sommaire
présidence de M. Adrien Gouteyron
2. Organisme extraparlementaire
Mme Hélène Luc, M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
4. Prévention de la délinquance. - Discussion d'un projet de loi
MM. Jean-Pierre Michel, le président.
MM. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire ; Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice ; Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois ; Nicolas About, président de la commission des affaires sociales ; Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.
M. Georges Othily, Mme Éliane Assassi, MM. Yves Détraigne, Jean-Claude Peyronnet, Jean-Claude Carle, François Zocchetto, Mme Catherine Tasca, M. Jean-Patrick Courtois, Mme Valérie Létard.
5. Saisine du Conseil constitutionnel
Suspension et reprise de la séance
MM. le président, Michel Dreyfus-Schmidt.
7. Prévention de la délinquance. - Suite de la discussion d'un projet de loi
Discussion générale (suite) : MM. Jean-Pierre Godefroy, Philippe Goujon, Mme Gisèle Gautier, MM. Jacques Mahéas, Jacques Peyrat, Pierre-Yves Collombat, Jean-Pierre Fourcade, Jean-Marie Bockel, Christian Demuynck, Mme Alima Boumediene-Thiery, M. Serge Dassault.
Clôture de la discussion générale.
M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales.
Renvoi de la suite de la discussion.
8. Dépôt de propositions de loi
compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
vice-président
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
ORGANISME extraparlementaire
M. le président. J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du conseil d'administration de l'établissement public de la Cité des sciences et de l'industrie de la Villette.
Conformément à l'article 9 du règlement, j'invite la commission des affaires économiques à présenter une candidature.
La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l'article 9 du Règlement.
3
rappel au règlement
Mme Hélène Luc. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc.
Mme Hélène Luc. Mon intervention se fonde sur l'article 36 de notre règlement : elle concerne l'évacuation brutale du squat de Cachan, qui a plongé les familles concernées dans une situation inhumaine et indigne d'un pays comme la France.
On a pu voir, lors de cette expulsion, des scènes d'une violence inouïe : un bébé de deux ans passant d'un CRS à l'autre par-dessus un fil barbelé, des femmes poussées par les CRS alors qu'elles portaient des bébés dans les bras. Cela a suscité une solidarité exceptionnelle non seulement à Cachan, dans le département du Val-de-Marne, mais aussi dans toute la France.
Des élus, des artistes, des sportifs sont venus sur place se rendre compte de la situation inacceptable dans laquelle vivent ces enfants, ces familles. Ils ont été révoltés, écoeurés. Samedi dernier, nous avons défilé de la République à Saint-Lazare, côte à côte avec les familles, avec Josiane Balasko, Emmanuelle Béart, Guy Bedos (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP), des sportifs, Christian Favier, président du conseil général du Val-de-Marne, et de nombreux élus et responsables de partis politiques.
Lilian Thuram, qui a invité soixante-dix personnes au Stade de France, a redonné tout son sens aux valeurs de solidarité envers ces populations les plus fragilisées.
M. Dominique Braye. Qu'il joue au foot !
Mme Hélène Luc. Le maire de Cachan, mon ami Jean-Yves Le Bouillonnec, avec beaucoup d'humanité, a accueilli provisoirement ces personnes dans le gymnase Belle-Image de Cachan. (M. Alain Gournac s'exclame.) Le président du conseil général leur fait livrer quotidiennement des repas. Lorsque je leur ai rendu visite à plusieurs reprises, des télévisions françaises, suisses et belges étaient sur place. Les journalistes étaient sous le choc, n'imaginant pas que cela puisse exister en France.
Monsieur le ministre d'État, il faut rapidement mettre fin à cette situation inacceptable. Il a été proposé d'accueillir ces familles sur un ancien site du CEA, le Commissariat à l'énergie atomique, à Limeil-Brévannes, avec l'accord du maire. Ce terrain appartient pour moitié à la Ville de Paris, et l'autre moitié est en passe de devenir également sa propriété : la Ville de Paris veut en effet le racheter au ministère de la défense en vue d'y édifier une construction pour les pompiers de Paris.
Le conseil général du Val-de-Marne et la Ville de Paris réaliseront les travaux de sécurité établis par M. le préfet du Val-de-Marne. Dans ces conditions, ce dernier m'a assuré qu'il ne s'opposerait pas au transfert des familles.
Bien entendu, cette situation ne peut être que très provisoire,...
M. Alain Gournac. Est-ce vraiment un rappel au règlement ?
Mme Hélène Luc. ... mais elle apportera une amélioration du point de vue sanitaire, notamment avec des toilettes, des douches et une cuisine, car des épidémies risquent d'apparaître à Cachan, qui plus est avec la chaleur qui règne actuellement.
Par ailleurs, il faut également rendre le gymnase aux élèves de Cachan. Il faut donc que le préfet du Val-de-Marne donne rapidement son accord. Je ne veux pas croire qu'il souhaite le pourrissement de cette situation.
Il faut ensuite envisager le relogement de toutes ces familles. Des premières propositions ont été faites par le préfet, la Ville de Paris et l'Office public d'aménagement et de construction du Val-de-Marne ; d'autres vont suivre puisqu'une table ronde interdépartementale pourrait être organisée par le maire de Paris.
Enfin, monsieur le ministre d'État, je vous demande de procéder à un examen administratif attentif de la situation de toutes ces familles, dont certaines sont parrainées par le Réseau éducation sans frontières. Vous ne pouvez pas ajouter au drame qu'a représenté cette expulsion pour ces familles un renvoi à la frontière de celles qui sont dépourvues de papiers, en profitant ainsi de leur situation devenue encore plus précaire.
J'ai rendu visite à ces familles la veille de la rentrée scolaire. Les mamans, les papas et les enfants m'ont montré avec fierté le cartable qui était prêt pour l'école. Ils parlent français pour la plupart et sont intégrés puisque nombre d'entre eux travaillent.
Monsieur le ministre d'État, je connais évidemment votre position sur les sans-papiers, que je n'approuve pas, vous le savez. Mais je vous demande avec émotion, et j'oserai dire avec espoir, d'adopter une attitude exceptionnelle et humaine, si importante pour l'avenir de ces familles. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire. Compte tenu de l'importance du sujet, je ne peux pas laisser dire certaines choses, monsieur le président.
Premièrement, le ministre de l'intérieur, quel qu'il soit et quelle que soit la majorité qui le soutient, a le devoir d'appliquer les décisions de justice. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.) Je ne pense pas qu'un sénateur puisse ici affirmer le contraire !
Or, madame la sénatrice, en 2004, un tribunal a ordonné l'évacuation du squat de Cachan. Y a-t-il ici un sénateur qui puisse se lever pour dire au ministre de l'intérieur quel qu'il soit qu'une décision de justice ne doit pas être appliquée ? (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Un sénateur de l'UMP. C'est clair !
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. C'est un point qui peut faire l'unanimité sur toutes les travées de la Haute Assemblée !
Deuxièmement, au cours de l'été 2005, le maire de Paris et moi-même nous sommes rendus en pleine nuit sur les lieux de deux incendies ayant entraîné la mort par asphyxie de malheureux, dont plusieurs enfants. Toutes les forces politiques ont alors été émues de telles situations et toutes ont protesté. J'aimerais donc que l'on m'explique pourquoi, d'un côté, on proteste lorsque se produit un drame dans un squat qui n'a pas été évacué et pourquoi, d'un autre côté, on me reproche d'avoir évacué le plus grand squat de France, qui se situe à Cachan. C'est incohérent ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Mme Hélène Luc. Il faut les reloger, monsieur le ministre d'État !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Si j'ai fait évacuer ce squat, c'est pour que de tels drames ne se reproduisent pas.
M. Jean-François Voguet. Vous n'avez rien réglé !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Troisièmement, il y a des listes d'attente pour les logements sociaux.
M. Robert Bret. À Neuilly ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Je pose la question : faut-il que des sans-papiers occupent un squat pour passer devant tous ceux qui sont inscrits sur la liste d'attente (M. Adrien Giraud applaudit), ...
M. Alain Gournac. Non ! Pas du tout !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ... qui respectent la loi, ont des papiers et ont autant besoin d'un logement que les autres ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. -M. Adrien Giraud applaudit également.)
Mme Hélène Luc. Ce n'est pas ce que je vous demande !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Il y a une règle, et elle doit s'appliquer !
Quatrièmement, dans le cas présent, deux catégories de personnes étaient présentes dans le squat : celles qui avaient des papiers et celles qui n'en avaient pas.
Le préfet du Val-de-Marne, M. Tomasini, a fait une proposition de relogement soit à l'hôtel soit dans un logement social à tous les occupants du squat munis de papiers. Je constate que 178 personnes ont accepté cette proposition, ce qui signifie que cette dernière ne devait pas être si désagréable que cela. Les 200 autres personnes, manipulées par des associations aux arrière-pensées politiciennes, ...
M. Alain Gournac. Parfaitement !
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ... ont refusé les propositions faites par les services de l'État.
Mme Hélène Luc. C'est une honte de dire cela !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Quant au maire de Cachan, personne ne l'obligeait à proposer le gymnase !
M. Jean-François Voguet. Humanité sociale !
M. Alain Gournac. Qu'il assume !
M. Dominique Braye. Qu'il assume !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ... et je m'aperçois que le maire de Cachan voudrait aujourd'hui que l'on évacue un gymnase qu'il a été bien imprudent de proposer alors que les conditions sanitaires et d'hygiène pour recevoir des familles font défaut.
M. Alain Gournac. Voilà !
M. Jacques Mahéas. Quelques élans de coeur ne sont pas à condamner !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Ma proposition visant à reloger les familles qui ont des papiers reste valable pour chacune d'entre elles.
Pour ce qui concerne les personnes qui n'ont pas de papiers, dix des occupants du squat de Cachan ont été reconduits dans leur pays d'origine. Je le dis de la façon la plus claire ...
MM. Alain Gournac et Josselin de Rohan. Très bien!
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ... et la plus républicaine possible : quand on a des papiers, on est traité à égalité de droits et de devoirs parce que, au sein de la République française, chacun a des droits et des devoirs (Murmures d'approbation sur les travées de l'UMP) ; quand on n'a pas de papiers, on a vocation à être reconduit dans son pays d'origine. (Très bien ! sur plusieurs travées de l'UMP.) J'ajoute que j'ai été particulièrement choqué, pour ne pas dire blessé, par les propos indignes, indignes pour les familles qui ont connu la déportation, ...
M. Roger Karoutchi. Exactement !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ... de ceux qui ont comparé la déportation au fait d'être reconduit par des forces républicaines dans son pays d'origine.
MM. Dominique Braye et Jacques Peyrat. C'est scandaleux !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Ceux qui ont tenu de tels propos soit ne savent pas, soit ont voulu choquer. Dans ce dernier cas, ils ont réussi.
Notre règle est donc simple : ceux qui veulent être logés dans des conditions satisfaisantes le seront s'ils ont des papiers.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Par qui seront-ils logés ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Ceux qui n'ont pas de papiers seront reconduits à la frontière. Il est certes des cas humanitaires particulièrement difficiles. Ainsi, pour ce qui concerne cette famille malienne sans papiers dont l'enfant était gravement malade, j'ai demandé au préfet d'accorder une autorisation de séjour pour que cet enfant soit soigné dans notre pays, comme la tradition républicaine le veut.
MM. Alain Gournac et Dominique Braye. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Madame Luc, si vous-même, ou les membres du groupe CRC, souhaitez appeler notre attention sur des cas particuliers, nous sommes ouverts pour traiter tous les dossiers au cas par cas, individuellement. Croyez bien que l'humanité de ceux qui s'en occupent à la préfecture du Val-de-Marne est aussi grande que l'humanité de ceux qui voudraient récupérer la situation politiquement.
J'ajoute que cette idée de traiter les dossiers au cas par cas progresse. En effet, nous sommes partis des déclarations irresponsables de M. Laurent Fabius réclamant la régularisation de tout le monde pour arriver aux propos de M. Lionel Jospin ou de Mme Ségolène Royal demandant la régularisation au cas par cas. (Murmures sur les travées de l'UMP.) C'est exactement ce que le Gouvernement est en train de faire. Je me réjouis donc de ce soutien inattendu, tardif, mais, finalement, bienvenu ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UC-UDF.)
M. Dominique Braye. Bienvenue au club !
Mme Hélène Luc. Vous n'avez pas répondu à ma question concernant l'autorisation de les loger à Limeil-Brévannes !
4
Prévention de la délinquance
Discussion d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance (nos 433, 476, 477).
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Mon rappel au règlement concerne les articles relatifs au déroulement de la séance.
Le document de travail dont nous disposons, qui, nous dit-on, n'a qu'une valeur indicative, ne mentionne pas l'intervention de M. le ministre de la santé et des solidarités. Cela signifie-t-il que les articles 18 à 24 du projet de loi relatifs à l'hospitalisation d'office, qui sont plus que surprenants dans ce texte, selon le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales lui-même, sont retirés par le Gouvernement, ainsi que l'ont demandé tous les syndicats, organisations et associations de psychiatres ?
M. Jacques Mahéas. Je l'espère ! Ce serait plus simple !
M. Jean-Pierre Michel. Si tel était le cas, le Gouvernement serait bien inspiré de nous le dire tout de suite, et la présence muette de M. Xavier Bertrand serait explicable.
M. le président. Monsieur Michel, les noms figurant sur le dérouleur de séance nous ont été communiqués par le Gouvernement. Mais, comme vous pouvez le constater, nombre de ministres, dont M. le ministre de la santé et des solidarités, sont présents aujourd'hui dans l'hémicycle. M. Bertrand pourra donc s'exprimer s'il l'estime nécessaire.
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre d'État. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - MM. Pierre Laffitte et Adrien Giraud applaudissent également.).
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance. Avant de le soumettre à votre approbation, j'ai voulu observer et expérimenter. Pour cette raison, j'ai lancé, voilà trois ans, le plan pilote de prévention de la délinquance « 25 quartiers ». Il s'agissait d'expérimenter, sur le terrain, à travers toute la France, ce que pouvait être un travail de prévention, dans les domaines les plus divers.
Dès mon retour au ministère de l'intérieur en juin 2005, j'ai fait le bilan de ce plan, qui a permis de faire émerger des idées et, surtout, des méthodes nouvelles. Reprenant ce chantier que je considère comme essentiel, j'en propose cette fois-ci à la Haute Assemblée une tout autre dimension.
Mon objectif est le suivant : la prévention doit enfin bénéficier d'un cadre et d'une assise juridiques d'ensemble, qui n'existent pas aujourd'hui et qui permettront de généraliser des pratiques réussies à tel ou tel endroit du territoire, sans que l'on n'en ait jamais tiré des conclusions d'ensemble. J'ai voulu aussi que ce cadre juridique soit assez large pour embrasser la diversité des problèmes de la délinquance et proposer pour ces derniers des solutions concrètes.
Si j'ai tellement tenu à élaborer ce projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, c'est parce que je suis persuadé que la sanction, même si elle est indispensable, ne suffit pas. La sécurité est une question de société qui dépasse le problème de la sanction, même si cette dernière reste bien évidemment un préalable.
Quelle a été notre démarche depuis 2002 ? Il s'agissait de faire en sorte que la sécurité devienne une priorité. Au lieu de faire preuve de naïveté vis-à-vis des délinquants, nous avons choisi de donner la priorité absolue aux victimes.
Entre 1997 et 2001, avec le même appareil statistique, qui n'est contesté par personne...
M. Jacques Mahéas. Oh si !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Non ! Il remonte en effet au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et n'a pas été modifié depuis lors. Monsieur Mahéas, au cours des cinq années durant lesquelles Lionel Jospin a dirigé le Gouvernement, vous aviez tout loisir, si vous contestiez cet appareil statistique, de le modifier ! Puisque vous ne l'avez pas fait, j'estime que vous l'avez validé. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Absolument !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez enterré une commission qui travaillait sur ce sujet !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Entre 1997 et 2001, avec un appareil statistique qui n'a pas évolué depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la délinquance a augmenté de 14 %. Avec le même appareil statistique, sur une durée identique - quatre ans-, mais de 2002 à 2005, elle a diminué de 9 %.
M. Robert Del Picchia. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Nous avons parcouru ce chemin grâce à la modernisation de nos forces de sécurité. Ce n'est pas le fait du hasard puisque, après avoir changé les méthodes, la motivation et l'équipement, nous avons obtenu des résultats.
J'ajoute que tout cela a été réalisé grâce au Parlement, qui a voté les moyens que le Gouvernement lui demandait. En effet, 80 % des 7 000 emplois de policiers et de gendarmes qui avaient été prévus par la loi quinquennale ont été créés.
D'ailleurs, ceux-là mêmes qui, sur les travées de l'opposition, estiment que les résultats n'ont pas été assez concluants n'ont pas eu la cohérence d'approuver les nouveaux moyens que nous avions demandés en 2002 pour les forces de police et de gendarmerie. Il est également extraordinaire de prétendre que les résultats ne sont pas suffisants, ...
M. Jacques Mahéas. On ne voit rien sur le terrain !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ... alors que ces parlementaires se sont abstenus de voter ces créations d'emploi. Il s'agit sans doute d'un raisonnement subtil : il vous faudra un certain temps pour l'expliquer aux Français ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Les corps et carrières de la police nationale ont été réformés. Le redéploiement des services de police et de gendarmerie, qui attendait depuis soixante ans, n'a donné lieu à aucune manifestation ni à aucun problème, puisque aucune circonscription transférée de la police à la gendarmerie, ou inversement, n'a demandé à revenir à la situation antérieure. Les outils que nous avons développés pour la police et pour la gendarmerie ont permis d'obtenir des résultats.
Certes, il y a eu des polémiques. Souvenons-nous de celle, particulièrement ridicule et choquante, qui concernait le fichier national des empreintes génétiques.
J'avais été bouleversé - pourquoi ne pas le dire ? - par le témoignage du président de l'association des familles de victimes de Guy Georges, ce sinistre violeur en série, qui a tout de même violé douze jeunes filles. Ce père de l'une des victimes m'avait expliqué à juste raison que, si le fichier national des empreintes génétiques avait existé, Guy Georges n'aurait pas pu commettre autant de méfaits sans jamais être attrapé.
Ma demande de création de ce fichier a entraîné une grande polémique. Le Syndicat de la magistrature - encore lui ! - s'y opposait. Mais, quand cette organisation affirme quelque chose et qu'on pense le contraire, on est certain de ne pas être très loin de la bonne voie ! (Applaudissements et exclamations amusées sur plusieurs travées de l'UMP.)
Lors d'un débat télévisé, la présidente de ce syndicat avait osé dire qu'un fichier national des empreintes génétiques remettait gravement en cause les droits et les libertés des personnes !
M. Alain Gournac. Et les victimes ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. À mes yeux, ce qui remet en cause les droits et les libertés des personnes, c'est que des violeurs en série puissent impunément choisir leurs victimes, sans que la société réagisse ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. - Mme Gisèle Gautier et M. François Zocchetto applaudissent également.)
En 2002, pour un pays de 62 millions d'habitants, ce fichier comportait 4 024 empreintes. Ce sont des faits chiffrés. Je suis d'ailleurs prêt à prendre tous les paris : quelle que soit sa couleur politique, le ministre de l'intérieur qui me succédera ne reviendra jamais sur la création de ce fichier, parce que celui-ci est utile. Aujourd'hui, il compte 322 901 empreintes. Cette montée en puissance a permis de confondre 4 358 coupables, qui sont aujourd'hui sous les verrous, au lieu d'être dans la nature ! Voilà ce que permet un fichier au service de la police !
Qu'il me soit permis de dire que cela n'a rien à voir avec le fait d'être de gauche ou de droite. C'est une affaire de liberté et de respect des victimes. Je veux que le ministère de l'intérieur continue d'accompagner les progrès technologiques pour que la police et la gendarmerie passent d'une culture de l'aveu à une culture de la preuve. (Très bien ! sur plusieurs travées de l'UMP.) Dans cette optique, nous devons doter les forces de l'ordre de tous les progrès technologiques, y compris en matière de lutte contre la cybercriminalité.
J'ai également demandé au directeur général de la police nationale de régionaliser la sécurité publique, qui traite 60 % de la délinquance constatée et regroupe 78 000 hommes et femmes assurant au quotidien la sécurité des Français.
Les résultats sont là ! Les contester, c'est contester le travail des 150 000 policiers et des 130 000 gendarmes de France, qui doivent, au contraire, être soutenus et applaudis. C'est aussi remettre en cause la performance de ces fonctionnaires et de ces militaires qui font honneur à la République française.
J'ajoute que, malgré toutes les manifestations que nous avons connues depuis quatre ans, notamment les émeutes de novembre 2005, ce n'est pas un hasard si, à la différence de ce qui s'est passé dans nombre de pays, nous n'avons pas eu à déplorer un seul mort, que ce soit du côté des émeutiers ou du côté des forces de l'ordre.
M. Jean-Pierre Sueur. Deux jeunes sont morts !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Les forces de l'ordre françaises sont républicaines. Elles n'emploient la force que de façon légitime. À l'extérieur de nos frontières, la façon dont elles ont fait respecter l'ordre public a suscité l'admiration d'autres démocraties à travers le monde. Je tenais à le dire devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs. Parler du respect des libertés publiques, c'est aussi parler d'une police républicaine qui sait maîtriser la force légitime de la République. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. - MM. Adrien Giraud et Bernard Seillier applaudissent également.)
Nous sommes confrontés à une hausse du nombre de violences aux personnes. Il s'agit - il faut dire la vérité - non pas des violences crapuleuses, mais des violences commises à l'intérieur des familles. Sont-elles plus nombreuses ou bien des femmes battues osent-elles enfin porter plainte, alors que, pendant tant d'années, la victime s'est sentie coupable ? Peu importe ! Que l'on soit victime d'un agresseur que l'on connaît ou victime d'un agresseur que l'on ne connaît pas, le résultat est le même. Mais chacun peut comprendre que les services de police et de gendarmerie, aujourd'hui, ne sont pas adaptés pour intervenir dans une famille qui est le théâtre de violences familiales ou conjugales. Face à cette réalité douloureuse, il nous faut évoluer.
Le nombre des mauvais traitements et des violences perpétrés contre les enfants a augmenté de près de 13 % : nous ne pouvons rester sans réaction ! Là encore, on m'objecte des tabous, au nom desquels il ne faudrait pas toucher à ces problèmes.
Je me souviens du petit Nicolas, du quartier de Hautepierre, qui n'a pu être sauvé à temps du fait de l'absence de coordination entre les neuf travailleurs sociaux qui s'occupaient de sa famille, quel que soit par ailleurs le dévouement de ces personnes. Cela doit tous nous interpeller ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Adrien Giraud applaudit également.) C'est bien beau, le secret professionnel ! Mais quand il aboutit à une telle horreur, n'est-il pas légitime que le législateur comme le gouvernant s'émeuvent et se posent des questions ?
M. Jean Bizet. Absolument !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Doit-on continuer à travailler de cette manière ou faut-il changer ? Ne pas se poser la question, c'est être complice ! Se poser la question, ce n'est pas vouloir mettre en cause des tabous de notre société, c'est se demander à quoi sert que l'État, les départements et les communes dépensent tant d'argent si une mauvaise organisation permet à des enfants battus de passer au travers des mailles du filet protecteur de la société.
Il faut donc aller plus loin et essayer d'apporter des réponses adaptées. Le projet de loi que je vous présente aujourd'hui remet en cause un certain nombre de nos idées reçues. Devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite évoquer extrêmement librement ce sujet.
De grands textes, qu'on dit fondateurs, ont vieilli. C'est un véritable problème que de devoir s'incliner avec respect devant des « cathédrales juridiques », en les considérant comme des fondements de notre société, et, dans le même temps, les trouver trop fragiles pour être adaptées.
Parmi ces textes se trouve l'ordonnance du 2 février 1945, sur laquelle M. le garde des sceaux et moi-même avons beaucoup travaillé.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Remaniée vingt fois !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Nous avons essayé de rapprocher les points de vue de tous ceux qui sont en charge de la liberté et de la sécurité.
Quelle est notre idée ? Et qui pourrait la contester ? Cette ordonnance a vieilli parce qu'un mineur en 1945 n'a rien à voir avec un mineur en 2006.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est toujours un gosse !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah, oui ! Une banalité affligeante !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, rapporteur pour avis. Ce n'est pas vrai, ce n'est pas une banalité !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Mais c'est un problème réel. Un chiffre témoigne, sans aucune contestation possible, de cette réalité : la délinquance des mineurs a augmenté de 80 % sur les dix dernières années.
M. Henri de Raincourt. Absolument !
Mme Hélène Luc. On s'aperçoit que la délinquance ne baisse pas beaucoup !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Et on me propose de continuer ? Et on me dit que les textes sont adaptés ? Faut-il attendre, pour agir, que cette délinquance augmente de 160 % ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quand il n'y avait pas de portables, il n'y avait pas de vols de portables !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. La délinquance des mineurs est un problème d'autant plus considérable que ces derniers sont aujourd'hui instrumentalisés par un certain nombre de personnes majeures, qui se dénomment elles-mêmes les « grands frères », nouvelle dénomination d'un « caïdat » qui n'ose pas dire son nom. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Adrien Giraud applaudit également.)
Violences de plus en plus grandes, mineurs de plus en plus jeunes ! Qu'avons-nous essayé de faire, M. le garde des sceaux et moi-même ? C'est très simple. D'abord, proposer aux magistrats une gamme de sanctions adaptées.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Adaptées !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. En effet, entre un délinquant de treize ans et un autre de dix-sept ans, entre quelqu'un qui viole et quelqu'un qui commet une incivilité, la réponse ne peut pas être la même ! Voilà pourquoi nous avons voulu augmenter la palette des sanctions qui peuvent être apportées.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Un crime est un crime !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Nous avons également voulu agir vite, ce qui nous semble être une mesure de bon sens. En effet, un mineur convoqué à six mois pense que la société a démissionné et qu'elle n'est pas décidée à le sanctionner.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Dès six mois ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Par conséquent, pour nous, il est clair qu'il faut des sanctions différenciées et une réponse rapide de la justice.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Voilà le texte qui vous est proposé et sur lequel le garde des sceaux reviendra. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Adrien Giraud applaudit également.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, si l'on veut bien faire abstraction des procès d'intention, des clivages idéologiques et même des débats politiques qui ont toute leur place, qui peut contester ces idées ? Qui peut affirmer qu'il n'y a rien à changer, rien à faire, et que juger un mineur plus vite et en apportant des réponses plus diverses n'est pas la solution ?
Nous avons également voulu aborder un autre sujet dont on ne parle pas, mais qui est pourtant catastrophique pour notre pays, un sujet que, dans son pays, un Premier ministre socialiste a pris à bras-le-corps, je veux parler de l'absentéisme scolaire et de Tony Blair.
M. Roland Muzeau. Il est socialiste ?
Mme Hélène Luc. En tout cas, il est mal en point !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. À ma connaissance, le parti socialiste français n'est pas sorti de l'Internationale socialiste, siège aux côtés de M. Tony Blair, ne l'a jamais renié et participe aux mêmes congrès de la même organisation européenne ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Si vous aviez un désaccord, il vous suffisait de quitter cette organisation ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat rit. - Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF.) On aurait alors pu parler de cohérence !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n'est pas un meeting !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Eh bien oui, cela ne me gêne pas de dire qu'il existe des socialistes qui ont du bon sens !
M. Dominique Braye. Il y a des socialistes intelligents !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n'est pas un meeting électoral !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. L'idée est la suivante : un enfant qui ne va pas à l'école est un enfant qui ne pourra pas s'en sortir et qui n'aura pas d'avenir. C'est un enfant que vous abandonnez à la loi de la rue !
Mme Marie-France Beaufils. Mais l'école a besoin de moyens pour accueillir les enfants !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. C'est de l'abandon de personne en danger !
Par conséquent, la société française doit se poser la question : face à l'absentéisme scolaire, faut-il réagir ou démissionner ?
Mme Marie-France Beaufils. Donnez des moyens à l'école !
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Jean-Luc Mélenchon. L'absentéisme, je l'ai fait baisser, et pas avec des policiers et des gendarmes !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Réagir comment ? De la façon la plus simple, la plus mesurée et la plus raisonnable.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est un sacré moyen !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Pour bénéficier des allocations familiales, la loi prévoit qu'il convient de produire un certificat de scolarité. La question que vous pose le Gouvernement est simple : les parents d'un enfant qui ne va pas à l'école doivent-ils bénéficier d'un certificat de scolarité pour obtenir des allocations familiales servant à tout autre chose qu'à l'éducation des enfants ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF. - Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Les choses ne se passent pas ainsi !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Qu'avons-nous prévu ? La chose la plus simple et, de mon point de vue, la plus incontestable. Mais, de toute manière, nous nous expliquerons le moment venu devant les Français. Ceux qui voudront que les allocations familiales soient versées y compris à des familles ayant renoncé à ce que leurs enfants aillent à l'école, ayant démissionné de leurs responsabilités le diront aux Français. On verra alors ce que ces derniers choisiront ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Adrien Giraud applaudit également.)
M. Dominique Braye. Bravo !
Mme Hélène Luc. Sans allocations, il y a des enfants qui ne mangent pas !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Nous vous proposons de donner aux maires les informations nécessaires afin qu'il soit possible de réagir dès qu'un enfant ne va plus à l'école.
Mme Hélène Luc. Bien sûr qu'il faut réagir, mais ce n'est pas une raison pour supprimer les allocations familiales !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On stigmatise les parents !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Nous n'acceptons pas que la suppression des allocations familiales soit automatique, car il existe des familles en grande détresse sociale,...
Mme Hélène Luc. Il faut les aider !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ... à qui l'on ne peut pas faire payer les conséquences d'une détresse sociale dont elles ne sont pas responsables ; elles en sont victimes.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ah ! quand même !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Voilà pourquoi, à la différence de Mme Royal, je propose non pas la suppression automatique des allocations familiales (Rires sur les travées de l'UMP),...
M. Dominique Braye. Et pan !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ...mais seulement la possibilité de suspendre ou de mettre sous tutelle ces dernières,...
Mme Hélène Luc. On n'est pas à un meeting électoral !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ... car, moi, je sais qu'il n'est de fermeté possible que si elle est juste !
M. Dominique Braye. Bravo !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Voilà la politique du Gouvernement de la République. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF.)
Mme Hélène Luc. On est dans un meeting !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Un meeting de l'UMP !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Avec le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, Philippe Bas, nous proposons aussi de revoir la loi du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l'usage illicite des substances vénéneuses.
Voilà quelques semaines, le garde des sceaux a pointé du doigt, à juste raison, l'un des grands problèmes de la société française : la drogue. La France est devenue championne d'Europe pour la consommation de cannabis pour les moins de dix-huit ans. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Jean-Claude Carle. Exact !
M. Dominique Braye. C'est Mélenchon !
M. Charles Gautier. Doc Gynéco !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Pour ceux qui ne connaissent pas Doc Gynéco, je rappelle qu'il n'est plus mineur depuis longtemps !
M. Dominique Braye. C'est Mélenchon qui bousille notre jeunesse !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. La loi de 1970 prévoit une peine d'une année d'emprisonnement pour les consommateurs de cannabis.
Un sénateur socialiste. Aïe aïe aïe !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. J'observe d'ailleurs que jamais un gouvernement socialiste ne s'est penché sur cette législation. Cette dernière prévoit une peine tellement sévère que plus un seul tribunal de France ne l'applique !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est un maximum !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Quand la peine est à ce point disproportionnée avec le fait, elle n'est pas appliquée.
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Bien sûr !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est un maximum !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Nous cumulons donc tous les inconvénients, sans avoir aucun avantage : une loi sévère qui n'est jamais appliquée et une pratique qui permet tous les laxismes et toutes les autorisations, car c'est bien de laxisme qu'il s'agit. Résultat, il n'y a plus d'interdit social sur la consommation de drogue,...
M. Charles Gautier. Doc Gynéco !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ... et nombre de familles se trouvent désemparées devant des enfants, souvent jeunes, qui s'engagent sur le chemin de la drogue sans qu'à aucun moment la société ne prévoie une réponse adaptée.
À partir de là, quelle réponse tentons-nous d'apporter ? La réintroduction d'un interdit social adapté. Là encore, nous nous sommes demandé, avec Xavier Bertrand, comment faire comprendre aux jeunes que la notion de « drogue douce » est un contresens absolu.
M. Charles Pasqua. Très bien !
M. Jean-Luc Mélenchon. Et l'alcool ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Soit il s'agit de drogue, et, dans ce cas-là, cela ne peut pas être doux, soit c'est doux, et, dans ce cas-là, ce n'est pas de la drogue ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mais nous devons refuser l'expression « drogue douce ». Voilà la réalité ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Avec le garde des sceaux et le ministre de la santé, nous avons donc proposé une palette de sanctions...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce sont des recommandations de showbiz !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ... pour répondre à ce problème, qui est catastrophique pour la société française. Là encore, comme pour l'ordonnance de 1945, la loi de 1970 sur la consommation de stupéfiants ou la mise sous tutelle des allocations familiales, nous attendons de la Haute Assemblée qu'elle veuille bien améliorer notre texte et l'enrichir des propositions des rapporteurs ou des sénateurs.
Mais arrêtons de nous référer à des textes que nous n'appliquons plus !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Appliquons des textes applicables, apportant des réponses aux questions posées par la société française, et cheminons ensemble pour améliorer la situation plutôt que de la subir ! (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Je terminerai par deux remarques. Il faut bien quelqu'un pour coordonner la politique de prévention. C'est là un très grand débat ! Quel interlocuteur choisir ? Je sais que je m'adresse à la Haute Assemblée, qui représente les élus locaux.
Notre raisonnement a été le suivant. Il existe dans notre pays 36 500 communes. D'aucuns disent que c'est trop.
M. Henri de Raincourt. Non, ce n'est pas trop !
M. Henri de Raincourt. Voilà !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ...celui de la proximité. Qui peut, mieux que les élus locaux, connaître la réalité du terrain ?
MM. Alain Gournac et Josselin de Rohan. Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Qui va payer ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Pour parler clairement, face à des enfants qui, dans telle ou telle commune, tel ou tel quartier, tel ou tel village, sont tentés par la violence, qui peut le mieux dire avec certitude qu'il y a des problèmes ici et que, là, il n'y en a pas ? Cherchez ! La solution est toute trouvée : ce sont les élus locaux et, parmi eux, les maires ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Voilà le raisonnement qui nous a conduits à faire du maire le coordonnateur d'une politique de prévention, et cela pour une raison qui n'a rien d'idéologique.
M. Jean-Luc Mélenchon. Et les comités locaux ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. La prévention, c'est la réalité du terrain ; le maire, c'est la femme ou l'homme de terrain.
Nombre de maires avaient déjà pris les devants et n'attendaient pas que la loi les autorise à prendre certaines décisions : par exemple, organiser des rappels à la loi, un conseil des devoirs ou, tout simplement, convoquer un adolescent qui a commis une incivilité dans sa commune afin de lui faire les remontrances adaptées. Dans le projet de loi, cela est prévu, organisé, en collaboration avec le procureur de la République et le commissaire de police.
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Un certain nombre d'entre vous ont à juste titre posé la question : le maire ne risque-t-il pas de devenir un shérif, c'est-à-dire de passer de l'autre côté, celui de la sanction, et de ne plus être la femme ou l'homme de confiance à qui l'on viendra tout dire ?
Sur ce vrai sujet, permettez-moi deux remarques.
D'abord, n'ayons pas une vision déconnectée de la réalité de la situation dans notre pays. Pendant les émeutes de novembre 2005, le maire était du côté des institutions. Or toutes les institutions étaient condamnées et contestées par des individus qui ne voulaient pas se faire entendre, puisqu'ils voulaient d'abord casser.
Un sénateur socialiste. Oh là là !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Je n'ai pas observé à ce moment-là que le maire, qui était au premier rang, était traité différemment des autres institutions de la République. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais vous ne répondez pas au problème !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. De surcroît, rien dans le texte ne donne aux maires un pouvoir de sanction. Ces derniers ont seulement un pouvoir de coordination, d'information et d'intervention auprès d'institutions qui, elles, bénéficient du droit de sanction.
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Par exemple, dans vos communes, est-il normal que le maire ne soit même pas informé de la sortie d'une personne qui avait été internée dans un établissement psychiatrique ?
M. Henri de Raincourt. Exactement !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. J'ai souvenir du petit Mathias, un enfant de quatre ans et demi qui vivait dans la propriété agricole de ses parents, située dans un petit village de la Nièvre. Comme me l'a dit le maire, personne ne savait que l'individu qui a violé et noyé Mathias avait déjà été condamné deux fois pour des faits de délinquance sexuelle ! Mieux, quand, à mon arrivée, le lieutenant-colonel de gendarmerie m'a dit que l'on tenait le coupable et que ce dernier n'était pas récidiviste, il l'a précisé de bonne foi, car les condamnations avaient été, à la suite de l'amnistie, gommées, y compris du B1, le bulletin n° 1 du casier judiciaire. Voilà la réalité de notre pays !
Qui pourrait reprocher au Gouvernement...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ben voyons ! Qui le lui reproche ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ... de vouloir faire bénéficier les maires d'une information dont ils ont besoin (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Adrien Giraud applaudit également) afin qu'aucun habitant ne puisse dire : « Pourquoi l'État a-t-il laissé un monstre s'installer à côté de mes enfants, sans même en avertir les autorités de la commune ? » Voilà ce qui est en cause aujourd'hui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Qu'est-ce qu'il en fait, le maire ?
Mme Marie-France Beaufils. Oui, il en fait quoi ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Enfin, avec le maire coordonnateur, avec ce pouvoir d'information, que voulons-nous faire ? Nous voulons - et c'est à mon sens la première fois dans l'histoire de la Ve République - essayer de poser les bases d'une politique de la prévention, qui n'est pas une politique sociale.
Je m'explique : une politique sociale...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n'y a pas de politique sociale !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ... consiste à donner des indemnités à une personne au chômage,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oh ! Quelle conception de la politique sociale !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ...à accorder des prestations sociales à quelqu'un qui, malheureusement, n'a pas les moyens de faire vivre sa famille du fruit de son travail. Mais ce n'est pas avec des allocations de chômage ou le RMI que l'on détourne telle ou telle personne de la délinquance !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oh là là ! Ce n'est pas possible !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Une politique de prévention ne se limite pas uniquement à une politique sociale.
Comment détourner de la violence des jeunes qui sont tentés par cette dernière ? Avec Philippe Bas, nous nous sommes partagé la tâche, s'agissant notamment de la question extrêmement difficile des troubles du comportement d'un certain nombre de jeunes enfants.
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Cette question difficile mérite autre chose qu'une polémique stérile !
Mme Éliane Assassi. C'est vous-même qui l'avez lancée !
Mme Hélène Luc. C'est clair !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Le chef du « gang des barbares » - tel était en effet le nom que ses membres s'étaient donné -, responsable de l'abominable assassinat du jeune Ilan Halimi,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En quoi cette affaire concerne-t-elle les troubles du comportement chez l'enfant ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ...M. Fofana, était âgé de vingt-quatre ans. Or on ne devient pas un « barbare » entre vingt-trois et vingt-quatre ans ! Il a bien fallu que, dans le cheminement de ce jeune, qui habitait un quartier de la région parisienne, surviennent certains troubles, des « alertes », avant d'en venir à torturer un jeune homme qui, lorsqu'il a été relâché, portait des traces de sévices sur 80 % de son corps.
Pourtant, certains prétendent qu'il ne sert à rien de détecter des troubles du comportement au motif que ceux-ci ne mènent pas nécessairement à la délinquance. Mais si tous les enfants souffrant de troubles du comportement ne deviennent pas des délinquants, tous les délinquants ont, à un moment ou à un autre de leur adolescence, souffert de tels troubles, lancé des appels au secours, autant de souffrances qui n'ont pas été prises en compte par la société française.
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Voilà ce à quoi nous voulons mettre un terme. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. - Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
M. Guy Fischer. Vous faites des amalgames !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. J'en viens maintenant à la question de la médecine scolaire.
Au lendemain de la guerre, il était tout à fait normal de se préoccuper de la bonne croissance d'un enfant et de ses éventuels problèmes visuels ou auditifs. Qui pourrait aujourd'hui prétendre qu'il est inutile de tendre la main à un enfant qui souffre ? C'est ce en quoi consiste le dépistage des troubles du comportement. Par souci du compromis, au bon sens du terme, nous avons estimé que cette question devait être traitée par le biais d'un texte visant à la protection de l'enfance plutôt qu'à la prévention de la délinquance. Mais c'est d'un tout qu'il s'agit, et notre objectif est que les enfants en situation de souffrance n'aient pas, une fois devenus adultes, la violence comme seule réponse. (M. Pierre Hérisson applaudit.)
Quant à la question du secret professionnel, j'y ai été confronté lorsqu'il s'est agi de mettre en place les groupes d'intervention régionaux. Nous avons buté sur le problème juridique suivant, passionnant et totalement ridicule : autoriser les agents du fisc à s'affranchir du secret professionnel et à fournir des renseignements portant sur des individus notoirement connus des services de police qui, n'ayant jamais travaillé de leur vie, étaient à la tête d'un important patrimoine. Pour ma part, je considère que le secret professionnel n'a pas été institué pour que le fisc protège de tels délinquants ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Adrien Giraud applaudit également.)
Il en va de même pour les travailleurs sociaux. Le secret professionnel auquel ils sont tenus doit être absolument préservé et protégé, d'une part, parce qu'il peut être d'ordre médical, d'autre part, parce que les travailleurs sociaux ont pour rôle de consoler et d'écouter, et non d'être des auxiliaires de police. Néanmoins, ils ont pour devoir de travailler ensemble. C'est pourquoi Philippe Bas et moi-même créons la fonction de coordinateur des travailleurs sociaux. Ce dernier, également habilité au secret professionnel, aura le droit de donner au maire toutes informations qu'il estime utiles, à charge pour ce dernier d'en tirer toutes les conclusions.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais bien que ce projet de loi relatif à la prévention de la délinquance n'épuise pas toute la question,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Surtout pas celle de la prévention !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. ... laquelle est immense. Mais je suis persuadé qu'il pose les jalons d'une politique de prévention que notre pays attend depuis bien longtemps. Je ne prétends pas que nous détenons en toute chose la vérité absolue, mais nous avons essayé d'apporter des réponses adaptées aux grands fléaux de notre temps- absentéisme scolaire, consommation de drogues, délinquance des mineurs, violence des plus jeunes - pour faire comprendre à nos compatriotes qu'il n'y a pas de fatalité et que le recul de la délinquance peut être durable.
Tel est l'objet de ce texte. Le Gouvernement est bien sûr très ouvert, s'agissant des amendements.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On l'a vu !
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État. Mais ce texte mérite mieux que des polémiques corporatistes motivées par la volonté de certains de ne rien changer à leur confort, à leurs certitudes et à leurs habitudes. Nous, nous voulons que, d'ici à quelques années, la délinquance des mineurs, la proportion de drogués parmi ceux-ci, l'absentéisme scolaire diminuent, et que les moyens dont disposeront les maires pour assurer la paix, la sécurité et la tranquillité de nos quartiers, de nos villes et de nos villages augmentent.
« Faut-il vraiment présenter ce texte à huit mois d'un grand rendez-vous ? », m'a-t-on demandé. Si l'on ne doit plus proposer de textes à l'approche d'élections, nous ne ferons plus grand-chose, car des élections ont lieu tout le temps !
Il est toujours temps d'agir, et le Gouvernement estime que ce projet de loi peut être un texte fondateur pour la République française. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, messieurs les présidents de commission, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, en 2002, le Président de la République avait pris l'engagement solennel devant les Français de lutter contre la délinquance. En quatre ans, le chemin parcouru est impressionnant.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah bon !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Nous avons réussi à donner un coup d'arrêt à l'insécurité en nous dotant de moyens nouveaux et en remobilisant tous les services de l'État. (Signes de dénégation sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.) Je pense bien sûr à la police et à la gendarmerie, mais également aux magistrats, aux greffiers et aux fonctionnaires du ministère de la justice, qui ont pris toute leur part dans le rétablissement de la paix publique dans notre pays.
