sommaire
présidence de M. Jean-Claude Gaudin
2. Candidature à un organisme extraparlementaire
levée du secret-défense de certains documents concernant les essais nucléaires
Question de Mme Hélène Luc. - Mmes Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense ; Hélène Luc.
situation des maires confrontés aux gens du voyage et à la justice
Question de M. Hubert Haenel. - MM. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales ; Hubert Haenel.
disparité des conditions des élus intercommunaux
Question de M. Yves Détraigne. - MM. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales ; Yves Détraigne.
montant de la dotation de base de la dgf
Question de M. Claude Biwer. - MM. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales ; Claude Biwer.
situation des communautés de communes des hauts du lyonnais et de chamousset en lyonnais
Question de M. François-Noël Buffet. - MM. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales ; François-Noël Buffet.
conditions de remplacement des personnels tos partant en retraite
Question de M. Bernard Cazeau. - MM. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales ; Bernard Cazeau.
Question de M. Roland Courteau. - MM. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche ; Roland Courteau.
utilisation des crédits par rff et la sncf
Question de M. José Balarello. - MM. Léon Bertrand, ministre délégué au tourisme ; José Balarello.
immatriculation et réglementation applicable aux quads
Question de Mme Nicole Bricq. - M. Léon Bertrand, ministre délégué au tourisme ; Mme Nicole Bricq.
régime juridique applicable aux enfants nés sans vie
Question de M. Jean-Pierre Godefroy. - MM. Léon Bertrand, ministre délégué au tourisme ; Jean-Pierre Godefroy.
Question de M. Gérard Delfau. - MM. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche ; Gérard Delfau.
contenu informatif d'un panneau figurant sur le panthéon à paris
Question de M. Yann Gaillard. - MM. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche ; Yann Gaillard.
conditions d'octroi et de maintien des bourses de l'enseignement supérieur
Question de M. Louis Souvet. - MM. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche ; Louis Souvet.
réglementation applicable à l'assainissement non collectif
Question de M. Alain Vasselle. - MM. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche ; Alain Vasselle.
Question de M. Jean Boyer. - MM. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche ; Jean Boyer.
ordonnance du 1er septembre 2005 sur les établissements de santé
Question de M. Jean-Pierre Michel. - MM. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille ; Jean-Pierre Michel.
Question de Mme Marie-Thérèse Hermange. - M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille ; Mme Marie-Thérèse Hermange.
conditions de vente de tabac à la réunion et santé publique
Question de Mme Anne-Marie Payet. - M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille ; Mme Anne-Marie Payet.
4. Nomination d'un membre d'un organisme extraparlementaire
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
5. Éloge funèbre de Marcel Vidal, sénateur de l'Hérault
MM. le président, Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement.
Suspension et reprise de la séance
6. Secteur de l'énergie. - Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
Dépôt d'une motion référendaire
M. le président.
Mme Michelle Demessine, M. le président.
MM. Gérard Le Cam, le président.
Discussion générale : MM. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ; Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission des affaires économiques ; Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances ; Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques ; Bruno Retailleau.
présidence de M. Roland du Luart
MM. Yves Coquelle, Roland Courteau, Marcel Deneux.
MM. Michel Dreyfus-Schmidt, le président.
Suspension et reprise de la séance
présidence de M. Adrien Gouteyron
MM. Henri Revol, Aymeri de Montesquiou, Mme Marie-France Beaufils, MM. Daniel Raoul, Jean-Pierre Fourcade, Jean-Michel Baylet, Gérard Le Cam, Michel Sergent, Xavier Pintat, Jean-Marc Pastor, Alain Fouché, Mme Bariza Khiari, MM. René Beaumont, Jean Desessard, Pierre Hérisson, Michel Teston, Gérard Longuet.
Clôture de la discussion générale.
Renvoi de la suite de la discussion.
7. Dépôt de questions orales avec débat
8. Dépôt d'une proposition de loi
9. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
10. Dépôt d'un rapport d'information
11. Ordre du jour
compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
Candidature à un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du Haut conseil des musées de France.
La commission des affaires culturelles a fait connaître qu'elle propose la candidature de M. Philippe Nachbar pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.
Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l'article 9 du règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.
3
Questions orales
M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
Levée du secret-défense de certains documents concernant les essais nucléaires
M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc, auteur de la question n° 1112, adressée à Mme la ministre de la défense.
Mme Hélène Luc. Madame la ministre, au mois de février dernier, j'avais assisté à la conférence de presse donnée à l'Assemblée nationale par les membres de la commission d'enquête constituée par le gouvernement de la Polynésie française sur les conséquences des essais nucléaires que nous avions effectués entre 1966 et 1996.
Les conclusions de cette commission d'enquête tendaient à démontrer la dangerosité de ces essais pour les populations locales, ainsi que pour les civils et les militaires présents sur les sites.
Par la suite, à la fin juin, j'ai participé, à Papeete, à un colloque international organisé à l'occasion des célébrations du quarantième anniversaire des premiers essais nucléaires en Polynésie française et réunissant des scientifiques, des juristes, des responsables d'associations, des parlementaires de différents pays de la région, des personnes ayant eu elles-mêmes à subir les conséquences néfastes de ces essais, ainsi que des veuves de Polynésie, de France et du Sahara. Certains moments, madame la ministre, ont été difficiles à supporter.
Ce colloque a donné lieu à des communications scientifiques et des témoignages, qui tendaient tous à établir un lien de causalité entre les essais nucléaires pratiqués par notre pays et certaines pathologies observées sur des civils ou des militaires présents à l'époque - on estime leur nombre à 150 000 au total - sur les sites tant polynésiens que sahariens.
L'association polynésienne Mururoa e Tatou a constaté que 80 % de ses membres souffraient de pathologies de la thyroïde, de cancers du poumon ou de la peau et que les femmes polynésiennes mouraient trois fois plus de cancers qu'en métropole. L'association des vétérans des essais nucléaires, l'AVEN, a pour sa part montré, dans une enquête réalisée auprès de 16 000 vétérans, que 36 % d'entre eux sont affectés de cancers, soit deux fois plus que la population française du même âge.
Ces éléments ont été confortés par une étude épidémiologique réalisée par un médecin chercheur à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, l'INSERM, qui a démontré que le lien entre les retombées et le nombre de cancers de la thyroïde en Polynésie pouvait être considéré comme acquis. Cette étude a été relayée au mois d'août par toute la presse nationale et régionale. De nombreux Français ont découvert ce problème, qui appelle des réponses.
Or, récemment, le délégué à la sûreté nucléaire de la défense que vous avez missionné, M. Jurien de la Gravière, a présenté, à Papeete, aux responsables polynésiens le bilan complet de son étude sur les retombées radioactives des essais nucléaires. Il conclut à la dangerosité de dix d'entre eux sur quarante et un, dont six ont concerné les populations polynésiennes - jusqu'ici, la version officielle était de parler d'essais « propres » -, et il préconise en conséquence un suivi médical des populations concernées.
M. Jurien de la Gravière fait également des propositions pour la surveillance de certains sites, autres que Mururoa et Fangataufa, et la destruction ou la réhabilitation d'anciennes installations laissées à l'abandon sur les îles de Mangareva, Tureia et Hao. Grâce à l'émission « Envoyé spécial » de jeudi dernier, nous avons pu nous rendre compte de la situation révoltante dans laquelle ces îles ont été laissées après les essais nucléaires, là où la nature est d'une grande beauté.
Vous savez pourtant, madame la ministre, que ce premier bilan des données radiologiques est déjà contesté par les associations, car il leur semble partial. En outre, dans la mesure où certaines données à partir desquelles de nouveaux calculs ont été effectués par M. de la Gravière sont couvertes par le secret-défense, cette étude n'offre pas toutes les garanties de transparence.
Madame la ministre, dans le souci de clarté dont vous vous réclamez, à juste titre, à l'égard des militaires ayant servi sur ces sites, des personnels civils, des populations et des associations, et pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté, je vous demande de lever le secret-défense sur l'ensemble des documents émanant du service mixte de contrôle biologique et du service mixte de sécurité radiologique. Cela permettrait à d'autres scientifiques de réaliser, s'ils le souhaitent, une étude indépendante sur le même sujet.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Madame la sénatrice, en matière de défense, notamment dans le domaine des essais nucléaires, la France n'a rien à craindre de la transparence.
Nous sommes suffisamment forts et fiers de nos actions pour pouvoir dire ce qui a été fait et, le cas échéant, pour en tirer les conséquences lorsque certaines personnes peuvent souffrir des conséquences d'une activité. C'est ma politique, et je crois que nous avons tout à y gagner.
Les essais nucléaires dans le Pacifique font partie de l'histoire de notre pays. Ils nous permettent aussi d'être aujourd'hui protégés contre des risques qui, nous l'avons constaté hier encore, sont toujours actuels.
Il me paraît indispensable de dépassionner le débat, contrairement à ce que certains essaient de faire en suscitant des peurs ou des rancoeurs qui n'ont pas lieu d'être. Le dialogue et la concertation doivent permettre de pratiquer une politique de transparence.
C'est dans cet esprit que j'ai créé avec le ministre de la santé au cours de l'été 2003, à la demande de M. le Président de la République, un comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français - c'était une première -, qui a rendu public un premier rapport d'étape en avril 2005.
Par ailleurs, en octobre 2005, j'ai mandaté M. de la Gravière, délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la défense, afin de reprendre localement le dialogue avec les membres du gouvernement polynésien, les parlementaires, les élus et les représentants de la société civile.
Le délégué à la sûreté nucléaire s'est rendu à trois reprises en Polynésie, notamment la semaine dernière, en vue de répondre en particulier aux demandes d'information émises par le conseil d'orientation pour le suivi des conséquences des essais nucléaires.
Un travail complet, sur le plan technique, a été engagé par le Commissariat à l'énergie atomique et par le département de suivi des centres d'expérimentation nucléaire de la délégation générale pour l'armement afin de vérifier concrètement les conséquences radiologiques des essais et d'affiner l'évaluation de leurs effets.
Le délégué à la sûreté nucléaire a, dans ses déplacements du mois d'avril et d'octobre, commenté et expliqué les premiers résultats obtenus, qui confirment les mesures prises à l'époque.
D'ici à la fin de l'année, le ministère de la défense et le Commissariat à l'énergie atomique publieront un ouvrage sur l'ensemble des essais nucléaires français dans le Pacifique complétant les données qui ont déjà été fournies. Ainsi, l'ensemble des données radiologiques des essais nucléaires dans le Pacifique auront été publiées.
En revanche, madame Luc, je ne peux pas lever le secret-défense sur les documents émanant du service mixte de sécurité radiologique et du service mixte de contrôle biologique sans contrevenir à nos obligations internationales en la matière. Je n'ai pas le droit de le faire. Néanmoins, je n'exclus pas que des scientifiques dûment habilités et travaillant dans un cadre très précis puissent avoir accès à ces dossiers.
Quant au colloque auquel vous avez participé et auquel l'État n'était pas invité, les affirmations qui y ont été formulées reposent sur des travaux qui, à ce jour, n'ont pas été publiés et dont la valeur scientifique ne peut donc pas être appréciée.
Pour pouvoir estimer la valeur de ces travaux - et je me prononce ni dans un sens ni dans l'autre -, j'ai personnellement saisi l'Académie des sciences et l'Académie nationale de médecine afin qu'elles puissent, dès que ces travaux seront publiés, nous éclairer sur la validité de leurs conclusions. Ces avis, bien entendu, seront rendus publics. Comme vous pouvez le constater, madame la sénatrice, ma volonté de transparence est entière et concrète. Ce ne sont pas là simplement des paroles ; en témoignent toutes celles qui ont été suivies d'actes depuis maintenant plusieurs années.
À cet égard, je tiens à souligner, mesdames, messieurs les sénateurs, que la France est le seul État doté d'armes nucléaires à pratiquer une telle politique de transparence sur ses essais. Ce point mérite d'être souligné et salué. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc.
Mme Hélène Luc. Madame la ministre, je ne peux pas être complètement satisfaite de votre réponse dans la mesure où vous ne pouvez pas lever le secret-défense.
Néanmoins, je prends acte de vos engagements et de votre volonté de dépassionner le débat, d'engager un dialogue et de pratiquer la transparence.
Avec le rapport de M. de la Gravière, nous avançons à petits pas dans la reconnaissance de la nocivité des essais nucléaires de la France. L'action engagée par les associations et soutenue par Me Tessonière a certes beaucoup aidé à faire progresser le dossier. Mais, au regard de la complexité et de l'ampleur du problème, nous sommes encore loin du compte. Demeure toute la question des essais souterrains et de ceux du Sahara.
Sur le fond, les associations notamment veulent obtenir, grâce à une étude impartiale, que l'État reconnaisse, comme l'ont fait les Américains et les Britanniques, que les essais nucléaires français ont eu des conséquences dommageables pour les populations civiles et les militaires, ainsi que pour l'environnement.
Madame la ministre, votre réponse rejoint la proposition que j'allais vous faire. Si la levée du secret-défense sur certaines données ne vous semble pas réalisable, car elle nuirait à notre sécurité - ces essais datent de quarante ans ! - des scientifiques dûment habilités pourraient avoir accès au dossier pour mener à bien une étude indépendante ; je pense, par exemple, à M. de Vathaire.
J'ai conscience que vous avez hérité d'une situation difficile. Mais le temps est venu de faire toute la lumière sur les conséquences de ces essais nucléaires et de les assumer. Les victimes civiles et militaires en ont besoin pour retrouver leur dignité et pour bénéficier d'une indemnisation, comme les veuves que j'ai entendues témoigner à Papeete en ont besoin pour faire leur deuil.
Madame la ministre, vous pourriez rester dans l'histoire comme celle qui aura créé les conditions de la transparence, ce qui serait de nature à améliorer nos rapports avec la Polynésie française et à développer le tourisme.
De son côté, M. de la Gravière doit également mesurer toute la difficulté de sa tâche afin que les vaines polémiques soient évitées. Le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a accepté de l'auditionner, ce qui ne s'est jamais fait.
Au moment où la Corée du Nord vient d'effectuer ses premiers essais nucléaires, où le droit international n'est pas respecté, le monde a peur de la prolifération des armes nucléaires. Il faudra bien un jour interdire ces essais pour sauver les hommes et la planète, car ils ont déjà tué, notamment dans les îles Marshall et Fidji.
Un groupe de sénateurs appartenant à toutes les tendances politiques vient de se constituer pour lutter contre la prolifération des armes nucléaires, car nous ne voulons plus jamais revoir ce qui s'est passé au Japon.
situation des maires confrontés aux gens du voyage et à la justice
M. le président. La parole est à M. Hubert Haenel, auteur de la question n° 1081, adressée à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
M. Hubert Haenel. Monsieur le ministre, ma question concerne les gens du voyage.
Malgré les évolutions législatives et réglementaires, les maires sont toujours confrontés à des situations inextricables. Que doit faire, par exemple, un maire pour débarrasser un terrain communal irrégulièrement occupé par des gens du voyage qui quittent les lieux en laissant derrière eux des épaves de caravanes contenant des détritus de toutes sortes et présentant un danger pour la salubrité, voire la tranquillité publiques, compte tenu de leur proximité avec des maisons d'habitation ?
Récemment, un maire du Haut-Rhin confronté à cette situation a été condamné au-delà des réquisitions du ministère public pour avoir détruit des épaves de caravanes, ayant appartenu à des gens du voyage qui étaient en situation illégale sur le territoire français. Il attend toujours que les représentants de l'État, notamment le procureur de la République, lui indiquent ce qu'il aurait dû faire.
Dans de telles situations, comme dans beaucoup d'autres d'ailleurs, les maires sont corvéables et justiciables à merci. Sur qui peuvent-ils compter pour les aider à assumer leurs responsabilités ?
Je prendrai un autre exemple. Toujours dans mon département, la présence massive et durable, depuis 2004, de gens du voyage sur un site privé d'une zone industrielle exaspère les entreprises. ALSABAIL, le propriétaire, qui a tout essayé, se déclare d'ailleurs prêt à engager un recours contre l'État pour carence. Les dégradations massives à l'intérieur comme à l'extérieur d'un bâtiment ont occasionné des dégâts estimés à quelque 4,3 millions d'euros ! Quatre requêtes en expulsion formulées devant le tribunal de grande instance de Colmar ont été rejetées, les procédures en référé contre des personnes nommément désignées ne pouvant aboutir puisque les préfectures refusent de communiquer les noms correspondant aux numéros d'immatriculation des véhicules relevés sur place.
Alors étonnons-nous que certains maires, exaspérés, en aient ras-le-bol et règlent parfois les problèmes d'une manière peu orthodoxe, mais à la plus grande satisfaction des habitants de leur commune ! Toutefois, l'État ne les ménage pas, notamment la justice. Que peut et doit faire cet État que vous représentez, monsieur le ministre ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de Nicolas Sarkozy, qui m'a chargé de vous répondre aussi précisément que possible, car il sait combien vous êtes préoccupé par cette question.
Comme vous le savez, l'élimination des épaves de caravanes et des détritus qu'elles contiennent est mise en oeuvre au titre du code de l'environnement.
Aux termes de ce code, il appartient à la personne qui produit, détient ou abandonne des déchets d'en faire assurer l'élimination. À défaut, l'autorité de police peut, après mise en demeure, assurer d'office l'exécution des travaux nécessaires aux frais du responsable.
Le maire peut donc intervenir en matière de nuisances causées par les déchets sur un terrain. Cette intervention s'impose notamment lorsque ces déchets mettent en cause gravement la salubrité et la sécurité publiques.
Il doit, pour ce faire, adresser une mise en demeure à l'auteur des dépôts, assortie d'un délai pour qu'il procède ou fasse procéder à l'enlèvement. Une fois le délai échu, il peut d'office faire enlever les déchets, et ce toujours aux frais du contrevenant.
Je précise, monsieur le sénateur, que l'exercice du pouvoir de police doit toujours être, comme vous le savez, proportionné à son objet. Lorsqu'il s'agit d'enlever ou de détruire des caravanes de gens du voyage, même à l'état d'épaves, une particulière circonspection est de mise. En effet, ces caravanes sont considérées comme des résidences mobiles qui constituent l'habitat traditionnel de leurs occupants. La destruction d'une résidence mobile serait de nature à constituer une voie de fait susceptible d'entraîner la responsabilité pénale de son auteur. C'est donc là toute la difficulté.
Il convient donc de s'assurer préalablement que les caravanes concernées sont en état d'abandon manifeste. En principe, lorsqu'elles sont immatriculées, il y a lieu de faire procéder à la recherche de leur propriétaire. Ce n'est que lorsque l'abandon définitif de la caravane et son état d'épave sont avérés que celle-ci peut être considérée comme un déchet et remise à un démolisseur.
Enfin, monsieur le sénateur, le ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire a d'ores et déjà apporté des précisions aux élus sur la réalisation des aires d'accueil des gens du voyage par la voie du Guide du maire. En outre, une réflexion a également été entreprise quant à l'élaboration d'un document d'information générale précisant les pouvoirs de police du maire afférents à l'accueil des gens du voyage.
J'ajoute que la Haute Assemblée a adopté, lors de l'examen en première lecture du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, un amendement, présenté par votre collègue Pierre Hérisson, qui permettra aux maires de faire procéder avec plus de célérité à l'évacuation, par les gens du voyage, de terrains qu'ils occupent indûment.
Telles sont les informations qu'il me semblait utile de porter à votre connaissance, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Hubert Haenel.
M. Hubert Haenel. Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre. Votre réponse, qui constitue un début, était attendue par de nombreux maires, notamment celui auquel j'ai fait allusion dans mon intervention, et prouve que vous êtes à la fois un juriste et un homme de terrain.
disparité des conditions des élus intercommunaux
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, auteur de la question n° 1023, adressée à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
M. Yves Détraigne. Monsieur le ministre, je souhaite appeler votre attention sur les disparités qui existent dans les conditions d'exercice des fonctions d'élus intercommunaux.
En effet, l'article L. 2122-18 du code général des collectivités territoriales permet au maire d'une commune de déléguer par arrêté, sous certaines conditions, une partie de ses fonctions à des membres de son conseil municipal autres que ses adjoints. Les conseillers municipaux ayant reçu délégation du maire peuvent alors percevoir une indemnité de fonction.
Dans le cas d'un établissement public de coopération intercommunale, le code général des collectivités territoriales donne également la possibilité à son président de déléguer par arrêté l'exercice d'une partie de ses fonctions aux vice-présidents et, en l'absence ou en cas d'empêchement de ces derniers ou dès lors que ceux-ci sont tous titulaires d'une délégation, à d'autres membres du bureau.
En revanche, contrairement à ce que prévoit le code général des collectivités territoriales pour les élus des communes, des communautés urbaines et des communautés d'agglomération ayant reçu délégation de leur président, il n'est pas prévu que les élus d'une communauté de communes autres que les vice-présidents puissent percevoir une indemnité même s'ils sont titulaires d'une délégation.
Cette différence de traitement entre les élus délégués des conseils municipaux, communautés urbaines et communautés d'agglomération, d'une part, et ceux des communautés de communes, d'autre part, est d'autant plus surprenante que, pour des raisons d'équilibre politique dans la représentation des diverses communes membres, il est de plus en plus fréquent que le bureau d'une communauté de communes comprenne des vice-présidents et d'autres membres non vice-présidents, mais disposant malgré tout d'une délégation de compétence, qui, dans certains cas, peut être plus étendue que celle dont disposent certains vice-présidents.
C'est pourquoi il conviendrait, pour faciliter le fonctionnement des structures intercommunales et pour des raisons d'équité, de traiter de manière équivalente tous les membres du bureau d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscale propre ayant reçu délégation de leur président, qu'ils soient ou non vice-présidents, comme c'est déjà le cas pour les communautés d'agglomération.
Pouvez-vous m'indiquer, monsieur le ministre, si la position du ministère de l'intérieur pourrait évoluer sur cette question et aller dans le sens d'un traitement équivalent de l'ensemble des membres du bureau d'une intercommunalité ayant reçu une délégation effective de leur président ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, les élus des établissements publics de coopération intercommunale assument, en effet, de plus en plus de responsabilités et supportent, de ce fait, des sujétions accrues, qui ne sont pas appelées à diminuer. Ils bénéficient naturellement, en contrepartie, d'un certain nombre de garanties et d'indemnisations.
Ainsi, outre les garanties dont ils jouissent, le cas échéant, au titre de leur mandat municipal, - qu'il convient de ne pas passer sous silence -, les représentants des communes au sein des communautés de communes peuvent aujourd'hui se voir appliquer l'essentiel des droits en vigueur pour les conseillers municipaux.
Ils peuvent, en effet, user d'un droit propre à crédit d'heures, recevoir une compensation de la perte de revenus résultant de l'utilisation de ce droit d'absence, voire demander une suspension de leur contrat de travail, tout en étant protégés d'éventuelles mesures discriminatoires de la part de leur employeur, si elles sont prises en considération du mandat électif. Ils jouissent ès qualités des dispositions relatives à la formation des élus et sont susceptibles de prétendre aux mesures d'accompagnement accordées à l'issue du mandat. Il s'agit, en particulier, du stage de remise à niveau, du bilan de compétences et de l'allocation de fin de mandat.
En revanche, s'agissant des régimes indemnitaires, le législateur a étendu aux élus siégeant dans ces structures la plupart des dispositions en vigueur pour les conseillers municipaux, mais il a effectivement raisonné de façon différente s'agissant, d'une part, des communautés de communes et, d'autre part, des communautés urbaines et d'agglomération, en tenant compte des compétences exercées par ces EPCI et des responsabilités distinctes qui en résultent.
Les conseillers communautaires des communautés d'agglomération ont un régime issu de celui des communautés urbaines, lui-même aligné sur celui des communes, afin de bénéficier d'un « statut » adapté à la charge de travail que représente l'exercice de leur mandat au sein d'un groupement intercommunal aussi intégré et doté de nombreuses compétences obligatoires.
Les élus des communautés de communes se sont vu appliquer de façon sélective les règles relatives aux conseillers municipaux, qui réservent le bénéfice d'une indemnité à l'exercice effectif des fonctions de président et de vice-président.
Force est de constater que la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale et celle du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité ont permis, en même temps qu'un développement très rapide de l'intercommunalité - je ne m'étendrai pas sur ce succès quantitatif -, la mise en place d'un véritable statut de l'élu intercommunal.
Monsieur le sénateur, une évolution de ce statut n'est pas exclue a priori. Elle doit cependant s'inscrire dans la perspective du renforcement qualitatif, et non plus seulement quantitatif, de l'intercommunalité engagé par le Gouvernement, par la circulaire du 23 novembre 2005, signée par M. le ministre d'État et moi-même, et doit reposer sur un véritable bilan des dispositions existantes, qui reste à établir.
C'est dans ce cadre, monsieur le sénateur, que pourront être examinées les propositions qui ont été formulées par la représentation nationale et qui ont naturellement retenu l'attention du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le ministre, je vous remercie de l'ouverture que vous avez annoncée.
Je partage pleinement votre approche selon laquelle on ne peut élargir indistinctement les droits des élus des communautés d'agglomération ou des communautés de communes, compte tenu de l'existence de très grandes disparités entre elles, ne serait-ce qu'au regard de leurs compétences ou de leur taille.
Il convient donc d'étudier la question soulevée dans le cadre de la démarche engagée par le Gouvernement en vue d'une meilleure structuration de nos intercommunalités.
montant de la dotation de base de la dgf
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer, auteur de la question n° 1092, adressée à M. le ministre délégué aux collectivités territoriales.
M. Claude Biwer. Monsieur le ministre, très nombreux sont les maires, particulièrement dans mon département, qui se plaignent - sujet récurrent - de l'insuffisance de la dotation globale de fonctionnement, ou DGF, perçue par leurs communes. Il s'agit, en règle générale, des communes rurales aux ressources particulièrement faibles.
Lorsque je vous ai saisi récemment de la situation de l'une d'entre elles, vous m'avez répondu, monsieur le ministre, que les écarts de dotation constatés aujourd'hui entre plusieurs communes correspondaient souvent à des écarts qui existaient déjà avant la réforme de la DGF de 1993 : c'est parfaitement exact, mais l'on peut raisonnablement se demander pourquoi le Gouvernement et le Parlement n'ont pas cru devoir, à l'époque - ou depuis lors -, mettre fin à ces écarts, dont certains remontent au versement représentatif de la taxe sur les salaires !
Les lois de finances pour 2004 et pour 2005 ont sensiblement modifié le mode de répartition de la DGF des communes, créant, notamment, une dotation de base attribuée à toutes les communes en fonction de leur nombre d'habitants.
Je n'étais pas parlementaire en 1993, mais j'ai largement participé aux débats sur les projets de loi de finances pour 2004 et 2005 et je suis intervenu, à plusieurs reprises, contre la mise en place d'une dotation de base différenciée suivant l'importance de la population des communes.
En effet, il me paraissait totalement anormal qu'une commune rurale perçoive, par habitant, une dotation de base de 60 euros, alors qu'une ville de plus de 10 000 habitants reçoit à ce titre 120 euros. J'avais ajouté que cet écart se creuserait au fil des années, ce qui s'est vérifié si l'on considère le montant des dotations versées en 2006. Elles sont passées, en effet, de 60 euros à 61,23 euros dans le premier cas, et de 120 euros à 122,45 euros dans le second.
Cette différenciation entre communes me semble totalement injustifiée.
Le temps est bien révolu où les charges de centralité étaient uniquement supportées par les villes et où les communes suburbaines ne souhaitaient pas y contribuer. À la suite de la création des communautés d'agglomération, des communautés urbaines et des communautés de communes, ces charges sont désormais assumées par ces communautés, qui perçoivent, en contrepartie, une DGF très largement majorée.
Je ne vois donc pas pourquoi l'on maintient une attribution différenciée de la dotation de base de la DGF, ce qui pénalise toujours les communes rurales.
Compte tenu de la faiblesse de leurs ressources, il conviendrait, au contraire, de leur appliquer le principe de la discrimination positive, afin que le montant de cette dotation soit inversement proportionnel au nombre d'habitants ou, au moins, dans un premier temps, identique pour toutes les communes, c'est-à-dire de l'ordre de 90 euros par habitant, comme je l'avais d'ailleurs suggéré en 2004 et 2005.
J'ose espérer que le Gouvernement entendra mes arguments et prendra des mesures, aussi rapidement que possible, afin que les communes rurales bénéficient d'une répartition plus juste de la DGF.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, comme vous le savez, la réforme de la dotation globale de fonctionnement, qui a été mise en oeuvre par la loi de finances pour 2005, répondait à un objectif simple. Il s'agissait de clarifier les modalités de répartition de cette dotation, à l'évidence légèrement brouillées par l'empilement de dotations, devenues « fossiles » , et de la faire reposer autant que possible sur des critères à la fois simples, objectifs et équitables.
Le groupe de travail du Comité des finances locales, dont les propositions ont très largement inspiré cette réforme, a retenu deux critères pour la dotation forfaitaire des communes : à titre principal, la population et, dans une moindre mesure, la superficie.
En 2005, la dotation de base attribuée en fonction du nombre d'habitants de la commune variait, effectivement, de 60 à 120 euros par habitant, selon la taille des communes. En 2006, compte tenu des indexations, elle fluctue de 61,23 à 122,45 euros par habitant.
Ce choix résulte d'un constat objectif. Le progrès de l'intercommunalité n'a pas eu pour effet, à ce jour tout du moins, de transférer l'ensemble des charges de centralité sur les groupements. Sur la base des budgets primitifs pour 2003, qui ont été étudiés en détail pour la préparation de la réforme, il est apparu clairement - et cela explique le raisonnement - que les dépenses réelles totales sont plus importantes pour les grandes villes.
C'est ainsi que, pour les communes de moins de 10 000 habitants, la dépense moyenne par habitant s'élève à 1 297 euros, contre 1 642 euros pour les communes de plus de 10 000 habitants. Cet écart est encore plus marquant pour les seules dépenses réelles de fonctionnement, qui sont inférieures à 640 euros pour les premières strates et augmentent régulièrement en fonction de la taille de la commune jusqu'à plus de 1 200 euros par habitant.
On peut assortir ce constat de différentes explications, voire, comme vous le faites, monsieur le sénateur, de regrets, si l'on considère que l'intercommunalité a vocation à assumer l'intégralité des charges de centralité.
Vous connaissez d'ailleurs mon souci de renforcer le contenu de l'intercommunalité et l'exigence dont j'ai souhaité accompagner le report de l'intérêt communautaire. Vous vous souvenez que j'avais accordé une année supplémentaire, jusqu'au 18 août dernier, pour la définition de cet intérêt communautaire.
Il n'en reste pas moins que la réforme de la dotation forfaitaire des communes devait être faite en équité et que, à ce titre, le Gouvernement, tout comme le Comité des finances locales, se devaient de prendre en compte les disparités réelles des dépenses par habitant en fonction de la taille des communes.
Enfin, cette réforme présente deux autres aspects, qui me conduisent à la considérer comme équitable.
D'une part, elle garantit à deux communes de population identique qu'elles percevront la même dotation de base. Imaginez tout le débat qui s'ensuivrait si ce n'était pas le cas !
D'autre part, grâce à la formule d'évolution de la dotation en fonction du nombre d'habitants, inspirée par votre collègue Yves Fréville, cette réforme évite tout effet de seuil, ce qui était une préoccupation légitime.
Vous comprendrez donc, monsieur le sénateur, que le Gouvernement n'envisage pas, pour l'instant, de remettre en cause, le principe même de cette réforme.
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Je remercie M. le ministre de la continuité qu'il manifeste dans sa réflexion, mais sa réponse à ma question n'est pas satisfaisante pour les communes rurales.
Certes, les différences entre villes de plus de 10.000 habitants et petites communes rurales résultent du poids des charges qu'elles assument, mais elles tiennent peut-être aussi à leur gestion.
Tous ces éléments méritent d'être approfondis et j'ose espérer, monsieur le ministre, qu'un jour tout de même nous remettrons ce sujet sur le métier, afin de parvenir à effacer au moins les écarts les plus importants.
M. le président. Monsieur le ministre, j'ai dit à M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l'État que la communauté urbaine de Marseille perdait 19 millions d'euros. Alors, je m'interroge sur les modalités de calculs !
situation des commununautés de communes des hauts du lyonnais et de chamousset en lyonnais
M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, auteur de la question n° 1090, adressée à M. le ministre délégué aux collectivités territoriales.
M. François-Noël Buffet. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur la situation des communautés de communes des Hauts du Lyonnais et de Chamousset en Lyonnais.
À la suite de la révision du zonage de la prime à l'aménagement du territoire de 2000, ces deux communautés de communes se sont retrouvées exclues de la prime, car elles sont comprises dans la zone d'emploi de la ville de Lyon.
Elles sont classées « territoire rural de développement prioritaire », zonage qui offre des exonérations fiscales intéressantes pour les entreprises nouvelles.
Or, en application de la loi relative au développement des territoires ruraux du 23 février 2005, ce zonage et les dispositions y afférentes ne seront plus en vigueur au 31 décembre 2006. À la même date, les communautés de communes ne seront plus comprises dans les zones d'intervention de l'Europe, puisque le zonage « objectif 2 transitoire » doit disparaître.
Les deux communautés de communes sont les seules en France à être entièrement classées en zone « montagne » et entièrement exclues du zonage de la prime d'aménagement du territoire. Pour un territoire rural classé en totalité en zone « montagne », relativement enclavé géographiquement, se retrouver exclu de tout dispositif d'aide économique ne me paraît pas convenable.
La forte pression foncière engendrée par le développement des agglomérations lyonnaise, mais aussi stéphanoise, ajoutée à l'impossibilité d'aider les entreprises à s'installer, à se développer, donc à fournir des emplois sur leur propre territoire, entraîne inévitablement ces deux communautés de communes vers le douloureux destin de « territoire dortoir ».
Face à cette situation, qui ne me paraît pas très acceptable, pour ne pas dire inacceptable, je souhaiterais connaître les mesures que vous entendez prendre pour que, dans la prochaine définition des zonages PAT, les critères statistiques retenus ne masquent pas sous le poids de l'agglomération lyonnaise la spécificité de territoire rural de montagne dont les critères socio-économiques sont totalement différents de ceux des territoires des deuxième et troisième couronnes de l'agglomération lyonnaise.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, le Gouvernement, vous l'imaginez, est particulièrement vigilant à ce que tous les territoires disposent des outils nécessaires à leur développement économique. C'est un enjeu essentiel en termes d'aménagement du territoire, et M. Christian Estrosi aurait pu répondre à votre question.
Plusieurs dispositifs d'aide publique permettent d'encourager cette politique.
Pour ce qui concerne la prime à l'aménagement du territoire, la PAT, vous savez que son attribution n'est possible que dans un zonage validé par la Commission européenne ; le zonage actuel porte sur la période 2000-2006. Initialement, le projet de la Commission excluait totalement la France métropolitaine du bénéfice de ces aides, qui pourtant, de toute évidence, sont particulièrement utiles pour attirer de grands projets industriels sur nos territoires. Grâce à la volonté extrêmement forte du Gouvernement et au soutien des élus, nationaux et locaux, nous avons finalement pu obtenir leur maintien en ciblant les territoires en difficulté disposant des plus grands potentiels d'accueil. Un nouveau zonage entrera donc en vigueur au début de l'année 2007. Il a été élaboré au niveau local par les préfets, généralement au terme de larges consensus locaux, et notifié à Bruxelles le 1er juin dernier.
Comme d'autres, les communautés de communes des Hauts du Lyonnais et de Chamousset en Lyonnais n'avaient pas été retenues dans le zonage 2000-2006 et n'ont pu être ajoutées dans le nouveau zonage. Pour autant, ces territoires - et, honnêtement, j'en connais bien d'autres, notamment dans ma région - pourront continuer d'accorder aux entreprises d'autres types d'aides adaptées à la réalité des projets locaux. En particulier, la France a soutenu le doublement des aides de faible montant, dites aides « de minimis », qui devrait être décidé par Bruxelles d'ici à la fin de l'année. Ainsi, dès 2007, toute entreprise pourra bénéficier d'une aide publique de 200 000 euros sur trois ans, au lieu de 100 000 euros actuellement : c'est un doublement net de l'aide publique.
L'État soutient fortement les actions des territoires, et il a été décidé de passer d'une logique de guichet à une logique de projet. C'est dans cette logique de mise en valeur et de soutien aux projets des territoires que le Gouvernement a lancé des appels à projets pour la mise en place de 66 pôles de compétitivité et de plus de 300 pôles d'excellence rurale.
La communauté de communes de Chamousset en Lyonnais, notamment, s'est saisie de la possibilité ainsi ouverte en présentant un projet de pôle d'excellence rurale tout à fait remarquable, labellisé dès juin dernier, qui permettra la réalisation de plusieurs équipements essentiels pour l'accueil de nouvelles populations et pour la création d'emplois, tels la maison des services et l'espace d'exposition de la Halle aux veaux à Saint-Laurent-de-Chamousset, la résidence d'entreprises de Saint-Clément-les-Places, ou encore le pôle de biotechnologies de Saint-Genis-l'Argentière, pour ne citer que les principaux. Son objectif est de permettre la création de 18 entreprises et de 470 emplois directs, dont 100 dans la filière d'excellence que sont les biotechnologies dans le domaine de la santé et du médical ; doivent s'y ajouter 20 emplois de télétravailleurs, 80 emplois dans les services à la personne et 270 emplois dans d'autres activités industrielles. Les Alpes-Maritimes, monsieur Balarello, ont également été bien servies.
Ce projet montre tout le dynamisme et l'excellence dont ce territoire est capable de faire preuve. Il confirme que cela vaut la peine de faire confiance aux territoires pour créer de l'activité économique et des emplois.
M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet.
M. François-Noël Buffet. Monsieur le ministre, je suis particulièrement convaincu que le Gouvernement, soutenu bien sûr par les parlementaires, conduit une action forte et que son engagement est total dans le cadre des projets qu'il mène, en particulier ceux que vous venez d'évoquer.
Les territoires concernés ont effectivement été labellisés en pôle d'excellence rurale au mois de juin dernier ; nous y avions bien sûr travaillé. Quoi qu'il en soit, monsieur le ministre, vous me rassurez en annonçant le doublement des primes dont les entreprises pourront également bénéficier.
Je souhaite que nous poursuivions ce travail, qui va dans le bon sens et permettra à ce territoire assez exceptionnel de continuer d'offrir de l'emploi sur les lieux mêmes de résidence de ses habitants, de plus en plus nombreux.
conditions de remplacement des personnels tos partant à la retraite
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, auteur de la question n° 1088, transmise à M. le ministre délégué aux collectivités territoriales.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur les carences de remplacement des TOS, les personnels techniciens et ouvriers de service titulaires partant à la retraite dans les collèges, en particulier dans le département de la Dordogne.
En application de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, les conseils généraux assurent la gestion des remplacements des techniciens et ouvriers de service des collèges. Depuis le 1er janvier 2006, les agents non titulaires de l'État affectés depuis le mois de septembre 2005 sur des postes vacants sont, par substitution d'employeur, rémunérés et gérés par les départements. Les conseils généraux assument également le remplacement des personnels titulaires momentanément absents.
Un problème spécifique se pose toutefois dans le département de la Dordogne, où l'éducation nationale ne remplace pas les agents titulaires de l'État partant à la retraite et où les établissements demandent au conseil général de se substituer à l'État.
Cette pratique pose un problème. Elle équivaudrait en premier lieu à transférer une dépense salariale nette supplémentaire au conseil général ; elle revient en second lieu à réduire le périmètre de référence des transferts de personnels, qui seront comptabilisés sur la base des effectifs de l'État.
Cette difficulté, monsieur le ministre, va à l'encontre des déclarations du Gouvernement affirmant que le transfert de compétences aux collectivités doit être compensé à l'euro près. Je vous demande donc de bien vouloir nous indiquer comment les remplacements définitifs d'agents permanents partant à la retraite seront pris en charge par l'État.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, tout transfert de compétences prévu dans la loi et entraînant un transfert de charge doit faire l'objet d'une compensation intégrale, concomitante et contrôlée. C'est la règle, et le Gouvernement s'attache à ce qu'elle soit respectée ; vous comprendrez que je commence par la rappeler.
S'agissant des personnels techniciens, ouvriers et de service de l'éducation nationale - comme pour tous les personnels de l'État transférés aux collectivités locales -, en application de la loi de 2004, la référence qui détermine le nombre total d'emplois transférés est la « photographie » des emplois pourvus au 31 décembre de l'année précédant le transfert de compétence, sous réserve que leur nombre ne soit pas inférieur à celui qui a été constaté le 31 décembre 2002.
Le champ de cette compensation est donc clair : seront concernés, premièrement, les emplois effectivement pourvus ; deuxièmement, s'il y a lieu, les emplois disparus entre le 31 décembre 2002 et le 31 décembre 2004, ce qui signifie concrètement que l'État fait un geste important puisqu'il consent une compensation financière là même où il avait su réaliser des gains de productivité ; troisièmement, tous les emplois non pourvus, c'est-à-dire les emplois devenus vacants entre la mise à disposition des agents et leur transfert définitif, notamment, c'est le cas que vous évoquiez, monsieur le sénateur, à la suite de départs à la retraite. Les modalités de cette compensation ont été évoquées par l'instance la plus appropriée pour ce faire, la Commission consultative sur l'évaluation des charges, en particulier dans ses séances des 4 mai 2005, 6 avril et 18 mai 2006.
Pour ce qui est des postes devenus vacants - probablement au nombre d'un millier pour toute la France, peut-être un peu plus -, l'État les compensera sur la base du coût d'un « pied de corps », ce qui permettra à la collectivité, si elle le souhaite, de recruter un nouvel agent.
Quant à la date d'effet du droit à compensation de ces postes vacants, enfin, elle interviendra à mesure que ceux-ci seront constatés.
Pendant toute la durée du droit d'option, soit pendant deux ans, l'État compensera les postes devenus vacants constatés au 1er septembre dès la loi de finances rectificative de la même année : ce sera donc le cas, monsieur Cazeau, pour les postes vacants constatés en Dordogne. Le montant de cette compensation sera ensuite inscrit, en base, dans le droit à compensation des collectivités concernées, par la loi de finances de l'année suivante.
Je profiterai de l'occasion que vous m'offrez, monsieur le sénateur, pour attirer votre attention sur une question importante : celle des personnels en situation interruptive d'activité - congés de longue maladie (M. le ministre de l'agriculture et de la pêche approuve.), et je constate que M. Bussereau connaît cette situation, il doit la vivre dans son département ; ou, pour une grande partie, congés parentaux - qui n'étaient pas affectés, au moment de la photographie des services mis à disposition, alors même qu'ils ont naturellement vocation à exercer des compétences qui désormais ne relèvent plus de l'État.
Des discussions ont été engagées sur ces points précis avec l'Association des régions de France, l'ARF, et l'Assemblée des départements de France, l'ADF. Je souhaite en effet que les collectivités territoriales s'engagent à reprendre ces personnels sur des postes vacants. Elles se verraient alors évidemment compenser - j'imagine certaines de vos préoccupations ! - non plus un poste vacant, mais la rémunération exacte de l'agent transféré. Cela nécessitera cependant une disposition législative, à laquelle nous travaillons actuellement.
Comme vous pouvez le constater, monsieur le sénateur, il ne s'agit pas d'un « vice caché » de la décentralisation : ensemble, nous découvrons les unes après les autres des questions auxquelles le Gouvernement, j'espère que vous lui en donnerez acte, a, chaque fois, très méthodiquement, très scrupuleusement, apporté des réponses précises.
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le ministre, je suis en partie rassuré, mais en partie seulement, car deux problèmes n'ont pas été réglés.
D'abord, il y a le problème du niveau de rémunération pris en compte pour la compensation. Vous évoquez le « pied de corps » alors que, vous le savez, les élus locaux, en particulier l'ADF, réclame qu'elle intervienne au niveau du corps médian, c'est-à-dire entre le pied de corps et le haut de corps. Tout cela est certes très technique, mais vous connaissez la question.
Ensuite, vous n'avez pas indiqué la date exacte à laquelle aura lieu la compensation. Selon le recteur d'académie de mon secteur, ce serait en 2009 : les conseils généraux devront donc consentir au moins l'avance de trésorerie pour la période 2006-2008. Je souhaite que, dans la mesure du possible, les modalités de la prise en charge de ces personnels évoluent et que celle-ci soit effective dans une période plus rapide que ce qui est actuellement envisagé.
réforme de l'ocm vitivinicole
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, auteur de la question n° 1098, adressée à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.
M. Roland Courteau. Monsieur le ministre, j'ai eu ici même l'occasion d'attirer votre attention à plusieurs reprises sur l'extrême gravité de la crise qui frappe la viticulture en Languedoc-Roussillon.
En liaison avec mes collègues MM. Marcel Rainaud, Robert Tropeano et les autres sénateurs du Languedoc-Roussillon, en particulier MM. Gérard Delfau, André Vézinhet et Simon Sutour, je souhaite une fois encore vous faire observer combien le constat est accablant et l'ampleur des dégâts sans précédent. La saignée économique est si énorme que l'on s'interroge très gravement sur l'avenir de cette région. Au train où vont les choses, a-t-elle seulement un avenir ?
Vous comprendrez que, dans un tel contexte, le projet de réforme de l'OCM vitivinicole ait pu accabler encore davantage le monde viticole. Je ne reviens pas sur le détail des points les plus négatifs, que j'ai largement développés dans le texte de la question que je vous ai fait parvenir.
Nous demandons donc au Gouvernement, monsieur le ministre, de se battre contre les propositions de réforme. Nous réaffirmons par ailleurs que le secteur des vins doit impérativement bénéficier d'une politique vitivinicole européenne et française autrement plus positive et autrement plus ambitieuse qu'elle ne l'est actuellement.
Il est tout aussi impératif que soit renforcée la compétitivité, mais aussi réaffirmée l'authenticité de nos vins, comparés à certains vins à caractère industriel à l'origine incertaine, et que soient donnés à la viticulture des moyens à l'exportation plus importants.
Mais permettez-nous également de revenir au préoccupant problème franco-français, donc à la crise viticole.
Devons-nous vous dire, une fois encore, que la situation est explosive et qu'il est de la plus extrême des urgences que le Gouvernement en prenne conscience, d'abord, et réagisse en conséquence, ensuite.
Je le répète, les précédentes mesures que vous avez annoncées ne sont pas à la mesure de la crise. Depuis septembre, par exemple, la fédération départementale des caves coopératives de l'Aude a réuni un conseil d'administration exceptionnel compte tenu de la gravité de la situation et des difficultés « à se faire entendre et accompagner par les pouvoirs publics ».
Nous allons vous transmettre les propositions formulées, mais nous souhaitons d'ores et déjà vous faire part des points principaux des trois volets de revendications que nous soutenons avec nos collègues.
Tout d'abord, un plan social immédiat doit être établi, avec notamment l'exonération de l'impôt foncier sur le non bâti, la réduction des cotisations sociales des exploitations et des exploitants, la mise en place d'un nombre suffisant de préretraites viticoles à 15 000 euros par an, sans oublier l'augmentation de la prime d'abandon définitif.
Ensuite, des mesures structurelles sont nécessaires, qu'il s'agisse du maintien des aides à la reconversion du vignoble au niveau établi en 2005 ou d'un plan de développement de la viticulture languedocienne autour des organisations de producteurs, ou encore des adaptations réglementaires immédiates pour gagner en compétitivité et s'adapter à la segmentation des marchés.
Enfin, des mesures de gestion de la récolte 2006 sont réclamées, notamment avec le versement intégral et sans condition du complément français de la distillation - article 30 de juillet 2006 - ou le basculement des volumes retenus de l'article 30 vers l'article 29 ouvert au 1er octobre, avec le même niveau d'accompagnement.
Voilà, monsieur le ministre, quelques-unes des propositions concrètes et précises qui vous sont adressées. Saurez-vous, cette fois-ci, compte tenu de la gravité de la situation, en tenir le plus grand compte ? Là est toute la question !
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le sénateur, cette question aurait pu être posée par M. Delfau et un certain nombre de vos collègues. Nous avons d'ailleurs travaillé longuement, hier matin, avec un grand nombre de dirigeants agricoles de votre région. Leur diagnostic est moins pessimiste que le vôtre et, pourtant, il s'agit de grands professionnels, notamment MM. Despey, Bourdon, de Volontat et Paly. Mais peut-être est-ce l'atmosphère du Sénat qui vous conduit à noircir la réalité.
M. Roland Courteau. C'est l'atmosphère du terrain, monsieur le ministre !
M. Roland Courteau. Peut-être pas autant que nous !
M. Dominique Bussereau, ministre. Vous en parlerez avec eux !
S'agissant de la réforme de l'OCM vitivinicole, pour l'instant, il s'agit non pas de projet de règlement, mais de proposition de la Commission. Des discussions ont déjà eu lieu en septembre dernier, lors des conseils des ministres européens, et un débat est prévu en octobre.
D'après la présidence finlandaise, la proposition législative, donc le projet de règlement, n'est attendue qu'au cours du premier semestre de l'an prochain - vraisemblablement au mois d'avril, selon la Commission -, c'est-à-dire sous la présidence allemande.
J'ai rencontré la rapporteure, qui est une élue grecque et qui siège au sein du groupe socialiste européen. Elle est dans le même état d'esprit et elle a établi un rapport qui reprend nombre des thèses que vous avez défendues ou que défend le gouvernement français.
La Commission a fait preuve de beaucoup de maladresse dans la présentation de cette affaire, en particulier en commençant par mettre en avant l'arrachage massif de 400 000 hectares. Comme de nombreux autres collègues européens, notamment allemands, espagnols, portugais et italiens, nous avons réagi fermement à cette proposition.
La réforme de fond dont la viticulture européenne a besoin ne saurait s'inscrire dans une logique de déclin. Nous ne sommes pas en train de gérer la fin de la sidérurgie dans les années soixante-dix : nous essayons de voir comment ce secteur peut exporter plus, se développer, conquérir de nouveaux marchés et donner du travail aux viticulteurs.
Je crois que la commissaire européenne Mme Fischer-Boel a compris le message - en tout cas, je l'espère - qu'avec vos collègues parlementaires alsaciens nous lui avons rappelé récemment, lorsqu'elle est venue rencontrer les viticulteurs de cette région : nous sommes prêts à travailler avec elle de manière constructive, mais à condition que nos demandes soient prises en compte.
L'arrachage ne saurait être la mesure centrale de la réforme. Cependant, il peut répondre à un certain nombre de situations individuelles. Vous avez raison, monsieur Courteau, il faut le compléter par un dispositif communautaire de préretraites adaptées : celles-ci doivent être d'un niveau suffisant pour être attractives.
Par conséquent, je souhaite que ce dispositif de préretraite figure dans le projet de règlement européen. Il est d'ailleurs mentionné dans les propositions de la Commission.
Il est également nécessaire de conserver des droits de plantation. Nous sommes tout à fait hostiles à la libéralisation complète des droits de plantation. On ne peut pas vouloir limiter la production pour l'adapter au marché et, dans le même temps, libéraliser complètement les droits de plantation. C'est absurde ! Nous voulons conserver cet outil pour pouvoir gérer les zones de production.
De plus, l'arrachage, s'il doit avoir lieu, ne doit pas concerner que la France. Le vignoble français, en particulier le vignoble languedocien, ne doit pas être la variable d'ajustement du vignoble communautaire et mondial.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Dominique Bussereau, ministre. D'autres pays doivent participer à cet effort. Il faut donc que le niveau des primes d'arrachage soit incitatif.
Il n'est sans doute pas nécessaire de faire un choix aussi définitif : l'arrachage peut être temporaire et volontaire ; en tout cas, c'est ce que nous demandons. Dans ma région, en Charente-Maritime, des arrachages volontaires ont eu lieu au moment où les choses allaient mal. L'arrachage temporaire et volontaire peut, dans certains cas, être un instrument de gestion.
La restructuration du vignoble doit effectivement être accompagnée de préretraites. C'est tout à fait utile compte tenu de la pyramide des âges, en particulier dans votre région, monsieur le sénateur.
Quelle que soit la décision européenne, j'ai d'ores et déjà demandé à mes services d'étudier avec les professionnels la façon de réévaluer le montant de la préretraite et de bâtir un partenariat avec les collectivités dans ce domaine.
Pour les viticulteurs qui demeurent en activité, j'ai bien noté votre demande de mesures d'exonération de la taxe sur le foncier non bâti. De telles mesures ont déjà été mises en oeuvre en 2006 et elles ont été appréciées ; nous en avons parlé à Nîmes.
Conformément à l'engagement du Président de la République, un abattement de 20 % de cette taxe est déjà effectif. Vous retrouverez ce même abattement dans le projet de loi de finances qui sera soumis à votre Haute Assemblée prochainement. D'ores et déjà, dans le Languedoc-Roussillon, un moratoire prévoit des reports de délais de paiement après le 1er janvier 2007.
Nous avons déjà accompli beaucoup d'efforts en 2006 : préretraites, aides en trésorerie, utilisation du fonds d'allègement des charges. Nous les poursuivrons chaque fois que ce sera utile.
Je terminerai par les outils de gestion du marché.
L'Organisation commune de marché devra offrir des moyens d'intervention ouverts et diversifiés au sein des enveloppes nationales. Il s'agit de faire jouer la subsidiarité.
La distillation de crise permet d'apporter une réponse à des situations d'urgence. Mais il faut la réformer, car certains pays européens l'utilisent de manière systématique comme un outil économique. Pour notre part, lorsque nous l'employons, c'est vraiment parce que nous sommes en difficulté : cette année où tout le monde a joué le jeu, y compris pour la première fois le vignoble bordelais. Il faut cependant engager une réforme au niveau européen afin que la distillation de crise puisse être rendue obligatoire par un État membre.
De même, l'obligation communautaire de distillation des sous-produits de vinification, qui est indispensable pour préserver la qualité des produits communautaires et l'environnement, doit être maintenue et adaptée afin d'être moins coûteuse.
Sur le plan des pratiques oenologiques et de l'étiquetage, il faut donner de la souplesse pour permettre à la filière de regagner toute sa compétitivité ; l'Europe l'a fait et nous allons également nous y employer.
Enfin, nous devons avoir des instruments offensifs pour exporter vers les pays tiers. Cette année, un soutien exceptionnel est accordé à la promotion de l'offre française dans le budget de mon ministère. Ce qui me fait plaisir, c'est qu'au cours du premier semestre nos exportations de vin ont repris en volume et en valeur, et ce pour la première fois depuis cinq ans.
Lors de mes vacances au Québec, je suis allé dans les vineries, qui font l'objet d'un monopole de vente de l'État, et j'ai vu en particulier que les vins du Languedoc-Roussillon étaient présentés en bonne place dans les rayonnages, à des prix très intéressants pour les consommateurs de ce pays. Par conséquent, il faut accentuer notre effort dans ce domaine.
Monsieur le sénateur, je suis favorable à une réforme de l'Organisation commune de marché vitivinicole, mais pas à celle que l'on nous a présentée ex abrupto.
Je suis également favorable à la poursuite des mesures de solidarité pour aider le vignoble du Languedoc-Roussillon. Peut-être faut-il arrêter de parler en permanence de crise et tenir un discours positif pour essayer de montrer à l'opinion publique et à l'ensemble des Français que le vignoble du Languedoc-Roussillon, qui a des problèmes, est capable de regagner ses parts de marché. Les vins produits sont des vins de grande qualité, qui sont bien meilleurs que certains vins chiliens, australiens ou du nouveau monde.
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le ministre, vous avez apporté quelques réponses à nos interrogations concernant la réforme de l'OCM vitivinicole et nous en avons pris bonne note. Toutefois, en ce qui concerne la situation actuelle de la viticulture, il n'est nul besoin de la dramatiser dans cet hémicycle, car elle est particulièrement grave.
Nous restons donc sur notre faim s'agissant des mesures prévues pour faire face à cette crise qui frappe de plus en plus de viticulteurs. J'y insiste, le péril est réel et, si je puis dire, « le feu est dans la maison ».
Beaucoup trop de viticulteurs en difficulté ne s'en sortiront pas, monsieur le ministre. Si vous ne réagissez pas, de très nombreuses exploitations vont disparaître, laissant la place à des chômeurs ou à des RMIstes. Des zones viticoles entières vont être rayées de la carte, entraînant la détresse de nos populations.
Monsieur le ministre, il faut aider ces viticulteurs en difficulté à passer le cap et, pour ce faire, il importe de répondre favorablement aux demandes qui ont été exprimées. Permettez-moi de vous remettre ces demandes afin que vous puissiez y réfléchir. (M. Roland Courteau remet le document à M. le ministre.) Faites en sorte qu'elles soient traitées le plus rapidement possible.
Enfin, je vous proposerai de recevoir une délégation de parlementaires du Languedoc-Roussillon, accompagnée de responsables de la viticulture. (M. le ministre fait un signe d'assentiment.) Nous verrons ainsi quelle est l'ampleur de la crise qui frappe notre région ! Je vous remercie de nous proposer une date pour ce rendez-vous.
utilisation des crédits par rff et la sncf
M. le président. La parole est à M. José Balarello, auteur de la question n° 1091, adressée à M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.
M. José Balarello. Monsieur le ministre, en septembre 1995, un audit très sévère concernant l'état des voies ferrées en France prônait une importante remise à neuf du réseau en raison du manque d'entretien d'un certain nombre de voies du fait de la SNCF. Il ne s'agit pas, bien sûr, des TGV.
