénat, dans toutes ses composantes, était engagée pour apporter sa contribution à l'organisation de la recherche française, dans un contexte international qui ne nous donne pas le droit à l'erreur.
Ce contexte international, quel est-il ?
Monsieur le ministre, vous connaissez la célèbre formule : « quand on se regarde, on se désole ; mais quand on se compare, on se console ».
Eh bien, s'agissant du contexte international en matière de recherche, on a parfois tendance à penser l'inverse : quand on regarde l'effort sans précédent du Gouvernement dans le budget 2005 et ses engagements pour 2006 et 2007, on peut être très satisfait, mais quand on évalue l'effort d'autres pays, des questions et des préoccupations subsistent encore.
En effet, il semble que les cartes de l'avance technologique, c'est-à-dire celles du monde de demain, se redistribuent à une vitesse encore inédite.
Depuis 1997, alors que la France glissait doucement de la quatrième vers la cinquième place mondiale en termes de dépenses comme de nombre de publications, la Chine, quant à elle, augmentait sa production scientifique de 80 %, passant ainsi de la treizième à la septième place. A ce rythme-là, elle sera devant la France d'ici deux à trois ans. Ce phénoménal rattrapage sera d'ailleurs l'une des préoccupations de la mission que notre commission a prévu d'effectuer en Chine au mois de septembre 2005.
Certes, face aux Etats-Unis, face au Japon, numéro deux mondial qui accélère son effort, et face à la Chine de demain, on pourrait se dire qu'il ne faut plus considérer la France seule, mais l'Europe. Ce n'est pas le président de la commission des affaires économiques qui affirmerait le contraire. Car la dimension européenne y est une priorité naturelle, qu'il a d'ailleurs souhaité renforcer.
Mais la politique européenne de la recherche nous paraît appeler deux observations.
La première, c'est que le programme cadre de recherche et de développement, le PCRD, n'est pas assez centré sur les PME. Pourtant, les travaux de notre commission démontrent que c'est là que se trouve le potentiel de rattrapage européen pour s'approcher de l'objectif, arrêté au conseil européen de Barcelone en 2002, de 3 % du PIB consacré à la recherche et au développement en 2010.
La France est d'ailleurs en dessous de la moyenne européenne en ce domaine, car la recherche de l'ensemble des PME y est trois fois moins importante que celle des grands groupes.
Or notre pays est à la traîne en matière de recherche privée, puisque celle-ci ne représente que 55 % de l'effort national, alors qu'elle représente près de 70 % dans le reste de l'Europe. Il est donc urgent de faire aussi de l'Europe un levier de la recherche et du développement des PME-PMI.
On nous avait d'ailleurs promis un sixième PCRD plus souple et mieux adapté aux PME. Malheureusement, les procédures administratives, les exigences de coopération aussi fortes que pour les grands organismes ainsi que des critères trop académiques et pas assez technologiques ont empêché la greffe de prendre.
On nous promet de nouveau la même chose pour le septième PCRD en préparation. Nous serons très vigilants avant, pendant et après la décision qui sera adoptée, afin qu'elle profite à nos PME.
La seconde observation est autant un regret qu'un constat, qu'il nous faut énoncer sans ambages.
Le fameux espace européen de la recherche n'existe pas encore, malgré le cadre fixé par la communication de la Commission du 18 janvier 2000. Savoir s'il existera demain est aujourd'hui une interrogation majeure.
Le nouveau commissaire à la science et à la recherche, M. Janez Potocnik, fera-t-il preuve de la même volonté sur ce sujet que son prédécesseur, M. Francis Busquin ?
Voici deux questions clés.
Dans les faits, si nous savons nous mobiliser sur des très grands projets comme ITER, nous n'avons pas su créer une réalité quotidienne de la recherche européenne. Les stratégies et initiatives restent nationales, la mobilité des équipes n'est pas plus forte en Europe qu'à l'international, et je ne reviens pas sur le retard préoccupant du brevet communautaire. Nous devons aller au-delà de la course aux subventions du BCRD.
En matière de recherche, nous n'avons pas encore su trouver ces points d'équilibre dynamique entre la concurrence et la coopération, entre l'ancrage local et la mobilité, entre la solidarité européenne et le positionnement mondial qui font pourtant la force de notre continent dans d'autres domaines.
Mais il est clair, monsieur le ministre, que la France ne saurait tout attendre de l'Europe et que son principal défi est de se remettre dans le rythme d'un monde ou tout s'accélère.
Il existe sans doute un lien entre la baisse progressive des performances de la recherche française, en termes de dépôts de brevets ou d'impact des travaux, et sa difficulté à se réformer à un rythme lui permettant de rester en phase avec son temps.
Ces difficultés sont-elles dues à une certaine tendance à rester trop centrée sur ses structures, les statuts de ses personnels et ses procédures, et à ne pas se demander assez ce que serait la meilleure organisation de la recherche française au regard de ce qui se fait ailleurs, puis à prendre les moyens de réaliser cette organisation optimale ? Quel est votre sentiment sur ce sujet, monsieur le ministre ?
Les débats que nous aurons dans les prochains mois se devront de faire émerger une convergence d'analyses pour établir le diagnostic, mais ils ne devront pas s'en contenter. Ils devront aussi nous permettre de construire des solutions prospectives et dynamiques.
Au sein de notre commission, dont les attributions englobent des aspects de l'économie qui vont du sillon au satellite, nous avons remarqué qu'il y avait sans doute là une spécificité de notre pays, qui reste longtemps réticent, voire rétif, aux réformes, puis qui, confronté à une crise menaçante, se réveille un jour en un sursaut et recolle en quelques années au peloton de tête.
Nous avons connu cela pour la modernisation agricole, pour le téléphone, pour l'espace, pour l'automobile et, plus récemment, pour l'Internet. II est indispensable que ce soit le cas, demain, pour la recherche. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Les inadmissibles restrictions des budgets 2003 et 2004 de la recherche ont mis à mal les dynamiques des laboratoires.
En revanche, elles ont fédéré les équipes dans un même élan revendicatif et engendré la coproduction d'exigences communes : « des postes, la simplification des procédures, la remise à plat de l'évaluation et de vraies perspectives pour des emplois dignes », avons-nous entendu aux Etats généraux de la recherche à Grenoble.
Le budget que vous nous présentez fait mine de répondre aux besoins ; comme mes collègues du groupe socialiste, je suis convaincue que, d'une part, le compte n'y est pas, et que, d'autre part, certains affichages - l'Agence, les fondations, le crédit d'impôt -, qui constituent, on peut au passage le pointer, une aide de plus aux entreprises, sont d'ores et déjà englués dans les embûches procédurières de Bercy.
Ne nous y trompons pas, un rattrapage tardif n'est en rien une politique ambitieuse pour la recherche. Tout comme l'arrêt des suppressions de postes ne tient pas lieu de plan pluriannuel de l'emploi.
De plus, il ne suffit pas de « sauver la recherche », il faut aussi en faire un objet de désir et de choix collectifs.
Le désir, c'est d'abord le savoir partagé, et la diffusion de la culture scientifique ne reçoit toujours pas l'aide indispensable.
Les choix collectifs, ce sont, en connaissance de cause, des demandes de la société.
Aujourd'hui, à eux seuls, la recherche militaire, le nucléaire, l'aéronautique et le spatial absorbent près de 40 % de la dépense publique de recherche. Ce poids énorme est désormais préjudiciable au développement d'autres secteurs. Par contrecoup, les sciences de la vie représentent moins du quart de la dépense intérieure pour la recherche et le développement publique.
Il y a un décalage entre des priorités encore liées à une conception de la puissance datant d'il y a quarante ans, hélas perpétuées par des lobbies industriels et scientifiques influents, et les besoins actuels. Face au modèle américain, inscrivons-nous dans un projet alternatif de société où le développement durable et la qualité de la vie - plutôt que la puissance - seraient le moteur de la dynamique économique.
Bien que la répartition budgétaire soit assez opaque, il apparaît nettement, en croisant les données, que la France accuse un déficit considérable en maints domaines : toxicologie, épidémiologie, écologie, énergies renouvelables, agriculture durable, chimie et ingénierie vertes...
Dans le domaine énergétique, le nucléaire engloutit 90 % des dépenses : nous ratons le coche des renouvelables, de l'efficacité énergétique et de la maîtrise de la demande.
Dans le domaine de la santé, la performance n'est guère plus brillante. Si la biologie moléculaire et les recherches liées à la biomédecine curative sont bien des priorités, la santé publique et l'épidémiologie sont peu soutenues. La santé environnementale est délaissée : l'IFEN, l'Institut français de l'environnement, et l'IGAS, l'Inspection générale des affaires sociales, pointent l'absence de soutien. Sa place est très marginale au sein de l'INSERM, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale - moins de 2 % des chercheurs -, tandis que des organismes comme l'INERIS, l'Institut national de l'environnement industriel et des risques, ne jouent pas leur rôle. Pour le plus grand bonheur du lobby de l'industrie chimique, la France est lanterne rouge en Europe dans ce domaine.
A l'heure du plan national santé-environnement, la quasi-absence de ce thème dans le plan cancer, est un déni de bon sens. Même les familles les plus cruellement touchées par cette maladie souhaitent, au-delà d'éventuelles thérapies, savoir l'origine de ces pathologies. Mais peut-être est-ce indicible ?
Que pensez-vous d'un ministère mettant au pain sec un laboratoire breton qui se penche sur les perturbations de la division cellulaire causées par un désherbant, dès lors que la firme chimique fait pression ?
La recherche sur les effets des « perturbateurs endocriniens », préoccupation sanitaire et thème de recherche en plein essor au niveau mondial, est malmenée en France.
L'agriculture biologique, dans le secteur de la recherche agronomique, constitue un autre champ de connaissances sciemment bloqué. Certes, il dérange à la fois les industries agrochimiques, les coopératives agricoles qui font leurs marges sur la vente d'intrants, et les paradigmes productivistes encore bien ancrés dans les institutions agronomiques. Pourtant, la consommation de produits « bio » augmente de 20 % par an en France.
L'INRA compte moins de trente chercheurs à temps plein dans ce domaine - sciences sociales incluses -, isolés dans des équipes différentes. La masse critique n'est pas atteinte. A l'heure où l'on veut construire des pôles d'excellence, il serait grand temps d'en créer un pour l'agriculture biologique en reconvertissant certains domaines expérimentaux de l'INRA.
Je manquerais à mon devoir si je n'insistais pas aussi sur les sciences humaines et sociales.
Allons-nous laisser le mal-vivre de cinq millions de Français aux seules mains des fabricants d'antidépresseurs, quand l'industrie pharmaceutique consacre 35 % de son chiffre d'affaires au marketing et seulement 16 % à la recherche ?
L'injustice planétaire, les bouleversements de l'organisation du travail et de la distribution des richesses, le doute démocratique et les tentations identitaires méritent aussi des recherches. A la clef, il n'y a certes pas de brevets, mais il y a le vivre-ensemble, y compris entre le Nord et le Sud.
Tous ces exemples de domaines orphelins illustrent l'abandon dans lequel sont laissés certains et l'ampleur de la réorientation à effectuer. Ces thématiques orphelines n'auraient-elles pas en effet gagné une meilleure reconnaissance si la société civile avait eu la possibilité de faire entendre sa voix dans l'élaboration des choix scientifiques, si le Parlement jouait un rôle réel en amont et si l'Office parlementaire avait les moyens d'organiser le débat ?
Après le travail considérable effectué par le collectif « Sauvons la recherche » sur les moyens et l'organisation, vous aviez deux devoirs pour l'avenir : d'une part, lui répondre sans masquer vos refus derrière des engagements différés, construire un budget plus ambitieux et plus transparent, offrir des perspectives pluriannuelles d'emploi ; d'autre part, ouvrir le débat avec la société sur les choix d'orientation, car ceux-ci n'appartiennent ni aux cabinets ministériels, ni aux secteurs historiquement partenaires, ni même aux seuls chercheurs enfermés dans la course au brevet et à la publication. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Claude Saunier.
M. Claude Saunier. Monsieur le président, monsieur le ministre, à cette heure avancée, l'hémicycle n'est pas aussi rempli qu'on pourrait le souhaiter compte tenu de l'importance du débat qui nous réunit, et je rejoins tout à fait notre collègue Pierre Laffitte pour regretter cette manifestation du désintérêt - j'ose à peine prononcer le mot - de la représentation nationale. Il est vrai que les conditions matérielles dans lesquelles ce débat se déroule ne sont guère favorables à une présence très forte. En tout cas, elles ne sont pas à la hauteur des attentes et des besoins de la nation en la matière.
Monsieur le ministre, vous nous soumettez ce soir un projet de budget pour la recherche qui n'est pas un budget ordinaire ou, plutôt, qui ne devrait pas être un budget ordinaire, compte tenu non seulement des enjeux, qui ont été exposés à plusieurs reprises, mais aussi des circonstances.
Vous-même êtes un élu local. Notre assemblée est en prise avec les réalités territoriales. Nous savons bien, peut-être plus que d'autres, quels chocs représentent la mondialisation, l'innovation, la concurrence, qui peuvent déstructurer et nos économies et nos territoires.
Nous savons aussi que nous avons une chance, une porte de sortie : gagner la course à l'innovation. Une mobilisation générale de la nation pour gagner cette course à l'innovation par la recherche est donc nécessaire.
Cette analyse est d'ailleurs largement partagée par les uns et par les autres. Ce soir, il a été fait à plusieurs reprises référence à l'objectif de Lisbonne. Les autorités les plus éminentes de la nation, dont le chef de l'Etat lui-même, se sont engagés formellement à donner à la France et à ses chercheurs les moyens de participer à ce grand effort national. Je rappelle la substance de cet engagement : la recherche devra représenter 3 % du produit intérieur brut d'ici à 2010.
Je vais vous faire une confidence. Lorsque vous avez, il y a quelques semaines, lors de la préparation du budget, fait part des intentions du Gouvernement, j'ai cru que vous alliez effectivement vous situer pleinement dans la ligne de cet objectif et répondre à cet engagement. A y regarder de plus près, je crois que l'optimisme dont on pouvait alors faire preuve doit être quelque peu tempéré.
Ma deuxième observation générale porte sur le contexte dans lequel vous avez préparé et présenté ce budget ; il en a déjà été question, mais je pense qu'il n'est pas inutile d'y revenir
Ce contexte a été celui d'un mouvement historiquement exceptionnel, unique dans notre pays comme en Europe. A cet égard, je voudrais rendre hommage aux hommes et aux femmes qui ont été les instigateurs et les animateurs du mouvement « Sauvez la recherche ».
D'abord, ils ont fortement contribué à améliorer la prise de conscience par la nation de l'enjeu que représente la recherche pour notre pays. En témoigne l'initiative qui a accompagné cette prise de conscience et qu'a prise l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, auquel j'appartiens.
Nous avons été invités, mes collègues et moi-même, à aller à la rencontre des chercheurs. Nous nous sommes rendus dans les laboratoires, dans les entreprises, dans les universités : c'est donc sur le terrain que nous avons pu recueillir des témoignages sur les difficultés concrètes que rencontrent les chercheurs dans leur pratique professionnelle quotidienne. Cela a constitué pour nous une source d'informations considérable. Au demeurant, il était également important que les chercheurs puissent constater que les représentants de la nation, les députés, les sénateurs, étaient effectivement attentifs à leurs préoccupations.
Ce début de rencontre entre la nation et la recherche fut un grand progrès.
Par ailleurs, dans le combat qu'ils ont mené, les chercheurs ont fait preuve à la fois d'intelligence, de détermination et d'un grand sens des responsabilités. Ce sens des responsabilités s'est du reste retrouvé dans les propositions concrètes qui ont été formulées lors des états généraux de Grenoble, auxquels il a déjà été fait plusieurs fois allusion.
Au total, ce mouvement des chercheurs a atteint un certain nombre de ses objectifs.
Il a d'abord contraint le Gouvernement - excusez-moi, monsieur le ministre ! - à revenir sur une politique que l'on avait du mal à comprendre, une politique de « casse » financière de la recherche ; comment l'appeler autrement ?: Force est de dire que la recherche française a connu véritablement deux années noires.
Le mouvement a aussi obtenu, à travers les états généraux, la reconnaissance du rôle de la recherche et des chercheurs. Vous-même vous y êtes rendu avec un certain nombre de personnalités.
Ce mouvement, dont on souligne aujourd'hui l'intérêt, aurait sans doute pu être évité.
Permettez-moi de vous conter une anecdote, monsieur le ministre. Il se trouve que dans le cadre de l'Office parlementaire, j'avais personnellement déposé, en janvier 2003, un rapport consacré aux micro et nanotechnologies. Ce rapport concluait notamment sur la nécessité d'appeler l'attention des pouvoirs publics, et donc, en particulier, celle du ministre en charge de la recherche à l'époque, sur la situation qui m'avait semblé très dégradée dans les laboratoires, où la tension était très vive. J'avais indiqué qu'il était grand temps de penser à élaborer une loi d'orientation et de programmation pour la recherche.
Il me semble que, de temps en temps, les pouvoirs publics et les cabinets pourraient porter un peu plus d'attention à certains rapports parlementaires, le cas de celui que viens d'évoquer n'étant pas isolé.
Monsieur le ministre, vous affichez le fameux milliard d'augmentation. Comme plusieurs de mes collègues l'ont signalé, ce milliard se décompose en réalité en trois parties. Seuls 356 millions d'euros supplémentaires apparaissent, à mettre en rapport, me semble-t-il, avec les réductions sensibles qui étaient intervenues au cours des années précédentes.
Cela me conduit à vous rapporter une seconde anecdote. J'ai rencontré cet après-midi dans le TGV un jeune universitaire, très intéressé par toutes ces problématiques. Il m'a dit craindre que cet argent supplémentaire ne soit finalement consacré en quasi-totalité aux dépenses supplémentaires qui n'ont pas été quantifiées lors de la mise en place de la réforme LMD - licence-mastère-doctorat. Si tout le monde s'accorde à considérer que cette réforme doit être réalisée, il n'en demeure pas moins que, en accroissant la charge de travail d'un certain nombre d'universitaires et de chercheurs, va entraîner une consommation tout à fait exceptionnelle d'heures supplémentaires.
Je me fais donc l'écho de l'observation de ce jeune universitaire, monsieur le ministre, en vous posant cette question : cette réforme LMD ne va-t-elle pas consommer la quasi-totalité de l'enveloppe supplémentaire ?
Par ailleurs, je doute que cette proposition budgétaire entre dans le cadre du calendrier de Lisbonne. Il faudrait, me semble-t-il, aller un peu plus loin et un peu plus vite.
Vous me permettrez de vous interroger sur l'interprétation que vous faites des promesses du Premier ministre. Celui-ci a annoncé - c'est du moins ce que nous avons cru comprendre, les uns et les autres - une augmentation supplémentaire de 1 milliard d'euros par an pendant trois ans. Cela signifie logiquement 1 milliard en 2005, 2 milliards en 2006, 3 milliards en 2007.
Est-ce la lecture que fait Bercy de l'engagement du Premier ministre ? Quelle lecture faites-vous, vous-même, de ses propos ?
Je partage totalement ce qui a été dit par l'une de nos collègues quand elle a évoqué la situation internationale. Nous sommes en effet confronté, en matière de recherche comme en bien d'autres domaines à la concurrence internationale, à une véritable compétition, et tout jugement sur l'état de la recherche dans notre pays est vain si l'on n'établit pas une comparaison internationale.
Le temps passant, je me contenterai d'évoquer un point que j'ai mis en évidence dans mon rapport sur les micro et nanotechnologies.
Dans ce secteur central pour l'avenir d'un certain nombre d'industries, lorsque la France engage, au titre de la recherche et du développement, 50 millions d'euros - j'ai effectué les vérifications -, l'Allemagne en engage 200 millions, l'Europe, dans sa globalité, 500 millions, le Japon 1,3 milliard de dollars et les Etats-Unis 3 à 4 milliards de dollars.
J'admets que l'on dise que notre recherche sera plus efficace si elle se réforme. Néanmoins, ainsi que cela a été souligné, on ne pourra pas se dispenser de donner à nos chercheurs des moyens comparables à ceux dont bénéficient les chercheurs des autres grands pays pour mener leurs travaux.
Pour cet ensemble de raisons, monsieur le ministre, nous considérons que les moyens que vous mettez en oeuvre, même s'ils sont en progrès, ne font que résorber une situation antérieure, qu'ils ne répondent pas pleinement aux enjeux de notre époque. Nous voterons donc contre votre budget en attendant avec beaucoup d'intérêt les propositions que vous nous soumettrez lorsque sera présentée le projet de loi d'orientation et de programmation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. François d'Aubert, ministre délégué à la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d'abord remercier MM. les rapporteurs du travail qu'ils ont effectué au sein des commissions.
Celles-ci rassemblent des parlementaires qui, sur quelque travée qu'ils siègent, sont passionnés par la recherche, ce secteur si important pour la France et dont ils sont les ardents défenseurs. Je leur suis reconnaissant de soutenir cet effort indispensable accompli en faveur de la recherche, car celle-ci, tous les orateurs l'ont dit, est capitale pour notre pays.
La recherche représente une activité tout à fait majeure en ce sens qu'elle prépare l'avenir de la France et l'aide à relever le défi de la compétition internationale. Elle est devenue, Mme Gousseau l'a dit, un enjeu essentiel au regard de notre économie, de notre place dans le monde, de nos emplois et de notre croissance.
Il est exact qu'il existe une compétition portant aussi bien sur les résultats de la recherche, la technologie, l'innovation, que sur les structures de recherche et d'innovation. D'où l'importance de l'effort que nous allons engager et qui apparaîtra dans le projet de loi d'orientation et de programmation que nous soumettrons au Parlement à la fin du premier semestre de 2005.
La recherche favorise la croissance. Selon les études de l'OCDE, une progression de 10 % des dépenses de recherche et développement permettra d'augmenter le produit intérieur brut de 0,3 à 0,4 point à l'horizon de dix ans, à condition de soutenir un effort continu, effort dont le projet de budget pour 2005 est la première pierre.
La recherche est également capitale en ce qu'elle se situe au centre des grands débats de société. Qu'il s'agisse du cancer, des OGM, des cellules souches, de l'énergie de demain, de la biodiversité, des procédés de télécommunication, des usages futurs d'Internet ou de l'UMTS, presque tous les domaines exigent de la recherche et même plus de recherche.
La recherche mérite aussi une place de choix dans la politique publique d'un pays parce que, dans bien des domaines, elle relève de l'intérêt stratégique de la nation. Elle participe directement à la souveraineté d'un pays comme à l'affirmation de son indépendance, en particulier dans les secteurs de l'énergie - au travers du nucléaire -, de l'aéronautique ou de l'espace.
Enfin, la recherche et la science sont au coeur des interrogations et des aspirations de l'homme.
Plus de recherche, c'est aussi, souvent, plus de démocratie. Si l'on regarde notre histoire, le progrès et la diffusion des connaissances apparaissent en effet comme un principe majeur d'évolution et d'organisation de nos sociétés démocratiques.
De ce point de vue, il est important de soutenir, entre autres, la recherche en sciences humaines et sociales. Mesdames, messieurs les sénateurs, n'ayez aucune inquiétude à ce sujet : ce domaine de la recherche sera soutenu de façon tangible, grâce aux actions de la future agence nationale pour la recherche et aux projets que nous allons mettre en oeuvre.
Le projet de budget pour 2005 est tout à fait exceptionnel. Je le qualifiais d'historique il y a quelques jours, et je n'ai pas changé d'avis. Il marque en effet un point de départ tout à fait essentiel. Le Gouvernement, et au premier chef le Premier ministre, a en effet souhaité placer la recherche au premier rang de ses priorités et au coeur de son ambition pour la France.
Jamais depuis vingt ans, comme l'a rappelé M. Laffitte, l'effort public en faveur de la recherche n'aura autant progressé en une seule année. En 2005, 1 milliard d'euros de financement public supplémentaire seront consacrés à des dépenses de recherche dans notre pays, soit une progression de plus de 10 % par rapport à 2004.
Compte tenu de la progression prévue du PIB en volume de 2,5 % prévue pour 2005, cela signifie que la dépense intérieure de recherche et développement, la DIRD, qui n'a cessé de régresser depuis dix ans, passant de 2,4 % du PIB en 1993 à 2,19 % en 2003 - il semblerait qu'elle ait augmenté légèrement en 2004 -, progressera l'an prochain, nous en sommes convaincus, grâce à sa part publique.
Je souhaite d'ailleurs saisir cette occasion pour mettre les choses au point sur les propos que l'on peut lire ou entendre ici ou là et selon lesquels ce projet de budget ne compenserait qu'à peine les baisses et les gels de crédits de 2003 et 2004. Cela est tout à fait inexact, pour les raisons suivantes.
Tout d'abord, tous les crédits qui avaient été gelés, soit 235 millions d'euros, ont été intégralement versés dans les budgets de 2004 des établissements publics à caractère scientifique et technologique, les EPST.
Ensuite, si les baisses de crédits de paiement représentaient 273 millions d'euros, les retards de paiement, quant à eux, ne s'élevaient qu'à 162 millions d'euros, car 111 millions d'autorisations de programmes avaient été annulées. Or on ne peut, par définition, couvrir des autorisations de programme qui n'existent pas. Cette logique budgétaire me paraît imparable.
Au total, le rattrapage ne porte que sur 162 millions d'euros, c'est-à-dire moins du quart des700 millions d'euros de progression des crédits consacrés aux laboratoires dans le projet de budget pour 2005 ! Il est donc complètement faux de laisser entendre, comme l'a fait M. Renar, que cette hausse compense une partie des baisses et gels de crédits des années 2003 et 2004.
J'ajoute que les annulations de crédits portant sur le budget de la recherche ne sont pas l'apanage des gouvernements de droite ou du centre. Je rappelle en effet que, de 1998 à 2001, les gouvernements socialistes ont annulé la bagatelle de 265 millions d'euros de dotations ordinaires et de crédits de paiement sur le budget de la recherche, notamment un nombre important de crédits servant à payer les personnels des EPST, dont 60 millions d'euros pour le seul CNRS. Le résultat de ces mesures d'annulation a été la création d'impasses de financement, notamment en ce qui concerne le CNRS, qu'il nous a fallu compenser. Et je ne parle pas des changements de périmètre des années 1997 à 2001, qui ont « BCRDisé » - les spécialistes comprendront ! - 150 millions d'euros ou presque.
Cette année, le périmètre du BCRD, le budget civil de recherche et de développement technologique, n'a pas changé, alors qu'entre 1997 et 2001 il avait augmenté plus ou moins subrepticement de 150 millions d'euros, ce qui modifie tout de même les conditions de la comparaison d'une année sur l'autre.
J'ajouterai, s'agissant de l'année 2004, qu'aucune régulation n'est intervenue, ce qui montre l'importance que le Gouvernement accorde à la recherche.
Le projet de budget pour 2005, en hausse de 1 milliard d'euros, place notre pays sur une trajectoire qui lui permettra de respecter l'engagement des 3 % du PIB européen consacrés à la recherche, pris lors du sommet de Barcelone. Il respecte aussi à la lettre l'engagement pris par le Gouvernement d'accroître de 3 milliards d'euros, d'ici à 2007, l'effort public en faveur de la recherche publique et privée.
L'accroissement important des crédits publics consacrés à la recherche est équilibré. Il a été conçu pour répondre à trois grandes priorités : le renforcement de la recherche publique, académique et finalisée, avec l'amélioration de la situation des personnels et des laboratoires ; l'accroissement du financement par projets de la recherche française, avec la création de l'Agence nationale pour la recherche ; ...
M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis. C'est très important !
M. François d'Aubert, ministre délégué. ... l'amplification des mesures en faveur de ce couple si important pour notre avenir que constituent la recherche et l'innovation.
Premièrement, s'agissant du renforcement de la recherche publique, le projet de budget pour 2005 engage une nouvelle dynamique, car il prévoit une amélioration sans précédent de la situation des personnels et des laboratoires, grâce à la très forte progression du BCRD.
En 2005, le BCRD s'établira à 9,3 milliards d'euros. Cette hausse est exceptionnelle, car c'est la plus forte en volume depuis dix ans : elle est quatre fois plus importante qu'en 2004 et représente deux fois et demie l'augmentation annuelle moyenne sur les dix dernières années, y compris pendant les cinq années de gouvernement socialiste. Cette progression est très supérieure à l'augmentation du PIB en volume, qui est de 2,5 %. Cette hausse bénéficiera, à hauteur de 97 %, aux personnels et aux laboratoires de nos établissements de recherche et de nos universités.
J'ai pu constater un décalage marqué entre les besoins des laboratoires et leurs moyens effectifs. Le projet de budget pour 2005 apporte des premières réponses très concrètes.
L'accroissement des moyens de paiement des EPST - de 32 % -, des établissements publics à caractère industriel ou commercial - de 22 % - et de la recherche universitaire - de 13 % - leur permettra à la fois de couvrir tous leurs engagements passés, y compris les contrats de plan Etat-région, de faire face à des investissements lourds en 2005, tels que la poursuite de la réalisation du synchrotron SOLEIL et, enfin, d'accroître significativement les moyens récurrents des laboratoires par rapport à 2004. Le projet de budget pour 2005 permettra une hausse d'au moins 5 % de ces crédits.
De surcroît, cet accroissement des moyens s'accompagnera d'une simplification des démarches administratives et des procédures, comme cela était demandé de toutes parts, mais surtout par les laboratoires.
M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis. Très bien !
M. François d'Aubert, ministre délégué. En effet, comme vous l'avez dit, monsieur Blin, la rénovation de notre système de recherche n'est pas seulement affaire de crédits.
J'ai soumis au Premier ministre toute une série de propositions visant à simplifier la vie quotidienne dans les laboratoires et qui, je l'espère, seront mises en oeuvre d'ici à la fin de l'année. Certaines ont déjà fait l'objet d'un arbitrage positif.
Dès 2005, nous supprimerons ainsi le contrôle financier a priori dans trois EPST, avec l'objectif d'un élargissement à tous les autres organismes en 2006. Cela signifie concrètement qu'aucun acte de gestion ne fera désormais l'objet d'un contrôle a priori, dont tout le monde reconnaît qu'il alourdit les procédures et retarde l'exécution des dépenses des laboratoires, sans compter le temps qu'il fait perdre aux gestionnaires de l'argent des laboratoires.
Ainsi, pour ne citer que cet exemple emblématique, les laboratoires n'auront plus besoin de requérir le visa du contrôleur financier pour recruter du personnel non permanent, ce qui permettra d'être plus réactif et de limiter les contrôles administratifs inutiles.
L'autre orientation forte que nous avons voulu donner à ce projet de budget est la croissance du potentiel scientifique de nos établissements de recherche et universitaires. Ainsi, tous les emplois statutaires dans les EPST sont maintenus : chaque départ donnera lieu à un recrutement, qu'il s'agisse d'un départ à la retraite ou d'un autre type de départ. En effet, dans les EPST, une certaine mobilité est possible et il arrive que des chercheurs quittent les EPST pour aller travailler dans d'autres organismes ou administrations, ou pour occuper des fonctions extérieures à l'administration.
Dans le contexte actuel d'augmentation des départs à la retraite, cette mesure est un signal fort pour les jeunes qui souhaitent s'engager dans la carrière de chercheur. Elle se traduit par un accroissement à moyen terme du volume des recrutements, et donc des débouchés dans la recherche publique pour les étudiants.
Le nombre global des départs de chercheurs et d'ITA - ingénieurs, techniciens et administratifs - qui auront lieu dans les prochaines années est en effet estimé à 2000 par an, en moyenne, ce qui permettra d'intensifier significativement le niveau des campagnes de recrutement. Nous sommes au sommet de la courbe démographique des départs et nous nous engageons à les remplacer tous !
Notre engagement de maintenir les postes budgétaires est donc bien plus favorable que le plan de M. Schwartzenberg sur l'emploi scientifique, qui, je vous le rappelle, prévoyait la suppression d'emplois à partir de 2005 !
Le projet de budget pour 2005 prévoit en outre des mesures significatives pour renforcer les moyens humains dans l'enseignement supérieur.
Ainsi, 1 000 emplois budgétaires sont ouverts. Tout d'abord, 700 postes de professeurs et maîtres de conférences et 150 postes de personnels ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers et services, IATOS, ont été annoncés dans le courant de 2004. Ensuite, les crédits pour 150 attachés temporaires d'enseignement et de recherche, ATER, figurent dans le projet de budget. On arrive bien aux 1 000 postes annoncés pour 2004 et qui sont consolidés dans le projet de budget pour 2005. Par ailleurs, 150 maîtres de conférence supplémentaires seront recrutés au 1er septembre 2005.
Pour accompagner ces recrutements, la recherche universitaire bénéficie d'une augmentation substantielle de ses moyens de fonctionnement, à hauteur de 23 millions d'euros.
Le projet de budget pour 2005 prévoit en outre la création de 200 postes d'accueil de haut niveau. L'accroissement des capacités d'accueil des EPST est, depuis longtemps, une attente forte à la fois des établissements, mais aussi des enseignants-chercheurs, dont beaucoup souhaitent, à titre temporaire, se consacrer entièrement à des activités de recherche.
Le choix politique a été fait de garantir à ces postes d'accueil un très bon niveau de rémunération, environ 60 000 euros bruts par an. Cela permettra aux établissements de renforcer leur attractivité vis-à-vis des meilleurs chercheurs étrangers et de proposer à des chercheurs français expatriés de revenir travailler en France avec un niveau de salaire équivalent à celui d'un directeur de recherche.
J'ai souhaité, dans ce budget, que le soutien aux jeunes chercheurs soit renforcé à tous les stades de leurs parcours.
Ils seront aidés, avant leur entrée dans nos établissements, par l'augmentation de 7 % des moyens consacrés à la formation à la recherche. Cela permettra d'accueillir 4 000 nouveaux allocataires de recherche en 2005. L'allocation de recherche, qui a été revalorisée de 15 % en deux ans, s'élève aujourd'hui à 1 308 euros par mois, soit un niveau légèrement supérieur au SMIC, lequel s'établit à 1 197 euros.
Je souhaite qu'elle puisse être à nouveau revalorisée. Je proposerai surtout, dans la future loi, qu'elle soit indexée sur l'inflation, ce qui garantira un maintien du pouvoir d'achat des allocataires de recherche, comme vous le proposez, monsieur le rapporteur pour avis.
Le budget crée, par ailleurs, quarante nouveaux contrats CIFRE, ce qui portera leur nombre à 1 200.
Renforcer le soutien aux jeunes chercheurs à tous les stades de leur parcours passe aussi par la poursuite du programme « Initiative post-docs », qui incite les post-doctorants français à revenir en France, ainsi que par l'amplification de la politique de résorption des libéralités, à laquelle 2 millions d'euros supplémentaires seront consacrés en 2005.
Après leur entrée dans nos établissements.
Nous allons, en outre, faire passer de 100 à 200 le nombre de jeunes chercheurs bénéficiant des dotations globales, ce qu'on appelle les packages, mis en place par les organismes pour ces jeunes chercheurs : ATIP au CNRS, Avenir à l'Inserm, jeunes équipes à l'INRA, etc.
Ces jeunes bénéficient, sur plusieurs années, d'un montant de crédits leur permettant de mener à bien leur projet de recherche. Davantage de souplesse leur sera donnée dans l'utilisation des crédits : ils auront, par exemple, la faculté de recruter des post-doctorants.
La deuxième grande priorité du projet de budget pour 2005 est l'accroissement du financement de projets de recherche, avec la création de l'Agence nationale pour la recherche.
Je m'attarderai quelque peu sur cette agence parce que je sais qu'elle suscite chez vous, comme dans la communauté scientifique, quelques interrogations.
Je dois d'emblée vous indiquer que son financement par le compte d'affectation spéciale des privatisations est un financement d'une grande sécurité, peut-être encore plus sûr à moyen terme que le financement budgétaire classique. En effet, ce compte est bien doté et il n'y a pas de raison qu'il le soit moins à l'avenir. Dans ce cadre, comme vous le souhaitez monsieur Laffitte, nous pouvons espérer une hausse des financements à moyen terme de l'agence.
Cette agence, qui fonctionnera tout d'abord sous la forme d'un groupement d'intérêt public, sera dotée en 2005 de 350 millions d'euros, auxquels s'ajoutera le reliquat du compte d'affectation spéciale des fondations de recherche.
En tenant compte des 200 millions d'euros figurant au BRCD sur les lignes du fonds pour la recherche technologique et du fonds national de la science, cela signifie que le financement sur projets de la recherche s'élèvera à environ 600 millions d'euros en 2005.
Si nous avons annoncé la création de l'agence sous forme d'un groupement d'intérêt public, c'est bien pour que les crédits soient effectivement disponibles dès le 1er janvier 2005 et qu'elle puisse entrer en action dès cette date. Il n'y a donc pas de raison d'être pessimiste ou de dramatiser en expliquant qu'on ne pourra pas débloquer ou consommer les crédits de l'Agence. Disponibles le 1er janvier prochain, ils pourront financer des projets en 2005, sans compter les procédures existantes, actuellement financées, par exemple, au travers du fonds pour la recherche technologique, tel le concours pour la création d'entreprises innovantes, lancé aujourd'hui même.
La mission de l'agence sera de financer, après sélection, les meilleurs projets de recherche dans les thématiques prioritaires. En 2005, trois de ces thématiques seront définies.
Suffisamment vastes pour intéresser un très grand nombre de laboratoires, quasiment tous les EPST, voire l'ensemble des EPIC, ces thématiques sont : les sciences de la vie, notamment les biotechnologies, que je juge comme vous tout à fait prioritaires ; les sciences et technologies de l'information et de la communication ; l'énergie et le développement durable.
A l'intérieur de ces priorités pourront naturellement prendre place les thématiques qui nous paraissent essentielles. Je l'ai dit tout à l'heure pour les biotechnologies, je le dis également pour les nanotechnologies.
M. Saunier a fait allusion tout à l'heure à ces dernières, et il est vrai que c'est un domaine considérable, que la plupart des grands pays de recherche ont placé en tête de leurs priorités. La France a fait de même. Sommes-nous en retard sur les autres ? Peut-être légèrement, mais heureusement pas dans les proportions que vous avez dites, monsieur le sénateur.
Actuellement, 50 millions d'euros en crédits incitatifs sont consacrés chaque année aux nanotechnologies, notamment au travers du financement de plates-formes de nanotechnologies. Ce sont, je le répète, des crédits incitatifs, qui n'incluent pas les dépenses de personnel correspondantes. En incluant ces dépenses, on aboutit à des sommes de l'ordre de 300 millions d'euros, voire davantage.
Nous sommes dans la norme des pays européens, et assez près de l'Allemagne. Certes, on peut faire encore mieux, sans doute en étant plus précis sur les thématiques qui sont retenues et, surtout, en incitant des entreprises, notamment des PMI, à inclure des nanotechnologies dans les procédés qu'elles utilisent et dans les produits nouveaux qu'elles mettent sur le marché.
C'est sans doute là le principal problème : celui du transfert des résultats de la recherche en matière de nanotechnologies dans des entreprises qui peuvent être intéressées par un approfondissement, soit qu'elles travaillent déjà avec des microtechnologies, soit qu'elles fassent de l'innovation avec des produits utilisant les nanotechnologies, soit qu'elles soient déjà spécialisées en nanotechnologies.
Le mode de financement par projets de l'Agence nationale pour la recherche permettra, dans le cadre de la future loi d'orientation et de programmation, de faire évoluer les établissements de recherche eux-mêmes, en permettant d'assurer une cohérence programmatique nationale dans des domaines prioritaires couverts par différents établissements. Nous éviterons ainsi les redondances, et toutes les équipes travaillant sur un même sujet seront amenées à se fédérer plus encore.
Le mode de fonctionnement de cette agence sera double. D'abord, elle pourra financer elle-même des projets de recherche. Elle le fera, par exemple, en lançant en 2005 les actions nouvelles anciennement assurées par le fonds pour la recherche technologique et le fonds national de la science. Elle pourra aussi consentir des dotations en capital à des fondations de recherche reconnues d'utilité publique.
Ensuite, l'agence pourra déléguer l'exécution de programmes de recherche à certains de nos établissements de recherche. En cela, l'agence sera un vecteur de réforme, en renforçant tout à la fois nos établissements de recherche, mais aussi en les faisant évoluer davantage vers une culture de la performance.
Dans les deux cas, les projets seront sélectionnés sur des critères d'excellence scientifique et technique, selon des modalités claires, éprouvées et conformes aux meilleurs usages, faisant appel à des procédures transparentes et à des comités d'experts internationaux.
Opérationnelle dès janvier 2005, l'agence sera une structure légère, bien ancrée sur nos organismes et nos universités, qui financera, après sélection, les meilleurs projets de recherche sur les thématiques prioritaires.
S'agissant du contrôle parlementaire de l'utilisation des crédits de l'agence, je tiens à vous rassurer, monsieur Revol, il sera aussi étendu que pour tous les crédits budgétaires.
En effet, ils figurent au sein de la mission « Participations financières de l'Etat », qui fera l'objet chaque année d'un projet annuel de performance et d'un rapport annuel de performance, avec des objectifs, des indicateurs et des résultats.
Par ailleurs, dès l'an prochain, je m'assurerai de l'inclusion, dans les projets annuels de performance, des programmes gérés par mon ministère, des éléments d'information sur l'agence et son action, de façon à compléter de la façon la plus exhaustive possible l'information du Parlement en la matière.
M. Henri Revol, rapporteur pour avis. Très bien !
M. François d'Aubert, ministre délégué. La troisième priorité du budget 2005 est le renforcement des mesures en faveur du couple recherche et innovation.
Comme je vous l'ai dit, le lien entre les dépenses de recherche et la croissance est reconnu par tous. Dans cet esprit, le budget 2005 accroît de 300 millions d'euros l'effort fiscal en faveur de l'innovation.
J'entends ici ou là des critiques sur cette partie de notre budget, aux termes desquelles il ne serait pas du rôle de l'Etat de tout mettre en oeuvre pour aider les entreprises à faire de la recherche. Cet argument m'étonne quelque peu.
Je crois qu'il faut, une fois pour toutes, se mettre d'accord sur le fait qu'il ne sert à rien d'opposer les différents types de recherche, notamment la recherche publique et la recherche privée. Nous devons nous employer à tirer le bénéfice de tous les investissements de recherche, qu'ils soient faits par le public ou par le privé.
Or, que fait apparaître la comparaison entre la France et ses grands voisins? La France se caractérise par la proportion très importante des financements en provenance des administrations publiques : près de 40 % de la DIRD, contre 32 % pour l'Allemagne, cette dernière se distinguant, comme le Japon, par l'importance des dépenses de recherche et développement des entreprises.
En 2001, selon les chiffres de l'Observatoire des sciences et des techniques, les entreprises allemandes ont dépensé - le chiffre est surprenant - plus de 33 milliards d'euros en recherche et développement, soit la totalité des dépenses consacrées à ce domaine en France.
Les entreprises allemandes exécutent en moyenne le double de dépenses de recherche et développement des entreprises françaises. Le nombre d'entreprises concernées par la recherche et développement est plus important en Allemagne qu'en France. L'intensité de la recherche et développement dans chaque entreprise concernée est également plus forte que chez nous.
Il y a donc un gros travail à faire à la fois pour rattraper le retard et pour tenir le bon rythme en matière de recherche publique.
Si l'on veut satisfaire à l'objectif de Lisbonne, les dépenses de recherche et développement consenties par les entreprises doivent doubler. Cela sera difficile. Il n'y a pas de chemin tracé d'avance. Le discours selon lequel l'Etat, y ayant consacré presque 1 %, aurait fait son devoir, laissant aux entreprises le soin de faire le leur, ne serait pas non plus tout à fait réaliste !
La recherche effectuée dans les entreprises est, en effet, bénéfique pour l'ensemble de la société, tout autant que pour les entreprises elles-mêmes.
En outre, il est optimal pour la société que l'Etat finance une partie de l'effort de recherche et développement du secteur privé dès lors que l'entreprise n'y trouve pas un intérêt suffisant.
Quand on affirme que la connaissance est un bien public, même partiel ou imparfait, comme l'a écrit Jean-Louis Beffa, mais comme le dit aussi le Comité d'initiative et de proposition, c'est aussi de cela qu'il s'agit.
Ainsi, premier volet de ce soutien à l'innovation, le crédit d'impôt recherche est en progression de 235 millions d'euros.
Je souhaite poursuivre le travail d'amélioration entrepris sur le crédit d'impôt recherche, de façon à dynamiser l'effort de recherche des entreprises, y compris dans les secteurs qui y consacrent un effort insuffisant, notamment dans le secteur des services, mais aussi des secteurs riches, comme le secteur pétrolier, où sont pratiquées deux manières de faire de la recherche : la recherche d'exploration pétrolière, qui fait partie du coeur de métier, et la recherche sur d'autres énergies, domaine dans lequel la grande entreprise française de ce secteur montre de sérieuses faiblesses.
Et n'oublions pas le secteur des télécommunications. France Télécom est en train de remonter la pente en matière de recherche ; je rappelle que ses dépenses de recherche et développement étaient tombées en quelques années de 4,5 % à environ 1 % du chiffre d'affaires.
Mais que dire de l'effort à peu prés nul que consentent les autres opérateurs de télécommunications ? Chacun le sait, les innovations qu'ils lancent périodiquement sur le marché, ils les doivent bien souvent à de la recherche achetée « sur étagère » au Japon ou dans quelque autre pays !
Nous souhaitons donc que les entreprises de télécommunications puissent faire davantage pour la recherche.
L'Autorité de régulation des télécommunications est, bien sûr, indépendante, et nous ne pouvons lui donner des instructions, mais nous pouvons éventuellement lui faire des suggestions : lorsque des sociétés de télécommunications ou des opérateurs de téléphonie mobile se voient accorder des avantages ou réalisent des gains, le régulateur leur demanderait, à titre de compensation en quelque sorte, un effort en faveur de la recherche.
Quoi qu'il en soit, le crédit d'impôt recherche est un dispositif essentiel. Nos voisins européens, à l'exception de l'Allemagne, se sont d'ailleurs tous dotés d'un instrument comparable. Sans ce dispositif, nous ne serions tout simplement plus compétitifs ! Il contribue, à l'évidence, à l'attractivité de notre territoire. C'est pourquoi il me paraît assez maladroit de le dénigrer, comme on le fait dans certaines enceintes - il ne s'agit pas du Sénat ! -, en le jugeant, par exemple, insuffisamment performant ou insuffisamment sélectif.
En réalité, la France est partie prenante d'une compétition internationale en matière de dispositifs d'incitation à l'innovation. Or la barre ne cesse de monter : chaque année, chaque trimestre même, on voit apparaître de nouveaux systèmes d'incitation, souvent sous la forme de mesures fiscales, parfois sous celle de soutiens financiers directs, que ce soit dans les pays européens, à Singapour, à Taïwan, en Corée du Sud ou ailleurs.
Il faut donc en permanence se mettre à niveau, et il serait à mon sens particulièrement absurde de prétendre le faire en réduisant le crédit d'impôt recherche. Il convient au contraire de trouver les moyens d'en élargir l'assiette et peut-être aussi, en raison de la spécificité de la situation française, de faire en sorte que les dépenses de recherche des entreprises qui sont réalisées dans les laboratoires publics puissent être mieux comptabilisées. Certaines d'entre elles sont déjà comptées double, mais je pense qu'on peut aller plus loin dans cette voie.
En tout état de cause, nous travaillons en coopération avec le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie sur des modifications à apporter au crédit impôt recherche afin de renforcer son effet de levier au profit de la recherche, pour les grands groupes mais aussi et surtout pour les PME, qui, je n'en doute pas non plus, monsieur Revol, ont un rôle important à tenir. Je souhaite en outre que l'effet de levier joue davantage pour les travaux de recherche financés par les entreprises et effectués au sein des organismes de recherche publics, des universités ou des centres techniques exerçant une mission d'intérêt général.
A cet égard, le renforcement des coopérations entre recherche publique et recherche privée sera bénéfique pour tous et favorisera la croissance. Dans cette optique, le programme des fondations de recherche lancé en mai dernier témoigne bien de tout ce que peut apporter cette vision partenariale de la recherche, ...
M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis. Très bien !
M. François d'Aubert, ministre délégué. ... notamment des financements accrus dans des domaines où les besoins étaient manifestes. Cela permet de fédérer l'ensemble d'une filière économique et le secteur public, comme le montre l'exemple de la fondation Coeur et artères. A ce titre, je souhaite vous rassurer, monsieur le rapporteur pour avis : les services de Bercy et ceux de mon ministère oeuvrent de concert pour que les fondations de recherche puissent se développer le plus rapidement possible. L'engagement financier de l'Etat vient d'ailleurs d'être confirmé pour les onze premières fondations.
Je voudrais maintenant évoquer la mise en place des pôles de compétitivité, à laquelle nous contribuerons à hauteur de 35 millions d'euros en 2005. Les entreprises participant à un projet de recherche et développement conduit dans l'un des pôles de compétitivité labellisés bénéficieront en effet d'exonérations d'impôt sur les bénéfices et de possibilités d'exonérations de taxe professionnelle et de taxe foncière sur les propriétés bâties, sous réserve, bien entendu, de l'accord des collectivités territoriales concernées, ainsi que d'allégements de cotisations sociales patronales.
Ces pôles de compétitivité sont susceptibles d'apporter, à mon sens, plus de cohérence, d'unité et de visibilité au développement de certaines filières technologiques, et aussi de rapprocher les grandes écoles des universités.
Les pôles de compétitivité seront conçus dans une perspective d'expérimentation, et chacun d'entre eux aura, en quelque sorte, son originalité, car il ne s'agit nullement d'instaurer une uniformité sur l'ensemble du territoire.
L'appel à projets a été lancé, les réponses doivent parvenir pour le 28 février 2005 et les premiers pôles de compétitivité émergeront avant la fin du premier semestre de 2005. Je pense que nous trouverons aisément les moyens de coordonner ces pôles de compétitivité avec les pôles de recherche et d'enseignement supérieur, tels qu'ils ont été souhaités et définis par le Comité d'initiative et de proposition et par les états généraux de la recherche.
En tout état de cause, la recherche devra jouer un rôle moteur dans les pôles de compétitivité, car c'est bien de cela qu'il s'agit. Il existe quelques modèles à l'étranger ; il faut non pas les copier, mais essayer d'en retenir le meilleur, à savoir la cohabitation de laboratoires publics, de laboratoires d'entreprises privées et de laboratoires universitaires et d'instituts de recherche, soutenus par des dispositifs de valorisation et d'aide à la création d'entreprise, de start up, permettant d'étoffer à la fois le potentiel de recherche et le tissu économique.
Le dernier volet des dispositions en faveur de l'innovation a trait aux mesures ciblées de soutien.
La création d'un nouveau contrat d'épargne d'assurance vie, davantage orienté vers l'innovation, c'est-à-dire vers le financement du capital d'amorçage et du capital risque, traduit la volonté de consacrer plus d'épargne au financement des projets innovants. Je voudrais en outre me féliciter de l'engagement pris par les assureurs d'accroître de 6 milliards d'euros leur contribution au financement de l'innovation.
Par ailleurs, le projet de budget pour 2005 tend à améliorer le régime des FCPI en prévoyant de porter de 500 à 2 000 salariés le seuil pour l'éligibilité des sociétés au quota d'investissement de 60 % et en permettant, sous certaines conditions, aux FCPI de financer les sociétés innovantes par l'intermédiaire de holdings.
Je voudrais enfin évoquer brièvement le dispositif en faveur des jeunes entreprises innovantes qui a été mis en place au 1er janvier de cette année, à la suite de l'entrée en vigueur de la loi sur l'innovation et la recherche. Les données dont nous disposons pour le premier semestre de 2004 sont très encourageantes puisque déjà 500 entreprises au moins ont bénéficié, au total, de 13 millions d'euros d'exonérations de charges sociales. Ces jeunes entreprises innovantes regroupent déjà plus de 5 500 personnels de recherche, et je suis convaincu que le dispositif montera en puissance dans les mois à venir.
Au-delà du milliard d'euros supplémentaire mobilisé au profit de la recherche, ce projet de budget constitue un gage donné à la communauté scientifique. L'évolution nécessaire de notre système de recherche et d'innovation se fera avec des moyens en croissance.
En effet, le projet de budget pour 2005 n'est qu'une étape, la prochaine, plus importante encore, devant être l'élaboration de la loi d'orientation et de programmation pour la recherche. Le projet de loi, je le répète, sera présenté au Parlement au deuxième trimestre de 2005. Nous aborderons, à cette occasion, les questions relatives à la gouvernance de la recherche et au pilotage du ministère, mais aussi à l'articulation de la recherche française avec la dynamique européenne : je suis convaincu qu'il s'agit, là aussi, d'un chantier prioritaire.
Les chercheurs l'ont bien compris, l'occasion de dynamiser et de moderniser notre système français de recherche et d'innovation est unique. C'est une chance qui doit être saisie grâce à l'engagement de tous, à l'université, dans les grandes écoles ou dans les organismes de recherche, parce que, nous le savons bien, il y a aussi beaucoup à faire pour coordonner plus efficacement les trois grands types d'institutions où se pratique aujourd'hui la recherche dans notre pays.
Ainsi, nous pourrons, je l'espère, rétablir la confiance entre les Français et les chercheurs, l'ordonner autour d'un pacte rassemblant les chercheurs et la nation, renouer avec cette histoire commune d'une confiance partagée et projeter notre pays, en cinq ou six ans, dans une nouvelle dynamique de succès. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C et concernant l'éducation nationale, l'enseignement supérieur et la recherche : III.- Recherche.
État B
Titre III : 60 518 804 €.
M. le président. Je mets aux voix les crédits du titre III.
(Ces crédits sont adoptés.)
Titre IV : moins 337 373 829 €.
M. le président. Je mets aux voix les crédits du titre IV.
(Ces crédits sont adoptés.)
État C
Titre V. - Autorisations de programme : 367 417 000 € ;
Crédits de paiement : 367 417 000 €.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Je profite de l'examen des crédits du titre V pour évoquer l'Agence nationale pour la recherche, qui absorbera plus d'un tiers du milliard d'euros annoncé.
Les statuts du GIP qui préfigure l'établissement public circulent sans que nous en ayons été informés, sans débat sur la question. Déjà, on demande aux conseils d'administration des établissements sollicités de s'engager sans qu'ils aient été associés à la réflexion.
Puisque vous ne nous avez pas non plus demandé notre avis, monsieur le ministre, j'espère que ma proposition sera pour vous une bonne surprise et que vous en tiendrez compte !
Vous prévoyez que six représentants de l'Etat siégeront au GIP, dont trois avec voix délibérative, représentant les ministères chargés de l'enseignement supérieur et de la recherche, et trois avec voix consultative, représentant les ministères chargés de la santé, de l'industrie et du budget. Pourquoi ne pas prévoir un représentant du ministère de l'environnement, alors que tous nos éminents chercheurs et savants ainsi que le Président de la République lui-même disent l'urgence de trouver de nouvelles solutions pour vivre en harmonie avec la planète, pour consommer moins de ressources naturelles, pour mettre toujours davantage l'intelligence au service des femmes et des hommes ?
Vous prévoyez en outre que cinq organismes publics de recherche, le CEA, le CNRS, l'INRIA, l'INRA et l'INSERM, seront également représentés au sein du GIP. Pourquoi ne pas ajouter à cette liste l'IRD, l'Institut de recherche pour le développement, établissement de taille modeste, certes, mais qui présente le mérite rare de faire cohabiter la recherche biologique et épidémiologique avec l'étude de la société, et dont les chercheurs s'intéressent autant à ce qui se passe sous le microscope qu'à la vie quotidienne, qu'il s'agisse de prévention, de soins ou de développement ?
Vous prévoyez enfin que trois autres membres du GIP représenteront l'ANVAR, l'ANRT et la CPU, la conférence des présidents d'université.
Monsieur le ministre, désigner deux membres de plus ne modifierait pas les équilibres au sein du GIP, l'Etat conservant 52 % des droits de vote. En revanche, un tel ajout serait cohérent avec le discours tenu par la France tant sur le plan intérieur que sur le plan international, et avec les enjeux de ce début du troisième millénaire. Je vous demande de bien en mesurer la portée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Je mets aux voix les crédits figurant au titre V.
(Ces crédits sont adoptés.)
Titre VI. - Autorisations de programme : 2 082 020 000 € ;
Crédits de paiement : 1 849 546 000 €.
M. le président. Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre VI.
(Ces crédits sont adoptés.)
Mme Marie-Christine Blandin. M. le ministre ne me répond pas ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. François d'Aubert, ministre délégué. Je n'ai pas compris, madame Blandin, si vos propos relatifs au GIP constituaient une suggestion ou une simple remarque.
Le GIP est une structure provisoire, dans laquelle l'Etat détiendra effectivement la majorité des droits de vote. Les ministères représentés seront ceux de la recherche, de la santé, de l'industrie et du budget.
Cela étant, le ministère de la recherche représentera aussi, en quelque sorte, l'ensemble des ministères qui ne seront pas associés au GIP. Je vous invite donc à faire confiance aux représentants du ministère de la recherche pour prêter la plus grande attention aux questions d'environnement.
Par ailleurs, le ministère de la recherche est également compétent, bien entendu, pour les questions relatives à l'aide à la recherche et au développement. Comme le nombre des personnes siégeant au sein d'un conseil d'administration doit forcément être limité, il n'était pas envisageable que l'ensemble des départements ministériels ou des services de l'Etat y soient représentés, car l'effectif aurait alors été pléthorique !
M. le président. Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant la recherche.