La politique pénitentiaire ambitieuse menée par le Gouvernement, la meilleure exécution des sanctions prononcées et les actions en faveur des victimes d'infraction ont également contribué à crédibiliser notre action contre la délinquance.
Pourtant, il nous faut aujourd'hui aller plus loin si nous voulons que la réduction de la délinquance de ces dernières années ne soit pas un feu de paille. Il faut certes sanctionner les délinquants, mais aussi chercher à éviter au plus grand nombre de le devenir.
Vous avez aujourd'hui, pour la première fois me semble-t-il, la possibilité de discuter un texte qui s'attaque aux causes profondes de la délinquance, à savoir le sentiment d'impunité, la violence gratuite et la toxicomanie.
Les principales dispositions de ce projet de loi relevant de la compétence de mon ministère visent essentiellement trois objectifs : consacrer et renforcer le rôle du ministère public dans la prévention de la délinquance ; diversifier les réponses judiciaires selon les infractions afin de mieux prévenir leur renouvellement ; enfin, mieux prévenir la délinquance des mineurs.
J'examinerai ces trois points successivement.
Premièrement, il nous faut d'abord consacrer et renforcer le rôle du ministère public dans la prévention de la délinquance.
Nul ne conteste aujourd'hui le rôle essentiel de l'autorité judiciaire au côté des préfets et des maires en matière de prévention de la délinquance. Mais ce rôle ne résultant actuellement que de la pratique et de textes réglementaires, l'absence de dispositions législatives peut laisser accroire que l'autorité judiciaire n'intervient que de façon subsidiaire.
Il convient donc de renforcer la cohérence des dispositifs judiciaires de prévention. Tel est l'objet des articles 4 et 5 du projet de loi, qui précisent notamment que le procureur général et le procureur de la République animent et coordonnent, dans le ressort de la cour d'appel et du tribunal de grande instance, la politique de prévention de la délinquance dans sa composante judiciaire.
Deuxièmement, il est nécessaire de diversifier les réponses judiciaires selon les infractions afin de mieux prévenir leur renouvellement.
Vous le savez, la lutte contre la récidive - notamment celle des criminels sexuels ou violents - est l'une de mes priorités. C'est l'objet de la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, que l'actualité nous invite malheureusement à compléter.
Une affaire récente a en effet montré l'incohérence des textes actuels. Alors qu'il avait exécuté une peine pour des faits similaires plus de dix ans auparavant, l'auteur d'un crime sexuel n'a pu être juridiquement considéré comme récidiviste parce que cette précédente condamnation avait été effacée de son casier judiciaire. C'est l'exemple que vient de citer M. le ministre d'État.
Il convient donc de faire en sorte que la loi garantisse effectivement la protection des Français en doublant le délai de réhabilitation pour les récidivistes et en maintenant les condamnations réhabilitées au bulletin n° 1 du casier judiciaire, accessibles aux seules juridictions, afin qu'elles puissent être prises en compte pour la récidive.
Le suivi des personnes inscrites au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles, le FIJAIS, doit lui aussi être encore amélioré s'agissant des criminels les plus dangereux. Je vous propose donc de prévoir la possibilité, pour les juridictions, d'imposer une présentation mensuelle devant les services de police, et non pas seulement semestrielle, dans les cas les plus graves.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et même tous les jours !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. J'ajoute que cette présentation mensuelle sera obligatoire s'il s'agit d'un récidiviste. Chaque récidive est une insulte aux victimes, et c'est en contrôlant de manière plus régulière les récidivistes que nous assurerons la tranquillité des Français.
La prévention de la délinquance implique de lutter contre la toxicomanie.
M. Charles Gautier. Doc Gynéco !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Si l'usage de drogue entraîne des dégâts considérables pour la santé de nos concitoyens, elle est également à l'origine d'une part importante de la délinquance.
La consommation de cannabis chez les mineurs a pris ces dernières années des proportions inquiétantes.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est l'échec de votre politique !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est ce que vient de confirmer la dernière enquête nationale menée auprès des jeunes participant à la journée de préparation à la défense. Près de 33 % des garçons et près de 22 % des filles âgés de seize à dix-huit ans avaient fait usage de cannabis dans les trois jours précédant leur interrogation. En outre, la consommation de la cocaïne et de l'ecstasy augmente tout en se banalisant.
L'application souple des règles actuelles, par comparaison avec la dureté du texte législatif, peut sembler paradoxale. Près de 100 000 interpellations sont réalisées chaque année pour des infractions liées aux stupéfiants, dont 90 % pour usage de cannabis. Pourtant, seules 10 000 sanctions pénales sont prononcées chaque année, dont seulement 4 000 par les tribunaux.
La plupart des procédures aboutissent en réalité au prononcé d'un « avertissement à usager », qui n'a aucun effet si l'on en croit l'augmentation du nombre d'usagers dans notre pays.
Il faut donc d'abord lutter contre le caractère virtuel des sanctions et les rendre crédibles, notamment à l'égard des consommateurs les plus jeunes.
Par ailleurs, la consommation de drogue des années soixante-dix n'a plus rien à voir avec celle d'aujourd'hui. Il s'agit non plus de lutter contre la consommation d'héroïne, mais d'éviter le développement de la consommation d'autres substances, tels le cannabis ou l'ecstasy, qui ne nécessitent ni le même traitement judiciaire ni la même prise en charge sanitaire.
J'ajoute qu'il est absolument nécessaire de mettre en oeuvre dans ce domaine un dispositif proportionné qui ne remette pas en cause la politique de réduction des risques initiée par le Gouvernement afin d'éviter la contamination des usagers de drogue par le VIH ou les hépatites.
Il nous faut simplement, d'une part, rappeler l'interdit de certaines pratiques addictives et, d'autre part, adapter nos procédures pour les rendre véritablement efficaces.
Nous avons démontré, en matière de lutte contre la violence routière, que ce type de politique permettait d'obtenir rapidement des progrès significatifs.
Je vous propose, avec le ministre de la santé, la mise en oeuvre d'une nouvelle politique répondant à l'attente de nos concitoyens.
Je souhaite, en premier lieu, que l'usage de stupéfiants ou l'abus d'alcool ne soient plus une excuse lorsqu'ils aboutissent à la commission d'une infraction.
Trop souvent, la consommation de drogues ou l'abus d'alcool sont présentés comme une circonstance atténuante par l'auteur d'une infraction, alors que ce type d'addiction est à l'origine d'un très grand nombre d'infractions. Cette période de tolérance est arrivée à son terme.
Une circonstance aggravante sera créée chaque fois qu'un individu commettra une infraction contre les personnes, sous l'emprise d'un produit stupéfiant ou en état d'ivresse manifeste.
De même, une circonstance aggravante permettra de sanctionner plus sévèrement une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public qui consomme de la drogue dans l'exercice de ses fonctions.
Enfin, il vous est proposé de créer une circonstance aggravante au délit de provocation à l'usage ou au trafic de stupéfiants lorsqu'il est commis envers un mineur, dans un établissement scolaire ou bien encore dans les locaux de l'administration.
Je souhaite, en second lieu, rendre la réponse pénale plus diversifiée et plus systématique.
C'est pourquoi je vous propose que la procédure d'ordonnance pénale soit étendue au délit d'usage de stupéfiants, afin de pouvoir traiter rapidement ce contentieux de masse.
Ainsi, dans tous les cas où des soins n'apparaîtront pas nécessaires, les magistrats du parquet pourront, après analyse de la procédure, proposer au juge de prononcer à l'encontre d'un usager une sanction mesurée et adaptée, comme une amende, sans qu'il soit besoin de tenir une audience. Les classements sans suites devraient ainsi diminuer de manière très importante.
Le ministère public pourra également recourir à l'encontre de l'usager, même si celui-ci est mineur, à une mesure de composition pénale. L'auteur de l'infraction pourra se voir signifier l'obligation de verser une amende, de réaliser un travail non rémunéré, d'exécuter à ses frais un stage de sensibilisation sur les dangers de la drogue ou une injonction thérapeutique. L'exécution des obligations mettra alors fin aux poursuites pénales.
Je souhaite, en dernier lieu, renforcer le dispositif des injonctions thérapeutiques, car un jeune qui se drogue a besoin d'être suivi médicalement.
Afin de relancer ce dispositif qui a fait ses preuves, nous avons décidé, avec Xavier Bertrand, de créer une nouvelle fonction permettant d'apaiser les appréhensions des professionnels chargés de soigner les toxicomanes et de convaincre les magistrats que ce dispositif est suivi d'effet : le « médecin-relais ». Chargé d'assurer l'interface nécessaire entre l'autorité judiciaire et les personnels de soins, il permettra notamment d'améliorer l'échange d'informations tout en respectant l'éthique de chacun.
Par ailleurs, l'injonction thérapeutique pourra être prononcée comme modalité d'exécution d'une peine. Elle prendra la forme d'une mesure de soins ou de surveillance médicale.
Une nouvelle peine imposant l'obligation de suivre un stage de sensibilisation aux dangers de la drogue sera créée, sur le modèle de ce qui a été réalisé dans le domaine de la sécurité routière.
Le champ de l'injonction thérapeutique sera étendu aux personnes ayant commis une infraction dont les circonstances révèlent une addiction aux boissons alcooliques. En effet, certains actes de délinquance, notamment les violences ou les infractions de nature sexuelle, sont la conséquence de l'abus répété d'alcool. L'injonction pourra, dans ce cas-là, permettre de traiter chez un alcoolique les causes de la délinquance, afin d'éviter son renouvellement.
La diversification de la réponse pénale suppose également d'améliorer les peines existantes et de créer de nouvelles peines.
S'agissant des peines existantes, il convient de donner un nouvel élan à la peine de travail d'intérêt général, ou TIG. Une telle peine donne au condamné une chance réelle de briser le cercle vicieux de la délinquance. Mais elle ne peut actuellement être exécutée que dans des administrations publiques ou dans des associations habilitées.
Ainsi, le nombre de TIG « offerts » aux condamnés est inférieur à la « demande ». Est ainsi prévue la possibilité d'accomplir des TIG au sein de personnes morales de droit privé exerçant des missions de service public, comme les bailleurs sociaux - HLM - ou les entreprises de transports en commun. (M. Jacques Mahéas s'exclame.)
S'agissant des nouvelles peines, le projet de loi crée la sanction-réparation, qui obligera le condamné à indemniser sa victime sous le contrôle du procureur de la République ou de son représentant. Son non-respect sera sanctionné par une peine d'emprisonnement dont la durée aura été préalablement fixée par la juridiction de jugement.
Enfin, le projet de loi institue une peine de stage de responsabilité parentale qui permettra de responsabiliser les parents de délinquants éprouvant des difficultés dans l'éducation de leurs enfants et de leur venir en aide.
Troisièmement, il est nécessaire de mieux prévenir la délinquance des mineurs.
La lutte contre la délinquance des mineurs constitue actuellement une priorité que les magistrats ont prise en compte, en s'efforçant d'apporter une réponse pénale à la fois systématique, rapide et graduée.
Ainsi, en 2005, plus de 168 000 affaires concernant les mineurs ont été traitées par l'ensemble des parquets. Le taux de réponse pénale est en constante progression : de 77,7 % en 2000, il est passé aujourd'hui à 87,4 %. En particulier, depuis 2002, les mineurs délinquants sont pris en charge au sein de centres éducatifs fermés, les CEF, qui ont déjà fait la preuve de leur efficacité.
Dix-sept centres sont actuellement en fonction, accueillant 150 mineurs en permanence, et quarante-six CEF seront ouverts d'ici à la fin de 2007. L'engagement du Président de la République a donc été tenu.
Mais il reste encore beaucoup à faire, car le nombre de mineurs mis en cause par les services de police et de gendarmerie a augmenté de 4,9 % en 2005. Notre justice des mineurs est ainsi confrontée à trois défis essentiels : une violence parfois encouragée par un sentiment d'impunité ; une violence commise par des jeunes qui ne comprennent pas que leurs actes sont répréhensibles ; enfin, une violence gratuite, qui est propre à des jeunes ayant perdu leurs repères.
Nous ne pouvons accepter qu'un simple regard entraîne un déchaînement de violence insupportable. Nous ne pouvons tolérer certaines pratiques, où la violence devient un jeu et l'humiliation de la victime, filmée par des complices, un objectif en soi. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)
Je suis convaincu qu'il faut faire évoluer le droit et l'adapter aux nouvelles formes de délinquance des mineurs. Mais il faut en même temps respecter les grands principes de l'ordonnance du 2 février 1945, notamment la spécialisation de la justice des mineurs, dont le Conseil constitutionnel a rappelé la valeur constitutionnelle dans sa décision du 29 août 2002.
J'ai souhaité agir sur trois fronts, qui correspondent à des phases décisives du processus pénal : en développant les alternatives aux poursuites dès la commission de l'infraction, en facilitant la procédure de jugement à délai rapproché, en améliorant l'exécution des peines et en favorisant l'insertion des mineurs.
Avant la phase de jugement, il faut que le parquet puisse développer encore davantage les alternatives aux poursuites, qui permettent d'éviter les classements « secs ». La composition pénale, applicable jusqu'à présent aux majeurs, le sera aux mineurs âgés de treize à dix-huit ans. Le procureur de la République, lorsque les faits seront reconnus, proposera aux mineurs une mesure qui devra être validée par le juge des enfants. Le parquet recueillera le consentement du mineur et de ses représentants légaux.
Il faut que les magistrats puissent placer plus facilement sous contrôle judiciaire les jeunes délinquants âgés de treize à seize ans non connus. Actuellement, seuls les multirécidivistes peuvent faire l'objet d'un contrôle judiciaire avec obligation de placement dans un CEF.
Lorsque la peine encourue sera de sept ans d'emprisonnement, les mineurs sans antécédents pourront désormais être astreints à des obligations du contrôle judiciaire. Deux nouvelles formes de contrôle judiciaire sont prévues : l'accomplissement d'un stage de formation civique et le suivi régulier de la scolarité ou d'une formation professionnelle. Ils seront placés dans un établissement de la protection judiciaire de la jeunesse et seront sanctionnés par un placement dans un CEF, s'ils ne respectent pas leurs obligations. Je précise que ces mesures sont ardemment souhaitées par les magistrats, en particulier les juges des enfants, qui m'ont alerté sur ce point à plusieurs reprises.
Pendant la phase d'audiencement et de jugement, la fin de l'impunité passe par des procédures judiciaires plus rapides. La présentation immédiate des mineurs âgés de seize à dix-huit ans sera donc mise en oeuvre, encadrée par des conditions précises.
Je suis persuadé qu'il faut rendre encore plus efficace la procédure de jugement à délai rapproché, validée par le Conseil constitutionnel, et inciter les magistrats à y recourir plus fréquemment. C'est pourquoi j'ai souhaité que le quantum des peines permettant de recourir à cette procédure soit abaissé de trois à un an en cas de récidive et de cinq à trois ans dans les autres cas.
Actuellement, un mineur dispose d'un délai de dix jours à un mois avant sa comparution devant le tribunal pour enfants. Je vous propose qu'il ait la possibilité d'y renoncer, ce qui permettra de le juger à la première audience utile. Ainsi, un mineur interpellé le matin pourra comparaître dans l'après-midi si le tribunal pour enfants est en mesure de se réunir et si l'enfant et ses parents sont d'accords.
Dans le domaine des sanctions éducatives et des mesures éducatives, nous devons donner aux mineurs qui comprennent la gravité de leurs actes la possibilité de rompre avec l'entourage des bandes qui exercent sur eux une influence néfaste.
Les sanctions éducatives qui peuvent être prononcées pour les jeunes âgés entre dix et dix-huit ans seront élargies, notamment en prévoyant le placement du mineur dans une structure éloignée du contexte criminogène où il se trouve. Les violences urbaines de novembre dernier nous ont démontré à quel point une telle mesure était nécessaire.
Parallèlement, les admonestations et les remises à parents seront limitées. Chacun sait que le prononcé de mesures d'admonestation à répétition n'a pas grand sens et contribue à développer le sentiment d'impunité chez les mineurs. Il faut donc en limiter le nombre, car la crédibilité de la réponse judiciaire en dépend. Le projet de loi prévoit que, lorsque les mineurs ont déjà fait l'objet d'une admonestation ou d'une remise à parents pour une infraction identique commise moins d'un an avant la nouvelle infraction, celles-ci ne pourront à nouveau être prononcées.
Enfin, une mesure éducative de jour sera créée. La réinsertion des jeunes passe par l'insertion professionnelle. C'est en donnant aux jeunes le goût du travail et de l'effort, seul gage de réinsertion, que la délinquance pourra être stoppée. L'obligation de suivre une mesure d'activité de jour prend en compte cet impératif.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte est le fruit d'un travail interministériel de plusieurs années. La concertation avec tous les partenaires impliqués dans les politiques de prévention de la délinquance a été intense. De multiples expérimentations ont été mises en oeuvre dans les quartiers les plus difficiles de notre pays. Des efforts importants en matière d'urbanisme et d'égalité des chances ont été faits.
Je crois que le projet de loi que nous vous proposons aujourd'hui permettra d'améliorer significativement le dispositif de lutte contre la délinquance. Il complétera utilement les textes adoptés ces dernières années dans le domaine de la justice et de la sécurité et permettra ainsi aux Français de bénéficier durablement de la sécurité retrouvée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaiterais commencer mon intervention en attirant votre attention sur un certain nombre des remarques qu'ont formulées les très nombreuses personnalités - plus de soixante - issues de tous les secteurs intéressés par la prévention de la délinquance à l'occasion des auditions auxquelles j'ai procédé en qualité de rapporteur de la commission des lois et en présence de nombreux collègues.
Je n'avais pas oublié les propos décapants tenus en 2002 par Alain Bauer, spécialiste reconnu des problèmes de sécurité, devant la commission d'enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs, présidée par Jean-Pierre Schosteck et dont Jean-Claude Carle était le rapporteur.
Je vous en propose un rapide florilège : « La prévention en France n'a pas échoué. Pour échouer encore faudrait-t-il qu'elle existe.
De même, la sanction n'existe pas non plus. La France est le grand pays de l'impunité où le taux réel d'intervention, le taux d'élucidation de la police comme le taux de poursuites par les parquets, est infinitésimal.
Le taux de productivité du système judiciaire français est de 1 %. Tel est le pourcentage des peines qui sont prononcées et exécutées en France par rapport au nombre d'actes recensés.
On parle de violence et de sécurité alors qu'on ne les connaît pas, il faudrait commencer par établir un diagnostic ».
J'ai donc entendu à nouveau M. Bauer, devenu le président de l'Observatoire national de la délinquance. Il estime aujourd'hui que la volonté de connaissance des chiffres de la délinquance est un fait acquis, illustré notamment par le financement d'enquêtes auprès des victimes. Le diagnostic peut donc être plus précis et conduit à constater, par exemple, que les délinquants mineurs n'ont jamais été aussi jeunes, aussi réitérants, aussi violents et aussi féminisés, ce que confirment par ailleurs les données fournies par le ministère de la justice, qui, pour l'année 2005, recense 193.663 mineurs, sur un total de 800.000 mis en cause, soit près de 25 %.
Il note enfin deux évolutions intéressantes. Les violences non crapuleuses, celles qui n'ont pas pour objet principal l'accaparement d'un bien, augmentent de deux à trois fois plus vite que les violences crapuleuses, ce qui semble bien exiger une réponse éducative et sociale, et pas seulement policière. Quant au taux d'élucidation, il a beaucoup progressé, passant de 26 % à 33 %.
J'ai entendu, bien sûr, les principales associations de maires, qui, sans donner un blanc-seing au projet de loi dans son ensemble, expriment cependant un large consensus sur le fait de placer le maire au coeur de la prévention.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Oui !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Selon les uns, « il est le seul à pouvoir fédérer ». Selon les autres, « la commune est le lieu où le civisme est sensible au coeur ; c'est un lieu naturel d'éducation aux valeurs civiques ». Cette dernière expression de l'un des dirigeants de l'Association des maires ruraux de France n'est pas sans rappeler celle de Tocqueville : « la commune, école de la démocratie ».
Les dispositions relatives au secret partagé ou au rappel à l'ordre sont généralement appréhendées par les maires de manière positive.
Les craintes, car elles existent, portent notamment sur les risques de mettre en cause la responsabilité des élus locaux et de compromettre la fonction symbolique du maire, en faisant de lui le premier maillon d'un appareil répressif ou, à tout le moins, en le faisant entrer dans la mêlée. C'est l'idée du « maire fouettard », que rejettent les associations d'élus. À l'évidence, une question récurrente est celle des moyens, avec le souhait de mise en place d'un fonds interministériel, souhait que traduit l'un des amendements de la commission des lois.
Je dois à la vérité de dire que l'opinion des représentants de l'Assemblée des départements de France se révèle parfois plus critique, certains allant jusqu'à remettre en cause le rôle pivot du maire dans la prévention de la délinquance et s'inquiétant des risques de contradiction entre le présent texte et le projet de loi réformant la protection de l'enfance, adopté récemment par le Sénat en première lecture.
Deuxième axe fondamental du projet de loi, le souci de mieux agir contre la délinquance des mineurs a suscité des réactions contrastées.
Pour les uns, il ne faut pas toucher à l'ordonnance de 1945 ou, à tout le moins, il convient de laisser aux réformes issues des lois « Perben I » et « Perben II » le temps d'être évaluées.
Pour les autres, le projet de loi s'arrête au milieu du gué et il faudrait aller au-delà en réécrivant totalement une véritable charte pour l'enfance, rompant avec la complexité et le caractère obsolète de nombreuses notions contenues dans l'ordonnance de 1945. Pour ceux-là, il serait nécessaire de faire écho aux grands principes modernes qui inspirent les textes internationaux auxquels la France a souscrit - proportionnalité de la sanction, égalité des chances, non-discrimination, intérêt supérieur de l'enfant -,...
M. Robert Badinter. Très juste !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. ...tout en préservant les principes fondateurs de spécificité de la justice des mineurs, consacrés par le Conseil constitutionnel.
M. Robert Badinter. Voilà ! C'est ce que nous demandons !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Les dispositions relatives à l'hospitalisation sous contrainte ont suscité deux critiques exprimées de manière très forte, même si elles portent davantage sur la forme que sur le fond.
M. Jacques Mahéas. Sur les deux !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Tout d'abord, les malades et leur famille se sont émus de l'insertion de dispositions concernant l'hospitalisation d'office dans un projet de loi portant sur la prévention de la délinquance et ils ont exprimé la crainte d'une certaine stigmatisation des malades mentaux.
De manière plus générale encore, s'est exprimé le regret du caractère partiel de la réforme, qui ne traite que de l'hospitalisation d'office, alors que c'est une révision d'ensemble de la loi du 27 juin 1990 sur l'hospitalisation sous contrainte qui est espérée et attendue.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Enfin, les réactions aux mesures de lutte contre la toxicomanie ont également laissé place à des appréciations divergentes. Les uns s'interrogent sur la pertinence d'une répression accrue, les autres interprètent la mise en avant de la composition pénale et de l'ordonnance pénale comme une avancée vers la contraventionnalisation de l'usage simple de produits stupéfiants.
L'impuissance de la loi du 31 décembre 1970 repose sur une extrême sévérité qui n'est manifestement plus adaptée aux réalités et la rend donc largement inapplicable. Il convient de sortir de cette impasse pédagogiquement absurde par la mise en place de sanctions systématiques, mais graduées et comprises.
Les auditions ont donné lieu à bien d'autres observations, tant le projet de loi vise à appréhender la prévention dans toutes ses dimensions et pas seulement sous l'angle de la sécurité. Nous aurons l'occasion d'y revenir au cours de l'examen des articles.
Je voudrais maintenant vous faire part, monsieur le ministre d'État, messieurs les ministres, mes chers collègues, des convictions que je me suis forgées après avoir largement écouté, entendu, les uns et les autres - maires, présidents de conseils généraux, travailleurs sociaux, psychiatres, magistrats, policiers, associations, universitaires et services ministériels.
Je ne crois pas que la multiplication des acteurs de la prévention de la délinquance engendrera la confusion. Il nous faut sortir de l'illusion d'une réponse simple et unique aux problèmes de notre société et nous ne devons pas craindre la multiplicité des dispositifs si elle permet, dans la cohérence et la coordination, de répondre aux besoins de la population.
En outre, il convient de rester cohérent avec les choix qui ont façonné la carte administrative de notre pays. Avec 36 500 communes, nous ne sommes pas loin de compter autant de collectivités de proximité que l'ensemble de nos partenaires de l'Union européenne. Contrairement à ce qui s'est passé dans nombre d'États limitrophes, les fusions de communes se sont soldées en France par un échec sans appel. Il n'est que de comparer les ambitions de la loi du 16 juillet 1971 à la rareté de son application pour s'en persuader.
Le développement de la coopération intercommunale a achevé de convaincre la grande majorité d'entre nous, bien au-delà des clivages politiques, du fait que ces 36 500 communes étaient irremplaçables, assuraient un maillage remarquable de notre territoire et constituaient une chance pour notre pays.
À leur tête, investi de pouvoirs propres de police, le maire bénéficie d'une forte autorité morale à laquelle sa proximité confère un aspect quasi paternel ou familial. Nous ne pouvons, à la fois, revendiquer cet héritage de l'histoire - la Révolution française décida de créer 44 000 communes autour de leurs clochers - et refuser d'en tirer les conséquences concrètes pour l'amélioration de la vie quotidienne de nos concitoyens. Le rôle du maire, comme pilote de la prévention de la délinquance, pourrait donc faire consensus et imposer que le maire puisse recueillir toutes informations nécessaires à cette fin.
Notre pays a multiplié les niveaux de collectivités, permettant ainsi une appréhension plus fine de la réalité, mais assumant aussi le risque de chevauchements de compétence.
Le projet de loi prend acte de cette diversité, et c'est collectivement que l'ensemble des partenaires compétents, avec leurs spécificités, se doit d'apporter la réponse la plus adaptée.
Cette réforme se heurte - ne nous y trompons pas - à des résistances culturelles. Aujourd'hui, les travailleurs sociaux ne sont pas naturellement tournés vers le partage d'informations : police et équipes de prévention, tout comme élus locaux et autorités judiciaires, éprouvent encore bien des difficultés à se comprendre ; collectivités territoriales et État s'inscrivent plus souvent dans une logique de surveillance que de confiance. La finalité de tous ces acteurs et leur raison d'être sont pourtant les mêmes, celles de l'intérêt général et du service rendu à la population.
Chaque acteur - maire, département, procureur de la République, autorités organisatrices de transports, éducation nationale, région, État - devra contribuer à la prévention de la délinquance, comme chaque citoyen, ou plutôt, si vous acceptiez l'un des amendements de la commission, comme chaque personne de bonne volonté, quelle que soit sa nationalité, qui exprimera le souhait d'intégrer le service volontaire citoyen de la police nationale.
Comment ne pas approuver un dispositif qui consiste à régler dans la proximité la plus immédiate les innombrables problèmes qui peuvent y trouver remède ?
Si l'accompagnement parental permet d'éviter le contrat de responsabilité parentale ou si le rappel à l'ordre permet d'éviter le rappel à la loi, qui pourrait s'en plaindre ?
Sur la réforme des régimes d'hospitalisation sous contrainte des personnes atteintes de troubles mentaux, l'audition des ministres par les commissions des lois et des affaires sociales a permis, me semble-t-il, d'apporter tous les apaisements nécessaires.
D'une part, le projet de loi ne traite que des enjeux d'ordre public soulevés par la maladie mentale. Il met fin à la confusion qui sévit aujourd'hui entre hospitalisation d'office et hospitalisation sur demande d'un tiers, avec toutes les conséquences fâcheuses qu'elle comporte, comme il supprime la possibilité pour le maire d'hospitaliser sous contrainte en cas de danger attesté par la seule notoriété publique.
D'autre part, Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, s'est engagé, lors de son audition, à ouvrir le chantier d'une révision des dispositions existantes, en tenant compte des différentes recommandations formulées par les missions d'inspection conduites sur la loi du 27 juin 1990.
L'attente d'une réforme globale de l'hospitalisation sous contrainte ne devrait donc pas être déçue.
Quant à l'harmonisation des réformes en cours, s'agissant notamment de la cohérence nécessaire entre ce projet de loi et le texte réformant la protection de l'enfance, elle relève désormais du travail parlementaire. Un certain nombre d'amendements que je vous proposerai, au nom de la commission des lois, n'ont pas d'autre fin.
Je me permettrai d'ajouter que protection de l'enfance et prévention de la délinquance ne recouvrent ni les mêmes sujets ni les mêmes problématiques. S'il peut arriver que certaines préoccupations se croisent, pourquoi ne pas considérer simplement le texte réformant la protection de l'enfance comme une loi spéciale qui dérogera, sur ce point, au présent projet de loi relatif à la prévention de la délinquance ?
Enfin, en améliorant l'efficacité du dispositif de l'injonction thérapeutique par son élargissement à tous les stades de la procédure ainsi qu'aux mineurs, en ouvrant la possibilité de la prononcer dans le cadre d'une composition pénale, le projet de loi rénove les mesures de lutte contre la toxicomanie.
De la même manière, il adapte les dispositifs relatifs à la délinquance des mineurs afin de les rendre à la fois cohérents et opérationnels, face à la mutation considérable de cette délinquance et au défi qu'elle lance à la société tout entière.
Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi ne relève pas de l'improvisation : en préparation depuis trois ans, il a donné lieu à une très large concertation avec les associations d'élus et les travailleurs sociaux.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mieux vaut tard que jamais !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. S'agissant du rôle rénové accordé au maire, j'avoue avoir été impressionné de constater le sentiment favorable de l'ensemble des associations d'élus que j'ai eu l'honneur d'auditer, ...
M. Guy Fischer. Cela ne va pas durer !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. ...à savoir l'Association des maires de France, l'Association des maires ruraux de France, l'Association des petites villes de France, la Fédération des maires des villes moyennes, l'Association des maires des grandes villes de France, l'Association des maires de l'Île-de-France.
De même, bien qu'ils eussent sans doute préféré l'expérience du président du conseil général à la proximité du maire, les travailleurs sociaux ont unanimement reconnu le chemin parcouru entre les avant-projets et le projet définitif, dans le souci d'aboutir à une réforme efficace, respectueuse des méthodes de travail et de la déontologie des uns et des autres.
Enfin, ce qui me semble marquer le plus profondément ce projet de loi, c'est le souci du pragmatisme, de la réalité du terrain. À l'opposé des querelles idéologiques, cette réforme s'appuie sur l'expérience des élus locaux et sur les résultats de l'expérimentation menée depuis trois ans dans de nombreux quartiers pilotes en proie à des difficultés de toutes natures.
Consacrer dans la loi les initiatives, les innovations qui ont réussi, généraliser les bonnes pratiques plutôt que s'obstiner à forcer la réalité à entrer dans des schémas théoriques, c'est aussi ce qui donne à ce projet de loi un éclairage particulier et laisse espérer que les résultats seront à la hauteur des ambitions.
Ce texte doit nous permettre de sortir enfin du faux débat, aussi idéologique que réducteur et qui a la vie dure, qui voudrait opposer la sanction et l'éducation,...
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. ...la prévention et la répression, alors que toute action efficace en ce domaine doit de toute évidence conjuguer ces différents aspects.
Avec ce projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, que votre commission des lois a tenté d'améliorer encore par le dépôt de nombreux amendements et qu'elle propose avec conviction au Sénat d'adopter, c'est une nouvelle page qui peut désormais s'écrire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, rapporteur pour avis. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, messieurs les ministres, mes chers collègues, lors de l'examen au Sénat du projet de loi réformant la protection de l'enfance, en juin dernier, nous avions été nombreux à évoquer le dépôt prochain d'un texte relatif à la prévention de la délinquance, susceptible de recouper plusieurs de ses dispositions. Pour ces raisons, je m'étais engagé à ce que la commission des affaires sociales se saisisse pour avis de ce projet de loi lorsqu'il serait déposé, puisque son examen au fond relevait logiquement de la compétence de la commission des lois.
C'est chose faite, et il est incontestable que ce texte comprend un important volet sanitaire et social. Celui-ci est organisé autour de quatre thèmes : l'action sociale en faveur des familles en difficulté ; la sécurité en matière d'habitat et d'urbanisme ; la prise en charge des personnes présentant des troubles mentaux dangereux ; la lutte contre la toxicomanie ; toutes matières relevant de notre champ d'intervention.
À titre liminaire, je souhaite insister sur deux points.
D'abord, la commission des affaires sociales souscrit entièrement aux objectifs affichés par le présent projet de loi pour ce qui est de la prévention de la délinquance. Elle en approuve également la disposition fondamentale, qui consiste à confier au maire un rôle de chef de file en la matière. Du fait de sa proximité avec les citoyens et compte tenu des pouvoirs de police que lui confère déjà la loi, il est évidemment le mieux placé pour assumer cette mission Je voulais que ce point soit très clair, afin que la suite de mes observations soit bien comprise.
Ensuite, l'objectif que s'est fixé la commission, en tant que commission saisie pour avis, était d'assurer la plus grande cohérence possible entre le présent projet de loi et les textes relevant de sa compétence que le Sénat a récemment votés, qu'il s'agisse de la loi pour l'égalité des chances, de la loi portant engagement national pour le logement, ou du projet de loi réformant la protection de l'enfance. C'est à cette lumière qu'il convient d'examiner les amendements qu'elle propose.
J'en viens maintenant aux observations de la commission sur les différentes thématiques sociales abordées dans le texte.
S'agissant du chapitre « Dispositions de prévention fondées sur l'action sociale et éducative », la commission des affaires sociales comprend et partage les préoccupations du Gouvernement sur la nécessité de mieux coordonner les interventions auprès des familles et des personnes en difficulté, et sur l'indispensable amélioration de la circulation de l'information entre les travailleurs sociaux. Nous avons tous connaissance de drames qui auraient pu être évités si les différents professionnels engagés auprès de la famille avaient eu la volonté, mais aussi les outils nécessaires pour croiser leurs approches et organiser ensemble leurs actions.
Je m'interroge toutefois sur la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités opérée dans le présent texte.
En effet, est confié au maire le soin de désigner le coordonnateur de l'action sociale, alors que, d'une manière générale, la coordination de l'action sociale relève, et ce depuis les premières lois de décentralisation, du conseil général, compétence que celui-ci exerce d'ailleurs d'une manière plus qu'honorable. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)
Or, je ne voudrais pas que le projet de loi conduise à une confusion des rôles : si le maire est en effet le mieux placé pour coordonner les actions relatives à la sécurité et à la prévention de la délinquance à l'échelon local, il n'en va pas de même en matière d'action sociale,...
Mme Éliane Assassi. Ah non !
M. Guy Fischer. Vous avez raison !
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. ... la plupart des moyens d'intervention ne relevant pas de la commune. Et, si l'on veut bien en revenir à la lettre de l'article 5, on constate que ses dispositions, bien qu'elles soient insérées dans un texte intitulé « prévention de la délinquance », concernent de façon éminente l'action sociale, dont les objectifs ne sauraient se réduire à des considérations sécuritaires. (Approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Cela dit,...
M. Jacques Mahéas. Et bien dit !
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. ... je comprends le souci du Gouvernement de vouloir associer le maire à la coordination de l'action sociale, car il est souvent le premier informé et le premier sollicité pour remédier aux situations difficiles.
M. Robert Bret. Le premier engueulé, aussi !
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. C'est également vrai, monsieur Bret ! (Sourires.)
On peut y parvenir, je le crois, sans pour autant laisser le département sur la touche, et le projet de loi lui-même en fait la démonstration. En effet, son article 2 organise de nouvelles modalités de délégation de compétences de l'action sociale, du président de conseil général vers le maire. Sur le même schéma, il n'est pas illogique de prévoir que le coordonnateur de l'action sociale auprès des familles sera désigné par le président du conseil général, mais que celui-ci peut choisir de déléguer cette compétence au maire.
Si le Sénat ne retient pas cette solution,...
M. Michel Mercier. Ce serait étonnant !
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. On ne peut le dire à l'avance !
Si le Sénat, donc, ne retient pas cette solution, il me semble qu'il faudrait, pour que le dispositif proposé dans le projet de loi fonctionne en pratique, prévoir la désignation conjointe du coordonnateur par le maire et le président du conseil général, de façon à concilier et valoriser à la fois la compétence de principe du département et la connaissance du terrain qu'a le maire.
Il faudrait également prévoir l'accord de l'autorité hiérarchique du travailleur social pressenti pour assurer la coordination, car celui-ci peut relever, selon les cas, non seulement des services départementaux - 80 % des travailleurs sociaux - ou communaux - 4 % -, mais aussi des caisses d'allocations familiales ou d'associations. Une bonne organisation du travail suppose donc qu'y soit également associé le responsable du service concerné.
Ma deuxième observation porte sur la sécurisation des règles de partage d'informations entre travailleurs sociaux intervenant auprès d'une même famille, qui me paraît essentielle.
La commission des affaires sociales n'est pas opposée au principe du partage d'informations, y compris confidentielles, dès lors que celui-ci se fait dans l'intérêt des familles. Elle a d'ailleurs soutenu des dispositions de ce type, souvenez-vous, mes chers collègues, à l'occasion de la discussion du projet de loi réformant la protection de l'enfance.
Mais le texte proposé ici soulève quelques difficultés. D'abord, il est ambigu sur la nature des informations susceptibles d'être partagées. Ensuite, il ouvre la possibilité de communiquer des données confidentielles à des professionnels non soumis au secret professionnel. Enfin, et cela pourrait être plus gênant encore, il diffère sensiblement de celui qui avait été retenu dans le cadre de la protection de l'enfance, alors qu'il s'adresse, globalement, aux mêmes travailleurs sociaux. Comment ceux-ci pourront-ils distinguer entre ce qui relève de la protection de l'enfance et ce qui relève de l'action sociale générale au moment de procéder aux échanges d'informations ? Je ne serais pas étonné que, ne sachant à quelle procédure se référer, certains travailleurs sociaux limitent la communication, pour respecter leur déontologie et ne pas heurter la confiance des familles. Ce serait à l'opposé de l'effet que nous recherchons.
La commission des affaires sociales avait longuement travaillé sur cette question du secret professionnel partagé lors de la discussion du projet de loi réformant la protection de l'enfance. Elle s'est donc inspirée de ce modèle pour les amendements qu'elle proposera.
Parmi les mesures de coordination nécessaires, il en est une qui se rapporte au contrat de responsabilité parentale que nous avons créé, en mars dernier, dans la loi pour l'égalité des chances, mais qui n'a pas encore eu le temps de faire ses preuves, le décret d'application ayant été publié le 1er septembre 2006. Or le présent projet de loi institue à son tour un dispositif d'accompagnement parental qui, sans le remplacer, lui ressemble étrangement, à cette nuance près qu'il relève du maire et non du président du conseil général.
Ce doublon ne nous semble pas utile. Il serait bien plus efficace d'encourager la montée en charge du contrat de responsabilité parentale en prévoyant, ici aussi, la possibilité de déléguer au maire le soin de le proposer et de le conclure. Mais je n'en ferai pas un point de querelle !
J'aborderai rapidement le deuxième volet du projet de loi, qui se rapporte à la sécurisation des espaces collectifs et des logements. Deux mesures susceptibles d'améliorer le cadre de vie des habitants nous sont proposées : la réalisation d'une étude préalable de sécurité publique pour les projets d'urbanisme de grande ampleur ; la fixation de nouvelles règles de majorité pour les décisions des copropriétés portant sur la réalisation de travaux de sécurité dans les parties communes et sur la définition des modalités d'ouverture des halls d'immeubles. Nous y sommes favorables.
Le troisième volet du projet de loi, consacré à la prise en charge sanitaire des individus atteints de troubles psychiatriques, a particulièrement retenu notre attention. La commission des affaires sociales, dans son ensemble, soutient les dispositions qui sont proposées. Elle émet toutefois quelques réserves, même si elle a bien compris les intentions du Gouvernement et sa volonté d'avancer rapidement sur ce sujet difficile.
Tout d'abord, n'est-il pas singulier que des mesures concernant la prise en charge sanitaire des malades mentaux figurent dans un texte consacré à la prévention de la délinquance ? Nous avons bien compris que c'est l'urgence de l'action qui a commandé cette insertion.
M. Robert Bret. Cela rappelle des choses !
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Il en résulte cependant un amalgame, qui n'est certainement pas souhaité, entre les personnes volontairement impliquées dans des troubles à l'ordre public et les malades mentaux en situation de grande détresse.
Il aurait été préférable que ces dispositions fassent l'objet d'un texte spécifique portant à la fois sur l'hospitalisation d'office et sur l'hospitalisation sans consentement.
M. Guy Fischer. C'est vrai !
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. En traitant l'une sans l'autre, cette réforme risque de rester au milieu du gué et, peut-être, de créer des confusions.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. La législation française relative à l'hospitalisation sans consentement a pour objet, rappelons-le, de concilier efficacement des principes parfois contradictoires : la prise en charge sanitaire des malades mentaux, le respect de leur dignité et de leur liberté individuelle, mais aussi le maintien de la sécurité publique.
Ce système peine à trouver son équilibre entre une logique purement sanitaire et les impératifs d'ordre public. En mai 2004, un rapport conjoint des inspections générales de l'administration, de la police nationale et de la gendarmerie nationale a montré qu'il peut y avoir confusion dans l'application des procédures d'urgence, et certaines personnes dangereuses sont souvent prises en charge en hospitalisation libre ou à la demande d'un tiers, ce qui est moins contraignant. Par ailleurs, les informations parfois lacunaires transmises par les DDASS n'aident pas les préfets à exercer leur mission en matière d'hospitalisation d'office. Enfin, il faut le reconnaître, la psychiatrie actuelle semble désormais peu favorable à l'internement.
M. Robert Bret. Comme la majorité des professionnels !
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Cela étant, les mesures proposées dans le projet de loi ont leur utilité. Nous en avons donc approuvé le contenu, sous réserve de quelques points à préciser, notamment pour ce qui concerne le rôle dévolu aux directions départementales de l'action sanitaire et sociale dans l'accompagnement social des personnes hospitalisées d'office.
J'en arrive au dernier thème du texte : l'injonction thérapeutique. Cette formule, qui permet au procureur de ne pas poursuivre un consommateur de stupéfiants s'il accepte de se faire soigner, a été créée dans une loi de 1970, mais elle est tombée en désuétude en raison des réticences du corps médical à soigner sous la contrainte.
Il est proposé de réhabiliter cette injonction à chaque niveau de la procédure judiciaire et d'instituer des sanctions renforcées pour les usagers de drogues qui exercent des responsabilités professionnelles particulières. Nous avons pleinement souscrit à ce double objectif, et nous présenterons quelques améliorations susceptibles de rendre le texte plus complet.
Mes chers collègues, vous l'avez compris, la commission des affaires sociales approuve largement les dispositions dont elle s'est saisie et qu'elle a étudiées dans un souci d'efficacité et de cohérence avec la législation existante.
J'espère, monsieur le ministre d'Etat, que le débat qui va suivre permettra à chacun d'apporter sa contribution, dans le respect des différentes sensibilités et l'écoute de nos expériences respectives. D'ores et déjà, qu'il me soit permis de souligner le fructueux travail de collaboration mené avec la commission des lois, notamment avec son rapporteur, Jean-René Lecerf. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, messieurs les ministres, si l'intitulé du projet de loi que nous examinons peut paraître un peu réducteur, il a le mérite de balayer l'ensemble de la matière d'une manière concrète et d'apporter des solutions pragmatiques à la prévention de phénomènes que la justice et les forces de sécurité, seules, ne parviendront pas à résoudre.
Ce texte, on l'a répété, loin de résulter d'un travail improvisé, est le fruit d'une réflexion approfondie, et son caractère interministériel n'aura échappé à personne. (Ah bon ? sur les travées du groupe CRC.)
Sans cela, il n'y aurait pas autant de ministres, et non des moindres, présents dans cet hémicycle !