À la suite de ce rapport, un important effort financier a été réalisé en dotant le budget de Réseau ferré de France pour 2006 d'une rallonge de 110 millions d'euros, portant ainsi le budget global à plus de 1 milliard d'euros pour l'année.
L'objet du plan présenté par le ministère des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer était d'assurer la pérennité du réseau et de supprimer les ralentissements pénalisants.
En annonçant clairement les sommes qui seront engagées sur la période 2007-2010 et le renouvellement de 2 840 kilomètres de voies ferrées, sur 29 500 kilomètres, ainsi que celui des ouvrages d'art, le ministère précise que le programme concerne aussi bien les lignes à grande vitesse et les lignes principales que celles dont le trafic est moyen ou faible.
Monsieur le ministre, pouvez-vous me faire savoir si Réseau ferré de France et la SNCF seront à même de consommer rapidement ces crédits et, si tel n'est pas le cas, quelles en sont les raisons ?
Par ailleurs, je souhaite connaître les sommes qui, en 2006 et 2007, seront consacrées à la rénovation de la signalisation et à la remise en état de la voie ferrée Nice - Escarène - Sospel - Breil - Tende.
En outre, pouvez-vous me faire savoir si un calendrier des travaux permettant aux trains de circuler à une allure normale a été défini ? En effet, le manque d'information et l'absence de travaux sur les voies ferrées des Alpes-Maritimes suscitent de nombreuses critiques de la part d'associations y voyant « un manque de volonté des élus pour faire aboutir les projets autour du rail » ; c'est notamment le cas des Amis du rail, association de mon département.
Monsieur le ministre, je vous remercie par avance des réponses que vous voudrez bien m'apporter sur ces différents points.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Léon Bertrand, ministre délégué au tourisme. Monsieur le sénateur, comme vous le soulignez, l'audit réalisé par l'École polytechnique fédérale de Lausanne a révélé le caractère fortement dégradé du réseau ferré national dû à un sous-investissement en matière de renouvellement durant les vingt dernières années.
En mai dernier, Dominique Perben a lancé un plan d'action pluriannuel qui vise, notamment, à moderniser le réseau ferroviaire et à assurer sa pérennité. Ce plan d'action, dont les moyens supplémentaires sont de 1,8 milliard d'euros sur la période de 2006 à 2010, a été élaboré en concertation avec Réseau ferré de France et la SNCF. Tout sera mis en oeuvre pour que les travaux de renouvellement débutent au plus tôt de manière à lever dès que possible les ralentissements les plus pénalisants.
En ce qui concerne plus précisément la ligne Nice - Escarène - Sospel - Breil - Tende, les ralentissements actuels sont dus non seulement à des défauts d'entretien de la voie, mais également à des problèmes géologiques complexes. Des études sont en cours pour effectuer un diagnostic précis en vue d'établir un programme de travaux qui devrait permettre aux trains de circuler à une allure normale.
Afin d'assurer la pérennité de la ligne Nice - Breil et de permettre une augmentation de sa capacité, des travaux sont prévus dès 2006, dans le cadre du contrat de plan qui a été signé pour la période 2000-2006 entre l'État et la région PACA. Ces travaux, d'un montant total d'environ 6 millions d'euros, concerneront principalement le rehaussement de quais, la pose de voies d'évitement, des travaux de voies ainsi que des études géotechniques. Je vous confirme que la participation de l'État à cette opération est prévue à hauteur de 1,33 million d'euros pour 2006.
Enfin, le préfet de la région PACA prépare le futur contrat de projets 2007-2013, dans le cadre d'un mandat de négociation qui lui a été adressé en juillet 2006. Je peux d'ores et déjà vous indiquer que la réhabilitation et l'augmentation de capacité de la ligne Nice - Breil est l'une des priorités de l'État.
M. le président. La parole est à M. José Balarello.
M. José Balarello. Monsieur le ministre, je vous remercie des précisions que vous m'avez apportées, mais les populations qui sont desservies souhaitent obtenir un planning d'exécution des travaux, d'autant que cette voie va jusqu'à Turin ; il ne s'agit donc pas d'un axe secondaire.
Le ralentissement des trains aux abords de la gare de L'Escarène, qui est dû à des risques de chutes de pierres, dure depuis plusieurs années. Or les services de Réseau ferré de France ne se montrent pas très performants pour remédier à cette situation.
immatriculation et réglementation applicable aux quads
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, auteur de la question n° 1099, adressée à M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le ministre, l'utilisation des petits engins motorisés - minimotos, quads - sur la voie publique et dans les espaces naturels tend à devenir une plaie, en ville comme à la campagne. Je souhaite donc interroger le Gouvernement sur les conséquences du défaut de réglementation à ce sujet.
En effet, ces engins dits « légers » à moteur ne sont pas tous soumis à une obligation d'immatriculation : seuls les véhicules neufs acquis après le 1er juillet 2004 sont soumis à cette obligation et le parc restant ne sera pas concerné avant le 30 juin 2009, conformément au décret du 11 décembre 2003.
Aussi, lorsque les conducteurs de ces engins contreviennent au code de la route en roulant sur la chaussée à contresens ou sur les trottoirs, les agents habilités à constater ce type d'infractions connaissent, en raison de l'absence de plaque d'immatriculation, des difficultés à les verbaliser. Et le mot « difficultés » est un euphémisme : il s'agit plutôt d'une réelle impossibilité.
Ces difficultés se révèlent d'autant plus importantes lorsque la circulation de ces véhicules a lieu en espaces naturels. Certes, la circulaire du 6 septembre 2005 de Mme la ministre de l'environnement et du développement durable encadre juridiquement ces pratiques, mais, dans les faits, en raison du lieu - forêts ou champs - et du jour - dimanche et jour fériés - pendant lesquels cette activité est pratiquée, aucun contrôle ne peut être réellement exercé par les agents habilités.
Dès lors, se développe parfois, voire souvent, une utilisation abusive des quads et minimotos qui nuit à l'environnement et à la tranquillité des promeneurs.
C'est pourquoi je vous demande, monsieur le ministre, de bien vouloir m'indiquer comment empêcher, dans les faits, les pratiques abusives de ces véhicules sur les voies publiques ou dans les espaces naturels.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Léon Bertrand, ministre délégué au tourisme. Madame le sénateur, comme vous l'avez rappelé, les quadricycles à moteur dénommés « quads » circulant sur une voie ouverte à la circulation publique, qu'elle soit carrossée ou non, doivent être réceptionnés et immatriculés.
En application de l'article R. 317-8 du code de la route, ils doivent être équipés d'au moins une plaque d'immatriculation, fixée à l'arrière.
Tout conducteur d'un quadricycle à moteur doit être titulaire, pour les quadricycles légers, d'un permis de conduire ou du brevet de sécurité routière pour les personnes nées postérieurement au 1er janvier 1988 et, pour les quadricycles lourds, au moins de la sous-catégorie A 1 du permis de conduire. Dans les deux cas, l'âge minimal du conducteur est de seize ans.
Les quadricycles à moteur non réceptionnés sont des engins de loisirs dont l'usage est interdit sur les voies ouvertes à la circulation publique. Ils ne sont donc pas soumis à immatriculation.
La mise en circulation ou le maintien en circulation sur une voie publique d'un véhicule non réceptionné est sanctionné par une contravention de la quatrième classe, aux termes de l'article R. 321-4 du code de la route. Cette infraction peut être constatée par un policier municipal.
Conformément aux décisions du comité interministériel de la sécurité routière du 1er juillet 2005, un projet de décret vise à renforcer, sur une voie ouverte à la circulation publique, la répression de l'usage d'un engin débridé ou d'un engin non réceptionné.
Une circulaire du 6 septembre 2005 du ministère de l'écologie et du développement durable relative à la circulation des quads et autres véhicules à moteur dans les espaces naturels, publiée au bulletin officiel du 30 octobre 2005, rappelle toute la réglementation applicable, les sanctions encourues et les agents habilités à constater les infractions selon chaque catégorie d'espace naturel.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le ministre, lorsqu'on utilise le terme « réceptionner », cela signifie que ces engins doivent être conformes aux homologations en vigueur.
La difficulté tient au fait que, lorsqu'ils circulent sur la voie publique, même s'ils respectent le sens de circulation, l'agent compétent ne peut pas sanctionner un défaut de rétroviseur, par exemple, puisque ces engins ne portent pas de plaque d'immatriculation.
Je comprends fort bien que nous nous trouvions face à des intérêts contradictoires : l'intérêt économique, pour les fabricants, et l'intérêt des promeneurs, qui doivent pouvoir circuler en toute sécurité sur les trottoirs et dans les espaces naturels. Il s'agit là d'un conflit d'usage assez classique. Mais c'est précisément lorsqu'il y a des intérêts contradictoires que l'État doit trancher.
Monsieur le ministre, je souhaite que le projet de décret, qui doit être difficile à rédiger puisque le Gouvernement y travaille depuis le 1er juillet 2005, remédie à cette situation avant 2009, car la multiplication de ces engins constitue, je le répète, une véritable plaie pour les municipalités.
régime juridique applicable aux enfants nés sans vie
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, auteur de la question n° 1093, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Jean-Pierre Godefroy. Au mois de juin dernier, à l'occasion de l'examen de deux propositions de loi relatives à la législation funéraire et aux congés pour évènements familiaux, j'avais attiré l'attention du Sénat et du Gouvernement sur le statut juridique des enfants nés sans vie.
Aujourd'hui, je souhaite précisément attirer l'attention de M. le garde des sceaux sur ce sujet.
En effet, conformément à l'article 79-1 du code civil, l'enfant né sans vie est celui qui est mort-né après quatre mois et demi de grossesse ou l'enfant qui est né vivant mais non viable - il doit avoir respiré au moins une fois - et décédé avant la déclaration de naissance. Ces enfants sont entre 5 000 et 6 000 chaque année, c'est-à-dire un chiffre comparable au nombre des victimes d'accidents de la route ou de l'amiante. Cette comparaison a pour objet de vous montrer qu'il ne s'agit pas d'une question marginale.
Comme le souligne le Médiateur de la République dans son rapport annuel, le régime juridique applicable à ces enfants en matière de droits sociaux et d'état civil ne permet pas d'accompagner au mieux les familles concernées dans leur processus de deuil.
En matière d'état civil, le problème tient au fait que l'acte attestant que l'enfant est né sans vie n'est pas un acte de naissance ; il ne détermine donc aucune filiation et ne valide aucune reconnaissance prénatale. Ainsi, les parents d'un enfant né sans vie peuvent prénommer leur enfant, mais ils ne peuvent pas lui donner leur nom de famille. De même, l'inscription de cet enfant dans le livret de famille pose de véritables problèmes dans le cas des couples non mariés dont c'est le premier enfant, et est extrêmement complexe pour les parents d'enfants naturels.
Cela a des conséquences sur les droits sociaux. Ainsi les pères d'enfants nés sans vie ne peuvent bénéficier du congé de paternité puisque l'acte d'enfant sans vie n'est pas un acte de naissance.
Plusieurs législations européennes prouvent qu'une réforme autorisant la reconnaissance légale d'un enfant né sans vie est envisageable. Ainsi, de nombreux États européens accordent une personnalité juridique à l'enfant né sans vie, avec les conséquences qu'une telle reconnaissance entraîne : possibilité de déterminer une filiation et d'attribuer un nom, inscription sans restrictions sur le livret de famille.
Le droit français se caractérise en fait par la faible portée qu'il attribue à l'acte d'enfant sans vie. Jusqu'à présent, le ministère de la justice n'a donné aucune suite à la proposition du Médiateur de la République de créer un groupe de travail chargé d'étudier ces questions. Une réforme du statut juridique des enfants nés sans vie soulagerait ces quelques milliers de familles qui, chaque année, vivent ce douloureux événement.
Monsieur le ministre, pourriez-vous m'indiquer où en est la réflexion du ministère de la justice sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué, qui va pour l'occasion remplir les fonctions de garde des sceaux.
M. Léon Bertrand, ministre délégué au tourisme. En qualité de maire, je suis aussi officier de l'état civil, monsieur le président. Je suis donc, d'une certaine façon, fondé à répondre à la question de M. Jean-Pierre Godefroy.
Monsieur le sénateur, la question du statut juridique des enfants nés sans vie est particulièrement délicate et sensible.
Je comprends le souhait exprimé par M. le Médiateur de la République de mieux répondre à la douleur des parents. Il convient cependant de prendre garde aux effets que pourrait entraîner une modification des équilibres actuels.
En effet, la personnalité juridique est conditionnée à la naissance d'un enfant vivant et viable. Il s'agit là de l'un des fondements du droit français. Ce double critère détermine le droit applicable, qu'il s'agisse du droit civil, des droits sociaux ou du régime de responsabilité médicale et pénale.
Pour tout enfant qui n'est pas né vivant et viable, un acte d'enfant sans vie peut être dressé par l'officier de l'état civil si la grossesse a atteint un seuil de développement suffisant. Ce seuil résulte de critères médicaux définis par l'Organisation mondiale de la santé.
Dans la mesure où la filiation et le nom constituent des attributs de la personnalité, l'acte d'enfant sans vie n'emporte aucune conséquence en matière de filiation et de nom, et il ne peut en être autrement.
On ne peut davantage reconnaître l'existence d'une famille du fait de l'enfant sans vie. En effet, lorsque les parents ne sont pas mariés, c'est la naissance d'un enfant qui fonde une famille. Les conditions de délivrance du livret de famille n'en sont que la conséquence.
Toutefois, monsieur le sénateur, je puis vous assurer que le Gouvernement a récemment apporté des améliorations sensibles à ces situations douloureuses.
D'une part, un décret du 1er août 2006 améliore la prise en charge, dans les établissements publics de santé, du corps des enfants pouvant être déclarés sans vie à l'état civil. D'autre part, à l'occasion de la réforme de la filiation, la circulaire du 30 juin 2006 a modifié le modèle de l'acte d'enfant sans vie. Ce nouveau modèle, qui permet d'indiquer le nom des deux parents, remédie ainsi à l'une des difficultés soulignées par le Médiateur de la République.
Ces éléments ont été portés à la connaissance du Médiateur de la République, dans le cadre du groupe de travail qu'il a mis en place et auquel le Gouvernement participe, bien évidemment.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.
Je rappelle tout de même que, pour ce qui concerne les enfants nés hors mariage - actuellement, c'est le cas d'un enfant sur deux -, l'inscription d'un enfant sans vie sur le livret de famille n'est possible que si un deuxième enfant vient à naître, ce qui pose un vrai problème. En effet, ce deuxième enfant peut être considéré par les parents - et c'est psychologiquement très douloureux - comme un enfant de substitution.
Il serait donc souhaitable que, par une procédure très encadrée, puisse être délivré un livret de famille portant la mention « enfant né sans vie ». Car, bien souvent, le père a fait une reconnaissance anticipée de paternité et cette déclaration devant un officier de l'état civil se trouve annulée puisqu'elle ne peut être transférée sur le livret de famille.
Pour ces parents, il s'agit d'un moment très douloureux. En effet, cet enfant, bien qu'il ne possède pas de réalité juridique, a existé dans le ventre de sa mère. Il a bien souvent reçu un prénom et son arrivée a été préparée.
La situation des couples non mariés, qui doivent attendre qu'un deuxième enfant naisse pour pouvoir faire figurer leur enfant né sans vie sur le livret de famille, devrait être prise en compte.
diplôme national d'oenologie
M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau, auteur de la question n° 1111, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
M. Gérard Delfau. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur l'inquiétude des oenologues quant à la pérennité internationale de leur diplôme. En effet, ces professionnels sont titulaires du diplôme national d'oenologue, le DNO, obtenu à l'issue d'un cursus de deux ans entièrement consacré à l'oenologie et à la viticulture et consécutif à une formation bac + 2, représentant 150 heures d'enseignement spécialisé par an, dispensées, qui plus est, par des enseignants chercheurs.
De telles spécificités en font une formation de pointe, reconnue comme une référence au niveau mondial. À l'issue de ce cursus, 99 % des 250 diplômés trouvent un emploi dans un délai de six mois. Cette formation peut être suivie en France dans six établissements universitaires - l'un d'entre eux se situe dans le département de l'Hérault -, ainsi que dans un centre d'enseignement agronomique, lequel se trouve également dans l'Hérault.
Aujourd'hui, la multiplication de formations complémentaires de type mastère, qui consacrent seulement 30 heures par an, hors option, à cette spécialité, apporte, au niveau international, une équivalence et une visibilité auxquelles le diplôme national d'oenologue ne peut prétendre sur le papier pour de simples questions de terminologie, ce qui est un comble !
Non seulement le DNO est le seul diplôme reconnu par l'État, mais il reste aussi sans équivalent à l'échelon européen. Il est également le seul diplôme reconnu par l'Union internationale des oenologues, ainsi que par l'Organisation internationale de la vigne et du vin. Il est donc temps, monsieur le ministre, que vos services lui donnent les moyens de son excellence et acceptent de requalifier ce cursus en formation de niveau bac + 5, lui conférant ainsi le grade de mastère, seule terminologie reconnue de fait au niveau mondial.
Il est urgent que ce dossier aboutisse après cinq ans de négociations et avant que la profession d'oenologue soit confrontée à une crise de confiance d'origine purement administrative.
Face à une concurrence viticole mondiale exacerbée et dans un contexte de crise pour le vignoble français, quelles mesures comptez-vous prendre, monsieur le ministre, pour promouvoir cette formation et lui reconnaître enfin complètement son caractère d'excellence ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche. Monsieur Delfau, votre question est parfaitement fondée, mais permettez-moi de vous dire que l'administration de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche s'est d'ores et déjà préoccupée de ce sujet.
Le titre d'oenologue est aujourd'hui réservé, notamment par un décret du 19 mars 1955, aux titulaires du diplôme national d'oenologue : les recrutements s'effectuent au niveau bac + 2 et la formation dure deux ans.
Effectivement, la situation a évolué, notamment avec l'instauration du système dit LMD, licence-mastère-doctorat, qui s'est désormais imposé à l'échelle européenne et bénéficie d'une reconnaissance internationale. Il faut donc adapter cette formation très spécifique et de très grande qualité, qui constitue une originalité au sein des formations françaises.
Après de nombreuses conversations avec les enseignants concernés et les milieux professionnels, cette décision peut être considérée comme acquise. Désormais, le diplôme national d'oenologue sera un diplôme de niveau mastère, c'est-à-dire bac + 5. Les recrutements s'effectueront au niveau de la licence. Une formation spécifique se déroulera sur deux ans, comme pour les autres mastères.
Le niveau de formation des oenologues sera donc adéquat et leur diplôme bénéficiera d'une reconnaissance européenne et d'une visibilité internationale, ce qui est hautement souhaitable dans ce domaine, où, nous le savons, la concurrence s'est développée. Nous avons en effet besoin d'affirmer la qualité exceptionnelle de la production française et la formation supérieure en oenologie peut naturellement y concourir.
Cette réforme, dont le principe, je le répète, est désormais acquis, sera mise en oeuvre au début de l'année prochaine.
M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau.
M. Gérard Delfau. Je vous remercie, monsieur le ministre, de cette très bonne nouvelle : après cinq ans de négociations, les oenologues voient enfin aboutir leurs légitimes revendications. Avec eux, c'est toute la viticulture et tous ceux qui s'intéressent au vin qui se réjouissent. Au début de l'année prochaine, un bon verre de vin à la main, nous fêterons ensemble cette décision et la mise en place de la formation. (Sourires.)
M. François Goulard, ministre délégué. À la vôtre !
contenu informatif d'un panneau figurant sur le panthéon à paris
M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard, auteur de la question n° 1085, adressée à M. le ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche.
M. Yann Gaillard. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur le panneau informatif JCDecaux qui se trouve à l'extérieur du Panthéon. En effet, celui-ci ne mentionne que le nom d'une des deux femmes reposant dans ce haut lieu de mémoire nationale, celui de Sophie Berthelot, épouse du célèbre chimiste Marcelin Berthelot. Elle n'y repose d'ailleurs pas à titre personnel, mais seulement au motif qu'on n'avait pas voulu la séparer de son époux.
Marie Curie, prix Nobel de physique, qu'elle partagea avec son mari pour leurs travaux sur la radioactivité, et de chimie, qu'elle obtint seule, ne figure pas sur ce panneau, alors que les Curie ont été « panthéonisés », si je puis dire, le 21 avril 1995.
Ainsi, des légions de touristes se trouvent confrontées à une information fausse et quelque peu désolante.
Je suis déjà intervenu auprès de la mairie de Paris et du ministère de la culture et de la communication, ainsi qu'auprès du Centre des monuments nationaux et du ministère de la recherche pour dénoncer cette situation. La réponse a toujours été la même : cette question ne relève pas du domaine de compétence de ces instances, puisque la société JCDecaux est une société privée, laquelle se propose de revoir son système de panneaux informatifs dans un an ou deux.
En tant que président du groupe d'amitié France-Pologne, je peux vous dire, monsieur le ministre, que, comme Frédéric Chopin, Marie Curie est l'un des symboles de l'amitié entre la France et la Pologne. J'estime, par conséquent, que cette situation est tout à fait regrettable et je ne comprends pas que les pouvoirs publics ne réagissent pas. Sans doute le contenu des accords passés avec la société JCDecaux est-il en cause. Au demeurant, il faut faire quelque chose !
M. le président. À Marseille, c'est l'Académie marseillaise qui a rédigé les panneaux JCDecaux, ce qui a permis d'éviter les erreurs historiques ! (Sourires.)
La parole est à M. le ministre délégué.
M. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche. Monsieur le sénateur, je partage totalement votre sentiment. À l'instar de M. le président, nous avons tous, dans nos villes, le souci de l'exactitude historique et souhaitons légitimement rendre hommage à telle ou telle personnalité, dans tel ou tel lieu.
Le panneau auquel vous faites référence comporte, c'est exact, une omission concernant les femmes inhumées au Panthéon : Sophie Berthelot, la femme de Marcelin Berthelot, est mentionnée, tandis que Marie Curie ne l'est pas.
Vous êtes intervenu, mes prédécesseurs l'avaient fait, à votre instigation. J'ai moi-même contacté la société privée que vous avez citée, ainsi que la Ville de Paris. La réponse qui m'a été apportée est la suivante : le contrat qui lie cette société et la ville pour la mise en place de ces panneaux informatifs prend fin l'année prochaine. Nous pourrons donc espérer, à ce moment-là, une modification des libellés figurant sur ledit panneau.
Il n'en reste pas moins que cette situation est anormale. J'espère que les clameurs des uns et des autres seront entendues par les responsables. Il s'agit du domaine public de la Ville de Paris et d'un contrat avec une société privée. Pour ce qui me concerne, je n'ai pas de pouvoir particulier dans ce domaine, si ce n'est celui d'alerter les responsables. Espérons que nous serons enfin entendus !
Je m'associe par ailleurs à l'hommage que vous rendez à Marie Curie, qui a en effet reçu deux prix Nobel D'une certaine manière, elle incarne la coopération entre la Pologne et la France.
Je me permets de mentionner le prix Irène Joliot-Curie, qui sera prochainement remis à des femmes de science. Je me permets, monsieur le sénateur, de vous inviter à cette cérémonie, en votre qualité de président du groupe d'amitié France-Pologne. Ce sera peut-être l'occasion de rappeler tout ce que la science française doit à Marie Curie.
M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard.
M. Yann Gaillard. Je suis heureux de constater que M. le ministre partage mes regrets. J'accepte par ailleurs volontiers son invitation.
Au demeurant, je félicite le Sénat de ne pas s'être reposé sur la société JCDecaux pour mettre en place ses panneaux informatifs et de les avoir réalisés lui-même, aussi bien pour le Palais du Luxembourg que pour le Petit Luxembourg.
conditions d'octroi et de maintien des bourses de l'enseignement supérieur
M. le président. La parole est à M. Louis Souvet, auteur de la question n° 1082, adressée à M. le ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche.
M. Louis Souvet. Monsieur ministre, j'aborde pour la sixième fois un sujet bien connu, celui des étudiants « touristes », rémunérés par la collectivité nationale.
Je me félicite que le débat national « université-emploi » qui vient de se dérouler ait permis de mettre en lumière un problème que je n'ai eu de cesse de soulever dans de nombreuses questions écrites, notamment les 26 août 2004, 31 mars 2005, 30 juin 2005, 21 juillet 2005 et 23 mars 2006, et concernant les bourses attribuées à des « étudiants » au long cours.
L'argent public n'a pas vocation à être distribué lorsque aucun résultat n'est constaté, et pour cause : les « étudiants » en question viennent les mains dans les poches pointer aux différentes séances de travaux dirigés. Cette unique obligation est d'ailleurs obsolète et n'engendre que des désordres supplémentaires pour les vrais étudiants, ainsi que pour les enseignants.
Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt : nous sommes en présence d'un cercle vicieux. En effet, les dotations aux universités sont délivrées en tenant compte du nombre d'étudiants. C'est la raison pour laquelle certains élus locaux qui sont attachés à leur université - et on les comprend ! - dénoncent également cet état de fait en général, mais ne préconisent pas une quelconque sélection au niveau local.
L'affichage des résultats après les partiels donne une idée de l'ampleur du désastre financier pour la collectivité nationale. Entendons-nous bien, monsieur le ministre, je stigmatise non pas les étudiants qui, en travaillant, n'arrivent pas, la première année, à obtenir la moyenne - le fameux « E » pour se situer dans le contexte ECTS -, mais bien les heureux bénéficiaires des prébendes publiques, abonnés ad vitam æternam aux zéros.
Ne sont pas à blâmer les secrétariats des universités en question, qui doivent gérer les situations les plus insolites. Ainsi, un « étudiant » qui n'est pas satisfait d'une première évaluation en contrôle continu, va, avec les pièces nécessaires, se déclarer salarié et entrer ainsi dans la catégorie du contrôle classique. Ces secrétariats, s'ils ne respectent pas les textes édictés pour laisser perdurer de telles situations, sont évidemment l'objet d'injures et d'insultes.
En revanche, les CROUS ne répondent pas aux sollicitations des secrétariats en question lorsqu'il est manifeste que la bourse devrait être suspendue sine die, ou arguent d'une nécessaire rétroactivité, totalement illusoire, rendant de fait inapplicable la mesure de suspension.
Ces jeunes pensionnés - qui, pour la plupart, avec le jeu des différentes aides sociales, le resteront une grande partie de leur vie - n'apparaissent pas dans les statistiques du chômage pendant trois ou quatre ans - soit un redoublement plus un changement de filière et à nouveau un redoublement -, mais ils n'y apparaîtraient pas plus s'ils avaient été orientés dans les branches déficitaires en main-d'oeuvre.
Ne pas tenir compte du ressentiment des parents dont les enfants payent des droits d'inscription à plein tarif, tout en étant gênés par des éléments perturbateurs, ce serait faire preuve d'une vision à court terme, vous le savez bien, monsieur le ministre. C'est la raison pour laquelle j'insiste sur un sujet qui fâche : il faut réformer ce système !
Quels moyens proposez-vous, monsieur le ministre, pour que la majorité des copies blanches ne soit pas le fait des boursiers de niveau 5, catégorie la plus haute dans l'attribution des bourses ? Je m'appuie sur les statistiques qui sont établies par les enseignants et qui attestent la véracité de ce propos. Les parents des étudiants pénalisés à un double titre par ce fléau - les étudiants ne sont pas aidés et sont, de plus, gênés dans leurs études - attendent des réponses concrètes.
Pour conclure mon propos, reprenant, en le transformant pour cette cause, un slogan d'une centrale étudiante, je dirai qu'« étudier lorsque l'on est payé pour cela c'est un devoir. ».
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche. Monsieur Souvet, vous avez mentionné un problème qui est tout à fait réel et qui aujourd'hui n'est pas réglé. Il faut être très clair et très honnête : nous ne nous sommes pas suffisamment attaqués aux situations parfaitement critiquables que vous relevez.
Les textes existent : un étudiant boursier doit être assidu aux cours et se présenter aux examens. L'assiduité est en général assez mal contrôlée dans nos établissements d'enseignement supérieur ; en tout cas, la situation est assez variable selon l'établissement concerné. Quant à la présence aux examens, elle est assez facilement vérifiable, mais la remise de copie blanche ou carrément l'absence à l'examen n'entraîne pas automatiquement, comme elle le devrait, la suspension du versement des bourses. C'est anormal !
Chaque année, il existe bien quelques cas de suspension, d'exclusion, du bénéfice des bourses, mais nous avons jusqu'à présent porté une attention insuffisante à ce fait, que vous dénoncez à juste titre.
Je ne prétends pas qu'il y a des milliers d'étudiants « factices » dans nos universités, mais cette situation existe et elle est déplorable sur un plan non seulement pratique, mais également et avant tout moral. Nous devons être plus vigilants. Je prends devant vous l'engagement que des instructions extrêmement fermes seront données pour tenter de remédier à cette situation.
Il existe des anomalies dans le mode de financement des universités. En effet, le critère principal du système d'analyse et de répartition des moyens - système informatique dénommé SAN REMO - servant de base au calcul de la dotation globale de fonctionnement est le nombre d'étudiants inscrits. J'ai demandé une modification de ce critère, afin qu'il concerne non plus le nombre d'étudiants inscrits, mais le nombre d'étudiants présents aux examens. Cela me paraît d'autant plus logique que certains étudiants, inscrits uniquement pour bénéficier soit de bourses, soit de la sécurité sociale étudiante, et donc non réellement présents, représentent un coût pour l'université en termes à la fois de locaux et de présence des enseignants.
La gestion de nos universités doit donc être encore plus rigoureuse qu'elle ne l'est. Monsieur le sénateur, j'accepte cette critique, qui correspond effectivement à une réalité, et il nous revient d'y remédier.
M. le président. La parole est à M. Louis Souvet.
M. Louis Souvet. Je remarque que M. le ministre adhère à ce que je viens de dire, ce qui aurait pu ne pas être le cas.
Si nous parvenions à éliminer, d'une manière tout à fait convenable, ces faux étudiants, nous constaterions bien évidemment un changement de mentalité à la fois au sein de l'université et chez les enseignants. Nous aurions tout à y gagner !
La dotation de base des universités est basée sur le nombre des étudiants, critère qui n'est pas suffisant. Je souhaite que l'on ajoute un coefficient de pondération basé sur la réussite aux examens. Cela changerait un peu les choses !
réglementation applicable à l'assainissement non collectif
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, auteur de la question n° 1079, adressée à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable.
C'est M. le ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche qui vous répondra, monsieur Vasselle.
M. Alain Vasselle. Je constate que M. Goulard est sur tous les fronts ! Mais nous connaissons ses compétences dans de nombreux domaines et son expérience d'élu local. Aussi pourra-t-il répondre sans aucune difficulté aux nombreuses questions que je vais lui poser.
Monsieur le président, je profite de l'occasion pour vous signaler que, si la conférence des présidents maîtrisait un peu mieux l'ordre du jour des discussions, cette question orale aurait pu être évitée. En effet, la session extraordinaire devant initialement être consacrée à la fusion entre Gaz de France et Suez, et l'emploi du temps du mois de septembre m'ayant amené à d'autres responsabilités, je n'ai pu être présent pour l'examen du projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques défendu par Mme Nelly Olin. Cela m'amène à vous déranger, monsieur le ministre, pour vous poser des questions, et croyez que j'en suis désolé.
Avec la loi sur l'eau et les milieux aquatiques, de nouvelles responsabilités ont été confiées aux communes, en particulier s'agissant de l'assainissement non collectif, pour lequel il faut maintenant s'occuper du contrôle diagnostic, du contrôle des demandes de permis de construire et du contrôle de la bonne exécution. Des aménagements de la loi et de futures dispositions réglementaires répondront pour partie aux interrogations des élus. Mais un point essentiel subsiste - le nerf de la guerre ! -, celui des finances.
À l'occasion d'un déplacement dans mon département, Mme Nelly Olin a annoncé une rallonge de 1 milliard d'euros, qui devrait permettre de répondre à de nombreuses questions, mais nous ne sommes pas certains que les comptes seront au rendez-vous, en dépenses et en recettes, pour atteindre l'équilibre, tant la tâche est importante sur l'ensemble du territoire national. Sur 36 000 communes, un très grand nombre de communes rurales n'ont ni l'assainissement collectif ni un assainissement non collectif conforme à la loi et à la réglementation.
Ma première question porte sur le financement des investissements. Il est affirmé dans la loi, et surtout dans la réglementation, que le budget de la commune ne peut pas assurer ce financement. Je voudrais être certain que seule la redevance le permettra. Nos budgets communaux doivent donc comporter un budget annexe dans lequel figureront en équilibre l'ensemble des dépenses et des recettes concernant le service public d'assainissement non collectif, le SPANC. Cette affirmation est-elle conforme aux textes en vigueur ?
Par ailleurs, avec la nouvelle loi sur l'eau et les milieux aquatiques, le propriétaire est au centre du dispositif et l'on ne fait plus référence au locataire. S'il est compréhensible que le propriétaire ait la responsabilité de la mise aux normes des installations, n'aurait-il pas été plus pertinent de mettre l'entretien courant de l'installation à la charge du locataire ? C'est déjà le cas aujourd'hui pour les ordures ménagères.
Se pose également la question du financement pérenne de l'ensemble du dispositif. Quels moyens pourront être mobilisés par les agences de bassin, afin de soulager les dépenses d'investissements des communes ? Quel sera le niveau des aides dont bénéficieront les particuliers et sera-t-il suffisant pour faire face à la dépense ? Nous sommes saisis de très nombreuses questions à cet égard, d'autant que le montant des dépenses de mise aux normes est très variable : de 1 000 ou 2 000 euros jusqu'à 10 000 ou 20 000 euros ! L'inéquité est donc grande entre les habitants. Si la commune, le département, la région, l'État, l'agence de bassin, ne parviennent pas à répartir l'ensemble de ces charges, afin que, finalement, nos citoyens soient traités de la même manière, cela posera des problèmes.
Sera-t-il possible, au sein d'une communauté de communes, de mutualiser le coût des dépenses d'investissements ? Aujourd'hui, seules les communes qui réalisent des travaux supportent les dépenses. Ainsi, dans la communauté de communes que je préside, les dispositions ne me permettent pas de répartir l'ensemble de la dépense sur la totalité des redevables, même si ces derniers seront satisfaits par le service dans trois, quatre ou cinq ans ; on ne peut pas tout faire du jour au lendemain ! Cela permettrait pourtant de lisser la dépense et de ne pas faire supporter une redevance trop élevée aux particuliers.
Enfin, les collectivités garderont-elles l'initiative de la fréquence des contrôles ? Si certaines d'entre elles jugeaient opportun d'accélérer le rythme des contrôles, qui est de un tous les dix ans, la loi le leur permettra-t-elle ?
Monsieur le ministre, ayant été obligé de m'écarter de ma question d'origine pour m'adapter à l'actualité, si vous n'étiez pas en mesure de répondre à toutes mes questions, j'aimerais bien être éclairé sur ces différents points par un courrier de Mme Nelly Olin.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche. Monsieur le sénateur, je suis certain que Nelly Olin apportera les compléments d'information qu'appelle votre question, d'autant qu'elle ne savait pas exactement quels étaient les points que vous souhaitiez aborder ce matin.
Retenue actuellement par une réunion des préfets coordonnateurs de bassin et les présidents des agences de l'eau - sujet proche de vos préoccupations -, elle vous prie de bien vouloir excuser son absence.
L'assainissement non collectif est une solution qui est efficace et moins coûteuse, notamment en milieu rural, mais également dans un certain nombre d'agglomérations. Sur un plan technique, on peut dire que c'est une solution parfaitement valable.
Le projet de loi sur l'eau permettra aux élus d'apporter le service attendu par les usagers et de mettre en place les financements nécessaires d'une façon générale. C'est la réponse que Mme Nelly Olin souhaite vous faire.
Le contrôle des installations d'assainissement non collectif est une compétence obligatoire des communes.
En revanche, le projet de loi leur permet, si elles le souhaitent, d'exercer directement ce contrôle ou de le confier à un organisme extérieur privé. Cette disposition ne remet pas en cause les services publics d'assainissement non collectifs existants.
La fréquence des contrôles du bon fonctionnement des installations reste de l'initiative de la collectivité. Le projet de loi prévoit simplement que ces contrôles auront lieu au moins une fois tous les dix ans, ce qui signifie qu'ils peuvent être plus fréquents.
S'agissant de la répartition des charges entre propriétaires et locataires, il revient aujourd'hui à ces derniers d'assurer l'entretien courant du dispositif. Il incombe en revanche au propriétaire d'assurer la conformité du dispositif d'assainissement non collectif. Le Gouvernement ne souhaite pas remettre en cause cet équilibre à l'occasion du projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques et il veillera, lors de l'examen de ce texte en seconde lecture par l'Assemblée nationale, au maintien de ce principe, qui a fait ses preuves.
Les communes pourront également proposer un service complet aux usagers incluant, au-delà du seul contrôle, l'entretien et la réhabilitation des installations défectueuses. Les subventions perçues à cet effet par les communes, par exemple de la part des agences de l'eau ou des conseils généraux, réduiront d'autant la facture des usagers.
Nelly Olin rappelle que les agences de l'eau devront réserver un milliard d'euros pendant la période 2007-2012 pour le financement des dépenses de solidarité avec les communes rurales. C'est un point important du texte qui est en cours d'examen.
En outre, pour la bonne information de l'acheteur, le projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques prévoit qu'un diagnostic du système d'assainissement devra être réalisé avant la vente d'un immeuble.
Enfin, je rappelle que la loi de finances pour 2006 - cela répond partiellement à l'une de vos questions - donne la possibilité de faire prendre en charge une partie des dépenses du service public d'assainissement non collectif par le budget général de la commune pendant les quatre premiers exercices budgétaires suivant la création dudit service, ce sans condition de taille de la collectivité, afin d'en faciliter le démarrage.
Monsieur Vasselle, le projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques apporte donc un certain nombre de réponses concrètes aux questions que vous posez et aux problèmes réels que rencontrent dans ce domaine les élus et l'ensemble de nos concitoyens.
M. Alain Vasselle. Je remercie M. le ministre des réponses qu'il m'a apportées et qui me donnent satisfaction. Je ne manquerai pas de les transmettre aux élus de mon département, pour qui elles seront d'une grande utilité. J'attends néanmoins que Nelly Olin m'apporte quelques précisions sur une ou deux points.
gestion des déchets ménagers
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer, auteur de la question n° 1100, adressée à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable.
M. Jean Boyer. Monsieur le ministre, dans cet hémicycle, comme partout ailleurs, nous savons que la gestion des déchets ménagers, en particulier au niveau local, suscite souvent des querelles non fondées, de l'agitation et, plus concrètement, soulève des problèmes difficiles. En effet, quel est en France le projet qui ne défraie pas la chronique locale, provoquant à la fois moult remous et une impossibilité d'agir ?
Mes chers collègues, ce sujet est d'autant plus délicat pour nous qui sommes les représentants des élus qu'il revient aux collectivités d'assurer non seulement ce service, mais encore d'en supporter le coût. Or les élus sont souvent désarmés pour prendre une position constructive.
Le passage de la redevance à la taxe d'enlèvement des ordures ménagères a conduit, partout en France, à une augmentation difficilement acceptable par les ménages.
Parallèlement, le plus souvent, aucune solution n'est trouvée au traitement et au stockage des déchets ménagers, sans oublier le traitement des boues provenant des stations d'épuration.
À l'heure actuelle, seules des solutions temporaires ont été trouvées, gelées principalement par notre difficulté à trancher définitivement.
Si la décentralisation reste, j'en suis convaincu, un outil essentiel au service du développement local, permettant une gestion harmonieuse et équilibrée des actions de proximité, il n'en demeure pas moins que certaines questions devraient rester de la compétence de l'État.
Ainsi, la gestion des déchets ménagers ne devrait-elle pas relever de ce principe dans la mesure où elle est le prolongement d'arbitrages délicats, le plus souvent marqués par des intérêts opposés, mais indispensables pour une véritable politique de sécurité sanitaire ?
À ce titre, l'État ne serait-il pas le meilleur garant de cette impartialité et le plus à même de rendre des arbitrages objectifs ? Ne pourrait-il pas, au travers d'une autorité indépendante, reprendre l'initiative et la matière, afin d'assurer en tout point du territoire national une véritable égalité de traitement et une réelle cohésion sur cette épineuse question, prolongeant ainsi sa compétence en matière sanitaire ?
En effet, tout en conservant aux collectivités leur compétence en matière de collecte et de traitement des ordures ménagères, l'État ne devrait-il pas trouver, pour l'avenir, une solution pérenne quant au choix de l'implantation du site d'enfouissement des déchets ultimes ?
Protéger l'environnement est une belle chose ; agir en sa faveur est encore plus constructif. Les élus, comme nos concitoyens, sont très attentifs à l'évolution de notre politique en matière de gestion des déchets ménagers.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche. Monsieur le sénateur, je vous prie d'excuser l'absence de Nelly Olin, qui est retenue ce matin pour les raisons que j'ai exposées il y a un instant.
Vous appelez l'attention du Gouvernement sur un sujet qui est extrêmement délicat et auquel tous les élus locaux sont évidemment très sensibles. Pour résumer votre propos, vous souhaitez que l'État s'investisse davantage sur des sujets que vous considérez, à juste titre, comme particulièrement importants.
La loi a confié aux maires la responsabilité de l'élimination des déchets des ménages et aux conseils généraux, - au conseil régional dans le cas de l'Île-de-France - la responsabilité de la planification de la gestion des déchets ménagers et assimilés.
Dans l'état actuel des choses, cette répartition nous semble adaptée. La gestion des déchets dépendant de paramètres locaux, il appartient non pas à l'État, mais bien aux élus locaux de décider si, dans une communauté de communes, il convient ou non de mettre en place une collecte sélective des journaux et des magazines en porte-à-porte ou en points d'apport volontaire. À l'évidence, certaines questions sont mieux traitées à l'échelon local.
De même, on ne peut prétendre que, dans l'absolu, le choix d'un mode de traitement soit préférable à un autre. Là encore, il appartient aux élus locaux, plus proches des réalités de terrain, de prendre position en fonction par exemple de la disponibilité du foncier, de la présence ou non d'utilisateurs d'énergie, des besoins des sols en matière organique. Les situations étant très diverses, la vision locale doit, selon nous, prévaloir.
En revanche, il revient à l'État d'assurer la police des installations de traitement de déchets et d'être vigilant sur le respect de la réglementation en la matière.
Ainsi, l'échéance du 28 décembre 2005 pour la mise en conformité des usines d'incinération des ordures ménagères a été respectée grâce aux efforts de tous. Les investissements qui ont été consentis depuis un certain nombre d'années ont permis de diviser par cent les émissions de dioxine des incinérateurs. Cela montre bien que les efforts des collectivités locales conjuguées au contrôle exercé par l'État peuvent aboutir à des résultats particulièrement positifs.
En outre, monsieur le sénateur, la ministre de l'écologie veille à ce que les décharges non autorisées soient fermées : au nombre de 942 il y a deux ans, elles ne sont plus que 414 aujourd'hui, soit deux fois moins.
Ces actions sont indispensables. Les réactions de rejet auxquelles vous avez fait allusion se nourrissent d'exemples malheureux d'installations non conformes et qui ont pu avoir un effet négatif sur l'environnement.
Des études sont également menées sur les impacts sanitaires des usines d'incinération d'ordures ménagères, notamment par le Comité de la prévention et de la précaution.
Pour favoriser l'acceptation des installations de traitement, la loi permet aux communes concernées par la mise en place d'un centre de stockage ou d'un incinérateur d'ordures ménagères de lever une taxe dont le montant peut atteindre trois euros par tonne.
Enfin - et j'insiste sur ce point - l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie apporte, via ses délégations régionales, des conseils souvent très éclairés et très utiles, ainsi que des soutiens financiers aux collectivités qui s'engagent dans des politiques intelligentes de gestion des déchets.
En conclusion, le principe de la gestion des déchets ménagers placée sous la responsabilité des collectivités ne semble pas devoir être remis en cause.
L'État, pour sa part, assumera les responsabilités qui sont les siennes, notamment en termes de police, afin d'assurer à nos concitoyens un haut niveau de protection en matière de santé et d'environnement.
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. L'évolution des esprits a permis d'améliorer tout ce qui gravite autour du traitement des ordures ménagères. À cet égard, saluons le tri sélectif.
Mais ma question portait sur la façon dont sont prises les décisions au sommet. Même dans les communes de « la France profonde », les élus sont capables d'organiser le tri sélectif ou autre. Pour autant, ils ne sont pas des policiers et ils n'ont pas vocation à imposer quelque solution que ce soit. Aussi, je voulais simplement savoir si, au nom de l'intérêt général et après enquête technique, l'État ne pourrait pas intervenir s'agissant du choix du lieu d'implantation d'un site de traitement ou d'enfouissement, dès lors que les choses patinent pendant des années.
ordonnance du 1er septembre 2005 sur les établissements de santé
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, auteur de la question n° 1095, adressée à M. le ministre de la santé et des solidarités
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le ministre, je souhaite interroger le Gouvernement sur l'ordonnance du 1er septembre 2005 portant diverses dispositions relatives aux établissements de santé et à certains personnels de la fonction publique hospitalière, plus particulièrement sur son titre II relatif aux établissements de santé privés. Ce texte pose un certain nombre de problèmes.
En premier lieu, s'agissant des établissements de santé privés gérés par des associations loi de 1901, ces dispositions méconnaissent totalement le principe d'autonomie de ces associations, qui est de nature constitutionnelle. En effet, elles autorisent le directeur de l'agence régionale d'hospitalisation, l'ARH, à s'ingérer pleinement dans la gestion de ces établissements, à désigner lui-même éventuellement un administrateur provisoire et à exercer des pouvoirs qui dépendent du seul conseil d'administration de l'établissement.
En second lieu, ce texte met en place une procédure administrative qui double une éventuelle procédure judiciaire, car il appartient au commissaire aux comptes, dans certains cas, de déclencher une procédure judiciaire. Ce faisant, la procédure judiciaire est vidée de tout sens et le directeur de l'ARH se substitue de facto au juge.
Toutes ces questions me paraissent assez graves. D'ailleurs, la Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés à but non lucratif, la FEHAP, ainsi que les autres associations qui ont pris part à la concertation préalable avaient fait part d'un certain nombre de réserves et de préoccupations, dont le Gouvernement n'a pas tenu compte.
Aussi, je voudrais connaître le sentiment du Gouvernement à cet égard.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Monsieur le sénateur, n'ayez aucun doute sur l'attachement du Gouvernement au respect du principe de valeur constitutionnelle de la liberté d'association. Le débat juridique sur l'ordonnance que vous avez citée sera tranché par le Conseil d'État. À l'évidence, le Gouvernement, se conformera à la décision qui sera prise par la Haute juridiction.
Permettez-moi cependant de vous dire que nous ne faisons pas la même lecture de l'ordonnance du 1er septembre 2005. Le Gouvernement considère, en effet, que cette ordonnance ne porte en rien atteinte au principe constitutionnel de la liberté d'association.
Ce texte, pris sur la base d'une habilitation législative, est destiné à prévenir les difficultés financières des établissements de santé privés, qui bénéficient, comme les établissements publics, du même mode de financement par la sécurité sociale. Lorsqu'un déséquilibre financier survient, il est naturel que ceux qui financent se préoccupent de la manière dont ce déséquilibre va pouvoir être résorbé.
C'est la raison pour laquelle l'ordonnance a prévu que le directeur de l'agence peut enjoindre l'établissement concerné de prendre des mesures de redressement. Dans le cas où ces mesures ne seraient pas prises ou seraient insuffisantes, le directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation, au nom de tous les assurés sociaux qui participent par leurs cotisations, par la CSG, au financement de l'assurance maladie, peut prendre les dispositions nécessaires pour redresser l'établissement et assurer la continuité du service public de santé.
L'ordonnance prévoit aussi qu'un administrateur provisoire peut prendre des mesures de redressement avant l'ouverture d'une procédure de liquidation. Cette possibilité est destinée à prévenir la mise en oeuvre des mesures du code du commerce relatives à la prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises, voire l'ouverture d'une procédure de règlement judiciaire prévue par le même code. Il est dans l'intérêt même de l'établissement d'éviter d'en arriver à des solutions extrêmes ; le droit des associations n'en est pas méconnu pour autant.
L'initiative du directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation est pleinement justifiée par le fait qu'il est l'autorité de tarification et qu'il a le pouvoir d'assurer le contrôle de ces établissements, conformément aux exigences du code de la santé publique.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Je remercie monsieur le ministre de sa réponse. Nous n'avons pas, il est vrai, la même analyse de cette ordonnance, mais le Conseil d'État tranchera.
Sans vouloir le moins du monde mettre en cause M. Philippe Bas, je voudrais signaler que j'avais déjà déposé une question écrite sur le même sujet le 28 septembre 2005. N'ayant obtenu aucune réponse, je l'ai transformé en question orale, suivant les précieux conseils de notre secrétariat général.
Ce n'est pas un exemple isolé : depuis deux ans que je suis sénateur, le tiers de mes questions écrites n'a reçu aucune réponse. Cette méthode est détestable ! Les parlementaires posent des questions orales sans débat le mardi matin et des questions d'actualité au Gouvernement le jeudi : c'est leur manière de contrôler le Gouvernement. Cela fait partie de leurs fonctions constitutionnelles.
Au travers de la personne de M. Philippe Bas, je souhaite attirer l'attention du Gouvernement sur la nécessité de répondre dans les délais - qui sont de deux mois, paraît-il - aux questions écrites posées par les parlementaires.
M. le président. Cette observation s'adresse à tous les gouvernements, toutes tendances confondues. (Sourires.)
risques de l'amniocentèse
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange, auteur de la question n° 1086, adressée à M. le ministre de la santé et des solidarités.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Monsieur le ministre, cette question m'a été suggérée par un certain nombre de gynécologues exerçant à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris.
Le recours à l'amniocentèse est actuellement quasi-systématique. Dans la région d'Ile-de-France, 20 % des femmes, tous âges confondus, soit une femme sur cinq, y ont recours, sans pour autant être à même de mesurer les différents risques qu'elles encourent.
D'ailleurs, sur Internet, de nombreux forums témoignent des interrogations des femmes, voire de leur détresse, face à une technique qui éviterait, dit-on, tout risque de handicap. Or non seulement l'amniocentèse ne permet pas d'éviter tout handicap - il s'agit uniquement d'en établir le diagnostic et il revient aux parents d'accepter ou non l'anomalie éventuellement détectée - mais des risques réels existent, en particulier de fausse couche.
De surcroît, au-delà de ces risques tangibles, le recours à une telle technique ne traduirait-il pas, dans notre société moderne, un refus de l'autre, de la différence, de l'aléa ? Or faire un bébé consiste bien à créer un autre être porteur du meilleur des deux et d'une part inconnue.
Sans dévoiler les courriers que nous recevons au Comité consultatif national d'éthique, où j'ai l'honneur de représenter le Sénat, je voudrais vous signaler, monsieur le ministre, que de plus en plus d'interrogations portent sur une possible dérive vers un eugénisme passif ou actif.
En conséquence, ne vous paraît-il pas nécessaire, d'une part, de procéder à une évaluation des risques présentés pour le bébé et pour sa mère, et, d'autre part, d'engager un travail d'information auprès de nos concitoyennes au vu des résultats de cette évaluation dont les médecins, et notamment les gynécologues, se feraient le relais ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Je remercie Mme Hermange de sa question, car elle porte sur un sujet grave.
Comme tout examen médical, l'amniocentèse n'est pas anodine. Elle doit se faire dans le respect des indications médicales de cet examen et toujours avec le consentement de la femme enceinte, en respectant sa liberté, notamment en ce qui concerne les conséquences à tirer de cet examen.
Dans l'enquête nationale périnatale de 2003 portant sur un échantillon représentatif de 15 000 naissances, la fréquence des amniocentèses était de 11 %, chiffre stable par rapport à la période précédente, la dernière mesure ayant été effectuée en 1998. Les professionnels estiment à environ 1 % le risque de fausse couche ou de perte foetale après une amniocentèse.
Actuellement, la stratégie de dépistage prénatal consiste, pour la trisomie 21, à proposer une amniocentèse lorsque le risque calculé à partir des marqueurs biologiques du deuxième trimestre et de l'âge de la femme est supérieur à 1/250ème. Une amniocentèse peut aussi être proposée pour d'autres indications.
Il est tout à fait souhaitable d'améliorer le dépistage échographique et biologique afin de diminuer la fréquence des faux positifs - car il en existe -, et par conséquent le nombre d'amniocentèses inutiles. La Haute autorité de santé a été saisie pour définir la stratégie la plus efficace pour le dépistage de la trisomie 21 ; je pense que cela répondra à votre voeu.
Naturellement, l'information doit toujours être donnée à la femme enceinte sans qu'aucune pression ne soit exercée sur elle, ni dans un sens ni dans l'autre. L'examen n'est réalisé qu'après ce consentement, et seulement dans des centres agréés par l'Agence de la biomédecine, ce qui garantit à la fois la compétence technique et la qualité de l'information.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Monsieur le ministre, de façon générale, en matière de médecine périnatale, il faudrait donner des informations non seulement sur l'amniocentèse, mais aussi sur la péridurale.
Actuellement, lorsqu'une trisomie 21 est dépistée à la suite d'une amniocentèse au septième ou au huitième mois, une interruption médicale de grossesse est systématiquement proposée, sans qu'il y ait un dialogue sur la question du handicap.
Monsieur le ministre, il faut en avoir conscience : aussi bien le corps médical qu'un certain nombre de femmes sont choqués par la gestion du handicap à l'hôpital, ou ailleurs.
conditions de vente de tabac à la réunion et santé publique
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet, auteur de la question n° 1062, adressée à M. le ministre de la santé et des solidarités.
Mme Anne-Marie Payet. Ma question porte sur les conditions de vente de tabac à la Réunion.
Monsieur le ministre, si les Réunionnais fument en général moins que les métropolitains, près de 500 décès par an sont dus au tabac, ce qui représente cinq fois le nombre de tués sur les routes.
Le nombre de fumeurs à la Réunion est estimé à 200 000. En 2005, 800 millions de cigarettes ont été mises sur le marché. Le fumeur réunionnais fume en moyenne quinze cigarettes par jour. En 2005, la production locale de cigarettes a connu une relance de 9 %, après une chute de 21 % entre 2003 et 2004, période durant laquelle le tabac a été fortement taxé par le conseil général.
Ces dernières années, une augmentation du taux féminin de mortalité dû au tabac a été observée dans des proportions plus importantes qu'en métropole.
Au-delà de ces chiffres, monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur un phénomène qui me préoccupe tout particulièrement, à savoir les pratiques réunionnaises de vente de tabac.
En effet, la loi régissant la profession de débitant de tabac en métropole ne s'applique pas à la Réunion. Les buralistes réunionnais n'ont pas besoin de licence, contrairement à la métropole où l'attribution se fait de façon très stricte. La vente de tabac est donc possible dans tous les commerces de proximité : boulangeries, camions-bars, stations de service. Le tabac est également vendu dans des distributeurs automatiques de cigarettes, même si, pour tenter de limiter les dégâts, un arrêté préfectoral précise que « les distributeurs de tabac ne peuvent être installés qu'à l'intérieur d'un commerce ou d'un établissement de restauration ou d'hôtellerie, dans un lieu permettant une surveillance physique facile de leur utilisation ».
Ces procédures de vente de tabac sont dangereuses, surtout pour les jeunes Réunionnais, notamment pour les mineurs. Les distributeurs automatiques sur les plages ou dans les clubs de sport facilitent en effet l'achat discret de cigarettes. Ces dérives commerciales conduisent à vulgariser un produit toxique en le banalisant.
Monsieur le ministre, je me réjouis grandement de l'interdiction de fumer dans les lieux publics que vient d'annoncer M. le Premier ministre et qui sera effective le 1er février 2007. Dès lors, ne faudrait-il pas mettre fin rapidement aux pratiques commerciales déviantes à la Réunion, qui n'existent pas en métropole et qui sont en contradiction avec les mesures prises par le Gouvernement pour lutter contre le tabagisme ?
Mon collègue Jean-Paul Virapoullé a déjà sensibilisé M. le ministre de la santé et des solidarités sur ce dossier en avril 2006. Celui-ci a alors indiqué qu'il conviendrait d'examiner dès l'automne - nous y sommes ! - avec la Direction générale des douanes et des droits indirects si une extension du monopole de la vente du tabac à la Réunion et dans les départements d'outre-mer en général pouvait être envisagée.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Madame la sénatrice, le Président de la République a fait de la lutte contre le cancer l'un des grands chantiers de son quinquennat. Le Premier ministre a annoncé, dimanche dernier, des mesures nouvelles pour éviter que les non-fumeurs ne soient exposés au tabagisme passif : il sera désormais interdit de fumer dans les lieux publics. Le Gouvernement est donc particulièrement sensible à la question que vous venez de soulever.
Effectivement, 500 décès par an sont imputables au tabac à la Réunion sur la période 1999-2001, ce qui représente 13 % des décès sur l'île. Une tendance heureuse à la diminution du nombre de décès liés au tabac est observée grâce à une baisse de la consommation due à une forte hausse des prix des cigarettes.
La proportion des fumeurs dans la population est passée de 47% en 2000 à 35 % en 2004. Les ventes de substituts nicotiniques ont doublé par rapport à 2002. Nous sommes donc sur la bonne voie !
Mais il est vrai que, à l'heure actuelle, il n'existe pas de monopole de la vente au détail de tabac manufacturé ni à la Réunion ni dans les départements d'outre-mer. Tous les commerçants sont donc autorisés à vendre du tabac. La vente des produits du tabac au moyen de distributeurs automatiques n'est pas formellement interdite, contrairement à la métropole. Je comprends donc votre préoccupation, madame la sénatrice.
Le Gouvernement vous a déjà fait part de sa disponibilité pour étudier dès maintenant, avec la Direction générale des douanes et des droits indirects, administration compétente sur ce sujet, si une extension à la Réunion et aux départements d'outre-mer du monopole peut être envisagée.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.
Les derniers chiffres dont nous disposons montrent que les femmes sont de plus en plus touchées par les cancers liés au tabac et que les enfants des fumeurs consultent trois fois plus un pédiatre que ceux des non-fumeurs.
Je ne comprends donc pas cette différence législative entre la Réunion et la métropole. Il faut absolument régler ce problème très rapidement.
4
NOMINATION D'un MEMBRE D'UN organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle que la commission des affaires culturelles a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du règlement.
En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Philippe Nachbar membre du Haut conseil des musées de France.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La séance est reprise.
5
Éloge funèbre de Marcel Vidal, sénateur de l'Hérault
M. le président. Messieurs les ministres, mes chers collègues, je vais prononcer l'éloge funèbre de Marcel Vidal. (MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
Le 8 juillet dernier, depuis l'hôpital de Montpellier, nous est parvenue la triste nouvelle de la disparition de Marcel Vidal, à l'âge de 66 ans. Selon la métaphore en usage, notre collègue a succombé à « une longue maladie ».
Son dernier combat, Marcel Vidal l'a mené comme il a conduit sa vie, avec lucidité, courage et dignité. Le mal qui le frappait a eu raison des forces d'un homme qui, malgré la souffrance, fréquentait encore notre palais quelques semaines avant sa disparition.
Le décès de Marcel Vidal a profondément ému ceux qui l'ont connu et apprécié, comme moi-même, comme ceux qui ont partagé ses ambitions, ses engagements et ses combats.
Marcel Vidal appartenait à cette catégorie d'hommes pour qui la vie publique fut en quelque sorte une vocation, un sacerdoce Elle fut, pour ce qui le concerne, une vocation précoce.
Né le 7 mars 1940 à Montpellier, il devait embrasser une carrière de cadre au Crédit agricole. Cette orientation initiale ne répondait cependant pas totalement à son ambition de servir ses concitoyens dans tous les domaines de la vie publique.
Très tôt, il obtient son premier mandat, à Nébian, où il avait ses attaches familiales, et dont il devient maire à peine âgé de 25 ans.
En 1967, c'est au conseil général que Marcel Vidal est élu, dans le canton de Clermont-l'Hérault.
En 1971, il devient, à la faveur des municipales, maire du chef-lieu de canton. Ce mandat municipal, auquel il attachait un prix tout particulier, Marcel Vidal allait l'exercer trente ans durant.
Il allait, à force d'imagination, de créativité, de détermination, conférer à sa ville un développement exceptionnel qui lui valut des hommages reconnaissants en provenance des horizons les plus divers. Après quinze ans de vie locale, l'élu confirmé et expérimenté qu'il était fait son entrée au Sénat. Marcel Vidal est alors âgé d'à peine 40 ans.
Aussitôt, notre collègue s'inscrit à la commission des affaires culturelles. Il devait rester fidèle à cette commission durant les vingt-six années où il siégea dans ce palais. En faisant ce choix, Marcel Vidal mettait en accord sa sensibilité aux questions culturelles, au sens le plus large, avec son engagement parlementaire.
Viticulteur de tradition, Marcel Vidal était un homme de culture.
Pianiste accompli, connaisseur du monde artistique, à l'éveil de la création contemporaine, mais soucieux de la protection et de la promotion du patrimoine, Marcel Vidal a marqué durablement la vie culturelle de sa région en y apportant le souffle d'un homme authentiquement attaché au développement culturel en milieu rural.
Très tôt, il représente notre Assemblée au conseil d'orientation du Centre Pompidou, qu'il présida entre 1998 et 2002, avant d'en devenir, après sa réforme, vice-président du conseil d'administration. À la commission des affaires culturelles, Marcel Vidal se distinguera par ses interventions en faveur de la promotion du théâtre, de la musique vivante et du cinéma, dont il était le rapporteur autorisé, écouté et visionnaire.
Mais Marcel Vidal n'était pas l'homme d'un seul tropisme. Élu issu du terroir, l'agriculture, l'aménagement du territoire, le développement et la protection de l'environnement, la forêt étaient aussi régulièrement au coeur de ses préoccupations et de son action.
En 1983, notre collègue M. Pierre Mauroy, alors chef du Gouvernement, le charge d'une mission auprès de Gaston Deferre, à l'époque ministre de l'intérieur, sur la lutte contre l'incendie et la protection des forêts méditerranéennes. Les propositions qu'il fera constitueront la base de nos actuels services départementaux d'incendie et de secours, les SDIS.
De même, Marcel Vidal mettra beaucoup de temps et d'énergie à promouvoir l'huile d'olive de qualité. D'aucuns disent qu'il la fit entrer au restaurant du Sénat. Marcel Vidal présidait avec compétence et dynamisme la section d'oléiculture du groupe sénatorial d'études sur l'économie agricole alimentaire.
Mais son champ d'action ne se limitait pas à ses interventions nombreuses sur cet aspect de la vie de sa région.
Fondateur du syndicat intercommunal d'aménagement touristique du Salagou, il allait le présider durant un quart de siècle, de 1976 à 2001. C'est ainsi qu'il avait obtenu, après de patientes démarches et une politique active de mise en valeur du lac, son classement au titre des sites naturels. C'est ce qui lui avait valu, entre autres responsabilités extraparlementaires, d'être désigné par le Sénat pour siéger à la commission supérieure des sites, perspectives et paysages.
Toujours guidé par l'action et la promotion de sa chère région, Marcel Vidal avait aussi oeuvré pour la sauvegarde du cinéma de sa ville, la réouverture du théâtre municipal, la création d'une école de musique, le maintien du lycée un temps menacé, ou le développement du stade municipal. Tous ces équipements sont ceux qui scandent la vie d'une cité, qui impulsent une dynamique culturelle et citoyenne, une humanité quotidienne. Marcel Vidal a su les mettre en place, les porter, les développer, avec la courtoise efficacité que nous lui connaissions.
Dans ce qui devait être sa dernière intervention au Sénat, le 12 avril dernier, Marcel Vidal prit part au débat suscité par la question orale posée par notre collègue M. Gérard César sur l'avenir de la viticulture. Il aimait à souligner combien le vin participait de la culture occidentale et à marquer que les enjeux autour de sa production et de sa consommation n'avaient jamais été aussi déterminants. C'est sur ce thème, - comme par un retour symbolique et prémonitoire à ses origines -, que Marcel Vidal avait pris congé de nous. Le vin, qui est symbole de vie dans certains rituels religieux de notre continent, fut en quelque sorte, pour nous tous, son ultime message.
Cet homme aux racines locales profondes restera dans nos mémoires pour sa droiture, son humilité, son ambition pour sa ville, son territoire et son pays.
Il fera référence pour les élus de la Nation par la force de ses engagements, la qualité de ses interventions et son attention aux autres.
À son épouse et à ses filles, à toute sa famille et à ses proches, j'exprime la sympathie émue de notre Assemblée et les assure de la part personnelle que nous prenons à leur chagrin.
Aux membres du groupe socialiste et à ses collègues de la commission des affaires culturelles, j'exprime notre compassion et nos sincères condoléances.
Merci, Marcel Vidal, pour ce que vous avez été. Le Sénat restera fidèle, j'en suis sûr, à votre souvenir. (MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au nom du Gouvernement, je tiens à m'associer à l'hommage qui est aujourd'hui rendu à Marcel Vidal, sénateur de l'Hérault.
Après de longs mois de souffrance, Marcel Vidal s'est éteint en juillet dernier. Avec lui, c'est l'un des plus anciens membres de votre Haute Assemblée qui disparaît, un élu attentif, dévoué à ses concitoyens, une personnalité toujours accessible, disponible, un élu soucieux de servir son pays.
Marcel Vidal s'engage très tôt dans la vie politique. Comme vous l'avez dit, monsieur le président, il a la vocation de la vie publique, et celle-ci est effectivement précoce. Très jeune, à peine âgé de vingt-cinq ans, Marcel Vidal obtient son premier mandat de maire de Nébian. Deux ans plus tard, en 1967, ses concitoyens l'élisent au conseil général.
C'est l'estime et le soutien que lui portent les habitants du canton de Clermont-l'Hérault qui le conduisent à briguer avec succès, en 1971, la mairie de ce chef-lieu de canton. Les Clermontais lui renouvelleront leur confiance sans interruption durant trente ans. Il aura accompli un travail remarquable, au service de ses concitoyens et de sa cité.
Fort de cette assise locale et de son expérience d'élu de terrain, il devient sénateur en 1980, à peine âgé de quarante ans.
Parlementaire assidu, Marcel Vidal fut un membre écouté de la commission des affaires culturelles où il avait su gagner l'estime et le respect de tous ses collègues.
Ses centres d'intérêt se caractérisaient par un réel éclectisme. Pianiste brillant, excellent connaisseur des milieux artistiques, il était l'un des meilleurs spécialistes du cinéma et du théâtre vivant, ainsi qu'en témoignent ses nombreuses interventions, notamment à l'occasion de l'examen du texte relatif au mécénat, aux associations et aux fondations, qui sera finalement adopté en août 2003.
Ses compétences reconnues et sa forte implication dans le travail parlementaire en matière culturelle ont tout naturellement conduit votre Haute Assemblée à le désigner pour la représenter au Centre Pompidou. Il en présida le conseil d'orientation de 1998 à 2002, puis fut vice-président du conseil d'administration jusqu'à sa disparition.
Homme de culture, Marcel Vidal avait une autre passion, celle de sa région. Il était très impliqué dans les problématiques d'aménagement du territoire, de développement local et d'environnement. C'est ainsi qu'il réussit à obtenir le classement du lac du Salagou comme site naturel protégé.
Il a également été un membre particulièrement actif de la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages, au sein de laquelle il représentait votre Haute Assemblée.
Enfin, élu de l'Hérault, Marcel Vidal était naturellement concerné par les questions agricoles, en général, et viticoles, en particulier.
Homme d'une grande courtoisie et d'une grande humilité, il laissera le souvenir d'un parlementaire respectueux des autres, accomplissant son mandat avec un sens aigu du devoir.
À sa famille, à ses proches, au président du groupe socialiste ainsi qu'à ses collègues, j'exprime, au nom du Gouvernement, nos condoléances très sincères.
M. le président. Messieurs les ministres, mes chers collègues, conformément à la tradition, en signe de deuil, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures cinquante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Secteur de l'énergie
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif au secteur de l'énergie (nos 3, 6, 7).
Mes chers collègues, comme vous le savez, j'ai toujours été très attaché au respect des droits de chaque sénatrice et de chaque sénateur, de chaque groupe politique, de la majorité comme de l'opposition, qu'il s'agisse du droit de parole ou du droit d'amendement.
À l'ouverture d'un débat important, et en tant que président d'une assemblée réputée pour la qualité de ses travaux, je tiens à vous dire que je suis heureux de cette nouvelle occasion qui nous est donnée d'illustrer notre capacité à débattre au fond et dans la sérénité, et que je veillerai personnellement au bon déroulement de nos travaux.
J'y serai d'autant plus attentif que nous travaillons sous le regard de nos concitoyens, qui attendent de leurs représentants qu'ils fassent preuve de dignité, de sagesse et de d'efficacité dans l'accomplissement de leur mission de législateur.
Par-delà nos légitimes divergences politiques, je sais, mes chers collègues, pouvoir compter sur chacun d'entre vous pour rester fidèle à la tradition sénatoriale de sérieux de nos discussions et demeurer en cohérence avec notre volonté commune, réaffirmée à plusieurs reprises, d'améliorer nos méthodes de travail. C'est bien ce principe de responsabilité qui doit régir nos rapports au sein du Sénat.
La qualité de nos débats servira ainsi, je n'en doute pas, l'image de notre institution, à laquelle nous sommes tous, à juste titre, très attachés. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Dépôt d'une motion référendaire
M. le président. J'informe le Sénat que, en application de l'article 11 de la Constitution et de l'article 67 du règlement, M. Jean-Pierre Bel, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, Mme Marie-Christine Blandin et plusieurs de leurs collègues présentent une motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au secteur de l'énergie. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
En application de l'alinéa 1er de l'article 67 du règlement, cette motion doit être signée par au moins trente sénateurs dont la présence doit être constatée par appel nominal.
Il va donc être procédé à l'appel nominal.
Huissier, veuillez procéder à l'appel nominal.
(L'appel nominal a lieu.)
M. le président. Acte est donné du dépôt de cette motion.
Ont déposé cette motion : Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Éliane Assassi, Marie-France Beaufils, MM. Michel Billout, Robert Bret, Yves Coquelle, Mmes Annie David, Michelle Demessine, MM. Guy Fischer, Thierry Foucaud, Robert Hue, Gérard Le Cam, Mmes Hélène Luc, Josiane Mathon-Poinat, MM. Jack Ralite, Ivan Renar, Bernard Vera, Jean-François Voguet, Mme Bariza Khiari, MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Michel Charasse, Roland Ries, Mmes Claire-Lise Campion, Michèle San Vicente, Nicole Bricq, M. Claude Domeizel, Mme Maryse Bergé-Lavigne, M. Michel Teston, Mme Yolande Boyer, MM. Daniel Raoul, Roger Madec, Bernard Piras, Robert Tropeano, Jean-Marc Pastor, Jean-Pierre Demerliat, Marc Massion, Michel Sergent, Daniel Reiner, Jean-Pierre Michel, Jacques Mahéas, Yannick Bodin, Claude Haut, Mme Annie Jarraud-Vergnolle, M. Bertrand Auban, Mme Catherine Tasca, MM. Roland Courteau, Marcel Rainaud, André Lejeune, Mmes Dominique Voynet, Odette Herviaux, MM. Bernard Frimat, Gérard Miquel, Jean-Pierre Bel, Jean-Luc Mélenchon, David Assouline, Mme Raymonde Le Texier, MM. Jean Desessard et Jean-Pierre Godefroy.
Cette motion sera imprimée sous le n° 8, distribuée et renvoyée à la commission des affaires économiques.
Conformément à l'article 67, alinéa 2, du règlement, la discussion de cette motion aura lieu « dès la première séance publique suivant son dépôt », c'est-à-dire demain mercredi 11 octobre, à quinze heures, avant la discussion des trois autres motions.
Rappels au règlement
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Mon intervention se fonde sur l'article 36 de notre règlement.
Je tiens d'emblée à souligner mon étonnement : je suis surprise que le Sénat entame ainsi une discussion sur un projet de loi visant à privatiser Gaz de France et à libéraliser à terme l'ensemble du secteur de l'énergie.
En effet, ceux qui soutiennent aujourd'hui une telle privatisation votaient avec une certaine solennité voilà seulement deux ans le maintien de l'État dans le capital de GDF-EDF à hauteur de 70 %, afin de respecter les engagements qui avaient été pris, notamment auprès des organisations syndicales.
M. Sarkozy, qui était alors ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, s'était personnellement engagé à de multiples reprises en faveur du maintien de ces deux grandes entreprises dans le secteur public.
Monsieur le président, M. Nicolas Sarkozy, qui est toujours membre du Gouvernement - il en est même le numéro deux, avec un rang de ministre d'État -, doit, me semble-t-il, venir s'expliquer devant la représentation nationale sur son invraisemblable retournement d'opinion.
Mme Hélène Luc. Eh oui !
M. Guy Fischer. C'est la moindre des choses !
Mme Michelle Demessine. Le débat est faussé par un tel mensonge. Qui peut croire un instant que vous n'avez pas l'intention de privatiser demain EDF ? La parole du Gouvernement a perdu toute crédibilité.
M. Guy Fischer. C'est vrai !
Mme Michelle Demessine. Nous ne pouvons pas assister les bras croisés à une liquidation sans précédent d'un secteur primordial pour l'indépendance énergétique de notre pays !
Monsieur le président, je vous demande de suspendre la discussion du présent projet de loi, afin de permettre en préalable à M. Nicolas Sarkozy, l'homme qui avait promis le maintien de GDF dans le secteur public, de venir s'expliquer.
S'il y a une raison, ne serait-ce qu'une seule, qui justifie à ses yeux de nous avoir trompés, d'avoir abusé le peuple, qu'il vienne la présenter ici et maintenant !
Le Président de la République s'étant également exprimé dans le même sens, le débat qui s'ouvre est souillé par un véritable mensonge d'État.
M. Guy Fischer. Eh oui !
Mme Michelle Demessine. Notre peuple, les salariés d'EDF-GDF et les usagers ont été trompés ! (Mmes et MM. les sénateurs du groupe CRC se lèvent et arborent des maillots bleus sur lesquels il est inscrit, sur k devant : « EDF-GDF : 100 % public » et, au dos : « Non à la fusion GDF-Suez ». - Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.- Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)
Monsieur le président, c'est l'honneur de nos institutions qui est en cause. Il n'est pas possible d'engager sereinement le débat sur la base d'un tel reniement.
Quelle image de la politique de tels actes peuvent-ils donner ? Quelle confiance le peuple peut-il accorder à ses représentants ?
Selon M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, ancien président de France Télécom,...
Mme Michelle Demessine. ... « les temps ont changé ».
Mais, monsieur le ministre, en quoi l'augmentation des cours du pétrole doit-elle modifier la participation de l'État au capital d'EDF et de GDF ? Bien au contraire, les incertitudes nouvelles confirment le caractère stratégique de telles entreprises et donc la nécessité de l'implication et de la maîtrise du politique dans ce secteur. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement.
La parole est à M. Gérard Le Cam, pour un rappel au règlement.
M. Gérard Le Cam. Mon rappel au règlement se fonde sur l'organisation de nos travaux.
Une nouvelle fois, la précipitation est de mise pour l'examen d'un projet de loi qui est pourtant fondamental pour l'avenir de notre pays.
Mme Hélène Luc. C'est vrai !
M. Gérard Le Cam. Alors que le débat à l'Assemblée nationale a soulevé plus de questions qu'il n'a apporté de réponses, que des manoeuvres importantes se déroulent autour des grandes entreprises énergétiques européennes depuis quelques jours, que Gazprom monte encore en puissance, la commission des affaires économiques a auditionné un nombre extrêmement restreint de personnalités dès le lendemain de l'adoption du présent projet de loi par l'Assemblée nationale. Le rapport de M. Poniatowski a été présenté le même jour.
Or le texte législatif a été profondément remanié par les députés UMP. Cela nécessitait donc, ne serait-ce que pour cette raison, un examen préalable à toute discussion approfondie.
Lors de son audition, M. le ministre a tenu des propos assez convenus et le rapport de M. Poniatowski se limite à justifier laborieusement un reniement. Dans ces conditions, la commission des affaires économiques aurait dû entendre les différents acteurs concernés par le sujet pendant au moins une semaine. Je pense notamment aux ministres qui étaient en charge de ce dossier en 2004, ainsi qu'à la commissaire européenne chargée de la concurrence, Mme Neelie Kroes.
En effet, comment est-il possible de démarrer un tel débat sans avoir auditionné celle qui, nous dit-on, fait la pluie et le beau temps en matière énergétique au sein de l'Union européenne ?
Mme Kroes veut casser le secteur public ; elle ne s'en cache d'ailleurs pas. Il aurait donc été intéressant de confronter les points de vue. Peut-être aurait-elle pu informer la représentation nationale quant aux recommandations de la Commission européenne visant à conditionner l'éventuelle mise en place éventuelle du futur groupe GDF / Suez...
Sans doute M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie nous dira-t-il que cela ne regarde pas les parlementaires. Mais c'est M. le Premier ministre qui a d'emblée établi un lien, le 25 février dernier, entre l'ouverture à la concurrence et la fusion entre GDF et Suez, et ce au nom d'un patriotisme économique aux relents d'abandon du patrimoine industriel national aux profits des appétits financiers !
L'audition de Mme Kroes eût été intéressante pour bien percevoir le décalage entre les aspirations qui ont été exprimées le 29 mai 2005 et la poursuite d'une politique ultra-libérale contre vents et marées.
Le président de la commission des affaires économiques ne semble pas avoir souhaité ces auditions. C'est logique, puisque M. le rapporteur désire un vote conforme sur les articles essentiels du texte, ses amendements visant simplement à réduire les pouvoirs des parlementaires au sein de la Commission de régulation de l'énergie.
Décidément, vous ne voulez pas du politique dans l'économie, mais vous appréciez beaucoup l'économie dans le politique ! N'est-ce pas, monsieur Breton ?
L'absence de travail approfondi...
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Quelle absence de travail approfondi ?
M. Gérard Le Cam. ... de l'ensemble de la commission des affaires économiques montre bien la conception du rôle du Parlement qui est celle de l'UMP.
Vous voulez un Parlement « droit dans ses bottes », aux ordres et susceptible de voter blanc un jour, noir le lendemain, mais sombre toute l'année pour les Françaises et les Français !
Je demande donc solennellement au Sénat de surseoir à l'examen du présent projet de loi et de procéder aux auditions nécessaires avant la discussion générale. Nous devons notamment entendre MM. Sarkozy et Devedjian, Mme Kroes, ainsi que des responsables d'organisations représentant les consommateurs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en ce début du mois d'octobre, je suis heureux de me retrouver parmi vous, en compagnie de François Loos, ministre délégué à l'industrie, pour reprendre les discussions que nous avions engagées dans cet hémicycle avant l'été sur la stratégie énergétique de notre pays.
En effet, c'est bien de cela dont il s'agit, ainsi que - les orateurs précédents l'ont évoqué implicitement - de l'avenir de Gaz de France.
Je vous le rappelle, le projet de loi relatif au secteur de l'énergie a été adopté le 3 octobre dernier en première lecture à l'Assemblée Nationale, après quatre semaines de débats, qui ont été longs et de qualité. Au cours de ces discussions, chacun a pu - je parle sous le contrôle de M. le ministre délégué à l'industrie - s'exprimer et poser des questions, certes parfois un peu répétitives. Nous y avons toujours répondu avec la même volonté de ne laisser aucune interrogation de côté, conformément aux voeux du Président de la République, qui a souhaité la session extraordinaire du mois de septembre.
Je sais que nous avons déjà eu ce débat sur ce sujet au mois de juin. Ainsi que nous venons d'en avoir un aperçu, nous aurons une nouvelle discussion de grande qualité au sein de la Haute Assemblée.
À cet égard, je voudrais remercier M. Emorine, président de la commission des affaires économiques, M. Poniatowski, rapporteur de cette même commission, et M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances, ainsi que l'ensemble des membres de cette assemblée, d'avoir accompli un travail préparatoire approfondi tout l'été. J'ai moi-même pu le constater.
En effet, j'ai eu l'occasion de discuter et d'échanger avec nombre d'entre vous. Je pense notamment au président de la commission des affaires économiques et au rapporteur. Nous avons essayé ensemble d'enrichir ce projet de loi, conformément au souhait des uns et des autres que le texte présenté au Parlement, en particulier au Sénat, puisse répondre aux préoccupations des Françaises et des Français.
Le 15 juin dernier, nous avons eu ensemble un débat approfondi et d'une grande qualité. Nous avons abordé l'ensemble des questions qui se posent en la matière, en particulier la sécurité énergétique de nos compatriotes.
Au terme de ce travail, je veux saluer l'investissement de tous ceux d'entre vous - ils sont nombreux dans cet hémicycle - qui se sont intéressés à ces questions, ont pris en compte toutes les dimensions et ont évalué avec soin toutes les options en présence avant de se forger leur intime conviction.
Avant d'entrer dans l'examen du projet de loi relatif au secteur de l'énergie, je voudrais au préalable replacer nos discussions dans le contexte de deux faits majeurs
Nous le savons, en matière de ressources énergétiques, notre monde se trouve à la croisée des chemins entre les impératifs de la croissance démographique et l'épuisement progressif des ressources fossiles.
Sur le plan démographique, la population mondiale devrait passer de 6 milliards à 9 milliards d'habitants au cours des trois prochaines décennies, c'est-à-dire pour la génération qui vient. Chaque pays, chaque être humain, réclamera légitimement sa part d'énergie.
Nous devrons simultanément faire face à des défis colossaux, comme le besoin d'investissement dans le secteur de l'énergie, qui nécessitera également plus de 1 000 milliards d'euros d'investissements pendant les 3 prochaines décennies, afin de faire face à la seule demande européenne.
Dans le même temps, les ressources énergétiques fossiles, en particulier le pétrole, parviendront à leur maximum de production. Je pense au fameux peak oil, c'est-à-dire au point d'inflexion des réserves mondiales de pétrole ; il devrait être atteint au cours des prochaines décennies.
Dans ce contexte, le monde de l'énergie a profondément changé depuis 2004. On peut refuser de voir cette réalité, mais c'est la responsabilité du Gouvernement de l'évoquer, tout comme c'est l'honneur du Parlement, en particulier du Sénat, de bien vouloir en discuter et de prendre en compte les éléments les plus importants s'agissant des changements auxquels nous devons nous préparer.
En effet, le monde a pris conscience de la réalité de l'épuisement désormais prévisible des ressources fossiles. Simultanément, la demande a explosé, en particulier avec le dynamisme des nouvelles économies asiatiques, alors même que l'instabilité géostratégique des zones de production ne cesse de croître.
Nous devons donc faire face à la quasi-disparition durable des surcapacités de production en matière d'hydrocarbures fossiles, qui a conduit à une très forte hausse des cours du pétrole : cet été, le baril a dépassé les soixante-dix dollars, atteignant même presque les quatre-vingts dollars. Personne ne pouvait anticiper une telle hausse.
M. Guy Fischer. C'est l'État qui se remplit les poches !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. C'est faux !
M. Thierry Breton, ministre. En tout cas, cette prise de conscience a mis en lumière le rôle tout particulier que doit jouer le gaz dans l'équilibre énergétique futur.
Les réserves en gaz sont encore abondantes, même si elles sont très concentrées, encore plus que les réserves pétrolières, sur un nombre très limité de pays. Je pense notamment à la Russie, à l'Algérie, aux pays de la mer du Nord - en l'occurrence, leurs ressources s'épuisent -, au Qatar, au Yémen et, dans une moindre mesure, à l'Égypte.
Dans ces conditions, la sécurité d'approvisionnement du gaz en Europe prend une dimension toute nouvelle.
Au moment où s'amorce l'ère de « l'après-pétrole », la sécurité de notre approvisionnement en gaz prend une importance nouvelle. L'émergence de pays producteurs qui contrôlent pratiquement les réserves les plus importantes de la planète - je pense en particulier à la Russie et à l'Algérie - crée un environnement nouveau auquel il convient de nous préparer.
Dans ce contexte, personne ne pouvait anticiper l'accélération de la concentration et la course au gigantisme des acteurs industriels de ce secteur. Vous le savez tous, le secteur de l'énergie est un univers dur. Les termes désormais employés, que je reprends d'ailleurs à mon compte, appartiennent au vocabulaire guerrier. Nous vivons une guerre énergétique, il faut nous préparer à affronter ces nouveaux défis.
Les acteurs incontournables fixent désormais leurs conditions. Ceux qui sont trop faibles, ou mal organisés, les subissent. Face aux détenteurs des ressources de gaz ou de pétrole, incontournables par définition, il nous faut donc construire des acheteurs susceptibles d'être une force de négociation puissante, diversifiée, rétablissant un nécessaire équilibre et capables d'investir massivement au niveau international dans les champs d'hydrocarbures, notamment les champs gaziers. Quand on n'a ni pétrole ni gaz, on n'a pas le droit de rester immobile.
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. Thierry Breton, ministre. Voilà donc les principaux éléments du contexte énergétique. Face à cela, nous disposons, mesdames, messieurs les sénateurs, d'un héritage qui constitue notre bien commun. Je veux parler, bien sûr, des choix industriels courageux faits par nos prédécesseurs dans le domaine de l'énergie nucléaire ; je pense évidemment au général de Gaulle.
J'ouvre une parenthèse, car j'ai noté qu'une candidate potentielle à l'élection présidentielle a publié une tribune de quatre colonnes sur l'énergie, parue hier dans l'édition d'un grand quotidien économique rédigée uniquement par des femmes - ce qui est une très bonne idée. Comme vous tous, sachant que nous allions avoir un grand débat sur l'énergie, j'ai lu cette tribune...
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. C'est intéressant !
M. Thierry Breton, ministre. Dans un texte qui voudrait préfigurer les défis énergétiques de demain, vus de France, cette candidate potentielle ne cite pas une seule fois le mot « nucléaire » !
M. Henri de Raincourt. Incroyable !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission des affaires économiques. Révélateur !
M. Thierry Breton, ministre. Eh oui, monsieur le sénateur ! Il y a ceux qui se gargarisent de mots et ceux qui agissent, à partir de la situation reçue en héritage. Pas une seule fois, elle ne fait mention du nucléaire, cet héritage commun qui fonde la France d'aujourd'hui, et encore plus celle de demain, et nous permet de parler d'indépendance énergétique ! Je respecte toutes les idées : on peut être pour ou contre, mais encore faut-il avoir le courage de dire pourquoi !
M. Roland Courteau. On peut aussi changer d'avis, comme Nicolas Sarkozy !
M. Thierry Breton, ministre. Notre héritage commun va bien au-delà du choix du nucléaire. C'est l'ensemble de l'économie européenne qui doit s'adapter à cette nouvelle donne. En 2002, au sommet de Barcelone, les États membres de l'Union ont décidé à l'unanimité, la France étant représentée par Lionel Jospin, alors Premier ministre,...
M. Roland Courteau. Sous la présidence de Jacques Chirac ! C'est lui qui décidait !
M. Thierry Breton, ministre. ...de constituer un grand marché européen de l'énergie. La France y a souscrit.
M. Daniel Raoul. À quelles conditions ?
M. Thierry Breton, ministre. C'est un fait historique ! Les directives européennes ont ensuite mis en oeuvre cette décision. Cette évolution, tous les pays européens l'ont voulue, à l'unanimité.
M. Daniel Raoul. C'est faux !
M. Thierry Breton, ministre. En France, les dirigeants successifs, de gauche comme de droite, ont souscrit à cette politique parce qu'elle était essentielle à nos intérêts stratégiques à long terme.
M. Roland Courteau. On a posé deux conditions !
M. Thierry Breton, ministre. C'est donc un héritage commun. À long terme, en effet, seul un grand marché européen de 460 millions d'habitants pourra protéger nos intérêts énergétiques dans un monde de neuf milliards d'habitants.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Là, c'est le contraire ! L'avenir, c'est le grand pôle public !
M. Thierry Breton, ministre. Nous ne pèserons que près de 5 %. Voilà le poids de notre Europe, il faut le savoir, même si nous sommes fiers d'elle.
Les nouvelles règles applicables au secteur de l'énergie sont entrées en vigueur progressivement depuis le sommet de Barcelone. Cette évolution connaîtra une étape décisive le 1er juillet 2007, que personne n'a le droit d'ignorer. C'est pour nous préparer à ce défi que j'invite la Haute Assemblée à légiférer aujourd'hui...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La majorité des Français est contre !
M. Guy Fischer. Pour l'intérêt des actionnaires !
M. Thierry Breton, ministre. En effet, le 1er juillet 2007, la directive énergie s'appliquera de facto dans l'ensemble des pays de l'Union européenne, avec deux conséquences.
D'abord, l'ouverture des marchés sera effective pour tous les consommateurs, y compris les particuliers.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est l'augmentation des prix pour tous !
M. Thierry Breton, ministre. Ensuite, obligation sera faite à Gaz de France de proposer ses tuyaux à tous ses concurrents afin de leur permettre de livrer leur gaz à leurs clients. Ce qui va se passer le 1er juillet 2007 est la conséquence directe des décisions prises en 2002 au sommet de Barcelone. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Robert Bret. Qu'ont dit les Français le 29 mai 2005 ?
M. Thierry Breton, ministre. Si rien n'était fait, nous serions alors face à un vide juridique, ce qui créerait naturellement une situation incertaine et complexe pour les clients comme pour les entreprises, qui n'auraient aucune assurance de conserver l'accès aux tarifs réglementés. Or vous savez que le Gouvernement souhaite maintenir ces tarifs pour les particuliers français. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
C'est pour cela que des mesures législatives sont nécessaires, afin d'assurer une réelle transposition des directives européennes sur le marché de l'énergie...
M. Robert Bret. Mensonge d'État !
M. Yves Coquelle. Vous bradez l'industrie !
M. Thierry Breton, ministre. ... dans des conditions conformes à nos exigences et à nos valeurs en matière de protection des consommateurs.
Dès lors, la date du 1er juillet 2007, loin d'ouvrir une période d'incertitude, doit se traduire par des possibilités supplémentaires pour les clients, ...
M. Guy Fischer. Pour les actionnaires !
M. Thierry Breton, ministre. ... par de nouvelles libertés et non par la fin des tarifs réglementés, qui constituent un dispositif essentiel.
C'est pourquoi, avec François Loos, nous avons saisi le Conseil supérieur de l'énergie sur ces sujets. Au terme d'un travail d'un grand sérieux, auquel je tiens à rendre hommage, au cours duquel toutes les parties prenantes ont pu s'exprimer, qu'il s'agisse des parlementaires, des syndicats, ...
M. Yves Coquelle. Vous n'avez pas écouté les syndicats !
M. Thierry Breton, ministre. ... des entreprises, des consommateurs, des collectivités locales, de la Commission de régulation de l'énergie, le Conseil nous a rendu un rapport qui a orienté nos travaux - nous en avons beaucoup parlé avec le président de la commission des affaires économiques et avec le rapporteur - et a inspiré le texte qui vous est présenté aujourd'hui.
Dans la préparation de notre projet de loi, nous avons privilégié une approche favorisant systématiquement la protection des consommateurs.
Tout d'abord, le Gouvernement souhaite donner la possibilité à tous les particuliers consommateurs d'électricité et de gaz qui le souhaitent de pouvoir rester au tarif réglementé. Nous avons tenu, par exemple, à ce que la loi leur permette d'avoir accès à nouveau au tarif réglementé lorsqu'ils déménageront.
Cela concerne à peu près trois millions de nos compatriotes chaque année. Lors d'un déménagement, la question du changement de prestataire et de fournisseur d'énergie peut se poser. Il faut permettre à nos compatriotes de pouvoir revenir à cette occasion au tarif réglementé s'ils le souhaitent. Le texte dont nous allons débattre le prévoit.
Nous proposons ensuite la mise en place d'un tarif social pour le gaz, similaire au tarif spécial « produit de première nécessité » que nous avons instauré pour l'électricité. Les personnes en situation de précarité pourront ainsi bénéficier de conditions favorables pour une part importante de leur consommation de gaz. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
M. Guy Fischer. Ce n'est pas vrai, on n'arrive pas à les aider !
Mme Hélène Luc. Vous racontez des histoires ! C'est de la démagogie !
M. Thierry Breton, ministre. Nous avons, par ailleurs, annoncé l'augmentation de l'aide offerte au titre du tarif « produit de première nécessité » pour l'électricité. C'est une réalité de ce texte. Cette possibilité n'existait pas auparavant, il fallait légiférer en ce sens et c'est ce que nous faisons ! (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. On aimerait pouvoir entendre le ministre !
M. Thierry Breton, ministre. Ceux d'entre vous qui le souhaitent pourront éventuellement rejeter cette disposition, mais nous vous la proposons, car nous estimons qu'elle est importante pour nos compatriotes les plus défavorisés. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
M. Guy Fischer. Les pauvres des Minguettes attendent ! On sait ce qu'il en est !
M. Thierry Breton, ministre. Enfin, pour garantir un service de qualité et une meilleure prise en compte de l'intérêt des consommateurs, ce projet de loi complète également, et c'est important, le droit de la consommation.
Il comporte des dispositions de protection et d'information du consommateur d'électricité et de gaz, tant pour les offres qui leur seront faites - et on sait qu'elles seront nombreuses à compter du 1er juillet 2007, il faut donc s'y préparer - que pour les contrats qu'ils seront amenés à signer. Il introduit également un médiateur de l'énergie.
Par ailleurs, nous vous proposerons un amendement permettant d'améliorer l'information des consommateurs sur l'énergie au sens large - en particulier sur les carburants, sujet très sensible pour tous les automobilistes français - par la création d'un site Internet, comme il en existe désormais dans de très nombreux pays, mettant à leur disposition une information complète et transparente sur les prix.
Mais protéger les consommateurs, c'est aussi protéger nos entreprises consommatrices d'électricité. Confrontée à une forte hausse du prix des hydrocarbures et à la disparition des surcapacités de production en électricité, l'Europe voit les prix de l'électricité augmenter de façon importante depuis 2004.
Cette augmentation ne touche pas les particuliers, puisqu'ils sont protégés. Je rappelle à cet égard qu'EDF a pris l'engagement de ne pas augmenter, pendant les cinq ans qui viennent, les tarifs pour les particuliers au-delà de l'inflation. Cet engagement a eu une traduction immédiate cette année, puisque les augmentations observées ont été inférieures à l'inflation. Cette disposition sera vraisemblablement renouvelée tous les cinq ans. En revanche, les entreprises n'en bénéficient pas.
C'est pourquoi l'Assemblée nationale a enrichi cet ensemble de mesures par des amendements prévoyant l'instauration d'un « tarif de transition » de l'électricité en faveur des entreprises qui ont opté pour le marché libre et qui voudraient revenir au tarif réglementé. Ce dispositif permet aux entreprises de disposer de tarifs d'électricité assurant leur compétitivité tout en limitant leur facture énergétique, mais aussi en préservant l'existence du marché concurrentiel et de ses opérateurs.
Comme je m'y étais engagé, le Gouvernement a soutenu ce dispositif. Nous pourrons, au cours de nos débats, examiner les améliorations qui pourraient y être apportées.
J'avais rappelé, avant l'été, les objectifs essentiels à satisfaire, du point de vue du Gouvernement.
Tout d'abord, il s'agit de respecter nos engagements européens. Ce dispositif transitoire doit permettre une adaptation progressive au marché européen en protégeant les consommateurs industriels contre une spéculation à court terme sur le prix de l'électricité. Il doit préserver la concurrence entre les fournisseurs d'électricité.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous saviez tout cela il y a deux ans !
M. Thierry Breton, ministre. Ensuite, il convient de préserver l'avenir en ne décourageant pas l'investissement ; il faut trouver un juste équilibre entre le fait de proposer un tarif faible et la nécessité d'investir dans de nouvelles capacités de production.
Le renforcement des pouvoirs de la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, est également un axe important d'amélioration du fonctionnement du marché de l'énergie. Comme je l'avais indiqué lors du débat du mois de juin dernier, le Gouvernement est favorable au principe d'un renforcement des pouvoirs de la CRE en matière de surveillance des marchés organisés et de vérification de l'indépendance de l'exploitation des réseaux de transport. Des amendements en ce sens ont été adoptés par l'Assemblée nationale ; je les ai évoqués devant la commission des affaires économiques.
En ce qui concerne l'évolution de la composition du collège de la CRE, le débat n'est pas clos, et votre rapporteur fera des propositions intéressantes en la matière...
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Exactement !
M. Thierry Breton, ministre. ... que le Gouvernement écoutera avec beaucoup d'attention et d'intérêt.
Il convient également d'accorder à Gaz de France une plus grande flexibilité dans la gestion de son capital, afin qu'il puisse se développer à armes égales avec ses concurrents.
M. Robert Bret. Flexibilité, ça veut dire privatiser !
M. Guy Fischer. Ils n'osent pas dire « privatisation » !
M. Thierry Breton, ministre. La proposition du Gouvernement part d'un constat simple : face au mouvement de consolidation des acteurs de l'énergie en Europe, Gaz de France n'est qu'un acteur de taille moyenne par rapport aux géants du secteur. Cette appréciation ne doit pas être interprétée comme une critique ; c'est une constatation objective à prendre en considération dans le débat qui commence aujourd'hui.
Certes, Gaz de France compte onze millions de clients et dispose d'un réseau de transport, d'un savoir-faire apprécié par les collectivités locales, d'une image extrêmement forte auprès des consommateurs. C'est un capital non négligeable.
M. Jean Desessard. Puisque cela marche, il faut changer !
M. Thierry Breton, ministre. Cependant, GDF n'est un acteur décisif dans le secteur du gaz qu'en France et ne représente que 14 % des ventes de gaz en Europe.
M. Yves Coquelle. Et alors ?
M. Thierry Breton, ministre. Gaz de France n'est que le distributeur d'un gaz qu'il achète en totalité à l'étranger.
M. Yves Coquelle. Et alors ?
M. Robert Bret. GDF met en place des coopérations !
M. Thierry Breton, ministre. Je sais que certains le découvrent, je sais que certains le regrettent, mais nous n'avons plus de gisements de gaz en France.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quel argument !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et alors ? Est-ce une raison pour privatiser ?
M. Thierry Breton, ministre. Son activité de production est donc faible. Gaz de France ne produit pas l'énergie qu'il distribue, contrairement à EDF qui, grâce au nucléaire,...
M. Guy Fischer. Sur ce point, nous avons joué un rôle important !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Merci aux communistes !
Mme Hélène Luc. Les gaullistes se sont reniés !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous n'avez pas de leçons à nous donner sur ce point !
M. Thierry Breton, ministre. Gaz de France n'en est pas là, comme vous le savez, et c'est bien de cela qu'il faut impérativement que nous parlions.
J'attire votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, sur le fait que, à partir du 1er juillet 2007,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous ne serez plus là !
M. Thierry Breton, ministre. ... Gaz de France, gestionnaire d'infrastructures, devra transporter le gaz de tous ses concurrents, que vous le vouliez ou non !
M. Gérard Le Cam. On ne le veut pas !
M. Thierry Breton, ministre. Nous allons peut-être pouvoir tomber d'accord, car nous non plus nous ne voulons pas laisser Gaz de France de côté, car nous aussi, tout comme vous, nous voulons lui donner les moyens de faire face à cette nouvelle réalité qui a été fondée en 2002 au sommet de Barcelone. Telle est la situation, mesdames, messieurs les sénateurs, à laquelle il faudra apporter des réponses ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n'est pas cela, la démocratie ! C'est le peuple qui décide, pas la technocratie !
M. Thierry Breton, ministre. Par ailleurs, ce n'est un secret pour personne, Gaz de France n'est pratiquement pas présent dans le secteur de l'électricité.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n'est pas le problème !
M. Thierry Breton, ministre. Or, dans un marché de l'énergie qui se consolide, il est indispensable de pouvoir présenter des offres mixtes aux clients. Pensez aux clients ! (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Laissez parler le ministre ! On vous écoutera plus tard !
M. Guy Fischer. Vous allez rendre service aux actionnaires, monsieur Marini !
M. Thierry Breton, ministre. N'oubliez jamais les clients, car ce sont eux, in fine, qui décideront quel sera leur fournisseur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Ce constat étant fait, Gaz de France doit pouvoir s'adapter et trouver les alliances qui seront les meilleures pour l'entreprise et ses clients. Gaz de France doit pouvoir nouer des alliances pour investir en amont...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quand on a privatisé, les résultats ont été formidables !
M. Robert Bret. Vous privilégiez les actionnaires !
M. Thierry Breton, ministre. Nous allons parler d'EDF, ne vous inquiétez pas ! La question a été longuement examinée. Certaines personnalités, du reste, nous ont bien aidés dans notre réflexion : je pense à M. Roulet, à Mme Bricq, à tous ceux qui ont contribué à nous faire prendre conscience que c'était là un sujet majeur et qu'il convenait de l'étudier avec sérieux, sans se borner à affirmer, parce que c'est un peu facile, qu'il suffit tout simplement de marier EDF et GDF,...
Mme Hélène Luc et M. Robert Bret. Absolument !
M. Guy Fischer. C'est la sagesse !
M. Thierry Breton, ministre. ... sans se préoccuper du champ concurrentiel dans lequel nous nous situons. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe CRC brandissent à nouveau leurs maillots.)
Nous allons parler de cette question, et François Loos et moi-même prendrons tout le temps nécessaire pour vous répondre.
Auparavant, je voudrais revenir sur un point essentiel : tous les opérateurs européens, je dis bien tous, ont fait le constat que j'ai évoqué, y compris l'opérateur gazier historique du Portugal. Quand celui-ci a voulu se marier avec la compagnie nationale d'électricité portugaise, la Commission européenne a invalidé ce mariage - on vous expliquera pourquoi -,...
M. Robert Bret. Écoutez les Français !
M. Thierry Breton, ministre. ... décision qui a été validée par la Cour européenne de justice. Ce fut donc une double invalidation.
M. Yves Coquelle. Écoutez les usagers, écoutez les salariés !
M. Thierry Breton, ministre. J'ai remis les rapports correspondants à M. le président de la commission des affaires économiques. Ils sont à la disposition de tous ceux qui croient encore que nous sommes au XXe siècle, et pas au XXIe siècle.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On nous a dit la même chose à propos de la délinquance ! On n'est plus en 1945, c'est sûr, mais vous n'êtes pas de Gaulle !
M. Thierry Breton, ministre. Je vous donnerai ces éléments, qui permettront de vous éclairer ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Quoi qu'il en soit, je le répète, tous les autres opérateurs européens ont fait le constat susdit, que ce soit l'allemand E.ON, qui vient de mettre au point une offre publique d'achat pour l'opérateur espagnol Endesa, que ce soit RWE, que ce soit ENEL, qui cherche, et c'est légitime, à nouer une alliance pour pouvoir faire face aux défis qui se présentent, tout comme Suez ou le britannique Centrica.
Voilà le monde dans lequel nous vivons, et voilà la question qui nous est posée. C'est vrai, nous aurions peut-être préféré ne pas avoir à y répondre : cela eût été plus facile, pour vous qui devez maintenant siéger, ainsi que pour le Gouvernement, qui a dû engager, mais c'est à son honneur, ce débat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est le déshonneur du Gouvernement !
M. Guy Fischer. Il a renié sa parole !
M. Thierry Breton, ministre. C'est aussi à l'honneur de la majorité d'avoir décidé de porter ce débat devant l'opinion et devant le Parlement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout ce que vous dites aujourd'hui, vous le saviez déjà il y a deux ans, c'est scandaleux !
M. Thierry Breton, ministre. Ces alliances, Gaz de France doit pouvoir les nouer en respectant trois exigences.
Premièrement, la structure de bilan devra être à la hauteur des investissements massifs qui sont indispensables.
Deuxièmement, l'entreprise devra pouvoir investir pour garder un temps d'avance sur le plan technologique, s'agissant notamment du gaz naturel liquéfié, dont nous aurons souvent à reparler au cours des débats.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L'investissement à long terme, cela ne rapporte pas aux actionnaires, donc ce n'est pas bon !
M. Thierry Breton, ministre. Troisièmement, l'entreprise devra avoir un portefeuille de clients large et diversifié.
Gaz de France doit atteindre ces objectifs sans se fragiliser par le recours massif à l'endettement. À cet égard, je sais que certains d'entre vous ont recouru largement à l'endettement dans le passé (M. Jean-Jacques Hyest approuve), mais je pense sincèrement qu'il est de mon devoir de mettre en garde contre cette pratique. Certaines entreprises publiques, je le sais d'expérience, ont été pratiquement mises en situation de dépôt de bilan parce qu'on n'a pas eu le courage de faire évoluer leur capital. Vous savez très bien de quoi je parle ! Dans l'exemple que j'ai plus particulièrement à l'esprit, on a pratiqué un endettement massif, à hauteur de 70 milliards d'euros, parce qu'on n'a pas eu le courage politique de poser les questions que l'on devait se poser et d'y apporter des réponses ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Guy Fischer. C'était pour financer des aventures à l'étranger !
M. Thierry Breton, ministre. Je ne parlerai même pas de la dette de la nation, qui, elle aussi, a été créée de la manière que l'on sait, à force de reporter au lendemain ce qui devait être fait le jour même.
En ce qui concerne Gaz de France, la question nous est posée pratiquement dans les mêmes termes : avons-nous le courage politique d'y apporter des réponses, tout en tenant compte de ce à quoi nous sommes attachés, notamment les missions de service public dévolues à l'opérateur gazier,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le courage politique, c'est de maintenir le service public !
M. Thierry Breton, ministre. ... ou bien voulons-nous simplement laisser les choses se faire, c'est-à-dire ne pas se faire ?
C'est dans ce contexte que Gaz de France a développé un projet industriel avec Suez, que nous avons eu, du reste, l'occasion d'évoquer ici même, au mois de juin dernier. Ce projet industriel, discuté et mûri de longue date, est fondé sur le rapprochement de Gaz de France et du groupe qui lui est apparu - j'insiste sur le fait que c'est l'analyse de GDF - être le mieux à même de lui permettre de répondre aux problèmes et aux défis auxquels il est confronté.
Ce projet conduit à une fusion, en vue de mettre en commun toutes les forces industrielles et financières des deux entreprises. En devenant ainsi le premier fournisseur de gaz en Europe, le nouveau groupe sera un acteur incontournable pour les producteurs, ce qui lui ouvrira les meilleures perspectives pour acheter du gaz aux conditions les plus compétitives...
M. Roland Courteau. Ça, ce n'est pas sûr !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous n'y croyez même pas !
M. Guy Fischer. Pour le profit des actionnaires !
M. Thierry Breton, ministre. Il sera également en mesure de mener une politique encore plus volontariste d'investissements en amont. Il aura, enfin, une capacité équilibrée dans les secteurs de l'électricité et du gaz, ce qui sera un atout indispensable pour ses clients.
La seule question qui nous est posée, c'est celle de l'avenir de Gaz de France.
Bien sûr, c'est le projet GDF-Suez qui a enclenché le mouvement, mais cette démarche a toujours été conçue en trois temps, ainsi que je l'ai expliqué dès le premier jour.
Il y a eu, tout d'abord, le temps de la concertation sociale. On m'a dit - je ne sais pas si c'est exact, mais je n'ai pas de raison d'en douter - que peu de projets de loi avaient fait l'objet d'une telle concertation préalable avant d'être présentés au Parlement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'était pour convaincre les parlementaires de l'UMP ! Cela vous a pris beaucoup de temps !
M. Thierry Breton, ministre. En plus de trois mois, François Loos et moi-même avons tenu avec les organisations syndicales près de quarante réunions, que nous avons conduites tous les deux, pour dialoguer, pour écouter, pour expliquer.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'était un débat avec les parlementaires de l'UMP !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Écoutez le ministre ! Votre attitude est pathétique !
M. Thierry Breton, ministre. Je parle des organisations syndicales, madame la sénatrice !
Après qu'elles eurent obtenu les réponses aux questions légitimes qu'elles se posaient, vint le temps du Parlement, marqué notamment par le débat sans vote qui s'est tenu au mois de juin dernier et au cours duquel tout le monde a pu s'exprimer. Je rappelle également que, après ce débat sans vote, nous avons souhaité donner du temps à tous, afin notamment que les commissions puissent travailler et les parlementaires s'informer. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme Hélène Luc. C'était un débat sans vote ! Ce n'est pas cela, la démocratie !
M. Roland Courteau. Nous avons eu une semaine !
M. Thierry Breton, ministre. Mon bureau et celui de François Loos sont restés ouverts tout l'été, ce qui est normal. Nombre d'entre vous, et je les en remercie, ont consacré beaucoup de temps à ce dossier, en prenant sur leurs congés d'été pour dialoguer avec nous, afin de bâtir ensemble, dans l'intérêt des Français, la base d'un texte républicain. (Rires et exclamations sur les travées du groupe CRC.)
M. Guy Fischer. C'est un texte libéral !
M. Thierry Breton, ministre. Maintenant, après que ce texte a été examiné à l'Assemblée nationale au cours de la session extraordinaire, nous allons en débattre dans cette enceinte.
M. Yves Coquelle. Encore heureux !
M. Thierry Breton, ministre. Viendra ensuite le troisième temps, celui des actionnaires. (Exclamations amusées sur les travées du groupe CRC.)
Mme Hélène Luc. Ça, c'est clair !
M. Thierry Breton, ministre. Je m'attendais à de telles réactions, mais les actionnaires, cela existe ! Ils auront à se prononcer sur le projet final.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est sûr !
M. Thierry Breton, ministre. C'est à eux qu'il appartiendra de se prononcer sur le mariage entre Suez et GDF, et non pas, je le redis, au Parlement. Le rôle de ce dernier est de légiférer sur la souplesse qu'il convient d'accorder ou non à Gaz de France pour nouer les alliances de son choix. C'est de cela dont nous allons débattre ensemble. (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Très bien !
M. Thierry Breton, ministre. La seule question qui se pose aujourd'hui à nous est donc la suivante : compte tenu des enjeux et des récentes mutations de son environnement, convient-il ou non d'autoriser Gaz de France à se renforcer, à évoluer au rythme de ses concurrents, et si oui à quelles conditions et avec quelles garanties ? C'est le Parlement qui en décidera.
Il faut trouver un équilibre entre la flexibilité nécessaire à Gaz de France pour nouer des alliances et le contrôle d'une part suffisante du capital de l'entreprise par l'État, car nous souhaitons continuer à assumer notre devoir de vigilance.
Comprenons-nous bien : il ne s'agit en aucun cas de vendre des actions. Le seul objectif est de permettre la réalisation d'un projet industriel en donnant des marges de manoeuvre à l'entreprise.
Il se trouve que j'ai vécu plusieurs fois dans ma vie des débats de ce type, sous des majorités tant de gauche que de droite.
Mme Michelle Demessine. C'est bien malheureux !
M. Thierry Breton, ministre. À chaque fois que l'État décide que l'intérêt de l'entreprise est d'aller de l'avant, celle-ci utilise finalement la possibilité ouverte pour nouer une alliance industrielle qui lui est indispensable.
Ainsi, on a donné à Renault la possibilité d'aller de l'avant,...
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
Mme Éliane Assassi. Ce n'est pas la même chose !
M. Thierry Breton, ministre. ... c'est-à-dire que l'on a demandé au Parlement d'autoriser l'État à détenir moins de 50 % du capital.
M. Gérard Le Cam. Le siège de Renault n'est même plus en France !
M. Thierry Breton, ministre. À l'époque, souvenez-vous, Renault voulait se marier avec Volvo. Finalement, grâce à cette autorisation, le groupe Renault-Nissan a pu être créé.
M. Guy Fischer. Cela n'a rien à voir !
Mme Hélène Luc. Vous pouviez créer des alliances sans privatiser Renault !
M. Thierry Breton, ministre. Souvenez-vous des débats qui ont eu lieu sur ce thème ! Ils ont même entraîné la démission d'un grand président d'une entreprise aéronautique, Air France, qui souhaitait nouer une alliance industrielle avec British Airways ; l'autorisation nécessaire lui ayant été refusée, il en a tiré les conséquences en démissionnant. Quand nous sommes arrivés aux affaires, nous avons immédiatement, sous la conduite du Premier ministre, M. Raffarin, donné à Air France la possibilité de s'allier, finalement, à KLM.
Mme Nicole Bricq. Ce n'était pas une fusion !
M. Thierry Breton, ministre. Grâce à cette décision, nous avons aujourd'hui le premier opérateur aéronautique mondial, et celui qui dégage le plus de profits !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous inversez les choses !
M. Thierry Breton, ministre. Merci, monsieur Raffarin, d'avoir eu le courage de répondre à cette demande de l'entreprise ! Merci de lui avoir permis d'être aujourd'hui le leader mondial dans son secteur ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Robert Bret. Le prix des billets a augmenté !
M. Thierry Breton, ministre. Je vous appelle, les uns et les autres, à assumer vos responsabilités !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout ce que vous nous dites, vous le saviez en 2004 !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Vous parlerez à votre tour, madame Borvo ! Cessez de répondre, c'est insupportable !
M. Thierry Breton, ministre. Vous voterez ce que vous voudrez, en votre âme et conscience, mais il est de mon devoir de vous rappeler les objets et les enjeux de ce débat.
Revenons-en aux éléments qu'il me semble indispensable de préserver, pour que l'intérêt général auquel nous sommes tous attachés soit garanti, y compris dans le cadre des alliances que Gaz de France pourra nouer.
Tout d'abord, il nous semble souhaitable, dans cette optique, de ramener à un tiers l'obligation de détention du capital de Gaz de France par l'État. C'est ce que souhaite et propose le Gouvernement, mais c'est vous qui déciderez, et personne d'autre. C'est le Parlement, et non le Gouvernement, qui doit décider si oui ou non sera autorisée la modification d'une loi pour tenir compte d'éléments nouveaux. (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On attend toujours les éléments nouveaux !
M. Bernard Vera. Quels éléments nouveaux sont intervenus depuis douze ans ?
M. Thierry Breton, ministre. Le seuil juridique du tiers du capital confère en effet un pouvoir important.
M. Robert Bret. Citez un exemple !
M. Thierry Breton, ministre. L'actionnaire qui détient ainsi - veuillez m'excuser de tenir ces propos sur le droit des sociétés, mais je suis contraint de le faire, puisque certains ont l'air de méconnaître...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Sûrement pas !
M. Thierry Breton, ministre. ...le pouvoir de celui qui détient un tiers du capital (Rires ironiques sur les travées du groupe CRC.) - ...
Mme Hélène Luc. Pour qui nous prenez-vous !
M. Thierry Breton, ministre. Je disais que l'actionnaire qui détient ce que l'on appelle la « minorité de blocage » a une capacité déterminante sur toutes les décisions structurantes de l'entreprise,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il méprise le peuple et le Parlement. C'est incroyable !
M. Thierry Breton, ministre. ...qu'il s'agisse d'une fusion ou d'une scission, de tout appel au capital, de toute évolution de l'objet social ou même du siège. (M. Daniel Raoul s'exclame.)
Par ailleurs, il vous est proposé de mettre en place une action spécifique sur les actifs essentiels à la sécurité d'approvisionnement. Nous l'avons toujours dit, l'action spécifique que nous proposons est strictement compatible à la jurisprudence européenne.
J'ai transmis au président de la commission des affaires économiques, M. Emorine, la réponse du commissaire Charlie Mc Creevy, chargé du marché intérieur, qui nous avait été demandée la semaine dernière. Il y est indiqué qu'« au vu des éléments transmis par les autorités françaises, » ses « services ont conclu que, dans son état actuel, le projet de décret ne contient pas d'élément contentieux qui mènerait la Commission à ouvrir une procédure d'infraction à l'encontre de la France ».
M. le président de la commission des affaires économiques tient cette lettre à votre disposition, ainsi que tous les documents qui peuvent vous intéresser.
M. Yves Coquelle. Donnez-la-nous !
M. Thierry Breton, ministre. Le président du groupe socialiste a demandé que le projet de décret d'application soit transmis,...
M. Robert Bret. La version épurée ou la version intégrale ?
M. Thierry Breton, ministre. ...ce que je fais bien volontiers auprès de la commission des affaires économiques.
Par ailleurs, je veux insister sur deux points de la façon la plus claire qui soit.
En premier lieu, il n'y a aucun lien entre la détention du capital et les tarifs.
M. Thierry Breton, ministre. Cette question est très fréquemment évoquée et nous aurons l'occasion d'y revenir.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Cela n'a rien à voir !
M. Thierry Breton, ministre. Ainsi, en 2000, alors que Gaz de France était la propriété à 100 % de l'État français, MM. Fabius et Strauss-Kahn ont augmenté les tarifs du gaz pour les particuliers de 30 % en moins d'un an. Je ne leur jette pas la pierre, parce qu'ils ont sans doute procédé à ces augmentations à leur corps défendant,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est risible !
M. Thierry Breton, ministre. ...et parce qu'ils ont appliqué la loi sur les tarifs réglementés, qui sont fixés après avis de la Commission de régulation de l'énergie (Mme Demessine s'exclame.) : lorsque les prix d'achat du gaz augmentent, la hausse doit être répercutée sur le consommateur.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui ou non, la France a-t-elle le gaz le moins cher d'Europe ?
M. Thierry Breton, ministre. Ce principe existe et s'applique ; c'est tout. On peut ensuite essayer de se raconter des histoires - pardonnez-moi l'expression -, la réalité est celle que je vous décris.
Mme Hélène Luc. M. le ministre ne répond pas à nos préoccupations !
M. Thierry Breton, ministre. Nous aurons le temps d'en débattre.
Les principales garanties qui doivent être données pour une évolution de Gaz de France sont donc celles-ci : une détention du capital qui serait ramenée à 34 % pour l'État,...
M. Guy Fischer. M. Sarkozy avait dit 70 % !
M. Thierry Breton, ministre. ...des actions spécifiques sur les terminaux méthaniers, les infrastructures de transport, mais également les stockages stratégiques.
En second lieu, je tiens à redire le plus clairement possible que nous donnerons ainsi à Gaz de France la possibilité de nouer les alliances de son choix pour aller de l'avant.
A cet égard, nous soutenons le projet de Gaz de France de s'allier avec Suez. Il lui appartiendra, le moment venu, de le finaliser, et lorsque les informations finales nous seront communiquées, nous en débattrons avec la commission des affaires économiques. Je souhaite vivement que ce projet aboutisse, mais ce qui est au coeur du débat aujourd'hui, c'est la possibilité d'aller de l'avant, comme ont pu le faire les entreprises que j'ai citées tout à l'heure, ...
Mme Michelle Demessine. Dans le mur !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Exactement !
M. Thierry Breton, ministre. ... même s'il peut arriver, in fine, que les unions réalisées ne soient pas celles qui avaient été envisagées initialement. Évidemment, je souhaite vivement que Gaz de France se marie avec Suez, mais la question que nous posons n'est pas celle-ci. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.)
J'en viens à EDF. Je sais que c'est votre sujet favori, et je vous remercie de la patience dont vous avez fait preuve !
La fusion entre EDF et GDF a été examinée de la façon la plus approfondie en 2004 - c'est une date marquante pour le secteur de l'énergie ! (Vives protestations sur les travées du groupe CRC.) -, par la commission pluraliste présidée par Marcel Roulet.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les choses ont changé depuis 2004 !
M. Thierry Breton, ministre. Elle a conclu de façon très claire que cette hypothèse devait être écartée, compte tenu des cessions très importantes qu'il faudrait consentir pour respecter le droit de la concurrence. Ces conclusions sont actuellement disponibles sur le site Internet du ministère.
Ces cessions toucheraient plusieurs centrales nucléaires : sept, dix, voire quinze centrales pourraient être concernées. Comme je l'ai dit tout à l'heure, certains ne se préoccupent pas du parc nucléaire français. Pour notre part, au Gouvernement...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les privatisations, vous vous en occupez bien !
M. Thierry Breton, ministre. ...et au sein de la majorité - je sais que les membres du groupe CRC partagent ce point de vue -, nous estimons tout à fait inconcevable de démanteler le parc nucléaire français. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.) Or c'est ce qu'entraînerait la fusion entre EDF et GDF. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous vous transmettrons tous les éléments nécessaires à votre information.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On n'est plus en 2004 !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Robert Bret. Tout a changé !
M. Thierry Breton, ministre. En 2005, Gaz du Portugal et Électricité du Portugal ont voulu se marier. Eh bien, cette fusion n'a pas eu lieu. Je tiens à votre disposition les documents contenant les raisons exactes du refus de la Commission européenne et de la Cour européenne de justice.
M. Robert Bret. Comparez ce qui est comparable !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous cherchez des arguments de tous les côtés ; c'est incroyable !
Mme Hélène Luc. EDF-GDF est un modèle pour l'Europe, et nous allons le démolir !
M. Thierry Breton, ministre. Monsieur le président, je voudrais conclure (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.), en indiquant que nous allons avoir des débats riches où chacun pourra s'exprimer.
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Il faudrait que les uns et les autres s'écoutent !
M. Thierry Breton, ministre. Je le dis avec beaucoup d'humilité - c'est un sujet difficile - et de sérénité. En effet, avec François Loos, nous nous présentons devant la Haute Assemblée en ayant clairement le sentiment d'avoir énormément dialogué pendant plusieurs mois.
M. Yves Coquelle. Vous avez dialogué sans écouter !
Mme Hélène Luc. Le personnel de Gaz de France a voté à 90 % contre !
M. Thierry Breton, ministre. Ceux qui sont venus à notre rencontre le savent, que ce soient les acteurs sociaux - Dieu sait qu'ils jouent un rôle important ! -, les parlementaires ou l'opinion publique.
Mme Hélène Luc et M. Robert Bret. L'opinion publique est contre, vous le savez bien, monsieur le ministre !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Soyez de bonne foi, tout de même !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L'opinion publique est contre !
M. Thierry Breton, ministre. Nous sommes prêts désormais, François Loos et moi-même, à les tenir au sein de cet hémicycle. Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez assurés que, quel que soit le temps que vous estimerez nécessaire, nous serons présents pour répondre à vos questions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.- Mmes et MM. les sénateurs du groupe CRC brandissent à nouveau leurs maillots.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à l'issue de près de quatre semaines de débat à l'Assemblée nationale, nous voici, à notre tour, saisis du projet de loi relatif au secteur de l'énergie.
Même si les délais sont courts, nous avons bien conscience des contraintes. Je tenais à remercier le Gouvernement d'avoir d'ores et déjà prévu un nombre de jours de séance important, qui nous permettra d'aborder tous les enjeux de cette discussion.
Je me félicite également du fait que l'opposition au Sénat ait fait le choix d'une stratégie plus constructive qu'à l'Assemblée nationale en ne déposant « que » 650 amendements, ce qui représente tout de même un chiffre important. Il est vrai que, ces derniers temps, nos repères en la matière avaient été quelque peu bousculés...
M. Roland du Luart. C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Je ne doute pas malgré tout que, dans ces conditions, nous ayons un vrai débat constructif, et je m'engage, à cet égard, à répondre aussi précisément que possible aux questions des uns et des autres.
Malheureusement, la bataille...
Mme Hélène Luc. Vous avez raison, c'est une bataille !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. ...à laquelle vous faisiez allusion, monsieur le ministre, qui a eu lieu à l'Assemblée nationale, où plus de 137 000 amendements avaient été déposés - dont plus de 50 000 sur le seul article 10 -,...
M. Robert Bret. C'est « Questions pour un champion » ? (Sourires.)
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. ...a éclipsé les autres aspects pourtant majeurs de ce texte. Vous avez bien fait de les rappeler.
En effet, hormis la question de la privatisation de Gaz de France, les autres dispositions de ce projet de loi sont fondamentales.
Elles ont tout d'abord vocation à insérer dans notre droit interne les derniers éléments des directives européennes relatives aux marchés énergétiques que nous n'avions pas encore transposés.
Cela concerne, en premier lieu, l'ouverture à la concurrence pour les particuliers des marchés de l'électricité et du gaz naturel à compter du 1er juillet 2007. Nous abordons ainsi la dernière étape d'un mouvement progressif de libéralisation et d'unification de ces marchés au niveau européen. Ce processus, entamé voilà désormais plus de vingt ans avec l'Acte unique européen, avait été relancé - vous y avez fait allusion, monsieur le ministre - lors du sommet européen de Barcelone des 15 et 16 mars 2002, auquel notre pays était représenté par M. Jospin.
M. Roland Courteau. Et M. Chirac !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. C'est exact.
Au cours de cette rencontre, les États membres s'étaient alors engagés à adopter dès que possible les propositions de directives en instance concernant la phase finale de l'ouverture de ces marchés à la concurrence.
Je tiens à rappeler que les gouvernements français successifs, toutes sensibilités politiques confondues, n'ont jamais remis en cause ce processus. Surtout, il s'agit d'un mouvement sur lequel il m'apparaît très difficile, si ce n'est impossible, de revenir. Dans ce contexte, il appartient au législateur de mettre en oeuvre les dispositions nécessaires au maintien des spécificités de notre secteur énergétique afin d'en préserver ses points forts.
Il est d'abord indispensable d'assurer la sécurité juridique du système tarifaire français. Sans mesures législatives, celui-ci se trouverait dépourvu de base légale à compter du 1er juillet 2007 et pourrait être remis en cause à l'occasion d'un contentieux communautaire. De ce point de vue, le projet de loi apporte incontestablement cette stabilité juridique et, surtout, garantit la pérennité des tarifs au bénéfice des consommateurs ne souhaitant pas exercer leur éligibilité.
J'ajoute que le projet de loi, s'inspirant des travaux de très grande qualité effectués par M. Jean-Claude Lenoir, en sa qualité de président du Conseil supérieur de l'énergie, est extrêmement protecteur pour les consommateurs, puisque ceux d'entre eux qui feront le choix de la concurrence pourront revenir au tarif lors des changements de site de consommation, c'est-à-dire en cas de déménagement.
M. Roland Courteau. Il faudra qu'ils déménagent !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Cela concerne chaque année, en moyenne, près de 10 % des Français.
En outre, pour protéger les consommateurs particuliers, le projet de loi renforce de manière tout à fait opportune les obligations d'information précontractuelles et contractuelles reposant sur les fournisseurs d'électricité et de gaz.
Il nous appartient, en deuxième lieu, de procéder, là aussi avant le 1er juillet 2007, à la transposition des volets des directives prévoyant la séparation juridique des gestionnaires de réseaux de distribution. Il s'agit d'une obligation afin de garantir la neutralité des gestionnaires de réseaux de distribution, les GRD, vis-à-vis de tous les fournisseurs.
Enfin, au chapitre du service public, le projet de loi institue, à l'instar de ce qui existe depuis 2004 dans le domaine de l'électricité, un tarif social en gaz qui s'adressera aux ménages les plus démunis et qui sera applicable dès cet hiver.
Au-delà des dispositions contenues dans le projet de loi initial, les députés ont enrichi le texte de manière substantielle.
Tout d'abord, ils ont introduit des dispositifs concernant notre régulateur énergétique, la Commission de régulation de l'énergie.
L'Assemblée nationale a, d'une part, élargi ses compétences et défini ses missions générales et, d'autre part, modifié les règles de composition du collège.
Si les dispositions relatives aux compétences de la CRE ne posent pas de problème, la commission des affaires économiques ne vous proposant que quelques adaptations à la marge, la réforme du collège est, quant à elle, plus problématique.
Dans le schéma instauré par l'Assemblée nationale, le collège compterait désormais douze commissaires puisque, outre sept membres désignés selon les modalités actuelles, seraient membres de cette instance quatre parlementaires et un représentant des consommateurs. Par ailleurs, à l'exception du président, les autres commissaires n'exerceraient plus leur fonction à plein temps.
La commission des affaires économiques ne souscrit pas à l'économie générale de cette réforme. Vous avez fait allusion à mes amendements, monsieur le ministre. La commission a considéré, avec moi, que la présence de parlementaires au sein d'une autorité administrative indépendante était, à la fois, contraire au principe de séparation des pouvoirs...
M. Roland du Luart. Tout à fait !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. ... et difficile à mettre en oeuvre compte tenu de nos obligations.
Il faut que vous sachiez, mes chers collègues, que la Commission de régulation de l'énergie se réunit régulièrement deux à trois jours entiers par semaine, plus particulièrement les mardis et mercredis.
MM. Roland du Luart et Henri Revol. Voilà !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Quant à la présence d'un représentant des consommateurs, nous l'avons également jugée problématique, puisque sûrement contraire aux directives et difficile à mettre en oeuvre, compte tenu de l'impossibilité de trouver un membre unique représentant tous les consommateurs dans leur diversité.
M. Robert Bret. Ah, ça...
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. C'est pourquoi la commission des affaires économiques vous propose, conjointement avec la commission des finances - et je me réjouis de la complicité que nous avons eue, Philippe Marini et moi-même, à cet égard -, de revenir sur cette réforme afin de maintenir les principes actuels de nomination de la CRE et de mettre en oeuvre les préconisations avancées par notre collègue Patrice Gélard, dans un remarquable rapport...
M. Jean-Pierre Raffarin. Absolument !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. ... qu'il a récemment publié sur les autorités administratives indépendantes.
Cet amendement prévoit, à cet égard, une dissociation, au sein de la CRE, entre les fonctions de régulation et les missions de sanction, en créant un comité de règlement des différends, de la médiation et des sanctions. La création de cette nouvelle instance, qui compterait six membres dont un président, est notamment nécessaire pour nous mettre en règle au regard des dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme.
Cet amendement va également moins loin dans la voie de la « déprofessionnalisation » du collège, puisque ce dernier compterait, parmi ses sept membres, trois commissaires professionnels, le président toujours nommé par décret, et deux vice-présidents désignés par les présidents des assemblées parlementaires. Les autres membres seraient rémunérés à la vacation.
Dernier aspect de la réforme que nous proposons, nous souhaitons confier les compétences liées à la médiation des litiges commerciaux entre fournisseurs et consommateurs particuliers à ce comité. Les fonctions de médiateur national de l'énergie, instance créée par les députés, seraient donc exercées par le président du comité.
M. Charles Pasqua. Très bien !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Ensuite, l'Assemblée nationale a adopté un dispositif, dit de « tarif transitoire », que nous appelons plus communément « tarif de retour », lequel s'adresse aux entreprises qui ont exercé leur éligibilité et qui ont vu leur facture d'électricité considérablement augmenter au cours des dernières années.
M. Daniel Raoul. Vous l'avouez !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Il s'agit, là encore, d'un mécanisme très important pour la compétitivité de notre économie, mais qui, dans ses modalités, risque de nous poser problème au regard des autorités bruxelloises.
L'article adopté par les députés permet aux consommateurs ayant exercé leur éligibilité de bénéficier d'un tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché pour une durée de deux ans renouvelable. Ce tarif serait fixé à un niveau qui ne pourrait excéder 30 % par rapport aux tarifs réglementés applicables à des sites de consommation comparables.
La commission des affaires économiques a considéré que le caractère pérenne de la mesure était de nature à la rendre euro-incompatible.
C'est pourquoi, tout en approuvant l'esprit de ces dispositions, nous vous proposons de supprimer leur caractère renouvelable et nous prévoyons d'établir un bilan de ce dispositif avant la fin de l'année 2008, pour envisager sa prolongation, s'il y a lieu.
M. Jean-Pierre Raffarin. Très bien !
M. Robert Bret. Ce n'est pas la première fois que l'on nous fait le coup !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faut se méfier des bilans !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Nous évoquerons ce point lors de l'examen de cet amendement. Il mérite débat, car il s'agit là d'un mécanisme important.
J'en viens maintenant au contexte énergétique européen, qui a conduit le Gouvernement à proposer au Parlement de revenir sur le statut actuel de Gaz de France. À cet égard, je vous remercie, monsieur le ministre, de nous en avoir déjà dressé un profil, que je qualifierai de pragmatique.
Depuis deux ans, le secteur de l'énergie dans notre continent a subi d'importantes mutations. Quelles sont les principales caractéristiques de ces évolutions ?
L'on constate, d'abord, un accroissement des tensions sur les marchés de l'énergie. Les ressources d'énergie fossile s'amenuisent - vous y avez fait allusion, monsieur le ministre -, les investissements de production d'électricité sont insuffisants, et tout cela se produit dans un contexte de hausse croissante de la demande.
Ensuite, le paysage industriel est, quant à lui, en ébullition. Dans le cadre de la constitution du marché européen de l'énergie, les opérateurs historiques nationaux cherchent des partenariats. Je ne m'aventurerai pas dans une description exhaustive de tous ces mouvements, mais je citerai, pour mémoire, plusieurs faits récents.
Ainsi, l'Espagne est actuellement le terrain de manoeuvres industrielles portant sur le rachat de l'électricien Endesa, que la compagnie E.ON regarde avec gourmandise et qu'une entreprise du secteur du bâtiment en Espagne observe également avec l'oeil du « défenseur » !
Cet été - vous l'avez tous observé, mes chers collègues -, Gazprom et la Sonatrach ont passé un accord important, qui a pour conséquence directe de rendre l'Europe encore plus dépendante de la même entité,...
M. Henri de Raincourt. Eh oui !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. ... pour un tiers de ses importations gazières.
Gazprom, toujours lui, a pris 10 % du capital du principal électricien russe, qui fournit près de 70 % de l'électricité aux consommateurs russes.
M. Yves Coquelle. Oui ! Et alors ?
M. Roland Courteau. Et alors ?
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Vous semblez sensibles, chers collègues, à ce qui se passe en Russie !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Alors, cela veut dire qu'il se passe quelque chose, mes chers collègues, et que nous devons en tenir compte ! Nous ne pouvons pas garder les yeux fermés ! (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Robert Bret. Perspicace !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Nos opérateurs historiques ne sont pas restés à l'écart de ce mouvement, puisqu'ils ont eux-mêmes poursuivi cette stratégie d'internationalisation.
Je vous le rappelle, EDF est désormais un grand électricien : en Italie, avec Edison, ou en Grande-Bretagne, avec London Energy.
De même, Gaz de France n'a pu trouver de partenaires, mais la compagnie compte de nombreux clients dans plusieurs pays européens, au nombre desquels l'Italie et la Roumanie.
De manière plus générale, le secteur énergétique européen se caractérise par un vaste mouvement de convergence entre gaziers et électriciens pour fournir les deux énergies aux consommateurs.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh bien, voilà la justification !
Mme Michelle Demessine. Voilà !
M. Robert Bret. C'est vrai !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Dans le même temps, le prix des énergies connaît une poussée à la hausse, en particulier celui des hydrocarbures. Le marché de l'électricité a enregistré, lui aussi, de très fortes tensions, ce qui a eu des conséquences économiques très substantielles pour un bon nombre d'entreprises françaises.
Mme Marie-France Beaufils. Des tensions suscitées par vous !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer ce phénomène.
La première, la plus importante à mes yeux, réside dans le fait que les pays de l'Union européenne, y compris la France, manquent considérablement de moyens de production. D'ici à 2030, on considère que l'Europe doit construire l'équivalent en puissance de cinq parcs électronucléaires français. Il s'agit d'une question cruciale à double titre.
D'une part, cette insuffisance de l'offre pèse sur la sécurité des réseaux électriques, puisque notre pays est régulièrement à la limite de l'équilibre, hiver comme été - et chacun le sait bien dans cette enceinte -, ce qui nous impose des importations périodiques massives d'électricité.
D'autre part, ce déséquilibre entre l'offre et la demande contribue aux tensions sur les prix.
La deuxième raison a trait à la mise en place d'un marché des permis d'émission de dioxyde de carbone. Avec un prix de la tonne de CO2 aux alentours de 20 euros, le prix du mégawatt-heure sur les marchés s'accroît mécaniquement de plus de 10 euros, ce qui est considérable.
Enfin, troisième raison, le renchérissement du pétrole et du gaz est un phénomène qui pèse, lui aussi, sur les coûts de production des installations utilisant ces sources d'énergie pour l'électricité.
Mme Marie-France Beaufils. Sur le résultat de Total ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Pourquoi rappeler l'ensemble de ces éléments factuels ? Tout simplement, pour vous démontrer que, en deux ans, la situation a considérablement évolué et que nous ne pouvons pas rester les bras croisés et nous contenter de la subir.
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis, et M. Roland du Luart. Très bien !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Le projet de loi constitue, à cet égard, une réponse plus que bienvenue à ces changements. Mieux encore, je dirai qu'il s'agit d'une réponse nécessaire. Cela conduit le Gouvernement à demander au Parlement l'autorisation d'abaisser la part de l'État dans le capital de Gaz de France sous le seuil des 50 % afin de doter l'entreprise des armes nécessaires pour affronter cette nouvelle concurrence.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Çà, c'est vraiment très convaincant !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Cette entreprise n'est pas moyenne à l'échelon national, car Gaz de France est une grande entreprise française. Mais, sur le plan mondial, elle est somme toute de taille moyenne.
Mes chers collègues, nous ne sommes certes pas ici pour statuer sur la fusion Gaz de France-Suez.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Dommage !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Cette question relève de la seule responsabilité des conseils d'administration des entreprises.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est regrettable !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Des assemblées générales !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Nous ne sommes pas là non plus, et je pèse bien mes mots, pour jouer le chevalier blanc de Suez. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. Pourtant, c'est ce qu'on fait ! Ils se frottent les mains !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Toutefois, il est clair que c'est le projet industriel qui devrait découler directement de la privatisation de Gaz de France. À ce sujet, je voudrais réaffirmer avec force tout le soutien que j'apporte à cette opération, préparée de longue date...
M. Guy Fischer. Çà, on s'en doute !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. ... puisque, comme les membres de la commission des affaires économiques le savent bien, avant 2004, Pierre Gadonneix, alors président de Gaz de France, l'évoquait déjà devant nous ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement s'était engagé à l'époque à ce que l'État reste actionnaire à 70 % !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. L'opération donnera à notre gazier les moyens de poursuivre son développement et d'investir dans les années à venir. Elle permettra la constitution d'une superbe entreprise qui sera le numéro un mondial dans le domaine du gaz naturel liquéfié - vous l'avez dit, monsieur le ministre -, ce qui représente un enjeu stratégique à l'heure de la nécessaire diversification de nos sources d'approvisionnement gazier
Ce sera aussi le premier fournisseur de gaz en Europe et le cinquième producteur d'électricité, avec 6 millions de clients.
Enfin, l'opération favorisera le rapprochement d'un grand gazier européen, doté d'un large portefeuille de clientèle domestique, avec un grand électricien européen, présentant en outre, tous deux, des complémentarités sur le plan géographique.
Je ne m'étendrai pas à l'excès sur ce sujet, puisque nous aurons l'occasion d'y revenir abondamment.
Toutefois, je ne veux pas achever mon propos sans avoir répondu, par avance, à quelques questions qui risquent de nous être posées par les détracteurs de ce projet de loi, tout au long de cette discussion. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah bon ? Vous répondez aux questions qui n'ont pas encore été posées ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Y avait-il des solutions industrielles alternatives ? (Oui ! sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.) Sans doute ! (Exclamations sur les mêmes travées.)
Cependant, parmi les énergéticiens européens de taille comparable à Gaz de France présentant des complémentarités aussi évidentes que Suez, la réponse est vraisemblablement négative. (Oh ! sur les travées du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vraisemblablement ?
M. Roland Courteau. C'est une réponse !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Mes chers collègues, écoutez un peu de temps en temps !
Je vous signale que les portes de la firme espagnole Endesa nous sont fermées.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Par ailleurs, un mariage avec la compagnie britannique Centrica eût été plus que hasardeux !
M. Yves Coquelle. Ce n'est pas du tout cela que l'on demandait !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Disons que la fiancée n'était pas forcément la plus belle !
Fallait-il alors privilégier la solution des participations croisées ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Par exemple !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Ce choix appartenait aux entreprises,...
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. ... et ces dernières ont considéré que le seul projet industriel véritablement porteur de sens passait par une fusion. Respectons ce choix !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh bien voilà !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Pourquoi ne pas avoir procédé à une fusion EDF-GDF ?
M. Yves Coquelle. Ah ! vous allez nous le dire !
M. Robert Bret. Bonne question !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. C'eût certainement été un bon choix voilà dix ans. (Ah ! sur les travées du groupe CRC.) Ce n'est plus possible.
M. Robert Bret. Et pourquoi ?
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. À l'époque, vous aviez la majorité !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Nous l'avions évoqué voilà deux ans, constatant déjà à l'époque qu'une telle proposition arrivait trop tard (M. Jean-Marc Pastor s'exclame.), compte tenu de l'environnement juridique communautaire.
Monsieur le ministre, vous avez réveillé notre mémoire, et vous avez eu raison. Rappelons-le, si nous souhaitons fusionner ces deux entreprises, nous devrons en demander l'autorisation à la Commission européenne. Si d'aventure cette dernière venait à valider un tel scénario, ce qui est loin d'être évident au regard de la décision qu'elle a rendue au sujet des énergéticiens portugais, ce ne serait qu'au prix d'importantes cessions d'actifs,...
M. Henri de Raincourt. Bien sûr !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. ... évaluées par la commission Roulet, au sein de laquelle siégeaient des parlementaires de toutes les sensibilités politiques, à 15 % des activités que chaque entreprise devrait abandonner à tous les stades de la chaîne énergétique.
Mme Marie-France Beaufils. Et aujourd'hui, que va-t-il se passer ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. En clair, que vous le vouliez ou non, cela contraindrait EDF-GDF fusionnées à abandonner non seulement des centrales nucléaires (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) - le nombre estimé par la commission Roulet se situe dans une fourchette large comprise entre 7 à 12 -, mais également des parts de marchés.
Je vous interroge : pensez-vous sérieusement que les salariés d'EDF et de Gaz de France verraient avec plaisir ces entreprises obligées d'abandonner les marchés du Nord-Pas-de-Calais et de PACA pour donner satisfaction aux exigences de Bruxelles ? Je ne le pense pas !
M. Yves Coquelle. N'importe quoi !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. D'autres exigences seraient fixées à Gaz de France, qui serait contraint d'abandonner des capacités de stockage, voire des parts de ports méthaniers.
M. Robert Bret. C'est la politique de l'épouvantail !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Je pense sincèrement que ce serait particulièrement préjudiciable pour les entreprises EDF et GDF.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Dans tous les cas, une telle stratégie serait économiquement absurde...
M. Roland Courteau. Et dans le cas d'une fusion Suez-GDF, que se passera-t-il ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. ... et, je pèse bien mes mots, socialement inacceptable. (Très bien ! sur les travées de l'UMP. - Rires sur les travées du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous vous y connaissez, en socialisme !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Autre question : la privatisation de Gaz de France permettra-t-elle d'accroître les investissements et de préparer notre avenir énergétique ? Je réponds : bien sûr ! C'est précisément pour permettre à GDF d'avoir accès à de nouvelles sources de financement que nous autorisons une ouverture plus large de son capital, de façon à donner au groupe la taille critique nécessaire pour investir.
M. Michel Sergent. Et un endettement accru !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. La privatisation remet-elle en cause notre indépendance énergétique ? (Oui ! sur les travées du groupe CRC.) Là aussi, je réponds très clairement : non, au contraire !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Au contraire ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Comme je l'indiquais, la fusion avec Suez donnera naissance à un géant mondial du gaz naturel liquéfié qui nous permettra de diminuer notre dépendance à l'égard des principaux exportateurs de gaz par gazoduc.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Comment vous croire ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Lisez de temps en temps les expertises, chère collègue !
Les livraisons de gaz liquéfié vont doubler sur le territoire national dans les quinze années à venir ; cette démarche est donc une manière d'assurer notre indépendance énergétique.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. La privatisation implique-t-elle la disparition des contrats de concession signés avec les collectivités territoriales ? Là encore, la réponse est négative, puisque Gaz de France garde son monopole de distribution dans sa zone de desserte historique tout en conservant l'obligation de procéder à une péréquation des coûts de distribution.
L'entreprise résultant d'une éventuelle fusion Suez-Gaz de France pourra-t-elle faire l'objet de toutes les convoitises de groupes étrangers ?
En théorie oui, puisque seuls 46 % du capital devraient être détenus par un actionnariat stable. En pratique, cette menace reste plus qu'improbable en raison de la présence de l'État français, à hauteur de 34 %, dans le capital de l'entreprise. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous en reparlerons !
Un sénateur socialiste. Qui nous garantit qu'il restera ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. À cet égard, je rappellerai que Gazprom a essayé cette année de prendre le contrôle du gazier britannique Centrica : cela n'a pas été possible, tout simplement en raison de l'opposition du Gouvernement britannique.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais on ne peut pas vous faire confiance là-dessus !
Mme Michelle Demessine. Comparaison n'est pas raison !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Celui-ci n'est pourtant pas nécessairement réputé pour être le plus interventionniste des gouvernements en Europe, et il possédait 0 % du capital de l'entreprise ! Cela démontre que, en matière d'énergie, même avec des acteurs privés, rien ne peut se faire contre la volonté de l'État. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On a tous les jours la démonstration du contraire !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Le service public va-t-il disparaître avec la privatisation ? Bien évidemment non, puisque la loi impose à tous les opérateurs, privés ou publics, des obligations de service public. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) Et quand je dis « la loi », je commets une erreur, car il s'agit de plusieurs lois : celles de 2000, de 2003, de 2004, et celle d'aujourd'hui.
Enfin, dernière question, les prix du gaz pour le consommateur vont-ils augmenter avec la privatisation ?
M. Robert Bret. Oui !
M. Yves Coquelle. Largement !
M. Roland du Luart. C'est le marché !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Oui, monsieur du Luart, vous avez raison, la réponse est claire... (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Mais observez un peu ce qui se passe, mes chers collègues ! (Exclamations sur les mêmes travées.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous ne sommes pas à l'école, ici !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Les prix du gaz ont déjà augmenté au cours de cette année,...
M. Robert Bret. Comme dans tous les pays où cela s'est produit !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. ... alors que, à ma connaissance, la fusion n'a toujours pas eu lieu.
M. Roland du Luart. C'est la loi du marché !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Les prix ont donc déjà augmenté, et cela n'a aucun lien avec la structure capitalistique de l'entreprise...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tu parles !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. ... puisque les tarifs du gaz applicables aux ménages n'exerçant pas leur éligibilité resteront déterminés par le Gouvernement. Rappelons que la récente hausse des prix du gaz a été provoquée par le renchérissement du prix du pétrole. Je soulignerai d'ailleurs, peut-être avec une certaine cruauté, qu'ils ont augmenté de 8 % en 2000 et de 15 % en 2001,...
M. Henri de Raincourt. Oh, là, là !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. ... alors même que GDF était détenu à 100 % par l'État.
Au-delà de tous ces procès d'intention, mes chers collègues, il appartient au Gouvernement et à sa majorité d'être réalistes et pragmatiques.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Là, vous êtes tout à fait pragmatique !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Cela suppose donc de prendre les devants et de ne pas nous laisser imposer par d'autres, dans un secteur aussi stratégique que celui de l'énergie, des évolutions que nous n'aurions pas souhaitées. C'est pourquoi la majorité de la commission des affaires économiques approuve pleinement le texte du projet de loi et le soutiendra.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Je conclurai volontiers mon propos par cette phrase d'Alexandre Dumas tirée des Mille et un fantômes : « Dieu me garde de prêcher l'immobilité ! L'immobilité, c'est la mort. » Même si l'écrivain n'avait pas nécessairement pensé au secteur de l'énergie, il est clair que cette phrase s'applique parfaitement à ce secteur.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pas du tout !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Effectivement, dans un monde toujours changeant, nous refusons clairement l'immobilité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commission des finances souhaite s'exprimer pour avis essentiellement de deux points de vue.
D'une part, du point de vue de l'État actionnaire, du point de vue du patrimoine public, nous nous sommes demandé si l'article 10 du projet de loi est conforme à nos intérêts bien compris.
M. Roland du Luart. Oui !
M. Daniel Raoul. Non !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Attendez, mes chers collègues !
D'autre part, nous avons souhaité poursuivre notre réflexion sur une problématique que nous avons souvent abordée dans le passé, celle des autorités de régulation, de leur autonomie et des moyens qu'elles peuvent mettre en oeuvre.
Par ailleurs, la commission des finances, qui est bien entendu très sensibilisée aux questions de compétitivité et d'attractivité du territoire, se sent concernée par les dispositifs qui sont de nature à garantir au consommateur final d'énergie, en particulier aux entreprises, les meilleures conditions de prix de revient. En effet, il peut s'agir pour ces entreprises d'un élément important, voire vital dans les choix de localisation, pour la réalisation d'investissements et pour la défense de l'emploi.
Je commencerai, si vous le voulez bien, mes chers collègues, par les remarques que la commission des finances a formulées sur l'article 10 ou autour de l'article 10. Cet article, qui vise à proposer une privatisation maîtrisée de Gaz de France, nous paraît bon pour l'État actionnaire.
M. Henri de Raincourt. Voilà !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Je vais m'efforcer de le montrer de manière aussi simple que possible.
Je ferai tout d'abord un constat : Gaz de France est une belle entreprise, mais qui est aujourd'hui enclavée et doit grandir.
C'est aussi une entreprise en bonne santé. Son introduction en Bourse, qui a été autorisée par la loi du 9 août 2004 et effectuée en juillet 2005, a été un vrai succès. Elle s'est faite de deux manières : par cession d'actions existantes et par augmentation de capital.
À la fin de septembre 2006, le cours de l'action de Gaz de France avait augmenté de 34 % par rapport à son cours d'introduction, ce qui, du point de vue du patrimoine public, a accru la valeur de la part de l'État dans son capital de 270 millions d'euros.
M. Roland du Luart. Ce n'est pas rien !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. De plus, l'entreprise a versé à l'État, au titre de 2005, un dividende de 536 millions d'euros, en hausse de près de 50 % par rapport à 2004.
Gaz de France dispose en outre de « fondamentaux » solides. Du point de vue commercial, l'entreprise garde une position très large sur des marchés dorénavant ouverts à la concurrence, puisque sa part de marché en France, pour les clients ayant exercé leur éligibilité, reste à l'heure actuelle de 79 %. De plus, Gaz de France poursuit son développement à l'international, secteur dans lequel, en 2005, elle a réalisé 36 % de son chiffre d'affaires.
Gaz de France est par ailleurs une entreprise rentable. Son bénéfice net s'est établi à 1,7 milliard d'euros en 2005, en augmentation de près de 30 % par rapport en 2004, pour un chiffre d'affaires consolidé de 22,4 milliards d'euros.
Enfin, en termes financiers, Gaz de France est une entreprise peu endettée. Sa structure de bilan est saine puisque la dette financière nette des disponibilités à la fin de l'année 2005 ne représente que 20 % des fonds propres, ou encore huit mois et demi de cash flow opérationnel.
Vous me pardonnerez, mes chers collègues, d'avoir dû rappeler ces quelques chiffres, qui étaient nécessaires pour mettre en perspective le problème dont nous traitons.
Malgré ces éléments favorables dans l'instant, si l'on regarde les choses en termes de perspectives, il est clair que Gaz de France doit grandir, d'une part, pour pouvoir « peser » face à des fournisseurs de gaz puissants, de plus en plus puissants, voire surpuissants, et, d'autre part, pour ne pas rester isolé, enclavé, pendant les grandes manoeuvres qui s'opèrent sous nos yeux au sein de l'industrie européenne de l'énergie.
En ce qui concerne les fournisseurs, rappelons, mes chers collègues, et M. le ministre a évoqué ce point tout à l'heure, que 40 % du gaz commercialisé par Gaz de France provient de deux pays seulement : la Russie et l'Algérie, pays qui ont d'ailleurs conclu cet été un protocole dont nous ne connaissons pas encore toutes les conséquences concrètes.
Malgré les assurances que nous donne notre partenaire russe, la question se pose de la capacité de Gazprom à respecter dans l'avenir les contrats à long terme que cette entreprise a souscrits. Elle se pose non seulement pour des raisons politiques - nous devons les prendre en compte, notamment en référence à la crise russo-ukrainienne qui s'est produite voilà juste un an -, mais aussi pour des raisons techniques. Gazprom est aujourd'hui pour la Russie une extraordinaire pompe à finances dont la réalité économique permet à l'État russe, que l'on ne saurait bien sûr condamner pour cela, de se désendetter rapidement. Pour la Fédération de Russie, la priorité est là, plus qu'à la réalisation des investissements dans la branche exploration-production qui sont le seul gage, la seule garantie que Gazprom honorera tous les contrats à long terme actuellement signés, en cours de signature, ou qui seront signés dans un avenir proche par cette société.
Peut-être l'accord de coopération signé le 4 août 2006 entre Gazprom et la Sonatrach préfigure-t-il une « cartellisation » encore plus avancée du marché européen du gaz. Il est donc clair que Gaz de France se trouve devant l'urgente et criante nécessité de diversifier davantage encore ses approvisionnements et, à cette fin, d'atteindre une certaine « taille critique » par rapport à ses fournisseurs.
Par ailleurs, Gaz de France ne saurait rester isolé du fait de son actionnariat dans les « grandes manoeuvres » de l'industrie européenne de l'énergie.
Je rappellerai, bien que cela ait déjà été fort bien évoqué, qu'un mouvement considérable de fusions et d'acquisitions s'est déroulé depuis le début des années 2000 ; au demeurant, EDF, pour ce qui la concerne, y participe largement, et nous avons tout lieu de nous en réjouir.
Aujourd'hui, ce mouvement change d'échelle, ainsi que l'illustre, en particulier, la bataille entre l'espagnol Gas natural et l'allemand E.ON pour l'acquisition du grand électricien espagnol Endesa, valorisé à une trentaine de milliards d'euros.
Dès lors, si l'on est convaincu de cette nécessité de grandir et de se désenclaver, quelles alliances choisir ?
Cela a été dit très clairement par M. le ministre de l'économie, il n'appartient pas au présent projet de loi de trancher cette question, mais il lui appartient et il nous appartient de créer les conditions juridiques d'une bonne alliance.
Dans le passé, un passé relativement lointain - je suis d'ailleurs étonné que la mémoire soit si courte -, on évoquait des alliances entre pétroliers et gaziers. Voilà dix ans, les observateurs de ces secteurs raisonnaient en effet en ces termes, et l'on prédisait parfois un regroupement entre Total et Gaz de France.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. C'est M. Fabius qui l'évoquait !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. C'était sans doute raisonnable à ce moment-là.
Aujourd'hui, l'envolée des capitalisations des grandes sociétés pétrolières ne permet plus d'envisager de telles alliances ou de tels regroupements, car cela marginaliserait complètement, diluerait totalement la présence de l'État dans le capital de l'entité qui résulterait d'un tel rapprochement.
Par conséquent, si l'on exclut cette orientation qui pourrait avoir un sens du point de vue industriel mais qui n'est plus possible, quelles alliances sont-elles concevables ?
Il en est deux. La première a souvent été évoquée - on y reviendra sans doute au cours des débats -, c'est le regroupement d'EDF et de GDF.
Mme Hélène Luc. C'est évident ! Alors pourquoi faire ce que vous faites ?
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Attendez que j'arrive au terme de mon propos, madame Luc !
M. Roland du Luart. Éclairez-la !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. La seconde, qui a fait l'objet d'une annonce de principe dès le mois de février dernier, concerne le regroupement avec le groupe Suez-Electrabel, celui-ci me paraissant aujourd'hui être la formule la meilleure, celle qui présente le plus d'avantages au moins du point de vue de l'État actionnaire.
Mme Marie-France Beaufils. Même pour EDF, alors ?
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Mes chers collègues, je parle de l'État actionnaire. Je me suis efforcé de dire dès le départ que c'était l'angle d'attaque de la commission des finances qui ne saurait être critiquée pour cela,...
Mme Marie-France Beaufils. Je suis bien d'accord !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. ...car elle se considère un peu comme gardienne du patrimoine public, du patrimoine collectif et de sa valorisation.
Par conséquent, si j'accole le terme « État » au terme « actionnaire », je pense que, à ce point de l'exposé, le terme « actionnaire » n'a pas lieu de vous faire peur.
Mme Marie-France Beaufils. Ce n'est pas ce que j'ai dit !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. En ce qui concerne EDF, je me réfère à une analyse juridique dont j'ai eu connaissance, réalisée d'ailleurs à la demande de l'Agence des participations de l'État, et qui émane d'un grand cabinet juridique parisien, le cabinet Bredin-Prat. Cette étude, qui est disponible, montre en termes très argumentés que la fusion d'EDF et de GDF renforcerait la position dominante d'EDF et de GDF sur leur marché historique, en fait par élimination de leur principal concurrent potentiel.
Qui est le principal concurrent potentiel d'EDF dans un marché où se développera l'offre multi-énergies ? C'est GDF. Et qui est le principal concurrent potentiel de GDF sur un tel marché ? C'est EDF.
Si l'un et l'autre fusionnent, compte tenu de la force dont il s'agit, le principe même de la concurrence sera totalement privé d'effet sur le territoire de la République française. Et la capacité de ce nouveau groupe de s'imposer dans les offres commerciales « multi-énergies » renforcerait encore cet effet de domination.
Il en résulte, d'un point de vue juridique, que la Commission européenne, dans le cadre des compétences qui lui sont reconnues par les traités, ferait naturellement payer très cher - je ne juge pas, je dis le droit et les faits - la création d'une telle position dominante de marché. C'est pourquoi l'étude que j'ai citée, qui est publique, estimait que la Commission européenne ne pourrait autoriser une telle fusion qu'en cas de cession d'actifs majeurs. M. le ministre et M. le rapporteur ont donné des exemples concrets sur ce que cela pourrait signifier, M. le rapporteur aussi : 10 % à 15 % du parc nucléaire d'EDF, 15 % à 20 % de capacités de stockage de gaz compétitives de GDF.
Mes chers collègues, de telles conséquences seraient à l'évidence insupportables.
J'ajouterai à titre personnel, hors de l'analyse juridique, un argument supplémentaire pour récuser une telle issue.
Nous verrions aussi se constituer un véritable « empire énergétique » d'une puissance absolument considérable, un « État énergétique dans l'État », qui serait certainement bien difficile à orienter pour un État actionnaire beaucoup plus faible que son immense filiale avec les perspectives qui lui seraient ouvertes en France, en Europe et à l'extérieur.
Et si l'on veut rester dans un État bien administré, il faut quand même se préoccuper quelque peu de l'équilibre. Une telle concentration - 180 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 215 000 employés - est-elle véritablement une perspective soutenable ?
M. Robert Bret. Oui !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. C'est votre droit de le penser !
S'agissant de Suez, nous pouvons faire état de complémentarités évidentes, d'une diversification bienvenue des approvisionnements de gaz grâce à des contrats qui existent déjà et qui sont susceptibles de se développer, notamment avec le Qatar et le Yémen. M. le rapporteur a fait allusion très clairement à la possibilité que représente le marché du gaz pétrolier liquéfié. On peut dire que, à l'horizon 2007, la dépendance à l'égard de la Russie et de l'Algérie est susceptible de baisser déjà de manière significative, la part de ces deux pays retombant de 40 % environ à quelque 26 %, ce qui est une donnée aisément vérifiable. (Mme Nicole Bricq s'exclame.)
M. Robert Bret. Il n'y a pas besoin de souplesse pour cela !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Par ailleurs, une grande complémentarité des actifs gaziers et électriques des deux groupes permet de se positionner de manière crédible sur les offres multi-énergies. Des synergies opérationnelles, des économies liées au rapprochement ont été chiffrées par les deux groupes et surtout cautionnées par des études indépendantes d'analystes financiers, à un montant compris entre 500 millions d'euros et 1 milliard d'euros à l'horizon 2009, 2010, 2012, selon les différentes études. C'est évidemment un enjeu tout à fait considérable. Le nouvel ensemble aura les moyens de son efficacité économique.
Dès lors, mes chers collègues, l'échange éventuel de 70 % du capital de Gaz de France contre 34 % du capital d'un nouvel ensemble Suez-Gaz de France, s'il voit le jour, est un échange favorable à l'actionnaire État dans le moyen et le long terme. (Protestations sur les travées du groupe CRC.) Il est de nature à motiver un avis positif de la commission des finances sur l'article 10 du présent projet de loi.
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. J'ajoute, mes chers collègues, que cet article encadre très correctement les choses.
Rappelons les pouvoirs qui s'attachent à la minorité de blocage dans notre droit des sociétés. C'est bien un droit de veto pour les décisions relevant des assemblées générales extraordinaires : changement de statut, d'objet social, de siège social.
Rappelons surtout que l'on nous propose la création d'une action spécifique...
Mme Nicole Bricq. Voilà !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. ... permettant à l'État d'exercer un droit de veto sur certaines décisions, en particulier sur les cessions d'actifs susceptibles de porter préjudice aux intérêts essentiels de la France. Je pense, mes chers collègues - c'est une précision qu'il faudra apporter -, que cette expression « intérêts essentiels de la France » est préférable en définitive à l'expression « intérêts nationaux » telle que figurant dans le projet de loi qui nous est soumis. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Robert Bret. Quand on prépare un mauvais coup, il vaut mieux l'enrober !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Par ailleurs, un commissaire du Gouvernement sera présent avec voix consultative et assurera la représentation de l'État au sein des organes de direction (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées), non seulement de la société issue de Gaz de France mais aussi des principales filiales.
M. Robert Bret. C'est un cautère sur une jambe de bois !
Mme Hélène Luc. Qu'est-ce que cela changera ?
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Enfin, je rappelle que ni le service public du gaz résultant de la loi du 3 janvier 2003 dans sa dernière rédaction ni le statut du personnel des industries électriques et gazières résultant de la loi du 8 avril 1946 ne sont remis en cause par le présent projet de loi. (On verra ! sur les travées du groupe CRC.)
Mes chers collègues, j'ajouterai un dernier mot sur l'aspect patrimonial. La commission des finances souhaiterait que, d'une certaine façon, l'accessoire suive le principal, c'est-à-dire que les distributeurs locaux contrôlés par des municipalités puissent aussi voir leur capital ouvert, car les dispositions qui s'imposent à eux ne sont que le miroir de la loi de nationalisation de 1946.
M. Charles Pasqua. C'est très important !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. C'est en effet très important pour certaines grandes villes de notre pays.
Je serai beaucoup plus bref sur la problématique de la régulation car vous en connaissez déjà tous les éléments.
La commission des finances a proposé au Sénat, lors de l'examen de deux lois de finances rectificatives consécutives, de bien vouloir voter des dispositions conférant à la Commission de régulation de l'énergie la personnalité morale et l'autonomie financière.
Un régulateur indépendant est un régulateur qui maîtrise son budget. Par conséquent, si le pouvoir exécutif peut réguler un budget, l'indépendance n'est pas totale. Si les moyens en personnel mis au service du régulateur sont soumis à un contrôle budgétaire et administratif au sein d'un ministère, l'indépendance du régulateur n'est pas aussi large qu'on pourrait le souhaiter.
Vous ne serez donc pas surpris si la commission des finances vous soumet à nouveau les deux amendements correspondants.
S'agissant de la composition et des missions de la Commission de régulation de l'énergie, la commission des finances a adopté un amendement identique à celui de la commission des affaires économiques.
J'en profite d'ailleurs pour dire que, contrairement à nos collègues du Palais Bourbon, nous n'avons pas voulu nous livrer à une surenchère ou à une compétition même amicale entre commissions. Nous avons choisi des approches qui sont conjointes, complémentaires, et, comme l'a dit M. le rapporteur, « des approches qui reflètent une certaine complicité » entre le rapporteur et le rapporteur pour avis.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Merci !
M. Jean Desessard. Il n'y a plus de libre concurrence !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. J'en viens à ma conclusion : il s'agit de la question des tarifs, qui est l'essentiel, le fond même du sujet.
Nous devons reconnaître et accepter, mes chers collègues, que, lors de la négociation au nom de la France des directives de l'Union européenne sur l'ouverture des marchés de l'énergie, nombre d'observateurs et d'acteurs se sont trompés, certainement de bonne foi. L'erreur est très largement collective. Mais ils se sont trompés parce qu'on leur a prédit des mécanismes d'ajustement du marché non pas sur le coût marginal à court terme de l'énergie la plus classique et la plus polluante, mais sur un coût de long terme résultant d'un mélange entre le nucléaire, le gaz et le charbon propre.
C'est ce qui a incité de nombreuses entreprises à opter pour l'éligibilité, et c'est Électricité de France elle-même qui l'a promue. Ce sont d'une certaine manière les pouvoirs publics qui l'ont fait,...
M. Robert Bret. Il faut être culotté pour présenter les choses ainsi !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. ...et ce sont les universitaires les plus réputés, les autorités académiques les plus incontestables qui ont prédit cet ajustement sur un certain optimum économique de marché.
M. Roland du Luart. C'est lumineux !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Or, mes chers collègues, cela ne s'est pas produit : il faut avoir la modestie de le constater.
Si les entreprises industrielles ou tertiaires qui ont opté pour l'éligibilité s'en sont bien portées pendant une brève période, elles ont ensuite vu leurs coûts d'approvisionnement augmenter et même s'envoler.
Comme l'a fait l'Assemblée nationale avec l'accord du Gouvernement, nous devons prendre en compte certaines questions, et je conclurai sur ce point.
M. Robert Bret. Ah bon !
M. Gérard Le Cam. C'est long...
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Mes propos vous seraient-ils désagréables, mes chers collègues ? (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
M. Bernard Saugey. Mais non ! Vous faites une très bonne analyse !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Ce pays s'est doté, grâce aux efforts de la puissance publique, des moyens d'assurer à long terme son indépendance énergétique, ...
M. Robert Bret. Alors pourquoi voulez-vous la lui enlever ?
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Laissez-moi m'exprimer, sinon, je ne vais pas pouvoir conclure mon propos !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Quel est le temps de parole attribué à un rapporteur ? N'est-il pas de dix minutes ?
M. le président. Laissez M. le rapporteur terminer son intervention !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Ce pays, disais-je, s'est doté des moyens de son indépendance énergétique. Pour y parvenir, il a consenti de lourds sacrifices, il a accepté des risques que d'autres pays européens n'ont pas voulu prendre.
Nos amis allemands ont-ils pris autant de risques ? La situation de la France n'est-elle pas exemplaire sur le plan européen du point de vue tant de son indépendance énergétique que de la protection de l'environnement ?
M. Jean Desessard. Alors pourquoi vouloir tout changer ?
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Ce pays doit donc être payé de retour. Il ne faut pas, dans les secteurs où nous avons un avantage compétitif, que nos entreprises souffrent plus que les autres.
Mme Hélène Luc. C'est pour cela que vous êtes opposé à un référendum, me semble-t-il.
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Dans ce contexte, la formule des « tarifs de retour », pour parler de manière simplifiée, est bonne et utile. Elle est aujourd'hui ce que l'on peut faire de mieux dans le respect des directives européennes, directives qui devront d'ailleurs, selon moi, être renégociées et révisées un jour, mais c'est un autre sujet.
Je souhaite, comme certains de mes collègues, notamment M. Jean Arthuis - nous avons d'ailleurs déposé un amendement sur ce sujet -, que nous parvenions à optimiser le tarif de retour, dans l'intérêt des entreprises consommatrices d'énergie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Roland du Luart. Bravo !
M. Bernard Saugey. Lumineux !
M. Roland du Luart. Vous avez réussi à convaincre Mme Luc !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, lors du débat d'orientation sur l'énergie du 15 juin dernier, nous avons abordé dans cet hémicycle de nombreux sujets de réflexion et débattu de l'intérêt du texte qui nous est présenté aujourd'hui.
Je ne reviendrai donc pas sur les termes de ce débat. Je focaliserai mon intervention sur les principales perspectives ouvertes par le présent projet de loi dont le contenu vient de nous être détaillé.
Le premier point que je souhaite aborder concerne l'avenir de Gaz de France et l'organisation du pôle énergétique français.
Le projet de loi, en autorisant une éventuelle privatisation de Gaz de France, ouvre à cette grande entreprise la voie de « mariages capitalistiques »...
M. Jean Desessard. Bel aveu !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. ...dont l'intérêt industriel a été abondamment souligné.
Cependant, ce choix suscite, ça et là, de vives contestations, et nous avons pu le constater tout à l'heure. Selon une contre-proposition que certains de nos collègues devraient défendre, et qui a été abondamment relayée par la presse, mieux vaudrait, plutôt que d'envisager la construction de deux très grands acteurs mondiaux de l'énergie dans notre pays, n'en avoir qu'un seul, mais gigantesque. Bref, on nous présente la fusion d'EDF et de GDF comme une alternative crédible.
Cette fusion eût peut-être été possible à l'époque où l'Europe de l'énergie n'était encore qu'une addition de monopoles nationaux. Mais aujourd'hui, les frontières ont été ouvertes : la règle qui a été posée par l'Europe, et relayée dans tous les pays de l'Union, est celle de la concurrence.
Depuis l'engagement de ce processus de libéralisation, les gouvernements français qui se sont succédé n'ont pas remis en cause le principe et tous au contraire ont contribué à le définir.
Or, nous le savons bien, la logique de la concurrence interdit la construction d'un groupe hégémonique sur notre marché national, ce que seraient EDF et GDF rassemblés. Plus précisément, si un tel groupe voyait le jour, le prix à payer serait tout à fait exorbitant. Ce que les autorités européennes de la concurrence tendraient alors vraisemblablement à imposer pour garantir un minimum de concurrence ne serait en effet ni plus ni moins que le démantèlement du parc nucléaire d'EDF. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
La commission des affaires économiques du Sénat avait organisé en juin 2002, juste après les élections législatives, un colloque sur l'avenir du secteur énergétique français au cours duquel l'importance de ce risque avait été soulignée. En 2004, le rapport Roulet, que vous avez évoqué, monsieur le ministre, rédigé par une commission indépendante, a confirmé que ce démantèlement nucléaire serait probablement la contrepartie exigée par Bruxelles en échange de l'acceptation d'une telle fusion.
Ce rapport exposait également les conséquences dévastatrices qui découleraient pour EDF d'une telle exigence, tant le contrôle de ses cinquante-huit centrales nucléaires est une de ses grandes forces.
M. Daniel Reiner. On joue à se faire peur !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Les négociations conduites actuellement auprès des instances européennes de la concurrence à propos des cessions d'actifs, qui seraient exigées notamment sur le marché belge si Gaz de France et Suez se rapprochaient, prouvent bien, s'il en était besoin, que ce qui vient d'être évoqué n'est nullement une hypothèse d'école.
Bien plus, l'interdiction récente par la Commission européenne d'un projet de fusion de même nature, envisagé au Portugal, démontre clairement, puisqu'il était d'envergure bien moindre à l'échelle européenne, la vigilance, voire l'intransigeance de Bruxelles sur ces questions.
Mais certains d'entre vous ne sont peut-être pas encore convaincus par le caractère périlleux d'un regroupement d'EDF et de GDF. Qu'il me soit donc permis d'évoquer le rapport présenté en 1999 au Premier ministre, M. Lionel Jospin, par l'une de nos collègues alors députée socialiste. Ce rapport tout à fait remarquable concluait une mission de réflexion et de concertation qu'elle avait conduite sur la transposition de la directive européenne sur le marché intérieur du gaz. On pouvait lire à la page 29 de ce rapport particulièrement limpide qu'un rapprochement de GDF avec EDF, qui « se traduirait juridiquement par la fusion des deux établissements publics dans le but de créer un grand pôle public de l'énergie, semble voué à l'échec. »
Mme Nicole Bricq. Vous avez de bonnes lectures !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de la commission des affaires économiques. Outre la difficulté pour la nouvelle entité de respecter le principe de spécialité propre à chacun des opérateurs, ce rapport expliquait que l'on pouvait craindre « une réaction négative à ce rapprochement de la part des autorités communautaires sous la forme de l'imposition de conditions strictes, au titre du contrôle des concentrations, comme une limitation des opérations de développement ou la cession de certaines activités, ce qui nuirait à la fois à EDF et à GDF et conduirait de fait à un démantèlement des deux entreprises ».
Je ne suis donc pas le seul, mes chers collègues, à vous mettre en garde contre le danger d'idées séduisantes, mais irréalistes. Une des voix les plus autorisées du groupe socialiste fait choeur avec la mienne à sept ans de distance. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
On ne peut donc que se poser la question de savoir pourquoi un projet enterré sous Lionel Jospin ressurgit sous Dominique de Villepin ? Cela signifie-t-il, pour pasticher une formule de Pascal, que vérité en deçà de 2002 devient erreur au-delà de l'approche de 2007 ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP. -Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. C'est une question pertinente !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Guy Fischer. C'est de la provocation !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Je ne trancherai pas ce débat. Ce que je souhaite dire ici, c'est qu'il n'est pas sain de vanter les mérites d'une fusion d'EDF et de GDF qui serait immanquablement censurée par Bruxelles. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
M. Robert Bret. Qui peut vous croire ?
M. Guy Fischer. Il faut résister à Bruxelles !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Ce n'est pas bon pour la qualité du débat politique et ce n'est pas bon pour l'Europe. En effet, après avoir fait miroiter à l'opinion des projets impossibles, on ferait peser l'opprobre de leur censure sur l'Union européenne que, par ailleurs, on propose de rendre plus démocratique. C'est avec de telles stratégies que l'on peut perdre des référendums dont on a été les premiers à réclamer l'organisation !
M. Yves Coquelle. Vous ne voulez pas de référendum !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Le souci de l'Europe doit, bien entendu, nous conduire aussi à soutenir la position que vient d'exprimer M. Ladislas Poniatowski, s'agissant de ce qu'il est convenu d'appeler le tarif de retour.
Il est en effet normal à mes yeux, eu égard au profond déséquilibre qui existe actuellement entre le tarif régulé et les prix du marché, que nous prenions une mesure provisoire pour corriger cette situation.
Cependant, décider dès maintenant que cette mesure sera renouvelable à l'échéance de sa première application, dans deux ans, reviendrait indirectement à réduire comme peau de chagrin l'ouverture du marché et la libre fixation des prix.
En effet, cela ne reviendrait-il pas tout simplement à défaire ce qui avait été construit antérieurement ? À terme, cela n'aboutirait-il pas, de renouvellement en renouvellement, à ce qu'il n'y ait plus guère que deux tarifs, le tarif régulé et le tarif de retour, c'est-à-dire deux tarifs administrés ? Où serait alors la concurrence ? Où serait le respect des engagements que nous avons pris devant l'Union européenne ?
Là encore, nul doute que, à terme plus ou moins éloigné, le caractère renouvelable de la mesure soit, pour des raisons parfaitement légitimes, censuré par Bruxelles. Dans cette hypothèse, la responsabilité de la décision serait, une fois encore, mise au passif de Bruxelles alors que, en réalité, c'est nous qui n'aurions pas su prendre nos responsabilités au moment où nous avions à les exercer.
Ce ne serait pas digne de la France. Ce ne serait pas digne de l'image de la France en Europe. Ce ne serait pas digne de la conception que nous nous faisons de l'Europe. C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à adopter l'amendement que la commission des affaires économiques vous présentera sur ce sujet.
Enfin, le dernier point important sur lequel je tiens à attirer votre attention a trait à la composition et aux missions de la Commission de régulation de l'énergie.
S'agissant d'abord des missions de la Commission de régulation, le dispositif qui vous est présenté s'inspire des travaux conduits par notre collègue M. Patrice Gélard. Je tiens à cette occasion à rendre hommage à la cohérence et à la pertinence des propositions qu'il a avancées quant à l'organisation des autorités administratives indépendantes.
S'agissant ensuite de la composition de la Commission de régulation de l'énergie, il vous est demandé de revenir à un collège plus proche de celui qui avait été instauré initialement. Comme l'a rappelé à juste titre M. le rapporteur, le contrôle du Parlement sur l'action de cette Autorité ne passe vraisemblablement pas par la désignation de plusieurs de ses membres au collège. J'en suis pour ma part convaincu, et il me paraît plus instructif d'entendre régulièrement le président ou les membres de cette autorité plutôt que de déléguer des collègues pour y siéger. J'espère sincèrement que ce point de vue sera partagé par la Haute Assemblée.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à l'orée du long débat qui s'ouvre maintenant, je forme un dernier souhait : que ce débat soit dense et qu'il permette à chacune et à chacun d'exprimer complètement ses opinions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. Ce voeu est partagé par le président du Sénat.
(M. Roland du Luart remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
vice-président
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 125 minutes ;
Groupe socialiste, 82 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 34 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 27 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 22 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je m'exprimerai au nom de mes collègues ne figurant sur la liste d'aucun groupe. Avant d'entrer dans le vif du sujet, il me semble important de faire un détour, en évoquant la réalité, et non pas l'image rêvée, du contexte énergétique.
Cette réalité est inquiétante pour trois raisons, qui résultent de trois constats.
J'évoquerai tout d'abord le marché mondial de l'énergie. Contrairement à ce qui se passait au cours de la période heureuse de 1981 à 1999, la consommation mondiale croît désormais plus vite que la production mondiale, sous le triple effet de l'épuisement de la ressource, du manque d'investissement en matière de capacités et de l'arrivée de grands pays émergents, notamment les grands pays asiatiques. Cela signifie que la ressource, quelle qu'elle soit, sera durablement rare et chère.
Ensuite, s'agissant plus particulièrement du marché du gaz et des besoins dans ce domaine, le mix énergétique européen connaîtra des bouleversements dans les vingt prochaines années. La part du gaz dans la consommation énergétique va doubler, pour une raison assez simple, que l'on pourrait appeler la convergence : le gaz sera utilisé, de plus en plus, pour fabriquer de l'électricité, parce que la production nucléaire plafonne et que celle de charbon décroît désormais, notamment en raison des rejets de CO2.
Concernant les ressources, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, on observe une hyperconcentration des gisements entre des mains qui ne sont pas innocentes, et encore moins philanthropes, et qui voudraient bien utiliser fréquemment, ce qu'elles font d'ailleurs, l'énergie et la ressource en énergie comme une arme à l'égard d'autres pays.
Enfin - c'est mon troisième constat -, la dépendance énergétique de la France est impressionnante. Notre taux de dépendance gazière, en particulier, atteint pratiquement 100 %.
Mes chers collègues, même avec la mise en service du réacteur EPR de Flamanville en 2012, si nous n'avons pas construit trois centrales thermiques à gaz avant 2010, nous serons rapidement au-dessus du seuil de défaillance. C'est dramatique pour notre économie, il faut le dire.
Parallèlement, les directives européennes prévoient l'ouverture du marché à partir de juillet prochain : celle-ci accélérera encore le mouvement de concentration, en aval, comme cela a été dit très largement, mais aussi en amont. Personne, pour le moment, n'a fait référence à la licence de commercialisation que Gazprom s'est procurée voilà quelques mois, non pas en Géorgie ou en Ukraine, mais en France.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Bien sûr !
M. Bruno Retailleau. On voit donc bien, à travers ces trois constats, que le monde de l'énergie change rapidement. Devant ces changements, seules deux attitudes sont possibles : la première est de ne pas bouger, en se claquemurant dans un certain nombre de certitudes ; la seconde est d'essayer de maîtriser l'évolution, de peser sur cette dernière en étant réactif et en regardant objectivement ces grandes évolutions.
Concernant le premier volet du texte, cette tension, cette dialectique entre l'adaptation et la non-adaptation, a été parfaitement évoquée par Ladislas Poniatowski : si l'envie nous prenait de ne pas transposer la directive, nous perdrions de facto et de jure la possibilité d'avoir un tarif régulé du gaz.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Bien sûr !
M. Bruno Retailleau. Il en va de même, me semble-t-il - ne nous cachons pas derrière notre petit doigt -, pour le second volet du projet de loi. Face à la perspective d'une alliance entre GDF et Suez, l'essentiel du débat va donc se concentrer sur deux questions : premièrement, peut-on avoir une plus grande indépendance énergétique si l'État détient une part moins importante dans le capital du futur groupe ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Bonne question !
M. Bruno Retailleau. Deuxièmement, les missions de service public peuvent-elles être conservées, voire améliorées, avec une part de l'État moins importante dans le capital ?
Tout d'abord, qu'est-ce que l'indépendance énergétique pour un pays qui n'a ni champ pétrolier ni gisement de gaz ? On peut la définir très objectivement, me semble-t-il, par trois critères.
Il s'agit, en premier lieu, d'effectuer de bons choix énergétiques. Il convient, en second lieu, de sécuriser notre approvisionnement. Il nous faut, en troisième lieu, constituer de grands acteurs mondiaux.
Faire de bons choix énergétiques signifie, bien sûr, réaliser des économies d'énergie. Vous avez tous pu constater qu'il fait souvent très chaud dans les bureaux du Sénat. Si, au niveau national, nous réduisions d'un degré le chauffage, notre économie d'énergie serait de 7 % ! C'est extraordinaire !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Nous pourrions le faire au Sénat !
M. Bruno Retailleau. Mes chers collègues, nous pourrions tomber d'accord sur le fait que nos bureaux, au Sénat, pourraient parfois être un peu moins chauffés.
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Tout à fait !
M. Bruno Retailleau. Les bons choix énergétiques, c'est aussi et surtout la maîtrise des deux activités de souveraineté énergétique, à savoir le nucléaire et le gaz naturel liquéfié, le GNL. Ces dernières nous permettent en effet de nous exonérer de la contrainte de production. Demain, si l'alliance GDF-Suez se fait, nous aurons le premier acteur mondial s'agissant du GNL.
Par conséquent, GDF, qui, pour le moment, n'est qu'une entreprise qui achète du gaz pour le distribuer, pourra en produire, sur d'autres champs, qui seront au Yémen, au Qatar ou en Égypte, grâce à sa flotte de méthaniers. Elle pourra conquérir une activité de production pouvant ensuite représenter jusqu'à 15 % de son activité totale.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Tout à fait !
M. Bruno Retailleau. C'est considérable, je tenais à le dire.
À mes yeux, l'indépendance énergétique passe non seulement par ces bons choix, mais aussi par la sécurité d'approvisionnement, qui sera renforcée. Le nouveau groupe disposera en effet d'une dizaine de pays source et d'une combinaison de portefeuilles d'approvisionnement qui sera sans équivalent en Europe et même, pratiquement, dans le monde occidental.
Vous le savez, il n'y a que deux façons de se fournir en gaz : par les gazoducs, mais c'est risqué, et par le GNL. En disposant de positions déterminantes sur le GNL, il est possible, de fait, d'accroître notre sécurité d'approvisionnement.
S'agissant de la constitution d'acteurs mondiaux, il s'agit, sur un marché mondial, de relever deux défis : réaliser des investissements en faveur de la capacité de production, sans trop recourir à l'endettement, c'est-à-dire en préservant un bilan solide, ...
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Pour assurer l'indépendance énergétique !
M. Bruno Retailleau. ... et conserver une sécurité d'approvisionnement. Sur ce dernier point, l'enjeu est capital : il s'agit de savoir si, à côté d'Areva, de Total et d'EDF, nous voulons construire, tous ensemble, le quatrième pôle français d'excellence dans le domaine de l'énergie.
Je sais bien que certains rêvent d'autres alliances. Je crois très honnêtement que, dès lors que l'on s'inscrit dans un État de droit, notamment européen, tel qu'il nous est imposé aujourd'hui, l'alliance GDF-Suez est la seule possible, parce qu'elle est eurocompatible, grâce, tout simplement, à sa complémentarité. En effet, dans le cadre d'une alliance entre EDF et GDF, 97 % du marché du gaz et de l'électricité se trouveraient concentrés dans les mains d'un seul groupe, ce qui poserait un problème juridique. Une telle solution n'est donc pas envisageable.
Certains, notamment à l'Assemblée nationale, estiment que, la mariée étant trop belle et l'alliance tellement désirable, celle-ci ne manquera pas, inévitablement, d'attirer un prédateur.
M. Bruno Retailleau. Ils reconnaissent ainsi implicitement que c'est un beau mariage ! Ils oublient cependant le droit des sociétés, que vous avez rappelé tout à l'heure, monsieur le ministre : l'État détenant le tiers des actions, une assemblée générale extraordinaire ne pourra pas faire n'importe quoi, notamment en termes de structure de l'entreprise.
En outre, grâce à certaines actions spécifiques, en particulier l'espèce de droit de veto détenu par l'État sur les actifs les plus essentiels, la souveraineté énergétique française sera renforcée.
Une dernière question importante, après l'indépendance énergétique, concerne les missions de service public. En d'autres termes, un fournisseur public serait-il mieux à même qu'un fournisseur privé de garantir les missions de service public, notamment des tarifs convenables ? Je ne le crois pas, s'agissant, en particulier, des prix. En effet, comment expliquer que, depuis quinze ans, pour les ménages, les tarifs du gaz belge soient toujours inférieurs à ceux du gaz français, alors que, en Belgique, c'est Suez qui fournit le gaz et que, en France, il s'agit d'un groupe public ?
Comment expliquer que, sur la période 2000-2001, l'augmentation des tarifs du gaz ait été de 30 %, alors que l'entreprise qui a pris la décision de ces augmentations est complètement publique ? En réalité, nous aurons non pas un prix, mais un tarif qui sera régulé. Permettez-moi, mes chers collègues, de vous dire que l'idée selon laquelle une entreprise nationalisée est plus compétitive et plus à même de proposer de meilleurs prix est une idée un peu simple et peut-être même un peu vieillotte. (M. Michel Bécot applaudit.)
Le nouveau groupe héritera de la totalité des obligations et des missions de service public, lesquelles sont précisées dans différents textes, en particulier le contrat de service public entre l'État et Gaz de France signé le 10 juin 2005. Mes chers collègues, ne confondons pas la structure du capital et la capacité d'une entreprise à assurer des obligations de service public ! Dans chacun de vos départements, vous constatez qu'il existe en France beaucoup plus d'entreprises privées chargées de missions de service public que d'entreprises publiques chargées de missions de service public. Je pense notamment aux délégations de service public, ...
M. Robert Bret. Pour l'eau et l'assainissement !
M. Bruno Retailleau. C'est vrai non seulement pour l'eau, mais aussi pour la continuité territoriale entre les îles et le continent...
M. Robert Bret. On voit le résultat pour les liaisons avec le Corse !
M. Bruno Retailleau. Ce projet de loi, monsieur le ministre, va dans le sens d'un renforcement des obligations de service public, avec, par exemple, l'institution - et c'est capital - d'un tarif social du gaz pour les plus démunis. Personnellement, c'est l'une des raisons qui a emporté ma décision.
Par ailleurs, le texte va aussi dans le sens d'un meilleur contrôle du régulateur. L'État sera un actionnaire moins important, mais il devra assurer ses missions de régulation par le biais d'une autorité administrative indépendante. Le régulateur disposera de compétences renforcées, d'une composition élargie et, surtout, d'un comité, qui pourra décider soit d'une médiation, soit d'une sanction, et qui pèsera dans les différents débats.
Ce texte est difficile, mais c'est un bon texte. Je crois qu'il prépare les défis du XXIe siècle et l'avenir énergétique des futures générations. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Yves Coquelle.
M. Yves Coquelle. Monsieur le ministre, je dois vous dire tout de suite que vous n'allez pas entendre le même son de cloche !
M. Ladislas Poniatowski. On s'en doute !
M. Yves Coquelle. Nous sommes réunis aujourd'hui pour discuter en hâte d'un projet de loi qui portera, s'il est adopté, un coup fatal au service public de l'énergie gazière, ...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui !
M. Yves Coquelle. ... entraînant dans son sillage, sans aucun doute, le service public de l'électricité.
Avec ce texte, le Gouvernement poursuit la mise en oeuvre, dans le secteur de l'énergie, des politiques d'ouverture à la concurrence, de désengagement de l'État et de démantèlement des entreprises publiques : aujourd'hui Gaz de France, et demain EDF !
Sur ce sujet, vous comprendrez, monsieur le rapporteur, que nous ne puissions accorder de crédit à vos paroles rassurantes sur la non-privatisation d'EDF. Nous n'avons pas la mémoire courte au point d'oublier - pour ne citer que vous ! - les mots qui ont été les vôtres en 2004.
Vous affirmiez alors ceci : « le Parlement lui-même a souligné son attachement au maintien dans le secteur public d'EDF et de GDF, considérant que la conduite de la politique énergétique nécessite le maintien et le développement d'entreprises publiques nationales ».
Le projet de loi que nous examinons deux ans plus tard est aux antipodes de ces sages paroles ! En asservissant les secteurs de l'électricité et du gaz au libre échange et à la rentabilité à court terme, le Gouvernement place les pouvoirs publics en dehors des décisions énergétiques pour la France, pour l'Europe et même pour la planète.
De plus, l'entrée d'investisseurs privés dans le capital des entreprises historiques appelle nécessairement une rentabilité des capitaux investis, à plus forte raison si ces investisseurs privés sont majoritaires ! La recherche de la création de valeur pour les actionnaires est totalement inconciliable avec les missions d'intérêt général inhérentes au service public de l'énergie.
Seul un service public de l'énergie est à même d'assurer l'indépendance énergétique, la sécurité d'approvisionnement, le droit à l'électricité pour tous, le développement équilibré du territoire, dans le respect de l'environnement.
Nous avons demandé à de multiples reprises un bilan des conséquences de la libéralisation des marchés de l'énergie. En 2002, à Barcelone, le président de la République, Jacques Chirac, et son premier ministre, Lionel Jospin, avaient tenté de rassurer nos concitoyens en faisant valoir qu'ils avaient obtenu qu'un bilan soit réalisé avant l'ouverture totale des marchés prévue en juillet 2007.
M. Bernard Frimat. Eh oui !
M. Yves Coquelle. En janvier 2006, monsieur le ministre, vous aviez déclaré qu'un bilan serait réalisé et confié à une commission indépendante.
M. Robert Bret. Il est où, ce bilan ?
M. Yves Coquelle. Nous avons aujourd'hui la certitude que ce bilan ne sera pas dressé. Et pour cause, il serait désastreux et condamnerait votre politique énergétique ! La libéralisation des marchés de l'énergie en Europe, c'est 250 000 emplois supprimés ou précarisés ; c'est la hausse des tarifs qui étrangle déjà les entreprises et, bientôt, les particuliers ; ce sont des ruptures d'approvisionnement, et j'en passe ! Vous n'ignorez pas ces effets dévastateurs. Pourtant, votre projet de loi met tout en oeuvre pour accélérer ce processus destructeur pour notre service public, pour nos emplois et pour notre industrie.
Les articles 1er et 2 ouvrent à la concurrence les marchés de l'électricité et du gaz aux consommateurs domestiques. Ils leur « offrent » donc la possibilité de sortir des tarifs régulés. Vous martelez que le consommateur a le choix ; la preuve serait que l'article 4 maintient les tarifs régulés. Mais, en réalité, ce que vous nommez « libre choix » n'est qu'une mascarade !
D'abord, la libéralisation transforme l'usager en consommateur et l'expose à la hausse des prix qu'elle entraîne. De quelle liberté dispose-t-on quand on sait que la facture de gaz a augmenté de 70 % depuis l'ouverture du marché en 2000, que l'écart entre les prix du marché et les tarifs réglementés pour l'électricité vient d'atteindre 61 % et, enfin, que les entreprises ont subi des augmentations de 70 % à 100 % de leur facture électrique depuis trois ans ?
Ensuite, l'article 4 ne permet pas aux consommateurs ayant exercé leur éligibilité de revenir aux tarifs réglementés. Pourquoi poser une telle interdiction si les tarifs du marché sont tellement avantageux ?
Enfin, quelle pérennité assurer aux tarifs réglementés si la volonté politique est de les voir disparaître ?
Il est assez édifiant de constater que, à côté de cet affichage à l'article 4, il existe, d'une part, une réelle volonté sur les plans national et européen d'alignement des tarifs réglementés sur ceux du marché et que, d'autre part, cette entreprise est facilitée par l'absence de transparence et de contrôle sur la formation des tarifs réglementés.
Cette volonté de convergence se ressent déjà. Normalement, les tarifs réglementés sont censés répercuter exactement la hausse des coûts d'approvisionnement. Or, dans les comptes de Gaz de France du premier semestre 2006, pour la première fois de son histoire, la marge gaz a continué à progresser, alors que les coûts d'approvisionnement augmentaient.
Dans son rapport de 2006, la Commission de régulation de l'énergie déplore d'ailleurs « les freins à l'ouverture du marché ». Citant la Commission européenne, elle indique ceci : « en imposant des tarifs réglementés tels que la part fourniture des tarifs soit particulièrement basse et sensiblement inférieure aux prix du marché, la France empêche l'entrée des concurrents ». Les tarifs réglementés sont également au banc des accusés de la lettre de griefs du Commissaire chargé de la concurrence.
L'opacité de la formule tarifaire contenue dans des accords secrets entre l'État et Gaz de France renforce encore nos craintes sur la pérennité de ces tarifs. Comment les garantir s'il n'y a aucun contrôle ?
Quand on vous parle d'indépendance et de transparence dans la formation des tarifs réglementés, l'idée court de les confier à la Commission de régulation de l'énergie, alors que cette dernière est contre !
En ce qui concerne le tarif transitoire d'ajustement du marché, il nous semble qu'on peut légitimement douter de son efficacité quand on sait, par exemple, qu'en 2005 GDF a augmenté ses dividendes de 48 %. Vous pensez réellement, monsieur le ministre, que les prix vont baisser sous l'effet de l'actionnariat privé ?
M. Yves Coquelle. De plus, il est tout simplement scandaleux que le financement de la compensation se fasse par une contribution due par les opérateurs historiques. Cette compensation ne manquera d'ailleurs pas de se répercuter sur les usagers domestiques et les PME !
Enfin, la tarification de solidarité, prévue à l'article 3 du projet de loi, reste une mesure insuffisante. En effet, les critères d'éligibilité à cette tarification devraient reposer sur le niveau de ressources et non pas sur un statut des personnes. En bref, vous proposez des remèdes insuffisants aux maux que votre politique engendre.
En effet, la situation n'est pas la même qu'en 2000. Quand le tarif social a été mis en place pour l'électricité, il n'était pas question de privatisation !
Abordons maintenant la question de la sécurité d'approvisionnement.
Votre projet de loi, en prévoyant la privatisation de GDF, risque de remettre en cause le fonctionnement des contrats à long terme. Il semblerait d'ailleurs que ces derniers soient condamnés par la Commission européenne dans sa lettre de griefs. Ces contrats, qui sont scellés politiquement entre les États, sont la clé de voûte de la sécurité de l'approvisionnement en France.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien sûr !
M. Yves Coquelle. En transférant ces contrats au privé, les entreprises seront tentées, pour satisfaire leurs actionnaires, de vendre le gaz acheté dans le cadre de ces contrats au prix du marché. Vous imaginez les conséquences sur les futurs contrats ! D'ailleurs, s'ils ne sont plus liés par de tels contrats, les pays producteurs pourraient même vendre directement sur le marché à court terme, dont les prix sont deux fois plus élevés.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien sûr !
Mme Hélène Luc. C'est évident !
M. Yves Coquelle. La sécurité d'approvisionnement passe par le renforcement de la maîtrise publique et non par une fuite en avant libérale.
Enfin, à cause de votre projet de loi, l'État va perdre la maîtrise des activités stratégiques de transport, de distribution et de stockage de gaz.
La logique mise à l'oeuvre à l'article 6 n'est ni plus ni moins que le démantèlement d'entreprises publiques qui s'étaient construites sous la forme d'entreprises intégrées. Ainsi, elles pouvaient réduire les coûts de production et permettre des péréquations entre leurs activités, pour construire un service public efficace.
Le transport, qui reste la propriété de Gaz de France, est ainsi privatisé de fait. Tout est organisé dans le projet de loi pour que la distribution subisse le même sort. Ce qui se trame, c'est le découpage de Gaz de France en centres de profits sous forme de filialisation ou d'ouverture des capitaux des entreprises gestionnaires de réseaux.
Dans la même logique, votre projet de loi abandonne, aux articles 8 et 9, le principe de péréquation tarifaire nationale. Si le fonds prévu par la loi n'a jamais fonctionné, c'est parce que Gaz de France couvrait la quasi-totalité du réseau gaz et réglait la question à son niveau.
Aujourd'hui, ni GDF ni EDF ne possèdent, du fait de l'existence des distributeurs non nationalisés, les DNN, l'entier monopole de distribution sur le territoire. Mais les périmètres d'intervention très limités des DNN permettaient aux opérateurs historiques de réaliser de réelles économies d'échelle.
Alors que la volonté politique du Gouvernement est de favoriser l'entrée dans le secteur de nouveaux opérateurs privés, le projet de loi prépare la disparition de la péréquation. C'est bien le système de l'eau qui nous est proposé en filigrane : des concessionnaires choisis par appel d'offres et faisant des prix par concessions.
La privatisation de Gaz de France, conjuguée à l'ouverture totale des marchés, entraînera la fin des monopoles de concessions conférés par la loi aux entreprises publiques.
La péréquation tarifaire au niveau national, seule capable d'assurer une réelle égalité de traitement des usagers, est gravement remise en cause. Votre politique fait voler en éclat les fondements de l'organisation du système énergétique national.
Avec ce projet de loi, le Gouvernement porte un coup fatal à l'un des services publics de l'énergie les plus performants au monde. (C'est vrai ! sur les travées du groupe CRC.) Il détruit un outil qui a fait ses preuves et qui assurait la sécurité de l'approvisionnement, sa continuité, la sécurité des installations, le droit d'accès à l'énergie pour tous.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Yves Coquelle. Il brade un outil qui permettait les investissements nécessaires pour satisfaire les besoins énergétiques nationaux de demain.
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
M. Yves Coquelle. Parce que nous ne voulons pas que l'intérêt national soit sacrifié à l'intérêt des actionnaires, parce que l'énergie ne peut être considérée comme une simple marchandise, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, alors que la fin de la législature est toute proche et que nous sommes à six mois d'échéances électorales décisives pour l'avenir de la France, voici que le Sénat est invité, au pas de charge et sans délai, à changer les principes mêmes de notre politique énergétique et à remettre en cause les fondements de notre service public de l'énergie.
Comme on le voit, il s'agit de légiférer non sur des chaussettes - encore que ces biens soient fort respectables ! -, mais sur l'avenir énergétique de la France, et donc sur l'organisation du secteur énergétique, dont on sait bien qu'il est plus que jamais au coeur des enjeux de société.
Pourquoi tant d'acharnement et de précipitation à vouloir privatiser GDF, alors que les nouveaux défis justifient le maintien, voire l'accroissement, de l'intervention des pouvoirs publics ?
Pourquoi un tel revirement de la part du Gouvernement, alors que, voilà environ un an, le Parlement adoptait la loi de programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique, dont l'article 1er énonce : « La politique énergétique repose sur un service public de l'énergie [...]. Sa conduite nécessite le maintien et le développement d'entreprises publiques nationales ».
Telle était - en tout cas avais-je cru le comprendre - la feuille de route établie par le Parlement pour les années à venir, et cela à la demande de ce même gouvernement et avec le soutien de cette même majorité.
Oui, mais on nous dit que le monde a changé. Certes, mais pas en six petits mois ! En effet, c'est bien six mois après l'adoption de cette loi de programme que le revirement du Gouvernement a eu lieu, puisque c'est en février dernier que fut décidée la fusion avec Suez et donc la privatisation de GDF.
Où va-t-on ? Il est des lois qui sont votées et pour lesquelles de hautes personnalités nous ont indiqué qu'elles ne devaient pas s'appliquer. Souvenez-vous du CPE ! Il en est d'autres, maintenant, à propos desquelles certaines dispositions n'ont pas plus de valeur que des chiffons de papier. Où allons-nous ?
M. Bernard Frimat. Droit dans le mur !
M. Roland Courteau. Mais il y a pis ; je veux parler du reniement de certains engagements. Dois-je rappeler, en effet, les propos tenus en 2004 par M. Sarkozy, alors ministre de l'économie ?
M. Bernard Frimat. Et ministre d'Etat !
M. Roland Courteau. « Je l'affirme, parce que c'est un engagement du Gouvernement, EDF et GDF ne seront pas privatisés. »
M. Guy Fischer. Menteur !
M. Roland Courteau. La parole était forte et le ton assuré. Ce qui nous garantissait que la loi ne permettrait pas de privatiser ultérieurement, avait-il même ajouté, c'est ... la parole de l'État ! (Mme Hélène Luc s'exclame.)
Aujourd'hui, M. Sarkozy affirme soutenir M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - je ne le vois d'ailleurs pas au banc des ministres (Il est parti ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) - sur le projet de privatisation qui nous est présenté. Pourtant, voilà quelques jours, écoutant sur la chaîne LCI M. Devedjian, très proche conseiller du président de l'UMP, je fus quelque peu stupéfait de l'entendre dire ceci : « Si M. Sarkozy avait été en charge aujourd'hui de ce dossier, il aurait tenu ses engagements. » (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) On ne comprend plus !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est incroyable ! Il n'y a plus de Gouvernement, il n'y a plus d'État, il n'y a plus rien !
M. Roland Courteau. Cela signifierait donc que M. Sarkozy ne soutient nullement le ministre de l'économie, à moins que M. Devedjian ne veuille, en fait, par ses propos, protéger la crédibilité de M. Sarkozy au cas où... Sait-on jamais !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Alors çà, c'est incroyable !
M. Robert Bret. L'État UMP !
M. Gérard Le Cam. L'union des menteurs professionnels !
M. Roland Courteau. On ne sait plus qui croire ! Ce qui est certain, c'est que, dans une démocratie, il n'est pas normal qu'à deux reprises, et en si peu de temps, la parole de l'État soit à ce point bafouée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Bref, le Gouvernement se renie ! Toute la question est de savoir si la majorité sénatoriale va le suivre. Convenons que l'on tente vainement de comprendre la logique de la politique industrielle de ce gouvernement, qui semble réagir au coup par coup. En l'occurrence - d'autres ont pu le dire avec beaucoup d'humour -, le texte répond à la question suivante : « Comment privatiser GDF sans en avoir l'air et tout en parlant d'autre chose ? » Notons que, jusqu'à présent, le mot « privatisation » est rarement employé dans les rangs de la majorité. M. le rapporteur l'a cité une fois et il a été le seul. S'agirait-il d'un gros mot ?
Bien évidemment, nous ne considérons pas qu'il faille rejeter les alliances entre les différents groupes. Mais nous estimons que les nations doivent garder la maîtrise de l'énergie afin de pouvoir orienter les stratégies des industriels, d'autant que, selon nous, les intérêts particuliers des actionnaires et l'intérêt général du pays sont antinomiques.
Je ne reviens pas davantage sur l'habillage ou l'alibi utilisé par le Gouvernement pour justifier son projet de fusion. Rappelons simplement qu'on nous a d'abord annoncé qu'il fallait intervenir au nom du patriotisme économique pour contrer l'OPA d'Enel.
M. Roland Courteau. Tandis que, le lendemain, l'on nous expliquait qu'en réalité le projet de fusion GDF-Suez était à l'étude depuis très longtemps.
Hier, l'on nous parlait de riposte à une intervention hostile ; aujourd'hui, l'on invoque le développement de GDF ; demain, peut-être reconnaîtra-t-on qu'il s'agissait surtout pour le Gouvernement de privatiser un groupe public pour voler au secours d'une entreprise privée.
M. Gérard Le Cam. Eh oui !
M. Roland Courteau. Mais écoutons l'appréciation de l'économiste américain prix Nobel en 2001, qui fut aussi économiste en chef à la Banque mondiale, et qu'on ne peut soupçonner d'être hostile à l'économie de marché : « Privatiser GDF, c'est inutile et stupide. La France a un bon système, juste, à bas prix et fiable [...]. Pour ce que j'en connais, votre entreprise publique est plus efficace, plus stable que ce qu'on a connu aux États-Unis. » Il ajoutait : « Les marchés débridés, ça ne fonctionne pas. »
Et pourtant, nous sommes invités aujourd'hui à délibérer au pas de charge.
Outre qu'il ne respecte pas la morale, ce projet de loi est dangereux : il remet en cause notre service public de l'énergie, lequel a pourtant démontré son efficacité dès lors qu'il s'est agi d'accroître notre indépendance énergétique, d'assurer notre sécurité d'approvisionnement, d'établir une péréquation tarifaire et d'assurer des prix abordables.
Ce projet de loi est dangereux, car il donne un chèque en blanc aux différents acteurs. Nul ne peut en effet présager la tournure que prendront les événements après la privatisation de GDF, notamment parce que la Commission européenne ne rendra ses conclusions définitives sur le projet de fusion GDF-Suez qu'après le vote sur ce projet de loi.
Nul ne sait par ailleurs ce que décidera l'assemblée générale des actionnaires de Suez, qui n'aura lieu qu'en décembre. Aujourd'hui, nous n'avons donc pas connaissance avec exactitude des conditions financières de cette fusion GDF-Suez.
Pourtant, on nous demande de préparer l'étape préalable à cette fusion alors que la Commission européenne s'interroge sur la compatibilité du projet avec le droit communautaire.
De même, des cessions d'actifs qui seront loin d'être négligeables vont être demandées à GDF en contrepartie de la fusion. Mais nous ne savons pas exactement lesquelles sont concernées ni quelle sera leur ampleur. Pourtant, il nous est demandé de délibérer sans délai, le cas échéant les yeux fermés.
Vous nous avez parlé des cessions d'actifs dans le cadre d'une fusion GDF-EDF. Mais vous ne nous dites rien sur celles qui seront exigées dans le cadre d'une fusion Suez-GDF.
Comment le Gouvernement peut-il engager de tels processus sans que le Parlement dispose d'éléments aussi essentiels ?
Pourquoi une telle précipitation ? Que je sache, les légions d'Enel ne sont pas encore aux portes de Suez ! Comment peut-on engager la privatisation de GDF sans connaître son avenir ?
Pourquoi tant de précipitation ? Permettez-moi de plaisanter, même si le moment ne s'y prête pas : craignez-vous à ce point que GDF ne finisse par être la dernière fille du village à ne pas avoir de prétendant ? (Sourires.)
Pourquoi une telle précipitation ? Seriez-vous si inquiets à l'approche des échéances de 2007 que vous voudriez préalablement régler cette question ?
D'autres l'ont dit avant moi : il eût été plus responsable qu'une telle question, aussi capitale pour l'avenir de la France, soit renvoyée au vote des Français et aux grands choix politiques de 2007. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
De surcroît, le fusil est à plusieurs coups puisque l'entreprise EDF se trouve dans le collimateur : pour tenter de réduire sa place et de démanteler son monopole de fait dans la production d'électricité, on constitue contre elle un groupe privé concurrent. Ce dernier, de plus, disposera du fichier commercial constitué par les onze millions de clients de GDF.
M. Jean-Luc Mélenchon. Quelle honte !
M. Roland Courteau. C'est plus qu'un concurrent que l'on va introduire, c'est bel et bien un cheval de Troie.
M. Jean-Luc Mélenchon. Absolument !
M. François Marc. C'est lamentable !
M. Roland Courteau. Et comme si cela ne suffisait pas, voilà qu'on nous demande d'aller plus loin et de faire financer la concurrence par... cette même entreprise EDF, à travers le mécanisme de compensation établi à l'intention des fournisseurs pour la mise en oeuvre du tarif réglementé transitoire.
Notre inquiétude est réelle. La concurrence frontale du nouveau groupe avec EDF peut s'avérer de surcroît destructrice pour le service public, avec des conséquences redoutables pour l'avenir de l'électricien, dont le sort pourrait être à terme identique à celui de Gaz de France.
Mais n'est-ce pas là peut-être aussi l'un des autres objectifs recherchés ?
Non, le projet qui nous est présenté n'est pas bon pour la France, pour les raisons que je viens d'indiquer, mais aussi parce que cette privatisation risque d'avoir des conséquences négatives sur l'emploi. (Mme Hélène Luc approuve.)
Aucune privatisation n'a été réalisée sans compression des effectifs, première variable d'ajustement les coûts vers le bas, pour la plus grande satisfaction des actionnaires.
Convenons également que la construction que vous proposez, si l'on songe au service commun et aux quelque 50 000 personnes concernées, a de quoi nous alarmer. En effet, ce qui est proposé, en vérité, c'est la non-viabilité de ce service, qui sera dépourvu de la personnalité morale, où chaque filiale aura sa ligne de commandement. La concurrence entre Suez et GDF, d'un côté, et EDF, de l'autre, sera particulièrement exacerbée.
Nous pensons qu'en fait vous avez programmé la disparition de ce service et que, pour l'heure, vous ne procédez qu'à une sorte d'habillage destiné à rassurer provisoirement, afin de vous permettre de passer le cap sans encombre.
Non, ce projet n'est pas bon, car comment prétendre assurer la sécurité énergétique de la France en commençant par abandonner à un groupe privé l'ensemble des infrastructures lourdes qui en sont les outils ? Est-ce là la version nouvelle du patriotisme économique ? Quel sera le poids de l'État dans les orientations stratégiques alors que sa participation au capital se sera nettement réduite ?
L'on nous dit par ailleurs qu'on va créer un nouveau géant. Mais qui a dit que « loin de créer un géant du gaz, la fusion n'entraînerait qu'un grossissement de 25 % de GDF dans la distribution et guère plus dans le transport et le stockage » ? Ce sont certains de vos amis, monsieur le ministre, qui ajoutent cruellement que « croire que le nouveau groupe pourrait ainsi peser sur le prix d'achat auprès des producteurs est une douce illusion ou un argument fallacieux. » Je ne saurais dire mieux.
Ce projet de loi n'est pas bon, car il ouvre la porte à une remise en cause des tarifs réglementés de l'électricité et du gaz. Or ces tarifs sont une expression de solidarité nationale et un outil de solidarité territoriale. Certes, le texte affirme le principe du maintien des tarifs réglementés, mais il ne s'agit là que de digues de papier. À terme, et à la suite de certaines dispositions, l'on risque d'assister à une disparition pure et simple des tarifs réglementés, notamment par un alignement progressif de ces derniers sur les prix de marché.
Au contraire, la construction d'un pôle public permettrait de conserver la maîtrise des évolutions tarifaires.
Non, mes chers collègues, ce projet de loi n'est pas bon car, quoi qu'on prétende, il ne met pas le nouveau groupe à l'abri d'une OPA hostile.
J'ai entendu dire que la participation de 34 % de l'État dans le nouveau groupe et la fameuse golden share nous en protégeraient. Mais, au cours de nombreuses auditions qu'a organisées le groupe socialiste, je n'ai rencontré personne qui ait pris au sérieux cette affirmation.
Alors que la structuration actuelle du capital de GDF assure quant à elle une vraie protection contre une OPA, puisque l'État en détient 80 % des actions, rien ne garantit en revanche qu'une entreprise comme Gazprom ne prendra pas demain le contrôle du nouveau groupe privé.
Ainsi, au nom du patriotisme économique, on nous suggère de privatiser GDF pour assurer la fusion avec Suez. Au nom de ce même patriotisme, on assisterait ainsi, impuissants, à la mainmise d'un groupe étranger sur nos infrastructures lourdes.
C'est à n'y plus rien comprendre !
M. François Marc. C'est irresponsable !
M. Roland Courteau. La privatisation de GDF pose par ailleurs deux questions juridiques lourdes, notamment au regard de l'alinéa 9 du préambule de la constitution de 1946, préambule repris par la constitution de 1958. Mais elle pose aussi des problèmes par rapport aux communes et aux concessions de service public. Mes collègues du groupe socialiste aborderont ces questions.
J'en viens maintenant au bilan désastreux de cette décennie de libéralisation
Nous avons à l'époque dénoncé les prétendus bienfaits de l'ouverture totale des marchés en nous appuyant sur les expériences négatives des pays pionniers en matière de libéralisation, dont les prix de l'énergie avaient subi des hausses vertigineuses, cependant que leur système d'électricité connaissait de graves dysfonctionnements.
L'envolée des prix pour les professionnels ces dernières années en France conforte notre position de méfiance de l'époque.
Même le MEDEF souligne que l'ouverture actuelle du marché de l'électricité conduit tout le monde dans le mur !
Mes chers collègues, la polémique rebondit régulièrement à propos du sommet de Barcelone de mars 2002. Les uns et les autres l'ont évoqué au cours de ce débat. Alors finissons-en ! Que s'est-il passé à Barcelone lors du Conseil européen ?
En mars 2002, la France, représentée par son président Jacques Chirac et par son premier ministre Lionel Jospin, a accepté l'ouverture du marché de l'énergie pour les entreprises, mais non pour les ménages. Surtout, deux conditions étaient posées. La première prévoyait une étude d'impact de l'ouverture des marchés avant l'ouverture totale à la concurrence : on l'attend toujours ; la seconde, qui a été acceptée dans le cadre de l'accord, prévoyait l'adoption d'une directive-cadre pour les services d'intérêt général avant la fin de l'année 2002 : on l'attend encore. Daniel Raoul reviendra probablement sur ce point.
Cette position avait d'ailleurs été soutenue par Jacques Chirac lors de la conférence de presse donnée alors à l'issue du Conseil.
Je vous rappelle que nous étions en mars 2002. Or c'est bien le gouvernement de M. Raffarin qui, huit mois plus tard, par la voix de Nicole Fontaine, acceptait sans conditions lors du Conseil « énergie » qu'une date finale soit fixée pour libéraliser totalement l'électricité et le gaz.
Ce fut annoncé ici même, avec une fierté et un enthousiasme que je ne retrouve plus aujourd'hui.
Par ailleurs, et pour répondre aux remarques faites par M. Loos jeudi dernier, je ferai observer que les députés européens socialistes français se sont opposés, en juin 2003, aux directives visant à l'ouverture des marchés du gaz et de l'électricité à la concurrence.
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Roland Courteau. Pour conclure, j'évoquerai les alternatives à la privatisation de GDF et la politique européenne de l'énergie.
Nous avons besoin d'une politique commune de l'énergie qui favorise l'émergence de grands groupes de service public, arc-boutés à un projet industriel.
Si l'énergie est considérée comme un bien public et un bien de première nécessité, bien de surcroît indispensable à l'indépendance nationale et à la souveraineté d'une nation, alors elle ne peut être laissée aux seules forces du marché. Un tel secteur exige une régulation exorbitante du marché, afin que les prix ne soient pas le reflet de rapports de force et d'intérêts ou de « désajustements » entre l'offre et la demande.
Si l'entreprise GDF a besoin d'alliances, allons gardons-là... propriété publique et recherchons les voies d'une alliance avec cette entreprise.
La privatisation ne constitue pas la solution unique. D'ailleurs, compte tenu des dégâts du libéralisme, comprenez, monsieur le ministre délégué, que nous puissions avoir le souci de trouver d'autres réponses. Les enjeux sont tels qu'on doit prendre le temps de réfléchir, d'étudier la manière d'organiser ce rapprochement entre GDF et EDF et, partant, de s'assurer de son « euro-compatibilité ».
D'autres que nous, y compris dans votre camp, monsieur le ministre, travaillent sur l'une de ces hypothèses. C'est dire si d'autres voies que la privatisation de GDF sont à explorer.
Pourquoi se contenter de dire que, puisque le Portugal n'a pas eu gain de cause, ce n'est pas la peine de poser la question à la Commission européenne ? Comparaison n'est pas raison ! Affrontez donc la Commission sur ce dossier du rapprochement entre EDF et GDF !
Mais, en réalité, le Gouvernement ne veut pas de ce rapprochement pour différentes raisons, notamment idéologiques. Il a donc d'emblée opté pour la fusion GDF-Suez.
Notre proposition de constitution d'un pôle public de l'énergie EDF-GDF doit permettre à la France de rester maître de sa politique énergétique. C'est le seul moyen de garantir aux entreprises comme aux consommateurs domestiques un service public de qualité à des tarifs intéressants.
En fait, tout nous sépare, monsieur le ministre délégué, notamment lorsque le Gouvernement fait le choix du démantèlement du service public de l'énergie alors que nous proposons son renforcement.
Nul ne sera donc étonné que le groupe socialiste et les Verts rejettent avec force un tel texte, en attendant le grand choix des Français en 2007, ou peut-être même un tout prochain référendum, puisque nous allons proposer au Sénat, avec nos collègues du groupe CRC, une motion référendaire. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Marcel Deneux.
M. Marcel Deneux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après un mois de débats à l'Assemblée nationale, nous voici finalement saisis du projet de loi relatif au secteur de l'énergie.
Comme le souligne M. Poniatowski dans son excellent rapport, il s'agit de la quatrième fois au cours de la présente législature que le Parlement est appelé à se prononcer sur l'organisation du secteur énergétique français et sur la définition d'un service public de l'énergie.
L'énergie est plus que jamais au centre des relations interétatiques et, dans le même temps, elle est absolument indispensable à tout un chacun dans sa vie quotidienne et professionnelle. C'est dire les enjeux dont sont porteurs tous les projets de loi portant sur ce secteur. Il n'y a pas de développement économique dans nos systèmes sans consommation d'énergie.
L'objet du texte qui nous est soumis aujourd'hui est double : achever la transposition française des directives relatives à l'ouverture des marchés de l'énergie et autoriser la privatisation de Gaz de France dans la perspective du projet de fusion Suez-Gaz de France.
Nous regrettons que ces deux objectifs majeurs aient été rassemblés en un seul texte, car ce sont deux enjeux tout à fait distincts. Mais surtout, le contenu politique de la privatisation de GDF cristallise le débat et occulte largement le débat sur la transposition des deux directives européennes. J'espère néanmoins que nos débats, pour passionnés qu'ils seront sans doute, seront riches et permettront de poser les vraies questions.
Le groupe UC-UDF est favorable à une transposition complète des deux directives européennes qui ont été arrêtées par le Parlement européen et par le Conseil européen, c'est-à-dire par nos représentants, le 26 juin 2003. Ces deux directives prévoient que tous les consommateurs européens devront pouvoir choisir librement leurs fournisseurs d'électricité et de gaz à partir du 1er juillet 2007.
En effet, pour l'UDF, le modèle européen, tel qu'il s'est construit au cours des cinquante dernières années et tel que les directives le prévoient présentement, est bon, notamment parce que, sous l'influence du modèle français d'organisation du secteur énergétique de 1946, il comporte l'obligation de service public et de service universel. Or, malgré la qualité du cadre européen, la France risque d'être à nouveau l'un des derniers pays à transposer ces deux directives. Ce projet de loi cherche à combler ce retard.
Il faut se réjouir que le projet de fusion entre Suez et Gaz de France ait fourni l'occasion d'examiner un texte sur l'énergie avant la fin de la session. C'est le Conseil d'État qui a rappelé au Gouvernement la nécessité d'insérer ces dispositions dans un projet de loi.
Je n'entrerai pas trop dans le détail des dispositions des deux premiers titres. Toutefois, je m'attacherai à deux points qui me semblent particulièrement importants : la Commission de régulation de l'énergie et le prix de l'énergie au client final.
Alors que le marché de l'énergie est en pleine mutation, avec l'apparition de nouveaux acteurs et les nombreuses restructurations en cours, mais aussi avec le passage à la libéralisation totale du marché de l'énergie en France, il est indispensable de conférer un rôle central important et une vraie autorité à notre régulateur, la Commission de régulation de l'énergie.
Cette Commission est aujourd'hui en France un nain politique, notamment par rapport à son équivalent dans le domaine des télécommunications, alors qu'elle devrait être un arbitre puissant. Elle doit pouvoir agir en toute indépendance et, pour cela, en avoir les moyens.
Pour cette raison, nous sommes très favorables aux deux amendements présentés par le rapporteur de la commission des finances, M. Marini, qui visent à doter la CRE de la personnalité morale et à poser le principe de son indépendance financière. La modification apportée à la composition de la CRE par l'Assemblée nationale nous semble absolument incompatible avec son indépendance. La CRE serait alors la seule autorité de régulation économique, en France et en Europe, à comprendre en son sein des parlementaires.
En outre, la présence de représentants des consommateurs dans ce collège me semble problématique dans la mesure où ces derniers ne sont presque jamais indépendants du secteur, ce qui est contraire aux dispositions consacrées à la régulation dans les directives. Les deux amendements des rapporteurs visant à modifier le collège de la CRE tout en renforçant ses prérogatives me semblent donc très opportuns.
En ce qui concerne le prix de l'énergie, nous avons tous été sensibilisés au problème de la hausse des prix sur le marché dérégulé. Jusqu'en 2000, la fourniture d'électricité en France était un monopole d'EDF et des régies locales. Les clients, particuliers comme professionnels, étaient facturés en fonction de tarifs publics, variant suivant leurs modes de consommation. Ces tarifs étaient parmi les plus compétitifs d'Europe, en raison de la relative faiblesse des coûts de production liée au choix opéré par notre pays en faveur du nucléaire.
Depuis 2001 et l'ouverture du marché, les prix français ont augmenté de 75 % sur le marché dérégulé, contre seulement 10 % pour les tarifs régulés. Ceux-ci sont désormais inférieurs de 66 % à ceux qui sont pratiqués sur le marché dérégulé. Selon le type d'activité, un tel différentiel peut représenter une part importante de la marge d'une PME et aller jusqu'à mettre en cause son existence. Il faut en parler !
Pour remédier à cette situation, les députés ont adopté un dispositif qui permettrait aux consommateurs d'électricité ayant fait le choix d'exercer leur éligibilité de bénéficier d'un tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché. Ce tarif dit « de retour » ne pourrait être supérieur de plus de 30 % au tarif réglementé applicable aux mêmes sites de consommation. Il permettrait en outre aux entreprises de s'approvisionner en électricité à des niveaux de tarifs compatibles avec leur activité.
Il nous reste bien sûr certains points à trancher sur ce sujet lors de nos débats : ce dispositif, prévu initialement pour une durée de deux ans, doit-il être renouvelable ou non ? Ne faut-il prendre comme base de calcul de ce tarif que la part énergie du tarif réglementé ? Et quel pourcentage retenir ? Enfin, quel mode de compensation doit-on retenir : contribution sur les gros producteurs d'électricité ou contribution au service public de l'électricité ? La question reste posée. La position définitive de la commission des affaires économiques à ce sujet sera connue demain.
Il faut néanmoins garder présent à l'esprit qu'il est indispensable de maintenir l'équilibre économique entre les producteurs, les fournisseurs et les consommateurs. Il ne faut pas obérer la capacité d'investissement des producteurs au profit des tarifs pratiqués pour les consommateurs.
En effet, nous sommes dans un contexte d'énergie chère et durablement chère. Il faut nous mettre dans cette disposition d'esprit définitive. La raréfaction des hydrocarbures à plus ou moins court terme laisse difficilement envisager une baisse des cours de toutes les énergies. Ainsi, il semble difficile de lier l'ouverture à la concurrence du marché de l'énergie à une baisse des prix. Ce serait abuser nos concitoyens que de leur faire croire cela.
En outre, nous aurons bientôt à faire face à des pénuries possibles d'électricité, d'autant qu'il n'existe pas de véritable marché européen de l'électricité, en raison de la faiblesse des interconnections, ce qui est dommage. La construction européenne plus intégrée pour laquelle je milite peut apporter un élément de réponse à ce problème particulier.
La France ne peut donc compter que sur son propre parc de production pour franchir les pics de consommation. Même si les centrales nucléaires françaises fournissent de l'électricité à un niveau suffisant pour la consommation « de base », nos moyens de production en pointe sont, quant à eux, dès maintenant insuffisants pour satisfaire la demande en cas de grand froid ou de canicule. Nous en avons eu la preuve il y a peu de temps encore. En effet, une baisse d'un degré provoque une hausse de la consommation de 1 450 mégawatts, soit l'équivalent de la demande d'une agglomération comme Lyon.
En conséquence, pour écarter tout risque de rupture de l'équilibre du système électrique, comme celui qui a frappé à nos portes l'Italie en septembre 2003, il est indispensable d'augmenter les capacités d'investissements, donc de production.
J'en viens maintenant à l'enjeu politique majeur de ce projet de loi, à savoir la privatisation de Gaz de France dans la perspective de sa fusion avec Suez.
Tout d'abord, je tiens à souligner la situation particulière dans laquelle le Parlement est placé. On nous demande de nous prononcer avant même la décision de la Commission européenne qui interviendra sans doute le 25 octobre et alors que certains actionnaires importants de Suez - je pense au fonds dirigé par M. Knight - sont, comme ils l'ont fait savoir, résolument opposés au projet.
De plus, le groupe Suez mène parallèlement des négociations bilatérales avec le gouvernement belge,...
M. Michel Sergent. C'est vrai !
M. Marcel Deneux. ...négociations qui sont relatives à l'ouverture du marché de l'électricité en Belgique et qui impliquent sans doute des concessions supplémentaires par rapport à celles qui sont proposées à la Commission par les deux groupes.
Je souligne d'ailleurs à ce sujet que, curieusement, M. Mestrallet conduit seul ces négociations sans que M. Cirelli y soit associé, alors que tous deux devront demain présider le futur ensemble. Tout cela laisse planer des incertitudes sur le projet définitif de fusion, ce qui complexifie le travail des parlementaires.
M. Jean Desessard. Il faut voter « non » !
M. Marcel Deneux. Pourtant, le projet que l'on nous propose aujourd'hui est séduisant à plus d'un titre. Il permet de renforcer la capitalisation de GDF et de lui donner ainsi la possibilité de poursuivre sa croissance. Gaz de France disposerait d'une structure plus souple pour s'adapter aux lois du marché en pleine mutation. Le nouvel ensemble proposerait aussi une offre duale gaz-électricité, répondant sans doute mieux aux attentes des clients. En outre, cet ensemble deviendrait le numéro un européen de la vente de gaz et serait également le plus gros acheteur de gaz du continent. La répartition des approvisionnements du groupe à l'horizon 2007 se ferait à partir d'un portefeuille de fournisseurs plus diversifié. Enfin, le nouvel ensemble disposerait d'une position dominante dans le gaz naturel liquéfié.
Ces avantages sont indiscutables. Je regrette cependant que l'on n'ait pas pris le temps d'explorer d'autres solutions, comme la proposition de la CFDT visant à garantir une participation de l'État à au moins 51 %, ou des propositions d'actionnaires minoritaires de Suez suggérant une OPA de Gaz de France sur Suez, financée par l'emprunt.
Philippe Marini a tout à l'heure très bien développé les qualités du projet de rapprochement qui se prépare et qui nous est soumis. Je ne ferai pas mieux que lui, et n'insisterai donc pas sur ce point.
Il est primordial pour nous que la fusion entre les deux groupes ne se fasse pas au détriment de Gaz de France et n'aboutisse pas par ailleurs à créer des conditions de concurrence déloyale avec EDF.
Ainsi, dans la réponse des deux groupes à la Commission européenne, il semble bien que les actifs de GDF soient plus touchés que ceux de Suez. La Commission européenne recommande en effet la cession de Distrigaz, de la participation de GDF dans la Société de production électrique et la cession de volumes de gaz aux concurrents à hauteur de 50 térawattheures annuels, diminuant ainsi l'intérêt de ce rapprochement.
Le deuxième risque est de rendre GDF opéable.
Le facteur déclenchant de cette fusion - la menace d'une OPA d'Enel sur Suez avec, à court terme le risque de démantèlement du groupe - reste d'actualité. Le rapporteur de la commission des finances a souligné dans son rapport que le futur groupe bénéficierait d'un « actionnariat stable limitant considérablement les risques de prise de contrôle non sollicitée », c'est-à-dire, en clair, les risques d'une OPA !
Certes, la part cumulée de l'État, de la Caisse des dépôts et consignations et d'Areva s'élèverait à 37,4 %. Mais le noyau des actionnaires stables de Suez sera très dilué dans le groupe.
Par ailleurs, permettez-moi d'émettre quelques doutes sur la fiabilité d'Albert Frère, actionnaire important de Suez. En effet, même s'il s'est prononcé publiquement en faveur de la fusion, est un investisseur généralement guidé par une logique plus capitaliste qu'industrielle.
Le capital flottant du nouveau groupe, s'il est de 53,5 %, est donc inférieur au capital opéable. C'est pourquoi, monsieur le ministre, je pense qu'il ne faut pas sacrifier GDF pour mettre Suez à l'abri. Il ne faut négliger ni la puissance financière des fonds de pension anglo-saxons ni celle des producteurs de gaz, comme Gazprom.
Par ailleurs, monsieur le ministre, que se passera-t-il en cas d'augmentation du capital de la future société ? L'État se laissera-t-il diluer ou bien suivra-t-il l'augmentation de capital, et avec quels moyens, compte tenu de l'état actuel de nos finances nationales ?
M. Michel Sergent. Très bonne question !
M. Marcel Deneux. Et il ne s'agit pas là d'un cas de figure théorique.
Enfin se pose un problème de crédibilité.
Le projet de fusion entre Suez et GDF nous oblige à revenir sur des engagements forts pris par le précédent Gouvernement et par le chef de l'État voilà seulement deux ans. Pour illustrer mes propos, je citerai le Président de la République et le ministre de l'intérieur, alors ministre de l'économie et des finances.
« Ces entreprises [EDF et GDF] sont de grands services publics. Elles le resteront, ce qui signifie qu'elles ne seront pas privatisées », a déclaré Jacques Chirac le 19 mai 2004.
M. Jean Desessard. C'est un menteur !
M. Guy Fischer. Mensonge d'État !
M. Marcel Deneux. « Je le redis avec force : conformément aux engagements du Président de la République et du Gouvernement, EDF et Gaz de France ne seront pas privatisées », avait quant à lui solennellement déclaré Nicolas Sarkozy le 16 juin 2004. (Rires et exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Guy Fischer. Mensonge d'État !
M. Marcel Deneux. Lors de l'examen de la loi relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, le groupe Union centriste-UDF avait défendu un amendement visant à porter à 50 % la part de l'État dans le capital de GDF, afin de lui donner les capacités financières de se développer.
Monsieur Poniatowski, vous étiez alors rapporteur de ce texte et vous nous aviez demandé de retirer notre amendement, comme le ministre, afin de ne pas gêner le Gouvernement. Ce n'est pourtant pas notre genre ! (Sourires.)
M. Jean Desessard. Vous avez eu tort !
M. Robert Bret. On le sait bien que ce n'est pas votre genre ! (Nouveaux sourires.)
M. Marcel Deneux. Afin de préserver la paix sociale, nous avions accepté de retirer notre amendement. Pourquoi nous demande-t-on aujourd'hui d'aller encore plus loin que ce qu'on nous a refusé il y a deux ans ?
M. Roland Courteau. Bonne question !
M. Marcel Deneux. S'il est nécessaire que GDF soit préservé, il est aussi indispensable que les consommateurs français ne soient pas lésés par cette fusion.
L'énergie est un enjeu national, nous en sommes tous d'accord. La sécurité d'approvisionnement constitue un objectif géostratégique constant de l'État. L'État doit donc en garder la maîtrise, sinon directement, du moins indirectement. Existe-t-il un marché fluide, diversifié qui permette d'atteindre cet objectif national avec les moyens ordinaires d'un État simple régulateur et non intervenant, comme il l'a été avec EDF, GDF, Elf ou Total ? Malheureusement, la situation n'est plus celle-là.
En matière d'électricité, il n'existe pas de marché international. Pour des raisons physiques, l'électricité, énergie secondaire, n'est pas stockable. Elle est difficilement transportable sur de longues distances. De surcroît, seul le nucléaire est à la hauteur des défis à venir (M. Jean Desessard s'exclame) et permettra de faire face aux besoins grandissants. Cela implique un engagement fort de l'État et une politique industrielle qui n'a rien à voir avec le simple jeu des marchés.
Quant au gaz, il n'est plus guère produit en France, presque plus en Europe occidentale, sauf en Norvège. Le marché international du gaz est un réel oligopole où règnent et régneront de plus en plus en maîtres les fournisseurs russes, algériens et sud-américains, lesquels viennent d'ailleurs de conclure un accord de coordination pour leur offre.
M. Jean Desessard. Voilà !
M. Marcel Deneux. À cet égard, je salue la politique d'approvisionnement très diversifié que GDF a réussi à mettre en place depuis quelques années. C'est une belle réussite !
Mais, à l'avenir, monsieur le ministre, face à la situation du monde que je viens de décrire, l'État français sera-t-il en mesure d'assurer l'indépendance énergétique de la France...
M. Jean Desessard. Non !
M. Marcel Deneux. ... et d'obtenir les meilleurs prix pour les entreprises et les ménages ? En un mot, l'État a-t-il encore les moyens de maîtriser l'évolution de ce secteur ? Votre projet de loi le permet-il, monsieur le ministre ?
Certes, en disposant d'une minorité de blocage dans le capital de Gaz de France, l'État conservera une certaine influence, bien ténue toutefois, me semble-t-il, au regard des enjeux actuels. Une entreprise à majorité publique serait mieux armée pour faire face aux risques d'instabilité que présente un petit nombre de pays fournisseurs - l'Algérie, la Russie, la Norvège et le Venezuela. L'État, en perdant la majorité dans Gaz de France, ne risque-t-il pas de se priver d'un instrument essentiel pour défendre l'intérêt général ?
M. Jean Desessard. Tout à fait !
M. Marcel Deneux. Nous avons deux semaines, mes chers collègues, pour nous faire une opinion et répondre à ces interrogations. Soyez assuré, monsieur le ministre, que nous participerons avec vigilance à ces débats. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et sur quelques travées de l'UMP. - Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean Desessard. Après un tel discours, la logique serait de voter contre le texte !
Rappel au règlement
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, il a fallu attendre longtemps avant d'écouter le premier orateur socialiste s'exprimer. Les applaudissements nourris qui ont accueilli son intervention sur l'ensemble des travées de l'opposition ont montré combien elle avait été appréciée ! Or, à peine notre collègue était-il monté à la tribune que M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie quittait l'hémicycle. À peine avait-il achevé son intervention que M. le ministre revenait !
M. le ministre s'est encore absenté au moment même où notre collègue Marcel Deneux citait des propos de M. Nicolas Sarkozy. J'aurais pourtant aimé qu'il entende mon rappel au règlement, qui lui est destiné.
Ma question est la suivante : comment M. le ministre fera-t-il pour répondre à ces deux orateurs, qu'il n'a pas écoutés, apparemment volontairement ?
M. Jean Desessard. Il est trop sensible !
M. le président. M. le ministre délégué à l'industrie transmettra certainement à M. le ministre des finances ce qui a été dit en son absence.
Au demeurant, je rappelle que l'usage du téléphone portable est interdit en séance. Pour prendre une communication, M. le ministre doit donc sortir.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt-deux heures quinze, sous la présidence de M. Adrien Gouteyron.)
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au secteur de l'énergie.
Discussion générale (suite)
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Henri Revol.
M. Henri Revol. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, le Sénat est, à son tour, saisi du projet de loi relatif au secteur de l'énergie.
Depuis le printemps, beaucoup a déjà été dit et écrit sur les principales dispositions de ce texte et chacun, de quelque horizon qu'il soit, a pu faire connaître son analyse, ses interrogations, ses suggestions, ses oppositions.
L'Assemblée nationale y a consacré trois semaines de débats passionnés, mais aussi, souvent, reconnaissons-le, passionnants, dans la mesure où la quasi-totalité des questions de fond ont été abordées dans le détail par des parlementaires avertis, toutes tendances politiques confondues.
Je tiens d'ores et déjà à saluer la très grande disponibilité du Gouvernement à l'égard de la représentation nationale et la transparence avec laquelle il a agi, dans un total respect des droits de l'opposition.
Dans ces conditions, monsieur le président, mes chers collègues, je souhaiterais rappeler des faits simples et essentiels, mais qui ont parfois été oubliés au profit d'une analyse dogmatique qui a fait perdre à certains le sens des réalités.
M. Bernard Frimat. Ce n'est pas gentil pour M. Breton ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Henri Revol. Comme il se doit, nos excellents rapporteurs, MM. Ladislas Poniatowski et Philippe Marini, ont exposé, selon une approche plus technique, une analyse que je partage.
La situation du marché mondial de l'énergie s'impose à nous. Ses caractéristiques sont les suivantes, et vous les connaissez : la raréfaction des ressources fossiles et leur exploitation à des coûts toujours plus élevés ; la flambée actuelle du prix des hydrocarbures, sur lequel le prix du gaz est indexé ; le maintien à un niveau élevé de la demande, française et mondiale, toutes énergies confondues ; la dépendance en matière de gaz vis-à-vis de quelques pays producteurs, au premier rang desquels la Russie, la Norvège et l'Algérie ; l'importance toujours plus grande de la place du gaz naturel liquéfié, qui a l'extrême avantage de pouvoir être stocké et d'assurer la diversification des sources d'approvisionnement ; la concentration accélérée des entreprises du secteur énergétique dans tous les pays et des rapprochements variés, dont le plus récent, intervenu cet été, est celui de Gazprom, société nationale russe, et de Sonatrach, société nationale algérienne.
Pour ce qui est de nos engagements européens, je rappelle que nous avons voulu la constitution d'un marché européen de l'énergie ; je dirai même que nous avons tous voulu la constitution d'un marché puisque, au sommet de Barcelone, en mars 2002, tant le Président de la République que le Premier ministre de l'époque, M. Jospin, ont accepté l'ouverture progressive des marchés énergétiques,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Tatata !
M. Henri Revol. ...la dernière étape étant fixée au 1er juillet 2007.
Il est donc aujourd'hui de notre devoir de respecter la parole donnée à nos partenaires européens.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est vrai aussi pour la Commission !
M. Henri Revol. Notre collègue Roland Courteau prétendait tout à l'heure que cette date butoir était de notre fait à nous. Or c'est faux : si nous ne transposons pas la directive, elle s'appliquera tout de même le 1er juillet 2007 !
Dans cet environnement énergétique mondial en pleine mutation, notre rôle est de préparer l'avenir et le seul impératif qui doit guider nos pas est de permettre à nos entreprises de devenir des groupes industriels cohérents, de dimension européenne, pour sauvegarder nos emplois et nos savoir-faire, tout en assurant la pérennité du service public.
Le texte que nous examinons aujourd'hui répond incontestablement à cet objectif.
Il comporte deux volets : d'une part, la transposition des directives européennes pour une ouverture totale - c'est-à-dire y compris aux particuliers - des marchés à l'échéance prévue, le 1er juillet 2007 ; d'autre part, l'ouverture du capital de GDF.
Sur le premier volet, le projet de loi nous permet d'encadrer les modalités de cette dernière phase d'ouverture du marché comme nous le souhaitons, grâce à deux mesures essentielles : le tarif social du gaz, dont bénéficieront 600 000 de nos concitoyens, et le maintien des tarifs réglementés pour ceux qui décideraient de ne pas faire jouer leur éligibilité.
Sur le deuxième volet, notre objectif est clair : renforcer GDF sans que l'entreprise s'endette.
Renforcer GDF, cela signifie sécuriser nos approvisionnements en en faisant une entreprise de grande dimension, capable de négocier au meilleur prix le gaz qu'elle achète, puisque nous ne sommes pas producteurs. Pour cela, la seule possibilité est qu'elle puisse se rapprocher d'une autre entreprise, dans le cadre d'un projet industriel cohérent. Suez se présente aujourd'hui comme un bon partenaire, mais, comme cela a été rappelé à plusieurs reprises, la décision reviendra aux actionnaires. Et, pour se rapprocher d'une autre entreprise, il faut que la participation de l'État soit réduite, sauf à ce que GDF s'endette et ne puisse plus investir, ce qui reviendrait à fragiliser l'entreprise.
Cette question n'est d'ailleurs pas nouvelle et il est intéressant de rappeler combien les analyses peuvent changer au fil des années...
Ainsi, dans un avis du Conseil économique et social, Charles Fiterman, ancien ministre communiste ...
M. Guy Fischer. Il est au parti socialiste, maintenant !
M. Henri Revol. ...se déclarait favorable à « un solide pôle public ouvert à des alliances et partenariats stables et durables, industriels et financiers, avec d'autres opérateurs ».
M. Jean-Luc Mélenchon. Ce qui n'a rien à voir avec ce que vous faites !
M. Henri Revol. Quant à Mme Bricq, notre éminente collègue, alors députée chargée par le Premier ministre de l'époque d'un rapport, elle proposait une transformation de GDF en société anonyme et l'ouverture de son capital à Total Fina...
Il est aussi intéressant de rappeler que, pour le gaz, la stratégie de M. Jospin a primé sur la compétitivité économique d'une des plus grandes entreprises françaises puisqu'il n'a pas transposé la directive européenne de juin 1998, alors acceptée par M. Dominique Strauss-Kahn au nom du gouvernement français, et malgré les engagements de M. Christian Pierret, alors secrétaire d'État à l'industrie. C'est finalement par la loi du 3 janvier 2003, présentée par le gouvernement Raffarin, que nous avons assuré la transposition de la directive « gaz » de 1998.
M. Jean-Luc Mélenchon. Voilà qui est terriblement politicien !
M. Henri Revol. Je sais que d'aucuns, sur les bancs de l'opposition, proposent aujourd'hui un rapprochement avec EDF, mais ils n'ont pas fait la démonstration de sa compatibilité avec le droit communautaire, alors même que la commission Roulet, où j'ai eu l'honneur de siéger, jugeait ce rapprochement impossible au regard du droit de la concurrence et qu'un rapprochement du même type au Portugal a été jugé euro-incompatible par la Commission.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est dire où on en est !
M. Roland Courteau. Comparaison n'est pas raison !
M. Henri Revol. L'équation est donc simple, et il n'y a guère d'alternative crédible : pour renforcer GDF, il faut baisser le niveau de la participation de l'État, sauf à accroître son endettement et à hypothéquer toute capacité d'investissement.
Cependant, si nous acceptons l'ouverture totale du marché du gaz et une baisse de la participation de l'État dans le capital de GDF, ce n'est pas sans que soient prises un certain nombre de garanties, qui ont d'ailleurs été rappelées tant par le ministre tout à l'heure que par plusieurs orateurs.
Premièrement, ce texte offre des protections importantes pour les consommateurs en termes d'information et d'évolution des prix de l'énergie.
D'une part, il assure la sécurité juridique au-delà du 1er juillet 2007, sans limitation dans le temps, des tarifs réglementés - gaz et électricité - pour les ménages qui le souhaitent. Cela ne serait pas possible sans le présent texte.
D'autre part, il crée un tarif social du gaz, comme il existe un tarif social de l'électricité.
Deuxièmement, pour les salariés, le statut de la branche des industries électriques et gazières, qui concerne le personnel de Gaz de France comme de Suez est conforté ; le service commun EDF-GDF est maintenu ;...
M. Roland Courteau. Tout juste !
M. Henri Revol. ...l'existence du système actuel de distribution gazière est intégralement préservée.
Enfin, et c'est certainement l'un des points les plus importants, le projet de loi offre à l'État des moyens de contrôle essentiels dans ce secteur stratégique.
M. Roland Courteau. Ce n'est pas vrai !
M. Henri Revol. L'État sera de loin le premier actionnaire du nouveau groupe, avec plus de 33 % du capital, au-delà donc de la minorité de blocage. De plus, il bénéficiera d'une « action spécifique » lui permettant de s'opposer à toute décision contraire aux intérêts stratégiques de la France, par exemple au regard de la sécurité de son approvisionnement.
Il conservera par ailleurs ses prérogatives en matière de définition des missions de service public et de contrôle de leur exécution, en particulier la fixation des tarifs, d'organisation du marché et de mise en place de son cadre réglementaire.
Il faut le dire clairement, mes chers collègues, l'État conservera tous les pouvoirs qui ne sont pas liés à son statut d'actionnaire majoritaire.
M. Daniel Raoul. C'est faux !
M. Henri Revol. Enfin, dans ce débat, je ne peux me dispenser d'aborder la question des prix et des tarifs.
À ce sujet, la première réalité à rappeler sans cesse, c'est que la structure juridique de l'entreprise n'a aucun lien avec le niveau des prix et des tarifs.
À ce titre, je rappelle que, en 2000, sous le gouvernement Jospin, alors que GDF était détenu à 100 % par l'État, le prix du gaz payé par le consommateur a augmenté de 34 %.
Comme je l'ai souligné lors du riche débat sur l'énergie que nous avons eu ici le 15 juin dernier, si, grâce à l'ouverture du marché de l'électricité, les prix ont tout d'abord baissé, il est vrai que l'on a ensuite connu un revirement de tendance en 2004, qui a été particulièrement pénalisant pour les entreprises ayant choisi de faire jouer leur éligibilité.
M. Roland Courteau. Oh oui !
M. Henri Revol. C'est pourquoi nous apportons notre entier soutien aux initiatives du Gouvernement, relayées par nos rapporteurs, en faveur des consommateurs électro-intensifs et des autres consommateurs professionnels, PMI et PME.
Dans le présent texte, nous sommes particulièrement attentifs à la mise en place du « tarif réglementé transitoire d'ajustement ». Nous sommes favorables à ce qu'il y ait, comme le suggère notre excellent rapporteur Ladislas Poniatowski dans un amendement, une clause de rendez-vous : si ce mécanisme doit permettre aux entreprises ayant opté pour l'éligibilité d'être moins pénalisées par la hausse éventuelle des prix, le retour au tarif régulé ne doit pas pour autant être possible et l'ouverture du marché doit être respectée. C'est d'ailleurs la condition requise pour que ce tarif d'ajustement soit accepté par les instances européennes.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Bien sûr !
M. Henri Revol. Tout en appelant de ses voeux une véritable politique énergétique européenne, le groupe UMP soutiendra le projet de loi qui nous est soumis, car il respecte nos engagements européens (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC), il protège au mieux les consommateurs français (Même mouvement sur les mêmes travées), ...
M. Guy Fischer. On en reparlera !
M. Henri Revol. Mais si !
.... et il offrira à GDF les moyens de devenir un acteur de poids sur le marché du gaz et du gaz naturel liquéfié en s'alliant avec un partenaire pour conduire une politique industrielle cohérente. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le monde a pris conscience que nous nous rapprochions inéluctablement de l'épuisement des hydrocarbures - à plus ou moins un siècle -, pour ce qui est du pétrole en tout cas. Cela a déclenché une tension internationale que certains n'hésitent pas à qualifier de « guerre des ressources ».
Les compagnies pétrolières ou gazières, dont les implications nationales et internationales ont toujours concerné les États, font désormais partie de la stratégie des gouvernements ; l'énergie constitue aujourd'hui une priorité liée à l'indépendance, et donc à la sécurité de leur pays.
Si la seconde guerre du Golfe est vraisemblablement la meilleure illustration de cette réalité, la compagnie Gazprom apparaît de plus en plus comme le bras économique et financier de la Russie, et la Chine pousse ses pions diplomatiques et pétroliers vers la mer Caspienne et, à travers l'Iran, l'Arabie saoudite, le Soudan et le Tchad, vers le Golfe de Guinée.
Il faut souligner que le développement de la consommation intérieure chinoise accentue cette course effrénée vers l'appropriation des ressources. Aujourd'hui, un Chinois consomme 1,8 baril par an, contre 17 barils pour un Européen de l'ouest et 28 barils pour un Nord-Américain. Il est évident que la consommation chinoise par tête d'habitant va augmenter et que l'écart aujourd'hui considérable tend à se réduire. La tension va donc s'accroître avec la demande.
Au regard de ce nouveau contexte international et de cette guerre de mouvement à l'échelle planétaire, a-t-on le droit de rester figé sur des positions prises par le gouvernement il y a deux ans ? Peut-on, par pure idéologie, faire preuve d'angélisme et jouer contre nos intérêts nationaux ?
Il est évident que, pour défendre ceux-ci, il faut renforcer les entreprises qui en ont la charge. Cela passe inéluctablement par des alliances - entre distributeurs, entre distributeurs et producteurs -, et par des investissements dans une capacité d'exploitation-production afin de contrôler les ressources, ce qui nécessite des capitaux considérables.
L'évolution du secteur gazier, en particulier, s'accélère : en moins de six mois, l'Allemand E.ON a fait connaître son offre sur l'Espagnol Endesa, le Russe Gazprom s'est rapproché de l'Algérien Sonatrach et cherche des participations dans les divers distributeurs européens.
Quels sont aujourd'hui les rapports de force entre les protagonistes ? En 2005, le chiffre d'affaires d'E.ON s'est élevé à 56 milliards d'euros, celui de Statoil à 49 milliards d'euros et celui de Gazprom à 42 milliards d'euros. Gaz de France, quant à lui, avec 22,4 milliards d'euros, a enregistré un chiffre d'affaires qui est au mieux deux fois inférieur à celui de ces compagnies.
Le Gouvernement a pris conscience de l'infériorité de Gaz de France au regard de ses concurrents en termes de capital et de ce chiffre d'affaires.
Ne nous cachons pas la réalité : ce texte prépare la fusion avec Suez.
En quoi le projet de loi relatif au secteur de l'énergie répond-il à la nouvelle donne énergétique : contrôle des ressources et concentration des distributeurs, d'une part, besoins croissants, d'autre part ?
Ce texte répond avant tout aux obligations européennes de la France de transposer les deux directives du 26 juin 2003, qui ouvrent le marché du gaz et de l'électricité à la concurrence pour la constitution d'un marché unique. La France, une fois encore, est l'un des trois derniers États à transposer ces directives.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. C'est vrai !
M. Aymeri de Montesquiou. J'insisterai ici sur trois points.
Premièrement, ce texte est de nature à rassurer tant les consommateurs que les salariés de Gaz de France et d'Électricité de France. Évidemment, beaucoup des intervenants qui m'ont précédé en ont parlé, car c'est un élément clé
Tous les particuliers pourront bientôt choisir leur fournisseur et être éligibles au tarif de marché. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
C'est la réalité, mes chers collègues !
Cependant, le maintien de tarifs réglementés est confirmé et nul ne peut être contraint d'opter pour le tarif de marché.
Mme Marie-France Beaufils. Qu'est-ce que cela veut dire ?
M. Aymeri de Montesquiou. En effet, la commission de régulation de l'énergie veille à maintenir des tarifs réglementés, quels que soient l'origine du gaz ou le statut de l'entreprise, public ou privé.
L'institution d'un tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché permet aux consommateurs non domestiques d'avoir le droit à l'erreur et de bénéficier à nouveau d'un tarif attractif pendant deux ans.
En outre, ce texte crée une tarification spéciale de solidarité en matière de gaz naturel, insérée dans l'obligation de service public imposée aux fournisseurs, comme il y a un tarif social de l'électricité et des télécommunications.
Le projet de loi renforce également l'information des petits consommateurs sur la nature des offres commerciales qu'ils reçoivent. Un organisme public de médiation traitera les litiges entre clients et fournisseurs d'énergie.
Enfin, pour ce qui est des communes ou de leurs groupements, auxquels nous sommes tous très attachés, je soutiens la disposition tendant à préciser que les réseaux publics de distribution de gaz leur appartiennent, par coordination avec le droit existant en matière de réseaux électriques.
Cet amendement inscrit dans la loi une réalité ancienne. La distribution de gaz est un service public local, fortement ancré dans les territoires, régi par 6 000 contrats de concession permettant de desservir 8 000 communes.
Pour autant, afin de garantir une égalité de traitement entre les citoyens, un mécanisme de péréquation nationale entre les communes est organisé sur la zone de desserte de chacun des opérateurs. Cette particularité, reconnue par l'État et par le régulateur, fonde le monopole de la distribution confié aux opérateurs historiques gaziers et est préservée dans le projet de loi.
Deuxièmement, l'article 10 du projet de loi transforme EDF et GDF en sociétés anonymes et modifie la part du capital de GDF détenue par l'État. Maintenue à 70 % pour EDF, la part de l'État est abaissée à 34 % pour GDF.
Ce chiffre est plus que symbolique : il correspond au droit de veto ou à la minorité de blocage des actionnaires lorsqu'ils sont convoqués en assemblée générale extraordinaire pour s'opposer à un projet d'absorption, de fusion, d'augmentation de capital, de changement de statut ou de siège. Il serait aberrant, si la fusion entre GDF et Suez s'effectue, que ce nouvel ensemble puisse être la proie d'une OPA.
Des entreprises de la taille de Gaz de France, d'Enel ou d'Endesa, qui sont dans un second cercle, après celui de très grandes sociétés comme Gazprom, Statoil et Sonatrach, lesquelles représentent à elles trois près de la moitié des fournisseurs de gaz à l'Union européenne à vingt-cinq, ont une alternative : soit l'alliance par la fusion, soit l'endettement pour absorber un concurrent, ce qui fragiliserait l'entreprise. Nous en avons fait, hélas, l'expérience.
Entre autres éléments, nous devons prendre en compte la localisation du siège de l'entreprise, qui doit déterminer l'alliance de préférence avec une société de même nationalité. En effet, le centre de décision de celle-ci est déterminant pour son évolution interne. Je pense avant tout aux salariés et aux conséquences que peuvent avoir l'ouverture ou la fermeture de sites. Tout démontre qu'une entreprise a tendance à privilégier le pays où son siège est domicilié. Après l'échec de l'OPA de Péchiney sur Alcan, cette dernière a réussi son OPA sur Péchiney et, en conséquence, des sites ont été fermés en France.
L'État aura des prérogatives particulières telles que le droit de s'opposer aux cessions d'actifs stratégiques pour la sécurité de l'approvisionnement national. C'est un point capital pour tous ceux qui sont concernés par l'industrie nucléaire. L'État pourra donc continuer à peser sur l'avenir de GDF tandis que cette ouverture de capital ouvre juridiquement la voie à la fusion de l'opérateur historique avec une autre société, Suez en particulier.
M. Robert Bret. Il a l'air sincère !
M. Aymeri de Montesquiou. L'État restera le premier actionnaire du groupe, même après la fusion. Une fusion avec EDF, que certains appellent de leurs voeux, serait aujourd'hui incompatible avec le droit européen de la concurrence, même si la distribution reste commune pour motif d'intérêt général.
Troisièmement, je souhaite me prononcer sur le projet de fusion entre Suez et Gaz de France, même s'il ne figure que dans l'exposé des motifs du projet de loi.
Ce projet préserve le statut des 53 000 salariés, dont, je le rappelle, moins de 50 % ont le statut de l'industrie gazière et plus de la moitié ont un statut de droit privé, tout en renforçant les perspectives de développement de l'entreprise.
Il permettra de mieux garantir nos approvisionnements en gaz dans les années à venir. Alors qu'aujourd'hui la Russie représente 25 % des approvisionnements de Gaz de France, ce projet offrira au nouveau groupe une position beaucoup plus forte dans les négociations internationales, notamment avec Gazprom, afin d'envisager des participations dans des terminaux ou des gazoducs à forte capitalisation. Je pense en particulier au Baltic pipe, qui contourne la Pologne, ou au Nabucco, qui passe par la Turquie, la Grèce et l'Italie. Cela consolidera également son positionnement dans les terminaux gaziers en Europe.
Il permettra au nouveau groupe de diversifier ses approvisionnements extérieurs au continent en se tournant vers de nouvelles sources en Égypte, au Qatar, au Yémen, à Trinité-et-Tobago, au Nigeria ainsi qu'en Libye, en Mauritanie et en Iran. En effet, il y a actuellement deux sources d'approvisionnement, celle de GDF et celle de Suez. Combiner les deux revient, à l'évidence, à les rendre plus nombreuses et à réduire ainsi considérablement les risques liés à la dépendance.
Au final, c'est le consommateur qui bénéficiera d'une plus grande sécurité d'approvisionnement et de prix plus modérés.
Enfin, je voudrais souligner l'importance majeure que prendra le gaz naturel liquéfié dans les approvisionnements gaziers, qui ne seront plus uniquement effectués par gazoducs, mais aussi par bateau.
Le GNL est susceptible de changer la géopolitique gazière. En effet, les marchés sont aujourd'hui en grande partie régionaux. La mondialisation des entreprises gazières et « poly-énergies » les orientera de plus en plus vers ce mode de transport pour diversifier leurs sources. Ils ne constitueront plus un marché captif. Gaz de France et Suez sont reconnus comme figurant parmi les plus performants dans cette technologie. L'addition de leurs forces fera du nouveau groupe un partenaire majeur dans ce nouveau grand jeu.
Gaz de France a la particularité d'être la seule société de distribution uniquement gazière en Europe. Toutes les autres entreprises européennes sont « multi-énergies ».
Néanmoins, monsieur le ministre, j'aimerais ajouter que, si les enjeux économiques sont évidents, le système mis en place manque de clarté pour ce qui est du nouveau type de statut, public-privé. Celui-ci mérite d'être simplifié, car il paraît beaucoup trop complexe pour le consommateur.
Ce projet de loi s'inscrit dans la lignée des grands textes touchant au domaine énergétique, de la loi de 1946 à celle de 1974 sur les économies d'énergie, en passant par les lois de 2003, 2004 et 2005.
Il représente une prise de conscience en ce qu'il nous amène à ne plus raisonner en termes hexagonaux mais à nous placer en position d'affronter la mondialisation.
Je voterai donc en faveur de ce projet de loi, comme beaucoup de membres du RDSE, car c'est un texte qui prépare l'avenir énergétique de notre pays. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UMP.)
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi sur le secteur de l'énergie montre toute la constance de ce gouvernement et de sa majorité dans leur volonté de détruire systématiquement le patrimoine public dans notre pays.
C'est ce processus prémédité, organisé par étapes, qui est mis en oeuvre depuis 2002.
Pourtant, monsieur le ministre, chers collègues, vous connaissez l'attachement des Français aux services et entreprises publics : vous devez en tenir compte.
Vous privatisez dans les faits, et vous voulez nous faire croire que vous pourrez peser sur l'avenir de la nouvelle entreprise.
Ces numéros d'équilibriste vous conduisent à vous renier vous-même.
Dès octobre 2002, un de vos premiers projets de loi portait sur le « marché énergétique » et constituait la première phase de votre entreprise de destruction.
Je ne m'attarderai pas sur tous les textes que vous avez présentés par la suite, mais je rappellerai que, lors de la modification des statuts de juillet 2004, nous exprimions déjà notre désaccord : « Vous ne pourrez pas cacher plus longtemps aux Français que le coeur même de votre projet de loi est la privatisation de ces entreprises », disions-nous. « Vos dénégations renouvelées ne font pas vérité. La manière dont vous avez procédé en est tout à fait révélatrice. »
En fait, et les citoyens ne peuvent qu'en être témoins, tout au long de ces quatre années, vous avez grossièrement menti aux Français.
Le rapporteur du projet de loi sur la modification des statuts, M. Poniatowski, déjà, déclarait ici même, le 5 juillet 2004 : « En tout cas, je le redis, le seuil des 70 % du capital détenu par l'État ne sera pas remis en cause. »
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. C'était en 2004 !
M. Guy Fischer. Eh oui, il l'a dit ! C'est gravé dans le marbre !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. J'assume !
Mme Marie-France Beaufils. « Ce seuil, je le rappelle, est le fruit de longues discussions et de longues négociations entre le Gouvernement et les partenaires sociaux. Cela montre bien que le débat social et la concertation servent à quelque chose et permettent à un gouvernement de modifier sa position initiale. »
Quelle belle conception du dialogue social vous nous montrez aujourd'hui ! Le texte qui nous est présenté montre son véritable caractère : il a la brutalité de vos décisions.
Vous ajoutiez ce jour-là, monsieur le rapporteur, que « la privatisation n'intervient que lorsque l'État détient moins de 51 % », ce qui n'était pas le cas à l'époque.
Or c'est bien, à nos yeux, le sujet essentiel aujourd'hui. Le Conseil constitutionnel admettait que le texte de 2004 n'était pas anticonstitutionnel dans la mesure où le capital détenu par l'État était supérieur à 50 %. Qu'en est-il donc aujourd'hui ?
Nous sommes bien face à un projet de privatisation brutale de GDF puisque vous souhaitez que le capital détenu par l'État descende à 34 %.
Il ressort d'ailleurs de l'alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946 que le législateur ne peut, d'un côté, conserver à GDF ses missions de service public, en réaffirmant son attachement au maintien de ces missions, et, de l'autre, extraire l'entreprise du service public.
Dans sa décision du 5 août 2004, relative au service public de l'électricité et du gaz, approuvant la constitutionnalité de la loi transformant EDF et GDF en sociétés anonymes, la haute instance a réaffirmé sa jurisprudence selon laquelle les services publics nationaux peuvent être gérés par des personnes morales de droit privé si et seulement s'il y a participation majoritaire de l'État.
À la lumière de cette décision, on entrevoit aisément les problèmes que pourrait susciter le présent projet de loi.
Comment pouvez-vous, en effet, vouloir privatiser une activité relevant d'un service public national sans tenir compte de l'alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946 ? Sauf à considérer que vous souhaitez aller jusqu'au bout et mettre ainsi fin aux missions de service public de la nouvelle société.
Il est difficile de comprendre votre acharnement à privatiser cette entreprise aux résultats exceptionnels. Mais peut-être avez-vous décidé de considérer que l'intérêt privé passe avant l'intérêt public...
M. Guy Fischer. C'est le cas !
Mme Marie-France Beaufils. Votre projet ne peut, de toute évidence, que servir l'intérêt des actionnaires, qui s'approprieront ainsi un bien qui appartient à la collectivité, sans garantir aucunement que ce bien sera au service du public.
Gaz de France est toujours une entreprise publique.
À écouter M. le ministre de l'économie, tout à l'heure, on pouvait croire que le statut de GDF aurait des incidences sur sa compétitivité, sur son efficacité.
L'entreprise rencontrerait-t-elle actuellement des difficultés ? En aurait-elle souffert ? La présence de l'État dans le capital constituerait-t-elle un frein à son développement ? Sa viabilité serait-elle remise en cause ? Les résultats du premier semestre 2006 devraient à eux seuls nous convaincre du contraire. Le PDG de GDF, M. Cirelli, vient de déclarer que « Gaz de France réalise un excellent premier semestre, grâce au dynamisme de son développement, à la solidité de ses activités d'infrastructure et à la qualité du travail de ses collaborateurs. »
Et il ajoute : « Ces performances, auxquelles toutes les activités du groupe, sans exception, ont contribué, s'expliquent par la gestion rigoureuse de nos infrastructures, la très forte croissance de l'exploration-production, qui enregistre une hausse historique de son résultat au cours du premier semestre, et la très bonne performance des activités de négoce.
« Gaz de France poursuit, en outre, son développement rentable à l'international, où le groupe réalise désormais près de 40 % de son chiffre d'affaires.
« La progression de la performance économique et financière de Gaz de France, en 2006, traduit la solidité du groupe et de son modèle de développement. »
Le chiffre d'affaire a augmenté de 37 %, le résultat net de 34 %. Ces résultats ont besoin d'être consolidés. Je ne vois pas en quoi une fusion avec Suez pourrait les améliorer, sauf à verser dans de délirantes spirales.
Ce qui est, en revanche, plus difficile à comprendre pour les usagers, particuliers ou entreprises, ce sont les hausses inacceptables que vous avez autorisées, monsieur le ministre, alors que l'entreprise réalise de confortables bénéfices. Ces hausses de tarifs n'ont pas les mêmes conséquences pour tous.
Vous prétendez que les golden shares, ou actions spécifiques, seraient la solution pour préserver la présence de l'État. Ces actions peuvent en effet permettre à l'État de conserver un droit de veto sur l'évolution du capital et des activités dans la société, mais elles ne lui permettent pas de décider des investissements ni d'orienter l'activité.
Il ne s'agit pas d'une maîtrise effective et offensive : ces actions spécifiques permettent seulement de s'opposer à des décisions de cession d'actifs ou d'activités stratégiques ; ce n'est donc qu'un contrôle défensif.
Ce subterfuge n'est qu'un moyen de temporiser, comme le prédécesseur de M. Breton le faisait quand il jurait que la participation de l'État ne descendrait jamais en dessous de 70 % du capital.
Vous n'êtes pas sans savoir que ce « gadget » juridique n'a d'autre utilité que de faire croire aux salariés et aux usagers que vous avez le souci de maintenir la présence de l'État dans cette société.
Vous connaissez comme moi les décisions de la Cour de justice des Communautés européennes, et en particulier la dernière en date. Celle-ci confirme que l'État néerlandais contrevient à la législation européenne parce qu'il détient une action spécifique dans l'opérateur de télécoms KPN et dans la société de messagerie TNT.
L'État néerlandais a dû renoncer à sa golden share au sein de KPN l'an dernier et a vendu le reste de sa participation dans l'opérateur la semaine dernière.
Vous savez également que la Cour de justice s'est déjà prononcée contre les golden shares en France, au Portugal, en Espagne et au Royaume-uni. Elle n'a accepté qu'un seul cas, en Belgique.
Rien, à ce jour, ne nous garantit que cette action spécifique permettra à l'État de s'opposer à toute tentative de privatisation totale.
Vous annoncez, de plus, qu'en détenant un tiers du capital, « l'État dispose d'une minorité de blocage dans les assemblées générales d'actionnaires puisque les votes y interviennent à la majorité des deux tiers ».
La compétence de ces assemblées générales d'actionnaires s'étend à toute modification de l'objet social, à tout transfert du siège social, à toute décision entraînant une modification immédiate ou à terme du capital social, à toute opération de rapprochement de l'entreprise avec une société tierce.
Vous oubliez toutefois de dire que la détention d'une minorité de blocage - soit, en France, dans les sociétés anonymes, un tiers des voix plus une - donne à l'actionnaire minoritaire la possibilité de bloquer toute décision prise par la seule assemblée générale extraordinaire. La minorité de blocage ne permet pas d'influer sur les décisions d'une assemblée générale ordinaire : il s'agit donc d'un contrôle négatif, et non pas d'un contrôle actif. Votre stratégie reste bien essentiellement défensive, comme avec les golden shares.
M. Robert Bret. Oui, c'est cela, la réalité !
Mme Marie-France Beaufils. Vous avez donc décidé de ne plus peser sur les choix que prendra la nouvelle société constituée à partir de GDF et de Suez.
Vous créez les conditions de l'abandon par l'État de la maîtrise des choix énergétiques dont on mesure pourtant clairement aujourd'hui l'importance.
Vous faites fi des intérêts des usagers, à qui vous imposez des hausses de tarifs, et des salariés de ce secteur, qui ont toujours fait la preuve d'un savoir-faire et d'un dévouement exemplaires, puisque vous ne tenez aucun compte de la position qu'exprimait leur vote.
Par votre politique, vous mettez en péril l'avenir de tout un secteur en le livrant au marché.
Dans ces conditions, qui pourrait empêcher un fonds de pensions de lancer une OPA sur la nouvelle société ainsi privatisée ?
Dans un questionnaire transmis par le ministère aux syndicats, vous faites vous-même preuve d'une grande prudence puisque vous reconnaissez que « la présence d'un actionnaire détenant plus du tiers du capital n'interdit pas à un tiers de lancer une OPA sur la société, mais elle affecte sérieusement ses chances de succès ».
M. Guy Fischer. Tout à fait !
Mme Marie-France Beaufils. L'article 10 tend à remettre en cause le fondement même de ce qui, depuis soixante ans, a fait la richesse économique et sociale de notre pays, à travers ses services et entreprises publiques.
Vous réduisez à la portion congrue la part de l'État. Vous bradez au secteur privé notre patrimoine public industriel.
Un seul objectif vous anime : privilégier les intérêts privés au détriment de l'intérêt général. Il s'agit pour vous de privilégier cette « concurrence libre et non faussée », pourtant rejetée par les Français le 29 mai 2005.
Dans son intervention, M. Breton nous disait que la situation avait changé. À aucun moment, cependant, il ne nous a montré en quoi cette situation avait pu changer depuis 2004.
Nous le disions déjà alors : en fait, vous dissimuliez vos choix.
Le droit à l'énergie, comme le droit à la santé, à l'éducation, à la culture, est un droit fondamental : vous êtes là pour les effacer un à un.
Le présent projet de loi sur le secteur de l'énergie porte la marque de cette politique destructrice. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les précédents intervenants nous l'ont rappelé, nous sommes réunis ce soir pour traiter du secteur de l'énergie dans sa globalité.
En effet, le sujet qui nous occupe ne se limite pas à la privatisation de Gaz de France ou à la transposition d'une directive. Il nous faut l'aborder aussi et surtout sous l'angle de l'avenir énergétique de la France.
Nous le disions déjà il y a un an : il s'agit bien là d'une question essentielle, qui touche à l'avenir de nos entreprises et au quotidien de chaque Français, tant sur le plan environnemental, dans le contexte du réchauffement planétaire et de la fin des énergies fossiles, qu'au regard de la sécurité des approvisionnements.
Pour se convaincre de l'importance de ce qui se trame au niveau géopolitique, il n'est que de prendre l'exemple des manipulations auxquelles se livre actuellement Gazprom vis-à-vis de l'Ukraine.
Ce quotidien, toutefois, s'exprime aussi et surtout dans l'égal accès de tous à l'énergie, dans un contexte de hausse des prix de celle-ci.
Il s'agit donc de traiter cette question avec la plus grande transparence et le plus grand sérieux, comme la Haute Assemblée a coutume de le faire, mais aussi avec sincérité, sans mentir aux Français ni revenir sur la parole donnée. Ayant d'ailleurs constaté l'énergie et l'habileté déployées par M. le rapporteur, dont je salue d'habitude l'honnêteté intellectuelle, j'ai pensé qu'il voulait sans doute se convaincre lui-même ou écarter les doutes qui auraient pu l'effleurer.
J'évoquerai ce point tout à l'heure mais, pour l'heure, je souhaite insister sur la transposition qui nous est proposée à travers ce projet de loi.
Ainsi que M. le rapporteur l'a souligné, nous arrivons à la dernière étape de transposition des directives 2003/54 et 2003/55 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et du gaz.
J'ai bien entendu nos collègues nous rappeler que ce processus avait connu une nette accélération en 2000, à l'occasion du sommet de Lisbonne, puis en mars 2002, à Barcelone.
D'aucuns, dont notre rapporteur, se sont plu à préciser que le chef du gouvernement de l'époque était Lionel Jospin. C'est une réalité indiscutable ! Mais pourquoi cacher que Jacques Chirac était déjà Président de la République ? Or celui-ci précisait, lors de ce sommet de Barcelone, qu'« il n'était pas, du point de vue de la France, acceptable d'aller plus loin » quant à l'exposition des familles aux conséquences de l'ouverture du marché de l'énergie.
Il ne s'agit pas pour moi de faire ici preuve de dogmatisme, car je suis convaincu qu'il est parfois utile d'ouvrir le capital d'une entreprise publique quand il y va de l'intérêt national, c'est-à-dire de l'intérêt de l'entreprise et de ses salariés comme de l'intérêt des consommateurs, c'est-à-dire en fait de l'intérêt des Français.
Ceux qui se plaisent à faire des rappels historiques devraient aussi préciser que les socialistes, accompagnés par un Président nommé Jacques Chirac, avaient alors assorti leur position d'un certain nombre de conditions. Et c'est bien là tout l'intérêt d'une politique européenne : que chaque pays puisse faire connaître et valoir ses arguments ainsi que les modalités permettant de parvenir à un accord.
En ce qui concerne notre débat, ces modalités portent un nom : il s'agit de la condition posée d'une directive-cadre des services d'intérêt économique général.
Déjà, à Nice en décembre 2000, puis à Laeken un an plus tard, le Conseil européen prenait acte des « conclusions » de sa réunion en notant que « la Commission examinera l'opportunité de consolider et de préciser dans une directive-cadre les principes relatifs aux services d'intérêt général qui sous-tendent l'article 16 du traité en tenant dûment compte des spécificités des différents secteurs concernés ».
Précisément, lors du Conseil européen de Barcelone, en mars 2002, l'une des conditions demandées par Lionel Jospin, et soutenues par le Président Chirac, était que la Commission européenne « poursuive son examen en vue de consolider et de préciser, dans une proposition de directive-cadre, les principes relatifs aux services d'intérêt économique général ».
Les parlementaires européens ont, eux aussi, soutenu cette démarche en demandant en 2001 à la Commission européenne « une analyse détaillée de l'impact de la libéralisation des services d'intérêt général, avant d'engager de nouvelles étapes de libéralisation ».
Les eurodéputés ont en outre demandé au Conseil européen de Laeken de soutenir une proposition de la Commission en vue d'une directive-cadre sur les services d'intérêt général qui devrait garantir que le public peut disposer de tels services : services de transport, services postaux, télécommunications, éducation, services hospitaliers, services sociaux, élimination des eaux usées et des déchets et approvisionnement en eau et en énergie. C'est bien ce dernier point qui nous intéresse aujourd'hui. Le Parlement européen précisait déjà à l'époque que « ces services doivent être fournis dans des conditions fiables : qualité élevée, disponibilité générale, prix optimal, équilibre social et sécurité d'approvisionnement durable ».
Il ne s'agit pour aucun d'entre nous de demandes incantatoires, mais le texte qui nous est proposé aujourd'hui nous conforte dans notre volonté de voir certains objectifs généraux figurer dans cette directive-cadre préliminaire.
Ainsi, tout d'abord, il importe de réactiver le débat sur la question de savoir si les services publics sont, oui ou non, au coeur du modèle social européen, de démontrer que l'Union européenne n'est pas seulement un marché, comme le résultat d'un certain référendum l'a d'ailleurs montré - continuez sur cette voie et vous verrez comment se construira une Europe politique et sociale ! -, mais qu'elle est sous-tendue par des valeurs universelles : égalité des chances, solidarité, cohésion territoriale.
Il faudrait préciser que les services publics ne doivent pas seulement être encadrés par des directives sectorielles ; il faut aujourd'hui arrêter un principe général pour les définir et les protéger.
Vous l'aurez compris, l'objectif à court terme est de demander au Conseil européen de décembre 2006 qu'il exige de la Commission la rédaction d'une directive-cadre. Plus exactement, il s'agit de demander à la présidence finlandaise de proposer au Conseil européen de décembre une déclaration qui aille au-delà des formules de Laeken, Nice et Barcelone et qui comporte un paragraphe demandant explicitement à la Commission européenne d'élaborer des propositions pour clarifier la notion de services publics.
Voilà, mes chers collègues, les orientations qui devraient être les nôtres au moment où nous allons aborder l'avenir de la filière énergétique et, plus spécifiquement, celle du gaz. En lieu et place de ces garanties, nous n'avons que des interrogations sans réponses, des paroles non tenues, des actes qui vont à l'inverse des discours.
Ainsi, dès novembre 2002, Mme Nicole Fontaine a accepté l'ouverture des marchés, sans préalable et sans directive-cadre, malgré les engagements pris à Barcelone et malgré ses déclarations devant notre assemblée.
Aujourd'hui, M. le ministre de l'économie veut nous tranquilliser sur l'avenir formidable de Gaz de France ; je lui rappellerai simplement qu'avec la même assurance, le même aplomb, il nous garantissait, voilà quelques mois, que Mittal et Arcelor ne fusionneraient jamais !
Enfin - et ce n'est pas le moins ! -, un certain ministre d'État, alors ministre de l'économie, nous a promis que jamais l'État ne réduirait à moins de 70 % sa participation dans un certain grand groupe énergétique,...
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Daniel Raoul. ... comme cela a déjà été rappelé. Nous l'inscrivions même alors dans la loi. Pourtant, chacun sait ce que vous allez en faire !
C'est d'ailleurs à cette occasion que notre collègue Henri Revol, dans son rapport de juin 2004, nous présentait la nouvelle rédaction de ce qui est ensuite devenu l'article 1er de la loi d'orientation sur l'énergie de 2005 : « La politique énergétique française repose sur un service public de l'énergie qui garantit l'indépendance stratégique et qui favorise la compétitivité économique de la nation. Sa conduite nécessite le maintien et le développement d'entreprises publiques nationales dans le secteur énergétique. »
M. Guy Fischer. Il s'est renié !
M. Daniel Raoul. Ainsi, alors que, en 2004, la commission des affaires économiques du Sénat approuvait la déclaration de M. Sarkozy et votait en faveur du maintien d'entreprises publiques nationales dans le secteur énergétique, moins de deux ans après, elle s'apprête à voter l'inverse !
M. Roland Courteau. Et voilà !
M. Daniel Raoul. Malheureusement, le Gouvernement et la majorité UMP ont pris au pied de la lettre les termes « libéralisation des marchés énergétiques » et, sous prétexte de transposition, c'est bien à la loi de la jungle ultra-libérale de la fixation des prix que nos concitoyens vont être confrontés demain si le texte reste en l'état.
M. Roland Courteau. Exact !
M. Daniel Raoul. Mme Fontaine en 2002, M. Sarkozy en 2004, M. Breton en 2006 : quand devrons-nous croire les membres du Gouvernement ?
Enfin, sur la nécessité de transposer les directives, je vous conseillerai, monsieur le ministre, de prendre l'attache de votre collègue M. Goulard, qui a été relativement astucieux en ce qui concerne la transposition de la directive OGM puisque, à défaut de faire preuve de courage politique sur ce texte, il a préféré contourner habilement le problème, sans que la France ait à acquitter la moindre pénalité.
Une approche réglementaire aurait d'ailleurs sans doute permis de surseoir à la transposition, en laissant à la Commission européenne le temps de produire la directive tant attendue pour le service d'intérêt économique général.
Vous comprendrez donc, mes chers collègues, que, pour nous, ce texte est irrecevable, inacceptable et que la démarche qui le sous-tend est irresponsable. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Il est d'abord irrecevable puisque les engagements qui ont été pris devant nous, devant chacune des assemblées, ne sont pas respectés. Il en est ainsi des engagements du Président Chirac à Barcelone ou de ceux de M. Sarkozy sur le capital de Gaz de France.
Par ailleurs, on nous cache les négociations engagées à Bruxelles avec la Commission concernant les contreparties.
En outre, la Cour de justice européenne vient de se prononcer contre la golden share de l'État néerlandais, ce qui n'est pas sans conséquences quand on sait de quelles vertus vous parez cette golden share.
Ce texte est ensuite inacceptable pour nos concitoyens, au regard des conséquences de l'ouverture du marché.
Les députés, sans le dire, bien entendu, en ont tiré la conclusion qui s'imposait, en instaurant un tarif de retour afin de limiter les dégâts pendant deux ans. Mais que se passera-t-il après ces deux ans ?
Enfin, il est irresponsable, dans le contexte géopolitique que nous connaissons - je pense, en particulier, à la montée en puissance de producteurs tels que Gazprom ou Sonatrach -, de faire voter un texte qui fragilise nos deux fleurons énergétiques, et cela sans apporter de garanties suffisantes quant à l'indépendance.
Pour toutes ces raisons, les sénateurs socialistes s'attacheront à combattre ce texte tout au long de nos débats, en n'ayant qu'un seul objectif : sauvegarder l'intérêt de la France et celui des consommateurs dans le domaine énergétique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, s'agissant d'un débat aussi important pour l'avenir de notre pays, pour sa place dans le monde, il faut parfois s'écarter des problèmes juridiques et faire un peu d'économie.
Ayant examiné le projet de loi, sans reprendre l'analyse développée dans son excellent rapport par Ladislas Poniatowski et faisant miens les propos de mon collègue et ami M. Henri Revol, je ferai quatre constats.
Premier constat : que nous le voulions ou non, la transposition totale des directives européennes est pour demain puisqu'elle est fixée au 1er juillet 2007, et il est évident que, si nous ne faisions rien, nous ne pourrions pas mettre en place les protections tarifaires et les mécanismes de transition qui sont prévus dans le texte. C'est un fait.
Il est inutile de savoir qui, en 2002, en 2004, etc., est à l'origine de la décision. Tous les gouvernements français qui ont participé à la construction européenne sont également responsables, comme l'est le parti socialiste, qui avait appelé à voter en faveur de la Constitution européenne.
Le premier élément à partir duquel nous devons donc réfléchir, c'est que, à partir du milieu de l'année prochaine, le système énergétique sera complètement libéralisé et que n'importe qui pourra venir vendre de l'électricité, du gaz ou du pétrole sur notre territoire.
Par conséquent, un texte est nécessaire afin de préciser le fonctionnement convenable de ce marché, sans léser les intérêts des consommateurs, ni ceux des entreprises, ni ceux des personnels qui sont à l'heure actuelle employés dans ces entreprises.
Deuxième constat : nous assistons, depuis l'année dernière, à un renchérissement des prix du pétrole et du gaz qui n'est pas de la même nature que les hausses que nous avions subies lorsque j'occupais des fonctions analogues aux vôtres, monsieur le ministre.
Lors des premier et deuxième chocs pétroliers, nous avons pensé - sans doute à tort - que nous avions affaire non à une crise structurelle mais à une crise d'adaptation, conjoncturelle, dont la survenue était liée à des événements militaires, politiques, géopolitiques.
En dépit des mesures courageuses qui ont été adoptées par les gouvernements de l'époque, notamment la mise en place de notre système nucléaire et d'une politique d'économies d'énergie, avec la création de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, nous n'avons pas fait tout ce qu'il aurait été nécessaire de faire. C'est pourquoi, aujourd'hui, nous sommes confrontés, compte tenu de l'extinction progressive des ressources en énergies fossiles, à une montée des prix qui, hélas, va s'accentuer et va devenir un élément important du fonctionnement de nos économies occidentales, comme de celles des pays émergents.
Tout à l'heure, ont été cités des chiffres concernant la consommation chinoise, américaine ou européenne. Tous ces chiffres vont se modifier, car nous sommes entrés dans une époque de pétrole et de gaz chers. C'est un élément de « réglage » de nos économies dont personne ne peut aujourd'hui ignorer les conséquences.
Mon troisième constat concerne un événement tout récent, et dont les conséquences à long terme pourraient, de mon point de vue, se révéler particulièrement graves : il s'agit de l'accord passé le 4 août dernier entre Gazprom et Sonatrach.
En effet, ce rapprochement prévoit la mutualisation d'un certain nombre de ressources et une codirection de la vente du gaz aux pays européens. En réalité, mes chers collègues, il s'agit d'un véritable encerclement de ces derniers, la totalité des énormes productions de Gazprom et de Sonatrach étant mises dans le même « panier ».
Or, GDF n'ayant plus de ressources qui lui soient propres, la totalité de la consommation française de gaz doit être importée. Dès lors, en dehors des gaz russe et algérien, il ne reste que quelques autres possibilités d'approvisionnement : en Afrique, en Égypte, en Norvège.
À l'évidence, cette nouvelle donnée est donc essentielle.
Monsieur le ministre, permettez-moi d'adresser au passage un léger reproche au Gouvernement, même si cette remarque va dans un sens totalement contraire aux critiques qui ont été émises jusqu'à présent.
Si nous avions pu accélérer notre « cadence textuelle » et débattre dès l'année dernière de ce sujet, peut-être aurions-nous été en mesure d'envisager une négociation avec Gazprom, dont chacun connaît l'importance en Russie, et d'éviter ainsi l'accord entre celui-ci et Sonatrach. En effet, à mon sens, ce rapprochement constitue l'élément le plus important de ces derniers mois et commande la totalité de notre raisonnement.
Quatrième constat : le projet de fusion de Gaz de France et de Suez répond à la nécessité de constituer un groupe de dimension mondiale avec un approvisionnement varié, en particulier en gaz naturel, notamment grâce aux ressources qu'on peut trouver en Afrique. En outre, il donne une capacité d'investissement suffisante pour développer la prospection et les clientèles.
D'après tout ce que nous avons pu entendre ou observer sur le sujet - je pense notamment à la très longue concertation que vous avez menée avec les organisations professionnelles et syndicales, monsieur le ministre -, cette fusion ne porte pas atteinte aux droits des salariés. De surcroît, elle a l'avantage de mettre en place un certain nombre de mécanismes tarifaires tant pour les catégories les plus modestes que pour les entreprises, ce qui permet d'envisager l'avenir avec un peu plus de sérénité.
En effet, nous avons en France trois grands groupes énergétiques de dimension mondiale : il s'agit d'Areva, qui est le plus grand groupe nucléaire mondial, de Total, qui est un groupe pétrolier de très grande dimension, et d'EDF, dont la capacité nucléaire est tout à fait importante. Comparé à ces groupes, Gaz de France est tout petit et, en l'état actuel, n'est manifestement pas en mesure de faire face à la concurrence, notamment dans le contexte de l'accord entre Sonatrach et Gazprom.
C'est la raison pour laquelle le projet de fusion me paraît aller dans le bon sens.
Certes, nous aurions pu envisager d'autres solutions, par exemple la fusion de GDF avec Total ou Areva, qui sont des entreprises privées. Mais votre projet me semble intéressant, monsieur le ministre.
J'en viens à présent aux raisons pour lesquelles mes collègues de l'UMP et moi-même voterons en faveur de ce projet de loi.
M. Guy Fischer. Quel scoop !
M. Jean-Pierre Fourcade. En effet, d'aucuns entretiennent un certain nombre d'illusions sur ce sujet, illusions que je voudrais aujourd'hui contribuer à dissiper.
La première réside dans le rapprochement de capital et de structure, qui est prôné par certains, entre EDF et GDF. C'est une solution à laquelle on peut évidemment songer lorsqu'on est attaché au service public. Ainsi, tout à l'heure, plusieurs de nos collègues ont brandi des tee-shirts sur lesquels il était inscrit : « EDF-GDF : 100 % public ».
Malheureusement, outre le fait que la Commission européenne ne manquerait pas d'appliquer la jurisprudence qu'elle a développée à l'égard tant du Portugal que des Pays-Bas à une telle fusion, celle-ci n'apporterait aucune solution en matière de fournitures de gaz. Si elle présente un intérêt du point de vue énergétique en général, elle n'en présente aucun pour ce qui est du gaz en particulier.
En effet, s'agissant du gaz, nous devons diversifier les approvisionnements, en essayant à la fois de susciter de nouvelles recherches et de trouver de nouvelles sources. De ce point de vue, la fusion entre EDF et GDF n'est pas une solution.
La deuxième illusion est beaucoup plus ancrée dans notre mentalité, dans notre culture, liée à nos souvenirs ; elle me paraît extrêmement dangereuse au regard la place de notre pays dans le monde au cours des prochaines années. C'est la vision erronée selon laquelle, lorsque l'énergie est distribuée par un service public, l'État peut compenser des mouvements de prix un peu forts grâce aux finances publiques, en jouant un rôle d'« amortisseur » entre le coût de revient de la matière première et le prix de vente au consommateur.
Tous les pays de l'Est et la plupart des pays émergents ont cru à cette idée, sur laquelle l'Inde et la Chine sont en train de revenir. En France, nous y avons également souscrit pendant un temps. Je sais de quoi je parle, ayant été, à une époque, en charge du dossier des prix dans notre pays. C'est vrai, nous estimions alors que les finances publiques pouvaient jouer un rôle d'amortisseur pour protéger nos compatriotes.
Malheureusement, compte tenu de l'ampleur de la hausse des prix et de la raréfaction de la matière première, l'écart entre le coût de revient et le prix de vente est trop important pour être compensé.
Dans ces conditions, l'idée que je viens d'évoquer relève bien de l'illusion et nous devons, je le crois, avoir le courage de dire la vérité à nos concitoyens.
Pourquoi, sous le gouvernement Jospin, les prix du gaz ont-ils augmenté, comme M. Revol et M. le rapporteur l'ont rappelé ? Tout simplement parce que M. Jospin, en homme d'État, avait reconnu que les finances publiques ne pouvaient pas jouer un rôle d'amortisseur face à une évolution de prix aussi importante.
Heureusement, les cours du marché ont légèrement baissé et sont redevenus à des niveaux plus raisonnables. Pour autant, comme je le disais tout à l'heure, je crains que nous ne retrouvions jamais des cours du pétrole à 25 dollars le baril.
À cet égard, le projet de loi de finances pour l'année 2007 est fondé sur l'hypothèse d'un baril de pétrole à un prix équivalant à 55 ou 60 euros.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Et cela risque d'être plus !
M. Jean-Pierre Fourcade. En tout cas, à mon avis, nous ne reviendrons jamais aux tarifs que j'évoquais, et il y a encore là un mirage à dissiper.
Enfin, la troisième et dernière illusion réside dans l'attitude d'un certain nombre de personnes selon qui il serait préférable d'attendre, d'observer les effets de la libéralisation avant de prendre une décision. Il faudrait éviter de bouleverser le secteur de l'énergie et d'évoquer l'élargissement du capital ou la privatisation.
Eh bien, monsieur le ministre, pour ma part, je considère que le gouvernement auquel vous appartenez a eu le courage d'intervenir. En effet, nous n'avons pas de temps à perdre. Il serait stupide de notre part d'attendre le 1er juillet 2007 et de laisser les produits gaziers, pétroliers ou électriques circuler librement.
C'est la raison pour laquelle je soutiendrai ce projet de loi, assorti des quelques améliorations que nous proposera la commission des affaires économiques.
Certes, la partie tarifaire, notamment la protection des personnes les plus faibles, mérite encore quelques compléments. Ceux-ci devront être apportés, notamment après le 1er juillet 2007.
De même, si la fusion avec Suez est actuellement la meilleure solution, il peut en exister d'autres.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Fourcade. On peut, chemin faisant, élargir éventuellement ce groupe, pour augmenter ses capacités d'action sur le plan mondial et ses possibilités de diversification des approvisionnements.
Quoi qu'il en soit, le temps presse. Sachons nous adapter aux réalités du monde, au lieu de céder aux réflexes de crainte qui bloquent toute réforme ! C'est de cette manière, et de cette manière seulement, que nous protégerons effectivement nos entreprises et nos concitoyens.
Il était temps d'agir, et vous le faites. C'est la raison pour laquelle nous vous appuierons. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'énergie étant un secteur éminemment stratégique, nous sommes aujourd'hui saisis d'un projet de loi qui suscite beaucoup de passions. Celles-ci sont à la mesure des enjeux puisqu'il est question d'indépendance énergétique, de compétitivité économique et de gestion de l'environnement.
En effet, dans un contexte mondial où les ressources énergétiques sont très disputées en raison de l'augmentation constante de la demande, les tensions sur les marchés sont de plus en plus fréquentes.
La dépendance énergétique s'accroît d'autant plus que les fournisseurs s'organisent sous la forme de puissants monopoles.
En 2030, le taux de dépendance énergétique de l'Union européenne approchera les 70 %. S'agissant de notre pays, notre dépendance aux gaz russe et algérien est de plus en plus marquée et atteint aujourd'hui 41 %.
Compte tenu de la recomposition du paysage énergétique européen, et même mondial, nous devons faire des choix politiques et économiques qui permettent à la France de relever les nouveaux défis.
Le présent projet de loi est censé contribuer au renforcement des acteurs français de l'énergie. En effet, en théorie, il vise à concilier la sécurité de l'approvisionnement, la compétitivité de nos entreprises dans un marché libéralisé et le développement durable.
Monsieur le ministre, si nous souscrivons bien évidemment à ces trois objectifs, nous pouvons déplorer l'option choisie pour les atteindre, c'est-à-dire la fusion entre Suez et GDF. Ce choix est d'autant plus malvenu que le Parlement est également confronté à un problème de méthode.
Nous sommes entrés dans le processus législatif alors que les négociations se poursuivent entre la commissaire européenne en charge de la concurrence, le groupe Suez et GDF. Nous légiférerons « à l'aveuglette » parce que la privatisation de GDF, puisque c'est bien de cela dont il s'agit avant tout, est devenue une priorité pour le Gouvernement.
Alors que le débat concerne l'avenir d'un secteur vital, les députés ont examiné le projet de loi sans connaître la lettre de griefs de la Commission européenne, au motif que celle-ci contenait des informations commerciales confidentielles. Nos collègues ont légiféré sans savoir quels actifs seraient cédés par les deux entreprises concernées.
Les remèdes proposés par les deux groupes pour répondre au problème de concurrence commencent tout juste à être rendus publics. On nous demande finalement de signer un chèque en blanc pour les actionnaires, qui décideront in fine des conditions de la fusion.
Par ailleurs, en 2004, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie de l'époque avait pris, au nom du Gouvernement, un engagement et celui-ci est inscrit dans la loi relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières. À cet égard, permettez-moi de mentionner à mon tour l'article 24 de cette loi, qui dispose ceci : « Électricité de France et Gaz de France sont transformés en sociétés dont l'Etat détient plus de 70 % du capital. »
Aujourd'hui, ce principe n'a plus de valeur. En effet, si le projet de loi est adopté, la participation de l'État au capital de GDF, qui est actuellement de 80 %, passera mécaniquement à 34 %. Quelle inconstance !
C'est donc dans ces conditions d'opacité et de total revirement que nous devons nous prononcer sur le projet de fusion.
Sur le fond, votre démarche suscite plusieurs interrogations.
Tout d'abord, est-on certain que la fusion entre Suez et GDF réponde à une logique industrielle ? Si la réponse est oui, cette opération permettra-t-elle de diminuer les tarifs et de préserver l'emploi ?
S'agissant des contours de la politique tarifaire, il n'est pas sûr que les consommateurs s'y retrouvent. Bien au contraire !
Depuis un an, les tarifs de gaz des usagers ont augmenté de 23 %. Comme nous le savons, dans le domaine énergétique, le seul jeu de la concurrence entre les grands groupes ne suffit pas à faire baisser les prix.
En effet, l'énergie est fournie au travers d'un réseau. Les choix en matière de production, de transport et de distribution sont donc également déterminants pour le calcul des tarifs.
Ensuite, avant l'arrivée sur le marché de nouveaux entrants, GDF et Suez se retrouveront en situation de monopole et auront donc une totale liberté pour imposer leurs tarifs.
Certes, les usagers pourront choisir entre les tarifs régulés et les tarifs libres. Mais, comme il est difficile d'anticiper l'évolution du marché, un tel choix n'est pas toujours aisé, surtout si les contrats à long terme sont remis en cause.
Comme nous le savons, les entreprises qui ont choisi le marché libre à partir de 2004 sont actuellement confrontées à une flambée des prix : la différence entre le prix réglementé et le prix libre est de 66 %.
Aujourd'hui, la création d'un tarif de retour illustre bien la difficulté de libéraliser totalement le secteur de l'énergie.
Un autre volet ne semble pas faire partie de vos préoccupations : quelles sont les garanties en termes d'emploi ? Les syndicats s'inquiètent légitimement des 20 000 suppressions de postes qui pourraient être la conséquence des cessions d'actifs demandées par Bruxelles. Monsieur le ministre, vous savez qu'un rapport sur ce sujet est en circulation. Nous avons besoin d'être éclairés sur ce point, car l'emploi est bien évidemment une question primordiale pour nous et, je l'espère, pour vous aussi.
Cette fusion représente aussi un risque pour EDF, qui va se retrouver face à un concurrent puissant. Complémentaires depuis 1946, EDF et GDF entreront en concurrence alors que ces entreprises sont toutes deux investies de missions de service public.
Monsieur le ministre, il faut bien le dire, la tentative d'OPA de l'italien Enel vous a donné un bon prétexte pour privatiser GDF. Vous dissimulez cette volonté en invoquant la sécurité de l'approvisionnement. Pourtant, rien dans ce projet de loi ne garantit cet objectif : hier, le danger c'était Enel, demain, ce pourra être Gazprom, qui rêve d'intégrer la production et la distribution de gaz en Europe.
M. Yves Coquelle. Absolument !
M. Jean-Michel Baylet. Pour balayer cette crainte d'OPA du géant russe, vous nous dites que l'État dispose aujourd'hui d'une minorité de blocage protégeant GDF d'une OPA. Mais, puisque vous êtes capable de faire passer la participation de l'État de plus de 70 % à un tiers, après avoir pourtant prétendu la graver dans le marbre, qu'en sera-il demain ? Vous savez qu'en dessous de ce seuil d'un tiers, il n'y a plus de minorité de blocage.
En définitive, votre projet de fusion ne présente que des risques dont les usagers feront les frais. Seuls les actionnaires de Suez seront les grands gagnants puisque le texte répond davantage à une logique financière qu'à une logique industrielle.
Mme Marie-France Beaufils. Tout à fait !
M. Jean-Michel Baylet. Une fusion entre GDF et Suez, c'est 4 % de marché en plus pour la France ; il n'y a donc pas de quoi bousculer le rapport de force avec les autres exploitants !
Il y a toujours eu un débat idéologique entre partisans des privatisations et partisans des nationalisations. Les radicaux de gauche ne sont pas hostiles par principe aux privatisations.
M. Robert Bret. Ils le sont moins qu'en 1946 !
M. Jean-Michel Baylet. Et nous savons que nos engagements européens nous obligent à ouvrir le capital des entreprises publiques. Pour autant, certains secteurs hautement stratégiques doivent demeurer sous contrôle de l'État. L'énergie est devenue indispensable dans nos sociétés. L'État doit donc conserver des responsabilités pour piloter la sécurité de l'approvisionnement et assurer un égal accès des consommateurs à l'énergie.
La maîtrise de la politique énergétique passe par la création d'un grand pôle public en France et non par le démantèlement de GDF. Parce que les fournisseurs sont constitués en gros monopoles, il est avant tout urgent de mener une réflexion à l'échelle européenne, sans oublier que la libre circulation de l'énergie obéit à des lois techniques et économiques spécifiques, peu compatibles avec une régulation par la seule concurrence.
On se souvient de l'exemple californien ! La libéralisation totale a fait monter les prix de 1 000 % et entraîné de graves dysfonctionnements. Dans ces conditions, brandir les privatisations comme réponse à la problématique de l'énergie est dangereux pour notre pays.
Parce qu'ils ne veulent pas hypothéquer l'avenir énergétique de la France, parce qu'ils ne veulent pas brader le service public et parce qu'ils ne veulent pas cautionner une opération purement financière, les radicaux de gauche voteront contre ce texte. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le bien-fondé des arguments développés par mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen pour s'opposer à ce texte.
Ils ont très justement souligné l'absence d'un bilan sur les conséquences de la libéralisation mais également le contresens industriel, économique, social et financier que représenterait la fusion entre Suez et GDF dont la discussion de ce texte constitue une étape préalable.
Je voudrais, pour ma part, évoquer les fondements de la politique énergétique française et nos propositions.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le programme du Conseil national de la Résistance appelait à « un retour à la nation [...] des sources d'énergie, des richesses du sous-sol [...] ». « La belle France que nous allons faire ! » s'exclamait Marcel Paul, ministre communiste de la production industrielle.
La France s'était alors dotée d'instruments particulièrement efficaces afin de mener une politique énergétique maîtrisée garantissant l'indépendance nationale et l'accès de tous à l'énergie.
Soixante ans plus tard, les politiques mises en oeuvre par le Gouvernement font le choix de la remise en cause des établissements publics nationaux que sont EDF et GDF. Le contexte est-il si différent ? Ces instruments sont-ils véritablement désuets ?
Au contraire, les enjeux énergétiques s'exacerbent. La fin des énergies fossiles, l'augmentation de la consommation ainsi que le réchauffement climatique doivent pousser les pouvoirs publics à une prise de conscience accrue de ces questions afin de garantir le droit d'accès à l'énergie mais également de promouvoir le développement durable.
Par exemple, la nécessaire diversification du bouquet énergétique ne pourra se faire que si des investissements massifs en faveur de la recherche sont réalisés. Comment veut-on alors que des entreprises privées, dont l'unique objectif est la rentabilité immédiate, investissent les sommes suffisantes pour le développement d'autres énergies, sans incitation forte des pouvoirs publics ?
De plus, s'agissant du domaine particulier de l'énergie nucléaire, nous ne pouvons méconnaître que son acceptabilité repose essentiellement sur la maîtrise publique. Celle-ci est également justifiée par les missions de service public de ces entreprises, notamment en termes de péréquation tarifaire, de sécurité d'approvisionnement et d'aménagement équilibré du territoire.
Nous estimons également que la propriété publique est un élément incontournable de cette maîtrise. C'est pourquoi, prenant le contre-pied de ce texte qui prévoit d'aller un peu plus loin dans la libéralisation et le démantèlement des entreprises, nous proposons la renationalisation des entreprises EDF et GDF.
Dans ce sens, je tiens à rappeler que le droit communautaire, en l'occurrence l'article 295 du traité instituant la Communauté européenne, ne préjuge pas du régime de propriété des entreprises chargées d'un service public.
MM. Guy Fischer et Robert Bret. Il fallait le rappeler !
M. Gérard Le Cam. Lorsque nous évoquons cette possibilité, il nous est toujours répondu par cette simple question : mais qui va payer les treize milliards ?
En posant cette question, les promoteurs de la fusion avec Suez oublient un peu vite que les entreprises concernées ont été financées par les usagers contribuables et qu'aujourd'hui elles sont propriété de la nation. Leur privatisation serait donc une spoliation de la collectivité nationale. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Par ailleurs, les profits records réalisés par ces entreprises leur permettraient, sur le moyen terme, de faire face à cette charge exceptionnelle. Plusieurs possibilités restent donc ouvertes : il nous faut en débattre.
La Bolivie ou le Venezuela ont nationalisé le gaz, pourquoi cela nous serait-il interdit ?
M. Gérard Le Cam. Nous allons même plus loin. En effet, nous estimons que la question qui se pose est celle du renforcement des synergies entre services publics existants. Le service commun existant au niveau de la distribution pourrait être élargi à d'autres secteurs, dans une démarche progressive, concernant notamment les secteurs de la recherche, de la formation et des ressources humaines...
En effet, la séparation d'EDF et de Gaz de France a un coût très lourd. Pourquoi obliger EDF à gaspiller des ressources pour acheter un gazier, au lieu d'investir dans des capacités de production électrique dont nous savons d'ores et déjà qu'elles vont exiger de lourds investissements ? Avoir deux groupes concurrents qui dépensent des milliards pour disposer des mêmes compétences et pour s'affronter sur tous les terrains n'est pas la bonne solution.
Au niveau européen, ce sont mille milliards d'euros qui ont été dépensés dans ces opérations dispendieuses de fusion-acquisition. D'ailleurs, nombre de pays européens sont en train de s'en rendre compte : ils favorisent le rapprochement de leurs acteurs historiques, gaziers et électriciens ; c'est le cas notamment du Portugal, de l'Allemagne et de l'Espagne.
D'autres scénarios étaient envisageables pour Suez, notamment une prise de participation dans son capital par la Caisse des dépôts et consignations et divers acteurs publics.
L'argument qui nous est opposé à l'encontre de cette possibilité de fusion entre GDF et EDF repose sur les contreparties que pourrait exiger Bruxelles. Pourtant, selon des études réalisées par des cabinets indépendants, la Commission européenne serait incompétente. En effet, les chiffres d'affaires de ces entreprises étant réalisés pour plus des deux tiers en France, la Commission n'aurait pas à connaître de cette fusion. Cette interprétation a d'ailleurs été confirmée lors de l'examen du projet d'OPA de Gas Natural sur Endesa.
Cependant, cette solution de rechange de bon sens, s'appuyant sur l'histoire commune des deux entreprises, n'a jamais été sérieusement étudiée. Alors que les contreparties exigées pour la fusion de Suez et Gaz de France apparaissent également très lourdes, cela n'a pas vraiment l'air de poser de problème au Gouvernement. Est-ce cohérent avec la position adoptée sur le rapprochement d'EDF et de GDF ?
Nous estimons que le groupe formé par la fusion d'EDF et de GDF pourrait constituer le coeur d'un pôle public permettant de renforcer la maîtrise publique de ce secteur hautement stratégique pour les intérêts économiques, sociaux et environnementaux de notre pays.
Ce pôle public pourrait regrouper tous les acteurs de la filière énergétique, qu'ils relèvent de la recherche, de la production ou de la distribution de l'énergie, afin de renforcer la complémentarité des énergies. Il s'agit donc d'EDF et de GDF, mais aussi d'AREVA, de la COGEMA, du CEA, de l'ADEME et - pourquoi pas ? - de Total. Ce pôle public aurait, en liaison avec la définition d'orientations politiques par le Parlement, la mission de conduire cette politique.
Parce que l'enjeu de démocratisation est fondamental, ce pôle public pourrait être chapeauté par une Haute autorité, composée d'élus de la nation, de représentants de l'État, des salariés et des usagers. Cette Haute autorité aurait pour mission de veiller au respect de la transparence et du caractère démocratique des décisions.
En effet, nous ne pouvons tolérer la prolifération d'autorités administratives dites indépendantes, mais dont le rôle est uniquement d'organiser le déclin des opérateurs historiques et l'arrivée de nouveaux entrants, comme c'est aujourd'hui le cas avec la CRE. Ces nouvelles autorités entérinent la perte d'influence du pouvoir politique sur le monde économique, et nous estimons que cette dérive est très dangereuse pour la démocratie : les citoyens ne doivent pas être dépossédés de leur souveraineté, surtout lorsqu'il s'agit d'une question aussi fondamentale que l'énergie, bien commun de l'humanité.
La démarche que nous proposons aboutirait à la création d'un véritable service public, émancipé de ces logiques financières, qui aurait donc une pleine capacité à investir dans la recherche, dans la promotion de nouvelles énergies et dans le développement de nouvelles capacités de production, en maintenant un coût d'accès à l'énergie acceptable pour tous les usagers.
Parce que nous sommes résolument pour la construction d'une Europe politique et sociale, nous estimons que la question énergétique doit être traitée à ce niveau. Le livre vert de la Commission européenne rendu public en mars 2006, intitulé Une stratégie européenne pour une énergie sûre, compétitive et durable, va également dans ce sens. Je rappellerai à cette occasion que l'un des premiers traités européens, qui a institué la CECA en 1951, portait sur le charbon et l'acier.
Au regard de la forte dépendance en gaz, une politique européenne de l'énergie permettrait également de renforcer la sécurité d'approvisionnement en développant une logique de coopération, de solidarité et de partage.
Le MEDEF reconnaît pour sa part que « l'ouverture actuelle du marché européen de l'électricité conduit tout le monde dans le mur car elle est fondée sur le court terme et l'absence de coordination au niveau européen ».
Ainsi, nous appelons de nos voeux la création d'une agence européenne de l'énergie, chargée de coordonner les politiques nationales sur la sécurité d'approvisionnement en Europe et de favoriser l'indépendance énergétique. Elle permettrait également la mutualisation des investissements dans la recherche et la prévision des investissements à venir.
Parce que ce projet de loi prend le contre-pied de l'ensemble de ces propositions constructives, nous ne pourrons l'adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. Ce discours avait une tonalité gaulliste !
M. Thierry Repentin. Le ministre va peut-être changer d'avis !
M. le président. La parole est à M. Michel Sergent.
M. Michel Sergent. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, est-il utile de vous dire que, comme mes amis qui se sont exprimés précédemment, je m'insurge contre l'adoption du projet de loi relatif au secteur de l'énergie que nous examinons à partir d'aujourd'hui, à quelques mois d'échéances essentielles et déterminantes pour notre pays.
Oui, je me révolte en tant que citoyen contre le démantèlement de notre grand service public de l'énergie, acquis fondamental de notre histoire et de la République. Ce service public de l'énergie a donné naissance à deux grandes entreprises nationales, à la pointe des technologies, et que le monde nous envie.
Je suis aussi révolté, en tant que parlementaire, de voir le Gouvernement renoncer au contrôle de nos grandes entreprises nationales de l'énergie. Car, si l'énergie est un bien de première nécessité pour nos habitants, c'est aussi un facteur de compétitivité pour nos entreprises et, au-delà, pour la préservation de l'emploi.
Je me révolte enfin en tant que président d'un syndicat départemental d'énergie fort de 894 communes, celui du Pas-de-Calais. Ces communes risquent demain de se trouver dépossédées d'un patrimoine acquis à la Libération et qui avait fait la fierté des gouvernements issus de la Résistance.
Dans mon propos, j'évoquerai l'inquiétude qu'éprouvent les élus de nos collectivités territoriales, ce qui ne devrait pas laisser insensible la Haute Assemblée.
Le réseau de distribution assure la connexion entre le réseau de transport et les consommateurs. Gaz de France n'en est pas propriétaire : il appartient aux collectivités territoriales, qui concèdent son exploitation à GDF, sous un régime de concessions à long terme dont la durée moyenne restante est d'environ vingt ans. Ce réseau, long de 174 540 kilomètres, dessert 8 868 communes, où réside 76 % de la population française.
Comment donc ne pas se poser de questions ni vous en poser, monsieur le ministre ? Quelles seront les conséquences de la privatisation de GDF pour les collectivités locales concédantes ? Quel sort leur sera réservé dans le cadre du regroupement GDF-Suez ?
La maîtrise publique du réseau de distribution est indispensable pour assurer les missions de service public, telles que l'entretien des réseaux, le maintien de la qualité de service, la sécurité. Comment la nouvelle structure répondra-t-elle aux préoccupations des autorités concédantes que sont les collectivités territoriales ? Est-on sûr que les investissements permettant de garantir un niveau correct d'entretien et de renouvellement des réseaux seront maintenus ?
N'oublions pas, à cet égard, les multiples exemples de défaillance des réseaux observés lorsque la préoccupation était plutôt de rémunérer, sur le court terme, des actionnaires, au détriment d'investissements indispensables, sur le long terme, pour assurer la préservation et la modernisation du patrimoine. Est-on certain que ces investissements autorisant l'extension des réseaux, dans une logique, bien sûr, de rentabilité sur le moyen et le long termes, seront réalisés, afin de permettre le développement économique équitable du pays ?
Enfin, Gaz de France privatisé peut-il garder son monopole actuel sur les concessions de distribution publique de gaz ? Sans entrer dans des considérations juridiques qui seront développées demain, j'observerai qu'il semblerait que l'alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946, repris en 1958, ne soit pas respecté. Cet alinéa interdit explicitement tout monopole de fait pour une entreprise privée.
Il est donc fort peu probable que GDF, s'il devait être privatisé, ce qui n'est pas obligatoire pour réaliser la fusion - je lis la presse comme tout le monde et je prends connaissance de lettres ouvertes, adressées au ministre, visant à proposer d'autres montages permettant à l'État de rester majoritaire dans le capital de GDF -, puisse rester titulaire d'un monopole de fait sur les délégations de service public et conserver tous les contrats de concession signés du temps où il était un établissement public, concessionnaire obligé, et ce pour des durées incompatibles avec le plein exercice de la concurrence, au regard aussi bien de la Constitution française que de la Cour de justice européenne.
M. Roland Courteau. Bonne remarque !
M. Michel Sergent. Dès lors, comme Suez, la société issue de la fusion de Gaz de France et de Suez, entreprise privée, sera soumise aux règles de mise en concurrence des concessions, aucune entreprise privée en France ne pouvant en effet se prévaloir d'un monopole de fait sur des actifs appartenant à des collectivités territoriales.
M. Jacques Siffre. Tout à fait !
M. Thierry Repentin. C'est vrai !
M. Michel Sergent. Cette mise en concurrence des concessions de distribution publique de gaz aura pour conséquence immédiate la disparition du distributeur mixte EDF-GDF Distribution, la coopération de deux acteurs en concurrence directe pour les concessions de distribution, EDF et Gaz de France-Suez, étant incompatible avec les règles de concurrence.
Ce distributeur mixte est pourtant au coeur du service public de distribution de proximité, auquel élus locaux et citoyens sont attachés et qui n'a jamais failli à sa mission depuis soixante ans, la récente tempête de décembre 1999 l'ayant parfaitement rappelé. C'est aussi ce distributeur mixte qui rend possibles les synergies permettant d'offrir un service public de proximité compétitif et de qualité.
Avez-vous mesuré le gâchis financier que représente la solution que vous préconisez, monsieur le ministre ?
M. Thierry Repentin. Sans doute pas !
M. Michel Sergent. Avez-vous évalué, au plus près du terrain, les coûts engendrés par un tel démantèlement d'une organisation ayant fait la preuve de son efficacité opérationnelle depuis des dizaines d'années ?
Avez-vous calculé le prix qu'il va falloir payer pour séparer, sur les plans humain, informatique, technique, des structures parfaitement imbriquées, qui trouvaient leur pleine efficacité par leur synergie ?
À l'inverse, croyez-vous que la fusion permettra une telle synergie des personnels de GDF et de Suez, entreprises radicalement différentes sur les plans de la culture et de l'histoire ?
La mise en concurrence des concessions aura également pour conséquence directe d'accroître les inégalités entre les coûts de distribution supportés par nos concitoyens.
Une autre conséquence sera l'approfondissement du fossé séparant les territoires, notamment les territoires urbains des territoires ruraux. C'est la notion même d'aménagement concerté du territoire national qui est affectée, l'existence et la qualité des infrastructures des réseaux d'énergie étant un élément prépondérant de l'attractivité des territoires.
On peut enfin s'interroger sur l'avenir des contrats de délégation de service public consentis à Suez par les collectivités locales. En effet, l'absorption de Suez par Gaz de France constituera une modification majeure de l'actionnariat du délégataire Suez, et pourrait entraîner la remise en concurrence de certains contrats, les collectivités locales étant fondées à contester le « transfert » de contrats en cours à un nouveau délégataire, dont l'actionnariat aura été sensiblement modifié.
Cette remise en concurrence pourrait entraîner une perte de ressources pour le nouveau groupe GDF-Suez. Hier, GDF semblait s'inquiéter de la perte de certains actifs électriques en Belgique ; aujourd'hui, il pourrait s'interroger sur la perte potentielle de contrats de services en France.
Une dernière remarque, qui fera demain l'objet de plus amples développements, concernera les distributeurs non nationalisés, lesquels feront également, en toute logique, les frais de la privatisation de GDF. Cela a été souligné tout à l'heure par le rapporteur pour avis de la commission des finances, M. Marini.
Tels sont, mes chers collègues, les risques encourus par les collectivités territoriales et leurs citoyens. Nous prenons date. Les préoccupations des élus sont bien réelles, mais il nous appartient, ou plutôt il vous appartient, chers collègues de l'UMP, de bien mesurer dès aujourd'hui toutes les conséquences qu'entraînera la mise en oeuvre du projet qui nous est soumis et d'en évaluer tous les risques à l'heure des comptes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Xavier Pintat.
M. Xavier Pintat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'énergie cristallise par nature toutes les tensions, toutes les oppositions. Nous en avons eu une éclatante démonstration lors de trois semaines de débats passionnés devant l'Assemblée nationale.
On peut dire en effet que, dans l'énergie, toutes les caractéristiques s'opposent constamment entre elles, qu'il s'agisse du court terme et du long terme, de la sécurité d'approvisionnement et de l'efficacité énergétique, des réseaux interconnectés et des énergies décentralisées, et, bien sûr, des modèles économiques eux-mêmes.
Les conditions d'accès à la ressource gaz, dont il est question aujourd'hui, ne peuvent échapper à cette dialectique. Pour autant, je me garderai de céder à facilité des oppositions, et ce pour deux raisons.
Tout d'abord, ce projet de loi s'inscrit dans un cadre juridique, construit patiemment, par étapes, dont l'objet a toujours été de garantir une ouverture maîtrisée du marché. Ce travail, auquel a participé de manière déterminante notre rapporteur, Ladislas Poniatowski, ne peut être passé sous silence.
Ensuite, pour avoir étudié plusieurs marchés énergétiques étrangers, je puis affirmer qu'il est fallacieux de faire croire à l'existence d'un modèle optimal d'organisation pour résoudre des questions aussi essentielles que celles qui sont relatives à la volatilité des prix ou aux besoins de capacité. Le dire me semble être un préalable nécessaire à un débat serein sur ce texte.
Que nous est-il demandé aujourd'hui ?
En premier lieu, il s'agit d'achever la transposition en droit interne des règles communautaires présidant à l'ouverture des marchés européens. Ce volet porte sur l'application de directives européennes de 2003 sur l'électricité et le gaz, qui imposent la séparation juridique des gestionnaires de réseaux de distribution et la possibilité, pour tout consommateur qui le souhaite, de faire appel au fournisseur de son choix à partir du 1er juillet 2007.
En second lieu, il s'agit de nous prononcer sur un projet industriel, visant à rendre possible la fusion de Gaz de France et de Suez.
Ces deux sujets appellent de ma part quelques observations.
En ce qui concerne l'ouverture du marché en 2007, la teneur du texte adopté en première lecture par l'Assemblée nationale témoigne d'une volonté largement partagée de prévoir des garde-fous, afin d'éviter d'exposer brutalement le consommateur à des risques de marchés d'autant plus élevés que les marchés concernés, ceux de l'électricité et du gaz, sont encore loin de remplir les conditions de bonne concurrence requises pour que le consommateur soit gagnant.
Ces garde-fous relèvent de plusieurs niveaux de mise en oeuvre, mais l'un des plus pertinents, parce que directement opérationnel, est le niveau local.
L'Assemblée nationale a ainsi prévu que, lorsque le consommateur bénéficie du tarif réglementé de vente d'électricité, le fournisseur exécute sa mission dans le cadre du service public local, organisé par l'autorité concédante de la distribution d'électricité.
En d'autres termes, il y a là la volonté de préserver la possibilité pour le consommateur, qui en fait le choix en toute connaissance de cause, de continuer à bénéficier tout à la fois d'un tarif de service public et de la protection offerte par le contrôle qu'exerce la collectivité concédante sur la façon dont l'opérateur de service public s'acquitte de sa mission.
De même, en ce qui concerne les réseaux de distribution de gaz, le texte qui nous est soumis confirme, dans sa rédaction actuelle, que les communes ou leurs groupements sont propriétaires des ouvrages, à l'instar de ce qui avait déjà été prévu en 2004 pour les lignes de distribution d'électricité.
Le Sénat doit, à son tour, concourir à la mise en place de ces dispositifs de sécurité et de protection, dont il est essentiel de comprendre qu'ils sont la condition sine qua non, sur les plans politique, économique et social, du respect de l'obligation juridique d'ouverture des marchés énergétiques imposée par les directives de 2003.
Seule une approche raisonnable et équilibrée de ce dossier, faisant une place à la fois aux missions d'intérêt général et à la concurrence, nous mettra à l'abri de déconvenues, voire de situations de crise telles qu'ont pu en connaître certains États nord-américains, auxquelles nous exposerait une vision réductrice de nos systèmes énergétiques.
Dans cette perspective, je soutiendrai, au cours de nos débats, quelques propositions d'amendement visant à préserver des fondamentaux, tels que la solidarité territoriale, qui fait, je crois, l'objet d'un consensus parmi nous, et la sécurisation juridique des tarifs administrés, conformément aux orientations ouvertes par nos collègues députés.
En ce qui concerne tout d'abord la solidarité territoriale en matière de desserte électrique, je crois qu'il s'agit là typiquement d'un sujet pour lequel une vision raisonnable et équilibrée est de mise.
En effet, il est crucial de préserver la possibilité, pour nos collectivités territoriales, de contrôler la façon dont le gestionnaire de réseau s'acquitte sur leur territoire de ses obligations de service public, c'est-à-dire, principalement, de l'exploitation, de la maintenance et du développement du réseau.
Il ne faut pas oublier que la qualité physique de l'électricité - la continuité d'alimentation, la tenue de tension - dépend de la façon dont elle est acheminée.
Sur ce point, le contrôle de proximité de la collectivité territoriale est le meilleur gage de l'adaptation du service public aux besoins des citoyens-consommateurs et des entreprises.
Il faut également veiller à préserver une caractéristique essentielle de notre système électrique depuis plus d'un demi-siècle, à savoir l'égalité de traitement, l'égal accès au réseau de distribution de l'ensemble des usagers, qu'ils soient installés sur des territoires urbains ou sur des territoires ruraux, c'est-à-dire dans des zones riches ou dans des zones pauvres.
Cela suppose la mise en oeuvre de certains mécanismes de solidarité territoriale, dont la coopération intercommunale doit être le premier maillon.
Il serait vain, en effet, d'attendre de l'État qu'il prenne en charge cette solidarité si les acteurs locaux, premiers concernés, ne donnaient pas l'exemple de leur capacité à lui donner un contenu concret.
Au moment où nous assistons à l'émergence d'un nouvel ordre électrique et gazier, qui s'accompagne inévitablement de questions et de doutes, il revient au législateur de donner un signe clair de son intention d'encourager plus que jamais, en matière de distribution publique d'électricité, la coopération intercommunale de grande dimension, de niveau départemental. Celle-ci constitue la meilleure synthèse entre la nécessité, pour le service public de la distribution, de préserver une forte proximité avec le consommateur, et l'exigence de cohésion sociale et territoriale, donc de péréquation.
Dans cette perspective, je vous proposerai un amendement tendant à inciter les communes qui n'auraient pas encore franchi ce cap décisif de la coopération électrique à s'y préparer, dans le strict respect, bien entendu, du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales et des libertés locales.
J'aurai également l'occasion de plaider en faveur de la sécurisation nécessaire du cadre juridique dans lequel seront proposés les tarifs réglementés de vente de gaz.
Si un travail important a été effectué par l'Assemblée nationale en ce qui concerne la réglementation des tarifs de vente d'électricité, il reste à décliner ce principe dans le domaine gazier. Dès lors que le choix du maintien de ces tarifs réglementés pour le gaz est confirmé - sur ce point, un large consensus semble acquis -, la cohérence juridique, tout comme l'intérêt du consommateur désireux de continuer à en bénéficier imposent de maintenir cette activité de fourniture de gaz au tarif réglementé dans le champ du contrôle, par la collectivité locale organisatrice du service public, de la bonne exécution des missions de service public qui lui sont associées.
Il ne serait pas souhaitable, du point de vue de la décentralisation des compétences énergétiques et de la défense du consommateur, de profiter de la transposition des directives de 2003 pour remettre en cause les bienfaits d'un siècle de compétences locales.
Bien entendu, je veillerai, en vous proposant un amendement sur ce point, à ce qu'il respecte scrupuleusement les obligations juridiques que nous impose ce travail de transposition en ce qui concerne l'objectif d'ouverture du marché gazier à la concurrence.
Enfin, si l'objectif de fusion de Gaz de France et de Suez relève des choix de la politique industrielle de l'État, les collectivités locales organisatrices de la distribution publique de gaz, mais aussi de l'eau potable, dont je souhaite relayer les préoccupations, se doivent, pour ce qui les concerne, de rester attentives à ce que l'évolution de ces grands opérateurs ne remette pas en cause les engagements qu'ils ont souscrits au titre de la gestion des services publics locaux qui leur ont été confiés.
Il nous faut rester fidèle à l'ambition affichée pour la France de garantir le bon fonctionnement des marchés et la coexistence harmonieuse du service public et de la concurrence.
Sur ce plan, la précision apportée par nos collègues sur la propriété des réseaux de distribution publique de gaz, par les collectivités et leurs groupements, est essentielle.
Une telle disposition n'est pas seulement de nature à protéger les intérêts des consommateurs eux-mêmes grâce à l'ancrage local de ce service public ; elle garantit aussi la neutralité du système français d'acheminement gazier par rapport aux intérêts commerciaux des acteurs du marché, conformément aux objectifs visés par les autorités de Bruxelles.
Elle concourt donc à la sécurisation juridique de l'ensemble de l'édifice que nous devons aujourd'hui construire ensemble. Stabiliser et consolider nos systèmes énergétiques est en effet une préoccupation plus que jamais partagée par l'ensemble des acteurs économiques.
C'est pourquoi je tiens à saluer votre écoute, monsieur le ministre. En privilégiant le débat depuis le début, vous avez donné au Parlement les moyens d'aborder de manière équilibrée l'ensemble des enjeux énergétiques de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le ministre, vos positions nous font peur, tant elles sont graves de conséquences pour le citoyen français. Je regrette, pour ma part, que l'urgence ait été déclarée sur ce projet de loi, et je salue la performance de notre rapporteur, M Poniatowski, qui, en une nuit, a réussi à rédiger un rapport consistant.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Je m'y étais pris un peu à l'avance ! (Sourires.)
M. Jean-Marc Pastor. En revanche, je dois avouer que, pour les autres, le délai était un peu juste.
Depuis le début de l'année 2006, nous assistons à une médiocre pièce de théâtre avec l'affaire Enel-Suez, devenue aujourd'hui Suez-GDF, au travers d'un texte sur la privatisation.
Pour ma part, je ne peux me résoudre à ce que le Parlement joue aujourd'hui les forces supplétives. J'ai en effet pu constater que votre camp, monsieur le ministre, n'a pas été unanime dans son vote. Certains pensent peut-être de temps en temps au peuple ... ou aux bulletins de vote !
Les conséquences de l'adoption de ce texte seraient lourdes, en raison non seulement de l'absence d'une politique énergétique digne de ce nom, mais aussi de la vente par l'État d'une entreprise stratégique.
En effet, l'énergie n'est pas un produit commercial comme les autres. L'électricité et le gaz sont des ressources nécessaires pour vivre. Dès lors, l'amenuisement de l'effort de l'État dans ce domaine affaiblirait singulièrement un pilier fondateur de la République d'après-guerre.
D'ailleurs, le ministre de l'intérieur, ministre d'État de ce Gouvernement, en est tout à fait conscient, lui qui affirmait en 2004 qu'il n'y aurait pas de privatisation de GDF et d'EDF et que la parole de l'État le garantissait. Il ajoutait que ces établissements sont au service du public et que leur caractère est déterminant pour les intérêts de la France et la sécurisation de nos approvisionnements. Que dit-il aujourd'hui ?
M. Thierry Repentin. C'est un menteur !
M. Jean-Marc Pastor. Cette parole s'est vite envolée dans les circonstances que l'on connaît : un arrangement financier négocié entre les dirigeants de Suez et de GDF.
Par ailleurs, la promotion que vous faites, monsieur le ministre, d'une entité de grande taille issue de la fusion Suez-GDF ne paraît pas pertinente, eu égard au faible gain escompté, voire au degré minime d'intégration industrielle attendu entre ces deux entreprises, qui ont chacune des réseaux et des stratégies propres. Du reste, la fusion impliquerait des cessions d'actifs, compte tenu des griefs de la Commission européenne envers le projet de fusion.
Le projet industriel n'est donc pas des plus excellents, d'autant que le vrai problème est la maîtrise de la ressource. Or c'est une illusion de croire que Suez apporte quelque chose dans ce domaine. En réalité, la fusion ne fera que perturber EDF, qui aura ainsi un concurrent direct doté du fichier de clientèle de GDF...
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean-Marc Pastor. ... lui permettant de pénétrer enfin le marché de l'électricité français.
Quant aux marges de manoeuvre que conserverait l'État à la fin du processus, l'exemple d'Arcelor et de Mittal montre qu'une OPA est toujours possible.
Ce ne serait évidemment pas une participation de 34 % de l'État dans le nouvel ensemble qui pourrait le protéger, ni même l'« action spécifique » dont le Gouvernement nous vante le mérite mais qui ne laisserait pas l'État en prise avec les options stratégiques de l'entreprise. En outre, nous n'ignorons pas - vous non plus d'ailleurs - l'hostilité de la Commission européenne vis-à-vis de ce type de dispositifs.
Dès lors, que risque-t-on si l'on ne vote pas la privatisation aujourd'hui ? D'obtenir des précisions de la Commission et de l'assemblée générale des actionnaires sur les conditions d'une telle fusion ? Et alors ? Tant mieux !
Je rappelle que ce monopole public naturel est facteur de solidarité entre les territoires. GDF a réalisé des réseaux dans des endroits où la rentabilité était faible. Cela s'appelle de l'aménagement du territoire.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Marc Pastor. Quel serait le sens de cette privatisation pour les collectivités, pour les maires, déjà désemparés face au désengagement de l'État dans le processus de l'acte II de la décentralisation ? En effet, les communes sont toujours propriétaires des réseaux de distribution. Croyez-vous que ces élus imaginent un seul instant qu'avoir pour concessionnaire une entreprise monopolistique privée représenterait un progrès ? Mais peut-être est-ce cela la « rupture » dont on nous rebat en ce moment les oreilles ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
De manière connexe, je m'interroge sur les modalités d'une telle opération : dans la mesure où le concessionnaire changerait de statut, les concessions ne devraient-elles pas faire l'objet d'un appel à concurrence ?
Assurer la sécurité de nos approvisionnements requiert une grande vigilance de la part des pouvoirs publics, car l'indépendance énergétique de la France demeure un but. Faute d'énergie de remplacement, comment cet objectif pourrait-il être atteint si, en outre, l'État abandonnait le contrôle de l'ensemble des infrastructures que sont les terminaux méthaniers, les lieux de stockage, les kilomètres d'infrastructures de réseaux de transport et de distribution ?
Le contexte international et la pression des producteurs extra-communautaires tels que Gazprom renforcent au contraire l'impression de dépendance, alors que nous avons l'opportunité de bâtir un pôle de l'énergie performant avec EDF-GDF, dans le cadre d'une politique européenne volontaire de l'énergie. Qu'en pense la Commission européenne ? C'est une question que le Gouvernement peut lui poser.
M. Roland Courteau. Bien sûr !
M. Jean-Marc Pastor. Dès lors, il ne faut pas priver EDF et GDF de la seule possibilité, à court terme, de proposer une offre complémentaire d'électricité et de gaz. C'est ce que ferait précisément le groupe privé, pénalisant ainsi EDF auprès de ses usagers.
Si patriotisme économique il doit y avoir, c'est à l'échelle de l'Europe qu'il doit s'exercer. C'est à cet échelon qu'une directive-cadre relative aux services d'intérêt général devrait être portée avec vigueur et force de conviction.
L'Europe énergétique ne peut se réduire à un marché, car il n'est pas possible de laisser à la Cour de justice des Communautés européennes le soin de juger, au cas par cas, de la légitimité des États membres pour organiser, financer ou déléguer des services publics.
Monsieur le ministre, c'est à Bruxelles que nous voudrions vous voir défendre une politique européenne de l'énergie fondée sur le service public. C'est sur ce thème que nous devrions débattre ensemble aujourd'hui, plutôt que, indirectement, sur l'intérêt de Suez à fusionner avec GDF, une fois cette dernière privatisée, intérêt qui, à mon sens, ne correspond pas à l'intérêt de nos concitoyens.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Thierry Repentin. Bravo !
M. Jean-Marc Pastor. Nous n'avons pas oublié l'intervention des pouvoirs publics pour tempérer les propositions d'augmentation des prix de GDF. Qu'en sera-il demain, dans cette folle privatisation où l'appât du gain commande ? Comment bâtirez-vous une véritable politique d'énergie renouvelable sans un levier public fort ?
Monsieur le ministre, malgré le maintien des tarifs réglementés et le droit au retour, comment pourrez-vous maintenir des prix administrés, puisque la distinction entre clients éligibles et clients non éligibles est appelée à disparaître ? Lorsque ce sera le cas, un nouveau groupe constitué avec GDF privatisé serait libre de fixer ses tarifs et de faire fi de toute politique nationale.
M. Roland Courteau. Bien sûr !
M. Jean-Marc Pastor. Les consommateurs seraient alors pleinement trompés, pénalisés. Monsieur le ministre, pour éviter qu'ils n'aient plus aucun recours, il faut rétablir la confiance. Or cela ne passe assurément pas par l'adoption d'un texte tel que celui que vous nous présentez, qui fragilise notre pays. C'est pourquoi nous ne pourrons pas le voter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2005, la consommation européenne de gaz a représenté 19 % de la demande mondiale. À l'horizon de vingt à vingt-cinq ans, les besoins mondiaux en gaz vont doubler.
Dans le même temps, la diminution de la production de gaz naturel dans l'Union européenne, avec l'extinction progressive des gisements en mer du Nord, accroît notre dépendance. Les ressources de la France en gaz naturel couvrent seulement 2 % de la consommation nationale et vont disparaître d'ici à 2013.
L'environnement actuel est marqué par des tensions géopolitiques, telle celle qui a été déclenchée, fin 2005, entre la Russie et l'Ukraine, lors de la renégociation des contrats de long terme de fourniture de gaz naturel.
Dans ces conditions, renforcer la sécurité d'approvisionnement de notre pays et permettre à nos concitoyens de disposer de gaz au meilleur tarif possible, en permettant la création du premier gazier européen, constitue l'objectif prioritaire.
Tel est le sens de ce projet de loi, qui s'inscrit pleinement dans le cadre de la politique énergétique mise en oeuvre par le Gouvernement depuis 2002.
L'ouverture à la concurrence des marchés de l'électricité et du gaz a été engagée - il faut le redire - sous le gouvernement de Lionel Jospin, par le vote de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.
La poursuite de ce processus a été confirmée au Conseil européen de Barcelone des 15 et 16 mars 2002, au cours duquel le Premier ministre d'alors a déclaré : « Nous avons accepté d'entrer dans le processus d'une libéralisation maîtrisée et progressive ».
On se situe bien, aujourd'hui, dans la continuité du processus engagé.
Dès lors, la transposition des directives européennes sur le gaz et l'électricité est encadrée afin de répondre aux attentes des consommateurs.
Une tarification du gaz pour les plus démunis est mise en place, suivant le dispositif initié pour l'électricité par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin en 2004. Le maintien de « tarifs réglementés de vente » est inscrit dans le projet de loi.
Des dispositions concernant les entreprises ayant exercé leur éligibilité et confrontées à la flambée des prix de l'électricité ont été adoptées par l'Assemblée nationale : il s'agit du tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché. Le bénéfice de ce tarif sera ouvert, pendant une période de deux ans, à tous les clients qui en feront la demande par écrit avant le 1er juillet 2007. La tarification transitoire ne pourra excéder 30 % du tarif réglementé de vente.
À cet égard, j'approuve sans réserve la proposition du rapporteur de la commission des affaires économiques, M. Poniatowski, de supprimer le caractère renouvelable du dispositif. Il y substitue la présentation, avant le 31 décembre 2008, d'un rapport au Parlement analysant les effets de ce mécanisme et envisageant, si nécessaire, sa prolongation.
Il importe, pour le moins, d'agir avec pragmatisme en la matière, le dispositif mis en oeuvre constituant déjà un progrès substantiel de nature à répondre aux préoccupations des entreprises.
Le Gouvernement a d'ailleurs pris un certain nombre de mesures afin de maîtriser l'augmentation du prix de l'électricité et du gaz.
L'ouverture du marché ne remet pas en cause le cadre tarifaire existant. Tous les consommateurs qui le souhaitent pourront continuer à bénéficier des tarifs réglementés pour l'électricité et pour le gaz après le 1er juillet 2007.
Les dispositions relatives à la séparation des réseaux de transport et à l'indépendance de gestion des réseaux de distribution étant inscrites dans la loi du 9 août 2004, la séparation juridique des gestionnaires des réseaux de distribution d'électricité et de gaz figure désormais à l'article 6 du projet de loi. Sa mise en oeuvre est fixée au plus tard au 1er juillet 2007.
Elle concerne EDF, GDF ainsi que les distributeurs non nationalisés qui desservent plus de 100 000 clients à travers la France. Il s'agit, notamment, d'Électricité de Strasbourg, d'Usine d'électricité de Metz, de Sorégies dans la Vienne, du service de distribution des Deux-Sèvres, etc.
Le service commun à EDF et Gaz de France est maintenu et ses missions, inscrites dans la loi de 1946, sont inchangées.
Enfin, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, se pose tout naturellement la question de l'adaptation du statut de Gaz de France. Je dis « naturellement », car cette évolution du statut de GDF s'inscrit dans la continuité des décisions qui ont été prises par des gouvernements plus anciens.
Dans son rapport remis au Premier ministre, le 27 octobre 1999, concernant la transposition de la directive européenne sur le « marché intérieur du gaz », notre collègue Nicole Bricq (Exclamations sur les travées socialistes.) indique : « L'ouverture à la concurrence du transport et de la fourniture de gaz naturel permettra aux entreprises françaises consommatrices de gaz de bénéficier de meilleures conditions d'achat, ce qui constitue un atout essentiel à leur compétitivité ».
Elle s'y montrait très défavorable à un rapprochement entre EDG et Gaz de France et poursuivait : « Il serait incohérent et à terme dangereux d'ouvrir à la concurrence le marché du gaz en France, sans donner à GDF la possibilité de se développer avec les mêmes atouts et les mêmes moyens que ses concurrents en Europe. »
Ces propos, mes chers collègues, justifient la voie aujourd'hui empruntée d'un abaissement de la part minimale détenue par l'État dans le capital de GDF et du refus d'une opération aventureuse avec EDF.
À n'en pas douter, tout gouvernement quel qu'il soit serait parvenu à la même conclusion.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Oui !
M. Roland Courteau. Oh non !
M. Alain Fouché. Aujourd'hui, la priorité consiste à permettre à GDF de nouer les partenariats nécessaires à son développement, à assurer la sécurité de nos approvisionnements, à garantir un prix du gaz naturel compétitif. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Thierry Repentin. C'est dit sans conviction !
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous partageons le même objectif : sécuriser les approvisionnements de notre pays et développer un projet industriel cohérent pour assurer l'avenir énergétique des générations futures.
Si notre objectif est commun, nous divergeons à la fois sur le diagnostic et sur les moyens d'atteindre ce but.
Encore une fois, vous voulez démanteler un service public, au nom d'un libéralisme dogmatique et incohérent.
Le présent projet de loi, qui vise à la privatisation de GDF, reflète parfaitement cette volonté. Alors que rien ne le justifie, vous demandez au Parlement d'accepter de céder l'un de nos fleurons industriels à des intérêts privés, au détriment évident des consommateurs, des salariés et de l'État lui-même.
Décidément, l'idée même qu'une entreprise puisse être publique semble vous poser problème.
Mme Bariza Khiari. Pourtant, qui mieux que l'État peut donner des garanties au consommateur, préserver l'égalité des chances, offrir à tous l'accès aux services publics ? En bref, qui mieux que l'État peut se soucier de l'intérêt général ?
M. Thierry Repentin. Personne !
Mme Bariza Khiari. Vous demandez soudain à l'État d'abdiquer son rôle, alors même qu'il l'avait rempli correctement. GDF est une belle entreprise, bien gérée. Dès lors, au nom de quoi ce retrait de l'État ? Au nom du marché !
La privatisation, objet du texte que nous examinons, et la fusion prochaine reviennent tout simplement à substituer un monopole privé à un monopole public. GDF, au moins pour ses activités de réseau, est un monopole naturel. Or la théorie économique, même libérale, a établi depuis longtemps que ces monopoles pouvaient être gérés par l'État. Alors que l'État gère ce service public dans le souci de l'intérêt général, vous voulez soumettre le secteur du gaz aux impératifs de profit et de rentabilité à court terme.
M. Thierry Repentin. Bravo !
Mme Bariza Khiari. Pour justifier votre projet, vous vous réclamez du patriotisme économique. C'est peut-être là l'élément le plus risible de l'argumentaire.
M. Roland Courteau. C'est vrai !
Mme Bariza Khiari. Votre patriotisme ne convainc personne ! De quel patriotisme parlons-nous ? S'agit-il du patriotisme des marchés, des fonds de pension, des hedge funds, ou bien du patriotisme véritable, qui commande que GDF reste une entreprise publique, voire que nous constituions un pôle public ?
La vocation d'un pôle public n'est pas de se comporter en prédateur sur les autres marchés européens, mais d'être le vecteur d'une nouvelle politique européenne de l'énergie, qui passe non pas par la concurrence exacerbée entre les divers opérateurs, mais par la recherche d'une plus grande coordination des capacités de production d'électricité, des contrats d'approvisionnement en gaz, des programmes de recherche, des actions de diversification des sources d'énergie et des efforts de maîtrise de la consommation. À la veille de l'adoption par l'Europe d'un nouveau paquet énergétique, nous devons avoir l'ambition de faire progresser ce projet.
Outre son incohérence économique et juridique, votre texte bafoue la parole de l'État et contribue malheureusement un peu plus à l'affaiblissement du politique dans notre société. Le reniement de la parole de l'État est un acte grave, qui contribue à l'éloignement de nos concitoyens des affaires de la cité. Vous ne pouvez l'ignorer.
De plus, ce texte repose sur une série de contre-vérités : non, la fusion entre GDF et Suez ne renforcera pas GDF ; non, le futur groupe ne sera pas le géant gazier dont la France a besoin.
M. Thierry Repentin. C'est une usine à gaz ! (Sourires.)
Mme Bariza Khiari. Non, cette fusion ne permettra pas de garantir des tarifs régulés et accessibles à tous. En clair, votre projet ne répond pas aux impératifs d'un service public universel.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Thierry Repentin. Bravo !
Mme Bariza Khiari. Le groupe issu de la fusion de GDF et de Suez ne sera pas le colosse que vous promettez et dont la France a effectivement besoin.
M. Roland Courteau. C'est vrai !
Mme Bariza Khiari. En revanche, ce groupe aura des pieds d'argile. Cette fusion ne renforcera en rien GDF, puisqu'elle ne lui apporte aucun avantage en termes d'amont gazier. Votre projet néglige également la primauté du jeu des États dans la fixation des prix de l'énergie
Surtout, le futur groupe GDF-Suez ne pourra pas, à terme, échapper aux risques du marché. Vous ne pouvez sérieusement nous garantir aujourd'hui l'avenir de ce groupe. Ce sera un groupe privé, banalisé, semblable aux autres, tout aussi attaquable et vulnérable.
M. Yves Coquelle. Absolument !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Thierry Repentin. Excellente intervention !
Mme Bariza Khiari. De toute évidence, le poids de l'État dans le futur groupe sera progressivement amené à diminuer. Une entreprise doit se développer. Avec quels fonds l'État pourra-t-il financer ce développement et éviter ainsi la dilution du capital de l'entreprise ?
Vous nous dites, monsieur le ministre, que le poids de l'État dans le futur groupe sera garanti par un mécanisme d'actions spécifiques. Cet argument n'a rien de convaincant. Nous n'avons aucune assurance que les exigences de la Commission et les évolutions de la législation communautaire permettront effectivement de préserver ce dispositif de protection.
Ces actions sont censées - cela a été dit - conférer à l'État le droit de s'opposer à la cession d'actifs stratégiques essentiels à la sécurité de l'approvisionnement et de distribution de GDF. Mais qu'en est-il des prises de participation - amicales ou non - dans le futur groupe ? Rien, bien sûr, n'empêchera demain un producteur de gaz de « s'offrir » un distributeur comme GDF-Suez.
M. Roland Courteau. Bien sûr !
Mme Bariza Khiari. Un producteur tel que Gazprom disposerait de la trésorerie nécessaire pour prendre des participations massives dans GDF-Suez.
M. Thierry Repentin. Tout à fait !
Mme Bariza Khiari. Le jeu des capitaux flottants réduirait alors mécaniquement la place de l'État et permettrait une gestion opérationnelle du groupe hors du cadre que vous souhaitez.
Pour vous justifier, vous prétendez que la privatisation de GDF est nécessaire pour se conformer aux exigences communautaires. Là encore, vous induisez les Français en erreur. Par dogmatisme, vous refusez de mettre en oeuvre les mécanismes qu'offrent les conclusions du Conseil européen de Barcelone.
Avant de vous lancer dans ce projet de privatisation plus qu'incertain, vous auriez dû faire preuve de la volonté politique nécessaire pour exiger de la Commission qu'elle élabore la directive-cadre sur l'énergie et l'étude d'impact sur les effets de l'ouverture du marché qui avaient été prévus à Barcelone.
Plus grave, votre projet de loi s'inscrit dans un contexte d'instabilité des normes communautaires relatives à l'énergie. Nous ne connaissons rien des cessions d'actifs qu'exigera la Commission pour autoriser la future fusion, puisque la décision définitive de la Commission sera rendue après le vote du Parlement.
M. Roland Courteau. C'est sûr !
Mme Bariza Khiari. De l'aveu même du président de GDF, des cessions trop importantes remettraient en cause le projet même d'une fusion. Plus encore, je le répète, un nouveau « paquet énergie » est prévu pour janvier.
Comment pouvez-vous nous demander de voter un projet de loi, alors même que l'environnement juridique risque d'être bouleversé à très court terme ?
S'agissant des tarifs du gaz, vous prétendez qu'ils continueront de répondre aux exigences du service public. À cet égard, un peu d'arithmétique s'impose. Le taux de retour sur investissements de GDF est aujourd'hui de 8 % à 10 %. En toute logique, les actionnaires privés exigeront une rentabilité d'au moins 12 % à 15 %, et c'est vraiment un minimum.
M. Roland Courteau. Voilà !
Mme Bariza Khiari. Comment espérez-vous que le futur groupe atteigne cet objectif sans augmentation significative des tarifs ? C'est impossible !
M. Jean Desessard. Évidemment !
Mme Bariza Khiari. La réalisation de ces marges ne pourra se faire que par une hausse des tarifs du gaz que devront subir des consommateurs déjà inquiets de la baisse de leur pouvoir d'achat.
M. Roland Courteau. C'est clair !
Mme Bariza Khiari. En outre, les objectifs financiers des actionnaires privés se traduiront par des économies très substantielles sur la masse salariale, sur les investissements en infrastructures, sur la sécurité du réseau, ou encore sur les efforts de recherche et développement.
La privatisation de GDF est un enjeu politique majeur, monsieur le ministre, que vous traitez, me semble-t-il, dans une grande précipitation. Pourtant, 94 % des salariés de l'entreprise y sont opposés ; les associations de consommateurs y sont très majoritairement hostiles ; au sein même de votre majorité, beaucoup sont embarrassés. Les impératifs de la démocratie et le courage politique vous commandent, plutôt que de l'obtenir au forceps, de consulter les Français, soit en attendant les prochaines échéances électorales,...
M. Jean Desessard. Ils vont les perdre !
Mme Bariza Khiari. ... soit en organisant rapidement un référendum sur la question, comme vous y autorise l'article 11 de la Constitution.
M. Yves Coquelle. Bonne idée !
M. Thierry Repentin. Ils ont trop peur pour le faire !
Mme Bariza Khiari. Tel est d'ailleurs l'objet de la motion que présentera demain l'opposition rassemblée.
En fin de compte, monsieur le ministre, vous demandez au Parlement de voter les yeux fermés, à tout le moins en méconnaissance de cause, un projet de loi qui modifiera en profondeur le secteur français de l'énergie et qui aura des répercussions sur les générations futures.
Le secteur de l'énergie est et doit demeurer dans le giron du service public. Dans un contexte de flambée des prix des matières premières, de réchauffement climatique, de tensions géopolitiques, il est plus que jamais stratégique ainsi que l'ont souligné même nos collègues de la majorité. Quoi que vous en pensiez, monsieur le ministre, le rôle et le contrôle de l'État sont essentiels dans ce secteur, et nous refusons de les sacrifier à des cartels privés dont nous serons dépendants dans un avenir très proche.
Notre éminent collègue M. Philippe Marini s'est exprimé, mais, malgré l'apparente rigueur de sa démonstration à propos de l'article 10, qui porte sur le capital de GDF et son contrôle par l'État, il ne nous a pas convaincus : en faisant jouer à GDF le rôle de chevalier blanc au profit de Suez et au futur groupe celui de cheval de Troie à l'égard d'EDF, vous ne faites qu'organiser, monsieur le ministre, un détournement caractérisé de la propriété publique.
M. Gérard Le Cam. Eh oui !
Mme Bariza Khiari. Devant cette situation, ses valeurs commandent au groupe socialiste de s'opposer énergiquement à ce projet de loi. Je ne fais malheureusement que rappeler des arguments qui ont déjà été développés ; mais vous savez bien, monsieur le ministre, que la pédagogie passe aussi par la répétition, et j'ose espérer que certains de ces arguments finiront par être entendus. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Michel Sergent. Très bien !
M. le président. La parole est à M. René Beaumont.
M. René Beaumont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le report de ce grand débat parlementaire du début de l'été à l'automne a été particulièrement judicieux.
En effet, l'information sur ce sujet complexe, d'envergure mondiale et d'intérêt économique évident s'est beaucoup enrichie ces dernières semaines. Cela a été rendu possible par les efforts du Gouvernement, par ceux de certains parlementaires - parmi lesquels vous me permettrez de citer, bien que ce ne soit pas courant dans cette enceinte, M. Patrick Ollier, qui préside à l'Assemblée nationale la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire -, ainsi bien sûr que par les efforts des différents partenaires concernés, au premier rang desquels, naturellement, figurent Gaz de France et Suez et leurs personnels.
La didactique a été d'ailleurs sérieusement facilitée par un événement de portée européenne, voire mondiale : la signature par Gazprom et la Sonatrach, le 4 août dernier à Moscou, d'un accord portant sur la possibilité d'échanger des actifs et des savoir-faire dans le domaine de l'exploitation et de la production de gaz, de créer des coentreprises, de participer ensemble à des développements gaziers internationaux, y compris dans le domaine du gaz naturel liquéfié, enfin, d'optimiser leurs offres de gaz sur le marché international, c'est-à-dire, traduit en termes clairs, de s'entendre sur les tarifs !
Après le formidable coup de semonce qu'a donné au début de 2006 l'interruption par la Russie des livraisons de gaz à l'Ukraine, cet accord entre les deux premiers fournisseurs gaziers actuels de l'Europe démontre bien la nécessité pour notre continent de diversifier ses approvisionnements et de s'organiser en pôles d'achats les plus importants possible.
Cet accord met également en lumière les fortes inquiétudes que soulève la sécurité des approvisionnements en provenance de la Russie et, naturellement, rend impérieuse la diversification de nos sources. Dans un tel contexte, la fusion entre Gaz de France et Suez semble plus urgente que jamais.
À ce propos, balayons très rapidement l'argument, plus syndicaliste qu'européen ou réellement économique, de l'hypothétique fusion EDF-GDF : elle conduirait à une concentration telle qu'elle serait immédiatement rejetée et invalidée par l'Europe. La preuve en est la jurisprudence récente concernant les électriciens et gaziers portugais, bien plus petits qu'EDF et GDF, dont la tentative de rapprochement a été immédiatement condamnée par Bruxelles. Par ailleurs, une telle association, séduisante de prime abord, conforterait sans doute des comités d'entreprise déjà très prospères, mais n'augmenterait nullement les capacités gazières de Gaz de France, EDF n'étant pas actuellement distributeur de gaz.
De plus, ceux qui croient toujours que cette fusion, accompagnée du maintien de l'État à un niveau élevé dans le capital des entités gazière et électrique françaises, serait l'imparable bouclier permettant de verrouiller les tarifs applicables tant aux particuliers qu'aux industriels se trompent lourdement et ne peuvent apparaître comme des observateurs perspicaces et impartiaux de notre économie énergétique. Aujourd'hui, en effet, l'État détient toujours 70 % du capital d'EDF,...
M. Daniel Reiner. Et même 80 % !
M. René Beaumont. ... ce qui n'a nullement empêché récemment les importantes hausses des tarifs industriels dérégulés, et même des tarifs régulés. C'est donc bien que le rôle de l'État est insignifiant en la matière.
M. Daniel Reiner. Sans l'État, les hausses auraient été pires !
M. René Beaumont. À ce stade de nos réflexions, il nous faut admettre que l'on ne peut aujourd'hui parler d'énergie sans avoir en tête le réchauffement climatique de la planète. Nous entrons donc, et pour longtemps, dans une phase de consommation énergétique croissante, et désormais, du fait du développement rapide de la climatisation domestique, même en été.
De plus, le cours mondial de l'énergie demeure très directement lié aux aléas du marché pétrolier, et ce pour longtemps encore puisque 37 % de la consommation énergétique mondiale continue de provenir de l'or noir. Or ce dernier est passé de 10 dollars le baril en 1998 à 75 dollars au début de ce printemps, pour se stabiliser entre 50 et 60 dollars actuellement, soit beaucoup plus que le cours conventionnel de 28 à 30 dollars qui prévalait dans les accords avec l'OPEP depuis 1999.
Désormais, toute tentative de blocage tarifaire de l'énergie en France devrait être maniée avec une extrême prudence, car une telle démarche masque la réalité des cours du marché mondial et, surtout, n'encourage nullement les consommateurs, quels qu'ils soient, aux indispensables économies d'énergie ; or, si l'État ambitionne d'être efficace sur ce marché, il serait plus judicieux qu'il s'emploie à favoriser celles-ci plutôt qu'à bloquer les prix. Au risque de me répéter, je soulignerai que, si nous devons aujourd'hui envoyer un signal fort à nos concitoyens, c'est celui de l'impérieuse nécessité de diminuer notre consommation d'énergie.
De nos jours, le prix du marché s'ajuste systématiquement sur le prix des sources énergétiques les plus polluantes : pétrole, charbon, et même lignite en Allemagne. En effet, de façon surprenante et même paradoxale, les cours français sont très liés aux cours allemands. Or ceux-ci sont nécessairement élevés puisque nos amis d'Outre-Rhin, pour des raisons bien connues, ont choisi voilà vingt ans le refus systématique du nucléaire.
Ainsi, alors qu'elle a eu dans les années soixante-dix des dirigeants particulièrement clairvoyants qui, malgré quelques récriminations politiques, ont fait le choix courageux du nucléaire, la France, du fait de cette vassalisation de son marché au marché allemand, se trouve aujourd'hui moins avantagée qu'elle ne devrait l'être.
M. Gérard Longuet. C'est vrai !
M. René Beaumont. Il nous faudra donc introduire rapidement d'autres critères de négociation et d'élaboration des marchés qui prennent mieux en compte les préoccupations environnementales, notamment l'émission de CO2, pour aboutir à une régulation européenne véritablement transparente, évitant qu'ainsi la France demeure pénalisée pour avoir trop tôt, par son énergie d'origine nucléaire, mieux défendu son environnement et son indépendance énergétique.
En matière de régulation, commençons donc par ce qui est en notre pouvoir, c'est-à-dire par la rénovation des critères de notre propre Commission de régulation de l'énergie, la fameuse CRE ; l'inscription à l'ordre du jour du Parlement de la proposition de loi de notre collègue M. Philippe Marini me semble, dans cette perspective, devoir s'imposer.
Toutes ces considérations ne tendent qu'à démontrer l'extrême complexité du problème et à nous conduire, nous parlementaires, à une très grande humilité face à ce marché de l'énergie.
Les rares certitudes établies sont la faiblesse de Gaz de France comme acheteur mondial de gaz et l'urgente nécessité, avant que d'autres ne nous devancent, de lui adjoindre un partenaire qui ne peut plus être EDF. Suez apparaît dès lors comme le candidat objectivement le plus plausible, et la fusion des deux entreprises conduira à la naissance de l'un des leaders mondiaux du gaz naturel liquéfié, capable de négocier avec les plus grands pourvoyeurs, mais aussi, et surtout, de développer des recherches d'approvisionnements nouveaux au Qatar, au Yémen, en Libye, ou encore en off-shore dans les différents océans du monde.
Ainsi, la France aura deux grands groupes énergétiques, EDF et Suez-GDF, à la fois concurrents, certes, mais aussi, remarquons-le, très complémentaires dans les sources d'énergie. C'est donc bien là l'assurance de la meilleure diversité possible, d'une qualité de service compétitive et de prix concurrentiels.
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous ne vous contentez pas dans le projet de loi d'assurer l'avenir de l'approvisionnement gazier de la France. Avec la complicité de nos collègues députés, vous avez en effet décidé de corriger les errements du marché électrique d'une entreprise qui, je le répète, est pourtant toujours contrôlée à 70 % par l'État.
Pour ce faire, vous avez accepté des amendements, très longuement discutés et pesés, portant sur ce qu'il est convenu d'appeler le « tarif de retour ». Cette ouverture tout à fait salutaire pour nos entreprises permettra à celles qui avaient choisi le tarif dérégulé, très avantageux au début, mais aujourd'hui nettement supérieur au tarif régulé, de pouvoir revenir à un tarif encadré. Ce dispositif paraît actuellement tout à fait nécessaire pour que ne soit plus altérée la compétitivité d'entreprises grosses consommatrices qui avaient opté pour le tarif libre et qui se trouvaient pénalisées face à leurs concurrentes étrangères, particulièrement à leurs concurrentes allemandes, auxquelles EDF vent l'électricité moins cher qu'aux entreprises françaises. Une fois encore, face à de tels dérapages tarifaires, l'humilité s'impose.
Néanmoins, toutes ces dispositions sont nécessairement transitoires, et c'est bien là ma principale inquiétude : transitoires, mais jusqu'à quand ?
Aujourd'hui, en effet, le tarif transitoire, fixé à 38 euros le mégawattheure, ne permet nullement à EDF de réaliser les investissements nécessaires à la modernisation et au renouvellement de son parc nucléaire.
Simplement pour parer au plus pressé et assurer dans les six ans à venir le financement des 3,3 milliards d'euros indispensables pour la construction de l'EPR, le « European Pressurized Reactor », il faudrait un tarif minimum de 46 euros le mégawattheure. De toute façon, l'EPR ne produira que 1 600 des 5 000 millions de mégawattheures qui nous seront très prochainement nécessaires. La différence, on peut le constater, est grande !
Compte tenu de ces besoins incompressibles, on mesure facilement les effets néfastes que pourrait avoir le tarif « transitoire » s'il devait devenir un véritable blocage des prix, lesquels seraient indexés sur la seule inflation. Ce serait faire prendre à la France un retard coupable dans le renouvellement de ses moyens de production et la rendre de nouveau dépendante pour son électricité ; ce serait aussi faire fi de nos engagements envers la première entreprise mondiale d'aménagement de centrales nucléaires de troisième génération, j'ai nommé AREVA. Ce faisant, je n'oublie pas que le département de Saône-et-Loire est au coeur du pôle nucléaire bourguignon ; je suis donc bien placé pour savoir l'influence sur l'emploi que pourraient avoir de telles décisions.
M. Henri Revol. Très bien !
M. Gérard Longuet. C'est vrai !
M. René Beaumont. En effet, on voit mal comment cette entreprise pourrait continuer à vendre facilement dans le monde des outils de haute technologie qu'elle ne pourrait pas produire sur notre territoire, faute de financements.
Enfin, nous retombons sur notre affirmation primordiale selon laquelle il faut apprendre au consommateur français à payer l'énergie un peu plus cher, tout blocage de tarif prolongé, même pour des motifs économiques, se révélant très rapidement suicidaire.
Acceptons donc de payer l'énergie un peu plus cher, mais demeurons rigoureusement fidèles aux engagements que nous avons pris dans le cadre du protocole de Kyoto sur l'émission des gaz à effets de serre et économisons au passage les taxes sur les émissions de CO2.
Notre énergie future sera ainsi en corrélation avec nos convictions environnementales et demeurera compétitive vis-à-vis de tous ceux qui, dans le monde, continuent à faire brûler du charbon, voire, pire, du lignite !
Enfin, monsieur le ministre, permettez-moi cette incidente en revenant sur un amendement que j'avais déjà déposé lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2006 : je veux parler de la taxation des transports d'énergie par canalisations souterraines.
En effet, habitant le sillon rhodanien, axe le plus fréquenté d'Europe par tous les modes de transport, y compris les canalisations souterraines, je me dois d'attirer votre attention sur une distorsion fiscale particulièrement injuste.
Je ne sous-estime pas l'intérêt sécuritaire d'un tel mode de transport. Néanmoins, les graves événements survenus à l'usine AZF à Toulouse en 2001 et à Ghislenghien dans le sud de la Belgique en 2004, nous ont appris que ces transports présentaient un danger certain pour les riverains et de fortes contraintes au niveau du droit des sols pour les collectivités concernées.
Par ailleurs, je remercie le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie d'avoir bien voulu organiser sur ce sujet au printemps, avec le ministre délégué au budget, M. Jean-François Copé, deux réunions qui ont abouti à un arrêté interministériel qui précise parfaitement les responsabilités et l'organisation de la constructibilité au droit de ces ouvrages.
Votre extrême réactivité est à souligner, et je tiens personnellement à vous en féliciter.
Toutefois, j'ai cru percevoir lors de ces rencontres une hostilité marquée du ministère de l'économie et des finances au principe de la taxation de ce mode de transport, le seul bizarrement dans notre pays à être exempt de toute taxe alors qu'il induit contraintes, nuisances et risques pour les populations concernées.
Je n'ai pas souhaité alourdir le présent projet de loi par un amendement, mais je ne manquerai pas d'y revenir lors de la discussion du prochain projet de loi de finances.
Je serais toutefois particulièrement heureux d'avoir dès maintenant le sentiment de M. le ministre de l'économie et des finances sur l'éventuelle taxation de ce mode de transport d'énergie qui dédommagerait justement les communes et leurs groupements de l'ensemble des nuisances liées à ces canalisations souterraines. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de son intervention, M. Retailleau nous a proposé de baisser d'un degré le chauffage du Sénat pour réaliser des économies d'énergie. (Sourires.)
Je vous suggère d'être plus ambitieux et de prendre dès aujourd'hui des mesures visant à faire baisser d'un degré les prévisions inquiétantes du réchauffement climatique pour les prochaines années.
M. Jean-Paul Émorine, président de la commission des affaires économiques. Tout à fait !
M. Jean Desessard. Justement, pour les Verts, débattre d'un projet de loi sur l'énergie, c'est d'abord débattre des économies d'énergie qu'il faut réaliser pour éviter les émissions de gaz à effet de serre et tenir compte de la raréfaction de l'énergie fossile. C'est débattre du développement des filières des énergies renouvelables - éolien, solaire, géothermie, biomasse - par des incitations fiscales, des écotaxes, des aides à la recherche. C'est débattre de la promotion auprès des entreprises, des administrations, des particuliers, d'autres modes de production, de circulation, de consommation.
M. le ministre de l'économie et des finances, de façon hautaine, en regardant les travées de l'opposition cet après-midi, a ironisé sur le fait que certains se croient encore au XXe siècle alors que nous sommes au XXIe siècle.
M. Roland Courteau. Il n'est pas là ce soir !
M. Jean Desessard. Il faisait sans doute allusion aux passéistes, partisans du maintien des services publics, face aux modernistes, dont vous faites partie, qui sont les partisans de la privatisation.
Mais qui se trompe de siècle ? Qui ne perçoit pas les enjeux du XXIe siècle ? Ces enjeux ne sont-ils pas environnementaux, démographiques, sociaux ? M. le ministre l'a d'ailleurs signalé rapidement dans son intervention. Il a cité la réalité de l'épuisement des énergies fossiles et l'instabilité des zones de production, au demeurant peu nombreuses.
On pourrait s'attendre, face à cette raréfaction, à cette instabilité de la production, au pouvoir démesuré des producteurs, à une attitude de sagesse par la diminution de la consommation d'énergie et la diversification des filières des énergies renouvelables.
Or, rien de tel ne figure dans le texte ! M. le ministre de l'économie a prononcé cette phrase que j'ai mis du temps à comprendre et à interpréter : « Quand on n'a pas de gaz, quand on n'a pas de pétrole, il ne faut pas rester immobile. »
M. Henri Revol. Comme vos idées !
M. Jean Desessard. Première hypothèse : conseille-t-on aux concitoyens en panne de gaz et d'électricité de faire le tour du pâté de maisons pour se réchauffer ? Ou alors, seconde hypothèse, doit-on faire référence à l'activisme frénétique du ministre de l'intérieur qui, faute de solution durable, nous propose des lois toutes les six semaines, fait le tour des villes françaises en lançant des opérations coup-de-poing médiatiques, des phrases chocs, en faisant preuve d'une agitation incessante au risque de disqualifier les jeunes, les banlieues, la justice ? Et j'attends la suite : l'automate est remonté, il va certainement nous en remontrer dans les semaines à venir !
Je ne peux croire que, pour le Gouvernement, agir c'est favoriser la privatisation de GDF, sa fusion avec Suez. Ce n'est pas agir, c'est laisser faire, c'est brader le service public.
A l'heure des restrictions, de la nécessité de conclure des contrats avec les pays producteurs, l'État se défausse et confie la situation de crise au privé, aux capitaux, aux actionnaires.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean Desessard. Les bras m'en tombent ! C'est une nouvelle définition du capitalisme, de l'économie de marché.
Maintenant - c'est nouveau ! - les actionnaires, les capitalistes, les fonds de pension n'auraient plus comme objectif la recherche du profit ou le retour sur investissement, mais ils auraient pour fonction de maintenir le coût de l'énergie en France en dessous du prix de marché, d'assurer la distribution équitable auprès de chaque consommateur, de conserver les avantages sociaux des salariés de l'entreprise et, enfin, de conclure avec les pays producteurs de bons contrats qui soient stables et respectés.
Quelles missions ! Vraiment, je doute de l'esprit philanthropique des actionnaires pour réaliser un tel programme qui, pour moi, ne peut relever que d'un service public national ou européen.
Qu'à cela ne tienne ! Partons de l'hypothèse fictive qu'il y ait des patrons, des actionnaires désintéressés, prêts à assumer ces missions et analysons la crédibilité de vos propositions.
Vous dites que la fusion EDF-Suez va créer un géant capable de négocier des contrats très intéressants avec les producteurs de par la force de son pouvoir d'achat.
Monsieur le ministre, j'aurais pu vous parler d'un géant aux pieds d'argile, mais cela aurait été encore trop beau, trop loin de la réalité, puisque dans ce secteur toute entreprise a des pieds d'argile. En fait, j'ai le sentiment que vous allez créer un ogre énergitivore, à la démarche lourde et maladroite, soumis à des spasmes respiratoires à répétition.
Ogre énergitivore, car pour rentabiliser les investissements, il faudra produire et consommer toujours plus - j'y insiste - alors que la solution d'avenir du XXIe siècle, la solution réaliste réside dans la diminution, la restriction, la diversification.
Démarche lourde et maladroite, car ce géant sera empêtré dans les engagements vis-à-vis de l'État français, devra respecter des tarifs imposés mais sans y être vraiment obligé, sera soumis à la concurrence des autres entreprises de l'énergie qui, elles, plus souples, n'auront pas à assurer des quarts ou des dixièmes de missions de service public.
Soumis à des spasmes respiratoires chroniques, car soumis aux aléas politiques des pays producteurs, aux diktats économiques des compagnies productrices, vulnérables aux OPA des géants du secteur.
Cet après-midi, M. le ministre de l'économie nous a expliqué que l'État gardait le contrôle de ce gros pantin avec une participation de 34 %, et d'un ton professoral et quelque peu hautain, il nous a précisé qu'il était à notre disposition pour nous expliquer le droit des sociétés.
Heureusement que le ministre de l'économie n'est pas ministre de l'éducation, car il faudrait constamment réactualiser les manuels scolaires relatifs au droit des sociétés !
Avec la même assurance, on nous a déclaré qu'il fallait une participation de 70 % pour garder le contrôle de l'énergie. Puis, lors de l'examen de la loi de privatisation d'Aéroports de Paris, on nous a expliqué, en faisant preuve de la même certitude, qu'avec 51 % de participation l'État contrôlerait parfaitement la situation. Aujourd'hui, on en est à 34 %. Cela devient grotesque !
Certains sénateurs UMP signalent qu'il aurait pu y avoir d'autres solutions, mais que, compte tenu des directives européennes, nous sommes obligés d'en passer par là. Comme si les directives européennes étaient une opération du Saint-Esprit, une réalité intangible ! Mais elles sont mises en place, validées, entérinées par les gouvernements européens, y compris par le gouvernement français.
Cette ouverture à la concurrence du marché de l'énergie a été acceptée par la classe politique et le Gouvernement. Elle a été voulue par le patronat et les lobbys.
Certes, le peuple français, en particulier le peuple de gauche, a refusé, lors du référendum sur le traité constitutionnel, cette politique du libéralisme économique. Mais on continue, sans tenir compte du vote des citoyens !
Pourtant l'Europe, dans un contexte de crise, de raréfaction de l'énergie, de lutte contre le réchauffement climatique, a un rôle à jouer.
Tout d'abord, elle pourrait étendre les services publics nationaux qui ont fait leurs preuves à l'ensemble des pays et des citoyens européens.
Ensuite, elle pourrait jouer un rôle majeur dans la recherche d'énergies renouvelables, pour engager un plan alternatif.
L'Europe a également un rôle à jouer pour réguler le marché de l'économie, pour assurer des rapports durables avec les pays producteurs.
Enfin, l'Europe doit garantir l'indépendance énergétique de ses pays membres, mais elle doit également veiller à un équilibre mondial dans la répartition des ressources.
Notre planète est fragile ; or nous sommes au XXIe siècle, c'est-à-dire le siècle des coopérations entre les pays, de la solidarité internationale.
Monsieur le ministre, vous l'aurez compris, les sénatrices et le sénateur Verts, comme les sénatrices et les sénateurs socialistes, CRC et radicaux de gauche, ne voteront pas votre projet de loi. Ce texte ne contient aucune mesure sérieuse de maîtrise de l'énergie. Sous couvert de directives européennes, est organisé le bradage aux capitaux privés d'une entreprise qui fonctionne, qui est rentable, qui assure des services de qualité. Cela va aboutir à la création d'un monstre énergitivore, impossible à contrôler, sans réel pouvoir d'action sur les producteurs. Cet ensemble ne pourra assurer les missions que ce projet de loi veut ou feint de vouloir lui confier.
Ce projet de loi traduit l'abandon, en période de crise, de la responsabilité du politique. Vous voulez confier aux capitaux privés, dont le souci est la recherche du profit, la gestion de la crise de l'énergie au niveau français, voire européen. Nul doute que, dans quelques années, les réalités du monde, environnementales et géopolitiques, ne nous obligent de façon dramatique à prendre en urgence, en catastrophe, les mesures que nous pourrions arrêter aujourd'hui sereinement.
Non, monsieur le ministre, ce texte n'est pas l'expression d'une politique de l'énergie crédible et fiable, c'est la traduction du laisser-faire, de l'abandon du politique. C'est donc avec énergie que nous nous opposerons à ce projet de loi tout au long de ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat que nous avons aujourd'hui sur l'avenir de Gaz de France constitue un moment important.
Le Gouvernement nous soumet un texte dont l'article 10 autorise l'État à céder un certain nombre de ses actions et à ne plus être majoritaire dans le capital de Gaz de France.
Il s'agit d'un acte courageux, monsieur le ministre, je tiens à le souligner à l'heure où certains choisissent le camp de la facilité et vous reprochent d'engager cette opération qui ouvre pourtant l'avenir pour notre gazier national.
Si vous ne péchez pas par action, d'autres, avant vous, ont péché par omission ! Je veux ici évoquer le parcours douloureux d'un autre champion national que vous-même et M. Thierry Breton connaissez bien : je veux parler de France Télécom.
En ma qualité de président du groupe d'études « Poste et télécommunications », je ne peux m'empêcher de penser que la privatisation de France Télécom est intervenue bien tard (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.), ce qui nous a tous coûté fort cher. Il faut aujourd'hui en tirer les leçons, même si cela en fait sourire certains.
Rappelons-nous, mes chers collègues : 1999, une autre majorité gouverne notre pays, France Télécom est sous le choc de la défection de Deutsche Telekom à laquelle elle était liée par une participation croisée de capital à hauteur de 2%. Le groupe est obligé de revoir sa stratégie pour relever le défi concurrentiel programmé par les directives européennes. Il se lance dans une politique de croissance externe hors des frontières, au moment où le « délire UMTS », pour reprendre l'expression de notre ancien collègue Gérard Larcher, aujourd'hui ministre, faisait flamber les cours des sociétés de télécommunications et où les acquisitions s'effectuaient au prix fort, pour ne pas dire plus.
Au printemps 2000, l'acquisition d'Orange, opérateur mobile britannique, devient une priorité stratégique pour France Télécom qui vise ainsi à constituer un pôle regroupant l'ensemble de ses activités mobiles en Europe. Le financement assez complexe de l'opération, d'un montant total de 35 milliards d'euros, s'est effectué en plusieurs volets.
Dans un premier temps, en août 2000, France Télécom a apporté à Vodafone 21 milliards d'euros en numéraire et près de 130 millions d'actions France Télécom en échange de titres Orange, équivalant, au cours de l'époque, à 18 milliards d'euros.
Cet apport d'actions était assorti d'une option de reprise à un cours défini. Compte tenu de la baisse de l'action France Télécom en dessous de ce cours garanti, ces actions ont dû être ultérieurement rachetées par France Télécom, pour un montant approchant 12 milliards d'euros.
Ainsi cette acquisition, qui aurait dû s'effectuer à 60 % en numéraire et 40 % en actions, a été payée « cash » à 100 % par France Télécom.
Finalement, sur les exercices 1999, 2000 et 2001 - il faut avoir un peu de mémoire - France Télécom aura dû lever 60 milliards d'euros pour acquérir Orange, NTL, Equant, Global One et TPSA.
M. Bernard Piras. Et d'où vient son approvisionnement ?
M. Pierre Hérisson. Rien qu'en 2000, le niveau d'endettement de France Télécom a connu une croissance de 46 milliards d'euros. Voilà véritablement ce que l'on appelle de la bonne gestion !
M. Bernard Piras. Cette comparaison n'a aucun sens ; c'est honteux !
M. Pierre Hérisson. On connaît la suite, monsieur Piras : à la fin de 2002, une dette record, proche de 70 milliards d'euros, conduit l'entreprise au bord de la faillite, avec 50 milliards d'euros à rembourser d'ici à la fin 2005. Je ne parlerai pas du plan de sauvetage qui a été mis en oeuvre par M. Breton lorsqu'il a été nommé à la tête du groupe, en octobre 2002, mais je tenais en cet instant à rappeler ces quelques faits.
On ne peut certes que se féliciter du succès de ce plan, mais il aura fallu passer par une augmentation du capital de France Télécom de 15 milliards d'euros, auquel l'État a souscrit au prorata de sa participation dans le capital, c'est-à-dire à hauteur de 9 milliards d'euros environ, ce qui n'est pas négligeable !
Que se serait-il passé si l'achat d'Orange avait été financé avec plus d'actions de France Télécom et moins de liquidités ? Que se serait-il passé si le Gouvernement de M. Jospin n'avait pas considéré comme infranchissable pour l'État le seuil de 50 % du capital de France Télécom. Je ne veux pas ici réécrire l'histoire ; je veux simplement souligner que le verrouillage du capital par l'État a pu constituer un obstacle à des négociations plus ouvertes avec Vodafone et à des accords moins périlleux pour France Télécom.
Cela ne doit pas être oublié ; il était me semble-t-il nécessaire de rafraîchir les mémoires sur la mauvaise gestion de l'opérateur historique France Télécom,...
M. Bernard Piras. Vous êtes hors sujet !
M. Pierre Hérisson. ...gestion dirigée par le ministre de l'industrie de l'époque, M. Christian Pierret.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. C'est bien de le rappeler.
M. Pierre Hérisson. Voilà quelques jours, devant la commission des affaires économiques, M. le ministre a évoqué ce parallélisme et les difficultés dans lesquelles il ne fallait pas retomber.
Il est aujourd'hui de notre responsabilité de permettre à Gaz de France d'aller de l'avant et de procéder aux alliances stratégiques qui lui semblent opportunes sans recourir à l'endettement. C'est ainsi que la pérennité du service public sera assurée. Comme le prouve l'exemple de France Télécom, le service public est mieux garanti par une réglementation rigoureuse que par le statut de l'entreprise.
Ce texte ouvre des possibilités...
M. Jacques Siffre. Terribles !
M. Pierre Hérisson. ...qui sont autant de chances pour Gaz de France. À elle de les saisir et de les mettre au service de son projet d'entreprise. À nous de donner à Gaz de France la liberté d'écrire son avenir, ce que je vous invite à faire, mes chers collègues, en votant ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean Desessard. C'était un peu téléphoné ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que l'article 1er de la loi de programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique dispose que « la politique énergétique repose sur un service public de l'énergie [et que] sa conduite nécessite le maintien et le développement d'entreprises publiques nationales et locales dans le secteur énergétique », nous entamons aujourd'hui l'examen d'un texte dont l'objectif réel est la privatisation d'un opérateur historique dont l'activité se situe dans un champ absolument stratégique.
Il s'agit moins de s'attarder sur les renoncements du Gouvernement que de souligner le manque criant de cohérence de la politique qui est la sienne dans un domaine pourtant essentiel : l'énergie.
En matière d'approvisionnement en gaz, la France est aujourd'hui largement dépendante. Ainsi, les importations de gaz en provenance de l'ex-URSS représentent plus de 20 % du total des importations françaises.
Dès lors, comment comprendre la démarche du gouvernement français dans un marché international en pleine évolution et en l'absence de politique européenne de l'énergie ?
Force est de constater la dérégulation complète du marché énergétique mondial. Dans ce schéma, l'énergie devient une « arme économique ». Nous avons pu prendre toute la mesure de cet état de fait lorsque, le 2 janvier 2006, la société Gazprom a décidé de suspendre ses livraisons de gaz à l'Ukraine. Cette décision s'est traduite en Europe par une baisse de l'approvisionnement de l'ordre de 20 %.
La prise de conscience de l'insécurité des approvisionnements en énergie a conduit un certain nombre de pays à mettre en place des politiques volontaristes afin de contrer les effets pervers de cette dérégulation. À l'inverse, le gouvernement français décide de l'accentuer encore en privatisant l'opérateur historique. Les nombreuses conséquences de cette décision ont été ou seront évoquées par les intervenants du groupe socialiste au cours des débats.
Je développerai mon propos autour de deux idées : d'une part, ce projet de loi ôte des atouts stratégiques à la France et, d'autre part, il existe une alternative à ce projet, à savoir la constitution d'un pôle public de l'énergie s'inscrivant dans une politique européenne de l'énergie.
J'aborderai tout d'abord la perte d'atouts stratégiques, qui me paraît être l'un des risques majeurs de ce texte.
Selon le Gouvernement, le groupe issu du rapprochement de Suez et de GDF atteindrait une taille lui permettant de jouer un rôle important sur le plan mondial. Or, même si la nouvelle entité devient le premier acheteur et fournisseur de gaz naturel en Europe, avec environ un cinquième du marché, elle risque bien de ne pas pouvoir lutter longtemps à armes égales avec des groupes tels que Gazprom ou Sonatrach, qui viennent d'ailleurs de se rapprocher, et qui fournissent à eux seuls un tiers du gaz naturel consommé par l'Union.
En outre, la fusion envisagée ne mettrait pas le nouveau groupe à l'abri d'une prise de contrôle par un concurrent. Je ne développe pas davantage, si ce n'est pour rappeler que, comme cela a été souligné ici même par Roland Courteau et démontré lors du débat à l'Assemblée nationale, cette entité fusionnée, GDF-Suez, resterait entièrement opéable.
Quant à l'action spécifique prévue également à l'article 10, le fait qu'elle ait été, semble-t-il, acceptée par la Commission le 8 septembre dernier ne constitue pas une garantie absolue.
Comment ne pas rappeler que ce dispositif ne prémunit pas contre une éventuelle action devant la Cour de justice des Communautés européennes, dont la jurisprudence, cela vient d'être confirmé par un arrêt récent, est de considérer que les actions spécifiques sont contraires aux règles relatives à la libre circulation des capitaux ?
Mais les conséquences de cette fusion sont aussi négatives dans les domaines de la sécurité de l'approvisionnement et de l'égal accès à l'énergie.
En diluant sa participation dans le nouveau groupe, l'État perdrait, de fait, le contrôle sur les infrastructures de stockage, de transport et de distribution d'énergie. Comment être sûr, dès lors, que l'approvisionnement de notre pays serait assuré ? En cas de pénurie de gaz, par exemple, qui déciderait du réseau à utiliser et de la desserte à fournir : l'État français ou bien le marché ?
On constate régulièrement que de nombreux clients regrettent d'être « sortis » des tarifs régulés. Loin de les avantager, la concurrence les a lésés. Ces clients professionnels ont vu leur facture augmenter de manière très importante. Dans ce contexte et pour faire passer ce projet de loi, ou pour essayer de le faire passer, à l'Assemblée nationale, la majorité a proposé la mise en place d'un tarif transitoire d'ajustement au marché, tarif sur lequel les membres du groupe socialiste auront l'occasion de s'exprimer lors de l'examen de l'article 3 bis. Mais on sait déjà à peu près qui payera si cet article reste en l'état.
Au Gouvernement qui accompagne la dérégulation en donnant la priorité à l'intérêt actionnarial avant de se préoccuper de l'intérêt général, les membres du groupe socialiste opposent la mise en place d'un véritable pôle public de l'énergie qui trouverait toute sa place dans une politique européenne coordonnée. C'est la proposition alternative qui va faire l'objet du second thème de mon intervention.
L'énergie n'est pas un bien ordinaire. La conséquence en est que l'État doit garder le contrôle sur les opérateurs historiques que sont EDF et GDF, lesquels doivent se rapprocher. Ils ont d'ailleurs développé des synergies fortes dans la distribution. Ce rapprochement pourrait prendre la forme d'une fusion ou encore d'une holding commune.
Je sais que M. Breton et vous-même, monsieur Loos, avez déjà déclaré que cette proposition ne vous semblait pas compatible avec les exigences européennes. Nous n'avons pas la même appréciation dans la mesure où EDF et GDF demeurent encore aujourd'hui fortement spécialisés, l'une dans l'électricité et l'autre dans le gaz.
En fait, si l'on se réfère aux contreparties déjà exigées par la Commission européenne, ne serait-ce pas plutôt la fusion entre GDF et Suez qui ne répond pas aux dispositions communautaires ?
Comme cela a déjà été souligné, la création d'un pôle énergétique public autour d'un noyau dur formé par EDF et GDF permettrait d'associer les autres acteurs de l'énergie, Areva, par exemple, via des prises de participations ou par la simple mise en place de partenariats industriels.
Un tel montage offrirait à la France la possibilité d'assurer sa sécurité d'approvisionnement, mais aussi de diversifier son offre, deux objectifs qui, je le rappelle, font partie des domaines prioritaires énoncés dans le Livre vert publié par la Commission européenne le 8 mars dernier.
Ce pôle public aurait, par ailleurs, la possibilité de nouer des alliances européennes avec d'autres groupes ; pourquoi pas avec Enel ?
L'essentiel est de considérer l'Europe comme un unique marché domestique et de penser la politique énergétique en fonction du critère de l'intérêt général européen.
La mise en oeuvre de stratégies énergétiques par ces pôles ou groupes trouverait sa place dans une politique européenne coordonnée. N'oublions jamais que la construction européenne a débuté par le secteur de l'énergie. L'Europe doit à nouveau investir ce domaine stratégique. D'ailleurs, le Conseil européen de Hampton Court, en 2005, a relancé l'idée de la politique énergétique européenne. C'est bien, en effet, à l'échelle européenne que les États pourront assurer leur sécurité d'approvisionnement et que les groupes nationaux pourront nouer des alliances.
Dans l'attente d'une directive-cadre relative aux services d'intérêt économique général, et qui concernerait donc l'énergie, il convient que les principaux acteurs mettent en place des stratégies concertées, afin d'influer sur le marché mondial.
Le nouveau « paquet énergétique » annoncé par la Commission européenne devrait être l'occasion de relever ce défi. Monsieur le ministre, la France doit se mobiliser pour que cette politique intégrée soit mise en oeuvre, en demandant, notamment, la création d'un régulateur européen.
En conclusion, avec ce texte, ce sont bien deux conceptions opposées de la politique énergétique qui s'affrontent.
Pour certains, l'énergie est un bien stratégique et vital, qui doit faire l'objet d'une réelle politique publique coordonnée et soucieuse du seul intérêt général. C'est notre choix !
Pour d'autres, l'énergie est un bien ordinaire qui peut être soumis aux règles classiques de la concurrence. C'est le choix du Gouvernement, et ce choix, nous ne l'acceptons pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n'aurai pas la cruauté, en cet instant, de reprendre la totalité du débat, d'autant que les interventions de mes collègues de l'UMP ont très largement restitué ce qui est notre conviction commune, à savoir l'opportunité de ce texte et, sans doute aussi, l'opportunité de la réflexion approfondie qui a été conduite tout au long de l'été, alors que l'annonce, en février dernier, de la fusion de Suez et de GDF par M. le Premier ministre avait ouvert un champ d'interrogations qui ne pouvait être épuisé en quelques jours, voire en quelques semaines.
Nous avons donc bien travaillé. Aujourd'hui, ce projet de loi, qui permet de construire, pour GDF, un avenir solide, rassemble la majorité, et même au-delà.
Si je n'ai pas l'ambition de reprendre l'ensemble des points qui ont été évoqués, je tiens cependant, monsieur le ministre, à souligner quelques singularités du marché de l'énergie, qui se distingue du marché des télécommunications, que M. Pierre Hérisson - il l'a évoqué tout à l'heure - et moi-même avons suivi ensemble depuis une vingtaine d'années.
La grande différence, c'est que, en matière d'énergie, il existe, et c'est fort heureux, des volontés politiques de maîtriser la consommation, qui se sont notamment exprimées au niveau international. C'est ainsi que les accords de Kyoto, auxquels la France a souscrit, ont reconnu l'importance de la maîtrise de l'énergie en général.
Voilà pour la demande.
En ce qui concerne l'offre, force est de reconnaître que, contrairement à ce qu'il en est pour les télécommunications, l'énergie est soumise à des contraintes fortes : certaines nous échappent, en particulier lorsqu'il s'agit de l'énergie fossile, tandis que d'autres sont maîtrisées, mais impliquent, par l'intensité capitalistique que la production suppose, des conditions spécifiques d'accès au marché, qui sont parfois dissuasives ou au moins décourageantes. Une telle situation crée naturellement des conditions très particulières lorsqu'on s'efforce de faire régner dans ce marché un climat de concurrence, de compétition et de dérégulation, pour reprendre les termes à la mode.
C'est la raison pour laquelle l'un des dispositifs importants du projet de loi, est, me semble-t-il, la régulation. La puissance publique n'est jamais autant elle-même que lorsque, éclairée par un débat politique et une volonté clairement affirmée, elle se donne les moyens non pas d'être opérateur, ce qui la conduit souvent à être prisonnière des institutions qu'elle prétend diriger, mais d'être régulateur, à partir de convictions politiques fortement exprimées devant l'opinion publique. Après tout, les élections présidentielle et législatives de l'année prochaine permettront, j'en suis persuadé, de placer le thème de l'énergie et de sa maîtrise au coeur du débat.
Pour autant, j'ai ressenti le besoin de soutenir trois séries d'amendements, sur des sujets qui peuvent paraître secondaires, mais qui devraient, à l'occasion de ce débat et, surtout, de l'examen des articles, permettre d'éclairer l'opinion sur la volonté du Gouvernement.
Le premier thème concerne l'avenir de GDF en tant qu'entreprise, dans la perspective de ce qui est annoncé, en tout cas de ce qui a été annoncé par M. le Premier ministre lui-même il y a près de sept mois, à savoir la fusion avec Suez.
J'ai déposé un amendement qui pourrait apparaître à une fraction de nos collègues comme une forme de provocation et qui traduit, en réalité, la volonté de donner à l'État actionnaire plus d'autorité pour défendre les intérêts du patrimoine collectif que représentera sa participation dans le futur ensemble.
Il s'agit en effet de faire sauter le principe de la participation plancher prévue par le projet de loi et que vous avez fixée à 34 %, au-delà de la minorité de blocage. Dans un texte précédent, elle devait être de 70 %.
Quelle serait la conséquence pratique d'un tel plancher ? Chaque fois qu'une décision d'entreprise devra être prise, il faudra se tourner vers le législateur, ce qui, reconnaissons-le, n'a pas placé, hier, GDF dans une situation facile ! En février dernier, en effet, l'entreprise publique était le « chevalier blanc » qui allait sauver Suez d'un prédateur international : on peut présenter les faits en ces termes si l'on a le goût de la polémique. En d'autres termes, GDF se trouvait dans une position de force pour négocier avec Suez.
La bataille politique, qui était inévitable, s'est alors engagée. Sa durée même fait que, aujourd'hui, il serait difficile au Gouvernement de revenir sur sa position, tandis que le partenaire privé dispose, pour sa part, d'une liberté totale : le Gouvernement s'étant publiquement engagé, Suez peut faire pression sur GDF pour imposer, dans le cadre de la fusion, des conditions qui lui sont plus favorables.
On en arrive ainsi à une situation paradoxale où le courage et la volonté politique du Gouvernement se retournent contre lui puisque, s'étant engagé devant l'opinion publique, il doit maintenant conduire cette fusion jusqu'à son terme.
Pour avoir, dans un passé lointain, couvert des fusions qui ont ultérieurement échoué, je puis vous dire, monsieur le ministre, mes chers collègues, que la position d'un actionnaire qui, annonçant ses intentions, se lie lui-même les mains n'est pas des plus confortables !
Or nous risquons de nous retrouver, demain, exactement devant le même paradoxe ! En effet, bien que GDF représente, c'est vrai, un peu moins que Suez - son chiffre d'affaires atteint un peu plus de la moitié de celui de Suez et son capital équivaut aux trois quarts de la valorisation boursière de Suez, au cours actuel -, la puissance publique sera en réalité, bien au-delà des 34 %, le premier actionnaire, le noyau dur, l'actionnaire de référence du nouvel ensemble. Et pourtant, il sera minoritaire ! Avec, si j'ose dire, un prétendant plus petit que la fiancée, nous risquons d'avoir un déséquilibre dans la structure résultant de la fusion.
Monsieur le ministre, depuis sept mois, nous vous suivons et cela nous autorise à vous dire que la fusion doit être équilibrée ! Il ne peut en être autrement, en particulier dans les instances de direction.
Tout à l'heure, Pierre Hérisson a fait état des acquisitions qui ont été payées cash par France Télécom. Or, demain, cette fusion permettra justement, comme de nombreux orateurs l'ont dit, de ne plus procéder ainsi, ce qui signifie que, à tout moment, la nouvelle structure sera obligée de prendre des décisions qui pourront diluer le nombre des actionnaires en place. S'il s'agit, par exemple, de fusionner pour acquérir un gisement ou un partenaire intéressant ou bien s'il faut, au contraire, éviter un peu rapidement une OPA hostile, l'État actionnaire risque d'être paralysé par ce « butoir législatif » qu'il s'est fixé à lui-même. Alors que celui-ci a pour objet de protéger son patrimoine, il pourra, en réalité, l'affaiblir.
Le deuxième point que je souhaite évoquer est lié à la transposition des directives consacrées à la libéralisation des marchés de l'électricité et du gaz et à la dérégulation de l'électricité. Il s'agit du lancinant problème des tarifs de retour. J'ai déposé un amendement sur ce point, pour approfondir le débat que vous avez accepté, monsieur le ministre, à l'Assemblée nationale, où une partie du sujet a été traitée, mais sans réussir à l'épuiser complètement.
J'évoquais tout à l'heure la singularité du marché de l'énergie. Force est de reconnaître que, pour l'électricité, il existe manifestement plusieurs marchés. L'un d'entre eux est celui de l'électricité de pointe, je dirai même de la pointe extrême. En effet, l'électricité ne se stockant pas, celui qui en a absolument besoin à un moment donné est déterminé à la payer bien plus cher qu'elle ne vaut, en dehors de toute notion d'utilité marginale, contrairement à ce que nous avons tous pu apprendre sur les bancs de l'école.
Existe également l'électricité de ruban qui, à l'opposé, est consacrée à la consommation normale, à long terme.
Il convient d'ailleurs de noter que, en France, l'une et l'autre forme d'électricité correspond à des technologies assez nettement réparties : au nucléaire le ruban et au gaz ou au thermique, la pointe ou l'extrême pointe.
Au-delà du cas particulier des chats échaudés qui craignent l'eau froide, c'est-à-dire des éligibles qui ont fait le choix de la liberté avec le sentiment que les arbres montaient toujours jusqu'au ciel et que les prix baissaient toujours jusqu'à terre (Sourires.) - ce qui est une erreur en économie ! -, le vrai problème est de savoir comment concilier une dérégulation, une ouverture du marché, l'acceptation de la concurrence, la recherche de nouveaux opérateurs et, bien plus important encore, comment attirer de nouveaux capitaux pour financer de nouveaux outils de production électrique. C'est bien le vrai sujet, car, ces vingt dernières années, la France a cessé de s'équiper en outil de production.
J'ai eu l'occasion, lorsque j'étais ministre de l'industrie, de signer la dernière décision de construction en matière de nucléaire ; il s'agissait d'une nouvelle tranche à Civaux. Depuis lors, il ne s'est rien passé, hormis peut-être pour le gaz, avec l'arrivée de quelques nouveaux opérateurs. Mais, le plus souvent, les opérateurs privés n'ont rien créé de leur propre fait : ils n'ont fait que racheter des installations existantes. C'est vrai aussi bien pour la Société hydroélectrique du Midi et la Société nationale d'énergie thermique que pour la Compagnie nationale du Rhône.
Bref, nous n'avons pas investi. Or, pour produire de l'électricité, que ce soit de l'électricité d'extrême pointe, de pointe, de semi-pointe ou même de ruban, il faut que des capitaux s'investissent ; pour cela, des règles stables sont nécessaires. De ce point de vue, même si un compromis a été trouvé à l'Assemblée nationale sur le tarif de retour, il serait faux d'affirmer que tout est réglé.
Il y a bien coexistence de deux types d'électricité : une électricité de ruban, adossée à des prix maîtrisés et prévisibles, ceux que permet le nucléaire, car il s'agit d'une filière que nous contrôlons, et une électricité de pointe, à partir d'une énergie fossile que nous ne contrôlons pas.
Monsieur le ministre, j'attends avec intérêt votre position sur ce hiatus évident entre le prix du mégawatt/heure nucléaire selon le président d'EDF, pour qui j'ai beaucoup d'estime et, ajouterai-je à titre personnel, de sympathie - en l'occurrence, il défend son entreprise ! -, et le prix du mégawatt/heure nucléaire tel qu'il apparaît dans les documents du ministère de l'industrie.
Faute de cette clarification, donc de règles transparentes pour la tarification, nous n'attirerons que les capitaux spéculatifs des traders. Mais ces derniers n'investiront jamais dans la production. Or l'intérêt même d'EDF, comme d'ailleurs celui des nouveaux entrants, est que les règles économiques soient prévisibles, afin que ces opérateurs puissent investir dans l'électricité tant de pointe que de ruban.
En abordant mon dernier point, je ne volerai pas au secours de Philippe Marini, car il n'a heureusement besoin de personne pour se défendre, mais j'abonderai simplement dans son sens. En effet, l'amendement qu'il a déposé sur les sociétés d'économie mixte de distribution gazière me paraît particulièrement pertinent. Monsieur le ministre, vous qui êtes, comme moi, un homme de l'Est, vous connaissez la tradition des Stadtwerke. Je souhaite que cet amendement soit, malgré les problèmes juridiques qu'il pose sans doute, pris en considération par le Gouvernement.
Monsieur le ministre, je vous pose d'ores et déjà la question : ne serait-il pas raisonnable d'envisager l'ouverture du capital de ces SEM à des partenaires privés, voire leur privatisation ? Une telle orientation ne pourrait-elle être retenue pour les quelques usines d'électricité de DNN dépendant de communes dont les maires estiment, en toute responsabilité, qu'elles auront plus d'avenir, plus de capacité, avec des partenaires privés plus importants ?
Je m'aperçois que j'ai omis d'évoquer un point très important : la possibilité accordée aux nouveaux opérateurs d'être des acheteurs d'énergie durable.
Nous avons un nucléaire solide. Pourra-t-il s'ouvrir à d'autres investisseurs ? Personnellement, je le souhaite, même si c'est compliqué.
Nous avons des investisseurs et des constructeurs pour l'énergie fossile, le gaz, les cycles combinés, en particulier la cogénération. C'est parfait ! Mais ne conviendrait-il pas de favoriser, chez nous, l'essor de la production d'énergie à partir d'éléments dits « de développement durable », que ce soit la méthanisation, l'éolien ou le solaire photovoltaïque ? Nous avons, en France, les capacités techniques pour progresser dans ces domaines, mais nous n'avons pas réussi à passer à la dimension industrielle...
M. Jean Desessard. C'est vrai, vous avez raison !
M. Gérard Longuet. ... contrairement aux Espagnols ou aux Allemands. Nous devons par conséquent essayer de dynamiser ce marché de l'équipement.
De ce point de vue, donner à de nouveaux opérateurs, de nouveaux entrants, la possibilité d'être des bénéficiaires de la CSPE afin qu'ils puissent investir et acheter de l'électricité durable serait une façon pertinente de développer ce type d'activité industrielle.
Telle est, monsieur le ministre, mes chers collègues, la contribution au débat général que je tenais à apporter et je vous prie de bien vouloir m'excuser d'avoir été, à une heure trente-cinq du matin, aussi long. Mais le sujet est passionnant ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine séance.
7
DÉPÔT DE questions orales avec débat
M. le président. J'informe le Sénat que j'ai été saisi de la question orale avec débat suivante :
N° 20 - Le 12 octobre 2006 - M. Gérard Delfau attire l'attention de M. le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire sur la remise en cause du principe de liberté d'expression sur le territoire français. La situation de l'enseignant de philosophie menacé de mort, suite à la publication dans les colonnes d'un journal quotidien national d'une tribune de libre opinion sur l'Islam, illustre parfaitement cette régression, de fait, de ce principe fondateur de la République. Dans ce texte, il exposait son point de vue sur l'histoire de cette religion et de son fondateur. Accusé d'avoir « offensé le prophète », il subit depuis une véritable persécution à partir de sites émanant d'organisations islamistes situées à l'étranger. De surcroît, il est victime d'appels au meurtre et a dû se résoudre à vivre dans la clandestinité. De nombreuses associations se mobilisent pour défendre le principe de la liberté d'opinion et d'expression sur le territoire français et le défendent à ce titre.
Le Gouvernement a réagi, notamment, par la voix du Premier ministre. Il est regrettable que le ministre de l'intérieur soit resté silencieux. C'est pourquoi il lui demande qu'au plus haut niveau de l'État soit réaffirmée la liberté d'expression comme un fondement de notre société démocratique ? Matériellement, ne conviendrait-il pas que la République, outre la protection de cet individu, prenne en charge tous les frais inhérents à la clandestinité, en particulier ceux entraînés par l'obligation de déménager ? La France ne peut être l'otage d'un groupe d'extrémistes, et le débat d'aujourd'hui est la réponse du Parlement à une tentative d'intimidation d'une poignée d'extrémistes qu'il ne confond pas, bien sûr, avec la foule des musulmans respectueux de la loi et de la liberté d'opinion ! Il en va de la souveraineté de l'État, qui doit parallèlement, et en réponse, inlassablement réaffirmer le principe de laïcité, inscrit dans le préambule de notre Constitution depuis 1946.
(Déposée le 9 octobre 2006)
Conformément aux articles 79, 80 du règlement, cette question orale avec débat a été communiquée au Gouvernement et la fixation de la date de la discussion aura lieu ultérieurement.
J'informe le Sénat que j'ai été saisi de la question orale avec débat suivante :
N° 21 - Le 19 octobre 2006 - M. Gérard César demande à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche de dresser le bilan de l'application de la loi n° 2006 11 du 5 janvier 2006 d'orientation agricole, texte très attendu par le monde agricole et qu'il avait lui-même rapporté pour la commission des affaires économiques, dont 41 des 105 articles promulgués requéraient l'adoption de 72 textes complémentaires. Il souhaiterait connaître la liste des mesures d'application prises à ce jour, ainsi que celles restant à prendre, étant précisé leur état d'avancement et leur calendrier prévisionnel de publication.
(Déposée le 10 octobre 2006)
Conformément aux articles 79, 80 du règlement, cette question orale avec débat a été communiquée au Gouvernement et la fixation de la date de la discussion aura lieu ultérieurement.
8
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI
M. le président. J'ai reçu de MM. Roland Courteau et Marcel Rainaud une proposition de loi visant à créer un service civique citoyen obligatoire.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 9, distribuée et renvoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
9
TEXTES SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil concernant l'exportation de biens culturels (Version codifiée).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3253 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la prévention et à la réduction intégrées de la pollution (Version codifiée).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3254 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Parlement européen et du Conseil abrogeant la directive 68/89/CEE du Conseil relative au rapprochement des législations des États membres concernant le classement des bois bruts.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3255 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Lettre rectificative n° 2 à l'avant-projet de budget 2007. État général des recettes. État des recettes et des dépenses par section. Section III.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3256 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Accord entre l'Union européenne et les États-Unis d'Amérique relatif au traitement et à la transmission de données de dossiers passagers (PNR) au ministère de la Sécurité intérieure des États-unis par des entreprises de transport aérien - Projet de décision du Conseil.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3257 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de directive du Conseil portant adaptation de la directive 94/80/CE du Conseil fixant les modalités de l'exercice du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales pour les citoyens de l'Union résidant dans un État membre dont ils n'ont pas la nationalité, en raison de l'adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3258 et distribué.
10
DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION
M. le président. J'ai reçu de M. Adrien Gouteyron un rapport d'information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur les sites internet des ambassades et des consulats.
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 10 et distribué.
11
ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, mercredi 11 octobre 2006 à quinze heures et le soir :
1. Discussion des conclusions du rapport de la commission des affaires économiques sur la motion (n° 8, 2006-2007) de M. Jean-Pierre Bel, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat et Marie-Christine Blandin et plusieurs de leurs collègues, tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au secteur de l'énergie ;
En application de l'article 59 du règlement, il sera procédé de droit à un scrutin public ordinaire lors du vote sur cette motion.
2. Éventuellement, suite de la discussion du projet de loi (n° 3, 2005-2006), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au secteur de l'énergie ;
Rapport (n° 6, 2006-2007) de M. Ladislas Poniatowski, fait au nom de la commission des affaires économiques ;
Avis (n° 7, 2006-2007) présenté par M. Philippe Marini au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
Délai limite pour les inscriptions de parole et pour le dépôt des amendements
Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission des finances sur la proposition de loi portant diverses dispositions intéressant la Banque de France, présentée par M. Jean Arthuis (n° 347, 2005-2006) ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 16 octobre 2006, à dix-sept heures ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 16 octobre 2006, à seize heures.
Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission des lois sur la proposition de loi instituant la fiducie, présentée par M. Philippe Marini (n° 178, 2004-2005) ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 16 octobre 2006, à dix-sept heures ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 16 octobre 2006, à seize heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 11 octobre 2006, à une heure trente-cinq.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD