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souhaits de bienvenue à une délégation de sénateurs Mauritaniens
M. le président. Mes chers collègues, j'ai le grand plaisir de saluer la présence dans les tribunes d'une délégation du Sénat de Mauritanie. (M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)
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Eau et milieux aquatiques
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 104 minutes ;
Groupe socialiste, 67 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 26 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 20 minutes ;
Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 14 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 9 minutes ;
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Georges Mouly.
M. Georges Mouly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l'exposé de M. le ministre et les rapports denses, circonstanciés, substantiels de nos rapporteurs, je me contenterai d'une brève intervention.
Le présent projet de loi a souvent été évoqué, impatiemment attendu, suscitant les espoirs - pas toujours en harmonie, d'ailleurs - des uns et des autres. En tout cas, la France doit changer d'attitude. « Nous ne pouvons continuer à être les derniers de la classe », avez-vous dit, monsieur le ministre. C'est bien vrai !
Le temps qui m'est imparti ne me permet pas de développer les réalisations des départements à l'adresse des communes en la matière, mais ces réalisations ne sont pas sans importance. Dans cette intervention, loin d'appréhender l'ensemble du projet de loi, je me ferai simplement l'écho de trois problèmes de terrain.
Tout d'abord, j'évoquerai les notions d'eaux libres et d'eaux closes. Avant la loi de 1984, si un enclos pouvait être établi sur une partie d'un cours d'eau avec une autorisation administrative, cela ne concernait pas les étangs créés sur source, dont le poisson appartenait au propriétaire qui l'avait introduit. Depuis 1984, à l'exception des étangs sans communication avec un cours d'eau, les étangs sur source sont considérés comme « eaux libres », dépossédant de ce fait leur propriétaire, désormais soumis aux règles communes de la pêche.
En 1991, la notion d'eaux closes a été légèrement modifiée, et celle de pisciculture a été créée à des fins touristiques. Il n'en reste pas moins que les étangs de source ne sont toujours pas légalisés en tant qu'étangs privés, et que les notions d'eaux closes et d'eaux libres conservent, de ce fait, une certaine ambiguïté.
C'est la raison pour laquelle il serait souhaitable, me semble-t-il, de clarifier, de simplifier, d'assouplir les règles de manière à les adapter, dans le respect de l'intérêt général, aux diverses situations existantes, afin que les propriétaires puissent - enfin ! - entrer dans le cadre de la légalité.
Ne serait-il pas opportun de préciser que les étangs privés, ne constituant pas a priori des exploitations piscicoles, ne relèvent pas de la réglementation commune de la pêche, et de mieux définir, par là même, leur nature réglementaire ? Cela pourrait être l'occasion d'offrir aux propriétaires d'étangs un cadre législatif clarifié, simplifié. Cette possibilité serait à mes yeux bénéfique.
Ensuite, je voudrais évoquer les moulins et les microcentrales, forts nombreux sur certains cours d'eau, qui assurent une production énergétique propre et sans incidence sur l'effet de serre et qui constituent un patrimoine économique parfois ancestral dans nos régions. Je note au passage que, représentant 14 % de la production électrique nationale, cette énergie n'est peut-être pas assez exploitée ; en tout cas, nous sommes loin des 21 % imposés par le protocole de Kyoto pour 2010.
Or, si aucune disposition législative en cours ne prévoit de remettre en cause les procédures d'autorisation dès le premier kilowatt exploité, la récente loi relative au développement des territoires ruraux votée en 2005, elle-même consécutive à la loi d'orientation sur l'énergie de 2004, a fait évoluer la situation. J'ajoute que le projet de loi prévoit certaines mesures complémentaires parmi lesquelles figurent la déconcentration des procédures, la révision des rivières, le passage de la notion de débit réservé à celle de régime réservé, etc. A cet égard, monsieur le ministre, les décrets d'application assureront-ils aux exploitants de moulins et de microcentrales la liberté d'entreprendre, voire d'augmenter leur production ?
Enfin, j'aborderai la question des compétences dévolues aux maires dans ce texte. Comment ne pas mentionner les doléances des maires des petites communes concernant le coût et la fréquence des analyses de l'eau ? Une augmentation de 400 %, certes exceptionnelle, a même pu être relevée sur le terrain. Or aucun financement spécifique n'est prévu pour cette recherche de sécurité, et c'est regrettable. Je note, certes, la modification des fréquences d'échantillonnage pour les petites unités de distribution, la diminution possible du nombre de prélèvements en fonction des conditions de protection du captage, l'exclusion de certains éléments des analyses, l'incitation à l'intercommunalité...
Il n'en demeure pas moins que des élus, qui doivent faire face à l'augmentation du coût des analyses - même si elle n'atteint pas toujours, heureusement, le pourcentage que je viens de citer -, ne sauraient se satisfaire de la réponse suivante à une question orale : « Cette augmentation doit cependant être relativisée, car dans nombre de ces communes, malgré l'augmentation du coût du contrôle, le prix de l'eau reste inférieur ou égal au prix moyen de l'eau potable en France. »
En attendant, certains maires refusent de payer, comme j'ai pu le constater la semaine dernière encore. Cette attitude est, certes, vouée à l'échec, mais elle témoigne de l'exaspération et du désespoir de ces élus de petites communes. Nous pourrions également évoquer les problèmes d'assainissement.
Qu'en est-il à ce jour du dispositif de solidarité urbain-rural et du sort réservé, en l'occurrence, aux territoires ruraux ? La question est importante, vous en conviendrez.
Monsieur le ministre, j'ai cru pouvoir appeler votre attention sur quelques problèmes de terrain, qui sont, je le répète, sans commune mesure avec l'ampleur du projet de loi.
M. Georges Mouly. Contrairement à ce que j'ai pu lire, je veux croire que ce texte ne se borne pas à réformer les structures sans prévoir la moindre obligation de résultat, monsieur le ministre. Je veux en effet croire que, avec le Gouvernement, vous avez pour ambition une obligation de résultat. Sur cette voie, je vous accompagne ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Paul Raoult.
M. Paul Raoult. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici enfin réunis pour la discussion en première lecture du projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques. Après d'interminables discussions depuis plus de sept ans, une trentaine de versions différentes, moult consultations, reculs, avancées, hésitations, un texte est enfin soumis à notre approbation.
Il est vrai que l'eau, dans notre pays, est devenue un sujet sensible qui nous concerne tous à divers titres, tant l'eau touche à la vie, au sacré, au symbole, à la culture, à tous les aspects de la vie économique - industrie, agriculture, loisirs et tourisme.
L'eau est un besoin vital permanent dans toutes les civilisations. Les installations humaines sont liées prioritairement à la présence de l'eau : villages et villes sont situés près des sources, des rivières et des fleuves, le long des littoraux ; pensons au pont du Gard, à l'aménagement de la Durance et du Bas-Languedoc ou, dans des lieux plus lointains, aux terrasses irriguées de la riziculture dans le sud-est asiatique. De l'eau du baptême, du bain dans le Gange aux piscines dites « tropicales » de certains villages de vacances, l'eau fascine, attire et est même l'objet d'un véritable culte.
Cependant, dans un pays d'économie avancée comme le nôtre, nous découvrons, depuis seulement quelques années, que l'eau est un bien précieux qu'il ne faut pas gaspiller, dégrader, et qui se raréfie. En effet, nous constatons, un peu tardivement, que, dans l'ensemble, la qualité de notre eau diminue parfois très fortement, au point de mettre en péril notre santé. Partout, on commence à s'alarmer : 59 % des eaux superficielles et 55 % des eaux souterraines utilisées pour l'alimentation en eau potable contiennent des pesticides ; 39 % des premières et 21 % des secondes exigent un traitement spécifique.
Or il faut savoir que chaque être humain a besoin de quarante à cinquante litres d'eau par jour. Pour assurer ce ravitaillement, il faut donc un environnement sain ; mais il faut aussi assurer ce ravitaillement vingt-quatre heures sur vingt-quatre, 365 jours par an, ce qui exige un effort collectif pour donner de l'eau à tous, à un prix accessible pour tous.
L'eau n'est donc pas une marchandise comme les autres. Un contrôle social, politique, est absolument nécessaire. L'Etat, les pouvoirs publics ne peuvent s'en désintéresser, et le droit à l'eau est un droit absolu que toute société a le devoir de mettre en oeuvre.
Pourtant, l'eau est aussi une marchandise pour la vie économique, le transport fluvial, la production hydro-électrique, la fabrication de produits alimentaires, les loisirs et la pêche, l'irrigation, qui requièrent des volumes très importants. La société se doit de fournir des volumes d'eau maîtrisés à des prix raisonnables et responsables pour notre économie. Rappelons qu'il faut, paraît-il, vingt-cinq litres d'eau pour fabriquer un litre de bière et 10 000 litres d'eau pour fabriquer une voiture !
Face à des besoins croissants et à des conflits d'usage de plus en plus forts, face à la nécessité de préserver notre biodiversité pour assurer la continuité de la chaîne alimentaire, la gestion de l'eau a besoin d'un contrôle social permanent. C'est le rôle d'une loi sur l'eau de faire en sorte que ce contrôle social soit bien assuré. S'il ne l'est pas, ce sont des investissements de plus en plus lourds qui devront être réalisés, insupportables pour le prix de l'eau : usine de dénitrification, traitement des métaux lourds, aménagement pour lutter contre l'érosion des sols et éviter les crues et les inondations.
Face à cette situation, dramatique par certains côtés, une reconquête énergique de l'eau est indispensable. C'est un enjeu majeur. Bruxelles a d'ailleurs tiré la sonnette d'alarme puisque la France a été plusieurs fois condamnée pour non-respect des directives européennes. Je rappellerai que la dernière directive européenne transposée en droit français en avril 2004 nous demande d'atteindre un bon état écologique en 2015, avec cette fois-ci une obligation de résultat. Nous sommes par conséquent « condamnés » à faire un immense effort dans les dix années qui viennent. Le projet de loi est donc tout à fait bienvenu.
Au terme d'un rapide tour d'horizon, on peut dire que ce texte présente certaines avancées significatives, par ailleurs attendues depuis longtemps, sur le débit réservé, plus favorable au maintien de la continuité écologique. Qu'il s'agisse du SAGE, dorénavant opposable au tiers, du fonds de garantie chargé d'indemniser les dommages causés par l'épandage des boues d'épuration, qui rassurera les agriculteurs et les amènera à accepter cet épandage sur les terres agricoles, d'une certaine simplification et clarification des redevances, d'une organisation plus rationnelle de la pêche en eau douce, de la possibilité d'instaurer une taxe pour la gestion des eaux pluviales et de divers autres aspects, certes plus mineurs mais intéressants, ce projet de loi peut paraître satisfaisant.
Cependant, si ce texte n'était pas modifié, il présenterait de graves insuffisances et ne répondrait pas à quelques questions fondamentales.
En premier lieu, le projet de loi ne prévoit pas de dispositif pour le traitement des pollutions diffuses, qui sont le point noir et le principal échec des décennies précédentes.
Les excédents d'azote, sous des formes variées en culture ou en élevage, restent excessifs et aboutissent à des taux de nitrates très largement supérieurs à ce qui est tolérable.
Cela nous conduit à fermer des captages ou à faire ce que l'on appelle des coupages d'eau, de provenances géographiques différentes.
Cependant, la recherche de nouveaux captages et l'exploitation de nouveaux champs captants ont leurs limites, lesquelles ne sont pas loin d'être atteintes !
Les taux de nitrates excessifs aboutissent à une eutrophisation accélérée des rivières, très préjudiciable à la richesse de la biodiversité, en particulier à la vie des poissons.
Face à cette situation parfois dramatique, il est nécessaire de créer des conditions de pression sur les agriculteurs pour limiter les épandages d'engrais. Une taxe sur les produits azotés serait à mon avis utile. L'exonération d'une redevance sur ces produits me paraît inacceptable. Il faut en effet créer chez les agriculteurs un électrochoc, qui sera salutaire pour tous, et, ce faisant, les amener à entrer dans le jeu d'une gestion collective de la ressource en eau.
L'argent collecté nous permettrait, en concertation avec les représentants du monde agricole et avec leur soutien, d'aider beaucoup plus fortement qu'aujourd'hui les agriculteurs à généraliser des pratiques agronomiques raisonnées.
Nous pourrions ainsi apporter une aide beaucoup plus forte à une agriculture biologique ou orientée vers une production biologique.
La généralisation des comités d'aide au développement, les CAD, bio ou orientés bio sur le territoire des champs captants serait à mon avis une excellente mesure allant dans le sens souhaité, à savoir la sanctuarisation de ces zones primordiales pour l'alimentation en eau.
Je rappellerai, à titre d'anecdote, que, en Autriche, on peut lire sur des panneaux : « ici, vous entrez sur le territoire d'un champ captant ».
La même problématique vaut pour l'usage des pesticides. On peut d'ailleurs se réjouir que le produit de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, devienne une redevance pour les agences de l'eau.
Il est vrai, aussi, que les primes de la politique agricole commune, la PAC, liées à l'écoconditionnalité amélioreront les choses. Pour autant, la politique « franco-française » doit accentuer ces choix de la PAC.
De plus, je veux souligner que tous les produits agricoles, et donc tous les territoires, ne sont pas forcément touchés par les primes, et donc par l'écoconditionnalité.
L'autre enjeu majeur est, à mon sens, le maintien de la solidarité entre le monde rural et le monde urbain dans le domaine de l'eau.
Je ne comprends pas pourquoi l'on a supprimé, presque à la sauvette, le FNDAE, dans l'article 121 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2004.
Mme Nicole Bricq. C'est vrai, j'étais là !
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Paul Raoult. De vagues prétextes d'amélioration de la gestion financière ont été évoqués, avant même le vote de cette loi.
M. Gérard Delfau. Parfaitement !
M. Paul Raoult. Je rappelle que ce fonds permettait de prélever une taxe sur toutes les consommations, urbaines comme rurales, au seul bénéfice des communes rurales.
De nombreux conseillers généraux de départements à dominante rurale comptaient énormément sur ce fonds spécifique et très utile, ...
M. Gérard Le Cam. Tout à fait !
M. Paul Raoult. ... tant il est vrai que le coût de la distribution de l'eau et du traitement des eaux usées en milieu rural est beaucoup plus élevé. C'est la raison pour laquelle nous proposerons le rétablissement de ce fonds.
C'est à l'échelon national que la péréquation peut s'organiser de la manière la plus juste. Il nous faut être très attentifs à la gestion de l'eau et à l'assainissement en zones rurales, ne serait-ce que parce que les champs captants ne se trouvent pas place de la Concorde, à Paris, ou place de la Déesse, à Lille, mais en zone rurale !
Je le sais, monsieur le ministre, vous avez fait en sorte que cette solidarité entre le monde rural et le monde urbain soit assurée par les agences de l'eau, ce qui est un moindre mal. Mais encore faut-il garantir de manière forte, dans le budget des agences, que cette solidarité s'exprimera de manière claire.
En effet, un budget d'agence est une masse énorme, et il est parfois difficile de s'y retrouver. En outre, la pression des grands élus urbains au sein des comités ou des conseils d'administration d'agences sera si forte, au fil des années, que cette gestion se fera, une fois de plus, au détriment des zones rurales.
En tout état de cause, il me paraîtrait pour le moins important de mettre en oeuvre des conventions avec les départements sur le problème de la solidarité entre le monde rural et le monde urbain, afin de nous assurer de l'existence de sérieux garde-fous.
Enfin, je veux évoquer ma crainte d'assister, au travers de ce texte, à une recentralisation de la politique de l'eau dans notre pays.
Certes, je comprends bien que M. le ministre de l'écologie et du développement durable ainsi que M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie aient la volonté de maîtriser la politique de l'eau sur le plan national, d'autant que la France doit rendre compte à Bruxelles des résultats de sa politique.
Pour autant, l'encadrement budgétaire prévu par le projet de loi, le rôle trop strict donné aux fonctionnaires de l'Etat, aussi bien à l'échelle du comité de bassin que du conseil d'administration, ne sont pas des choix normaux dans un pays où l'on s'évertue depuis vingt-cinq ans à fortifier l'esprit de la décentralisation.
Il faut, pour une politique de l'eau efficace, une gestion de proximité ; les élus doivent prioritairement en être les responsables.
Tels sont, monsieur le ministre, les quelques points critiques que je voulais développer. J'espère que nos débats pourront améliorer ce texte.
En terminant cette intervention, je tiens à remercier M. Emorine, président de la commission des affaires économiques, et M. Sido, rapporteur, pour l'excellent travail de préparation et de réflexion qu'ils ont engagé en vue du vote de cette loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Richert.
M. Philippe Richert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis des années, tout le monde s'accorde à réclamer en urgence une loi sur l'eau, afin de moderniser la législation, de l'adapter aux nouveaux enjeux du développement durable, de tenir compte des dernières recherches et connaissances, et de transposer les directives-cadres européennes qui s'adossent aux dernières normes et valeurs limites édictées.
Cependant, si j'en juge par les délais, si je comptabilise le nombre de ministres qui se sont succédé, je constate que l'entreprise fut difficile. Je veux donc saluer la performance de M. Serge Lepeltier, qui a su gérer cet épineux et délicat dossier en évitant les écueils du maximalisme tout en s'engageant avec fermeté et pragmatisme, préférant le dialogue aux affirmations péremptoires.
Dialogue signifie non pas renoncement, mais volonté de réformer, en tenant compte des objectifs ambitieux à atteindre, sans pour autant négliger le point de départ et les graves manquements actuels. Comme l'a dit Joseph Joubert, « le but n'est pas toujours placé pour être atteint, mais pour servir de point de mire ».
Indiscutablement, monsieur le ministre, ce texte est un excellent support. Il contient de bonnes mesures allant dans la bonne direction.
Pour autant, je ne veux pas ici faire mystère d'un sentiment que nous sommes nombreux à partager : il sera nécessaire d'amender ce projet de loi. M. le rapporteur, Mme et MM. les rapporteurs pour avis ne se privent d'ailleurs pas de nous en proposer de nombreuses adaptations. Monsieur le ministre, vous avez rappelé à l'instant votre esprit d'ouverture à l'égard de ces amendements, et je vous remercie de cette attitude.
Qu'il me soit permis, dès ce moment, de féliciter et de remercier M. Bruno Sido, Mme Fabienne Keller et M. Pierre Jarlier de la pertinence de leurs analyses, de l'ampleur de leurs travaux, du nombre des auditions qu'ils ont menées, mais aussi des amendements qu'ils nous proposent et que le groupe UMP, dans une large majorité, soutiendra sans état d'âme.
L'analyse globale du texte ayant été excellemment faite et présentée par M. le ministre, puis par les rapporteurs, je ne plagierai pas leurs propos. Je formulerai simplement deux remarques et quatre propositions.
Ma première remarque a trait au comportement du consommateur d'eau. Ce comportement reste celui d'un nanti. Longtemps, nous avons consommé l'eau avec parcimonie, car les efforts à fournir pour disposer de ce bien incitaient naturellement à éviter les gaspillages.
M. Bruno Sido, rapporteur. Très juste !
M. Philippe Richert. Je me souviens de ma jeunesse.
M. le président. Ce n'est pas si ancien que ça ! (Sourires.)
M. Philippe Richert. Mais si, c'était dans les années soixante !
Il fallait aller chercher l'eau à une source distante de 400 mètres, dans des seaux de 10 litres : je vous garantis que nous faisions alors très attention à l'utilisation de l'eau !
Pour les bêtes, nous allions chercher l'eau à la rivière. Il n'était pas non plus question de gaspillage.
M. Jean-François Le Grand. C'était le bon temps ! (Sourires.)
M. Philippe Richert. En quelques décennies, les comportements se sont inversés, le sentiment que l'eau constituait une ressource inépuisable, infinie, s'installant. L'eau a été consommée et salie sans vergogne, rivières et nappes étant polluées dans la foulée.
Aujourd'hui, nous en sommes au troisième stade de cette évolution comportementale : l'eau continue à être utilisée sans limite - disons-le -, polluée à souhait - disons-le -, mais dépolluée avant rejet.
Avouons tout de même l'ineptie d'un tel comportement, qui ne se rencontre, à cette échelle, dans aucun autre domaine ! Plutôt que de s'évertuer à polluer moins, nous prétextons de notre capacité à dépolluer pour continuer à entretenir ce cycle infernal. C'est un peu comme si un automobiliste choisissait de rentrer dans un mur sous prétexte qu'un garagiste pourra réparer son véhicule ! D'une certaine façon, cela reste un comportement de nantis.
Nous devons indiscutablement nous pencher non seulement sur les conséquences, mais aussi sur les causes. Comme Bossuet l'a dit, les hommes s'affligent des effets mais s'accommodent des causes.
M. Bruno Sido, rapporteur. Très juste !
M. Philippe Richert. Cette loi-cadre, monsieur le ministre, ne doit pas seulement être un inventaire de recettes, même s'il est bien organisé, complet, structuré. Elle doit aider à une prise de conscience des enjeux, à une modification des comportements.
La bataille de l'eau n'est pas simplement une gageure pour les villages reculés de Madagascar ou du Burkina Faso. C'est également une ardente obligation pour tous ceux qui considèrent le développement durable et la biodiversité comme autre chose que la répétition machinale de formules creuses ou populistes.
Je donnerai un exemple : est-il indispensable de continuer à laver nos voitures et à rincer nos toilettes avec de l'eau potable ? N'est-il pas temps de récupérer, pour ce faire, de l'eau de pluie ?
M. Bruno Sido, rapporteur. Trois robinets !
M. Philippe Richert. Ne pourrait-on pas commencer à mettre en place, comme en Allemagne, des doubles réseaux ?
Si la réponse vous paraît évidente, mes chers collègues, essayez donc, dans un établissement accueillant du public, d'alimenter les WC avec de l'eau de pluie. Vous constaterez rapidement l'impossibilité, à cause de notre administration, notamment sanitaire, de mettre sur pied un tel projet. C'est quand même un peu étonnant. En effet, pourquoi rincer les toilettes avec de l'eau potable ? Qui irait boire l'eau des chasses d'eau ?
S'il faut donc inciter nos concitoyens à faire évoluer leurs comportements, encore faut-il que nos administrations suivent !
Ma seconde remarque se rapporte à la nécessité de traiter l'eau en considérant l'ensemble du cycle : prélèvement, transport, consommation, épuration, rejet dans le milieu, rôle dans l'écosystème et gestion hydraulique du bassin.
La préservation des potentialités de notre territoire et l'application des principes du développement durable nécessitent une intervention qui, à chaque étape, fait les choix les plus favorables à la nature, les moins agressifs, les plus réversibles.
C'est bien le choix qui est le vôtre, monsieur le ministre, comme l'atteste l'intitulé de ce projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques. Le fait que vous préconisiez le développement prioritaire des SAGE, l'application non seulement du principe pollueur-payeur, mais aussi de celui de la solidarité, répond à cette attente, oriente structurellement le texte et les mesures qui en découlent. Je vous en félicite.
Certes, il sera facile aux uns ou aux autres de gloser sur le fait, par exemple, qu'on n'impose pas aux agriculteurs de financer aujourd'hui la réparation des pollutions passées. Soyons réalistes ! S'il est indispensable que tous les utilisateurs d'eau prennent à leur charge la pollution qui leur est attribuable, on ne peut imposer à une catégorie sociale une révolution dont elle ne pourrait se remettre, non plus que de son coût. Aussi est-il nécessaire d'associer le principe du pollueur-payeur à celui de la solidarité, ce dernier étant tout aussi fondamental dans notre société.
Sans entrer dans le détail du texte ni dans celui des amendements de la commission, je voudrais maintenant exprimer quatre souhaits.
Le premier de ces souhaits porte sur l'organisation institutionnelle de la gestion de l'eau en tant que ressource et sur le rôle des différents acteurs, sans oublier la place essentielle du consommateur citoyen, qu'il faut convaincre et accompagner dans son évolution.
Je me félicite de voir confirmés tant la place que le rôle des agences de l'eau. Bien sûr, pour être en parfaite phase avec les règles et les exigences de la démocratie, leurs redevances doivent être encadrées et être validées par le Parlement. Le modèle français, avec ses deux piliers que sont les agences et les collectivités locales, a fait ses preuves et devient une référence en Europe. Mais il apparaît de plus en plus pertinent, monsieur le ministre, de développer des cohérences « infrabassins » et des politiques de solidarité au niveau du département. Non seulement l'intervention des conseils généraux est ancienne, mais encore elle est importante si l'on considère les moyens engagés, les politiques de solidarité territoriale conduites et l'assistance technique apportée et - vous l'avez rappelé - développée.
Dans mon département, le conseil général finance l'assainissement dans des proportions aussi importantes que l'agence de l'eau. Nous avons signé une convention-cadre avec l'agence de l'eau Rhin-Meuse pour les quatre prochaines années. Durant cette période, nous cofinancerons avec elle des travaux d'assainissement pour un montant de 175 millions d'euros. Cela confirme tout simplement l'importance de l'engagement financier.
Le conseil général finance de 0 à 70 % du montant des travaux d'adduction d'eau. Pourquoi une si grande différence ? La raison en est tout simplement que nous tenons compte du prix du mètre cube : là où l'eau est chère, là où elle est précieuse, là où les secteurs sont les plus fragiles, nous finançons à hauteur de 70 % ; là où l'eau est présente en plus grande quantité, là où elle n'est pas chère, nous n'intervenons pas. Hormis la collectivité départementale, qui fait cette péréquation, qui assure cette solidarité ?
M. Gérard Delfau. Personne !
M. Philippe Richert. Aussi, je suis déçu que le conseil général ne trouve pas dans le présent texte la place qui doit lui revenir en tant que collectivité assumant un rôle de proximité, mais aussi de cohérence, de péréquation et de solidarité. Le Premier ministre nous avait pourtant dit qu'il pensait que le couple formé par le département et la commune était le couple de la cohérence et de la proximité dans le développement. Je regrette que ce texte ait été expurgé ; néanmoins, je félicite les commissions de leurs propositions, qui rectifient - du moins je l'espère - le tir.
Ma deuxième demande porte sur des aspects plus techniques et vise à prôner plus de souplesse dans les moyens mis en oeuvre.
Monsieur le ministre, vous proposez de promouvoir davantage l'assainissement individuel - vous avez récemment visité certaines installations -, avec des techniques adaptées et aujourd'hui éprouvées. Celles-ci continuent cependant de susciter un certain scepticisme, bien qu'elles aient fait leurs preuves entre-temps. Les difficultés à promouvoir l'assainissement individuel ou d'autres techniques telles que, notamment, les lagunages ou les rhizosphères, sont quelque peu comparables à celles que nous avons connues en matière de chauffage solaire. Développé au cours des années quatre-vingt, celui-ci n'a pas rencontré un franc succès, parce que les premières expériences n'ont pas été concluantes. Vingt ans après, il continue de traîner cette mauvaise réputation, bien qu'il ait fait ses preuves depuis lors. Dans les domaines de l'assainissement individuel et des techniques innovantes, évitons de retomber dans une telle logique, qui conduirait au seul développement des canalisations et des bassins en béton. Il faut que nous sachions innover. Dans ce domaine, beaucoup de choses sont possibles.
Il me paraît également nécessaire de lutter contre la prolifération des puits de captage sauvages. Souvent creusés pour court-circuiter le réseau communal, ces puits non seulement font courir de véritables risques de pollution, mais constituent aussi un détournement de redevances. En effet, les rejets sont effectués dans le réseau de collecte sans être taxés, puisque l'eau puisée ne passe pas par les compteurs.
M. Paul Raoult. Très juste !
M. Philippe Richert. Il faut absolument donner aux gestionnaires de réseaux et aux communes les moyens de se prémunir contre de tels agissements et de tels détournements ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, de l'UMP et du RDSE.)
M. Gérard Delfau. Bravo !
M. Philippe Richert. Ma troisième demande porte plus directement sur le rôle des SATESE. L'expertise de ces services publics est avérée, et les SATESE disposent de moyens d'intervention qui, en période d'alerte, peuvent aider à surmonter les crises. Aujourd'hui, l'encadrement plus strict de leur activité et l'ouverture de celle-ci au secteur privé nous rappellent fortement ce que nous avons connu avec les laboratoires vétérinaires départementaux : à mesure que le secteur privé s'accapare tous les secteurs rentables, les laboratoires publics s'étiolent. (Exclamations approbatives sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Gérard Delfau. Bravo !
Mme Nicole Bricq. Vous avez raison ! Il faut changer de gouvernement !
M. Philippe Richert. Je dis les choses telles qu'elles sont. Si vous partagez ce constat, je vous en remercie !
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Philippe Richert. Ces laboratoires publics s'étiolent donc, perdent leur expertise et risquent demain de ne plus être en mesure de répondre aux crises. Si nous ne réservons aux départements que les questions accessoires ou celles qui ne se posent que tous les cinq ou dix ans, nous prenons le risque de ne plus être en mesure de faire face aux crises. Qu'il s'agisse de l'encéphalopathie spongiforme bovine, de la tremblante du mouton ou de la grippe aviaire, il faut conserver des moyens publics d'expertise et d'intervention.
Mme Nicole Bricq. Bien sûr !
M. Philippe Richert. De même, il ne faut pas que nous fragilisions les SATESE . Ces laboratoires sont de véritables pôles d'expertise publique mis à notre disposition, et il nous faut donc en préserver le champ d'intervention.
Ma dernière demande porte sur les opérateurs. Ces derniers ont acquis dans notre pays une expérience et une autorité qui font référence en Europe et dans le monde. Il faut se féliciter du développement de cette expertise et du niveau de qualité qu'ont atteint les entreprises privées.
Cependant, il est tout aussi indispensable que, dans toute la mesure possible, les syndicats publics puissent conserver leur place. Toute forme de monopole serait à mon avis néfaste à terme. (Murmures d'approbation sur les travées du groupe socialiste.)
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Philippe Richert. Il serait grave que les opérateurs publics organisés et compétitifs disparaissent. Il est donc indispensable que les agences ne handicapent pas, en termes de financement, les syndicats et structures publics. Nous avons déposé plusieurs amendements tendant à éviter une dérive dont certains aspects sont déjà perceptibles.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Philippe Richert. Ainsi, l'agence de bassin Rhin-Meuse rechigne déjà à financer certaines des prestations internes assurées par le syndicat départemental. Il faut remettre les pendules à l'heure.
M. Paul Raoult. Très juste !
M. Philippe Richert. Nos secteurs publics, pertinents et efficaces, doivent avoir toute leur place au côté des entreprises privées.
MM. Gérard Delfau et Paul Raoult. Très bien !
M. Philippe Richert. Je compte donc sur M. le rapporteur et M. le ministre pour permettre de consolider cette diversité.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi est un texte de référence. Il est d'une importance capitale. Il concerne non seulement le citoyen, consommateur d'eau, mais aussi les collectivités territoriales ; il touche à l'économie, à la production énergétique, à l'agriculture et à l'environnement. Il concerne le court terme, mais définit aussi un cadre pour les vingt prochaines années. Ses objectifs sont ambitieux, mais il ne méconnaît pas les difficultés et contradictions à surmonter. Tout en étant amendable, il me paraît équilibré.
Monsieur le ministre, vous avez le mérite de nous présenter ce texte tout en restant ouvert aux propositions de la Haute Assemblée. L'eau est source de vie, disiez-vous. Il nous faut la protéger et la préserver. Elle est aussi un indicateur de l'état écologique du milieu. Sa dégradation doit nous alerter sur celle de l'environnement. Sommes-nous toujours capables de décrypter ces signaux de détresse que nous fournit l'eau, signaux qui doivent nous faire réfléchir à nos comportements ?
Un proverbe chinois dit : « Quand le sage montre la lune, l'idiot regarde le doigt. » Monsieur le ministre, vous nous proposez de consacrer durant ces quelques jours notre attention et notre énergie à fixer pour plusieurs décennies le cap de la politique française dans les domaines de l'eau et des milieux aquatiques. Soutenant les orientations de nos commissions, le groupe UMP n'aura aucun mal à vous suivre, au contraire. Il vous remercie de la qualité et du caractère équilibré du texte que vous nous proposez. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, de l'UMP et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il m'est difficile de succéder à la tribune à un intervenant aussi brillant que Philippe Richert, qui a su appréhender, avec sa détermination coutumière, toute l'importance de ce sujet.
Monsieur le ministre, je tiens à saluer l'initiative gouvernementale ainsi que votre investissement personnel. Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui était attendu depuis de nombreuses années. Notre réflexion ne doit pas être alimentée par un débat de société mais, bien au contraire, constituer une source d'initiatives afin que puisse être conservée, au profit des générations futures, cette exceptionnelle richesse qu'est l'eau.
L'eau n'est pas un élément comme les autres ; il s'agit d'un patrimoine de vie inscrit au coeur du patrimoine mondial de l'humanité et sans lequel la vie serait inexistante.
S'il est un sujet qui nous concerne tous, c'est bien celui-là. Bien que notre citoyenneté soit encore insuffisante en la matière, il serait très certainement possible d'éviter des gaspillages trop faciles. Que l'on soit jeune ou plus âgé, homme des champs ou femme des villes, ce don de la nature s'inscrit- peut-être insuffisamment - dans le développement et la conscience de chaque être, mais aussi dans la vie de toutes nos collectivités locales, petites ou grandes, rurales ou urbaines.
Ce sujet est bel et bien fondamental, et il nous impose des débats purs et transparents, si je puis dire.
Je tiens à saluer le travail remarquable réalisé par M. Bruno Sido, Mme Fabienne Keller et M. Pierre Jarlier. Ce texte, de nature consensuelle, se situe à la confluence de nombreux équilibres, où se mêlent les utilisateurs, les protecteurs, les gestionnaires, dont les intérêts sont parfois contradictoires.
Il est intéressant de constater que, sur un tel sujet concernant l'ensemble de nos collectivités locales, la Haute Assemblée soit la première saisie ; ce texte s'imposera en effet à tous nos élus, en particulier à nos maires.
Un texte, aussi complet soit-il, ne peut avoir la prétention de tout résoudre. L'eau et les milieux aquatiques, conformément à l'esprit de la nature, échappent à la totale maîtrise de l'homme. L'eau, c'est la vie de l'homme et de la nature ; son déficit peut engendrer des crises humanitaires ou économiques ; elle peut aussi être, par son abondance, source de sinistres imprévisibles et non maîtrisables. (M. le ministre acquiesce.) Monsieur le ministre, je suis élu d'un département, la Haute-Loire, où neuf personnes sont mortes à la suite d'une crue centennale de la Loire, en septembre 1980.
Cependant, nous pouvons assurer la protection de ce patrimoine aquatique en améliorant à la fois son utilisation, sa distribution et sa revalorisation.
L'eau est non seulement une richesse qu'il nous faut préserver, mais aussi un élément naturel qu'il convient de protéger de tout chantage, notamment financier.
Je crois utile de rappeler que cette richesse est loin d'être inépuisable et que les secousses successives liées aux événements climatiques de ces dernières années, principalement la sécheresse que nous avons connue en 2003, mais aussi en 2004, méritent que nous nous y arrêtions quelques instants.
Au cours de l'été dernier, j'ai lancé une consultation auprès de tous les maires et conseillers municipaux de mon département sur la place de l'eau dans nos communes, afin de savoir plus précisément comment ce dossier est géré au niveau communal, voire intercommunal ; peut-être une démarche similaire a-t-elle été entreprise dans d'autres départements. Mon propos d'aujourd'hui se fera donc l'écho des interrogations et préoccupations que j'ai recueillies à cette occasion.
Les normes de qualité sont, me semble-t-il, suffisamment bien définies et leur appréciation fait l'objet d'un éventail de dispositions légales suffisamment précises pour engager l'usager à les respecter et le convaincre de la sécurité de son usage de l'eau, de quelque nature qu'il soit.
Il est important de rappeler que ce patrimoine vivant qu'est l'eau concerne l'ensemble des usagers. C'est donc pour tous un devoir de le préserver. Une politique plus stricte de surveillance des utilisations, notamment, s'avère indispensable. Les questions relatives à l'eau doivent être abordées avec bon sens et pragmatisme ; c'est un état d'esprit !
Au coeur des territoires, particulièrement en montagne, il faut également tenir compte de la situation des très petites communes, qui n'ont pas les moyens d'assumer financièrement la mise en place des solutions techniques pourtant nécessaires. Ces communes représentent un faible pourcentage de la population, et donc de la consommation et des rejets. Elles pourraient bénéficier, j'en suis sûr, non pas de privilèges, mais de dérogations relevant du simple bon sens et d'aides spécifiques appropriées. Philippe Richert en a lui-même, voilà quelques instants, appelé au bon sens dans l'application de nos lois.
La gestion de l'eau doit permettre la mise en oeuvre d'une politique des responsabilités. Tous les niveaux de décision sont concernés. Les syndicats des eaux ou les sociétés d'affermage sont équipés - ceux qui ne le sont pas devront l'être - pour contrôler la gestion et le suivi non seulement de l'eau potable, mais aussi des eaux usées.
Je crois également nécessaire de faire en sorte que les projets des communes situées en tête de bassin puissent bénéficier d'une solidarité renforcée entre l'aval et l'amont, à travers le redéploiement des aides de l'agence de l'eau. En effet, le maintien d'une bonne qualité des eaux et des milieux aquatiques ainsi qu'une gestion quantitative efficace revêtent une importance particulière pour la partie aval du bassin.
De ce point de vue, le comité de bassin et l'agence de l'eau conservent une pertinence essentielle. C'est l'échelon d'orientation et de programmation générale qu'il faut garder.
Face à la complexité des financements croisés et à celle qui naît du nombre des intervenants en la matière, il est, à mon sens, une collectivité qui, de par son expérience et ses compétences, doit rester la collectivité de droit commun dans le domaine de l'eau : je veux, bien entendu, parler du département.
Le département doit assumer la fonction d'appui technique et de gestion globale des fonds, comme il entend déjà le faire en ce qui concerne la prévention du risque d'inondation, par exemple. L'institution départementale est tout à fait désignée pour jouer ce rôle parce qu'elle est depuis toujours l'interlocutrice naturelle des maires, qu'elle dispose déjà des compétences techniques et qu'elle a l'habitude de travailler en partenariat avec l'agence de l'eau.
Quant au comité de bassin, il est l'échelon le plus pertinent pour engager une véritable réflexion en vue d'une meilleure programmation.
Un fleuve doit être géré de façon globale et cohérente. En Haute-Loire, un département qui connaît trop souvent une alternance de sécheresse et d'inondations, c'est une préoccupation omniprésente, et l'expérience nous a enseigné que c'est bien par la proximité de la prise de décision et par l'appui aux maîtres d'ouvrage que passe la réussite des actions à mener pour la préservation de cet aspect essentiel de notre environnement.
Nous pouvons nous féliciter du souci de transparence que manifeste ce projet de loi, monsieur le ministre. Concernant les redevances irrigation, ce texte est bien adapté aux zones et aux usages, ainsi qu'à une gestion plus collective de la ressource en eau.
Les agriculteurs et les propriétaires agricoles apprécieront sans aucun doute la création d'un fonds de garantie concernant l'épandage des boues. Cette mesure est indispensable et devrait rassurer ceux qui acceptent ces épandages importants, qui représentent près des deux tiers des boues produites en France.
Cette loi sur l'eau doit principalement s'inspirer du bon sens, du réalisme, du civisme, mais aussi tirer des enseignements de tous les événements liés à l'histoire de l'eau.
Il doit y avoir aussi une politique européenne de l'eau, afin d'obtenir une cohérence des normes qui ne pénalise pas l'agriculture française dans ses capacités de production.
La qualité de l'eau destinée à la consommation humaine exige d'abord un fonctionnement efficace des équipements de traitement. Nous appelons également de nos voeux une mise en cohérence des prescriptions techniques, qu'elles soient collectives ou individuelles. L'eau potable n'est pas un produit évolutif ; elle doit être un produit offrant toutes les garanties de sécurité sans être pour autant un médicament ; il faut trouver le juste milieu !
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'essentiel n'est-il pas de savoir que l'eau tombe gratuitement du ciel et se renouvelle gratuitement ? Nous connaissons parfois des périodes de sécheresse, mais l'équilibre se reconstitue naturellement. L'eau est un bien qu'il n'est nécessaire ni d'extraire, ni de fabriquer, ni de transformer. Prenons toute la mesure de cette chance exceptionnelle ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Didier.
Mme Evelyne Didier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après de nombreuses années d'attente, nous examinons enfin un nouveau projet de loi sur l'eau. Espérons que celui-ci ne subira pas le sort du précédent, qui n'a connu qu'une seule lecture, à l'Assemblée nationale. Souhaitons que les amendements des uns et des autres puissent enrichir un texte qui se veut consensuel, mais qui ne remet pas vraiment en cause, nous le verrons, l'équilibre actuel.
Voilà quelques jours, se déroulait la journée mondiale de l'eau ; celle-ci n'a pas suscité un grand engouement médiatique. Pourtant, ce sujet mérite beaucoup d'attention eu égard aux enjeux qu'il représente.
Rappelons tout d'abord que notre planète est recouverte à 70 % d'eau, mais que l'eau douce ne constitue que 2,5 % de ce volume total, l'essentiel de l'eau douce étant stocké dans les glaces, 30 % correspondant aux ressources souterraines et 0,3 % aux eaux superficielles.
Par ailleurs, ne perdons jamais de vue que des millions de personnes n'ont pas accès à l'eau et que de 2 à 8 millions de ceux qui y ont accès meurent chaque année en raison de sa mauvaise qualité.
Ajoutons que la fonte des glaciers, vraisemblablement due au réchauffement de la planète, la contamination de certaines nappes d'eau douce par de l'eau salée et l'augmentation des besoins liée à l'accroissement de la population mondiale font craindre que la ressource ne devienne un jour insuffisante, avec des inégalités de plus en plus marquées entre pays du Nord et pays du Sud : d'où l'obligation de replacer la question de l'eau au coeur de la réflexion sur le devenir de notre environnement à l'échelle de la planète.
Or, à ce propos, un rapport récent de l'UNESCO nous alerte, s'il en était besoin, sur la dégradation des écosystèmes. Les atteintes portées aux milieux naturels, sous l'effet du développement économique, menacent le développement lui-même. Il est donc indispensable de rechercher un développement durable, solidaire et humain qui soit à la hauteur des enjeux.
La politique de l'eau, tant en France et en Europe qu'à l'échelle mondiale, doit viser cet objectif, le seul à même de permettre que la ressource réponde aux besoins des populations et à l'impératif de sa préservation pour les générations futures. Elle doit reconnaître le droit à l'eau comme un droit humain, universel et imprescriptible.
Nous vous demandons, monsieur le ministre, de faire en sorte que notre pays soit porteur de ces valeurs à tous les niveaux, et de manière efficace. Dans ce domaine, les déclarations d'intention ne suffisent plus.
Mais je reviens plus spécifiquement au texte qui nous occupe aujourd'hui.
La directive-cadre dont nous avons récemment effectué la transposition nous enjoint d'atteindre un bon état écologique des masses d'eau d'ici à 2015. Nous regrettons que cette notion de bon état écologique ne soit pas encore définie à l'échelon européen, même si nous savons que Bruxelles y travaille.
Quoi qu'il en soit, la France ne pourra pas atteindre cet objectif si nous ne nous engageons pas résolument et plus rapidement dans une politique très volontariste.
Notre devoir de parlementaires est de montrer l'exemple en fournissant, à travers la loi, les outils d'une prise de conscience collective nécessaire à la préservation de la ressource et aux précautions à adopter. Or, à bien des égards, le texte qui nous est présenté paraît traduire plus une volonté de conserver le système existant qu'une ambition de le changer.
Mme Nicole Bricq. Exact !
Mme Evelyne Didier. Faire plus de place à l'action préventive suppose le recours à l'expertise, la mise en place d'une politique de réduction et de maîtrise des risques et d'économie de la ressource.
La gestion de l'eau et des milieux aquatiques doit s'entendre sous tous ses aspects. Inondations et sécheresse ne constituent-elles pas les deux faces d'une même question, celle de la ressource ? Or les inondations font partie des problèmes qui ne sont pas abordés dans ce texte.
Aujourd'hui, quatre grands principes guideront mon propos : un juste équilibre entre les différents usages, la solidarité de tous et pour tous, le besoin de transparence et de démocratie, la recherche d'une véritable maîtrise publique de la ressource en eau.
Ces principes étant posés, et avant de revenir au projet de loi lui-même, monsieur le ministre, je tiens à saluer le travail effectué depuis de nombreux mois par vous-même et vos services, avec tous les acteurs de l'eau. Même si l'on peut regretter que certains groupes de pression soient manifestement très organisés, voire très puissants, vous avez fait preuve, avec tous vos collaborateurs, d'une véritable écoute.
J'ajoute, puisque c'est l'heure des compliments, que la possibilité offerte par le rapporteur, Bruno Sido, aux parlementaires du groupe de l'eau d'assister aux auditions qu'il a conduites mérite également d'être saluée ; je l'en remercie à titre personnel, en espérant que d'autres rapporteurs s'inspireront de cette attitude que je qualifierai de démocratique.
MM. Pierre-Yvon Trémel et Gérard Delfau. Très bien !
Mme Evelyne Didier. C'est un beau compliment !
M. Bruno Sido, rapporteur. Merci !
Mme Evelyne Didier. Il est possible de considérer le projet de loi proposé comme la résultante de la confrontation des forces en présence, c'est-à-dire l'équilibre trouvé par vous-même, monsieur le ministre, à un moment donné du débat.
Cependant, à y regarder de plus près, on s'aperçoit qu'il ne s'agit pas d'un juste équilibre entre les trois piliers du développement durable : le pilier environnemental, le pilier économique et le pilier le social.
De surcroît, il est possible de lire dans ce projet de loi les ravages du temps qui, au fil des nombreux avant-projets, tue les bonnes volontés, les jeux individuels prenant le pas sur l'intérêt collectif.
Si la force de conviction des acteurs peut être une bonne chose, elle a neutralisé toute véritable avancée, et cela de façon particulièrement flagrante ces derniers temps, à l'approche des échéances électorales et devant la montée du « non » à la Constitution européenne.
Cet équilibre instable sacrifie les usagers domestiques, qui continueront à payer un prix bien fort au regard des pollutions qu'ils engendrent et de la quantité d'eau qu'ils utilisent.
Vous comprendrez donc, monsieur le ministre, que je défende un certain nombre de propositions allant dans le sens d'un véritable rééquilibrage dans le partage des responsabilités, notamment en ce qui concerne les pollutions.
Nous savons tous que ce qui coûte cher, en dehors des investissements liés à la distribution, c'est le traitement de l'eau polluée. Les craintes que j'exprimais l'an dernier, lors de la discussion sur la ratification de la directive-cadre, de voir le principe « utilisateur-payeur » se substituer au principe « pollueur-payeur » ou, devrais-je plutôt dire, « responsable-payeur », se voient confirmées par votre texte.
Quoi qu'il en soit, ce rééquilibrage doit se faire sur une base de solidarité, mais aussi de justice : agriculteurs, industriels, producteurs, collectivités territoriales, multinationales, sans oublier les concessionnaires d'exploitation des sources d'eau à des fins commerciales, qui ont l'autorisation d'utiliser les ressources naturelles sans réelle transparence des coûts - ce que j'appelle un « usage privé abusif » -, doivent participer à l'effort collectif
En effet, les taux des redevances dues par les uns et les autres restent bien trop inégaux. S'il faut en croire les chiffres avancés par l'UFC-Que choisir, la différence entre les redevances incombant respectivement aux consommateurs - 82% pour un usage de la ressource de 28 % -, aux agriculteurs - 4 % pour un usage de 68 % - et aux industriels - 11 % pour un usage de 5 % - n'est pas admissible !
Encore une fois, les Françaises et les Français ont le sentiment d'être les perdants dans cette affaire. C'est pourquoi une modulation est nécessaire.
Le système tel qu'il est conçu dans le projet de loi est un peu plus clair ; il supprime notamment les coefficients de collecte. Cependant, le projet fiscalise les redevances, qui deviennent en réalité des impôts modulés dans le cadre législatif Il faudrait d'ailleurs que nous opérions une clarification dans le vocabulaire : un impôt n'est pas une redevance et une redevance n'est pas une taxe ; nous aurons sans doute l'occasion d'y revenir.
A ce stade de mon intervention, je souhaite évoquer le rôle de l'Etat et mettre en perspective plusieurs opérations effectuées successivement par le Gouvernement au cours des dernières années.
Tout d'abord, rappelons-nous la ponction scandaleuse effectuée par l'Etat dans les caisses des agences en 2003. Ce n'était pas la première fois qu'il agissait ainsi, j'en conviens, mais cela ne justifie pas un tel acte.
Ensuite, le FNDAE, qui était alimenté par le budget de l'Etat pour assurer la solidarité en direction des communes rurales, a été supprimé.
Ajoutons l'intégration du prélèvement du FNE, le Fonds national de l'eau, dans le budget de l'Etat, au nom de la bonne gestion.
Continuons en évoquant votre proposition, monsieur le ministre, de fiscaliser les redevances et de plafonner à 12 milliards d'euros, ce qui est insuffisant, le financement du 9ème programme, cette dernière mesure visant surtout à contenir l'augmentation visible du prix de l'eau.
Enfin, pensons à la création probable d'un fonds départemental, sur laquelle nous reviendrons.
Ainsi, en mettant en perspective les différentes opérations que je viens de citer, il est plus facile de mesurer trois choses : non seulement le désengagement de l'Etat, qui est non pas de la décentralisation, mais plutôt du délestage, mais aussi sa volonté de s'immiscer encore davantage dans la gestion des agences, au risque de décourager certains acteurs du comité de bassin, ou encore le risque de voir l'Etat, à travers l'ONEMA, et grâce à la fiscalisation, se servir des fonds des agences pour financer les actions de votre ministère, en abandonnant son rôle de péréquateur garant de la solidarité.
Le coût des investissements va peser davantage sur les contribuables, particulièrement dans les secteurs ruraux, à travers les impôts locaux des collectivités de proximité, à savoir les communes, les EPCI et les départements.
Revenons maintenant de manière plus précise à la pollution.
La pollution des milieux aquatiques doit être combattue, nous sommes tous d'accord sur ce point. On ne saurait parler de pollution sans parler du sujet qui apparaît comme le plus sensible, à savoir la responsabilité des agriculteurs.
J'aimerais toutefois que ce débat n'en élude pas un autre, tout aussi important : celui de la responsabilité des industriels, producteurs de produits nocifs et polluants, car, si les consommateurs sont les plus pénalisés, les agriculteurs ne doivent pas pour autant être les boucs émissaires d'un système pris dans son intégralité. L'utilisation des produits phytosanitaires est actuellement nécessaire, mais il est absolument essentiel d'engager résolument la recherche scientifique, notamment privée, dans une perspective de développement durable : autrement dit, cherchons des molécules moins nocives plutôt que des produits plus concentrés !
En ce qui concerne les agriculteurs, je veux que les choses soient bien claires : les sénateurs communistes républicains et citoyens connaissent et comprennent les impératifs de la profession agricole et ne les sous-estiment pas, tout particulièrement ceux auxquels sont confrontés les petits exploitants, dont les difficultés sont grandes ; ils considèrent les agriculteurs comme des acteurs du système autant que des victimes. Les agriculteurs sont, en effet, de plus en plus fragilisés par un système de production dont ils ne sont plus les maîtres. En outre, ils sont parfois les premières victimes de ces pollutions.
Je salue ici la décision de la Mutualité sociale agricole de lancer une enquête sur la santé des agriculteurs et de leur famille. Elle nous sera d'une grande utilité.
Pour en revenir aux pratiques agricoles, prenons l'exemple du maïs. Cette céréale exotique se cultive avec des pratiques agressives pour notre environnement : elle est gourmande en eau dans les périodes où la ressource est faible et, l'hiver, les sols dédiés à cette culture restent nus, avec toutes les conséquences dues au lessivage des terres par les pluies d'hiver et la propagation des pollutions dans les nappes.
Dans ces conditions, je me dois de faire passer un double message.
D'une part, les agriculteurs ne doivent pas minimiser le problème de la pollution des eaux par les pratiques agricoles, et doivent continuer leur effort de responsabilisation dans ce domaine. Je connais la forte mobilisation dont ils sont capables pour défendre leurs droits. Il faut qu'ils consacrent également cette énergie à la défense de l'avenir de leur activité et à une meilleure mise en valeur de productions garantes de l'environnement plus en adéquation avec le climat de la France et en relation avec les saisons. Il en va de leur survie, il en va de leur honneur. Toutefois, ils ne pourront faire cela seuls.
D'autre part, mon message s'adresse à vous, monsieur le ministre, et au Gouvernement. Lorsque l'on veut intégrer la notion de développement durable dans le développement global d'un pays, il faut opérer des changements radicaux et donner des signes beaucoup plus forts. Il est temps de favoriser une agriculture raisonnée et raisonnable, une agriculture moins gourmande en eau et en produits phytosanitaires. C'est l'avenir de notre planète qui est en jeu.
Je rappelle au passage que nous importons des produits bio ; mieux vaudrait que nous en favorisions la production sur notre territoire.
Au vu de ces considérations, nous vous proposerons, sur l'ensemble des redevances, un rééquilibrage des participations des différents acteurs de l'eau.
Je souhaite aborder maintenant la question de la solidarité. Nous aurions aimé trouver dans ce texte des dispositions concernant l'interdiction des coupures d'eau, l'affirmation du principe du droit de l'eau pour tous, l'instauration d'une véritable péréquation nationale, la réduction a minima de la part fixe dans le prix de l'eau, et donc, au fond, l'affirmation de principes fondamentaux concernant les plus démunis d'entre nous.
Force est de constater que ce texte n'est pas porteur de ces préoccupations-là. Le soin de régler ces questions est renvoyé aux collectivités, si elles souhaitent l'assumer. Telle n'est pas notre conception de la solidarité.
La question de l'assainissement non collectif nous préoccupe également. Trop souvent réduite à des questions techniques ou juridiques, elle n'en pose pas moins un problème concernant l'égalité des citoyens.
Après avoir sollicité de nombreux avis dans mon département, notamment auprès d'un syndicat des eaux et du syndicat départemental mis en place par l'Assemblée des départements de France, il m'a semblé utile de faire des propositions sous forme d'amendements. Je sais que vous y travaillez également, monsieur le ministre.
Un dernier aspect que j'aimerais aborder concerne les grandes multinationales privées. A l'heure actuelle, la situation de monopole qu'elles occupent est préoccupante à plus d'un titre, comme l'a d'ailleurs souligné notre collègue Philippe Richert.
Lorsque l'on s'interroge pour savoir qui sont les grands gagnants de la gestion de l'eau et de l'assainissement, il suffit de se tourner vers ces grandes multinationales pour avoir la réponse. Grandes usines à engranger des bénéfices, elles sont de bien piètres participantes à l'effort de solidarité nationale. Dans le projet de loi, ce point est tout au plus abordé à l'article 26, à propos des contrats de délégation de service public, mais, même à cet égard, les dispositions concernant ces multinationales restent bien faibles.
C'est la raison pour laquelle je vous proposerai d'aller plus loin, en matière tant de délégation de service public, pour assouplir le système existant au profit des collectivités qui se trouvent enserrées dans des contrats contraignants, que de participation à l'effort national.
A ce titre, chers collègues de la majorité, monsieur le ministre, vous qui voulez toujours permettre la concurrence, vous devriez être réceptifs à nos amendements, qui s'inscrivent dans une logique plus concurrentielle du dispositif !
En effet, nous avons la possibilité d'aider nombre de communes bien décidées à reprendre le service de l'eau en main, malgré les attaques dont elles sont victimes devant les tribunaux de la part des grands groupes, qui veulent préserver les bénéfices au profit des actionnaires.
Ces considérations m'amènent à parler de la transparence et de la participation de tous les acteurs concernés par l'eau à tous les échelons du processus décisionnel.
A l'heure actuelle, la gestion de l'eau et de l'assainissement en France est trop opaque. Le projet de loi vise à y remédier, grâce à une plus large participation des différents acteurs, mais, à mon sens, cela ne va pas assez loin. La présence et la participation de tous doivent encore être renforcées pour éviter tout déficit démocratique. Je pense, en particulier, aux représentants des usagers, aux syndicats et aux fédérations de pêcheurs.
Il convient également d'oeuvrer dans le sens d'une meilleure information des usagers. En effet, chacun doit être en mesure de connaître les enjeux de l'eau, de comprendre le fonctionnement de la gestion de la ressource, et le calcul du prix facturé.
Sans mesures claires, nous courons le risque d'augmenter plus encore l'incompréhension des usagers domestiques devant un système qu'ils jugent déjà trop complexe.
Je terminerai mon propos par ces questions essentielles : quel rôle doit jouer l'Etat ? Quelle place accorder à la maîtrise publique du service de l'eau et de l'assainissement ? De moins en moins présent et actif, l'Etat n'a que trop rarement mis l'accent sur une politique de prévention de toutes les pollutions, même diffuses, et d'une préservation des écosystèmes. Il ne s'est que peu engagé en faveur de politiques d'information, de formations et d'expertises pour aider les collectivités. Si le privé peut assurer des missions de service public, il ne peut prétendre en aucun cas représenter l'intérêt public. Les collectivités ont été obligées de se lancer dans des investissements coûteux sans véritables aides techniques et financières à la hauteur des besoins. Le service public s'en est trouvé affaibli.
Nous ne pouvons plus continuer dans cette voie ! L'Etat doit retrouver un rôle de conseil auprès des communes, s'investir dans le sens d'une meilleure connaissance du milieu, aider les différents intervenants et, enfin, mener une vraie politique de contrôle et de sanction de tous les contrevenants, quels qu'ils soient.
Je dis cela avec d'autant plus de conviction que le groupe CRC se soucie depuis de nombreuses années de la qualité de l'eau et de sa gestion : j'en veux pour preuve la proposition de loi déposée par mon collègue M. Robert Bret en 1999. Nous jugeons en effet nécessaire et urgent d'engager une politique de reconquête de la maîtrise publique de l'eau. Nous devons nous assurer que l'eau soit considérée avant tout comme une ressource et un bien public vital, le tout au sein d'un grand service public national garant de la solidarité, de l'égalité, de l'équité, de la démocratie et de la transparence.
En l'état actuel du texte, rien ne vient garantir cette maîtrise publique, bien au contraire. Je ne vois que la mise en oeuvre d'une politique continue de désengagement au profit d'un processus de délestage à outrance de la part de l'Etat. Tout pèse sur les départements et les communes, qui se trouvent asphyxiés par les lourdes charges qui leur incombent.
Je reviendrai sur ce point dans la suite du débat, mais je tiens d'ores et déjà à dire que la méthode qui consiste à retirer du projet de loi un article concernant les départements en attendant que les parlementaires le réclament permet de dédouaner le Gouvernement des effets pervers d'une telle mesure. Nous ne pouvons pas être dupes de ce procédé !
Quant à l'ONEMA, ses missions restent floues et ne garantissent en rien la maîtrise publique de l'eau. Bien entendu, des décrets d'application viendront les définir, mais soyons lucides ! Une fois le texte adopté, tous types de mesures pourront être pris par décret sans qu'aucun contrôle parlementaire n'intervienne.
Pour toutes ces raisons, nous proposons la création d'une organisation nationale bicéphale avec, d'une part, un Haut conseil du service public de l'eau et de l'assainissement, autorité administrative indépendante dont le rôle essentiel sera le contrôle, la veille et le conseil, et, d'autre part, un office national, sous autorité du ministère de l'écologie et du développement durable, chargé plus spécifiquement de la gestion.
Je ne saurais achever mon intervention sans une dernière considération : la police de l'eau, éclatée entre plusieurs directions, doit être d'urgence - je le reconnais - intégrée au sein d'une seule direction pour plus d'efficacité. Je m'interroge cependant sur les conséquences de cette décision quant aux effectifs des personnels et aux moyens mis en oeuvre. En effet, recentrage ne doit pas être synonyme de réductions drastiques.
En définitive, monsieur le ministre, vous n'avez pas su, dans ce projet de loi, passer des paroles aux actes. Si le texte n'évolue pas au fil des travaux parlementaires, nous devrons, en 2015, nous précipiter pour le revoir, parce que l'Europe nous rappellera à nouveau à l'ordre.
Plaçons-nous dans une vision à long terme, gardons à l'esprit, tout au long de ces débats, les grands principes que j'ai énoncés dans cette intervention, à savoir le juste équilibre, la solidarité, la transparence et le renforcement de la maîtrise publique, le tout dans une perspective de développement durable, solidaire et humain !
Nous n'avons pas la prétention de tout dire au cours de ce premier débat. Nous nous laissons la possibilité d'infléchir nos propositions à l'Assemblée nationale, puis, ici, en deuxième lecture, en fonction de vos réponses, monsieur le ministre, et du déroulement de nos échanges. Pour l'instant, en tout cas, le texte, en l'état, n'est pas acceptable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi était attendu. Il est équilibré, important, très important.
Voilà un demi-siècle, notre administration répartissait les pouvoirs en matière de gestion de l'eau entre trois ministères : l'industrie, pour l'eau souterraine, l'équipement et l'agriculture. Je m'honore d'avoir, à cette époque, en tant que dirigeant d'un établissement public national, le Bureau de recherches géologiques, géophysiques et minières, mis en relation ces trois ministères de façon à permettre la création des agences de l'eau. Ce texte fondateur est aujourd'hui repris et amélioré. Il concerne un problème tout à fait capital.
Je ferai trois remarques sur des points particuliers du projet de loi et une remarque de fond.
Dans le droit-fil du rapport de M. Bruno Sido, dont l'excellence a d'ailleurs été soulignée sur l'ensemble des travées de cette assemblée, ma première remarque portera sur la nécessité de protéger l'énergie hydroélectrique. Celle-ci est tout de même la seule énergie renouvelable importante, en France et dans le monde, à part la biomasse. Compte tenu, notamment, du plan Climat, grâce auquel nous voulons dépasser les objectifs du protocole de Kyoto, il est important de protéger cette énergie au maximum, indépendamment des arguments d'ordre économique.
Ma deuxième remarque portera sur l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, l'ONEMA.
Je suis, en général, réservé sur la création de nouvelles structures. En la circonstance, il conviendra de veiller à ce que l'ONEMA aide et utilise les structures déjà existantes. Je pense, en particulier, à l'Office international de l'eau, qui réalise un travail remarquable en matière de formation, non seulement en France, mais également à l'étranger ; je pense aussi au Plan Bleu, qui fournit de nombreuses données, notamment hydrauliques, sur l'ensemble des pays circumméditerranéens, où le problème de l'eau est crucial ; je pense également au Bureau de recherches géologiques et minières, dont le département hydraulique est de très haut niveau, au CEMAGREF, le Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts, et, enfin, aux grandes écoles et aux universités qui effectuent des recherches dans ce domaine, notamment à Montpellier.
Toutes ces compétences doivent absolument, me semble-t-il, être utilisées et, à cet égard, l'ONEMA devra probablement beaucoup plus faire faire que faire par lui-même, notamment en ce qui concerne les études et conseils.
Ma troisième remarque concerne le financement des syndicats d'études. Le schéma d'aménagement et de gestion des eaux de la basse vallée du Var, dont mon ami Marc Lafaurie est président, ne peut pas devenir un établissement public territorial de bassin, un EPTB, la basse vallée étant trop courte. Il lui faut néanmoins trouver des financements pluriannuels. Or, le présent projet de loi ne règle pas ce problème.
Je ferai maintenant une remarque de fond.
Les risques climatiques liés à l'effet de serre vont radicalement bouleverser, et ce bientôt, dans moins de quelques décennies, l'ensemble de la gestion de l'eau. C'est donc dès à présent qu'il faut commencer de prévoir des solutions.
Les différents intervenants dans la discussion générale n'ont pas évoqué ce sujet. Il n'en est pas non plus question dans le projet de loi.
Il est pourtant nécessaire, me semble-t-il, de préparer un plan visant à diminuer l'ampleur et les conséquences des sécheresses longues, des inondations dévastatrices et inéluctables, qui surviennent déjà. Nous savons que leur nombre augmentera à très court terme. Il faut donc d'urgence préparer des programmes d'action et de prévention.
Je n'ai pas souhaité déposer d'amendements à ce sujet, car la politique de très large concertation que M. le ministre a menée durant la préparation du projet de loi doit également permettre de préparer des colloques régionaux - tant dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, à Marseille, Sophia-Antipolis ou à Montpellier, qu'en Bretagne ou ailleurs - sur les problèmes qui se poseront et s'aggraveront à très court terme. C'est une nécessité absolue. Gouverner, c'est prévoir !
L'information scientifique, les données locales, les prévisions des meilleurs spécialistes en climatologie doivent permettre aux collectivités locales et à la population de prendre conscience des faits et des précautions à prendre, de l'importance accrue de l'économie de l'eau. Elles doivent également leur permettre de connaître les nouvelles méthodes utilisables en agriculture, ainsi qu'un certain nombre des modifications nécessaires des cultures, voire l'utilisation d'organismes génétiquement modifiés, qui permettront à l'économie agricole de tenir compte des changements de climat inéluctables.
Commençons à examiner la situation ; nous serons cependant obligés, d'ici peu de temps, de prendre des décisions majeures, de prévoir à la fois de grands programmes de travaux pour permettre la constitution de réserves et de grands programmes scientifiques de modification des méthodes culturales. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Guy Fischer.)