Mme Éliane Assassi. C'est un peu facile !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Après l'excellent rapport de Jean-René Lecerf et le rapport pour avis de Nicolas About, qui nous ont exposé les enjeux du projet de loi, je ne m'attacherai qu'à formuler quelques observations sur divers points de cette réforme ambitieuse : le rôle des maires, les hospitalisations d'office et la prévention de la délinquance des mineurs.
Sur ce dernier point en particulier, mes observations se référeront aux travaux de la commission d'enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs que présidait notre collègue Jean-Pierre Schosteck et dont le rapporteur était Jean-Claude Carle.
Je n'aborderai pas maintenant l'article 5 du projet de loi, qui fait du maire le pivot de la prévention - j'estime que c'est souhaitable, même indispensable -, mais nous savons que nous devrons assurer l'articulation de son rôle avec les compétences en matière de prévention « spécialisée » des conseils généraux et surtout avec les services de la protection de l'enfance du département.
Je dois dire que je suis un peu étonné de l'hostilité de certains de mes collègues aux dispositions de l'article 8, qui donne aux maires le pouvoir - ou plutôt le confirme - de rappeler à l'ordre les personnes qui ne respectent pas l'ordre public ou la tranquillité publique.
Dois-je rappeler que le maire a l'obligation de veiller au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité ou à la salubrité publique ? C'est son devoir en tant que représentant de l'État, à l'instar du préfet dans le département. Nombre de maires pratiquent heureusement ces rappels à l'ordre, et depuis toujours,...
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. ...mais il est souhaitable que la loi précise leur champ d'intervention, qui ne saurait empiéter ni sur celui de la police judiciaire ni, bien entendu, sur les pouvoirs de l'autorité judiciaire,...
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. ...toujours jalouse de son autorité mais qui oublie quelquefois de la mettre en oeuvre.
D'ailleurs, il n'y a pas de confusion possible : j'en veux pour preuve le fait que l'article 40 du code de procédure pénale fait obligation à tout dépositaire de l'autorité publique, dont le maire, d'aviser le parquet des crimes et délits dont ils ont connaissance. Un préfet a beaucoup abusé de cette disposition vis-à-vis de son parquet, mais nous ne rappellerons pas des affaires passées !
C'est pourquoi, comme l'Association des maires de France, j'approuve cette disposition. Il s'agit non pas de faire du maire une sorte de « juge de paix » ou un « shérif », mais de prévenir les troubles de voisinage, les « incivilités » et autres faits qui enveniment parfois la vie de nos villes et de nos villages et qui ne font l'objet d'aucune sanction judiciaire aujourd'hui.
Mais, bien qu'il soit officier de police judiciaire - je ne sais pas très bien ce que cela veut dire quand on est maire - ne faisons pas du maire un maillon de la chaîne judiciaire, encore qu'il soit souhaitable, bien sûr, que les relations avec le parquet, notamment dans le cadre de la prévention, soient réaffirmées, ce que prévoit le nouvel article L. 2211-4 du code général des collectivités territoriales sur les conseils de prévention.
S'agissant de ce que je considère comme une clarification bienvenue des procédures d'hospitalisation sous contrainte de personnes susceptibles de relever de la psychiatrie, je souhaiterais rappeler quelques évidences auxquelles les sénateurs sont très attachés, comme en ont témoigné encore tout récemment les conclusions de la mission d'information du Sénat sur les mesures de sûreté concernant les personnes dangereuses, conduite par nos collègues Philippe Goujon et Charles Gautier.
Pour que les choses soient claires et si possible pour rassurer ceux que la présence de ces dispositions dans un texte de prévention de la délinquance ont pu inquiéter, je tiens à rappeler que tous les délinquants, même ceux qui commettent les crimes sanctionnés le plus sévèrement par le législateur et les plus incompréhensibles pour nos concitoyens, ne relèvent pas de la psychiatrie et que toutes les personnes atteintes de troubles mentaux, même ceux qui, à un moment de leur vie, relèvent d'une hospitalisation d'office ne sont pas de futurs délinquants.
Le législateur en est si conscient qu'il a prévu le cas particulier des individus qui se trouvent à l'intersection de ces catégories bien distinctes pour exclure expressément leur responsabilité pénale si leurs troubles psychiques ont aboli leur discernement au moment des faits. Cela figure au premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal. Il y aurait peut-être à redire sur le deuxième alinéa du même article, qui, lorsque le discernement n'est qu'altéré, permet la poursuite pénale conduisant dans nos prisons un nombre croissant de personnes qui ne peuvent y recevoir les soins dont elles auraient besoin.
Le présent projet de loi ne traite pas ce sujet abordé par la commission d'enquête du Sénat sur les prisons et par la mission d'information de MM. Goujon et Gautier.
Certains ont pu craindre non pas le contenu même des articles 18 et suivants qu'ils ont peu commenté mais le fait que leur insertion dans le présent texte ne favorise un amalgame extrêmement préjudiciable aux patients.
J'espère que notre débat montrera qu'il s'agit, d'une part, de confirmer le maire dans un rôle qu'il exerce déjà dans la très grande majorité des cas - plus de 65 % -- et, d'autre part, de clarifier la distinction entre hospitalisation à la demande d'un tiers et hospitalisation d'office. Cette dernière devrait désormais être systématiquement employée lorsque les troubles mentaux risquent de porter atteinte à la sûreté des personnes ou, de manière grave, à l'ordre public.
Pour ma part, j'approuve ces orientations qui ne me paraissent pas altérer le système existant et qui, je le répète, ne doivent pas être comprises comme stigmatisant les patients ou leurs familles.
Nous aurons certainement l'occasion d'apprécier dans le détail, lors de l'examen des articles, si les modalités prévues apportent bien les garanties nécessaires en cette matière constitutionnellement protégée, notamment en ce qui concerne le fichier envisagé.
En ce qui concerne la justice des mineurs, on ne cesse de gloser sur l'ordonnance de 1945, qualifiée « Totem et tabou » par la commission d'enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je citerai volontiers une personnalité reconnue qui s'exprimait en ces termes devant la commission d'enquête : « Il nous faut sortir du faux dilemme, du faux débat entre prévention et répression dans lequel, depuis quarante ans, on a enfermé la réflexion sur la délinquance des jeunes dans notre pays. Il faut réhabiliter la sanction d'un point de vue éducatif, et je rangerai la sanction du côté de la prévention.
« Sortons de ce faux débat qui nous a conduits à avoir un corps, celui des éducateurs, voulant éduquer sans sanctionner et un autre corps qui aurait la prétention de sanctionner sans éduquer. »
M. Jean-Pierre Sueur. C'est simpliste !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Si M. Petitclerc est simpliste, je veux bien, mais je suis simpliste avec lui !
M. Jean-Pierre Sueur. Les éducateurs ne sont pas contre la sanction !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il nous faut vérifier si les principes de l'ordonnance de 1945, à savoir la primauté de l'éducation sur la répression ou plutôt la recherche d'alternative à la sanction, notamment à l'incarcération, la spécialisation des juridictions, l'excuse atténuante de minorité, sont respectés, car ces principes sont toujours pertinents.
Sans doute, comme cela avait été prévu de longue date - et notamment lors de la réforme du code pénal - faudrait-il refondre les textes sur la justice des mineurs...,
M. Robert Badinter. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois... mais les mesures proposées par le projet de loi vont dans le bon sens, comme d'ailleurs les vingt-trois modifications qui ont été apportées à l'ordonnance de 1945.
Ce texte tente, une fois de plus, de favoriser une plus grande rapidité de la présentation du jeune délinquant devant la justice, et nous savons tous que c'est essentiel, parfois plus que la sévérité de la sanction.
Tous les élus qui ont eu à connaître d'affaires graves ont constaté que la justice attendait des mois, voire des années, pour rendre une décision. S'agissant de mineurs, c'est plus déplorable que tout.
Revenons-en au faux débat sur éducation et sanction. Devons-nous dire qu'un travail d'intérêt général n'a aucune dimension éducative ? Et une mesure de réparation ne comporterait-elle en aucun cas une dimension de punition ? La distinction n'est pas si simple que cela, mes chers collègues !
Je considère que, de ce point de vue, les dispositions concernant les nouvelles sanctions éducatives figurant aux articles 39, 40 et 41 vont dans le bon sens.
Il faut éviter, dans toute la mesure possible, la prison pour les mineurs. À cet égard, il faut saluer l'effort fait pour changer la structure des établissements pour mineurs, changement que nous avions réclamé, accompagné d'un renforcement de l'encadrement éducatif. C'est la conséquence de la mise en oeuvre de la loi d'orientation et de programmation pour la justice, qui constituera une amélioration considérable car il ne suffit pas d'emprisonner, il faut bien entendu que la réinsertion des mineurs soit accompagnée d'un encadrement éducatif important. Mais il est également important d'innover en matière de mesures alternatives à l'incarcération. C'est ce que fait le texte, me semble-t il.
C'est pourquoi, à l'ouverture de ce débat, je souhaitais, compte tenu de la volumineuse littérature et des approximations médiatiques que ce texte a suscitées, rappeler combien il correspondait aux conclusions des nombreux travaux menés par notre assemblée au cours de ces dernières années, notamment par la commission des lois, pour assurer une meilleure prévention de la délinquance, gage d'une meilleure sécurité à laquelle nos concitoyens aspirent profondément. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 75 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 20 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;
Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Georges Othily.
M. Georges Othily. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis 2002 et l'alternance politique, la délinquance a reculé sensiblement dans notre pays, et ce conformément à la volonté des Français, volonté exprimée à travers de nombreux sondages mais plus encore dans les urnes.
Aujourd'hui, personne ne peut nier que la lutte contre la délinquance, sous toutes ses formes, a constitué une préoccupation constante du Gouvernement et du Parlement depuis bientôt cinq ans. C'est ainsi qu'elle a inspiré des réformes profondes de notre législation, comme la loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003, la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, et plus récemment la loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales du 12 décembre 2005.
Cet arsenal législatif permet aux forces de police et de gendarmerie, et avec elles à l'institution judiciaire, d'agir avec efficacité contre une délinquance qui recule.
Toutefois, ce combat ne peut être que permanent puisque la « délinquance zéro » ne saurait exister ! Il nous faut donc sans cesse adapter nos outils, qu'ils soient répressifs ou préventifs, aux évolutions d'un phénomène que notre société n'entend plus tolérer de façon laxiste sous prétexte qu'il est le plus souvent l'expression d'un malaise social. C'est pourquoi, face aux nouvelles formes de l'insécurité et de la délinquance, la réponse de nos politiques publiques doit comporter une forte dimension sociale et éducative, autrement dit préventive, en agissant en amont et en anticipant.
Le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance qui nous est soumis aujourd'hui vise cet objectif essentiel en appréhendant la notion de prévention dans une large dimension : d'une part, il aborde des domaines aussi divers que la famille, la santé publique, l'éducation, l'action sociale, les collectivités territoriales ou encore l'urbanisme et, d'autre part, il fait intervenir une multiplicité d'intervenants et d'acteurs.
Et, puisque chacun sait qu'il est toujours préférable de prévenir que de guérir, il ne faut négliger aucun domaine et élargir au maximum notre vision des causes du phénomène de l'insécurité. C'est bien sûr cette philosophie, à la fois globale et pragmatique, que repose le présent projet de loi.
Il s'agit ainsi d'enrayer autant que faire se peut ce sentiment d'insécurité qui se nourrit de la délinquance, bien sûr, mais également de la confrontation quotidienne aux incivilités. Celles-ci ont été définies en 1996 par le sociologue Sébastien Roché, dans un ouvrage intitulé La Société incivile, comme « des atteintes à l'ordre en public », c'est-à-dire des actes qui menacent nos rituels de mise à distance d'autrui, sans constituer nécessairement des infractions pénales à l'ordre public. Il en va ainsi des manquements aux règles ordinaires de la courtoisie et du respect, comme celles de dire bonjour et merci dans l'enceinte d'un établissement scolaire. Comme beaucoup de pays riches et de sociétés qualifiées de modernes, la France est malade de l'incivilité.
Ce sont bien ces comportements incivils, qui n'ont pas toujours de codification juridique, qui se trouvent au coeur du sentiment d'insécurité, dans la mesure où ils constituent une rupture des comportements interpersonnels normaux et attendus.
M. Jean-Luc Mélenchon. Les tribunaux coutumiers, c'est en Iran !
M. Georges Othily. Si la lutte contre la délinquance passe en grande partie par l'interdiction, la répression et le code pénal, celle contre les incivilités passe, d'abord et avant tout, par l'éducation, la responsabilisation et la prévention.
Les incivilités ne sont-elles pas à la délinquance ce que les drogues douces sont aux drogues dures :...
M. Georges Othily. ...un passage obligé, un premier pas vers le mépris et le non-respect d'autrui ?
Prévenir la délinquance, lutter contre ce fléau nécessite donc de réagir dès les premières manifestations d'incivisme. D'ailleurs, monsieur le ministre d'État, ne serait-il pas préférable que votre texte s'intitule : « Projet de loi relatif à la prévention contre la délinquance et les incivilités » ?
Prévenir la délinquance et les incivilités, c'est poursuivre un objectif noble. Il s'agit d'empêcher la « production » de l'insécurité, ce qui revient par conséquent à « fabriquer » la sécurité que sont en droit d'attendre nos concitoyens. Ce projet de loi donne des outils pratiques pour permettre d'instituer un dispositif d'anticipation, de détection et d'endiguement des comportements délinquants, en agissant au plus tôt sur les rapports sociaux et sur les individus eux mêmes.
Ces dispositifs sont réactifs dès les premiers signes ou symptômes de délinquance de la part de mineurs « à la dérive » qu'il faudra ramener très vite dans ce que l'on a coutume d'appeler « le droit chemin ».
En simplifiant les procédures et en rassemblant tous les acteurs - administration, travailleurs sociaux, magistrats, élus, personnels de l'éducation nationale, associations -, ce texte permettra de responsabiliser des mineurs prédélinquants de plus en plus jeunes et de les insérer au plus vite et au plus tôt dans la société.
Comme le montrent les chiffres, on assiste bien à un rajeunissement alarmant de la délinquance des mineurs, particulièrement notable pour les actes de moyenne gravité. Et, comme le soulignait en son temps Lionel Jospin lui-même, « on ne peut nier que des comportements soient délinquants sous prétexte que leurs auteurs sont très jeunes.»
S'il n'est pas question de faire l'amalgame entre jeunes et délinquants, pas plus d'ailleurs qu'entre délinquants et jeunes des quartiers difficiles, il s'agit bien en revanche de traiter un jeune délinquant comme un délinquant qui doit être sanctionné de façon sévère et graduée en fonction de la gravité de son acte, et pas seulement en fonction de son âge.
De ce point de vue, il faut bien admettre qu'une réforme d'ensemble de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante s'impose. Certes, des modifications substantielles ont déjà eu lieu avec la loi d'orientation et de programmation pour la justice de septembre 2002, mais il faut aller encore plus loin.
Les jeunes ont désormais un rapport aux normes très différent de celui qui prévalait en 1945 parce que, entre-temps, le monde et les jeunes ont profondément changé. En outre, nombres des notions sur lesquelles repose l'ordonnance de 1945 paraissent obsolètes alors même que les grands principes modernes inspirés des textes internationaux auxquels la France a souscrit en sont absents, comme la proportionnalité de la sanction, l'égalité des chances, la non-discrimination ou l'intérêt supérieur de l'enfant.
Selon Alain Bauer, président de l'Observatoire national de la délinquance, les délinquants mineurs n'ont jamais été aussi jeunes, aussi « réitérants », aussi violents et aussi féminisés.
Et lorsque l'on parle de la délinquance des mineurs, il ne faut pas oublier le rôle indispensable des parents. C'est pourquoi il convient de saluer comme une avancée le stage de responsabilité parentale prévu par le projet de loi.
Dans sa décision du 29 août 2002, le Conseil constitutionnel a dégagé un « principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs » qui rappelle, d'une part, l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en raison de leur âge et, d'autre part, « la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées ».
C'est bien dans ce cadre constitutionnel que s'inscrivent les mesures contenues dans le présent projet de loi, parmi lesquelles une mesure éducative d'activité de jour pour les mineurs déscolarisés, ou encore les quatre nouvelles sanctions éducatives applicables aux mineurs de dix ans et plus : l'avertissement solennel, le placement dans un établissement d'éducation pour une durée d'un mois situé en dehors du lieu de résidence habituelle, l'exécution de travaux scolaires, le placement en internat.
Je ne doute pas du bien-fondé de ces mesures, mais elles ne doivent pas nous empêcher de poser la question de l'enfance délinquante de façon plus globale et de procéder au plus vite à une réforme d'ensemble de l'ordonnance de 1945. Nous ne pourrons plus encore bien longtemps faire l'économie d'une nouvelle législation de fond adaptée aux réalités de notre époque en matière de délinquance des mineurs.
S'il est primordial d'agir et de réagir le plus en amont possible afin de prévenir des attitudes de violence, il n'est pas pour autant question d'instaurer ce que Tony Blair préconise en ce moment pour la Grande-Bretagne et qui fait justement débat, à savoir aider les adolescentes enceintes issues de familles à problèmes afin que leurs futurs enfants ne deviennent pas « une menace pour la société ».
Votre texte, monsieur le ministre d'État, ne repose pas, lui, sur de simplistes et réducteurs principes de déterminismes sociaux qui voudraient que les délinquants et les pauvres produisent des délinquants. Il est loin le temps où l'expression « classes laborieuses, classes dangereuses » résonnait comme un leitmotiv, qui reste pourtant séduisant pour quelques-uns ! Il n'est plus question de stigmatiser ou d'accuser par anticipation telle ou telle catégorie sociale ou bien tel ou tel quartier sensible. Bien entendu, on ne naît pas délinquant, on le devient !
Votre texte tient compte d'une réalité plus complexe, monsieur le ministre d'État, puisqu'il repose sur des actes concrets et signifiants ou plus exactement sur un premier acte de violence et de délinquance. Ainsi, le rappel à l'ordre auquel pourra procéder le maire, pivot du nouveau dispositif, suppose un acte illégal préalable et bien réel.
C'est bien là un des points majeurs du présent projet de loi : le maire devient le pilote de la prévention de la délinquance, puisque l'article 1er dispose que « le maire anime, sur le territoire de la commune, la politique de prévention de la délinquance et en coordonne la mise en oeuvre ».
Au-delà du caractère symbolique de la reconnaissance de la forte montée en puissance, depuis une vingtaine d'années, du rôle des communes en matière de sécurité, ce texte reconnaît clairement le rôle privilégié du maire en matière de cohésion sociale.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Georges Othily. Au-delà de 10 000 habitants, les conseils locaux de sécurité et de prévention seront obligatoires, afin de favoriser le travail en réseau et la circulation de l'information, véritable clef de voûte de la prévention, comme le souligne notre excellent rapporteur.
De même, afin de mieux prévenir les attitudes de violence, notamment de violence scolaire, le maire aura la charge de l'aide et de l'orientation des familles en difficulté à travers un conseil pour les droits et les devoirs des familles.
Ce partage des informations entre des professionnels soumis au secret sera rendu possible par l'instauration d'un coordonnateur, choisi par le maire parmi les travailleurs sociaux du département, après consultation du président du conseil général. Toutefois, quelques éclaircissements sur le statut et la fonction de ce coordonnateur m'apparaissent nécessaires. Qui le rémunérera pour sa mission de coordination ? A qui devra-t-il rendre des comptes ? Ne risque-t-il pas de se retrouver impuissant et dans l'incapacité d'agir en cas de désaccord profond entre les deux exécutifs que sont le maire et le président du conseil général ?
Face à la multiplication des acteurs, il faut bien en convenir, l'enjeu de la prévention se situe en grande partie au niveau d'une meilleure coordination, car le temps passé à s'informer ne devra pas être supérieur à celui qui est réellement consacré aux actions de prévention de la délinquance, comme c'est trop souvent le cas aujourd'hui.
Dans cette perspective, on comprend bien la logique qui veut que l'on confère au maire, acteur au plus près des réalités du terrain, ce rôle essentiel d'animation et de coordination de la prévention de la délinquance, rôle qui lui fait actuellement défaut.
Toutefois, il ne faut pas que les nouvelles compétences qui seront confiées aux maires entraînent une confusion entre les missions de chacun des acteurs de la sécurité. Il ne doit pas s'agir d'un transfert de responsabilités de la part des services de police, de justice ou de l'éducation nationale vers les seuls maires, qu'il s'agisse de tutelle aux prestations familiales ou de rappel à la loi. Chacun doit rester à sa place, remplir sa mission d'origine et assumer sa responsabilité, mais sa seule responsabilité.
De la même façon, monsieur le ministre d'État, votre texte ne comporte-t-il pas un risque de confusion dans l'exercice des compétences des maires et des présidents de conseils généraux ? Quelles garanties pouvez-vous nous apporter pour rassurer sur ce point et les maires et les présidents de conseils généraux ? Nos débats ne pourraient-ils pas permettre de clarifier davantage les domaines d'intervention respectifs de ces deux collectivités locales en matière d'aide sociale à l'enfance et d'aide à la parentalité notamment ?
C'est en tout cas mon souhait et c'est pourquoi je soutiendrai les amendements de la commission des lois qui visent à conforter la complémentarité des différents dispositifs et à coordonner le présent projet de loi avec celui qui réforme la protection de l'enfance, encore en navette actuellement.
Une vision globale et préventive de la délinquance ne peut pas faire l'impasse sur le sujet difficile de la toxicomanie et de la drogue, lesquelles facilitent, pour ne pas dire déclenchent, le passage à l'acte violent et agressif, a fortiori chez les jeunes.
Depuis le début des années quatre-vingt-dix, le nombre de jeunes adultes ayant fait l'expérience du cannabis - pour ne parler que de lui - aurait doublé. Les jeunes sont de loin les principaux consommateurs de produits stupéfiants. Parmi les usagers de cannabis interpellés, les deux tiers ont entre 18 et 25 ans et 13 % sont mineurs. Autrement dit, près de 80 % des personnes interpellées ont moins de 25 ans.
Les consommateurs sont donc de plus en plus nombreux, mais aussi de plus en plus jeunes. N'est-on pas alors en droit d'y voir une certaine corrélation avec le rajeunissement des auteurs de violences ?
L'objectif du présent projet de loi est de rendre enfin applicable et réellement dissuasive la loi du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l'usage illicite des substances vénéneuses.
Parallèlement à la réponse répressive, monsieur le ministre d'État, vous proposez d'élargir le dispositif législatif actuel en matière d'orientation sociale, sanitaire et thérapeutique en rendant possible de prononcer une injonction thérapeutique dans le cadre d'une composition pénale, ou encore en instaurant, au titre de peine complémentaire, l'obligation d'accomplir « un stage de sensibilisation aux dangers de l'usage de stupéfiants ».
Monsieur le ministre d'État, sur tous ces sujets, et sur bien d'autres sur lesquels je n'ai malheureusement pas le temps de m'étendre, j'approuve votre démarche et je suis favorable aux modifications et précisions qui ont été apportées à votre projet de loi par le rapporteur, dont je tiens à saluer l'excellent travail d'analyse et d'expertise.
Pour ma part, et avec l'appui d'une très large partie de mes collègues du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, lors de la discussion des articles, je proposerai à la Haute Assemblée un amendement visant à responsabiliser toute personne qui s'abstient de dénoncer la disparition inquiétante d'un mineur. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici donc réunis en session extraordinaire pour examiner le fameux projet de loi dit de prévention de la délinquance annoncé depuis 2003.
Comme ce fut le cas pour un autre texte, j'ai le sentiment que cette soudaine précipitation tient plus à la nature du sujet, qui doit marquer les esprits à l'aube d'importantes échéances électorales, qu'au calendrier parlementaire.
Ainsi, monsieur le ministre de l'intérieur, avec le présent projet de loi, vous faites un remake de 2002 en plaçant le thème de l'insécurité au coeur du débat politique. Une fois encore, il s'agit de ramener vers vous une partie de l'électorat de l'extrême droite. Faut-il le rappeler de nouveau : cette démarche est dangereuse !
Issu d'un comité interministériel, votre texte est un texte fourre-tout, un catalogue à visée électorale qui n'a rien à voir avec une véritable politique de prévention de la délinquance, sans compter qu'il fait l'amalgame, entre autres, entre prévention de la délinquance, soins psychiques, soutien éducatif, relations d'aide.
Décrié par les professionnels de la santé et du social, par les syndicats, par les associations et autres collectifs, votre projet de loi est de fait critiquable à plus d'un titre.
Élaboré sans aucune concertation, il est tout d'abord inutile au regard des nombreux textes de loi qui existent déjà, sans compter les nombreuses réformes que le Gouvernement a fait « avaler » à marche forcée à sa majorité parlementaire depuis 2002, sauf à dire que le Parlement n'aurait pas vraiment travaillé ces derniers mois ni ces dernières années.
Faut-il rappeler par exemple que l'ordonnance de 1945 relative à l'enfance délinquante a été modifiée à vingt reprises, dont trois fois rien que lors de la présente législature ?
Faut-il rappeler que le présent projet de loi est le huitième texte concernant la délinquance et/ou l'insécurité -après la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, la loi pour la sécurité intérieure, les lois Perben I et II, la loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, la loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales et celle renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs - qui aura été présenté en moins de quatre ans ?
Par huit fois donc, depuis 2002, vous aurez modifié le code pénal et/ou le code de procédure pénale ! Comment, dans ces conditions, voulez-vous rendre la loi intelligible et lisible par tous ? Comment ne pas parler d'inflation législative, d'inflation sécuritaire ? Mais peu vous importe, vous récidivez aujourd'hui avec ce texte qui, prétendument, doit permettre de prévenir la délinquance.
Le fait que vous remettiez l'ouvrage sur le métier, pour la énième fois en moins de quatre ans, révèle votre incompétence à lutter contre l'insécurité et à prévenir la délinquance et la récidive, ainsi que l'inefficacité de votre politique en la matière.
M. Roland Muzeau. Eh oui !
Mme Éliane Assassi. Ainsi, comme je vous l'ai déjà dit, vous modifiez encore une fois nos lois et nos codes, alors même qu'aucun bilan de l'application des lois existantes n'a été réalisé, alors même que les décrets les concernant n'ont pas tous été pris, alors même, enfin, qu'aucun budget n'est prévu pour la mise en oeuvre des dispositions adoptées sous la présente législature.
Qui plus est, vous allez jusqu'à modifier les dispositions que vous avez fait adopter au législateur voilà seulement quelques mois - je pense particulièrement, ici, à la loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales ou encore à la loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre des mineurs -, sans parler des dispositions qui vont se superposer à d'autres, contenues par exemple dans la loi de programmation pour la cohésion sociale, dans la loi pour l'égalité des chances ou encore dans le projet de loi réformant la protection de l'enfance, qui doit être examiné par l'Assemblée nationale.
Votre texte est donc aussi inutile qu'inefficace en termes de prévention de la délinquance. Il n'y a rien d'innovant ni d'ambitieux dans ce projet de loi, qui ne définit aucune politique globale et cohérente de prévention de la délinquance. Vous faites, encore une fois, de la prévention avec de la répression !
En effet, c'est bien de répression, d'enfermement et d'exclusion, sans aucune réflexion de fond ni traitement social des causes de la délinquance, qu'il est question dans le présent texte. Par exemple, s'agissant des modifications apportées à l'ordonnance de 1945, n'est-on pas déjà dans le domaine de la sanction ? Où est la prévention de la délinquance quand il s'agit d'étendre aux mineurs la comparution immédiate de la composition pénale, actuellement réservée aux majeurs ?
Le titre de votre projet de loi est un mensonge. Il s'agit en réalité d'un texte relatif à « diverses dispositions d'ordre sécuritaire », qui tend à modifier dans un sens toujours plus répressif des lois et des codes dans des domaines très variés.
Votre texte remet surtout en cause ce qui a fondé les politiques de prévention menées depuis des décennies par les acteurs sociaux : les départements, les communes, les services de l'État, les caisses d'allocations familiales...
La prévention de la délinquance suppose - vous devriez le savoir - un travail de longue haleine au regard de la répression, qui peut produire des effets plus rapidement en termes de résultats statistiques concernant la délinquance et d'éviction de la société - mais pour un temps seulement - des délinquants par l'enfermement, en recourant à l'éloignement, aux centres éducatifs fermés ou à la prison.
Pour la droite, la prévention, c'est détecter les gens à risques pour mieux les contrôler et, le cas échéant, les écarter de la société. Selon vous, en effet, les pauvres, les fils de pauvres, les malades mentaux sont a priori des délinquants, qu'il faut surveiller, contrôler, voire écarter de la société. Celle-ci met en place les prisons, les centres éducatifs fermés, les établissements pénitentiaires pour mineurs, le placement d'un mois en établissement spécialisé, l'enfermement des malades mentaux, qui marque le retour à la politique asilaire du XIXe siècle.
Plutôt que de prévoir des solutions en amont, c'est-à-dire une réelle prévention en termes d'habitat, d'emploi, de loisirs, de santé, de culture, d'éducation, de qualité et de cadre de vie, vous préconisez d'intervenir en aval, d'abord par un contrôle de certaines catégories de personnes - malades mentaux, allocataires de prestations sociales, élèves s'absentant de l'école -, puis par une répression accrue à l'encontre desdites personnes.
Au-delà de son inefficacité, votre texte va se révéler en outre contre-productif. Je pense ici, en particulier, au secret partagé et au rôle des médecins en cas de violences conjugales : les dispositions prévues vont déboucher sur un résultat exactement inverse de ce que vous escomptez. J'y reviendrai plus longuement lors de la présentation de nos amendements.
Inefficace en termes de prévention de la délinquance, voire contre-productif, votre texte remet néanmoins en cause certains principes fondamentaux.
Les libertés individuelles sont ainsi mises à mal, que ce soit avec la multiplication des fichiers et leur consultation élargie, ou avec la réforme de l'hospitalisation d'office, qui stigmatise la maladie mentale et va se révéler, in fine, beaucoup moins protectrice des droits de la personne que la loi du 27 juin 1990.
Ce texte bafoue, par ailleurs, le principe de la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire. Le maire se verra doté de nouveaux pouvoirs et deviendra à la fois « shérif » et juge, chargé du contrôle social de ses administrés, mais placé sous tutelle de l'État.
Quant aux dispositions relatives à la justice des mineurs, notamment à la procédure de présentation immédiate et à la composition pénale, elles remettent en cause les droits de la défense des mineurs et contreviennent à la convention internationale des droits de l'enfant. Mme Nicole Borvo développera plus en détail tout à l'heure nos arguments, à l'occasion de la présentation de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Nous avons affaire ici à un texte sécuritaire de plus, à un texte sécuritaire de trop. À aucun moment il ne prend en compte les causes profondes de la délinquance, lesquelles prennent racine dans l'aggravation des inégalités sociales, avec, d'un côté, la marginalisation, la précarisation, la dégradation de l'habitat, la « mal vie », l'échec scolaire et, de l'autre, l'accumulation des richesses.
Au contraire, vous considérez les difficultés sociales, économiques, financières des personnes comme un critère de la probabilité d'un passage à l'acte délictuel.
À cet égard, le ton est donné dès la première page de l'exposé des motifs du projet de loi : la cible principale, ce sont les mineurs, qui sont considérés comme des délinquants potentiels. La « délinquance des mineurs » fait seule le fond du discours tenu sur l'adolescence, qui, on le sait, est un moment important de la vie en même temps qu'une période délicate.
Un mineur délinquant, n'est-ce pas aussi un mineur en danger, un mineur en souffrance ? Tous les enfants qui ont eu un parcours familial et social difficile ne tombent pas dans la délinquance, et c'est heureux !
En revanche, parmi les mineurs délinquants, beaucoup ont rencontré des difficultés d'ordre social et sont en souffrance. Cela n'a rien à voir avec la génétique, comme certains veulent le laisser croire ! Il n'y a pas de chromosome du crime : on ne naît pas délinquant, il n'y a pas, d'un côté, des enfants gentils et, de l'autre, des enfants méchants.
Pourtant, vous avez tenté d'introduire dans ce texte le dépistage précoce des troubles du comportement chez l'enfant. Certes, pour l'heure, cette disposition a disparu, grâce à la mobilisation des professionnels de la santé et du social, mais il en reste bien d'autres, dans votre texte, qui sont tout aussi inquiétantes : par exemple, il est prévu de généraliser le fichage et le contrôle social, pour mettre en oeuvre des thèses comportementalistes de dépistage précoce.
Selon votre texte, les mineurs n'ont pas vocation à évoluer, ni les malades mentaux, qui sont tels à vie, ni les femmes battues, qui sont ravalées au rang de mineures, etc.
Concernant la délinquance des mineurs, dont on nous dit qu'elle est en hausse, que ses auteurs sont de plus en plus violents, de plus en plus jeunes et bénéficieraient d'une impunité entretenue par la loi, je pense qu'il convient de rectifier certaines idées reçues : il n'y a pas plus de mineurs délinquants qu'auparavant ; c'est surtout le regard social qui a radicalement changé, ainsi que le seuil de tolérance de la société à l'égard de sa jeunesse.
Ne nous leurrons pas : les jeunes ont un comportement réactif devant les discours de stigmatisation tenus à leur égard. Il est utile de rappeler que, si la part des mineurs dans l'ensemble des personnes mises en cause dans la délinquance constatée par les services de police et de gendarmerie est passée entre 1994 et 2004 de 14 % à 18 %, celle des adultes atteint tout de même 78 % !
Quant au taux de réponse pénale aux affaires impliquant des mineurs, il est passé de 77,7 % en 2000 à 85 % en 2005 ; ce chiffre est à comparer à celui concernant les majeurs, qui est de 77 % seulement pour la même année. Cela donne à entendre que, contrairement aux idées préconçues, la justice des mineurs est plus sévère que celle des majeurs. (M. Alain Gournac s'exclame.)
M. Roland Muzeau. C'est la vérité !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Il y a 50 % de solutions alternatives aux poursuites !
Mme Éliane Assassi. Il n'y a donc ni laxisme ni impunité pour les mineurs délinquants.
L'implication des mineurs dans les actes d'incivilité, qui sont à différencier des actes délictueux, est très forte, ce qui peut donner l'impression que la délinquance des mineurs est en hausse et qu'elle commence de plus en plus tôt. Ces incivilités qui troublent parfois la vie quotidienne contribuent à l'accroissement du sentiment d'insécurité et à l'exaspération d'une partie de la population.
Plutôt que de rechercher des réponses sociales et éducatives adaptées, le Gouvernement préfère avoir recours à l'ordre moral et à la pénalisation, au risque de remettre en cause les grands principes de la justice des mineurs.
Pourtant, les récentes lois dites « Perben » ont déjà modifié l'ordonnance de 1945 dans le sens d'une répression accrue à l'encontre des jeunes gens : jugement à délai rapproché pour les mineurs de 13 à 18 ans ; sanction éducative à partir de 10 ans ; mise en place de centres éducatifs fermés ; élargissement des possibilités de placement sous contrôle judiciaire et de détention provisoire pour les mineurs de 13 à 16 ans ; suppression des allocations familiales pour les parents d'enfants délinquants.
La répression dirigée contre les jeunes est omniprésente dans cette société. Combien d'arrêtés municipaux ont été pris dans les villes de droite afin d'instaurer le couvre-feu nocturne pour les mineurs ou d'interdire aux jeunes de se promener en groupe en centre-ville, sans parler des expulsions locatives de parents d'adolescents en difficulté ? Ne note-t-on pas, également, une tendance à la pénalisation des conflits entre élèves et enseignants, ce qui, a priori, n'apaise pas lesdits conflits, bien au contraire ?
On le sait, aucune de ces mesures répressives ne s'est révélée efficace en termes de prévention de la délinquance, encore moins s'agissant de la lutte contre la récidive. Sinon, nous ne serions pas là à légiférer de nouveau !
En revanche, cette politique ultrasécuritaire n'est pas sans incidence sur le nombre de mineurs en prison, ni sur leurs conditions de détention, sans compter que la prison est essentiellement une école de la récidive. Une société qui enferme ses jeunes plutôt que de les éduquer, de les insérer, est une société en échec.
Au travers de votre texte, il s'agit bien de surveiller, de contenir, de punir, non seulement les auteurs de faits délictueux, mais aussi les personnes au « comportement » jugé déviant, hors normes, susceptibles de commettre un jour une infraction - patients relevant de la psychiatrie, personnes percevant des prestations sociales et, bien sûr, enfants issus de familles modestes...
Ainsi s'éloigne-t-on définitivement des politiques d'accompagnement social et de soutien social, pour en arriver à une politique de contrôle social, dans le seul souci de protéger la société plutôt que les enfants et leurs familles, que les personnes les plus modestes, celles qui ont le plus besoin d'être soutenues, et ce sans éprouver le moindre sentiment de culpabilité.
Aujourd'hui, les pauvres sont coupables de l'être, ils sont suspectés d'être de mauvais parents, auxquels il faut par conséquent supprimer les faibles revenus qu'ils perçoivent au titre de l'aide sociale du fait même de leur situation modeste.
À mon sens, on ne peut parler de violence sans parler de la violence économique et sociale. Replaçons donc les questions sécuritaires à leur juste place dans l'échelle des problèmes rencontrés par nos concitoyens, à savoir derrière le chômage, la précarité et les inégalités sociales. Ne note-t-on pas, depuis quelques années, un processus de marginalisation et de paupérisation des populations soumises de surcroît à la ségrégation urbaine ? Ne parle-t-on pas aujourd'hui de « travailleurs pauvres », expression désignant ces salariés mal payés, employés sous contrat précaire ou à temps partiel sans l'avoir choisi et qui n'arrivent pas à se loger ni à « boucler » les fins de mois ?
Si les jeunes peuvent parfois avoir un comportement violent à l'égard de la société, il faut admettre que celle-ci le leur rend bien. Combien d'enfants sont privés des droits les plus élémentaires, tels que le droit au logement, à la santé, au sport, à la culture, à l'éducation, aux vacances ? Combien d'enfants vivent au-dessous du seuil de pauvreté en France ? Le taux de suicide n'est-il pas très élevé chez les jeunes ?
Dans un contexte de dégradation sociale, le Gouvernement n'a rien trouvé d'autre que la répression pour mettre en oeuvre sa politique ultralibérale qui accentue, chaque jour, les inégalités et les exclusions.
Cette politique, c'est l'insécurité sociale et son cortège de suppressions de postes dans la fonction publique, de déstructuration et de privatisation des services publics, à l'instar de ce qui est actuellement entrepris s'agissant de Gaz de France, et, plus généralement, de casse du code du travail. C'est la généralisation de cette insécurité sociale et l'accroissement des inégalités qui nourrissent la ségrégation et la criminalité.
Comme à l'occasion des précédents textes, au lieu d'apporter des réponses sociales, le Gouvernement a décidé de s'occuper par la voie pénale des populations dites « à problèmes », c'est-à-dire, notamment, celles qui ne se soumettent pas docilement à l'impératif du travail flexible, ou encore les classes dites « dangereuses ». L'État veut de cette façon mettre à l'index les personnes qu'il n'a pas voulu éduquer, soigner, loger, nourrir... Se met ainsi en place une gestion sécuritaire et policière de l'État.
Certains remèdes proposés en France, tels que la tolérance zéro, les couvre-feux, la suppression des allocations familiales, le durcissement de la répression des mineurs, s'inspirent de l'exemple américain, marqué par une généralisation du contrôle social doublée d'un envol du taux d'incarcération. Cette méthode ne donne aucun résultat en termes de baisse réelle de la délinquance.
La banalisation de l'insécurité dissimule en réalité un tout autre enjeu que celui de la lutte contre la délinquance, mis en avant par le Gouvernement. Votre but est de redéfinir les missions de l'État, de réduire son rôle social et de casser la solidarité républicaine.
D'un côté, une idéologie économique et sociale fondée sur l'individualisme et la marchandisation, de l'autre et en complément, dans le domaine de la justice, la criminalisation de la misère et la normalisation du travail précaire : tel est le véritable projet de société que la droite veut mettre en place.
Une société qui ne propose comme moyen de lutte contre l'insécurité qu'une réforme du code pénal et du code de procédure pénale est une société en situation d'échec. En réalité, on assiste, au travers de l'examen de ce texte, à l'instauration d'un nouvel État, d'un nouvel ordre social : développement de la vidéosurveillance, fichages à outrance, fermeture des portes des copropriétés...
Mais quelle est donc cette société que vous voulez nous imposer ?
Pour vous, chacun est responsable de ses actes, la société n'est plus responsable de rien. On passe d'une responsabilité collective à une responsabilité individuelle.
Ne pensez-vous qu'une politique globale et cohérente de prévention de la délinquance passe nécessairement par la lutte contre la précarité et par une aide aux enfants et aux familles dans l'accès aux droits et à des conditions de vie décentes dans tous les domaines ?
N'est-il pas indispensable de prévenir la marginalisation, l'exclusion, la maltraitance, de favoriser l'insertion sociale et de reconstruire le lien social, le « vivre ensemble » ?
Oui, monsieur le ministre d'État, il faut une rupture. Mais pas la vôtre, celle que vous déclamez en voisin et ami du MEDEF, celle qui veut imposer une domination sociale des puissances de l'argent pour en finir avec ce que notre pays, ses salariés, sa population ont construit durant ces soixante dernières années.
Oui, il faut lutter véritablement contre les discriminations, accompagner les parents dans l'exercice de leur responsabilité, en dehors de toute stigmatisation et de toute culpabilisation, et doter la médecine scolaire, la protection maternelle et infantile, la psychiatrie et la pédopsychiatrie, la protection judiciaire de la jeunesse, les services sociaux, les tribunaux pour enfants, la justice des mineurs, de moyens à la hauteur de leurs missions.
En résumé, ce que vous nous proposez est en fait votre projet de société. Avec vos textes, vous vous plaisez à imposer la pensée unique avec des concepts moraux. Sous couvert de bon sens populaire, vous utilisez les drames les plus horribles et vous les érigez en généralités pour donner sens à vos choix politiques et masquer ainsi votre incapacité à résoudre sur le fond les vrais problèmes de société.
En somme, vous voulez instaurer une conception qui ne soit plus une philosophie de vie mais une moralisation des rapports entre les individus. C'est une vision populiste et dangereuse. Je n'étonnerai donc personne en annonçant qu'avec mes collègues du groupe CRC nous rejetons en bloc votre texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, messieurs les ministres, mes chers collègues, vouloir faire du maire le pivot de la prévention de la délinquance est une idée séduisante dans la mesure où le maire est, de par sa position et l'étendue de ses missions, la personne vers laquelle convergent naturellement le plus d'informations sur la situation et le comportement de ceux de ses concitoyens qui posent des problèmes.
En ce sens, les dispositions du projet de loi qui visent à favoriser les échanges d'informations et à mieux coordonner l'action des différents intervenants, qu'il s'agisse de l'éducation, des travailleurs sociaux, des associations familiales, de la police, de la gendarmerie, de la justice pour ne citer que les principaux d'entre eux, vont dans le bon sens.
Je vois difficilement, en effet, qui d'autre que le maire, ou son représentant, disposerait d'une légitimité suffisante pour mettre autour de la table des acteurs qui ont tous un rôle important en matière de prévention, mais à des titres et dans des champs de compétence différents, et qui n'ont pas l'habitude d'échanger et de croiser les informations dont ils disposent.
Cela dit, il faut être conscient que, si l'intervention du législateur est importante pour autoriser ces acteurs à partager leurs informations, il n'en est pas moins vrai que cela ne fonctionnera que s'il y a une réelle volonté d'aller dans cette direction de la part des professionnels concernés. Je crains malheureusement que l'objectif affiché par le projet de loi ne se heurte parfois à ce type de limite et ne reste dans bien des cas lettre morte.
Il est donc indispensable que le maire ne soit pas seul à vouloir mettre en place la coordination et les échanges et qu'il agisse de concert avec le président du conseil général et le procureur notamment. Lorsque l'on sait que 80 % des travailleurs sociaux dépendent du conseil général, et non du maire, et que ces derniers se plaignent fréquemment de ne pas être informés par la justice des suites qu'elle donne aux signalements qu'ils ont faits, on mesure combien il est nécessaire que le président du conseil général et le procureur prennent toute leur part dans le bon fonctionnement du dispositif prévu par la loi.
Si l'information et la coordination sont donc fondamentales, il faut cependant à tout prix éviter le mélange des genres et ne pas faire du maire un responsable de l'action sociale à la place du président du conseil général ou un représentant du parquet qui requerrait lui-même telle ou telle sanction.
Or je me demande si l'on ne va pas dans cette direction lorsque l'on donne au maire, au travers du « conseil pour les droits et devoirs des familles », le pouvoir d'adresser des recommandations à une famille, de mettre en place un accompagnement parental ou de saisir le juge des enfants afin qu'un coordonnateur soit désigné pour exercer la tutelle sur les prestations sociales.
La confiance dont jouit le maire dans sa commune et son rôle particulier d'arbitre ne doivent pas souffrir des missions que le projet de loi veut lui attribuer. Si le maire doit effectivement être un « pivot » de la politique de prévention dans sa commune, ce doit être au niveau de l'information de la part et en direction de la police, de la justice, de l'éducation, des travailleurs sociaux, des associations familiales et d'autres encore, mais non par le transfert de responsabilités qui ne lui appartiennent pas, ce qui risque d'entraîner une confusion des rôles et, finalement, d'affaiblir sa position ; en tout cas, c'est ce que je crains.
De par sa fonction et sa position, le maire dispose naturellement d'un pouvoir d'influence et de médiation. Il ne me semble donc pas judicieux de lui confier explicitement des missions que ses concitoyens acceptent de lui parce qu'il est leur élu, mais qu'ils accepteraient certainement moins facilement s'il les exerçait en tant qu'exécutant d'un dispositif vécu comme un système de répression mis en place par le législateur.
L'inscription dans la loi du « rappel à l'ordre » adressé au mineur, en présence de ses parents - c'est ce que dit la loi -, lorsqu'il commet des faits susceptibles de porter atteinte au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité ou la salubrité publics me paraît exemplaire des préjudices qui peuvent être apportés aux pouvoirs naturels du maire. Comme de nombreux orateurs l'ont rappelé à cette tribune, tous les maires pratiquent déjà - lorsqu'ils l'estiment nécessaire - ce genre de mise en garde et de rappel ciblé des règles de ce qu'on pourrait appeler le « vivre ensemble ». Mais ce sont eux qui jugent de l'opportunité de le faire et d'y associer ou non les parents.
En inscrivant dans la loi que le premier magistrat de la commune procède au rappel à l'ordre, d'une part, et qu'il le fait en présence des parents, d'autre part, non seulement on lui enlève sa capacité d'appréciation, mais on peut aussi le mettre en porte-à-faux.
M. Jean-Pierre Sueur. Tout à fait !
M. Yves Détraigne. Le maire risque d'être sollicité pour intervenir dans des situations où cela ne lui paraîtrait pas souhaitable et d'être tenu responsable dans les cas où il n'aura pas agi. Je crains également que cela n'entraîne une confusion entre le rappel à la loi qu'exerce le délégué du procureur et cette nouvelle procédure de rappel à l'ordre qu'exercerait le maire. Ces deux procédures s'adressent, si je puis dire, au même « public ».
On peut aussi s'interroger sur la création d'un nouveau dispositif d'accompagnement parental qui dépendrait du maire alors même qu'un décret, paru il y a une dizaine de jours, institue le « contrat de responsabilité parentale ». Je crains qu'à vouloir multiplier les procédures, on n'introduise plus de confusion que d'efficacité dans le dispositif de prévention de la délinquance.
Je pose la même question sur l'utilité de créer ce nouveau comité que serait le conseil pour les droits et devoirs des familles. Il existe déjà un conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance, le CLSPD, qui va - c'est heureux - être rendu obligatoire dans les communes de plus de 10 000 habitants, mais qui ne fonctionne pas très bien parce que tous ses membres ne sont pas toujours présents. Je ne vois pas comment on pourrait améliorer le dispositif et la coordination des intervenants en créant un nouveau conseil qui ne ferait que surcharger un peu plus les agendas des participants, les mêmes personnes devant pour une bonne part siéger dans ces deux instances !
Le CLSPD, dont vous êtes à l'origine, monsieur le ministre d'État, constitue déjà, en vertu du décret du 17 juillet 2002 relatif aux dispositifs territoriaux de sécurité et de coopération pour la prévention et la lutte contre la délinquance, « l'instance de concertation sur les priorités de la lutte contre l'insécurité autour desquelles doivent se mobiliser les institutions et organismes publics et privés concernés ».
On est donc bien avec cet organisme existant, qui est déjà présidé par le maire, au coeur de la préoccupation de coordination et de prévention de la délinquance que l'on retrouve dans ce projet de loi. Je n'ignore pas que la composition du CLSPD est plus vaste que celle du Conseil pour les droits et devoirs des familles. Mais n'aurait-il pas été plus simple alors de faire une évaluation de l'efficacité des CLSPD et d'adapter leur composition et leur mode de fonctionnement en conséquence, plutôt que de créer une nouvelle instance ? On ne va dans le sens ni de la simplification, qui est un des axes majeurs de travail du Gouvernement, ni de la clarification, toutes les deux souhaitables, notamment dans ce domaine où les intervenants sont nombreux et dépendants d'autorités différentes ?
Le temps qui m'est imparti ne me permet pas d'aborder la question des moyens financiers que nécessiterait la mise en oeuvre du projet de loi, mais force est de constater que ce sujet - pourtant essentiel si l'on ne veut pas que cette loi reste lettre morte - est totalement absent du texte... Je sais qu'il y a un amendement de la commission des lois qui tente d'y remédier en créant un fonds interministériel.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous aussi, nous en présentons !
M. Yves Détraigne. Encore faudra-t-il avoir les crédits pour alimenter ce fonds.
Je ne m'attarderai pas non plus sur le lien qui est fait en différents endroits du texte entre « les difficultés sociales des familles » et la délinquance. Mais on peut craindre, au travers de plusieurs des dispositions proposées, que le législateur ne donne parfois le sentiment de stigmatiser les jeunes issus de familles en difficulté en les assimilant peut-être un peu trop rapidement à des délinquants en puissance, ce qui me paraît être profondément injuste.
En conclusion, je dis oui à l'information et à la coordination pour que les acteurs de la prévention travaillent mieux ensemble et de façon plus efficace, mais cela sans création de structures ni mise en place de mesures qui viendraient compliquer un système pouvant être amélioré. Veillons à éviter une confusion des pouvoirs et des responsabilités qui aboutirait à confier au maire des missions qui relèvent du président du conseil général ou du procureur ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, messieurs les ministres, mes chers collègues, c'est le sixième projet de loi répressif que le Gouvernement présente depuis août 2002, autrement dit en quatre ans ! Mme Éliane Assassi a énuméré les cinq premiers, je vais donc me contenter d'en citer les dates : août 2002, septembre 2002, mars 2003, mars 2004 et décembre 2005, soit en moyenne une loi tous les sept ou huit mois. Et, par le plus grand des hasards, en voici un dernier - probablement - à la veille de la campagne électorale de l'élection présidentielle ! Il ne pourra sans doute pas être appliqué avant cette élection, et l'on devine aisément l'effet d'annonce recherché.
Il s'agit bien d'une loi répressive puisque, sur cinquante et un articles, huit seulement concernent la prévention. Aussi serait-il plus juste de parler de prévention de la récidive que de prévention de la primo-délinquance.
Ce texte intervient sans qu'aucune évaluation, même partielle, de l'application des lois antérieures ait été réalisée, et sans aucun souci des projets de loi en discussion comme celui de la protection de l'enfance, dont on peut se demander s'il ne va pas finir au cimetière des projets mort-nés.
À la place, vous utilisez des chiffres bien choisis qui, selon les nécessités de votre argumentation, servent tantôt à démontrer vos succès, ainsi les 9 % de baisse de la délinquance globale, qui sont à porter à votre crédit, tantôt à justifier la poursuite de votre politique répressive, ainsi les chiffres inquiétants en matière de délinquance des mineurs, que vous ne portez cependant pas à votre débit.
Ainsi en va-t-il aussi de la réelle augmentation des violences en milieu scolaire, mais dont vous ne vous sentez pas comptable puisque vous ne vous interrogez pas sur les causes, qui tiennent notamment à la baisse spectaculaire de la présence d'adultes dans les établissements : moins de professeurs, moins de maîtres d'internat, moins de surveillants d'externat, pas ou plus d'assistants d'éducation.
Ces deux attitudes sont fallacieuses et n'ont, en réalité, pour seul objet que de faire fructifier votre « fonds de commerce électoral », avec tous les dangers que cela représente.
Car, monsieur le ministre d'État, mis à part vos résultats en matière de sécurité routière, laquelle relève de la compétence du ministre des transports, vous avez échoué. La vérité des chiffres est, somme toute, douloureuse : les violences « non crapuleuses » contre les personnes ont augmenté de 27 % en quatre ans, de mai 2002 à mai 2006, et les atteintes aux personnes ont progressé de 7 % sur les douze derniers mois. Certains quartiers sont encore plus abandonnés qu'avant 2002 et des voitures continuent de brûler toutes les nuits : 45 580 en 2005, certes en partie à cause à des émeutes, mais on en dénombre déjà 21 013 au premier semestre de l'année 2006.
Les violences scolaires s'aggravent. Une étude des renseignements généraux indique que les violences avec armes en milieu scolaire ont augmenté de 73,2 % entre les années 2003-2004 et 2004-2005.
La vérité, monsieur le ministre, est que ces chiffres, déjà forts inquiétants, sont en réalité sous-estimés, car ils ne tiennent pas compte des délits et des infractions qui ne donnent jamais lieu à plainte et ne sont donc pas répertoriés.
Et vous nous proposez de continuer dans la même voie ? Ne comptez pas sur nous !
Nous ne sommes pas des anges : nous pensons bien évidemment qu'il faut réprimer quand une infraction est commise. Nous sommes pour le maintien de l'ordre et ne sommes absolument pas résolus à accepter sans sourciller que 117 voitures brûlent toutes les nuits en France, comme c'est le cas actuellement.
Mais nous pensons également que, si la répression ne remplit pas son rôle, si le nombre d'infractions va croissant, cela tient précisément à l'absence de prévention et de dissuasion.
Là encore, vous ne vous interrogez pas sur les causes. La disparition de fait de la police de proximité en est pourtant une. Les syndicats de police ne sont d'ailleurs pas hostiles à cette police de proximité. Ils reconnaissent que, si elle n'a pas produit tous les effets escomptés, c'est d'abord faute de temps - vous y avez mis fin, monsieur le ministre -, mais également de moyens, comme c'est d'ailleurs le cas dans tous les domaines liés à la délinquance.
Vos chiffres sont irrémédiablement faussés par la faiblesse du taux d'élucidation des délits. En effet, seuls 10 % des vols violents et des cambriolages sont élucidés. Dès lors, que signifient les statistiques ?
Vous voulez que les juges des enfants soient plus répressifs - les chiffres en notre possession indiquent d'ailleurs qu'ils ne sont pas aussi laxistes que vous le dites - et souhaitez pour cela confier l'audiencement au procureur et au président du tribunal de grande instance. Cette tentative de mise sous tutelle des juges est vouée à l'échec : en effet, avant de juger, il faut instruire. Or l'on sait que la justice manque cruellement de personnel pour le faire.
Mes collègues socialistes reviendront dans le détail sur les mesures que vous proposez. Je me contenterai donc de les évoquer brièvement.
Mes collègues reviendront notamment sur le rôle du maire, dont vous souhaitez faire, monsieur le ministre, un acteur majeur de la prévention de la délinquance. Nous sommes d'accord, mais nous refusons en revanche qu'il soit le premier maillon de la chaîne pénale. Cette position lui ferait perdre toute la force de médiateur que lui confère son élection par ses concitoyens.
Au fond, vous avez une vision agreste de la fonction de maire, monsieur le ministre : vous le voyez tirer les oreilles du voleur de cerises ! C'est oublier que la grande majorité de la population est administrée par des maires de grandes villes : ce sont donc leurs services qui effectueront les rappels à l'ordre, pas eux. Cela change tout !
Nous ne voulons pas non plus qu'on laisse les maires pratiquer une politique de prévention sans moyens. En effet, les crédits alloués aux contrats locaux de sécurité sont en forte diminution et les associations sont financièrement aux abois.
Enfin, les maires ne peuvent devenir des shérifs pourchassant et fichant les mineurs de moins de seize ans qui sèchent leurs cours !
Que les maires soient informés, très bien ! Qu'ils contribuent au fichage généralisé des familles à problèmes, non !
Nous ne sommes pas non plus d'accord pour que les maires soient impliqués, plus encore qu'aujourd'hui, en matière d'hospitalisation d'office, surtout si, au bout du compte, un fichier des malades est créé. Une telle possibilité mettrait les édiles dans une position délicate face à des cas psychiatriques lourds, n'ayant fait l'objet que d'un simple avis médical, comme c'est souvent le cas.
Mes collègues reviendront également sur la justice des mineurs.
Mme Patricia Schillinger. MM. les ministres n'écoutent pas ! Cela fait dix minutes qu'ils parlent entre eux ! Bel exemple de politesse et de respect !
M. Jean-Claude Peyronnet. Nous ne considérons pas du tout que l'ordonnance de 1945 est un texte tabou. Mon collègue Charles Gautier vous dira d'ailleurs ce qu'il reste de ce texte, c'est-à-dire pas grand-chose.
Nous pensons que les principes qui l'inspirent sont toujours d'actualité et que, si la répression, voire l'enfermement sont parfois nécessaires, ils ne sauraient s'exercer au détriment de l'éducatif.
Vous souhaitez traiter les jeunes de seize ans comme des majeurs et les mineurs de treize ans comme des mineurs de seize ans, ce que nous désapprouvons, même si nous savons que vous éprouvez une méfiance particulière envers les « grands gaillards de 1,90 mètre ». Nous refusons de considérer qu'un délinquant est un délinquant par état ou condition et qu'il n'est pas amendable, surtout s'il est en pleine évolution personnelle.
Or, avec la comparution immédiate, comme avec la composition pénale, en particulier pour les mineurs de treize ans, vous rapprochez de plus en plus la justice des mineurs de celle des majeurs. Écoutez ce que disent les fonctionnaires de la protection judiciaire de la jeunesse et vous comprendrez que, là encore, vous courez à l'échec.
Vous présentez votre texte comme un effort de clarification, de coordination et d'harmonisation. L'intention est bonne, le résultat, fâcheux. La confusion règnera entre l'État et le maire, entre le maire et le président du conseil général. On ne sait plus qui fera quoi, comment et avec quels outils.
Il ne s'agit pas pour nous de nous opposer systématiquement à la répression de la délinquance. Certes, nous avons surtout déposé des amendements de suppression sur un projet de loi qui, nous semble-t-il, n'est guère amendable, mais nous faisons également des propositions pour l'avenir.
Je n'en citerai que trois.
Nous ferons d'abord une proposition financière, afin de combler l'une des lacunes majeures de votre texte. Il s'agit de faire appel au gisement fiscal que constituent les sociétés de gardiennage, ce qui aurait dû attirer l'attention de l'ancien ministre de l'économie et des finances que vous êtes, monsieur le ministre. Une taxe pourrait leur être appliquée, ainsi qu'à la grande distribution, afin d'alimenter un fonds interministériel pour la prévention de la délinquance.
Nous ferons ensuite une proposition institutionnelle, afin de mettre de l'ordre dans la pagaille que vous instaurez. La coordination et l'impulsion de la prévention pourraient être exercées par un conseil interministériel rattaché au Premier ministre, car il n'y a aucune raison de confier cette tâche, qui regroupe l'action de nombreux ministères, au ministère de l'intérieur.
Enfin, nous ne négligeons pas les aspects plus fonctionnels. Ainsi je tiens beaucoup à la généralisation des travailleurs sociaux dans les commissariats, dont le financement pourrait être conjointement assuré par l'État et les conseils généraux. C'est dans le département que je présidais alors - dans le commissariat de Limoges - qu'a été mis en place en place pour la première fois un tel service, à temps complet. Ce dispositif donne les meilleurs résultats en termes de prévention, car il permet aux travailleurs sociaux de traiter tous les désordres signalés dans la main courante, même s'il ne s'agit pas d'infractions, et de les traiter très tôt, en relation avec les services sociaux de secteur.
Je sais, monsieur le ministre, que les préfets proposent actuellement aux maires de financer de tels postes à leurs frais et je m'étonne que ce point ne soit pas évoqué dans votre projet de loi.
Voilà des propositions concrètes, car nous ne nous contentons de dénoncer votre texte, qui est un texte d'opportunité politique, un texte de méfiance à l'égard de la société française, un texte de défiance à l'égard des acteurs de la prévention de la délinquance, un texte qui pourrait être le prélude à une territorialisation de la sécurité et, par conséquent, au délestage de l'État sur les collectivités, un texte qui stigmatise des groupes entiers de personnes considérées a priori comme potentiellement délinquantes, un texte inefficace, qui instaure la confusion, bref, un texte que nous ne voterons pas. Il a d'ailleurs peu de chances d'être appliqué dans un avenir proche ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis 2002, la délinquance a nettement diminué dans notre pays.
M. Jean-Claude Carle. Je crois que ce n'est pas le fruit du hasard : c'est bel et bien le résultat de la politique efficace et courageuse que vous avez engagée, monsieur le ministre d'État.
M. Jean-Claude Carle. Cette politique s'articule autour de trois principes.
Vous avez d'abord tenu à replacer la victime au centre de votre action, alors que nous en étions arrivés à accorder plus d'attention au délinquant qu'à sa ou à ses victimes.
Vous vous êtes par ailleurs attaché à soutenir celles et ceux qui concourent à assurer notre sécurité. Là encore, nous étions souvent plus soucieux des droits du voleur que de ceux du gendarme. Permettez-moi d'ailleurs, à cette occasion, de rendre hommage aux policiers, aux gendarmes et aux pompiers pour leur courage et leur sang-froid. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Enfin, votre troisième principe consiste à conjuguer prévention et sanction. L'opposition entre éducation et sanction mine la justice, en particulier la justice des mineurs, notre excellent rapporteur l'a rappelé, ainsi que M. le président de la commission des lois. La commission d'enquête sur la délinquance des mineurs, dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur, l'avait d'ailleurs mis en évidence dans son rapport.
Monsieur le ministre, je centrerai mon intervention sur cette partie de votre projet de loi, mais, auparavant, j'aborderai en quelques mots un point particulier, concernant les gens du voyage.
À cet égard, je tiens à saluer l'action de notre collègue Pierre Hérisson, qui préside la Commission nationale consultative des gens du voyage. Son travail, son implication et son souci de concertation ont suscité un certain apaisement et permis de réduire sensiblement les conflits.
Cela étant, un problème important demeure, lié à la complexité, à la lourdeur, à la longueur et au coût des procédures d'expulsion en cas d'occupation illégale d'un terrain public ou privé. J'y reviendrai lors de la discussion des articles et je proposerai la mise en place d'une procédure plus rapide, plus claire et donc plus efficace, s'appuyant sur un principe qui vous est cher, monsieur le ministre, celui du « gagnant-gagnant ».
J'en viens à la délinquance des mineurs.
Dans notre rapport intitulé Délinquance des mineurs : la République en quête de respect, nous affirmions tout d'abord que la délinquance des jeunes était non pas un fantasme, comme certains voulaient le faire croire, mais bien une réalité.
Cette délinquance est caractérisée par ce que j'appellerai les trois « plus ». Elle est plus importante : les actes de délinquance des jeunes ont augmenté de 80 % depuis 1994. Elle est plus violente : les actes de violence ont été multipliés par dix entre 1998 et 2002. Les auteurs de ces actes sont de plus en plus jeunes : la moitié d'entre eux ont moins de seize ans.
Qui sont ces jeunes délinquants ? Il s'agit, pour 92 % d'entre eux, de jeunes garçons, présentant quatre grandes caractéristiques.
Première caractéristique : leur famille a des difficultés à assumer sa mission, notamment du fait de l'absence du père.
Cette absence se prolonge tout au long du cursus du jeune par l'absence de l'homme : absence du père au sein de la famille, absence de l'homme à l'école - l'éducation nationale est un corps très féminisé -, absence de l'homme lorsque le jeune est traduit devant une juridiction - les juges pour enfants sont très souvent des femmes -, absence de l'homme lorsque le délinquant est sanctionné - la protection judiciaire de la jeunesse est, elle aussi, une administration très féminisée.
Mme Catherine Tasca. Heureusement ! Que resterait-il autrement ?
M. Jean-Claude Carle. Cette absence de l'homme constitue un véritable problème.
M. Jean-Luc Mélenchon. Est-ce à dire que les femmes sont criminogènes ?
M. Jean-Claude Carle. Deuxième caractéristique : la plupart de ces jeunes sont en situation d'échec scolaire. J'y reviendrai dans quelques instants.
Troisième caractéristique : nombre d'entre eux présentent un état de santé médiocre. Ils consomment très souvent de l'alcool et de la drogue, notamment du cannabis, qui, contrairement à ce qu'en disent certains, est non pas une drogue douce, mais une drogue dure et dangereuse. Sa concentration en principe actif, le THC, est aujourd'hui dix à quinze fois supérieure à celle du joint des « soixante-huitards ». (M. Jean-Patrick Courtois applaudit.)
Je me réjouis donc que le chapitre VI de votre texte comporte différentes dispositions tendant à prévenir la toxicomanie et autres pratiques addictives. Il s'agit là d'un véritable problème de santé et de sécurité publiques.
M. Jean-Luc Mélenchon. Me permettez-vous de vous interrompre, mon cher collègue ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Cela se fait pourtant !
M. Jean-Claude Carle. La quatrième et dernière caractéristique, comme nous l'avions dit à l'époque, en prenant maintes précautions oratoires, est la surdélinquance des jeunes issus des milieux de l'immigration. Que n'avons-nous pas alors entendu ! Nous ne traduisions pourtant que le constat que nous avions fait en consultant les mains courantes dans les commissariats.
À cet égard, permettez-moi de citer ce qu'écrivait le 4 décembre 2001 le père Christian Delorme, le curé des Minguettes, dans Le Monde : « En France, nous ne parvenons pas à dire certaines choses, parfois pour des raisons louables. Il en est ainsi de la surdélinquance des jeunes issus de l'immigration, qui a longtemps été niée, sous prétexte de ne pas stigmatiser. On a attendu que la réalité des quartiers, des commissariats, des tribunaux, des prisons impose l'évidence de cette surreprésentation pour la reconnaître publiquement. Et encore, les politiques ne savent pas comment en parler ».
M. Guy Fischer. Ce n'est pas vrai ! Et je suis conseiller général des Minguettes !
M. Jean-Claude Carle. En un mot, la délinquance de l'an 2000 n'a plus rien à voir avec celle de 1945.
Alors pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Les raisons sont multiples. Permettez-moi de les résumer.
L'une des raisons majeures est liée à l'insuffisance, à la défaillance, voire à la faillite des trois cercles de proximité qui structurent notre société autour du jeune : la famille, l'école et le tissu associatif.
Très souvent, en l'absence du père, les relations familiales sont essentiellement conflictuelles et c'est l'enfant qui fait la loi.
Mme Éliane Assassi. La morale, la religion ! La religion, la morale !
M. Jean-Claude Carle. Dans un cadre urbain déserté par les parents, les enfants et les adolescents découvrent rapidement qu'un profil délinquant est susceptible de leur offrir une intégration au sein du quartier et une rétribution qu'ils jugent hors d'atteinte dans la légalité. Leur premier rapport avec l'argent est souvent délictuel. L'école de la rue les entretient dans l'illusion que le crime paie. La rue concurrence alors l'école.
J'en viens maintenant à l'école, deuxième cercle de proximité après la famille. Elle éprouve de grandes difficultés à transmettre le savoir à ces jeunes qui, très rapidement, se sentent exclus par le système. Ils peinent à maîtriser les disciplines de base et ne peuvent recevoir d'aide de leurs parents. Ces derniers ont subi eux-mêmes un échec à l'école et en gardent parfois amertume et défiance.
Cette école, en particulier le collège, ne les intègre plus et n'est plus un sanctuaire les mettant à l'abri de la violence. À force de vouloir faire entrer tous les enfants dans un moule unique, l'école a fini par exclure plus gravement qu'auparavant une partie de ceux qui lui sont confiés.
Mme Marie-France Beaufils. Quels moyens leur donne-t-on ?
M. Jean-Claude Carle. Le tissu associatif, troisième cercle de proximité, après la famille et l'école, est lui aussi insuffisant. Il éprouve également de grandes difficultés à intégrer les jeunes par la voie du sport ou des activités culturelles.
Bon nombre de bénévoles démissionnent, d'abord parce qu'ils sont confrontés à des situations de violence auxquelles ils ne peuvent plus faire face, ensuite parce que les contraintes administratives et juridiques les conduisent à baisser les bras.
Cette défaillance des trois cercles de proximité, certains jeunes l'ont parfaitement intégrée et s'en prennent aujourd'hui au cercle suivant : le quartier, la ville ; la crise des banlieues en est d'ailleurs l'illustration.
Je voudrais citer Malek Boutih (Ah ! sur les travées du groupe socialiste), qui, alors président de SOS Racisme, avait longuement évoqué devant notre commission d'enquête le processus d'isolement de certains quartiers et le rôle joué par le trafic de stupéfiants : « II s'agit là de phénomènes qui sont lents à se mettre en place, mais l'idée d'avoir un sanctuaire pour pouvoir organiser le trafic est devenu primordial. Or, pour constituer ce sanctuaire, il est évident qu'il fallait créer une sorte de dynamique excluant tout ce qui est positif dans ce quartier et intégrant au sein de ce dernier tout ce qu'il peut y avoir de négatif. » Et l'idée, disait-il, était celle-ci : « On fait ce que l'on veut dans notre quartier, et en contrepartie on ne demande rien à l'extérieur. »
Eh bien non, on ne fait pas ce que l'on veut dans son quartier ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Non, on accepte et on respecte les lois de la République, et il est de notre devoir de faire respecter les lois et les règles de la République !
Cela passe, à mon sens, par trois conditions.
Il faut être ferme sur le respect de la loi. Il est impératif que les coupables soient jugés pour les délits commis : un incendie volontaire d'un bus ou l'aspersion d'essence d'une personne handicapée, ces actes fussent-ils perpétrés par des mineurs, sont des homicides, non de simples troubles à l'ordre public, et ils doivent être sanctionnés comme tels.
M. Charles Gautier. Ils sont sanctionnés, de toute façon !
M. Jean-Claude Carle. La minoration de peine pour un jeune ne doit pas pour autant se transformer en excuse de minorité. La sanction doit être rapide afin d'être comprise par le délinquant,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est l'inverse !
M. Jean-Claude Carle. ...par la victime et par la société.
Force est de constater que, malgré les importantes améliorations apportées par les lois Perben et par la loi relative à l'application des peines concernant les mineurs que Jean-Pierre Schosteck et moi-même avons fait adopter par le Parlement, des adaptations doivent encore être engagées.
Si la justice des mineurs, contrairement à une idée reçue, n'est pas particulièrement laxiste, cela a été dit tout à l'heure, elle reste cependant trop erratique. Les réponses ne font pas suffisamment sens parce qu'elles ne sont pas suffisamment claires, progressives, pas assez rapides ou quelquefois pas mises en oeuvre.
Permettez-moi de citer ce que Jean-Marie Petitclerc, éducateur spécialisé, déclarait devant notre commission : « Le système judiciaire de réponse à la délinquance est fondé sur ce principe, non explicité, mais tellement inscrit dans les pratiques, qui a peut-être sa légitimité du côté des adultes, mais qui, à mes yeux, s'avère désastreux d'un point de vue pédagogique : la première fois, ce n'est pas grave, ce qui est grave, c'est de recommencer. Or, je suis de ceux qui pensent, comme bon nombre de parents, que si l'on n'apporte pas une réponse crédible à la première transgression, on se discrédite pour la suite ». Je partage cette opinion.
Une telle attitude est en effet désastreuse, car elle persuade le mineur qu'il n'y aura jamais de « vraie » réponse.
M. Jean-Claude Carle. Bien évidemment, notre commission d'enquête n'a jamais plaidé pour un emprisonnement massif des mineurs, mais elle a constaté que l'accumulation pour un même mineur d'admonestations, de remises à parents, de sursis, constituait un moyen très sûr de le consolider dans un ancrage vers la délinquance.
Chaque délit doit être sanctionné proportionnellement à sa gravité, au profil du délinquant, et la sanction doit être mise en oeuvre rapidement, car le sentiment d'impunité de certains mineurs s'enracine dans ce constat que la justice ne fait pas ce qu'elle dit.
À cet égard, permettez-moi de citer les propos désabusés d'un premier substitut lors d'une visite d'un tribunal pour enfants : « Ici, c'est Darty, sans le service après-vente » !
Les dispositions prévues au chapitre VII de votre texte, monsieur le ministre d'État, permettent d'apporter cette réponse rapide, progressive et proportionnée.
M. Jean-Claude Carle. Elles viennent compléter celles que nous avions introduites dans la loi Perben.
La deuxième condition est d'aider les trois cercles défaillants : la famille, l'école et les associations.
La famille est le premier cercle de décision, mais aussi, souvent, dans ce domaine, lieu de démission. Là encore, loin de moi l'idée de stigmatiser, de culpabiliser, mais bien de responsabiliser, c'est-à-dire de prévenir, d'informer, de rappeler aux parents leurs droits, mais aussi leurs devoirs, et donc, si nécessaire, de sanctionner.
C'est le sens des mesures inscrites au chapitre relatif au Conseil pour les droits et devoirs des familles, qui reprend plusieurs propositions de notre commission d'enquête.
Quant à l'école, son rôle est essentiel dans la prévention de la délinquance, car l'école voit passer tous les enfants. Elle peut donc jouer un rôle considérable dans le repérage précoce des difficultés et des comportements violents.
L'absentéisme et le décrochage scolaires sont souvent les premiers signes d'une dérive vers la délinquance. Les délais entre le signalement d'un absentéisme caractérisé et l'action mise en place sont encore beaucoup trop longs. Tel ce cas exposé à la commission lors d'une visite dans une école à Vaulx-en-Velin : il a fallu en effet plus de trois ans, une tentative de meurtre et une tentative de suicide pour que l'inspection académique réagisse et trouve avec la protection judiciaire de la jeunesse une solution de placement adéquat pour le mineur mis en cause. Cela n'est pas acceptable.
L'école doit être à la pointe du dépistage précoce, et le chef d'établissement doit pouvoir informer rapidement et simultanément son autorité de tutelle et le maire des comportements déviants. C'est le sens de l'un de mes amendements.
De même, il convient de briser l'humiliation ressentie par ceux qui ne parviennent pas à trouver leur place dans le moule du collège actuel. Permettez-moi de citer un propos tenu par M. Sébastien Roché lors de son audition du 6 mars 2002 devant notre commission : « Lorsqu'un enfant est mauvais à l'école, eh bien, il est mauvais obligatoirement jusqu'à seize ans, six heures par jour. »
J'en viens au troisième cercle, le tissu associatif, et d'abord pour saluer les mesures prises par Jean-François Lamour, ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative, pour endiguer la violence dans les stades.
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Jean-Claude Carle. Le cercle associatif repose essentiellement sur le bénévolat. Aujourd'hui, nombre de bénévoles passent 80 % de leur temps à satisfaire des exigences administratives ou juridiques. Il faut inverser cette proportion et faire en sorte que chaque bénévole puisse se consacrer essentiellement à son engagement, qu'il soit sportif, culturel ou humanitaire.
Troisième condition : je crois, monsieur le ministre d'État, qu'il faudra tôt ou tard remettre à plat la politique de la ville. Beaucoup d'argent a été investi depuis vingt ans, plus de 7 milliards d'euros cette année ; soixante-douze métiers d'animation y sont recensés. Force est de constater que les résultats ne sont pas à la hauteur des moyens investis.
La raison, à mon sens, en est simple : l'État n'est pas le mieux placé pour engager les actions tant les situations sont différentes et tant nous devons être réactifs. En ce domaine, monsieur le ministre d'État, je fais davantage confiance au maire de Vénissieux, à celui du Raincy, à celui d'Évry ou à celui de Drancy qu'à l'État.
M. Jean-Claude Carle. Aussi, j'approuve les dispositions de l'article 1er qui font du maire le pivot de la prévention de la délinquance. Il est celui qui anime et coordonne cette politique. Mais cela a un corollaire, c'est le devoir pour tous les autres acteurs - de la justice, de la police, de la PJJ, des services sociaux - d'informer le maire, dans le respect du secret professionnel.
Cette coordination, ce suivi, ce véritable fil rouge fait aujourd'hui défaut et la politique en la matière relève trop souvent de la « patate chaude » : on déplace les problèmes plus qu'on ne les résout. Tel ce cas d'un jeune psychotique confié à une classe pour enfants handicapés, entraînant un grand désordre dans cette structure et la plainte des parents.
Dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, il revient à la loi de cadrer les évolutions, les orientations et de favoriser ensuite des actions de partenariats et de proximité.
Voilà, monsieur le ministre d'État, les réflexions que je souhaitais formuler sur la délinquance, en particulier sur la délinquance des mineurs, en saluant l'excellent travail réalisé par le rapporteur de la commission des lois et par son président, Jean-Jacques Hyest.
Je conclurai en citant de nouveau M. Petitclerc : « Sortons de ce faux débat qui nous a conduits à avoir un corps, celui des éducateurs, voulant éduquer sans sanctionner et un autre corps qui aurait la prétention de sanctionner sans éduquer. » Ayons donc, mes chers collègues, l'honnêteté et le courage de sortir de ce mauvais discours.
Sachons prévenir, informer, éduquer, sanctionner, réparer - je reviendrai sur la réparation à l'occasion de la discussion des articles, monsieur le ministre d'État, car cette mesure n'est, à mon sens, pas assez utilisée -, l'objectif étant bien sûr non pas d'enfermer, mais d'aller vers la réinsertion du plus grand nombre.
Sachons donner une deuxième chance à ces jeunes. Au nom de quelle morale, de quel principe, mes chers collègues, refuserions-nous de donner des références de comportement à des jeunes qui n'ont pas eu la chance d'avoir la famille ou l'école pour les leur donner ? Nous serions coupables de ne pas le faire !
Notre illustre collègue Victor Hugo n'écrivait-il pas : « Un enfant qu'on enseigne est un homme que l'on gagne » ?
Nous sommes tous responsables et avons le devoir de faire gagner nos enfants, tous nos enfants, car ce sont les enfants de la France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
MM. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, et Nicolas About, rapporteur pour avis. Remarquable !
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ceux qui, avec une certaine affectation, s'étonnent que nous débattions aujourd'hui d'un projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, je voudrais rappeler, même si cela a déjà été dit, que nous traitons d'un problème bien réel dans la vie quotidienne de nos concitoyens.
Il est vrai, monsieur le ministre d'État, que les résultats en matière de lutte contre la délinquance sont bons...
Mme Catherine Tasca et M. Charles Gautier. Ah oui ?
M. François Zocchetto. ... et nous nous en félicitons.
Mais, dans le même temps, nous devons malheureusement constater que les actes de violence ont augmenté de 7,5 % entre août 2005 et juillet 2006. Il reste donc du travail à accomplir pour consolider et même améliorer la situation.
Il est, par conséquent, tout à fait légitime que nous discutions de la prévention de la délinquance.
Le texte que vous nous présentez, monsieur le ministre d'État, messieurs les ministres, est ambitieux, voire audacieux en ce qu'il tente le jeu de la transversalité entre les ministères. Il n'est guère facile, en effet, de traiter de matières aussi différentes mais complémentaires que l'ordre public, la justice, le logement, la solidarité, l'éducation nationale et la santé.
Des inquiétudes se sont manifestées ici ou là ; je pense en particulier aux acteurs des services sociaux et aux psychiatres. Une certaine confusion risque également de régner parmi ceux qui interviennent dans la politique de prévention.
Au demeurant, même à l'issue de notre discussion, peut-être éprouverons-nous, nous aussi, un sentiment d'inquiétude en nous demandant si nous n'avons rien oublié tant le texte touche à diverses matières...
Permettez-moi de dire quelques mots sur les acteurs de la prévention.
Vouloir faire du maire l'acteur majeur de la politique de prévention est une bonne idée ; c'était d'ailleurs souvent le cas. Il s'agira donc de concrétiser des pratiques qui existent déjà, au nom du principe de proximité, un principe qui nous convient.
Néanmoins, je crois utile de rappeler, après d'autres intervenants, qu'il est absolument nécessaire de préciser les relations et les responsabilités entre les maires, les présidents de conseils généraux et les présidents de structures intercommunales. Au passage, je dirai qu'il me semble délicat de confier à ces derniers, alors qu'ils ne sont pas élus au suffrage universel direct, des pouvoirs similaires à ceux des maires.
Quoi qu'il en soit, les amendements déposés à l'article 5 par nos rapporteurs nous paraissent constituer une grande avancée.
L'échange d'informations entre le parquet et les maires existe depuis la loi du 9 mars 2004, dite « loi Perben II ». Les maires ne réclament pas forcément des pouvoirs de police supplémentaires, mais ils ont besoin d'être informés et écoutés.
En matière de lutte contre les violences conjugales, je ferai deux remarques, qui rejoignent, d'ailleurs, la position du rapporteur de la commission des lois.
D'une part, il convient de tenir compte de la loi récemment adoptée et de ne pas modifier à nouveau ce que nous venons de décider.
D'autre part, nous n'avons pas totalement résolu, au cours de nos travaux en commission, la question du secret médical.
Je crois nécessaire de rappeler devant vous, monsieur le ministre d'État, le caractère absolu du secret médical. Je suis opposé à la possibilité pour un médecin de révéler au procureur de la République les violences dont est victime une patiente majeure dans sa vie familiale sans en informer l'intéressée. J'espère que notre discussion permettra de clarifier ce point.
Le dispositif proposé en matière de lutte contre la toxicomanie recueillera, je pense, l'assentiment de la majorité d'entre nous. Chacun sait que le dispositif actuel est inadapté et, d'ailleurs, inappliqué. À quoi servent des dispositions que plus personne n'applique ? Il est beaucoup plus utile d'adopter un nouveau dispositif orienté vers l'injonction thérapeutique, d'une part, et l'ordonnance pénale, d'autre part.
Quoi qu'il en soit, les mesures proposées en la matière sont assez consensuelles.
Pour ce qui concerne la justice des mineurs, il est évidemment toujours risqué de modifier des articles de l'ordonnance de 1945. À cet égard, tout comme pour l'hospitalisation sous contrainte, qui est régie par la loi du 27 juin 1990, j'aimerais vous faire part de notre déception. Un travail de fond plus ambitieux aurait en effet pu être conduit, d'autant que le temps ne manquait pas.
S'il est vrai que les principes de l'ordonnance de 1945 nous paraissent intangibles, il n'en demeure pas moins que les dispositions qui en découlent doivent être nettement adaptées. Le projet de loi prévoit quelques modifications auxquelles, là encore, nous ne pouvons que souscrire. Ainsi, il est prévu d'étendre les possibilités de contrôle judiciaire pour les jeunes de treize à seize ans, de créer quatre nouvelles sanctions éducatives applicables aux mineurs de dix ans et plus, d'introduire une mesure éducative d'activité de jour et de placer en centre éducatif fermé des mineurs condamnés à de l'emprisonnement ferme.
Cela étant, il y a deux mesures nouvelles sur lesquelles j'aimerais faire quelques observations.
La procédure de jugement à délai rapproché des mineurs - qui pourrait être dénommée « présentation immédiate » - relève d'une bonne initiative. En effet, vouloir juger un mineur un an ou un an et demi après les faits n'a de sens ni pour la victime, qui ne comprend pas, ni pour le mineur lui-même, qui n'est absolument plus, lorsqu'il se présente devant le tribunal, celui qu'il était au moment où il a commis les faits. Faut-il le rappeler, l'effet dissuasif et pédagogique de la sanction pour des mineurs ne s'entend que si celle-ci est prononcée rapidement après les faits.
Néanmoins, je proposerai de ramener à un an au lieu de dix-huit mois le délai durant lequel doivent s'effectuer les investigations concernant la personnalité du mineur, car nous avons vraiment intérêt à bien connaître le mineur qui sera présenté de façon immédiate au tribunal pour enfants - et non, d'ailleurs, devant le juge pour enfants.
Mon autre observation concerne la composition pénale, dont la commission des lois a pu mesurer tous les mérites au cours d'une mission d'information sur les procédures accélérées de jugement. C'est une bonne procédure : dès lors, rien ne s'oppose à ce qu'elle soit étendue aux mineurs.
Toutefois, je ferai une distinction entre les mineurs de moins de seize ans et ceux de plus de seize ans.
Pour les mineurs de seize à dix-huit ans, cette procédure est adaptée, d'autant que la gamme des sanctions qui peuvent être proposées par le procureur ou son délégué se trouve élargie par des mesures à caractère éducatif, scolaire, pédagogique ou de réparation. Cependant, j'ai du mal à me persuader que des enfants de treize à seize ans puissent avoir une capacité de discernement suffisante pour mesurer à la fois la portée de leurs actes, leurs conséquences et les implications d'une acceptation, qui est présentée - à tort, bien sûr ! - par certains comme une transaction directe avec le procureur ou, le plus souvent, avec son délégué.
Je défendrai donc également un amendement réservant la composition pénale aux mineurs de plus de seize ans.
Pour conclure, j'espère que toutes ces propositions, tant celles de la commission des lois, éclairée par les avis de la commission des affaires sociales, que de nombreux amendements « extérieurs » que nous avons examinés en commission recevront un avis favorable de la part tant du Gouvernement que des rapporteurs. Je salue d'ailleurs le travail sérieux et constructif de ces derniers, qui a permis à l'ensemble des membres du Sénat d'aborder ce texte avec discernement. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Monsieur le ministre délégué aux collectivités territoriales, permettez-moi de répondre d'un mot à ce qu'a dit M. Sarkozy à Mme Luc au sujet de Cachan. J'aurais préféré le faire en sa présence, mais je suis sûre que vous lui ferez part de mes propos.
Vous le savez, nous sommes opposés à votre politique à l'égard des étrangers qui se trouvent sur notre sol, mais cela fait partie du débat politique normal. En revanche, lorsqu'un ministre oppose ceux qui attendent un logement et sont en situation régulière à ceux qui sont sans papiers et sans logement, il utilise un argument indigne d'un ministre de la République : opposer des pauvres à des pauvres, c'est souffler sur de mauvaises braises. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Dans le débat qui s'ouvre, il serait sage de ne pas utiliser de tels arguments. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Patrick Courtois. Pourquoi ?
Mme Catherine Tasca. Depuis le début de la présente législature, le Gouvernement a fait voter cinq lois destinées à améliorer la sécurité de nos concitoyens, dont M. Sarkozy avait fait sa priorité numéro un. Pour quels résultats ?
La violence dans la société française nous préoccupe tous. Certaines formes de cette violence sont même en augmentation : les violences aux personnes, les violences scolaires - 82 000 faits graves constatés dans les collèges et les lycées publics l'année dernière - ou la délinquance des mineurs ... Quant aux violences urbaines, elles n'avaient jamais connu la gravité de celles de l'automne 2005 !
Votre bilan signe l'échec de votre politique en matière de sécurité. Ce nouveau projet de loi, présenté sans réelle concertation, n'est donc destiné qu'à masquer cet échec.
Notre devoir de parlementaires est d'informer nos concitoyens du décalage qui existe entre vos multiples effets d'annonce et la réalité des résultats. Avec ce nouveau texte de loi, j'ai envie de dire qu'il y a tromperie sur la marchandise, l'intitulé « prévention » n'étant qu'un emballage pour un contenu essentiellement répressif.
Mme Marie-France Beaufils. Tout à fait !
Mme Catherine Tasca. Les innovations les plus inquiétantes sont concentrées dans le chapitre VII, qui réforme la justice des mineurs en durcissant les peines et les procédures afin de les rapprocher dangereusement de celles de la justice des majeurs. Et cela sans qu'aucun diagnostic sérieux sur les causes de la délinquance dans la jeunesse vienne justifier ce virage dans notre législation !
Certes, un enfant de 2006 n'est pas un enfant de 1945, mais il n'en demeure pas moins un enfant ...
Monsieur le ministre, si l'on vous suivait, on finirait par supprimer carrément l'ordonnance de 1945, tant de fois révisée, et par abaisser la majorité civile et pénale à seize ans, voire à treize ans.
L'esprit de l'ordonnance de 1945 était de donner la priorité aux actions éducatives. Inspiré par des résistants qui avaient découvert le problème de l'incarcération des mineurs pendant l'occupation, ce texte fondateur de notre droit garde aujourd'hui tout son sens.
Affirmer la priorité éducative ne veut pas dire s'interdire la répression à l'encontre des mineurs, comme cela est trop régulièrement affirmé. L'ordonnance de 1945 fixe une orientation de base ; elle ne méconnaît pas la nécessité d'une démarche d'autorité et de répression, ...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous sommes bien d'accord !
Mme Catherine Tasca. ... mais elle privilégie l'action éducative.
C'est, de notre point de vue, la seule démarche juste. Une société civilisée et riche comme la nôtre n'a pas le droit de renoncer à sa responsabilité éducative à l'égard de tous ses enfants.
Lorsqu'il s'agit de traiter la délinquance, nier la spécificité de la jeunesse, en particulier de l'adolescence, est un contresens. C'est, de fait, renoncer à prendre les moyens de combattre efficacement la délinquance. C'est aussi prendre le risque de stigmatiser un peu plus la jeunesse la plus fragile et de la conforter dans son sentiment d'incompréhension et de rejet.
J'ai participé il y a quelques jours, dans mon département des Yvelines, aux États généraux de l'adolescence. J'ai été frappée par le décalage entre la parole des jeunes et celle des adultes. Pour les pouvoirs publics, ne pas prendre la mesure de ce décalage est une faute ; or c'est bien la voie que vous empruntez !
Je prends trois exemples flagrants.
Tout d'abord, l'article 35 du projet de loi prévoit notamment d'étendre la mesure de composition pénale, sous réserve de quelques adaptations, aux mineurs dès l'âge de treize ans. Il s'agit d'une mesure symbolique de votre renoncement à l'éducatif. Même si la sentence peut avoir une vertu pédagogique, elle sera prononcée sans audience, sans débat contradictoire, sans dialogue pédagogique préalable.
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Mais avec des limites très précises !
Mme Catherine Tasca. La constitutionnalité de cette disposition est d'ailleurs discutable si l'on se réfère aux principes posés par le Conseil constitutionnel.
Circonstance aggravante : en donnant la main aux procureurs, votre texte semble exprimer à l'égard des juges pour enfants une certaine défiance que rien ne justifie.
Ensuite, l'article 38 prévoit une quasi-comparution immédiate des mineurs, sur le modèle de la procédure pour les majeurs. Alors que cette procédure applicable aux majeurs fait l'objet de vives critiques de la part des professionnels de la justice, ...
Mme Josiane Mathon-Poinat. Tout à fait !
Mme Catherine Tasca. ... en raison des atteintes qu'elle porte aux droits de la défense, il nous semble particulièrement inopportun de l'étendre aux mineurs.
Enfin, la mise en oeuvre de la sanction éducative de placement d'une durée d'un mois, prévue à l'article 39, imposera la création de nouveaux établissements spécifiques.
On peut d'abord se demander si un placement d'un mois est susceptible d'avoir une quelconque utilité : en un mois, que peut-on résoudre sérieusement ? Mais surtout, on peut s'interroger sur les moyens nécessaires qui seront engagés au détriment des établissements éducatifs classiques, qui en manquent déjà cruellement.
On touche là à un autre défaut grave de votre projet de loi : comment imaginer une réforme ambitieuse de la prévention de la délinquance sans les moyens correspondants ? En somme, le Gouvernement demande aux services de l'État de faire mieux avec pas plus, voire moins de moyens. En outre, la mesure d'activité de jour applicable dès treize ans ne sera assurément pas facile à concilier avec l'obligation scolaire.
Au total, les dispositions du projet de loi concernant les mineurs continueront de marginaliser l'action éducative, privée du temps et des moyens nécessaires, au profit d'une répression accrue qui ne s'attaque en rien aux causes de la violence. Plus que jamais, il faudrait au contraire agir sur le moyen et long terme. Une politique de prévention doit être une politique familiale, sociale, s'appuyant sur l'éducation nationale, la protection judiciaire de la jeunesse et les éducateurs spécialisés.
Après la France qui rejette sur les étrangers tous les maux de la société, M. Sarkozy - et j'espère qu'il entendra ce propos - nous propose une France qui a peur de ses enfants. Cette France-là, nous ne l'acceptons pas. C'est pourquoi, pour rester fidèles au pays que nous aimons, nous ne voulons pas de ce projet de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, « il n'y a pas de fatalité à l'explosion de l'insécurité » : tel est le message que nous avait adressé Nicolas Sarkozy lors de son arrivée place Beauvau, en 2002.
Je me souviens de nos travées, il y a seulement quatre ans, alors que j'avais l'honneur et le plaisir d'être rapporteur, au nom de la commission des lois, du projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, puis, quelques mois plus tard, du projet de loi éponyme pour la sécurité intérieure. Certains regards étaient désabusés et trahissaient le doute, y compris dans nos rangs, quant à notre capacité à restaurer l'autorité de l'État dans notre pays. D'autres regards, plus condescendants, semblaient inviter M. Sarkozy à rentrer dans le rang, à se contenter d'entrer dans le moule de ses prédécesseurs. Les derniers, peut-être ceux qui se voulaient les plus sages, souhaitaient apaiser son enthousiasme craignant que nous ne puissions satisfaire cette immense attente de nos concitoyens.
Car n'oublions jamais qu'il y a seulement quatre ans, un dimanche soir d'avril, nos compatriotes nous ont adressé un message d'une clarté absolue : « L'insécurité a atteint dans notre pays un niveau insupportable. Après plusieurs années d'atermoiements, il est temps de mener une politique volontariste ! » (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Ceux qui, par angélisme ou « naïveté », ont voulu faire croire que l'insécurité était un « sentiment », voire un « fantasme », ont payé ce soir-là chèrement le refus systématique et idéologique d'appréhender la réalité sociale et l'insécurité quotidienne que subissent tous les Français.
Je rappelle le constat accablant de cette époque pourtant pas si lointaine : une criminalité et une délinquance en augmentation exponentielle et sans précédent de 1997 à 2002 ; une démobilisation des services de l'État, la faiblesse des moyens, avec des crédits qui se réduisaient sans cesse ; ...
M. Jacques Mahéas. C'est faux ! Qu'est-ce que c'est que ces mensonges !
M. Jean-Patrick Courtois. ... une police de proximité, qui s'est révélée irréaliste, imposée à marche forcée ; une autorité stigmatisée et affaiblie par la peur de punir, illustrée par cette emblématique circulaire de l'éducation nationale qui demandait aux directeurs d'établissements d'éviter les sanctions.
À l'inverse, le bilan que l'on peut dresser aujourd'hui est positif, et il n'est pas inutile de rappeler parfois ces vérités, non pour se congratuler, mais pour mesurer l'ampleur du chemin parcouru, sans oublier pour autant tout ce qu'il demeure à accomplir.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. En quatre ans, les faits constatés par les services de police et de gendarmerie ont diminué de près de 9 %. De 1998 à 2002, la délinquance de voie publique avait augmenté de plus de 10 % ; depuis 2002, elle a reculé de près de 24 %.
Plusieurs sénateurs socialistes. Ce n'est pas vrai !
M. Charles Gautier. Et le nombre de voitures brûlées ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ça vous ennuie, c'est tout !
M. Jean-Patrick Courtois. Le nombre d'infractions révélées par l'activité des services a progressé de plus de 40 %, alors qu'elle était en recul avant 2002. Le taux d'élucidation a progressé de 25 % à 34 %, alors qu'il était également en recul auparavant.
Enfin, en matière de lutte contre la criminalité organisée et la délinquance spécialisée, le taux d'élucidation est lui aussi passé de 69 % à 85 % alors qu'il était en recul de plus de 12 %.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est de la propagande !
M. Jean-Patrick Courtois. Cette réussite, face à l'incrédulité générale, est d'abord le succès d'une méthode volontariste (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste), qui nous fait toujours garder à l'esprit que nos concitoyens attendent de nous que nous ne ménagions pas notre peine.
Au temps des formules péremptoires sur le tout-éducatif où le tout-répressif a succédé le temps de l'action et du pragmatisme. (M. Bernard Frimat s'esclaffe.)
Comme vous, messieurs les ministres, et c'est principalement sur ce point que nous nous rejoignons, peu me chaut de savoir si la politique que nous allons mettre en oeuvre est de gauche ou de droite, plutôt répressive ou plutôt laxiste, plutôt « bâton » ou plutôt « bonbon » !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quel niveau élevé de réflexion !
M. Jean-Patrick Courtois. À l'instar de nos concitoyens qui ont souvent plus de mesure et de bon sens que nombre d'entre nous, j'attends d'une politique qu'elle soit avant tout efficace, qu'elle ne s'enferme dans aucune idéologie réductrice et, surtout, j'attends de nos décideurs qu'ils essayent, qu'ils tentent, qu'ils prennent des risques, quitte ensuite à rectifier le tir.
Mme Éliane Assassi. Arrêtez de prendre les gens pour des imbéciles !
M. Jean-Patrick Courtois. C'est ce que vous nous avez sans cesse expliqué, messieurs les ministres.
Avec pragmatisme, nous avons jeté aux orties, de concert, nos vieilles théories pour apprendre à conjuguer ensemble toutes les facettes de l'action publique.
M. Charles Gautier. Quel baratin !
M. Jean-Patrick Courtois. Je veux maintenant dire un mot de la nécessité de la sanction.
Beaucoup d'observateurs ont tout de même eu le sentiment que notre politique en matière de sécurité et de lutte contre la délinquance, notamment celle des mineurs, demeurait imprégnée de cette prétendue idéologie conservatrice du tout répressif.
Que les choses soient dites une fois pour toute : lorsque l'on sert la ceinture en matière fiscale, c'est parce que les prédécesseurs ont « rasé gratis » ! De même, lorsqu'on déplace le curseur vers un rétablissement de l'autorité de l'État, c'est pour rééquilibrer une situation penchant anormalement de l'autre côté.
Mme Marie-France Beaufils. C'est la fiscalité qui penche anormalement de l'autre côté : tout pour les riches !
M. Jean-Patrick Courtois. J'assume parfaitement cette politique, à laquelle j'ai contribué en tant que rapporteur pour le Sénat : création d'infractions nouvelles pour tenir compte des nouvelles réalités de la criminalité et de la délinquance modernes ; amélioration des moyens de la police scientifique ; création de fichiers sécurisés des délinquants les plus dangereux.
Ces mesures ont participé avec succès au rétablissement de l'autorité de l'État. Qui peut dire ici qu'il n'était pas temps d'adresser ce signal fort à nos compatriotes ?
Il faut élargir le prisme. Ce coup d'arrêt immédiat à l'envol des actes de délinquance, puis l'amélioration constante des statistiques nous permettent aujourd'hui de passer à la seconde étape pour parachever ce diptyque.
D'ailleurs, plutôt que de parler de diptyque, permettez-moi de parler d'ultime volet.
Un auteur que j'affectionne particulièrement, Marcel Proust, avait intitulé sa saga À la recherche du temps perdu et avait clos cette quête par un ultime volet, le Temps retrouvé. C'est un peu ce qu'évoque en moi le texte que nous examinons aujourd'hui.
Mme Éliane Assassi. Pauvre Marcel, il doit se retourner dans sa tombe ! (Sourires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Jean-Patrick Courtois. Venant compléter un corpus législatif déjà dense, voici poindre un texte illustrant une nouvelle méthode, formulant de nouveaux objectifs, complémentaires des précédents : l'idée est à présent de prévenir la délinquance en amont afin de prendre le mal à la source et d'éviter le glissement progressif vers une délinquance qui ne doit pas être une fatalité sociale.
Je ne m'étendrai pas sur chacune des dispositions de ce projet de loi. Notre excellent rapporteur, Jean-René Lecerf, a déjà accompli avec clarté cette tâche, et mon groupe et moi-même partageons en tout point son analyse. Je tiens, à ce titre, à le féliciter, pour son remarquable travail et pour la studieuse conscience avec laquelle il sacrifia une grande part de notre courte intersession pour auditionner tous les professionnels intervenant à chaque maillon de la chaîne de la protection sociale des personnes.
Je souhaite insister sur deux points très précis : le rôle central conféré au maire par ce projet de loi, d'une part, et les mesures en matière de délinquance des mineurs, d'autre part.
Ce projet de loi apporte une avancée majeure que, comme représentants des élus locaux, et souvent maires nous-mêmes, nous ne pouvons pas ne pas apprécier à sa juste valeur : la reconnaissance du rôle du maire.
Au Sénat, cela fait déjà bien longtemps que nous plaidions pour un tel renforcement ; je pense notamment à la proposition de loi des quatre présidents de la majorité sénatoriale dans son ancienne configuration, Henri de Raincourt, Josselin de Rohan, Jean Arthuis et Guy Cabanel, qui, à l'aune de nos travaux, avaient proposé dès 2001 de réformer l'ordonnance de 1945 et de renforcer les prérogatives du maire.
Ce renforcement était et demeure nécessaire d'abord parce que c'est tout naturellement vers le maire que se tournent ses administrés lorsqu'un trouble survient dans leur quotidien.
Il fallait aussi les renforcer parce que le maire est l'homme idoine, celui qui se trouve au bon échelon afin de garantir la proximité qu'un autre chef d'exécutif ne saurait avoir, et qu'il est en position de pivot pour pouvoir coordonner toutes les politiques locales de prévention des comportements délictueux lorsqu'il est encore temps de le faire.
Le maire est ce right man at the right place, si vous me permettez cet anglicisme, parce qu'il coordonne les dispositifs locaux, parce qu'il est officier de police judiciaire sans revêtir aux yeux de nos concitoyens l'uniforme du gendarme, parce c'est lui qui connaît le mieux son territoire communal.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Qu'est-ce qu'il fera après ?
M. Jean-Patrick Courtois. La généralisation à toutes les villes de plus de 10 000 habitants des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance que nous avions adoptés dans la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, la LOPSI, répond à ce besoin.
L'accompagnement parental lui permettra également, en cas de troubles de voisinage, de défaut de surveillance ou d'assiduité scolaire, de proposer aux parents un stage ou une mesure de réparation ainsi que toute mesure utile pour rétablir l'équilibre de la famille.
Le rappel à l'ordre - dois-je préciser qu'il est déjà pratiqué sur l'ensemble de notre territoire sans assise légale avec néanmoins tout le succès qu'il mérite ? - lui permettra également, dans le cadre du conseil pour les droits et devoirs des familles, d'apporter une première réponse préventive à un mineur tout au début de la chaîne de la délinquance, sans attendre que ce mineur devienne justiciable pour des faits bien plus graves, des mois ou des années plus tard.
Certains prétendent, paraît-il - mais peut-être s'agit-il de propos déformés -, que ce texte tendrait à faire du maire une sorte de shérif à l'échelle de sa commune : il deviendrait un caudillo détenant le pouvoir de police, le pouvoir de sanction, le pouvoir de coercition de ses travailleurs sociaux.
Comment, dans une assemblée comme la nôtre, pourrait-on laisser dire de telles choses ? Nous savons mieux que quiconque que les maires n'ont d'autre objectif que d'améliorer la qualité de la vie dans leur cité.
Ces allégations sont totalement absurdes et infondées. Le pouvoir du maire demeurera à chaque fois encadré.
En matière d'allocations familiales, pour ne prendre que cet exemple, le maire n'aura d'autre pouvoir que celui de saisir le juge des enfants sur la mise sous tutelle des allocations familiales. Peut-on raisonnablement parler de dérive autocratique locale au sujet d'un pouvoir de saisine ?
En ce qui concerne maintenant la délinquance des mineurs, mon collègue Jean-Claude Carle s'étant déjà longuement exprimé sur le sujet, je me bornerai à un constat.
Cette délinquance a augmenté de 80 % en dix ans. En 2005, près de 200 000 mineurs ont été mis en cause dans des affaires judiciaires. De plus, cette délinquance se caractérise surtout par des actes d'une violence dont les limites sont sans cesse repoussées.
L'éducation et la prévention sont naturellement le fondement de toute politique pénale des mineurs. Néanmoins, le cadre de l'ordonnance de 1945 repose sur des constats d'une autre époque, où la délinquance était d'une autre nature.
Il était essentiel de revoir le cadre législatif pour apporter des réponses graduées en maintenant la sanction éducative au centre du dispositif.
Tout d'abord, l'extension de la composition pénale aux mineurs dès treize ans sera particulièrement adaptée à la petite délinquance. Elle permettra au parquet, en contrepartie de l'abandon des poursuites, de proposer à un délinquant qui reconnaît les faits de se conformer à certaines obligations éducatives.
De la même manière, il était absolument essentiel de raccourcir les délais de jugement.
Effectivement, bien souvent, la machine judiciaire ne se met en route que trop tardivement, alors que le mineur est déjà en perte totale de repères.
Il pouvait, dans certains cas de figure, être arrêté plus d'une dizaine de fois avant d'être jugé pour le premier de ses délits ! Tout cela contribuait à entretenir un fort sentiment d'impunité chez ces mineurs, et il était temps d'y remédier.
C'est ce qui est proposé au travers de la procédure de jugement à délai rapproché applicable aux mineurs de plus de seize ans, lorsque la peine encourue est supérieure ou égale à trois ans.
Enfin, le projet de loi prévoit toute une série de mesures opportunes en matière d'assistance éducative.
Premièrement, il prévoit la modification du contrôle judiciaire pour les mineurs afin de pouvoir les placer sous contrôle si la peine encourue est supérieure ou égale à sept ans.
Deuxièmement, il prévoit un avertissement solennel pour les mineurs dès dix ans en en prévoyant qu'il ait lieu dans l'enceinte même du palais de justice et en présence des parents.
Troisièmement, il prévoit la mesure de placement éloigné du lieu de résidence habituelle dès dix ans, qui donne au juge la possibilité d'ordonner son éloignement, pour une durée maximum d'un mois, et son placement dans une institution ou un établissement où sera mis en oeuvre un travail psychologique, éducatif et social en lien avec l'infraction commise.
Quatrièmement, il prévoit l'exécution de travaux scolaires dès dix ans afin de redonner le goût de l'étude en imposant au jeune mineur l'exécution de travaux scolaires adaptés à son niveau.
Cinquièmement, il prévoit le placement dans un internat dès dix ans pour une durée correspondant à une année scolaire afin de ne pas interrompre le cursus, tout en apparaissant comme une sanction.
Sixièmement, enfin, il prévoit la mesure d'activité de jour dès treize ans, mesure éducative reposant essentiellement sur l'importance de la socialisation du mineur en milieu de travail, centrée sur l'activité assignée aux mineurs et structurée sur un accueil à la journée.
Toutes ces mesures sont particulièrement utiles parce que l'ordonnance de 1945 pèche gravement par son inadaptation à la réalité contemporaine.
Entre la totale impunité des mineurs et l'arsenal de sanctions pénales qui peuvent leur être infligées - même si elles ne le sont en fait presque jamais, parce qu'elles sont trop lourdes -, il existe un désert ! Notre société doit pouvoir intervenir à la source du problème, de la manière la plus adaptée qui soit, afin de répondre de manière adéquate et graduée aux premières manifestations de comportements délictueux de nos enfants.
Avec pragmatisme, c'est ce que les auteurs de ce projet de loi ambitionnent, et nous partageons leurs vues.
C'est pourquoi notre groupe adoptera le texte du projet de loi qui sera issu de nos travaux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Adrien Giraud applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard.
Mme Valérie Létard. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, tout comme la société évolue au rythme soutenu des mutations technologiques, la délinquance, en particulier celle des mineurs, se transforme et nous amène à nous interroger une nouvelle fois sur les objectifs et les moyens de la prévention.
À cet égard, le texte dont nous débattons aujourd'hui, messieurs les ministres, est une occasion de « remettre l'ouvrage sur le métier »!
Plus jeune, plus violent, plus difficile à maîtriser par les moyens actuels : tel est le nouveau visage de la délinquance qui a perturbé nos quartiers ces derniers mois.
Cependant, si ces faits sont indéniables, la responsabilité n'en incombe pas à toute la jeunesse des quartiers mais seulement à quelques-uns. Gardons-nous donc de généraliser et veillons à ne pas faire endosser cette image à toute une population, rendant ainsi encore plus difficile son intégration dans la société.
Il est vrai que des professionnels de terrain présents dans ces quartiers sensibles rencontrent parfois des difficultés face à des jeunes de treize à dix-huit ans - voire de dix à treize ans ! - dont les comportements sont de plus en plus durs.
Cet état de fait reflète le malaise de nombre de parents que la précarité a conduits à l'incapacité de jouer pleinement leur rôle.
Cela doit susciter en nous tous la volonté de mettre en place un vrai débat sur la façon de traiter cette réalité et ce débat doit s'engager sur la nécessaire adaptation de nos outils d'action sociale, de prévention spécialisée et de traitement de la délinquance ; il nous faut toujours garder à l'esprit le souci d'un équilibre entre ces trois domaines.
En outre, n'oublions jamais qu'un mineur en danger doit être d'abord considéré comme tel avant d'être regardé comme source de danger !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien dit !
M. Claude Domeizel. Très bien !
Mme Valérie Létard. Bref, posons les problèmes de façon humaine, pragmatique et équilibrée.
D'une certaine manière, le mérite de ce texte est d'avoir permis de reposer des questions simples : qui fait quoi ? Comment ? Faut-il de nouveaux outils ? Avec quels moyens supplémentaires ?
La première question - qui fait quoi ? - est certainement la plus importante.
La philosophie de ce projet de loi consiste à mettre le maire au centre de toute la politique de prévention sur le territoire de sa commune. Cela appelle plusieurs commentaires.
Tout d'abord, il est clair que le maire, parce qu'il agit dans la proximité, doit pouvoir disposer de toute l'information nécessaire sur ce qui se passe dans sa commune. Il doit pouvoir jouer le rôle d'animation et de coordination que sa place à la tête du conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance, le CLSPD, lui assure naturellement.
C'est d'ailleurs le souhait exprimé, me semble-t-il, par une majorité de maires : être associé et être informé afin d'agir avec plus d'efficacité.
Dans cette optique, nous aimerions, par exemple, que soit testée la mise en place au sein des CLSPD d'une cellule de veille de taille restreinte, associant quelques élus très impliqués dans les questions de sécurité, cellule susceptible d'assurer la continuité au quotidien de la politique définie par cette instance, lui donnant ainsi encore plus de réactivité.
Nous avons renoncé à déposer un amendement sur ce sujet, car il est d'ordre réglementaire, mais nous aimerions connaître le sentiment du Gouvernement sur ce point dans le cours des débats.
Si le maire anime et coordonne, cela ne signifie pas qu'il est automatiquement le bras agissant de la politique de prévention. En effet, tous les textes que nous avons adoptés récemment ont confié au conseil général l'ensemble de la politique d'action sociale et de prévention de l'enfance en danger.
Nous avons encore tous en mémoire les récents débats sur le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, sur le projet de loi pour l'égalité des chances et sur le projet de loi réformant la protection de l'enfance.
Nous avons confié au président du conseil général un rôle de pilote de l'action sociale en direction des enfants et des adolescents. Ses services disposent en effet des moyens permettant de mettre en oeuvre ces actions de prévention.
Il faut créer des synergies plutôt que d'introduire le risque de nouveaux conflits de compétences. C'est tout l'objet des amendements de la commission des affaires sociales sur les articles 5, 6, 7 et 8. Nous les soutiendrons, car ils vont dans le bon sens.
Il nous a semblé essentiel d'éviter de créer une situation de concurrence, voire de subordination entre collectivités locales. Nous le savons tous, depuis 1982, la tutelle n'existe plus. L'autonomie des collectivités locales est devenue un principe constitutionnel qui ne saurait souffrir d'exception. Or, si le texte est adopté en l'état, nous aurons deux autorités, le maire et le président du conseil général, qui interviendront concurremment en matière, d'une part, de prévention et, d'autre part, d'action sociale. Cela n'est pas souhaitable.
L'articulation entre le contrat de responsabilité parentale et la création à l'article 6 d'une mesure d'accompagnement parental est un bon exemple du risque d'empiètement à éviter.
Comment, en effet, articuler l'article L. 222-4-1 du code de l'action sociale - « En cas d'absentéisme scolaire, [...] de trouble porté au fonctionnement d'un établissement scolaire ou de toute autre difficulté liée à une carence de l'autorité parentale, le président du conseil général [...] propose [...] un contrat de responsabilité parentale ou prend toute autre mesure d'aide sociale à l'enfance adaptée à la situation. » - avec la rédaction proposée par l'article 6 du présent projet de loi pour l'article L. 141-2 du code de l'action sociale - « Lorsqu'il ressort de ses constatations ou d'informations portées à sa connaissance, que l'ordre, la sécurité ou la tranquillité publiques sont menacés à raison du défaut de surveillance ou d'assiduité scolaire d'un mineur, le maire peut proposer aux parents ou au représentant légal du mineur concerné, un accompagnement parental. »
Donc, en cas d'absentéisme scolaire, soit le président du conseil général, soit le maire pourra mettre en oeuvre des mesures d'ordre social.
Certes, il est précisé que le maire doit vérifier qu'il n'a pas été conclu un contrat de responsabilité parentale, mais je ne vois pas comment, de fait, une concurrence ne s'instaurera pas sur un domaine qui relève traditionnellement du conseil général.
Si nous maintenons le dispositif en l'état, nous allons créer de nombreuses difficultés au lieu de favoriser une réelle politique de prévention coordonnée et partenariale.
Je crois, bien sûr, à l'utilité d'une approche très localisée de ces problèmes, mais celle-ci ne doit pas se faire au détriment des principes de la décentralisation.
Un autre point va, à mon sens, poser problème : la possibilité pour le maire de nommer un coordonnateur parmi les professionnels de l'action sociale. Comment peut-on imaginer qu'un président de conseil général accepte qu'un maire désigne un coordonnateur appartenant à ses services, étant entendu que, bien souvent, les personnels du conseil général seront les mieux à même de remplir cette fonction ?
En outre, comme je l'avais déjà souligné en commission des affaires sociales, je pense que désigner nommément une personne comme coordonnateur se révélera source de difficultés. Il serait préférable de confier ce rôle à un service ou à une association plutôt qu'à une personne physique. Je serais heureuse, messieurs les ministres, que vous puissiez nous apporter des précisions sur ce point également.
Notre groupe a estimé que ce système ne pourrait pas fonctionner de manière satisfaisante : c'est la raison pour laquelle nous avons déposé un certain nombre d'amendements dont l'objet est de revenir à l'esprit des lois de décentralisation.
Enfin, je citerai un dernier exemple qui témoigne de cette confusion : l'articulation entre le projet de loi réformant la protection de l'enfance et celui dont nous discutons, notamment en ce qui concerne l'échange d'informations.
Là encore, messieurs les ministres, nous risquons de construire deux schémas pour une même situation et donc de créer une certaine confusion dans notre législation.
D'un côté, le projet de loi réformant la protection de l'enfance - qui, je l'espère, ne va pas tomber dans l'oubli, après le succès qu'il a rencontré au Sénat - organise ce que l'on appelle le « secret partagé » entre les professionnels des politiques de protection de l'enfance. De l'autre, le présent projet de loi met en oeuvre un autre mécanisme de transmission d'informations entre les services.
Ainsi, à l'article 5 du projet de loi, une série de dispositions prévoient la transmission d'informations au maire lorsque la gravité des difficultés sociales, éducatives ou matérielles d'une personne ou de personnes composant une même famille est révélée.
L'article 5 du projet de loi réformant la protection de l'enfance organise, quant à lui, l'information du président du conseil général en cas de danger du mineur.
Lorsque les professionnels auront à traiter du cas d'un enfant en difficulté, qui devront-ils informer : le maire ou le président du conseil général ?
Par ailleurs, si les deux projets de loi sont adoptés, quelle sera la règle qui s'appliquera pour l'échange d'informations entre professionnels ?
Nous ne pouvons souscrire à cette remise en cause de la répartition des compétences entre les différents échelons locaux. Le département est le chef de file en matière d'action sociale. Le projet de loi que vous nous présentez va à l'encontre de ce principe, en conférant au maire une série de pouvoirs entrant dans ce champ d'action.
De surcroît, en matière de prévention de la délinquance, tant le département que la commune auront des pouvoirs d'intervention, ce qui nuira à la lisibilité et très certainement à l'efficacité de leur action.
Là encore, nous soutiendrons les propositions de la commission des affaires sociales, que nous compléterons par un certain nombre d'amendements.
Comment, à cette occasion, ne pas déplorer une nouvelle fois l'insuffisante cohérence entre les projets de loi émanant de ministères différents ?
De même, comment ne pas regretter que soient empilés de nouveaux dispositifs sur des dispositions qui viennent à peine de voir le jour et dont l'effet, faute de recul suffisant, n'a pu être évalué ? Je pense, en particulier, au contrat de responsabilité parentale, qui a fait l'objet d'un décret d'application publié au Journal Officiel le 29 août dernier, et aux équipes de réussite éducative, qui ne prendront toute leur ampleur qu'à partir de cette rentrée scolaire.
Comme le faisait remarquer fort justement notre ancien collègue M. Schosteck dans son excellent rapport sur la délinquance des mineurs, il n'y a pas lieu de créer de nouveaux outils, car, d'une certaine manière, tout existe déjà. (Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est vrai !
Mme Valérie Létard. En revanche, comme nous le savons tous, c'est de moyens supplémentaires que nous avons besoin. Si, aujourd'hui, les actions locales s'essoufflent, c'est largement parce qu'il n'y a plus les moyens suffisants pour agir dans la durée. Les crédits de prévention du ministère de la justice se sont réduits. Nombre d'associations oeuvrant dans le domaine de la prévention vivent dans une grande précarité, ne sachant, d'une année sur l'autre, si leur budget pourra être reconduit.
En ce sens, la proposition de notre collègue Jean-René Lecerf, rapporteur, visant à créer un fonds pour la prévention de la délinquance illustre bien cette question du financement, qui est aussi au coeur du problème.
Je me permets au passage de rappeler que de nombreuses actions portées par les actuels conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, en matière de financement de l'action des délégués du procureur, des services d'aide aux victimes, de traitement des incivilités en temps réel, des activités d'intérêt général, sont aujourd'hui financées - tout comme les contrats urbains de cohésion sociale - sur des crédits de droit commun du ministère de la justice ou sur des crédits de la politique de la ville. Or, demain, tout cela va se transformer.
M. Sarkozy et vous-mêmes, messieurs les ministres, devrez à l'évidence être très actifs dans la préparation du prochain projet de loi de finances afin que soient donnés les moyens permettant à ces actions de prévention de la délinquance de soutenir efficacement les grandes orientations que vous proposez dans ce texte. Si certaines actions, à mon avis, ne relèvent pas du bon niveau, d'autres, pour lesquelles un certain nombre d'outils ont été mis en place, sont susceptibles d'améliorer effectivement la de prévention et de traitement de la délinquance ; les outils en question méritent donc d'être réactualisés.
En tout cas, les membres de mon groupe et moi-même souhaitons que la discussion de ce texte soit l'occasion d'une mise à plat du rôle de chacun, que soit trouvé un juste équilibre entre l'action sociale, la prévention et la sanction, par un traitement toujours humain des enfants, puisqu'il s'agit de mineurs âgés de dix à dix-huit ans.
J'ai des enfants de douze et quinze ans : je ne les considère pas comme des adultes ; ils ont encore beaucoup à apprendre. Vous tous ici qui êtes grands-parents ou parents ne devez jamais l'oublier ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
5
saisine du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel une lettre par laquelle il informe le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi, le 12 septembre 2006, par plus de soixante députés, en application de l'article 54 de la Constitution, de l'accord de Londres du 17 octobre 2000 relatif au dépôt des brevets européens.
Acte est donné de cette communication.
Messieurs les ministres, mes chers collègues, la conférence des présidents devant se réunir à dix-neuf heures, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Conférence des présidents
M. le président. La conférence des présidents a établi comme suit l'ordre du jour des prochaines séances du Sénat :
session extraordinaire 2005-2006
Jeudi 14 septembre 2006 :
À 9 heures 30, à 15 heures et le soir :
- Suite du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance (n° 433, 2005-2006) ;
(Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré).
Mardi 19 septembre 2006,
À 10 heures, à 16 heures et le soir,
Mercredi 20 septembre 2006,
À 15 heures et le soir,
Jeudi 21 septembre 2006,
À 9 heures 30, à 15 heures et le soir,
Mardi 26 septembre 2006,
À 16 heures et le soir,
Mercredi 27 septembre 2006,
À 15 heures et le soir,
Jeudi 28 septembre 2006,
À 9 heures 30, à 15 heures et, éventuellement, le soir :
- Suite du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance.
Prochaine conférence des présidents : mercredi 27 septembre 2006 à 19 h 00.
Par ailleurs, la conférence des présidents a confirmé les dates suivantes pour l'éloge funèbre des sénateurs décédés au cours de l'intersession :
- mardi 3 octobre, à 16 heures 15 : éloge funèbre de Pierre-Yvon Trémel,
- mardi 10 octobre, à 16 heures 15 : éloge funèbre de Marcel Vidal,
- mardi 17 octobre, à 16 heures 15 : éloge funèbre de Raymond Courrière.
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Si j'ai bien compris, le Sénat siégera le mercredi 20 septembre.
Or, et je suppose que cela a été indiqué à la conférence des présidents - au demeurant, voilà longtemps que nous l'avons signalé -, les journées parlementaires de l'organisation politique à laquelle j'appartiens auront lieu le même jour, à Nantes.
Permettez-moi donc d'élever la plus vive protestation. La conférence des présidents, passant outre nos observations, a décidé de fixer une séance le jour où une importante formation politique, dont le poids devrait d'ailleurs être encore plus important dans cet hémicycle si le mode de scrutin pour les élections sénatoriales était satisfaisant, tient ses journées parlementaires. C'est tout à fait inadmissible !
Par conséquent, au nom du groupe socialiste, je proteste avec véhémence. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, la question que vous venez d'évoquer a effectivement été abordée à plusieurs reprises en conférence des présidents. Mais je n'ai pas souvenir que, lors de la dernière conférence des présidents, les représentants de votre groupe politique aient émis la moindre requête à cet égard. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Y a-t-il d'autres observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?...
Ces propositions sont adoptées.
7
Prévention de la délinquance
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors qu'il a été maintes fois annoncé, c'est finalement à quelques mois des échéances électorales que ce projet de loi nous est enfin présenté.
Un projet de loi qui porte d'ailleurs bien mal son nom. En effet, il s'agit d'un texte essentiellement répressif, un de plus dans la panoplie sécuritaire mise en place depuis 2002.
L'objectif, messieurs les ministres, est clair : instrumentaliser le sentiment d'insécurité pour étendre le contrôle social sur ceux que vous considérez comme des classes potentiellement criminogènes, notamment les jeunes, les familles défavorisées ou les malades mentaux.
M. Charles Gautier. Très bien !
M. Jean-Pierre Godefroy. En 2002, vous aviez promis aux Français d'en finir avec la criminalité et les violences urbaines. Or, au regard des chiffres et des événements récents, votre bilan est finalement très contestable ; mon collègue Jean-Claude Peyronnet l'a d'ailleurs parfaitement démontré tout à l'heure. C'est précisément pour cette raison que vous vous apprêtez, pour la sixième fois en quatre ans, à étendre l'arsenal répressif !
De prévention il n'est que peu question dans ce texte.
En effet, une véritable politique de prévention nécessite une approche globale. Elle se doit d'agir sur toutes les dimensions de ce phénomène social complexe qu'est la délinquance. De ce point de vue, la lutte contre les exclusions, la prévention sociale et l'éducation sont tout aussi nécessaires que la dissuasion et la sanction.
Une véritable politique de prévention de la délinquance, c'est une politique qui, à la fois, combat les comportements violents et agir sur les causes sociales de la violence. Or vous faites exactement le contraire : la quasi-totalité des dispositifs que le présent projet de loi vise à mettre en place sont réactifs, au lieu de viser les problèmes « à la racine ».
Ce projet de loi fabriqué en total décalage avec les acteurs de la prévention donne d'ailleurs l'impression d'imputer aux éducateurs et la justice des mineurs la responsabilité des échecs rencontrés.
Pourtant, le véritable responsable, c'est bien le Gouvernement ! Depuis quatre ans, celui-ci ne cesse de démanteler les institutions et les associations de prévention en réduisant leurs budgets.
Si la commission des affaires sociales a souhaité se saisir pour avis de ce projet de loi, c'est qu'un nombre non négligeable d'articles concerne le champ sanitaire et social. Mais c'est pour mieux le passer, si vous me permettez l'expression, à la « moulinette sécuritaire » !
Car c'est bien de cela qu'il s'agit, par exemple, lorsqu'il est question des hospitalisations sans consentement. Les articles que vous proposez sur le sujet n'ont pas leur place dans ce projet de loi. Ils sont tout simplement inacceptables parce qu'ils font l'amalgame entre les délinquants et les personnes souffrant de troubles mentaux, alors même que la corrélation entre criminalité et troubles mentaux n'est pas démontrée et qu'elle laisse sceptiques les professionnels de la psychiatrie.
Toutes les études existant sur ce sujet le démontrent : le risque de passage à l'acte violent des personnes présentant une maladie mentale est sensiblement identique à celui du reste de la population. Selon ces mêmes travaux, il faut surtout prendre en considération les éléments de désocialisation et de précarisation. En effet, ceux-ci multiplient le risque de passage à l'acte par dix. Ce n'est pas moi qui le dis : cela figure dans le très officiel rapport de la commission santé-justice publié en juillet 2005.
Le présent projet de loi ne vise qu'à stigmatiser une fois de plus une partie de la population et à instrumentaliser la psychiatrie et l'ensemble du champ sanitaire, aussi bien ses acteurs que ses structures, à des fins de contrôle social.
De telles dispositions mettent gravement en danger tout le travail mené depuis des décennies par les associations et les professionnels en faveur de l'intégration des personnes présentant des problèmes de santé mentale. Une société évoluée ne doit plus confondre soins psychiatriques et enfermement, malades et délinquants, hôpital et prison.
La loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation, qui détermine le régime juridique des hospitalisations sans consentement, repose sur un équilibre entre santé, liberté et sécurité. C'est un équilibre fragile. J'en conviens, cela explique certaines faiblesses du dispositif, qui ont d'ailleurs été relevées par de multiples rapports. Je pense notamment à un rapport réalisé par l'inspection générale de la police nationale et par l'inspection générale de la gendarmerie nationale au mois de mai 2004, ainsi qu'à un autre, publié en mai 2005, émanant de l'inspection générale des affaires sociales et de l'inspection générale des services judiciaires.
Or, dans ce projet de loi, seules les observations du premier de ces rapports ont été prises en compte, ce qui ne nous surprend d'ailleurs guère. (Sourires.) Pourtant, les faiblesses du dispositif ne devraient pas être utilisées pour rompre l'équilibre que j'évoquais ; toute réforme du régime des hospitalisations sans consentement devrait en tenir compte.
Les propositions de réforme existent, mais elles doivent être débattues dans le cadre d'une réforme globale de la loi, que le plan « Psychiatrie et santé mentale 2005-2008 » avait programmée pour cette année. M. Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, assure que c'est en préparation. Il est donc urgent qu'il nous propose une telle révision, qui doit s'inscrire dans la logique d'une politique de santé publique. Dans l'attente, il convient de retirer les dispositions que le présent projet de loi tend à instituer sur ce sujet.
M. Claude Domeizel. Très bien !
M. Jean-Pierre Godefroy. Je pense que cette démarche serait fort appréciée par les professionnels...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ah bon ?
M. Jean-Pierre Godefroy. ... ainsi que par les familles de malades mentaux, qui ressentent cet amalgame comme une véritable injustice, voire une agression à l'encontre des patients.
La réforme de l'hospitalisation d'office que vous nous proposez vise surtout à s'assurer de l'enfermement de personnes que vous supposez dangereuses, y compris au moyen d'une rétention exercée hors de tout cadre juridique.
A contrario, le projet de loi ne dit pas un mot de la responsabilité des services de police et de l'administration pénitentiaire dès lors qu'il s'agit d'assurer la sécurité périmétrique et les gardes statiques lors des transferts et des soins hospitaliers des détenus présentant des troubles mentaux : l'examen des situations concrètes montre malheureusement que les forces de police et l'administration pénitentiaire « se défaussent » bien souvent, créant une réelle insécurité.
Quant à la création d'un nouveau fichier, ...
M. Claude Domeizel. Encore un !
M. Jean-Pierre Godefroy. ... elle n'est pas justifiée. Comme le précise le rapport de l'inspection générale des affaires sociales et de l'inspection générale des services judiciaires - que vous avez balayé -, les fichiers HOPSY, gérés par les DDASS, fonctionnent de manière satisfaisante.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ils n'existent pas dans un département sur deux !
M. Jean-Pierre Godefroy. Pour répondre au problème du déplacement des malades mentaux, il suffit d'interconnecter ces fichiers entre eux, et je pense que la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL, pourrait donner son accord, de manière à élargir au niveau national la procédure d'échange d'informations tout en préservant les garanties existantes en termes de libertés publiques et de préservation du secret professionnel.
La logique est la même en ce qui concerne la toxicomanie. Vous promettiez, là encore, une réforme de la loi de 1970 et, finalement, vous ne faites que détourner le dispositif sanitaire existant au bénéfice de l'arsenal répressif.
Tous les spécialistes entendus par la commission des affaires sociales l'ont dit : les liens entre consommation de drogue et criminalité sont complexes et multiples. La logique répressive ne peut valoir que dans certains cas. Il en résulte que la prohibition rencontre obligatoirement des limites et que l'aggravation des peines sera privée d'effets face à certains facteurs psychopathologiques et psychosociaux. D'autres logiques doivent alors être favorisées, notamment celles des soins et de la prévention au sens large.
Je rappelle que la loi de 1970 présente deux particularités : elle a choisi de sanctionner pénalement le simple usage de stupéfiants, même en privé - ce que les conventions internationales n'exigeaient pas -, et elle a prévu la possibilité d'une alternative thérapeutique à la sanction pénale.
L'instauration de cette sanction pénale visait à la fois à dissuader le consommateur et, par le biais de l'injonction thérapeutique, à l'inciter à se faire désintoxiquer. Un dispositif sanitaire financé par l'État a ainsi été mis en place avec la création de centres de soins spécialisés et de diverses structures d'accueil. La gratuité et l'anonymat des soins y sont la règle.
Si, comme le relève le président de la commission des affaires sociales, le dispositif de l'injonction thérapeutique, créé par la loi de 1970, est tombé en désuétude, c'est parce que soigner un consommateur de drogues nécessite d'établir une relation de confiance. Or cette confiance ne peut-être qu'altérée si la loi oblige le personnel médical à transmettre des informations à la police ou à la justice. Pour soigner un consommateur de drogues, il faut obtenir son adhésion ; pour obtenir son adhésion, il faut obtenir sa confiance.
Les médecins que nous avons entendus au cours de la préparation de ce débat nous l'ont dit : l'observation clinique confirme aujourd'hui l'existence d'une forte demande de soins chez les toxicomanes dépendants ; dans la majorité des cas, cette demande est volontaire et l'intérêt de l'injonction thérapeutique consiste parfois à permettre un accès plus rapide aux soins. Désormais, les pratiques sont rodées et efficaces, grâce notamment aux traitements de substitution, même s'il arrive que les lieux où sont distribués ces traitements fassent l'objet d'une surveillance trop rapprochée par la police, qui risque de rendre le dispositif inefficace.
Il faut donc bien faire la différence entre usagers « récréatifs » et toxicomanes dépendants : ces derniers ont besoin de l'aide des médecins et des centres de lutte contre la toxicomanie. Or ces centres doivent déjà faire face au manque de places, surtout en ambulatoire. Plutôt que de les encombrer avec des « fumeurs de joints », il serait opportun de leur donner plus de moyens et de développer les campagnes de prévention.
En fait, c'est la consommation de cannabis qui est la véritable raison de l'insertion de ces dispositions dans ce texte. Celle-ci connaît incontestablement une forte progression.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ah, vous l'avez noté ?
M. Jean-Pierre Godefroy. Selon les statistiques, sept millions de Français ont fait l'expérience du cannabis : ils ne sont pas pour autant sept millions de délinquants ni de criminels en puissance !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Selon la loi, ce sont des délinquants !
M. Jean-Pierre Godefroy. Au lieu de vous interroger sur l'ambiguïté de la loi actuelle, qui conduit à traiter le consommateur comme un délinquant au même titre que le trafiquant, vous choisissez une fois de plus de renforcer l'arsenal répressif. Il est donc aujourd'hui nécessaire d'engager une réflexion sur les fondements de la loi de 1970 et, sans parler de dépénalisation, pourquoi ne pas envisager de « contraventionnaliser » l'usage de cannabis ? Il me semble que M. le rapporteur y a fait allusion.
En ce qui concerne le rôle du maire en matière de prévention de la délinquance, aucun d'entre nous ne dira que ce rôle est nul. Au contraire, il est primordial. Mais il ne peut se justifier que dans le respect des compétences de chacun des acteurs impliqués dans ce vaste travail et, notamment, dans le respect des compétences d'action sociale du département. Or ce projet de loi organise une confusion institutionnelle en accordant aux maires des compétences redondantes, parallèles à celles du département et des travailleurs sociaux.
Ce projet de loi vient court-circuiter le projet de loi réformant la protection de l'enfance, déjà voté en première lecture par le Sénat. Sur ce texte, le groupe socialiste, par la voix de Mme Claire-Lise Campion, avait émis des réserves, invoquant notamment le manque de moyens. Mais au moins, nous en approuvions les grandes lignes. En effet, grâce à la concertation, un consensus a pu s'établir sur la question de la répartition des compétences entre la justice des mineurs et les administrations départementales d'aide à l'enfance, sur le partage des informations entre les acteurs et les institutions, sur le souci de mieux agencer les procédures de signalement d'enfants en danger comme sur la volonté de développer la prévention.
Ce texte allait dans le bon sens, et il est inutile d'y revenir avec le présent projet de loi.
M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Vous auriez dû le voter !
M. Jean-Pierre Godefroy. Vous savez très bien, monsieur le ministre, que nous nous sommes abstenus parce que nous avons considéré que les moyens ne suivaient pas, mais qu'il s'agissait d'une « abstention positive ».
Puisque vous m'interpellez sur ce sujet, permettez-moi de le faire à mon tour : le projet de loi réformant la protection de l'enfance sera-t-il examiné par l'Assemblée nationale ? Si oui, quand ? Et quand reviendra-t-il au Sénat ? En revanche, il serait totalement inacceptable que le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance vienne s'y substituer ou le dénaturer !
M. Guy Fischer. Nous aurions été trompés !
M. Jean-Pierre Godefroy. J'insiste : si les dispositions de l'article 5 étaient adoptées, elles affaibliraient gravement le secret professionnel institué dans le code pénal non en faveur des professionnels, mais pour offrir aux citoyens les garanties de protection de l'intimité de leur vie privée. Or c'est justement parce qu'ils savent cette confidentialité protégée que les parents acceptent de faire part de leurs difficultés les plus graves et de demander de l'aide aux professionnels, qui sont alors fondés à élaborer avec eux des mesures de prévention ou de soins.
Ainsi, l'adoption de cet article, loin de permettre une meilleure prise en charge des familles et des enfants en difficulté, risque de rompre leur confiance et de les éloigner durablement des professionnels et institutions chargés des soins, de la prévention ou de l'éducation. Les acteurs sociaux, de santé et d'éducation, d'une part, et les acteurs oeuvrant dans le champ de la sécurité, d'autre part, doivent pouvoir travailler dans la complémentarité de leurs missions, mais pas dans la confusion des rôles.
Enfin, je voudrais mentionner un dernier article qui me semble particulièrement dangereux, l'article 16, bien que la commission des affaires sociales n'en soit pas saisie. Cet article permet au médecin constatant des violences au sein d'un couple de signaler les faits à la police ou à la justice, sans l'accord de la victime.
Les situations de violences conjugales sont complexes et parfois difficiles à gérer. Je voudrais rappeler à la Haute Assemblée que, sur l'initiative de mon collègue Roland Courteau et du groupe socialiste du Sénat, une proposition de loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple a été adoptée. Ce texte est en navette, me semble-t-il.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il est voté !
M. Jean-Pierre Godefroy. Vous avez raison, il est voté...
M. Jean-Jacques Hyest. Ne racontez pas des choses fausses ! (MM. Guy Fischer et Jacques Mahéas protestent.)
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président de la commission des lois, je ne me suis jamais permis jusqu'à présent de vous interpeller ni a fortiori de vous accuser de dire des choses fausses. Mais vous m'y incitez : oui, il vous est arrivé de dire des choses fausses ! Je me souviens notamment de la discussion du projet de loi pour l'égalité des chances, au cours de laquelle nous avons eu quelques passes d'armes. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parenthèse est fermée !
M. Guy Fischer. Quand on nous cherche, on nous trouve !
M. Jean-Pierre Godefroy. Je reviens au texte qui nous occupe : l'article 16 du présent projet de loi traduit une approche simpliste. Non seulement il aligne le statut de la victime de violences conjugales sur celui de la victime mineure, mais surtout il risque de conduire à des interventions policières et judiciaires dans des situations souvent complexes, qui nécessitent une certaine adhésion de la victime.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est une vraie question !
M. Jean-Pierre Godefroy. On peut craindre également qu'une telle pratique ne dissuade certaines victimes de se manifester et ne les éloigne d'un contact avec un médecin dans la mesure où elles voudront éviter d'être signalées.
M. Claude Domeizel. Très bien !
M. Jean-Pierre Godefroy. Cet article risque de se retourner contre les victimes, que nous souhaitons tous ici protéger, et finalement d'aller à l'encontre de notre volonté commune de lutter contre ce fléau. Nous verrons si la Haute Assemblée suivra notre proposition de supprimer cette disposition.
Monsieur le ministre, dans le domaine de compétence de la commission des affaires sociales, les commissaires socialistes, vous l'avez bien compris, s'opposeront à ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon.
M. Philippe Goujon. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, si faire de la politique, c'est changer les choses, on peut dire que le Gouvernement et sa majorité ont fait de la politique en matière de sécurité, tant les changements ont été notables depuis quatre ans et demi.
Cela tient sans doute au fait que nous sommes passés du temps de la « naïveté » à celui de la lucidité, condition première de l'action. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Éliane Assassi. C'est ça, faites-vous plaisir !
M. Philippe Goujon. Au temps de la naïveté, c'est-à-dire au cours de la précédente législature (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste) - et vos vociférations n'y feront rien -, la criminalité et la délinquance ont explosé dans notre pays. La gauche semble d'ailleurs n'avoir rien appris depuis lors puisque son apport principal au texte que nous examinons aujourd'hui consiste en de simples motions de procédure et amendements de suppression. Il est vrai qu'entre les positions de Mme Royal et celles des autres candidats au sein du parti socialiste il est sans doute particulièrement difficile de présenter un projet cohérent. (Exclamations sur les mêmes travées.)
Mme Éliane Assassi. La gauche ne se résume pas au parti socialiste !
M. Philippe Goujon. En 2002, sous l'impulsion du ministre d'État, le Gouvernement a fait de la sécurité sa priorité. L'oeuvre accomplie dans ce domaine dépasse tout ce que les autres gouvernements ont pu entreprendre.
Avec cette politique, les résultats sont au rendez-vous : la délinquance a baissé ; le taux d'élucidation a augmenté.
M. Jacques Mahéas. Ce n'est pas vrai !
M. Jean-Pierre Sueur. Les violences contre les personnes ont augmenté de 27 % !
M. Philippe Goujon. Ces succès sont encore amplifiés à Paris.
Mme Éliane Assassi. À Paris, bien sûr !
M. Philippe Goujon. À Paris, entre 1997 et 2002, la délinquance a augmenté de 17 %. Depuis 2002, elle a baissé de 15 % et la délinquance de voie publique de 30 %. Le préfet de police et ses personnels doivent en être particulièrement félicités et remerciés.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pour le stationnement automobile, c'est certainement vrai !
M. Philippe Goujon. Vidons tout de suite une mauvaise querelle. Si cette évolution a été possible, c'est parce que le ministre de l'intérieur a su donner un contenu à la police de proximité.
M. Jacques Mahéas. Ah bon ?
M. Guy Fischer. Aux Minguettes, il l'a supprimée !
M. Philippe Goujon. Je ferai un peu d'histoire : c'est le gouvernement d'Édouard Balladur qui, par la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995, présentée par notre collègue Charles Pasqua, a décidé de passer d'une police d'ordre à une police de proximité.
Si sa mise en place, à partir de 1999, n'a eu aucun des effets escomptés, c'est parce que les effectifs nécessaires ont manqué, parce que la théorie du policier généraliste, idéalisée au colloque de Villepinte, s'est révélée être un mythe, parce que la police judiciaire a été sacrifiée et que les missions des îlotiers ont été dévoyées.
M. Guy Fischer. Contrevérités !
M. Philippe Goujon. Il est donc faux de dire que la police de proximité a été abandonnée. C'est exactement le contraire qui s'est produit puisque c'est l'actuel ministre de l'intérieur qui lui a donné une réalité. (Exclamations et hilarité sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jacques Mahéas. À Paris, vous devez rester dans les salons ! Même le ministre rigole !
M. Philippe Goujon. Le dispositif législatif adopté et mis en oeuvre depuis 2002 a permis de traiter tous les aspects de la délinquance. Il constitue en effet un ensemble cohérent de mesures de lutte contre l'insécurité, parachevé par le texte que nous examinons aujourd'hui, et qu'aucun gouvernement, je le répète, n'avait présenté jusqu'alors. Seul l'éloignement momentané de Nicolas Sarkozy du ministère de l'intérieur l'aura retardé.
Ce qui fait l'intérêt de ce texte dans le domaine de la prévention, c'est qu'il tourne résolument le dos à l'idéologie et qu'il dépasse, en particulier, le vieux clivage entre prévention et répression.
Les mesures pragmatiques qu'il contient ont été élaborées sur la base d'un diagnostic établi par les acteurs de terrain, à partir des préoccupations qui sont véritablement les leurs au quotidien, afin de les traiter en dehors de tout esprit de système.
Mme Éliane Assassi. Il nous fait du sous-Sarkozy !
M. Philippe Goujon. Au coeur du nouveau dispositif, le Gouvernement a placé le maire comme animateur et coordinateur, sans pour autant en faire un shérif ou un procureur. Nombreux sont ceux qui le suggéraient depuis longtemps, sans oser le faire. Ce gouvernement le fait !
Cette démarche est rendue en effet nécessaire par l'évolution même de la délinquance.
M. Jacques Mahéas. C'est un peu tardif !
M. Philippe Goujon. Nous sommes en particulier passés d'une délinquance d'appropriation à une violence gratuite. C'est vrai : s'il subsiste un domaine où la situation s'aggrave, c'est celui des violences aux personnes, plus spécifiquement commises, d'ailleurs, dans la sphère familiale. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Cette augmentation des violences non crapuleuses relève d'un véritable phénomène de société. Elle est d'ailleurs deux fois plus importante que celle des violences crapuleuses. Ces faits sont très difficiles à appréhender par la police : ces violences se produisent en effet dans des lieux où la police n'intervient traditionnellement pas.
Il est donc indéniable que l'effort doit aujourd'hui porter sur ces violences intrafamiliales et conjugales, question dont la Haute assemblée s'est déjà saisie, comme le rappelait M. Hyest, et au sujet de laquelle le Gouvernement propose des mesures complémentaires.
À défaut de profonds changements, notre pacte social est menacé d'explosion. La proximité, avec le rôle confié aux maires, le travail en réseau, l'exigence d'une présence sur le terrain des délégués de l'État et la responsabilisation des personnes sont des mesures qui vont dans le sens souhaité.
La prévention est évidemment le moyen par excellence de lutte contre la délinquance, mais encore faut-il savoir ce qu'est précisément cette prévention.
M. Maurice Cusson, célèbre criminologue canadien, nous en donne une définition pertinente : « La prévention de la délinquance consiste en l'ensemble des actions non coercitives sur les causes des délits dans le but spécifique d'en réduire la probabilité ou la gravité. » La prévention, dès lors, ne trouve justification que dans ses résultats.
C'est pourquoi l'évaluation du dispositif de prévention de la délinquance initié par ce projet de loi mérite une véritable application.
En nous appuyant trop longtemps sur une présupposée responsabilité de la société, nous nous sommes interdits de travailler sur le comportement humain et, par conséquent, sur la responsabilité individuelle.
Le grand criminologue que je citais démontre pourtant que ce n'est pas la société qui transforme un enfant, puis un adolescent, en voyou : non, c'est en lui-même qu'il faut trouver les causes d'un comportement déviant,... (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme Éliane Assassi. Ce que vous dites est scandaleux !
M. Philippe Goujon. ...c'est en lui qu'il faut stimuler les facteurs de sociabilisation...
Mme Éliane Assassi. C'est populiste et réactionnaire !
M. Philippe Goujon. ...qui peuvent lui faire abandonner des tendances à la violence et à l'agressivité.
M. Jacques Mahéas. On n'a entendu cela qu'en 1939-1945 !
M. Philippe Goujon. Au titre de cette prévention développementale, une expérience menée à Montréal - et l'on est bien loin de ce que vous rappelez de façon scandaleuse, puisqu'il s'agit du Québec des années 80, exemple que vous citez souvent - une expérience donc, associant parents, enfants et enseignants, a démontré que plus les comportements violents sont précocement décelés (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste), plus il est aisé d'y porter remède et d'obtenir des résultats significatifs. Tournez-vous vers vos homologues socialistes québécois, mes chers collègues !
C'est également la raison pour laquelle il est si primordial de lutter contre l'absentéisme scolaire, dont l'ampleur révèle un problème de fond : 1 200 000 élèves sont absents chaque jour.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Tout à fait !
M. Philippe Goujon. C'est d'abord dans l'intérêt des enfants que tout doit être mis en oeuvre pour qu'un enfant de six ans ne développe pas une trajectoire personnelle qui le conduirait à basculer, à l'adolescence, dans la violence chronique et la délinquance d'habitude.
La détection des troubles du comportement chez l'enfant est donc un préalable à toute mesure. Il ne s'agit pas de stigmatisation ni de fichage : de tels propos relèvent de la manipulation politique.
Il faudra créer une chaîne continue du suivi de la santé des enfants et prévoir, bien sûr, l'intervention des professionnels concernés, des travailleurs sociaux, comme le prévoit d'ailleurs la loi relative à la protection de l'enfance et comme le préconise le rapport sur la sécurité des mineurs de notre excellente collègue Mme Hermange.
Au cours des auditions auxquelles la commission des lois a procédé avec l'excellent rapporteur M. Lecerf,...
M. Jean-Pierre Sueur. Tout le monde est excellent sauf les socialistes !
M. Philippe Goujon. ...les représentants des syndicats de police se sont alarmés du sentiment d'impunité quasiment général qui anime aujourd'hui les mineurs délinquants.
Une évidence s'impose en effet : l'ordonnance de 1945 n'impressionne pas plus l'actuel mineur délinquant qu'elle ne dissuade ceux qui hésiteraient à basculer dans la délinquance de peur de la sanction, de sorte que la délinquance des mineurs a augmenté de 80 % en 10 ans, ce qui constitue un beau résultat... Qui plus est, les mineurs en cause sont de plus en plus jeunes et violents.
Un dernier fait atroce, il y a quelques jours, atteste cette vérité : des adolescentes barbares du centre de formation professionnel pour jeunes en difficulté de la Ville de Paris situé dans les Yvelines ont torturé et violé une de leurs camarades de quatorze ans.
Mme Éliane Assassi. Cessez de prendre des cas particuliers pour des généralités !
M. Philippe Goujon. Il n'est pas rare d'avoir affaire à un mineur de quinze ans qui soit déjà « hyper-récidiviste »...
Dans ces conditions, la réforme de l'ordonnance de 1945 que porte ce projet de loi est hautement salutaire.
N'en doutons pas cependant, mes chers collègues, il nous faudra à l'avenir procéder à une réécriture complète de cette ordonnance, tant elle est devenue illisible, en la fusionnant avec l'ordonnance de 1958, comme le préconise M. Alain Bauer, que nous avons auditionné.
Puisque les mineurs d'aujourd'hui ne sont plus les enfants d'hier, c'est aussi à une profonde réforme de la justice des mineurs et de la protection judiciaire de la jeunesse qu'il faudra s'atteler.
Si elle doit rester fondée sur des mesures éducatives, une politique de prévention de la délinquance des mineurs doit faire une place beaucoup plus grande à la responsabilisation. C'est tout le sens de l'avertissement solennel et de l'obligation de réparer le dommage causé que prévoit ce projet de loi.
Enfin, la rapidité de la réponse importe tout autant que son contenu. Aussi, la procédure de jugement immédiat ou quasiment immédiat doit pouvoir être décidée, afin d'éviter que, comme dans certains tribunaux, 70 % des jugements ne soient prononcés alors que le mineur est devenu majeur.
Impliquant fortement les adolescents, la politique de lutte contre la toxicomanie mérite d'être largement rénovée : il faut rendre la loi efficace et dissuasive.
Tel n'est évidemment pas le cas aujourd'hui.
La loi de 1970 n'est pas appliquée parce qu'elle est dépassée. La France détient d'ailleurs le record de consommation de cannabis chez les mineurs.
Ce sont maintenant deux jeunes de dix-huit ans sur trois qui fument ou ont fumé du cannabis, et le nombre de fumeurs quotidiens a triplé en dix ans !
M. Charles Gautier. Tiens, ça a augmenté depuis ce matin !
M. Philippe Goujon. Les parents ont quelque raison d'être désemparés, quand ils apprennent que leurs enfants connaissent leur premier contact avec le cannabis à treize ans en moyenne, et ils sont proprement effrayés si l'on ajoute que ce contact se produit quelquefois dès neuf ans.
Nous avons une des législations les plus répressives d'Europe. Pourtant, chacun le sait, une impunité de fait prévaut. À 100 000 interpellations annuelles ne correspondent que 4 000 condamnations !
Qu'il s'agisse de la création d'un stage de sensibilisation aux dangers de la drogue ou du recours à l'ordonnance pénale, les mesures proposées sont concrètes.
Ne doutons pas, toutefois, qu'il ne nous faille aller plus loin encore, pour refonder complètement notre politique de lutte contre la toxicomanie.
Pourquoi ne pas mener jusqu'à son terme la logique des mesures que propose le Gouvernement, en faisant franchement le choix de la contraventionnalisation ? Cette question a été évoquée par un des orateurs qui m'ont précédé et je suis prêt à en débattre.
Les deux premières interpellations pour usage simple pourraient faire l'objet d'une contravention de la cinquième classe et, après deux contraventions en moins de 24 mois par exemple, toute infraction du même chef constituerait de nouveau un délit passible du tribunal correctionnel.
Tout en permettant à la loi symbolique de retrouver tout son sens et de fournir repères et règle du jeu, un tel système permettrait de sortir réellement de l'hypocrisie actuelle, qui consacre l'affaiblissement de la sanction pénale.
La politique de prévention de la délinquance est une politique globale : elle ne se contente pas d'agir sur les effets mais traite les causes en profondeur.
C'est pourquoi il est important que tous les acteurs concernés - élus, policiers, magistrats, parents, enseignants, travailleurs sociaux... - puissent travailler ensemble. La prévention de la délinquance est, par essence, pluridisciplinaire.
D'aucuns au sein de la Haute assemblée, sans doute un peu frileux, n'ont cessé de répéter que ce texte allait trop loin. D'autres lui reprocheraient peut-être sa tiédeur.
Dans le contexte actuel, pourtant, il s'agit sans doute du meilleur texte qui pouvait nous être présenté. En ce sens, il constitue un texte fondateur, comme l'affirmait tout à l'heure M. le ministre de l'intérieur.
C'est cependant la grande échéance à venir qui sera sans nul doute l'occasion du vaste débat au cours duquel bien des questions qui nous paraissent encore taboues devront faire l'objet de réponses qui amplifieront encore la rupture nécessaire, amorcée aujourd'hui par ce texte. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. - Mme Gisèle Gautier applaudit également. )
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Gautier. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)
Mme Gisèle Gautier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je voudrais en préambule témoigner de ce que fut ma surprise à la lecture du projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis.
J'observe d'abord que ce texte contient plusieurs volets liés à la délinquance : ils y sont mélangés, pêle-mêle, ce qui, avouons-le, n'en favorise ni la lisibilité ni a fortiori la cohérence.
J'ai été surprise à double titre : en ma qualité de parlementaire d'une part, mais également en tant que présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité entre les hommes et les femmes.
À cet égard, je rappellerai en effet que nous avons longuement débattu de la proposition de loi relative aux violences au sein des couples - adoptée à l'unanimité des présents - il y a seulement cinq mois.
Je n'interviendrai ce soir que sur ce dernier point.
Si peu de temps après ce débat, voilà que, parmi les mesures aujourd'hui proposées, mesures d'une tout autre nature, nous devons examiner deux articles de ce projet de loi, les articles 15 et 16, qui visent à renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes.
Je constate et je m'étonne que les esprits aient à ce point évolué en quelques mois : ce qui, selon le Gouvernement, n'était pas susceptible de figurer dans la loi du 4 avril 2006, peut apparaître dans le projet de loi que nous examinons aujourd'hui.
M. Claude Domeizel. Très bien !
Mme Gisèle Gautier. Je ne fais que m'interroger.
Je pourrais bien sûr m'en féliciter, d'autant plus que j'ai la faiblesse de penser que les débats de l'époque, largement influencés par les travaux de la délégation, ont contribué à faire avancer la question.
Je regrette toutefois - vous l'aurez compris - que la lutte contre les violences faites aux femmes n'ait pu faire l'objet d'un seul et même texte, d'un texte spécifique, la loi du 4 avril 2006 ayant été publiée au Journal officiel il y a peu, et que de nouvelles modifications du code pénal se soient encore révélées nécessaires.
Je reviendrai à présent sur l'article 15. Il vise à sanctionner spécifiquement les violences habituelles, qu'elles soient physiques ou psychologiques, commises par le conjoint, le concubin ou le partenaire de PACS de la victime. Il prévoit une aggravation supplémentaire des peines applicables en cas de violences au sein du couple.
Toutefois, et contrairement à ce que semble indiquer l'exposé des motifs du projet de loi, les « ex », anciens conjoints, anciens concubins et anciens partenaires de PACS, ne seraient pas concernés par ce nouveau dispositif. Je proposerai donc, par amendement, que celui-ci leur soit étendu. On constate en effet que ce sont très souvent les anciens conjoints qui sont les plus violents.
L'article 15 rend également possible la condamnation à un suivi socio-judiciaire des auteurs de violences au sein du couple, qu'il s'agisse donc du conjoint, du concubin ou du partenaire de PACS de la victime.
Cette disposition permettra notamment de les soumettre à une injonction de soins. Je proposerai également un amendement tendant à en étendre la portée aux « ex ».
L'article 16, nous en avons longuement parlé, vise à délier du secret médical le médecin qui apprendrait que la victime a été l'objet de violences commises par son conjoint, son concubin, son partenaire de PACS ou son « ex ».
Le médecin n'aura ainsi plus besoin de l'accord de la victime pour porter ces violences à la connaissance de la justice.
Il s'agit là, me semble-t-il, d'une disposition importante car, bien qu'ils jouent un rôle fondamental pour prévenir et combattre les violences conjugales, les médecins restent trop souvent impuissants face à ce phénomène, comme ils l'ont affirmé lors de leurs auditions.
Même si la patiente accepte de leur parler, elle souhaite généralement que ses propos soient couverts par le secret médical. À cet égard, l'article 16 devrait contribuer à mieux appréhender le phénomène des violences au sein du couple et, surtout, à le sanctionner beaucoup plus efficacement.
L'article 16 permet également aux associations concernées de se constituer partie civile en cas de provocation par voie de presse à la commission d'agressions sexuelles par le conjoint, le concubin ou le partenaire de PACS de la victime. Nous avons également rencontré et auditionné ces associations.
L'ensemble de ces mesures constitue sans doute une nouvelle avancée pour mieux lutter contre les violences faites aux femmes, d'autant plus que certaines de ces mesures - je pense en particulier à la sanction des violences habituelles -donnent suite aux recommandations que la délégation aux droits des femmes et à l'égalité entre les hommes et les femmes avait formulées à l'occasion de l'examen des propositions qui ont abouti à la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs.
Nous avions alors longuement débattu de l'incrimination des violences habituelles. Le rapporteur de la délégation, M. Jean-Guy Branger, avait défendu, avec la passion que nous lui connaissons, l'idée de cette incrimination. L'un des amendements qui soulevaient cette question, certains s'en souviennent, n'avait été repoussé que d'une voix.
Nous déplorons unanimement l'actuelle inflation législative et, me semble-t-il, nous aurions d'emblée pu faire l'économie de ce nouveau débat sur des points déjà évoqués. Les juristes nous font en permanence remarquer que les mesures législatives s'amoncèlent.
Je souhaiterais toutefois conclure sur une note positive, en ne retenant que l'essentiel : l'incrimination de violences habituelles pourra désormais être spécifiquement appliquée aux violences au sein du couple, si le Sénat accepte d'approuver cette nouvelle disposition.
Mes chers collègues, je jugerai sur pièces, c'est-à-dire en fonction de votre vote, en formulant le voeu que, dans le cadre de la discussion d'un nouveau texte, nous ne soyons pas amenés à modifier dans quelques mois ce que l'on nous propose d'adopter aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui un projet de loi dit de « prévention » de la délinquance. Or de « prévention » il ne s'agit guère, voire pas du tout, comme en témoignent les journaux, par exemple Le Parisien d'aujourd'hui à propos d'actes barbares d'adolescentes. On peut lire en effet : « Mineurs délinquants : vers des sanctions plus sévères ». Il s'agit d'un texte de répression, dans la droite ligne de la loi de sécurité intérieure, la LSI, votée voilà seulement trois ans, en 2003.
S'agissant de la forme, je commencerai, monsieur le ministre, par vous féliciter. Associer, pour l'élaboration de ce projet de loi, le ministère de l'intérieur à ceux de la justice, de la santé, des collectivités territoriales, de la famille est une bonne chose. Je relève cependant une grave lacune : pourquoi ne pas avoir élargi cette collaboration au ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement ?
M. Jean-Patrick Courtois. Et pourquoi pas au ministère des affaires étrangères ?
M. Jacques Mahéas. Très franchement, mon expérience de terrain est manifeste. Bien évidemment, la délinquance se nourrit, notamment, du chômage...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et comment !
M. Jacques Mahéas. ...et des mauvaises conditions de logement. Le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, s'il avait été là, aurait sans doute pu nous expliquer que la situation de l'emploi s'améliore. Nous lui aurions rétorqué que, malheureusement, le nombre de RMIstes a augmenté de 2,4 % de juin 2005 à juin 2006.
Par conséquent, même sur la forme, vous auriez pu mieux faire !
Par une manière de bégaiement étrange, M. Sarkozy revient cette année sur ses propres lois, qu'il s'agisse d'immigration ou de délinquance. Est-ce parce que vous en constatez l'échec retentissant ou parce que l'antienne sécuritaire a valeur de tract électoral ? Toujours est-il que la copie, une fois corrigée, manque encore son but. Après les prostituées, les mendiants et les squatteurs de halls visés par la LSI, vous prenez pour cible les familles en difficultés sociales, les consommateurs de stupéfiants ou les malades mentaux, en faisant peser sur ces populations fragiles une surveillance accrue.
M. Guy Fischer. C'est de la stigmatisation !
M. Jacques Mahéas. Vous cherchez à nous enfermer dans un débat idéologique, où nous serions de doux rêveurs « droits de l'hommistes ». Or ce débat a fait long feu.
C'est au nom du pragmatisme que nous récusons vos mesures. C'est au nom de l'expérience de terrain que nous savons déjà qu'elles seront inefficaces et même contre-productives.
Depuis près de trente ans, je suis maire d'une commune de Seine-Saint-Denis, Neuilly-sur-Marne, le Neuilly du 9-3. Le 5 septembre dernier, lors d'une réunion de notre commission, M. Sarkozy indiquait que la délinquance de voie publique avait diminué de 24 %. J'affirme avec force que ces chiffres ne sont pas fiables. L'OND, l'Office national de la délinquance, où je siège, constate que l'informatisation des mains courantes n'est pas réalisée. On nous la promet certainement au lendemain de l'élection présidentielle !
M. Jean-Pierre Sueur. Eh oui ! Comme l'augmentation du prix de l'énergie !
M. Jacques Mahéas. Selon les chiffres communiqués aux maires de Seine-Saint-Denis, presque toutes les communes de ce département ont vu, ces huit derniers mois, cette délinquance non pas baisser, mais augmenter ! Par exemple, à Neuilly-sur-Marne, elle s'est accrue de 14, 9 % ! Il est vrai que c'est un département sacrifié : il manque cinq cents policiers, dont vingt au commissariat de Neuilly-sur-Marne.
Même Le Figaro du 18 août dernier le rappelle, « les violences ont augmenté de 7,15 % d'août 2005 à juillet 2006 -vous ne le contestez d'ailleurs pas - atteignant leur plus haut niveau en un an, sur fond de délinquance générale quasiment stable, selon les statistiques mensuelles publiées [...] par l'Office national de la délinquance ». Voilà la vérité ! Il était nécessaire que je puisse la rétablir.
Je vis donc le quotidien d'une banlieue cataloguée « difficile ». À ce titre, je suis très inquiet concernant les nouvelles prérogatives accordées aux maires, qui plus est sans moyens supplémentaires. Ce n'est pas sans raison que la presse a pu les qualifier de « maires shérifs » ou de « maires fouettards » ! En effet, de manière insidieuse, le maire devient un agent de contrôle social des plus démunis, ce qui ne fera qu'entraîner confusion et défiance.
J'illustrerai cette confusion par l'exemple du défaut d'assiduité scolaire. L'éducation nationale peut déjà avoir sa propre action, voire faire un signalement à l'aide sociale à l'enfance ou à l'autorité judiciaire.
Or, récemment, vous avez ajouté à ce dispositif le contrat de responsabilité parentale, qui est placé sous l'égide du président du conseil général. Désormais, ce contrat pourra être préconisé par le maire dans le cadre du tout nouveau conseil des droits et des devoirs des familles. Comment comptez-vous coordonner tous ces intervenants ?
M. Jean-Claude Peyronnet. Ce sera la pagaille !
M. Jacques Mahéas. Si le risque de confusion est évident, ces mesures susciteront par ailleurs la défiance des personnes les plus fragiles. C'est gravement méconnaître la vie des quartiers définis comme sensibles que de vouloir légiférer sur ce qui ne fonctionne justement que dans un cadre informel, au cas par cas, grâce aux liens que tisse le maire avec la population.
Quand un maire se déplace dans les cités, ce n'est pas par exception, à grand renfort de caméras, pour y faire des déclarations fracassantes.
M. Charles Gautier. Effectivement !
M. Jacques Mahéas. Il vit au contact de ses habitants, il les écoute et tâche d'apporter des réponses à leurs difficultés. Parfois, il se fait pompier, quand d'autres ont été pyromanes ! Lors des émeutes urbaines de l'automne dernier, les maires ont joué un rôle d'apaisement essentiel, ne ménageant pas leur peine.
Nous ne refusons pas les responsabilités. Nous récusons de nouveaux pouvoirs inefficaces et octroyés sans moyens, alors que la sécurité, ne l'oublions pas, est du devoir de l'État.
Je ferai encore appel à mon expérience pour évoquer un autre point, les hospitalisations sous contrainte. Ma commune comporte en effet deux hôpitaux psychiatriques.
Sur le fond, il est inacceptable que cette question affleure dans un texte traitant de la délinquance. Quel amalgame préjudiciable que cette approche sécuritaire de la maladie mentale ! La création d'un fichier national recensant les personnes hospitalisées d'office stigmatise ainsi ces malades comme autant de suspects a priori, alors qu'il n'existe évidemment pas de corrélation entre la maladie mentale et le passage à l'acte délinquant. Quel usage sera fait d'un tel fichier ?
Il s'agit d'une question de santé publique. Les malades et leurs familles méritaient une véritable révision de la loi du 27 juin 1990, qui attend, depuis onze ans, d'être évaluée !
Au surplus, le maire est encore mis à contribution, en devenant le responsable en première intention de toutes les hospitalisations d'office, parfois sur simple avis médical. C'est faire peser sur lui une responsabilité fort lourde...
Je pense l'avoir brièvement mais suffisamment illustré : les mesures proposées ne sont que des mesures d'affichage et le pragmatisme dont elles se réclament n'est que de façade.
Votre texte, monsieur le ministre, dessine en creux un modèle de société où l'obsession sécuritaire fait de la répression, qui ne s'en prend qu'aux symptômes, une fin en soi. Or, pour que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets, la prévention, comme son nom l'indique, doit se faire en amont.
Croyez-en un maire de banlieue, il n'est pas bon d'agiter la défiance ! Les bons résultats que nous obtiendrons sur le terrain consacreront toujours une prévention précoce et continue, une politique globale, à la fois dissuasive, éducative et sociale.
Pour ces raisons, monsieur le ministre, nous ne pouvons absolument pas approuver ce texte, qui, je l'espère, aura très peu de mois d'application et nous saurons y revenir ! Il s'agit véritablement d'un affichage électoral, les Français le comprendront certainement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jacques Peyrat.
M. Jacques Peyrat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons un projet de loi qui, à la suite de plusieurs volets législatifs touchant à la sécurité, à l'ordre public et à la lutte contre l'immigration clandestine, vient mettre un point d'orgue à trois ans de labeur. Je suppose cependant qu'il ne sera pas le dernier.
Ce texte entend porter remède à la délinquance, en amont, dès le plus jeune âge, et adapter un certain nombre de dispositifs, tant de détection des conditions qui favorisent la délinquance que de coordination de l'action publique et de sanction des délinquants.
Est-il besoin de s'appesantir sur les violences urbaines du mois de novembre 2005 ? Elles stigmatisaient un état de la nation. Touchant plus de deux cents villes, leur coût n'est toujours pas évalué, mais la facture, pour les contribuables, risque d'être lourde. Pour un État de droit et pour un régime républicain, ce climat de véritable guérilla urbaine faisait peine.
Oui, les faits, la réalité, ont l'agaçante vertu de poursuivre leur cours, d'être constatables et de ramener chaque homme de bon sens et de volonté à l'exercice du bon vieux principe de non contradiction. Le cours réel de notre pays, monsieur le ministre, vous le savez, vous nous l'avez dit, montre qu'il est dans une situation alarmante du point de vue de la délinquance et que celle-ci commence à des âges de plus en plus jeunes.
Tous les professionnels, notamment les avocats pénalistes, savent que, depuis quarante ans, la sociologie délinquante a changé.
Mme Éliane Assassi. Tout a changé depuis quarante ans !
M. Jacques Peyrat. Ils apprennent, auprès de leurs jeunes clients, avec lesquels ils parlent afin de pouvoir les défendre, qu'il y a un monde entre la façon dont ils perçoivent notre pays et ce que nous percevons nous-mêmes et que nous voulons leur apprendre.
Ce projet de loi a l'ambition d'apporter de la cohérence aux actions de prévention, de traitement et de sanction de la délinquance, en affinant la coordination entre les divers intervenants que sont le maire, le préfet, la justice, le département et la région. Il s'agit d'une bonne initiative.
L'affirmation, à l'article 1er, du rôle prépondérant du maire comme coordonnateur des actions visant à prévenir et à traiter cette forme de délinquance ne peut que réjouir un maire, même s'il n'est pas un maire de grande ville. En effet, dans les grandes villes, nous avons la police, la gendarmerie, la police municipale, les contrats locaux de sécurité et les conseils de prévention de la délinquance. En revanche, dans les villages ou les petites villes qui font partie de ma communauté d'agglomération, on ne trouve aucune présence policière et ils sont éloignés du tribunal de grande instance et du procureur. Le maire y assume déjà, de fait, un rôle, qu'il est bon de renforcer.
De même, il est intéressant que le maire puisse désigner un travailleur social, interlocuteur unique de la famille, comme il est heureux qu'il puisse saisir la caisse d'allocations familiales, afin d'examiner, le cas échéant, la mise sous tutelle des allocations familiales.
Monsieur le ministre, j'attire toutefois votre attention sur le point suivant : il convient de préciser le plus possible les contours des prérogatives du maire dans cette coordination.
M. Charles Gautier. C'est sûr !
M. Jacques Peyrat. En effet, il est nécessaire de prévenir tout conflit éventuel, susceptible de naître entre les différents intervenants : le préfet, qui arrête un plan de prévention ; le conseil général, qui intervient dans l'aide sociale ; les communautés d'agglomération ou de communes, qui mettent en place des contrats locaux de prévention ; le conseil régional, qui agit sur la formation et sur la sécurisation des transports ; enfin, naturellement, l'autorité judiciaire, dans son rôle de sanction, mais aussi d'aide à la prévention.
Les maires ne peuvent que se réjouir des facilités mises en place en matière de gestion urbaine immobilière. Elles seront des aides précieuses pour prévenir les conditions dans lesquelles la délinquance des plus jeunes peut se développer.
Sur le volet touchant à la responsabilité des familles, je voudrais, monsieur le ministre, non pas exprimer une réserve, mais lancer un appel à la prudence. En effet, on ne rétablira pas l'autorité parentale si on ne la responsabilise pas. L'aide sociale est une matière délicate et il faut saluer les efforts des personnes qui y sont engagées. Il faut, en particulier, éviter que l'État, la commune, les services sociaux, etc. ne soient tentés de se substituer en tout et pour tout aux parents.
Les mesures que vous proposez vont dans le bon sens, mais, je le répète, l'assistance doit être un soutien destiné à permettre aux parents de recouvrer le plus tôt possible le sens de la responsabilité et, partant, leur autonomie.
Bien entendu, je me réjouis que la loi prévoie de permettre à des associations de saisir la justice en cas de provocation, voire d'incitation par voie de presse à la violence, sexuelle ou autre. Il suffit de se rendre dans n'importe quel point de vente de journaux pour s'apercevoir que la pornographie s'étale ostensiblement.
Toujours sur le même sujet, je voudrais souligner la prolifération alarmante, que j'ai constatée dans les maisons d'arrêt que je fréquente, du phénomène appelé « gothique » et se revendiquant souvent comme « sataniste ». Les publications, les musiques et les textes hyperviolents - incitations au meurtre, au suicide, à des actes de barbarie, aux profanations de sépulture - sont diffusés à de jeunes adolescents jusqu'alors sans problème.
Nous devons prendre la mesure de ce phénomène, car de telles images, de tels mots d'ordre, ne sont pas neutres ; ils ne peuvent que contribuer, à un âge où les jeunes cherchent leur place, à exciter des comportements délinquants qui pourraient devenir criminels.
Moderniser la lutte contre les messages violents passe par une prise en compte sérieuse de ces réalités, qui ne sont pas anodines.
Pour ce qui regarde le traitement de la délinquance, le renforcement de la sanction accompagnée de l'éducation et de la réparation des préjudices causés, le texte est équilibré et n'appelle, de ma part, aucune critique.
Monsieur le ministre, maîtriser la délinquance, notamment juvénile, est une impérieuse nécessité. En effet, un pays qui constate que sa jeunesse est violente, déprimée, sans illusion, voire sans espoir sur le monde dans lequel elle va devoir entrer,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quel tableau !
M. Jacques Peyrat. ...est un pays gravement malade, un pays en crise qui ne saurait pas protéger l'innocence et insuffler l'espérance génératrice de confiance en soi-même d'abord puis dans les autres.
La crise que traverse notre pays est aussi une crise de l'autorité. C'est un constat partagé par une large part des responsables politiques, de droite comme de gauche. Il est évident que l'on doit réapprendre ce pivot de toute éducation, que ce soit dans la cellule familiale, à l'école ou sur les lieux de travail. C'est ainsi que l'on bâtit une cité vivable dans le respect de tous et de chacun.
Bien des dispositifs ont déjà été pris par le passé pour essayer de lutter. Les politiques de la ville se sont succédé avec des résultats parfois bons, parfois médiocres. La Cour des comptes s'en est d'ailleurs émue à plusieurs reprises. Je crois qu'il nous faut conserver la vigilance que nous devons avoir quant à l'utilisation de l'argent public.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oh oui, on est d'accord !
M. Jacques Peyrat. Pour conclure, monsieur le ministre, je me réjouis qu'un certain nombre de responsables de notre pays prennent la mesure de la gravité de la crise que traverse notre nation. C'est la raison pour laquelle je souscris pleinement à votre volonté, par ce projet de loi, de porter tous remèdes utiles à un aspect préoccupant de cette situation qu'en deux minutes j'ai essayé de suggérer. Je vous en félicite et, à la petite place qui est la mienne, j'y contribuerai en m'associant à tout ce qui permettra d'affiner le texte...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Aïe aïe aïe !
M. Jacques Peyrat. ...qui nous est présenté.
Enfin, je souhaite que ce texte permette à la France de redevenir une société plus sûre d'elle-même, fière de son passé peut-être, mais préoccupée de son présent et de son avenir, une France surtout plus sereine, qui puisse s'enorgueillir de proposer de l'espoir à sa jeunesse, grâce à des conditions réelles d'espérer ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on voudrait nous faire croire que la majorité des maires sont demandeurs de pouvoirs supplémentaires en matière de prévention de la délinquance et satisfaits du présent texte. C'est évidemment faux !
M. Jacques Peyrat. Non !
M. Pierre-Yves Collombat. La seule disposition de ce texte qui est appréciée par les associations d'élus, à commencer par l'Association des maires de France, est d'ordre symbolique : il s'agit de la reconnaissance du rôle de fédérateur et de coordinateur du maire dans la prévention de la délinquance. Là, je dois avouer que c'est bien joué !
Cela dit, sans moyens humains ou financiers nouveaux,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Arrêtez, il y en a plein !
M. Pierre-Yves Collombat. ...sans la capacité de peser sur les décisions de ses multiples partenaires qui continuent à fonctionner selon leur logique et leurs objectifs propres, que pourra faire de plus le pilote, même avec sa combinaison toute neuve ?
Les maires sont certes en première ligne, mais pour recevoir les balles ! En effet, l'État conserve entièrement la définition des politiques de prévention, des politiques répressives - modalités d'intervention des forces de police, objectifs de celles-ci, politique pénale, etc. - et conserve aussi l'usage des moyens dont il dispose.
Pour l'essentiel, les maires - à commencer, là encore, par l'Association des maires de France - demandent que les nouveaux dispositifs prévus par ce texte, tel le conseil pour les droits et devoirs des familles, soient facultatifs, ce qui n'est pas le cas.
Ils ne sont surtout pas d'accord, à la quasi-unanimité, avec la confusion des genres et des fonctions générée par ce texte. Comme le dit le maire de Chanteloup-les-Vignes, qui est quand même un praticien, il ne faut pas faire du maire un juge de proximité ! Voila le problème fondamental posé par ce texte.
En effet, si, comme l'a rappelé tout à l'heure mon collègue Mahéas, le maire peut jouer un rôle central dans la prévention de la délinquance, c'est parce qu'il est perçu non comme un rouage de l'appareil d'État - sauf peut-être, comme l'a dit tout à l'heure le ministre de l'intérieur, dans certains quartiers de banlieue qui ne sont pas, et c'est heureux, la France entière -, mais comme le représentant de la collectivité, de sa volonté et de ses valeurs partagées. Telle est la spécificité d'où il tient son efficacité propre.
En le transformant en auxiliaire de la police ou de la justice, comme le fait le présent projet de loi, on lui ôte cette spécificité : pouvoir tenir, avec les intéressés et leurs familles, un discours face à face, un discours d'« éducateur », au sens classique et le plus fort du mot, qui ne se prive pas d'utiliser la sanction, tout en sachant lui donner un sens. C'est seulement en cas de faillite de cette approche informelle et directe que doit intervenir l'institution. C'est l'efficacité de celle-ci qui est en cause, pas le rôle du maire.
Le formalisme et le caractère institutionnel des conseils pour les droits et devoirs des familles ôteront à ces derniers l'efficacité de ce rapport direct avec l'élu. Quant aux rappels à l'ordre, les maires les pratiquent sans formalisme quand ils les jugent nécessaires et efficaces.
Je prendrai un exemple, mais toute ressemblance avec des personnes existantes serait évidemment fortuite... Imaginons que le fils de l'un de mes administrés, le docteur Gynéco (Sourires), tague ma mairie avec : « J'kiffe quand les keufs cannent ». (Nouveaux rires.) Certes, comme le président de notre commission l'a rappelé tout à l'heure, je devrais - article 40 du code de procédure pénale - saisir le procureur de la République.
M. Jean-Patrick Courtois. Effectivement !
M. Pierre-Yves Collombat. Tracer des inscriptions sans autorisation sur une façade est un délit - article 322-1 du code pénal.
S'agissant d'un primo-délinquant - qui, de plus, a des relations ! -, je peux aussi préférer le faire venir avec son père, lui passer un savon, lui expliquer qui sont les keufs, à quoi ils servent, lui expliquer peut-être, accessoirement, les règles de grammaire, et lui dire aussi qu'il lui reste à choisir entre le procureur et l'effacement, séance tenante, de ses inscriptions.
L'action du maire tire son efficacité de cette absence de formalisme et de son apparente extériorité institutionnelle. Supprimer ces deux caractéristiques serait contre-productif.
M. Jacques Peyrat. On ne les supprime pas !
M. Pierre-Yves Collombat. Très concrètement, il convient de conserver au maire sa fonction non institutionnelle en matière de prévention de la délinquance, tout en améliorant son information utile, et non le flux paperassier. Il convient également de conserver au maire sa capacité de saisine des rouages institutionnels, dont c'est le rôle, et, surtout, de renforcer la réactivité de ces derniers. L'essentiel est là.
J'en viens à une autre préoccupation pour les maires qui n'a pas été évoquée, mais qui est essentielle : ce texte étend le champ de leur responsabilité sur le plan pénal.
Les maires sont déjà responsables d'à peu près tout ! Mais le champ de leur responsabilité pénale se trouve encore élargi, d'abord avec les articles 1er et 3, le maire devant animer et coordonner la politique de prévention de la délinquance, puis avec les articles 21 et 22, qui modifient les conditions de l'hospitalisation d'office.
Nécessairement, un jour ou l'autre, un maire sera mis en cause...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien sûr !
Mme Marie-France Beaufils. C'est évident !
M. Pierre-Yves Collombat. ...pour n'avoir pas rempli ses obligations en matière de prévention de la délinquance. Il n'est nul besoin de beaucoup d'imagination pour prévoir un incendie catastrophique ou un crime, dont l'auteur sera un adolescent bien connu du maire et des services communaux pour son incivisme.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le maire ira même en prison !
M. Pierre-Yves Collombat. On recherchera, et on trouvera, des manquements du maire à ses obligations ! (Eh oui ! sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.) On a déjà commencé à inquiéter le maire de Rennes à la suite d'un crime commis dans sa commune !
M. Charles Gautier. Rue de la soif !
M. Pierre-Yves Collombat. Reprenez la jurisprudence ; vous verrez que l'on commence à chercher si le maire a bien rempli ses obligations !
Tant que la question de la responsabilité pénale pour délits non intentionnels des maires ne sera pas réglée, il ne saurait être question pour eux de voir élargir le champ de leurs responsabilités.
Au final, en organisant la confusion des tâches et des responsabilités, ce texte est, pour l'État, un moyen de se libérer des siennes sur le dos des collectivités locales. Sans bourse délier, il donne ainsi l'illusion d'apporter des solutions simples au problème complexe de la délinquance. Mais, après tout, n'est-ce pas le but recherché ?
En cas d'échec, comme c'est probable, confirmer la présence de M. Sarkozy à la tête de l'État n'en sera que plus nécessaire,...
M. Jean-Patrick Courtois. C'est une bonne chose !
M. Pierre-Yves Collombat. ...car il faudra toujours plus de répression. Encore une fois, c'est bien joué, mais personne n'est dupe et surtout pas les maires ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce moment du débat, tout a été dit, dans un sens positif et négatif. Il me reste peu de choses à ajouter !
Je voudrais néanmoins faire deux observations et quatre suggestions pour apporter ma pierre à ce texte qui complète l'ensemble des lois votées depuis quelques années et qui me paraît nécessaire pour sortir de la spirale infernale d'une violence qui s'aggrave et qui, de plus en plus, est le fait de gens plus jeunes.
Première observation, depuis quelques années, il est clair que, pour nous, maires de grandes villes, la violence urbaine a changé de dimension et de sens.
M. le président de la commission des lois et M. le rapporteur ont opéré une distinction entre la violence pour la violence et la violence crapuleuse. Dans une grande ville comme celle que j'ai l'honneur d'administrer, les statistiques mensuelles attestent une diminution très nette des atteintes aux biens - il y a moins de cambriolages, moins de vols avec effraction, moins de vols de voitures, etc., dans une proportion annuelle de 15 à 20 % - mais une augmentation des atteintes aux personnes. C'est cette dernière forme de délinquance, monsieur le ministre, qui fait s'accroître le sentiment d'insécurité.
M. Jacques Peyrat. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade. Et ce sentiment qu'éprouvent à la fois les mères de famille, qui n'osent plus faire sortir leurs enfants, les personnes âgées, qui n'osent plus ouvrir leur porte aux fonctionnaires qui viennent y frapper, etc. est préjudiciable aux relations entre les citoyens d'une même ville.
Le présent texte vise à une synthèse. Certains ont voulu y voir un méli-mélo. C'est faux ! Il a pour objet de s'attaquer à certaines causes de la délinquance. J'y vois un avantage majeur : il tente de lutter contre le mal français par excellence, à savoir le cloisonnement.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très juste !
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. Chacun fait sa petite soupe, sur son petit fourneau, dans son coin. (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP.) Il est clair qu'entre les services sociaux, le département, la commune, la communauté d'agglomération, l'ensemble des structures judiciaires et bien d'autres encore, il faut faire souffler un vent de transversalité. Or le présent texte vise précisément à améliorer les choses en la matière. C'est la raison pour laquelle, à la suite de l'excellent rapport rendu au nom de la commission des lois par M. Lecerf, je le voterai.
Mais je formulerai quatre observations.
Premièrement, il serait absurde que, à l'occasion de l'examen d'un texte aussi important que celui-ci, l'on se régale des conflits de compétences entre le maire et le président du conseil général.
Certains départements comptent deux cent mille habitants et des petites communes ; certains autres comptent un million et demi d'habitants et à la fois de grandes et de petites communes. Quand on a en charge les parents, les enseignants et l'ensemble de ceux qui participent à la vie collective, l'articulation des compétences en matière de prévention et en matière sociale doit être la plus pragmatique possible. Des conventions existent déjà entre le maire et le président du conseil général, plus exactement les services du conseil général - le texte en prévoit d'autres. L'intérêt de faire du maire le pilote de cette opération et l'élément de transversalité de proximité réside dans le fait que, en règle générale, c'est lui-même qui réalise cette opération. Il ne la délègue pas à un chef de service.
M. Jacques Peyrat. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade. Il serait absurde de passer trop de temps à régler ces problèmes de compétences puisque notre pays est un pays diversifié, qui compte à la fois de grands et de petits départements, de grandes et de petites communes, des communes qui depuis plusieurs années, parfois dix ans, ont mis en place avec pragmatisme des systèmes qui fonctionnent bien.
Certaines communes ont signé des contrats locaux de sécurité qui marchent bien. Pour ma part, j'ai même signé un contrat intercommunal avec la Ville de Paris pour protéger mes administrés des méfaits des voyous qui cherchent noise aux supporters des équipes adverses, singulièrement à ceux de Marseille.
Aussi, nous disposons de toute une palette de systèmes. Il n'est pas nécessaire de les quantifier ou de les clarifier. Il n'y aura pas de confusion si, quel que soit leur engagement politique, les gens sont sérieux et travaillent bien.
Deuxièmement, pour que le maire joue efficacement son rôle, « sanctifié » par les articles 1er et suivants du texte, les relations qu'il entretient avec les autorités judiciaires doivent changer de sens et de forme.
Un certain nombre de maires ici présents ont signé au cours de ces dernières années des CLS. J'en avais signé un auquel le département des Hauts-de-Seine est partie prenante- cette particularité avait réglé les problèmes de compétences - et qui prévoyait plusieurs mesures particulières : premièrement, il prévoyait une assistance psychologique dans les commissariats de police pour les mineurs placés en garde à vue ; deuxièmement, il prévoyait l'existence auprès du maire d'une commission pour rappel à l'ordre dans laquelle figurait le chef d'établissement de l'élève concerné, les parents, la police nationale, la police municipale, le délégué du procureur ; troisièmement, il prévoyait que les chefs d'établissement transmettent à la fois à la police et au maire les relevés d'absence significative des élèves, disposition que nous retrouvons dans le texte actuel.
Que s'est-il passé ?
La première mesure a mis trois ans à s'appliquer - mais j'y suis arrivé. Aujourd'hui, les gens se réjouissent que les mineurs en difficulté bénéficient d'une assistance psychologique lorsqu'ils sont placés en garde à vue - une dizaine sont concernés chaque semaine à Boulogne-Billancourt - et que les familles en soient informées. À cette occasion, on peut détecter certains problèmes complexes auxquels sont confrontées les familles intéressées.
S'agissant de la deuxième mesure, le parquet m'a empêché de la mettre en application. Le premier procureur de la République avec qui j'en ai discuté m'a dit que l'incivilité n'existait pas, qu'un délit était matérialisé ou ne l'était pas.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et voilà !
M. Jean-Pierre Fourcade. Cette conception traditionnelle est parfaitement claire et nette.
Le deuxième procureur avec qui je m'en suis entretenu m'a dit que l'action publique ne se partageait pas.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et voilà !
M. Jean-Pierre Fourcade. Aussi, n'ayant pu mettre en place le mécanisme prévu, je suis ravi qu'un texte officialise enfin le droit du maire de faire un rappel à l'ordre dès lors qu'une bêtise est commise et qu'il est possible de convoquer tant son auteur, qu'il soit primo-délinquant ou récidiviste, que sa famille ou les victimes - j'observe d'ailleurs qu'on ne parle pas assez des victimes dans ce texte.
M. Jean-Claude Carle. Effectivement !
M. Jean-Pierre Fourcade. Le garde des sceaux donnera-t-il aux parquets l'instruction de communiquer ces informations ? Mon ami Jean-Marie Bockel a déposé des amendements visant à renforcer l'information des maires, par exemple lorsqu'ils rencontrent des ennuis avec des délinquants majeurs ou mineurs.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade. À Boulogne-Billancourt, un délinquant a démoli cet hiver un centre d'accueil et d'hébergement pour les sans domicile fixe dont il rançonnait ceux qui venaient s'y nourrir et y dormir. Or le parquet a refusé d'engager des poursuites. Depuis lors, nous avons un contentieux avec lui et je dis solennellement au Gouvernement que les dispositions du présent texte visant à accroître les pouvoirs du maire et le mettant au coeur du dispositif resteront lettre morte si le parquet continue d'être aussi fermé dans ses relations avec les élus. (MM. Jean-Claude Carle et Jacques Peyrat applaudissent.) Cela me paraît essentiel.
Troisièmement, une source d'information considérable nous permettrait d'être beaucoup plus efficaces pour prévenir la délinquance, à savoir la connaissance des mains courantes déposées dans les commissariats de police. C'est grâce à elles que le maire pourrait accomplir son travail dans de bonnes conditions et intervenir dès lors que les faits en question, quoique signes d'un dysfonctionnement, ne donneront pas lieu pour autant au dépôt d'une plainte. Je souhaite donc que, dans le respect bien évidemment des règles de confidentialité, il soit possible d'utiliser intelligemment ces mains courantes.
Une juge pour enfants m'avait dit un jour être prête à s'engager sur cette voie très utile parce qu'il serait alors possible de bien observer notamment la primo-délinquance.
M. Jean-Claude Carle. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade. Enfin, si le maire, notamment dans les grandes villes ou dans les grandes communautés, est chargé de ce travail de pilotage et de coordination, il faut renforcer les pouvoirs de la police municipale - je suis d'ailleurs d'accord avec les orateurs socialistes : il ne faut pas que le maire soit le premier étage de la judiciarisation...
MM. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, et M. Jean-René Lecerf, rapporteur. On est d'accord !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est ce qui va se passer !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas du tout !
M. Jean-Pierre Fourcade. ...car ce serait un renversement complet des perspectives et cela lui ôterait tout recul et toute possibilité d'agir sur l'ensemble des éléments.
Il est quand même étonnant, dans un pays comme la France, qui se veut à l'avant-garde en bien des domaines, qu'une caissière de supermarché puisse vérifier les papiers d'identité d'un client alors que cette faculté est interdite à nos agents de police municipale.
M. Jean-Patrick Courtois. Absolument !
M. Jean-Pierre Fourcade. Je rappelle que ceux-ci, au terme de formalités, ont fait l'objet d'une déclaration auprès du parquet et du préfet et qu'ils sont assermentés. Malgré tout, ils ne peuvent pas demander l'identité de deux jeunes gens ou de deux voyous qui se battent dans la rue. (MM. Jean-Claude Carle, Jean-Patrick Courtois et Jacques Peyrat ainsi que Mme Gisèle Gautier applaudissent.)
C'est quand même extraordinaire !
En conséquence, il me paraît nécessaire de débloquer les pouvoirs des policiers municipaux, lesquels sont placés sous le contrôle du maire, lui-même officier de police judiciaire, et de leur permettre notamment de vérifier l'identité des gens qui troublent l'ordre public.
Enfin, monsieur le ministre, j'en viens pour conclure à la fameuse question des moyens supplémentaires.
M. Charles Gautier. Il n'y en a pas !
M. Jean-Pierre Fourcade. Il se trouve que j'ai la chance d'être dans un département dont le conseil général et son président, que chacun connaît ici, ont dégagé des moyens pour améliorer le matériel et l'équipement des polices municipales.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il ne manque pas d'argent !
M. Jean-Pierre Fourcade. Les rapports sont bons entre le département et les communes des Hauts-de-Seine. Je pense qu'il s'agit moins d'un problème de financement supplémentaire que d'un problème de formation complémentaire. Je souhaiterais, monsieur le ministre, puisque vous exercez avec compétence les fonctions de ministre délégué aux collectivités locales, que les attachés et les administrateurs, qui étoffent progressivement nos structures administratives, bénéficient d'une formation à la prévention de la délinquance, à partir de l'observatoire national de la délinquance, à partir de ce que font les parquets, et notamment les formules les plus avancées contenues dans la loi Perben II, tels les groupements interrégionaux de lutte contre le crime organisé - à Bordeaux, j'ai pu examiner durant quelques jours au nom du Sénat le fonctionnement de ces structures qui rassemblent des juges d'instruction, des magistrats du siège et des policiers.
C'est aujourd'hui plus important pour la vie sociale et pour l'équilibre d'une collectivité que beaucoup d'autres matières qui leur sont enseignées. Le texte que vous nous soumettez comprend une série de dispositions importantes tendant à améliorer le fonctionnement de notre société. Mais il y manque un volet consacré à la formation, volet que je voudrais voir ajouter. C'est grâce à la formation de nos agents, notamment des jeunes agents, qu'on pourra renforcer le rôle du maire et donc la prévention de la délinquance. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Mme Gisèle Gautier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.
M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas à cette heure tardive sur tout ce qui a été dit d'intéressant par les uns et par les autres, en particulier par mes collègues du groupe socialiste.
Je voudrais simplement compléter leur propos en me référant à notre expérience en matière de prévention depuis un certain nombre d'années, spécialement depuis la démarche engagée depuis le colloque de Villepinte à la suite duquel avait été encouragé le renforcement des mécanismes de prévention.
En écoutant notamment Jean-Pierre Fourcade, on mesure combien les expériences peuvent être diverses. Les uns peuvent rencontrer tel type de problème avec le parquet, avec les services de police ou avec d'autres partenaires. Néanmoins, quelles que puissent être ces difficultés, nous sommes nombreux à être très fortement impliqués dans ces démarches de coproduction de sécurité, de renforcement des actions partenariales, de prévention de la délinquance - je pense en particulier aux villes qui sont plus que d'autres touchées par ces questions de délinquance.
Nous l'avons fait avec peu d'éléments d'ordre législatif ou réglementaire. Nous avons agi, expérimenté, échoué ici, réussi là, évalué, corrigé le tir, beaucoup innové assurément. Soit dit en passant, il serait dommage qu'un texte, quel qu'il soit, freine cette démarche, souvent très riche, qui a été la nôtre.
Évidemment, cela m'amène à porter aujourd'hui sur ce texte un regard à la fois pragmatique et critique.
Je dis « oui », comme d'autres avant moi, à la reconnaissance du maire comme pivot des actions de prévention. Et je ne le vis pas comme un piège, puisque cela vient conforter ce que nous faisons, ce que nous vivons. Ce rôle du maire est même indispensable, puisqu'il donne une assise juridique aux actions que nous menons, aux responsabilités que nous assumons ; encore faut-il avoir les moyens de l'exercer.
Je souhaiterais évoquer rapidement quelques éléments de réflexion, en commençant par la question des relations avec le département, qu'un certain nombre des mes collègues, dont Mme Létard, viennent d'évoquer.
Évidemment, il faut pouvoir passer des conventions avec le département sur ce qui, en matière de prévention, relève de sa compétence. Nous l'avons tous expérimenté, je le fais dans ma ville pour les éducateurs de rue. Je suis très satisfait, parce que, dans l'un des quartiers les plus sensible de cette municipalité, il n'y avait plus - j'allais dire : par une opération du Saint-Esprit ! - aucun éducateur de rue depuis deux ou trois ans. Le club de prévention était arrivé au terme de ce qu'il pouvait faire.
La négociation a donné lieu au début à quelques discussions au sujet de cette compétence. On a critiqué le fait que le maire ne pourrait pas conserver l'indépendance nécessaire à sa mission. En fait, tout se passe très bien, et les professionnels de la prévention spécialisée sont aujourd'hui rassurés. Les négociations avec le département sont importantes, mais elles ne doivent pas remettre en cause le pilotage qui est enfin affirmé. Le texte devrait encourager les conventions, comme c'était le cas dans de précédentes versions. Ainsi, une sorte de pression serait exercée sur certaines communes ou sur certains départements, plus rétifs que d'autres. Ce ne serait pas simplement une supplication, cela ferait partie des objectifs envisageables.
Toujours en ce qui concerne les moyens permettant de remplir cette mission, nous sommes favorables à l'information partagée. Ce que d'aucuns appellent le « secret partagé » est très important et implique une certaine déontologie quant au respect de l'évocation nominale des différentes situations auxquelles nous sommes confrontés et que nous essayons de traiter en temps réel.
Dans ce domaine, sans nous transformer en juge, nous pouvons déjà aller assez loin dans l'évocation des différentes situations avec l'ensemble des partenaires : justice, police, éducation nationale. Je peux témoigner, chez moi, d'expériences de coordination territoriale autour des collèges. La mise en oeuvre de ce partenariat n'a pas été évidente, elle s'est heurtée à des obstacles, mais nous avons réussi à les surmonter. Aujourd'hui, les chefs d'établissement qui n'ont pas encore profité de ces mécanismes nous demandent de les mettre en place au plus vite.
Comme l'ont fait remarquer mes collègues à propos du financement, le fonds interministériel a existé dans des versions précédentes. La commission s'est prononcée sur ce point. Ce fonds est important. Je ne pleurniche pas en disant cela, parce que, depuis que je suis maire, j'ai pratiquement décuplé les moyens mis en oeuvre pour la prévention. L'effort a donc été fait. Toutefois il est indispensable que l'État puisse également être présent dans ce domaine. La politique de la ville nous a permis de financer un certain nombre d'actions en matière de prévention, comme le soutien à certaines associations d'aide aux victimes, d'aide aux familles de personnes en prison, etc. Malheureusement, le désengagement en matière de politique de la ville nous a causé de gros soucis.
En revanche, je dis « non » - cela a déjà été dit, mais il faut le répéter, car c'est un aspect qui me préoccupe et sur lequel je suis très critique - au rôle qui pourrait être attribué au maire dans le cadre du conseil pour les droits et devoirs des familles. Il y a la réalité du texte et la manière dont il sera perçu. Permettre au maire d'exercer cette mission quasi juridictionnelle n'apportera rien par rapport aux partenariats qui existent déjà.
Chez moi, j'ai une école des parents qui fonctionnerait, s'agissant des stages parentaux, que parce que le juge décide et contraint certains parents à agir. Nous acceptons la contrainte à côté du volontariat. Mais c'est le juge qui décide, pas moi. Il faut qu'il en soit ainsi à l'avenir. À défaut, nous perdrons - je suis en désaccord profond avec vous sur ce point - cette capacité d'arbitrer, et, croyez-moi - beaucoup peuvent en témoigner -, elle a son importance ! Nous devons être au-dessus de la mêlée dans les moments difficiles.
Les expériences sont diverses, mais nombre d'entre nous savent que les partenariats locaux en matière de sécurité et de prévention fonctionnent quand un climat de confiance existe sur le terrain. Je peux en témoigner, malgré les difficultés réelles et des partenaires parfois un peu plus rétifs, ce climat de confiance existe, et c'est extrêmement important. Aucun texte ne doit pouvoir le remettre en cause.
La préparation de ce projet de loi n'a pas été un long fleuve tranquille, puisque plusieurs versions se sont succédé. Parmi les nombreuses dispositions que comporte ce texte, certaines sont bonnes et d'autres plus contestables. Même si je suis d'accord avec la remarque sur la transversalité et le fait que chacun ne doit pas faire sa petite cuisine dans son coin, ce texte comprend trop de mesures disparates, ce qui nuit à sa lisibilité et à sa cohérence, tandis que d'autres dispositions qui étaient attendues sont absentes.
Or un tel texte, à notre époque, sur un sujet aussi sensible, doit être le plus fédérateur possible - cela n'empêche pas le débat et les oppositions au sein du Parlement. Ce point est important, car d'aucuns, qui ne siègent pas dans cet hémicycle, sont aux aguets. Dans ce domaine, tout dérapage, toute polémique, tout ce qui pourrait laisser penser que sur des questions aussi essentielles pour la cohésion nationale il n'y a pas un minimum d'entente peut être extrêmement grave, y compris pour les échéances à venir. Il reste donc du pain sur la planche. Au-delà des aspects positifs et des critiques, ce texte gagnerait à être fédérateur, ce qu'il n'est pas aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Christian Demuynck.
M. Christian Demuynck. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi, tout d'abord, d'exprimer ma satisfaction. En effet, comme on l'a vu trop souvent depuis des décennies, il existe un syndrome de l'immobilisme préélectoral...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il y en a un autre, c'est l'agitation préélectorale !
M. Christian Demuynck. ...en vertu duquel, lorsque les élections majeures que sont la présidentielle et les législatives se précisent, une sorte de tétanie saisit la classe politique, qui s'immobilise. C'est ce que l'on pouvait craindre pour cette nouvelle session parlementaire, mais ce n'est pas l'attitude que le Gouvernement adopte, et c'est bien. C'est là, me semble-t-il, la marque d'une majorité qui croit au bien-fondé de son action, une action résolument tournée vers l'amélioration de notre société, du quotidien de nos concitoyens. C'est également le signe d'une majorité confiante en elle, en son bilan et en son projet.
Vous vous êtes attaqué, au mois de juin, au problème complexe de l'immigration et de l'intégration. Vous avez donc proposé un texte ambitieux et ô combien nécessaire, qui n'a pas engendré le séisme que la gauche annonçait, car les Français, qui l'ont compris et ne sont pas tombés dans le piège idéologique tendu, l'ont finalement très largement soutenu.
Alors, à l'aube de notre débat sur le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, je fais le pari que, au-delà des manoeuvres orchestrées par certains, les Françaises et les Français auront la même attitude responsable, car ils savent que la prévention de la délinquance et la révision de ce que j'appellerai des archaïsmes s'inscrivent dans une politique globale de lutte contre l'insécurité, qui reste tout de même la troisième préoccupation des Français après le chômage et la pauvreté.
Monsieur le ministre, je me sens doublement concerné par ce texte à travers deux axes qui me semblent majeurs.
Le premier concerne la délinquance juvénile, et spécifiquement la révision de l'ordonnance de 1945 relative à l'enfance délinquante. Lorsque Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, m'avait confié, en 2004, une mission relative à la violence scolaire, j'avais pu, durant six mois, observer la réalité du terrain et traduire un certain nombre de besoins en matière de prévention.
En effet, l'évolution de notre société a fait que, naturellement, notre jeunesse s'est métamorphosée. On peut s'inquiéter, se lamenter sur cette société qui n'a pas pu ou su préserver ses enfants de la délinquance, dédouaner ces jeunes de leur responsabilité ou choisir au contraire d'agir et d'apporter des réponses proportionnées. C'est ce que vous nous proposez à travers le projet de loi que nous allons discuter.
Dès lors, la sacro-sainte ordonnance de 1945 que certains aimeraient ériger en sanctuaire inviolable ne peut rester en l'état. Il ne s'agit pas de dire qu'elle est obsolète, mais il paraît évident qu'il est aujourd'hui nécessaire de la faire évoluer ; votre texte va dans ce sens et je ne vois pas comment, sur l'ensemble de ces travées, quelqu'un pourrait juger inacceptable de faire disparaître ce sentiment d'impunité que ressentent certains jeunes, du fait de leur âge.
Plus généralement au sujet des mineurs, je considère qu'il faut leur montrer clairement le cadre dans lequel ils doivent évoluer et punir de manière adaptée toute déviance, si petite soit-elle.
Au-delà du strict aspect répressif, la sanction doit idéalement être constructive et perçue comme une chance donnée au mineur de retrouver le droit chemin.
Et dans ce débat, il convient surtout de ne pas opposer répression et prévention, de ne pas considérer qu'il faudrait faire un choix entre l'un et l'autre. Certains diront que je caricature, mais dans l'inconscient collectif, au même titre que nous aurions d'un côté la droite « libérale » et de l'autre la gauche « sociale », nous avons, d'un côté, la droite qui serait répressive et, de l'autre, la gauche sociale et préventive.
M. Jean Desessard. C'est pas mal, ça ! (Sourires.)
M. Christian Demuynck. C'est ce cloisonnement idéologique qui explique en partie l'échec des politiques que l'on a tenté de mettre en place depuis des années.
Dans son livre intitulé Éduquer ou enfermer ?, Jean-Marie Petitclerc, par ailleurs éducateur depuis plus de vingt-cinq ans, va dans ce sens, et estime qu'il faut dépasser ces clivages, car répression et prévention doivent finalement se compléter.
C'est, selon moi, la direction prise par votre texte, mais il faudra veiller à la bonne application, par les juges, des dispositions prévues, car ils apparaissent, et c'est normal, centraux dans ce dispositif.
Je pense notamment au cas des mineurs multirécidivistes, à l'endroit desquels il conviendra de faire preuve de la plus grande fermeté, afin de ne pas les laisser sombrer dans la délinquance en ne sachant pas mesurer les sanctions qu'il faudrait prendre.
Je n'entends pas par là les mettre en prison ; ce n'est pas la solution la plus adaptée lorsque l'on parle de mineurs. En revanche, les mesures d'éloignement dans des internats ou des centres éducatifs fermés doivent être favorisées, et ce pour des durées suffisantes au regard du travail éducatif et psychologique qu'il y aura à mener.
Enfin, et c'est le plus important, l'accent doit être mis tout particulièrement sur l'apprentissage des acquis fondamentaux, indispensables pour mener une vie sociale normale, ainsi que sur la sensibilisation à la valeur du travail que ces jeunes ne connaissent pas ou connaissent peu.
J'aimerais, sur ce point, vous présenter un projet que j'ai mis en place à Neuilly-Plaisance. Cette expérience parmi d'autres montre que rien n'est jamais perdu. En partenariat avec la chambre de métiers et le préfet de Seine-Saint-Denis, grâce à la politique gouvernementale qui a notamment créé le contrat d'accompagnement dans l'emploi, nous avons mené une action pragmatique en direction des jeunes âgés de dix-huit à vingt-cinq ans, difficiles et en échec scolaire. Certains étaient délinquants récidivistes, d'autres cherchaient un emploi. Bien qu'ils aient suivi une scolarité normale, la plupart ne savaient ni lire, ni écrire, ni compter, d'où l'intérêt de lutter contre l'absentéisme scolaire.
Nous leur avons proposé de suivre une formation rémunérée au sein des services techniques de la mairie, en plomberie, en peinture, en maçonnerie, en électricité, secteurs connaissant une pénurie de main-d'oeuvre. Tout au long de l'apprentissage, chaque jeune était encadré par un tuteur.
Il convient de souligner que cette expérience, qui va dans le sens des mesures d'activité de jour que vous proposez, a été couronnée de succès. En effet, au-delà de la fierté de ramener chez eux le salaire de leurs efforts, ce qui, pour la plupart d'entre eux, leur était inconnu, ils ont appris un métier et nombreux sont ceux qui ont découvert une vocation, l'espoir et sont devenus un exemple pour les autres jeunes. S'étant réintroduits dans le circuit social, ils peuvent désormais envisager un avenir.
Monsieur le ministre, ce sont ces jeunes dont il faut s'occuper, car sans notre aide, ils sont incapables de trouver un emploi et ont la délinquance comme seule solution pour « gagner leur vie ».
M. Jacques Mahéas. Ils sont partis à Madagascar !
M. Christian Demuynck. Vous avez tout à fait raison, monsieur Mahéas, ils sont effectivement partis en mission humanitaire à Madagascar.
M. Jacques Mahéas. Il faut le dire ! Cela nécessite de gros moyens ! C'est difficile de le faire ! J'ai moi-même une entreprise d'insertion !
M. Christian Demuynck. Le second axe du texte qui m'interpelle est la place donnée au maire dans la mise en oeuvre de la politique de prévention.
Parlementaire de Seine-Saint-Denis, département exposé aux problèmes de délinquance mais qu'il ne faut pas, loin de là, réduire à cela car on y trouve des jeunes brillants, des familles heureuses et des entreprises qui fonctionnent, je suis également un maire qui, au même titre que les villes de plus de 10 000 habitants, sera concerné par la mise en place des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, ainsi que des conseils pour les droits et devoirs des familles.
Sur ce point, je reste sceptique, monsieur le ministre, quant à la superposition de tels conseils et à leur réelle efficacité dans la pratique. En outre, les rendre obligatoires me semble contraignant pour des communes où la concertation existe et est déjà efficace, la mise en place de telles structures n'y étant finalement pas nécessaire.
Le texte prévoit, par ailleurs, de donner encore plus de pouvoirs aux maires, et parfois au-delà de leurs prérogatives originelles. S'il est opportun et indispensable de mettre le maire au centre du dispositif en raison de sa proximité et de sa connaissance de ses administrés, il faut lui donner pleinement les moyens de mettre en place les mesures qui s'imposent dans le domaine de la prévention.
Sachant, par exemple, qu'il m'a fallu trois mois pour faire appliquer par la police nationale un arrêté interdisant la vente d'alcool après vingt-deux heures dans un quartier sensible, alors même que cette décision était pleinement de mon ressort, je m'inquiète de savoir quelle sera ma marge de manoeuvre pour des prérogatives qui relèvent beaucoup moins de mes compétences.
Il ne s'agit pas de transformer le premier magistrat d'une ville en supershérif omnipotent, comme certains voudraient nous le faire croire. En effet, ne l'oublions pas, le projet de loi prévoit que le maire doit travailler en concertation étroite avec des intervenants extérieurs, en particulier avec le préfet et le conseil général, ce qui constitue une garantie s'agissant du contrôle de son action.
Pour autant, ces garanties d'un travail collectif de tous les acteurs concernés ne doivent pas freiner l'action du maire pour assurer la sécurité de sa ville et de ses administrés.
Telles sont, monsieur le ministre, trop brièvement évoquées, les quelques remarques que je voulais porter à votre connaissance avant d'aborder la discussion de ce texte.
Même si je suis réservé sur quelques-uns des points qui y sont traités, je reconnais qu'il constitue une avancée notable pour notre pays.
Hier, le champ de la prévention n'était qu'un flou artistique. Demain, le fait de l'inscrire dans le marbre de la loi contribuera à donner une certaine lisibilité à l'action menée, pour réduire durablement la délinquance en s'attaquant à ses causes. Prévenir le mal est toujours mieux que le guérir. C'est pourquoi je soutiendrai, sans arrière-pensée, le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - M. Guy Fischer applaudit également.)
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis 2002, nous assistons à une véritable inflation législative, un tel TGV de lois, que l'on ne prend même pas le temps d'une évaluation, pourtant indispensable pour construire une vraie politique de prévention et de sécurité.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Vous multipliez les projets de loi, chacun étant supposé être une panacée aux problèmes de notre société.
Vous arrivez à réussir ce grand écart qui consiste à commencer par faire peur aux Français puis à leur faire croire que chacune de vos nouvelles lois est la bonne...
Alors que ce texte est supposé mettre en oeuvre un plan national de prévention de la délinquance, la majorité des dispositions que vous nous présentez ici sont des mesures de répression.
Il est vrai que, pour certains, interdiction et répression sont les premiers maillons de la prévention !
Ce projet de loi nous fait penser à ce vieux slogan : « police partout et justice nulle part », qui devient aujourd'hui « répression partout, prévention nulle part » !
Moins d'un an après les révoltes des banlieues, alors que les braises sont encore chaudes, permettez-moi de vous dire que ce projet de loi apporte une piètre réponse à ces jeunes, qui attendent des propositions concrètes, et qu'il est certainement moins onéreux qu'une réponse adaptée.
En effet, proposer une énième nouvelle loi coûte beaucoup moins cher que d'appliquer celles qui existent déjà, et pour lesquelles de nombreux décrets d'application n'ont toujours pas été publiés. Cela peut rapporter plus politiquement, en tout cas électoralement parlant !
Mais la question de fond est celle de l'efficacité : croyez-vous sincèrement que votre politique sécuritaire est efficace ?
Comme l'ont rappelé mes collègues qui sont intervenus avant moi, les chiffres de la délinquance témoignent à charge contre vous.
Par ailleurs, vous n'avez diffusé aucune évaluation des structures préalablement mises en place. Ainsi, nous n'avons aucune évaluation ni aucun bilan sur les dix-sept centres éducatifs fermés actuellement en fonction.
Mais je pense que ce n'est pas là votre préoccupation.
En fait, il me semble que ce qui vous motive le plus, c'est de poursuivre dans l'affichage d'une parole et d'une image, ainsi que dans l'agitation médiatico-politique.
Vos gesticulations n'ont pas seulement des conséquences sur les courbes de sondages d'opinion, elles ont également des conséquences sur la structure même de l'administration nationale et sur la gestion politique de notre démocratie, que vous mettez en danger en niant la répartition des compétences et en violant l'indépendance des pouvoirs.
En effet, loi après loi, le ministre de l'intérieur accapare un peu plus la direction générale de l'administration et des institutions.
Hier, avec la loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales, vous préemptiez de fait le pouvoir du ministère de la justice.
Puis, avec la loi pour l'égalité des chances, c'était le tour du ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement.
Enfin, avec la loi relative à l'immigration et à l'intégration, c'était le ministère des affaires étrangères et, en particulier, les services consulaires qui passaient sous la souveraineté du ministère de l'intérieur.
M. Guy Fischer. Ça c'est sûr !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Aujourd'hui, c'est au tour du ministère de la santé et des solidarités, du ministère délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, et même des services de l'éducation nationale !
Sans l'avouer ouvertement, ce que vous tentez de mettre en oeuvre, c'est une véritable rupture avec les libertés publiques et nos valeurs républicaines auxquelles nous sommes attachés, en faveur d'un contrôle social policier, discriminatoire et sélectif.
M. Philippe Nogrix. Oh !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Constamment, vous entretenez l'amalgame en maintenant le lien entre, d'une part, certaines catégories de la population - les pauvres, les précaires, les malades, les toxicomanes, les jeunes - et, d'autre part, les violences et la délinquance.
Prenons l'exemple des jeunes : vous tentez de faire disparaître la spécificité de la justice des mineurs, en la rapprochant de façon inacceptable du régime des majeurs.
C'est notamment le cas lorsque vous permettez l'accroissement de la mainmise du parquet sur les tribunaux pour enfants, ou l'extension aux mineurs de la mesure de composition pénale, ou encore la procédure de jugement rapproché, semblable à la comparution immédiate applicable aux majeurs.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Nous ne nions pas que l'ordonnance de 1945 doive être modifiée. D'ailleurs, les nombreux représentants des différents organismes auditionnés sont les premiers demandeurs.
Mais aucune modification de l'ordonnance de 1945 n'est acceptable si elle concourt à dénaturer l'esprit fondateur du texte.
Ce texte rappelle qu'une bonne justice des mineurs est, avant tout, une justice qui prend en compte les différentes étapes de l'enfance et de l'adolescence, étapes qui doivent être traitées différemment.
Si tout le monde s'accorde aujourd'hui pour dire qu'il est néfaste de faire traîner pendant plusieurs années un jugement, car cela vide la justice de son sens, il n'est pas pour autant nécessaire d'opter pour une justice expéditive, au mépris du temps éducatif nécessaire à tous les jeunes, en particulier à ceux qui sont en difficulté.
Dans l'intérêt des jeunes avant tout, il convient de bâtir sans attendre une justice qui dispose de moyens humains et financiers suffisants, afin de prendre le temps nécessaire au traitement spécifique de la délinquance des mineurs.
Un mineur est un mineur : il est de notre devoir de l'accompagner, de le protéger et de le sanctionner comme tel. C'est cette spécificité qu'il convient de maintenir.
Face à cette société que vous voulez mettre au pas, face à ce risque de basculement durable vers l'arbitraire, face à votre volonté répétée d'instituer de nouvelles classes dangereuses, les Verts défendront avec fermeté la défense de nos droits et libertés.
Monsieur le ministre, une société qui a peur de sa jeunesse et de ses enfants est une société sans avenir.
Dans la même logique, vous tentez de faire croire aux Français et aux maires que vous apportez une réponse aux problèmes de délinquance, en élargissant les compétences du maire.
Mais l'une des principales raisons pour lesquelles l'ensemble des maires de France jouent un rôle éminent dans la prévention de la délinquance, c'est avant tout parce qu'ils sont en dehors du système de répression, que ce dernier soit judiciaire ou policier.
Intégrer le maire dans la chaîne de répression pénale revient à rompre le contrat de confiance qui le lie à ses administrés.
M. Charles Gautier. C'est vrai !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Ainsi, vous transformez le maire, acteur de conciliation, d'intermédiation et d'équilibre social, en un « maire fouettard », agent de délation et de contrôle social ; sans parler des reproches qui lui seront faits s'il ne répond pas immédiatement aux problèmes. En touchant à sa crédibilité, vous l'affaiblissez dans son rôle de conseil, au lieu de le renforcer.
De plus, avec ce type de transferts de compétences sans moyens financiers, vous faites assumer aux villes les plus pauvres, les plus endettées, les plus démunies, une part supplémentaire et toujours plus grande dans les domaines de la prévention et de la sécurité.
Il ne revient pas aux villes d'assumer ce que l'État ne peut pas ou ne veut pas assumer. Il s'agit de pouvoirs régaliens dont l'État doit assurer pleinement la charge.
Une fois encore, au nom de la lutte contre l'insécurité et les violences, vous voulez nous priver de nos droits et de nos libertés.
En créant de nouveaux fichiers, ou en élargissant le régime de gestion et de consultation de fichiers existants, sans aucune garantie de recours, comme dans le cas de l'hospitalisation d'office, on avoisine un « nouveau casier judiciaire psychiatrique ».
Cette fixation illustre la volonté de notre ministre de l'intérieur de « tout voir, tout savoir », comme il l'a déjà déclaré.
Il me semble que votre « France d'après » ressemblera vite à une société ne proposant qu'une alternative, l'enfermement, c'est-à-dire la prison ou l'hospitalisation !
Tous ces fichiers et ces listes, qui rappellent des pages noires de notre histoire, et dont l'accès, le croisement et l'orientation sont de plus en plus facilités, ne peuvent servir qu'à faire croître l'arbitraire.
La sûreté, c'est certes la sécurité des personnes et des biens, mais c'est également, et avant tout, la sûreté individuelle qui garantit le droit au respect de la vie privée.
Stigmatiser des individus, créer des peurs, amplifier la xénophobie, précariser des familles et ghettoïser tout un pan de notre société, c'est contribuer aux violences qui en découlent, et c'est permettre à M. le ministre de l'intérieur de se présenter, demain, comme l'ultime recours !
Je suis convaincue que, dans les mois à venir, profitant des faits divers qui se produiront forcément, vous serez les premiers à crier sur tous les plateaux de télévision qu'il faut aller encore plus loin dans le contrôle social, plus loin dans le tout-sécuritaire. Cela s'appelle de la surenchère électorale !
La meilleure des préventions que nous devons défendre, c'est avant tout un plan de justice sociale et de lutte contre toutes les discriminations, par l'instauration d'une réelle égalité des droits.
Voilà pourquoi nous, les Verts, nous proposons la création d'une police nationale de proximité, avec des moyens humains et financiers ainsi que des compétences clairement définies et réparties.
Afin de mettre définitivement un terme à toutes les velléités des maires qui se rêvent shérif, nous demandons la suppression de toutes les polices municipales. Le budget ainsi dégagé serait transféré aux organismes d'éducation spécialisée et aux associations locales de prévention.
Nous oeuvrons pour une autre politique, qui refuse l'amalgame, la stigmatisation et la criminalisation, notamment envers les malades et les toxicomanes, une politique de prévention qui ferme les centres d'éducation fermés et qui redonne des moyens à l'éducation spécialisée par la création de 10 000 postes d'éducateurs.
D'ailleurs, ce ne serait que « rendre à César, ce qui lui appartient »... En effet, je vous rappelle que le financement des centres éducatifs fermés s'est effectué au détriment du secteur associatif habilité, notamment des maisons d'enfants à caractère social, puisque l'enveloppe spécifique promise n'est jamais arrivée.
Pour nous, monsieur le ministre, la prévention de la délinquance commence par l'éducation ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.
M. Serge Dassault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance marque un grand progrès en matière de prévention et de traitement de la délinquance, et je l'approuve entièrement.
Il complète le travail remarquable que vous avez réalisé, monsieur le ministre, et qui a abouti à une réduction notable de la délinquance depuis quelques années.
M. Jacques Mahéas. Ah bon ?
M. Serge Dassault. Mais il reste encore beaucoup à faire, et je souhaite formuler quelques propositions complémentaires. (Exclamations amusées sur les travées du groupe CRC.)
Mme Éliane Assassi. Enfin !
M. Serge Dassault. Elles porteront sur un domaine totalement différent, mais essentiel pour prévenir la délinquance, et seront fidèles à l'esprit que vous avez défini.
M. Guy Fischer. L'apprentissage à douze ans !
M. Serge Dassault. Vous avez souligné, monsieur le ministre, que les sanctions ne suffisaient pas et qu'il fallait développer la prévention. Vous avez ajouté : « Les lois ont vieilli, et ce qui était valable en 1950 ne l'est plus aujourd'hui. » Vous avez conclu qu'il fallait revoir un certain nombre de nos habitudes, et vous avez raison.
Posons-nous la question : quelle est la raison principale de la délinquance ? Pourquoi y a-t-il tant de délinquants ?
M. Jean Desessard. Parce qu'il y a des riches et des pauvres !
M. Serge Dassault. Eh bien, je pense que la raison principale de la délinquance est l'inactivité de tous ces jeunes...
M. Jean Desessard. Le chômage !
M. Serge Dassault. ...qui, à partir de seize ans, quittent le collège sans continuer leurs études, sans école, sans compétence ni formation professionnelle, sans travail, qui ne font rien et ne sont plus obligés à rien.
M. Jacques Mahéas. Le ministre de l'emploi n'est pas parmi nous !
M. Serge Dassault. Une fois qu'ils sont sortis du système scolaire, à seize ans, plus personne ne s'occupe d'eux. De plus, l'impunité les protège jusqu'à dix-huit ans, ce dont leurs aînés profitent.
Cette situation est due essentiellement aux inconvénients du collège unique, qui oblige tous les jeunes à suivre la même formation alors que certains d'entre eux n'en ont ni le goût ni les moyens. Résultat : ils sortent du collège à seize ans sans aucune compétence professionnelle, après avoir perdu leur temps et fait perdre le leur aux autres.
Ils n'ont rien à faire et deviennent la proie de ceux qui leur proposent de l'argent pour voler des voitures, en brûler, vendre de la drogue, agresser la police, bref, pour devenir des délinquants. Ils deviennent ainsi les acteurs de l'insécurité que votre projet de loi doit réduire, monsieur le ministre.
Or, si ces jeunes travaillaient ou étudiaient, ils ne traîneraient pas dans les rues, et la sécurité régnerait. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Jacques Mahéas. Bien sûr !
M. Serge Dassault. Voilà l'enjeu : inactivité égale délinquance, mais activité égale sécurité. Il faut donc supprimer l'inactivité pour supprimer la délinquance.
M. Jean-Luc Mélenchon. Eh oui !
M. Charles Gautier. On a compris !
Mme Éliane Assassi. Plus de chômage !
M. Charles Gautier. Jusque-là, on vous suit !
M. Serge Dassault. Voilà pourquoi - écoutez bien, mes chers collègues, car c'est important : c'est un scoop ! (Sourires) - je vous propose de porter l'obligation scolaire de seize à dix-huit ans. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
L'obligation scolaire jusqu'à dix-huit ans ne poserait évidemment aucun problème pour tous ceux qui poursuivent normalement leurs études dans les lycées et les universités ou qui sont engagés dans une formation professionnelle, puisqu'ils travaillent.
En revanche, tous ceux qui, à seize ans, après le collège, ne trouvent aucune école, aucun lycée pour les accueillir et n'ont aucune motivation pour travailler se verraient obligés par cette nouvelle limite à trouver une formation et à s'orienter vers l'apprentissage, en tout cas à ne pas rester inactifs. Cela ferait d'autant moins de délinquants, sans qu'il vous en coûte rien.
Ainsi, la meilleure méthode pour réduire l'insécurité serait de valoriser l'apprentissage, à partir de quatorze ans ou après seize ans, à la fois auprès des jeunes et auprès des familles, qui sont souvent réticentes.
Il ne faudra pas oublier les chefs d'entreprise, qui détiennent la clé du système. En effet, ils hésitent souvent à accepter des apprentis. Il faudrait donc instituer une législation obligeant les entreprises à embaucher un certain nombre d'apprentis, en fonction de leurs effectifs, comme cela a lieu pour les handicapés. Ce serait une mesure citoyenne pour les chefs d'entreprise ; elle serait dans l'intérêt de tous et réduirait à la fois l'insécurité et le chômage des jeunes.
Actuellement, plus de 60 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans qualification, soit près d'un dixième de chaque classe d'âge. Cela représente chaque année un potentiel de 60 000 délinquants supplémentaires. Cela vaut la peine de s'en occuper, non ?
Devenus majeurs, mais toujours inactifs, ces jeunes n'accèdent plus que minoritairement à une formation : 350 000 jeunes de dix-huit à vingt-quatre ans sont actuellement dépourvus de toute qualification et, pour une grande part d'entre eux, sont au chômage.
On ne peut tout de même pas affirmer que notre système éducatif actuel soit très efficace et qu'il ne faut surtout rien changer, puisqu'il n'atteint pas son objectif : former les jeunes à la vie professionnelle. Il était adapté à la situation des jeunes voilà vingt ans ; les jeunes ont changé, et le système éducatif n'est plus efficace aujourd'hui.
M. le ministre l'a souligné, il faut savoir s'adapter à chaque changement de situation ; sinon, on va vers la catastrophe. C'est ce qui se produira si l'on ne change pas l'âge limite de l'obligation scolaire.
Mais que faire, après, pour ceux qui, à dix-huit ans, restent sans formation ou sans travail ? Plus encore que leurs cadets, ce sont des délinquants en puissance, en révolte contre la société qui ne leur apporte pas de travail ; d'où les émeutes de novembre, qui peuvent d'autant plus recommencer que rien n'aura été fait pour les éviter.
La solution pourra être apportée par le service civil, déjà mis en place, mais à la condition qu'il devienne obligatoire pour tous les jeunes de dix-huit ans qui ne travaillent pas et ne sont pas en formation, et qu'il dure un an. Pour ceux qui travaillent, il n'y a pas de problème !
Au lieu de traîner dans les rues, il serait plus utile pour ces jeunes de passer un an avec les pompiers, les administrations, la police, la gendarmerie, l'armée, etc. Cela les obligerait à sortir de leur quartier, à être en contact avec d'autres communautés, à apprendre un métier, et les éloignerait de toute tentation.
Les quartiers regagneraient en sécurité, comme du temps du service militaire,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est Jacques Chirac qui l'a supprimé !
M. Serge Dassault. ...et ces jeunes trouveraient ainsi plus facilement du travail.
Voilà les nouvelles propositions que je voulais vous faire, monsieur le ministre : allonger l'obligation scolaire et professionnelle jusqu'à dix-huit ans ; obliger les chefs d'entreprise à embaucher des apprentis ; obliger les jeunes de dix-huit ans sans travail et sans formation à s'engager dans le service civil, dans le domaine qu'ils souhaitent, pendant un an.
Moins d'inactivité, plus de travail, plus de sécurité, telle est l'équation.
Ainsi, monsieur le ministre, toutes les mesures que vous voulez prendre - et qui sont excellentes, surtout en ce qui concerne le rôle du maire - ne s'appliqueraient qu'à de moins en moins de jeunes, ceux-ci, de plus en plus occupés, voyant le nombre d'inactifs parmi eux diminuer, et la sécurité deviendrait générale pour un coût minimal.
Voilà ce que je voulais vous proposer, monsieur le ministre, en particulier à la suite de mon expérience de maire d'une commune qui compte trois quartiers difficiles et dont la mission locale a réussi à trouver du travail à plus de 3 000 jeunes depuis dix ans. Ceux-ci ne posent plus aucun problème, preuve que cela marche, et la ville est beaucoup plus tranquille.
J'espère que cette proposition pourra un jour être appliquée, en collaboration avec le ministre de l'éducation nationale, pour le plus grand bien des jeunes. Cela leur évitera le chômage et amènera plus de sécurité.
Mes propositions sont un peu différentes de tout ce qui a été avancé jusqu'à présent, mais je crois qu'elles valent la peine d'être écoutées, entendues et, sans doute, appliquées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - MM. Georges Othily, Philippe Nogrix et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d'abord saluer la très grande qualité et la diversité des remarques qui, formulées sur différentes travées, démontrent l'intérêt des élus de la Haute Assemblée pour un texte aussi important, lequel est au demeurant le fruit d'une longue concertation avec l'ensemble des acteurs de terrain.
Le Gouvernement entend aborder ces débats dans un esprit d'ouverture aux préoccupations exprimées par les élus : il n'est pas le propriétaire de chaque ligne du projet de loi ! Il est une nouvelle fois, autour de Nicolas Sarkozy, ouvert à la discussion et soucieux d'améliorer le texte en accueillant tous les amendements utiles, de quelque travée de la Haute Assemblée qu'ils proviennent. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Ainsi, le Gouvernement entend faire la distinction entre ceux qui adoptent des postures idéologiques, sur ces sujets comme sur beaucoup d'autres d'ailleurs, et ceux qui, parce qu'ils connaissent les réalités de terrain, ont déposé des amendements inspirés à la fois par le pragmatisme qui doit nous guider et par la recherche de l'efficacité.
Je commencerai naturellement par remercier le rapporteur, M. Jean-René Lecerf, du travail considérable qui a été conduit dans cet esprit.
Maires, présidents de conseils généraux, travailleurs sociaux, psychiatres, magistrats, policiers, associations, universitaires : à l'évidence, monsieur le rapporteur, vous avez su écouter la voix de chacun des acteurs souhaitant exprimer leur point de vue sur le projet de loi. Dès lors, vous avez pu formuler des propositions particulièrement éclairées. Je le dirai d'emblée : le Gouvernement est favorable sans réserve à la presque totalité des amendements que vous avez déposés.
Je veux notamment vous assurer de notre souhait commun de trouver une parfaite articulation entre les différents niveaux d'intervention des élus locaux dans le champ, par définition très complexe, de la prévention de la délinquance, préoccupation que vous avez exprimée et que de nombreux orateurs partagent. De fait, nous le savons, les interventions des uns et des autres sont trop souvent enchevêtrées. C'est pourquoi nous avons besoin, sur le terrain, de renforcer le rôle des élus de proximité que sont les maires.
Vous l'avez souligné, les principales associations de maires expriment un large consensus sur le fait de placer le maire au coeur de la prévention. M. Collombat a cité tout à l'heure l'AMF ; il comprendra que je rappelle que, dès le 28 juin dernier, dans un communiqué, cette association a « observé avec satisfaction que ce texte affirme la fonction de coordinateur du maire dans la prévention de la délinquance et reconnaît ainsi son rôle privilégié de fédérateur des actions destinées à conforter la cohésion sociale ».
Je souhaite préciser, car ce point a été évoqué par la plupart des orateurs, qu'il ne s'agit évidemment pas de faire du maire un « procureur » ou un « shérif » ! Je tiens à conforter ceux qui l'ont rappelé et à le confirmer à tous ceux qui n'y croyaient pas : personne n'y songe, car cela n'aurait aucun sens.
De la même manière, il ne s'agit pas d'aller à rebours du mouvement de décentralisation qui a confié au département de larges compétences en matière d'action sociale ; simplement, chacun doit rester à sa place, mais chacun doit occuper toute sa place. Vous l'avez parfaitement compris, monsieur le rapporteur, - M. Peyrat l'évoquait également tout à l'heure - il s'agit d'améliorer les articulations entre les acteurs de terrain. Le projet de loi s'y emploie, et les amendements que vous avez présentés vont dans la bonne direction.
Aussi, je voudrais remercier la commission des lois d'avoir fait émerger, sur la question sensible posée par l'article 5 du projet de loi qui définit les modalités de nomination du coordonnateur et celles du secret partagé, une position très équilibrée. Elle a su prendre en compte les attentes des associations d'élus et les préoccupations de nombreux sénateurs, dans une matière qui requiert un certain consensus. Les remarques du président About, comme celles de MM. Mercier et de Broissia, auront été très utiles car elles permettent d'aboutir à un point d'équilibre.
Je veux aussi marquer dès maintenant l'accord du Gouvernement sur une proposition très importante de la commission des lois, qui répond à la question du financement des mesures proposées dans ce projet de loi. J'ai compris que certains groupes avaient décidé - mais peut-être y renonceront-ils - d'instrumentaliser cette question pour en faire l'argument principal de leur opposition à ce texte.
Je leur indique donc que le Gouvernement est très favorable à l'amendement présenté par la commission des lois, créant le fonds interministériel pour la prévention de la délinquance.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il n'y a rien dedans !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. Ce nouvel outil permettra de « sanctuariser », dans une présentation globale, différents crédits mobilisés pour la prévention de la délinquance. Il facilitera ainsi le financement de projets locaux.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il est vide !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. Pour ce qui est de la réforme du régime des hospitalisations d'office, vous avez su de même exprimer l'essentiel et il ne nous semble pas particulièrement habile et utile de faire, sur ce sujet sensible, un mauvais procès au Gouvernement. Il ne s'agit pas de confondre les personnes atteintes de troubles mentaux et les délinquants. Il s'agit, là aussi, avec beaucoup de pragmatisme, de mieux prendre en compte l'impact sur l'ordre public du régime d'hospitalisation forcée, en offrant le maximum de garanties aux personnes qui doivent en faire l'objet.
Nous avons choisi, avec Xavier Bertrand, d'inclure ces dispositions dans ce projet de loi car l'ordre public n'attend pas. Le calendrier parlementaire est ce qu'il est. Attendre un autre projet de loi n'aurait guère de sens car j'observe que sur le fond, notre réforme n'est pas contestée. Vos amendements nous permettront, en outre, d'aller dans le sens de l'apaisement, mais nous avons bien compris que l'attente allait au-delà. C'est une réforme d'ensemble de la loi de 1990 sur la santé mentale que le Gouvernement proposera dans les prochains mois, au terme d'une très large concertation, je l'indique très clairement, de manière qu'il n'y ait pas d'ambiguïté.
M. le président About a fait part d'un large accord sur les objectifs poursuivis par le projet de loi. Je tiens, au nom du Gouvernement, à l'en remercier et je souhaite le rassurer sur les questions qu'il nous a posées.
Nous avons voulu, dans l'ensemble du projet de loi, maintenir un équilibre et assurer une articulation entre l'action du maire et celle du président du conseil général. J'ai pu observer, lors des réunions de commissions, qu'il s'agissait là de l'une de ses préoccupations essentielles. Nous aurons certainement l'occasion d'y revenir, s'agissant, par exemple, de l'accompagnement parental.
Il est vrai que le projet de loi crée ou donne une base légale à certains dispositifs mis en oeuvre par les maires dans le cadre de leur action sociale facultative. Il est vrai aussi que certains projets de loi, récemment adoptés ou en cours d'examen, portent sur des sujets proches, je pense au contrat de responsabilité parentale ou à la protection de l'enfance.
Sur ce point aussi, il faut que les choses soient claires : il n'est pas question de substituer un texte à un autre, il s'agit de faire avancer chacun d'eux à un rythme comparable. L'ensemble du Gouvernement est attaché à l'aboutissement de chacun de ces textes, je le dis solennellement, au nom du Gouvernement. M. Philippe Bas était présent tout à l'heure. En son absence, je confirme cette position qui ne souffre pas d'ambiguïté.
Nous avons donné la priorité aux complémentarités. Nous avons veillé à la cohérence des dispositifs et à la coordination des différents textes de loi.
Il est clair cependant que si à l'occasion de la discussion des articles du présent projet de loi, nous pouvons encore renforcer ces complémentarités et cette cohérence, facilitant ainsi la coordination des différents textes, nous y serons naturellement ouverts, dans la mesure où serait respecté l'esprit propre au texte qui vous est proposé aujourd'hui.
J'en viens à l'article 5 du projet de loi, sur lequel les deux rapporteurs ont attiré notre attention.
Je veux tout d'abord préciser deux éléments sur l'esprit dans lequel le Gouvernement a travaillé.
Premier élément : on ne peut absolument pas se passer d'un coordonnateur. Nous avons trop d'exemples où faute de coordination et de partage d'information, les différents intervenants sont passés, bien sûr involontairement, à côté de situations dramatiques qui auraient dû leur sauter aux yeux.
Second élément : il est absolument nécessaire d'assurer l'information du maire dans les cas les plus complexes et les plus graves, et ce point a également été évoqué par M. Jean-Pierre Fourcade. C'est en effet le maire qui, sur le terrain, dispose du plus grand nombre de relais et c'est vers lui - ceux qui exercent des fonctions municipales le savent bien - que se tournent les familles.
C'est pourquoi le Gouvernement est attaché à la désignation du coordonnateur par le maire. Mais le texte du Gouvernement prévoit aussi, dans l'esprit que je viens d'indiquer, la consultation du président du conseil général.
Je l'ai dit en réponse à M. Lecerf, le Gouvernement est prêt à aller plus loin pour trouver une solution acceptable par tous et je sais que M. le rapporteur pour avis a apporté sa contribution à ce travail.
M. le président Hyest a, comme à son habitude avec beaucoup de sagesse, marqué son accord avec le projet de loi, dans son esprit, et a formulé quelques remarques.
Je voudrais tout d'abord souligner l'assentiment que vous donnez à la réforme, fondamentale, de l'ordonnance de 1945.
Oui, vous avez raison, monsieur Hyest, il faut adapter l'ordonnance de 1945 aux mineurs de 2006. Et en citant ces deux dates, on comprend bien que toutes ces années qui se sont écoulées nécessitent une évolution, laquelle n'a pas pour objet de remiser les grands principes de la loi de 1945, qui doivent au contraire être respectés. Mais nous donnons, par exemple, la primauté à l'éducatif et nous respectons la spécialisation de la justice des mineurs.
Chacune des mesures créées ou renforcées n'a qu'un objectif : faire en sorte que chaque acte répréhensible trouve une réponse individualisée.
C'est le sens de l'extension de la procédure de la composition pénale, qui exclut l'emprisonnement ferme et responsabilise les mineurs et leurs parents, par un engagement.
C'est aussi le sens des mesures comme l'avertissement solennel pour les mineurs, la mesure de placement éloigné du lieu de résidence habituelle, l'exécution de travaux scolaires, la mesure d'activité de jour, etc. Nous restons dans une logique éducative, adaptée aux réalités de notre temps. Comme M. le garde des sceaux l'a indiqué, la réforme que nous vous proposons est équilibrée, réaliste et pragmatique.
Monsieur Othily, je vous remercie d'avoir apporté au projet de loi le soutien d'une large partie du groupe RDSE.
Je vous remercie aussi du réalisme de vos propos : « La France est malade de l'incivilité », avez-vous dit. Vous rejoignez ici la détermination du Gouvernement à lutter contre ces phénomènes qui, en amont de la délinquance, perturbent la vie quotidienne de nos concitoyens qui se lèvent tôt, qui vont travailler honnêtement et qui ne supportent plus de subir ces « incivilités » qui sont pourtant parfois leur lot quotidien.
Face à ce phénomène, nous sommes convaincus, comme vous, qu'il faut conforter l'autorité parentale, aider les parents à assumer leurs responsabilités. C'est tout le sens du conseil pour les droits et devoirs des familles. C'est tout le sens de l'accompagnement parental.
Je remercie également le groupe RDSE d'avoir soulevé, par un amendement important, une question qui n'avait pas été abordée par le projet de loi : celle des disparitions d'enfants. Trop souvent par indifférence, des disparitions inquiétantes ne sont pas signalées à temps. Votre amendement n° 173 permet d'ouvrir le débat, et je vous en suis reconnaissant.
Madame Assassi, vous avez choisi le terrain de la polémique. C'est votre droit. Je ne vous répondrai pas exactement sur le même ton, car ce n'est pas ce qu'attendent les Français. Ils sont las des procès d'intention, des invectives et de certaines formes de querelles.
M. Christian Demuynck. Très bien !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. Pour autant, je ne veux pas rester sans réagir face à certaines contre-vérités.
Il n'y a pas de concertation, dites-vous. Mais ce texte est en préparation depuis trois ans. S'il n'y avait pas eu de concertation depuis trois ans, ce serait tout de même curieux. Le ministre d'État et ses équipes sont allés sur le terrain. Ils ont rencontré l'ensemble des acteurs qui ont souhaité s'exprimer. Et nous serons ouverts, je l'ai dit, aux amendements pragmatiques qui permettront d'améliorer le texte.
Vous avez évoqué l'idée selon laquelle il s'agirait d'un texte liberticide - même si vous n'avez pas employé cet adjectif -, remettant en cause les principes fondamentaux de notre droit. Nous en reparlerons, article après article. Je rappelle simplement que le projet de loi a été soumis à l'examen du Conseil d'État, lequel n'a pas estimé devoir le désapprouver. Cela prouve que ce texte ne heurte pas de front les principes généraux du droit.
Enfin, vous avez évoqué la question des fichiers, et c'est un sujet important. Je peux vous confirmer tout le soin que nous avons apporté à l'examen de l'avis rendu par la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Plusieurs ajustements du projet de loi proposés par le rapporteur, M. Jean-René Lecerf, et les sénateurs Alex Türk et Hugues Portelli, permettront d'ailleurs, avec l'avis favorable du Gouvernement, d'améliorer les garanties apportées aux personnes faisant l'objet des traitements automatisés que le projet de loi crée ou améliore.
La troisième contre-vérité concerne les moyens financiers consacrés aux mesures définies par le projet de loi. Je répète ce que j'indiquais tout à l'heure : nous avons bien l'intention de « sanctuariser » certains crédits dans un fonds interministériel, comme l'a proposé la commission des lois.
La dernière contre-vérité est plus classique, mais c'est un plaisir de pouvoir y répondre. Chaque fois que nous vous proposons un texte, vous agitez le spectre de Big Brother et du contrôle social. Cela pourrait devenir lassant, mais c'est pour nous l'occasion de vous poser un certain nombre de questions.
Est-ce du contrôle social que de constater que les difficultés sociales rencontrées par des familles, des femmes, des mineurs, appellent une réponse qui soit si possible intelligente - c'est le cas - coordonnée, informée ?
Est-ce du contrôle social que de souhaiter, tout simplement, que les travailleurs sociaux se parlent, échangent leurs informations, en confiance ?
Est-ce du contrôle social, enfin, que de veiller à coordonner les actions des différents acteurs - élus, fonctionnaires, magistrats - qui sont les uns et les autres, tous ensemble, confrontés aux mêmes réalités ?
Je vous laisse, sur ce point comme sur les autres, la responsabilité de vos propos.
Monsieur Détraigne, vous avez fait part d'un accord de principe, mais vous vous êtes interrogé sur plusieurs dispositifs proposés dans le projet de loi.
Je ne pense pas trahir votre pensée en la résumant ainsi : « Oui à l'information et à la coordination, mais sans création de structures et de procédures. »
J'essaierai de vous convaincre, article après article, que ce projet de loi présente des mesures de bon sens qui améliorent la coordination des différents acteurs.
Le rapprochement des points de vue, qui se dessine autour de l'article 5, avec le concours déterminant du président Mercier, ira dans le sens que vous souhaitez.
J'ajoute que le Gouvernement sera favorable à l'amendement que vous présentez pour préciser le rôle respectif du maire et du président du conseil général en vue de la conclusion d'un contrat de responsabilité parentale. J'espère ainsi répondre à votre souhait.
Monsieur Peyronnet, à titre liminaire, vous avez - j'imagine que c'était une erreur, en tout cas une imprudence de votre part - rendu hommage au Gouvernement et à la majorité en soulignant l'oeuvre législative d'ores et déjà accomplie depuis 2002.
C'est vrai : nous ne sommes pas restés les bras croisés - je vous remercie de l'avoir rappelé. J'ai une pensée pour ceux qui avaient évoqué la naïveté. Mais M. Goujon, qui est toujours stoïque, est là. Je suis sensible à son argumentation.
M. Jacques Mahéas. Ce sont toujours les mêmes sujets, cela bégaye !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. Puisque vous évoquez les années passées, je vous rappellerai quelques données pour la clarté du débat et je suis sûr que M. Mahéas ne me contredira pas tout de suite.
Depuis 2002, la délinquance baisse.
M. Jacques Mahéas. Ce n'est pas vrai !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. En quatre ans, les faits constatés par les services de police et de gendarmerie ont diminué de 8,8 %.
M. Jacques Mahéas. Ce n'est pas vrai !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. Monsieur Mahéas, j'y reviendrai tout à l'heure, alors dites « ce n'est pas vrai » en bloc à la fin, cela me permettra de répondre clairement à votre collègue M. Peyronnet !
M. Guy Fischer. Les chiffres sont truqués !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. Les faits constatés par les services de police et de gendarmerie ont diminué de 8,8 %, disais-je. Je rappelle pour tous ceux qui l'auraient oublié que de 1998 à 2002 la délinquance avait progressé de 14,5 %.(Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Philippe Goujon. Il est bon de le rappeler.
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. En 2001, plus de 4 millions de crimes et de délits avaient été commis. Aujourd'hui, ce chiffre a été ramené à 3,7 millions.
M. Jacques Mahéas. Cela veut dire que les gens ne portent plus plainte !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. Cela ne signifie pas que la délinquance a disparu, cela veut dire qu'elle a baissé et qu'il y a eu 300 000 actes de délinquance en moins.
M. Jean-Patrick Courtois. Tout à fait !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. Ce n'est pas rien !
Enfin, de 1998 à 2002, la délinquance de voie publique avait augmenté de 10,5 %. Depuis 2002, elle a reculé de 23,7 %, et cette décrue est continue.
M. Jacques Mahéas. Ce n'est pas vrai !
M. Charles Gautier. Baratin !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. J'y reviendrai, mais les méthodes de comptage n'ont pas évolué.
Derrière ces chiffres, mais j'imagine que cela vous réjouit,...
M. Jacques Mahéas. Non, malheureusement !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. ...il y a des victimes épargnées, des traumatismes évités et des coupables sanctionnés. J'imagine que sur toutes les travées, y compris sur les vôtres, c'est un motif de satisfaction.
M. Jacques Mahéas. C'en serait un si c'était vrai !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. Je pourrais continuer en évoquant le taux d'élucidation, le nombre de gardes à vue, le nombre de mises en cause, le nombre de personnes écrouées. Bref, cela mérite d'être précisé.
Mais il est vrai qu'il faut encore améliorer les choses.
M. Charles Gautier. Oui !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. Vous avez raison et je le dis : pourquoi devrait-on s'interdire de tirer les leçons des expériences qui ont été menées sur le terrain ?
Au nom de quoi faudrait-il censurer les initiatives des élus locaux qui ont su dégager avec beaucoup de pragmatisme des solutions adaptées aux réalités de notre temps ? C'est toute l'ambition de ce texte.
Tels sont les principaux éléments de réponse que je souhaitais vous apporter. J'aurais encore beaucoup de choses à vous dire, monsieur Peyronnet, mais je réserve quelques arguments à l'attention de M. Mahéas.
Monsieur Carle, je vous remercie de votre soutien. À l'évidence, la meilleure réponse à la violence des mineurs délinquants est en effet une réponse rapide. Vous avez eu raison de le rappeler, car la réitération des actes tient souvent au sentiment d'impunité qu'engendre, dans l'esprit des délinquants, l'absence de réponse ou la réponse tardive.
Je vous remercie en outre d'avoir déposé, avec M. Pierre Hérisson, un amendement visant à mieux prévenir les troubles occasionnés par le stationnement illicite des gens du voyage. Cette question constitue, chacun le sait, une de vos préoccupations. De très nombreux maires, sans remettre en cause la loi Besson, attendent avec impatience une plus grande efficacité des procédures d'évacuation.
Merci à M. Zocchetto d'avoir souligné le travail de fond accompli par le Gouvernement pour rénover l'ordonnance de 1945 sur les mineurs.
Il a souligné, à juste titre, que la présentation immédiate devant le juge des enfants aux fins de jugement est un élément très important de la réforme que nous proposons. Il ne s'agit pas d'une justice expéditive ; c'est une justice qui est entourée de quatre garanties principales, sur lesquelles nous aurons sans doute l'occasion de revenir au cours du débat.
J'en viens à l'intervention de Mme Tasca, qui n'est pas là.
M. Charles Gautier. Elle n'est pas la seule !
M. Jacques Mahéas. M. Sarkozy lui non plus n'est pas là !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. Elle a essentiellement évoqué non pas le débat de la prévention de la délinquance, mais celui de la maîtrise des flux migratoires.
Ce sujet a été largement examiné par le Parlement. La Haute Assemblée y a consacré plus de cinquante heures de discussion. Ce n'est ni le moment ni le lieu d'y revenir.
Cependant, je ne peux pas laisser passer l'idée, qui a également été évoquée par Mme Boumediene-Thiery, selon laquelle « la France a peur de ses enfants ». C'est un contresens. Dans notre esprit, prévenir la délinquance, ce n'est en aucun cas repérer des prédélinquants et ce n'est pas davantage se méfier des mineurs. C'est au contraire essayer d'apporter le plus tôt possible des réponses aux problèmes des familles et aux « dérapages » des enfants. C'est précisément parce que le Gouvernement refuse la fatalité de la délinquance qu'il veut se donner les moyens d'une vraie politique de prévention.
Monsieur Courtois, je vous remercie d'être revenu, dans une intervention précise, percutante et non dénuée d'humour, sur le bilan de notre action, sur notre méthode et sur les perspectives ouvertes par le projet de loi.
Vous avez su faire justice des principales critiques adressées à ce texte. Vous l'avez fait avec toute la légitimité qui s'attache à vos fonctions de rapporteur de plusieurs textes importants, je pense notamment à la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, et à la loi pour la sécurité intérieure.
J'ajoute que le Gouvernement sera très favorable aux amendements que vous avez présentés sur la vidéosurveillance ou sur le service volontaire citoyen de la police nationale.
Madame Létard, votre démarche est sincère, je l'ai bien compris, et je suis persuadé que nos débats permettront de lever les interrogations que vous avez exprimées.
Qui fait quoi, comment et avec quels outils ? Nous le préciserons ensemble, article après article.
Je peux d'ores et déjà vous dire que je ne partage pas entièrement vos appréhensions sur la tutelle d'une collectivité locale sur une autre qu'organiserait ce texte. Depuis la loi de 1884, les communes ont toujours mené une action sociale. Selon moi, il est normal que cette action se tourne aujourd'hui vers l'accompagnement parental, non pas à la place du contrat de responsabilité parentale, mais en amont : plus tôt, plus proche ! J'ai cru comprendre que c'était une de vos préoccupations et je suis persuadé que nous aurons l'occasion d'y revenir.
Vous avez par ailleurs insisté sur la question financière et budgétaire. Le Gouvernement s'engage à ce que la prochaine loi de finances prenne en compte la priorité qui s'attache à la prévention de la délinquance.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Demain, on rase gratis !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. Le dernier comité interministériel de prévention de la délinquance a déjà approuvé la création d'un document de politique transversale consacré à cette politique. La création du fonds interministériel de prévention de la délinquance sera un outil essentiel.
L'effort budgétaire a déjà été considérable. Je ne citerai qu'un seul exemple : entre 2002 et 2006, les effectifs de la PJJ, la protection judiciaire de la jeunesse, ont augmenté de 10 %. Ce pourcentage ne veut pas dire grand-chose, mais si je précise que cela correspond à 800 agents, c'est beaucoup plus significatif. Sur la période 2005-2006, le taux de progression du budget de la PJJ est supérieur à l'inflation. Quelque 740 millions d'euros y seront consacrés cette année. Ce n'est pas rien !
Monsieur Godefroy, après un début encourageant, votre propos s'est gâté. Au-delà des critiques que vous avez émises dans la seconde partie de votre intervention - et je pense que vous avez entendu les réponses que j'ai apportées aux précédents orateurs -, vous avez posé quelques questions précises.
S'agissant d'abord de l'hospitalisation d'office, nous sommes quelque peu surpris que notre texte provoque tant d'incompréhension, puisqu'il offre de nouvelles garanties aux personnes faisant l'objet de ces mesures.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. Nous y reviendrons lors de l'examen des articles. Je suis convaincu que votre position ne se résumera pas à des postures de principe et que la discussion permettra de dissiper les incompréhensions.
Ensuite, concernant l'injonction thérapeutique, loin de supprimer les soins aux personnes toxicomanes, nous proposons au contraire de généraliser l'injonction thérapeutique à travers toutes les étapes de la procédure pénale.
Enfin, le projet de loi réformant la protection de l'enfance, qui a été adopté par le Sénat, poursuit son parcours parlementaire. Le Gouvernement n'entend nullement renoncer à ce texte important, complémentaire de celui qui vous est soumis aujourd'hui. Il n'y a donc pas d'ambiguïté sur ce point.
Monsieur Goujon, votre intervention a suscité l'intérêt sur toutes les travées de la Haute Assemblée, sans doute parce qu'elle était équilibrée et claire. (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jacques Mahéas. Quelle ironie !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. Merci de votre soutien déterminé aux profonds changements proposés, à travers ce texte, par M. le ministre d'État. Qu'il s'agisse de lutter contre les violences intrafamiliales et conjugales ou d'adresser à chaque mineur délinquant une réponse rapide et adaptée à sa situation, vous avez à juste titre souligné combien le projet de loi marque une rupture - c'est le mot que vous avez employé, sans doute faut-il y voir des allusions fines - avec les années de complaisance. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Avec audace et en toute liberté, vous avez appelé à aller encore plus loin dans le rythme de certaines réformes.
M. Jacques Mahéas. À aller beaucoup plus loin !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. Vous avez donc posé sans tabou et avec un grand sérieux une question essentielle : la lutte contre la toxicomanie serait-elle plus efficace si l'on renonçait totalement au délit d'usage de stupéfiants, pour en faire une simple contravention ?
Vous l'avez compris, le Gouvernement ne souhaite pas aller jusque-là, non à cause d'une mode ou par crainte, mais pour des raisons que Nicolas Sarkozy et moi-même qualifierions d'opérationnelles. Nous souhaitons avant tout redonner une réalité à l'interdit social de la drogue. Nous voulons donc une loi applicable, notamment à l'endroit des jeunes. C'est pourquoi nous proposons de traiter d'abord l'usage de drogue par la composition pénale, qui sera désormais applicable aux mineurs, et par l'ordonnance pénale, que l'on étend au délit d'usage de stupéfiants par les majeurs. Concrètement, et ce sujet a été évoqué dans les réunions des deux commissions, cela signifie que, dans la très grande majorité des cas, l'usager de stupéfiants n'encourra plus de peine de prison.
Cependant, nous avons besoin de maintenir un délit d'usage de stupéfiants pour deux raisons. La première : cela permet la garde à vue d'usagers qui se révèlent être des trafiquants et il sera donc possible de remonter les filières. Seconde raison : nous créons des circonstances aggravantes, lorsque l'usager est dépositaire de l'autorité publique ou est un professionnel des transports.
Madame Gautier, en qualité de présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, vous avez souligné que le Gouvernement souhaitait, aux articles 15 et 16 du présent projet de loi, mieux réprimer les violences conjugales, et ce quelques mois à peine après le vote de la loi - importante - d'avril 2006. Je vous remercie d'avoir estimé que nos propositions s'inspiraient de celles que votre délégation avait formulées pour mieux lutter contre les violences habituelles au sein du couple.
Madame le sénateur, votre soutien nous sera précieux et utile. Le Gouvernement est très attentif à ce que la discussion engagée réponde pleinement aux préoccupations que vous avez exprimées à travers la délégation aux droits des femmes.
Monsieur Mahéas, je m'abstiendrai de toute polémique bien que, pour une raison que j'ignore, votre propos en ait été quelque peu empreint, ce qui ne fut pas le cas lors de la discussion du projet de loi sur la fonction publique territoriale.
M. Jacques Mahéas. Ce n'est jamais le cas ! (Sourires.)
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. Je ne reviendrai pas sur les chiffres, mais je tiens à être très clair. Le mode de calcul de la délinquance n'a pas changé depuis quinze ou vingt ans. C'est le même indicateur.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas vrai !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est une contrevérité !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. Pas du tout !
Si vous acceptiez ces chiffres voilà quinze ans, vous ne pouvez pas les contestez aujourd'hui. Ou alors, il vous faut revenir sur les propos que vous teniez alors.
M. Jacques Mahéas. On ne prend plus les plaintes dans les commissariats !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. Monsieur Mahéas, vous avez regretté l'absence ou l'insuffisance d'effectifs de police dans votre département.
Je voudrais être sûr que vous ayez bien voté la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure. En effet, un de ses objectifs était d'améliorer et d'augmenter les moyens de la police et de la gendarmerie.
M. Jacques Mahéas. C'est raté !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. Si vous l'avez votée, vous avez raison de vous inquiéter. Dans le cas contraire, vous êtes mal placé pour ce genre de remarque.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas du tout ! La loi est la loi ! Elle s'applique à tout le monde !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. M. Peyrat a insisté sur un point très important : la nécessité de responsabiliser les parents, en les invitant à assumer les missions qui doivent être les leurs.
C'est aussi une de nos préoccupations. Les mesures d'accompagnement parental ont bien pour objectif d'améliorer la capacité des parents à accomplir leur devoir d'éducation.
Monsieur Collombat, je suis très surpris, car il semble que vous ayez lu dans le texte des dispositions qui n'y figurent pas. Il serait intéressant qu'au cours du débat vous indiquiez très précisément au Sénat l'endroit où vous avez lu que le maire deviendrait, aux termes de notre projet, un « juge de proximité ». Ce sont les mots que vous avez utilisés et il vous faut donc les rattacher à une référence.
M. Pierre-Yves Collombat. C'est M. Cardo qui les utilisent ! Il appartient à votre majorité !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. Nous ne proposons, naturellement, rien de tel. Le « rappel à l'ordre », en particulier, n'est pas une mesure juridictionnelle et ne doit pas le devenir, comme l'ont montré à juste titre les travaux de la commission des lois.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'indiquer, il n'est pas question de transformer le maire en procureur. Il ne s'agit pas davantage de lui demander de se substituer aux autorités juridictionnelles.
M. Pierre-Yves Collombat. Dans ce cas, pourquoi le mettre dans la loi ?
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. Il s'agit, je le répète - mais peut-être faudra-t-il le répéter plusieurs fois - de placer le maire au centre des acteurs de la prévention de la délinquance, d'organiser ses relations avec les autres acteurs afin qu'il puisse, en tant que de besoin, passer le relais aux acteurs compétents.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il faut faire un fichier ! (Sourires.)
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. Cela répond, monsieur Collombat, à une vraie attente des maires.
Vous avez par ailleurs rappelé le rôle important joué par les polices municipales. C'est précisément pour reconnaître ce rôle et pour accompagner la professionnalisation des polices municipales que j'ai signé, en avril dernier, avec la majorité des organisations syndicales, un protocole qui ne résout certes pas tout, mais qui constitue une avancée et dont les mesures d'application seront très prochainement publiées.
Je voudrais remercier M. Fourcade...
Plusieurs sénateurs socialistes. Il est parti !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il n'y a pas que Mme Tasca qui n'est plus là !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. J'ai répondu à Mme Tasca et je réponds de la même manière à M. Fourcade, je vous remercie de le souligner.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous n'avez pas relevé qu'il n'était plus là !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. M. Fourcade a souligné, et je l'en remercie, que ce texte avait le mérite de lutter contre les cloisonnements.
J'ai relevé aussi que M. Fourcade a insisté sur la nécessité de mieux répondre aux attentes des victimes. L'amendement présenté par M. Fillon et par les membres du groupe de l'UMP répond à cette préoccupation : il est proposé que, désormais, le juge d'instruction convoque et entende la partie civile régulièrement, et au minimum tous les quatre mois, afin de la tenir informée de l'évolution de la procédure.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Les avocats sont là pour cela !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. C'est un changement fondamental, auquel nous sommes très ouverts.
Monsieur Demuynck, je vous remercie d'avoir fait entendre une autre voix pour le département de la Seine-Saint-Denis.
Oui, nous devons tout faire pour répondre, de manière déterminée, à la délinquance des mineurs. Le présent texte nous donnera de nouveaux instruments pour y parvenir. Je suis persuadé que, sur le terrain, en particulier dans votre département, les acteurs locaux sauront les utiliser, parce qu'ils en ont besoin !
M. Bockel a souligné, à juste titre, combien ce projet de loi est issu du recueil des expériences menées dans différentes villes de France. Il a naturellement et très logiquement fait état de sa propre expérience à Mulhouse. Comme vous le savez, monsieur Bockel, notre texte est pragmatique.
Vous avez notamment insisté sur la possibilité de déléguer l'action sociale départementale aux communes et sur l'apport que représente le secret partagé.
Sur d'autres sujets, tels que le conseil des droits et devoirs des familles, j'espère que nous pourrons vous convaincre, au cours de nos débats, de la valeur ajoutée que permettra le texte. Je le précise encore une fois, il ne s'agit ni de décider à la place du juge, ni de priver le maire de ses prérogatives actuelles ; il s'agit de faire bénéficier ce dernier de l'expérience de chacun des membres du conseil, afin qu'il puisse proposer utilement à chaque famille, au cas par cas, les réponses les plus adaptées.
J'ai noté que vous aviez conclu votre propos en souhaitant que le texte devienne le plus fédérateur et le plus lisible possible. C'est très exactement le voeu du Gouvernement, qui se montrera très ouvert à plusieurs amendements importants que vous présenterez.
Mme Boumediene-Thiery a souligné le caractère transversal et interministériel du texte, élaboré sous la conduite de Nicolas Sarkozy, en plein accord avec les membres du Gouvernement concernés. Je l'en remercie.
Pour le reste, la nature de vos critiques, madame la sénatrice, montre tout l'intérêt qu'il y aura à ce que nous prenions le temps de procéder à une lecture attentive du texte, article après article, pour lever un certain nombre d'incompréhensions.
Vous avez conclu votre intervention en rappelant que la prévention de la délinquance commençait par l'éducation : c'est exactement ce qu'a dit votre collègue Serge Dassault au début de sa propre intervention. Vous avez donc assuré la transition ! (Sourires.)
M. Jean Desessard. Il a dit que les promeneurs sont des délinquants !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. Je ne sais pas si c'était spontané ou calculé, mais, en tout cas, je suis obligé de le relever !
Monsieur Dassault, nous partageons votre souci de favoriser l'insertion sociale et professionnelle des jeunes. Plusieurs dispositions du projet de loi y concourront, comme l'inscription de la prévention de la délinquance dans les plans régionaux de développement de la formation professionnelle.
En outre, des propositions constructives seront présentées, émanant d'ailleurs des différentes travées de la Haute Assemblée, s'agissant notamment des écoles de la deuxième chance.
M. Guy Fischer. Parlons-en !
M. Brice Hortefeux, ministre délégué. Par ailleurs, nous sommes nous aussi attachés à la lutte contre l'absentéisme scolaire, et c'est ainsi que nous proposons de créer une mesure d'activité de jour, ce qui répond en partie à vos préoccupations.
Voilà, monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques réflexions qu'ont suscitées, au sein du Gouvernement, les propositions, critiques et remarques que vous avez d'ores et déjà souhaité formuler à l'aube de ce débat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UC-UDF. - M. Georges Othily applaudit également.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
8
DÉPÔT DE PROPOSITIONS DE LOI
M. le président. J'ai reçu de M. Jean-François Le Grand une proposition de loi visant à faciliter le transfert des ports maritimes aux groupements de collectivités.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 482, distribuée et renvoyée à la commission des affaires économiques, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. Michel Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés une proposition de loi relative aux droits des parents séparés en cas de garde alternée des enfants.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 483, distribuée et renvoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
9
ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, jeudi 14 septembre 2006, à neuf heures trente, à quinze heures et le soir :
Suite de la discussion du projet de loi (n° 433, 2005-2006) relatif à la prévention de la délinquance ;
Rapport (n° 476, 2005-2006) de M. Jean-René Lecerf, fait au nom de la commission des lois ;
Avis (n° 477, 2005-2006) présenté par M. Nicolas About, au nom de la commission des affaires sociales.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 14 septembre 2006, à zéro heure vingt.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD