compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André
vice-présidente
1
PROCÈS-VERBAL
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
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convocation du parlement en session extraordinaire
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le Président de la République en date du 27 juin 2007 portant convocation du Parlement en session extraordinaire à compter du 3 juillet 2007.
Je donne lecture de ce décret :
« Le Président de la République,
« Sur le rapport du Premier ministre,
« Vu les articles 29 et 30 de la Constitution,
« Décrète :
« Article 1er. - Le Parlement est convoqué en session extraordinaire le mardi 3 juillet 2007.
« Article 2. - L'ordre du jour de cette session extraordinaire comprendra :
« 1. Une déclaration de politique générale, en application de l'article 49, alinéa 1er, et de l'article 49, alinéa 4, de la Constitution ;
« 2. Le débat d'orientation budgétaire ;
« 3. Un débat sur les résultats du Conseil européen des 21 et 22 juin 2007 concernant la réforme des traités ;
« 4. L'examen et la poursuite de l'examen des projets de lois suivants :
« - projet de loi portant création d'une délégation parlementaire pour le renseignement ;
« - projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs ;
« - projet de loi portant règlement définitif du budget de 2006 ;
« - projet de loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat ;
« - projet de loi relatif à la gouvernance et aux nouvelles compétences des universités ;
« - projet de loi sur le dialogue social et la continuité du service public de transport ;
« - projet de loi portant création d'un contrôleur général indépendant des lieux de privation de liberté ;
« 5. L'examen et la poursuite de l'examen des projets de lois suivants autorisant l'approbation ou la ratification d'accords internationaux :
« - projet de loi autorisant la ratification de l'acte constitutif de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (ensemble une annexe) ;
« - projet de loi autorisant l'approbation du septième protocole additionnel à la Constitution de l'Union postale universelle ;
« - projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif aux transports routiers internationaux et au transit des voyageurs et des marchandises ;
« - projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et l'Agence spatiale européenne relatif à l'Ensemble de lancement Soyouz (ELS) au Centre spatial guyanais (CSG) et lié à la mise en oeuvre du programme facultatif de l'Agence spatiale européenne intitulé « Soyouz au CSG » et à l'exploitation de Soyouz à partir du CSG ;
« - projet de loi autorisant l'approbation de l'accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne relatif aux implantations communes de missions diplomatiques et de postes consulaires ;
« - projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Canada sur l'exploration et l'exploitation des champs d'hydrocarbures transfrontaliers ;
« - projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et l'Organisation internationale de la francophonie relative à la mise à disposition de locaux pour installer la Maison de la francophonie à Paris ;
« - projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc relatif au statut de leurs forces ;
« - projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et les États-Unis du Mexique sur le mécanisme de développement propre dans le cadre du protocole de Kyoto ;
« - projet de loi autorisant l'approbation d'un accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure ;
« - projet de loi autorisant l'approbation de l'accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique sur la coopération sanitaire transfrontalière ;
« - projet de loi autorisant l'approbation des amendements à la constitution et à la convention de l'Union internationale des télécommunications, adoptés à Marrakech le 18 octobre 2002 ;
« - projet de loi autorisant la ratification de la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains ;
« - projet de loi autorisant l'approbation de la convention européenne sur l'exercice des droits des enfants ;
« - projet de loi autorisant la ratification du protocole n° 13 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances ;
« - projet de loi autorisant la ratification du traité entre le Royaume de Belgique, la République fédérale d'Allemagne, le Royaume d'Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas et la République d'Autriche, relatif à l'approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale ;
« - projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis du Mexique en vue de lutter contre l'usage et le trafic illicites de stupéfiants et de substances psychotropes ;
« - projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de coopération mutuelle entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis du Mexique pour l'échange d'informations relatives à des opérations financières effectuées par l'entremise d'institutions financières pour prévenir et combattre les opérations provenant d'activités illicites ou de blanchiment d'argent ;
« - projet de loi autorisant l'approbation de l'accord d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Chine ;
« - projet de loi autorisant l'approbation du protocole additionnel à la convention pénale sur la corruption ;
« - projet de loi autorisant la ratification de l'accord de dialogue politique et de coopération entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et la Communauté andine et ses pays membres (Bolivie, Colombie, Équateur, Pérou et Venezuela), d'autre part ;
« - projet de loi autorisant la ratification de l'accord de dialogue politique et de coopération entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et les Républiques du Costa Rica, d'El Salvador, du Guatemala, du Honduras, du Nicaragua et du Panama, d'autre part ;
« - projet de loi autorisant l'approbation du protocole visant à modifier la convention relative à l'Organisation hydrographique internationale ;
« 6. L'examen et la poursuite de l'examen des projets de lois suivants autorisant l'adhésion à des accords internationaux :
« - projet de loi autorisant l'adhésion au protocole relatif à la convention internationale de Torremolinos sur la sécurité des navires de pêche ;
« - projet de loi autorisant l'adhésion à la convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants ;
« - projet de loi autorisant l'adhésion au deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort ;
« - projet de loi autorisant l'adhésion de la France à la convention sur le consentement au mariage, l'âge minimum du mariage et l'enregistrement des mariages ;
« - projet de loi autorisant l'adhésion à la convention sur la mise à disposition de ressources de télécommunication pour l'atténuation des effets des catastrophes et pour les opérations de secours en cas de catastrophe.
« Article 3. - Le Premier ministre est responsable de l'application du présent décret qui sera publié au Journal officiel de la République française.
« Fait à Paris, le 27 juin 2007,
« Par le Président de la République,
« Signé : Nicolas Sarkozy
« Le Premier ministre,
« Signé : François Fillon. »
Acte est donné de cette communication.
La conférence des présidents qui se réunira tout à l'heure fixera l'ordre du jour de cette session extraordinaire.
3
organisme extraparlementaire
Mme la présidente. J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du Conseil d'administration de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre.
Conformément à l'article 9 du règlement, j'invite la commission des affaires sociales à présenter une candidature.
La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l'article 9 du règlement.
4
Création d'une délégation parlementaire pour le renseignement
Discussion d'un projet de loi
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant création d'une délégation parlementaire pour le renseignement (nos 326 rectifié, 337 et 339).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de soumettre aujourd'hui à votre examen le projet de loi portant création d'une délégation parlementaire pour le renseignement.
D'emblée, je tiens à souligner le caractère très novateur de ce texte. En effet, pour la première fois en France, le Parlement va être associé au suivi des activités des services de renseignement.
Ces dernières années, en réalité, un large consensus politique s'est dégagé en faveur de l'instauration d'une instance parlementaire chargée du renseignement. En témoignent les nombreuses propositions de loi déposées sous les dernières législatures et issues de l'ensemble des formations politiques et groupes parlementaires, de droite comme de gauche. Elles ont déjà permis, à plusieurs reprises, des débats sur le thème du renseignement au sein des assemblées.
Les principaux directeurs de service sont favorables au principe de la création d'une telle instance parlementaire, pour autant, messieurs les rapporteurs, que des garanties minimales seront apportées afin d'assurer le bon déroulement des activités de renseignement.
Il revient au précédent gouvernement d'avoir su donner l'impulsion politique nécessaire, à la fin de l'année 2005.
En effet, le texte qui vous est aujourd'hui soumis honore les engagements pris en décembre 2005 devant votre assemblée par Nicolas Sarkozy lors de l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers qu'il avait présenté en tant que ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
Avec le présent projet de loi, l'engagement pris est donc respecté. Ce texte correspond également à l'ambition plus large, et sur laquelle nous aurons à revenir en d'autres occasions, du Président de la République de renforcer le poids du Parlement dans nos institutions.
Dans le cas présent, les pouvoirs des députés et des sénateurs seront élargis au suivi des services de renseignement.
Ce projet de loi n'est pas le fruit du seul contexte français, comme l'ont très bien souligné MM. Garrec et Vinçon dans leurs brillants rapports. Il répond également à une évolution de la situation internationale et géopolitique. Avec la fin de la guerre froide, de nouvelles menaces sont apparues : plus larvées, plus diffuses et moins étatiques. De nouveaux défis ont fait surface, comme le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive, les attaques informatiques, les tentatives d'affaiblissement de notre patrimoine économique, scientifique et technologique. Notre monde est devenu, sous certains aspects, plus pacifique avec la fin de l'ordre bipolaire, mais il est aussi devenu plus instable, plus difficile à maîtriser, l'adversaire potentiel étant souvent invisible.
De ce fait, les services de renseignement ont dû évoluer pour faire face à l'existence de ces nouvelles menaces. Leur action s'est élargie et diversifiée, tout comme les risques qui les accompagnent. Il est donc nécessaire, mesdames, messieurs les sénateurs, que le caractère secret des activités des services de renseignement soit préservé et protégé. Cette exigence du secret doit cependant être conciliée avec la nécessité légitime, pour le Parlement, d'être informé.
Les activités liées au renseignement sont souvent mal connues des Français. Dans le même temps, le renseignement n'a pas toujours la place qu'il devrait avoir. Ainsi, en associant le Parlement au suivi du renseignement, nous allons donner à nos services spécialisés une nouvelle légitimité aux yeux de nos concitoyens. Nous allons aussi favoriser l'émergence d'une réelle culture du renseignement, qui aujourd'hui nous manque. C'est l'objet de ce texte, qui vise à concilier l'impératif de discrétion et d'efficacité lié aux activités de renseignement avec l'exigence d'information du Parlement.
Plus précisément, cinq directions relèveront de la compétence de la délégation : la direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE, la direction du renseignement militaire, la DRM, la direction de la protection et de la sécurité de la défense, la DPSD, la direction de la surveillance du territoire, la DST, et la direction centrale des renseignements généraux, la DCRG.
Sur le plan pratique, le projet de loi prévoit, du moins aux termes de sa rédaction initiale, que la délégation sera constituée de six membres, à savoir trois députés et trois sénateurs.
En seront membres de droit les présidents des commissions permanentes de la défense et des lois de chacune des deux assemblées. Y siégeront également un député et un sénateur désignés respectivement par le président de l'Assemblée nationale et par le président du Sénat. Cette désignation doit permettre d'assurer une représentation pluraliste et d'associer l'opposition à cette fonction démocratique essentielle.
La délégation recevra des informations sur le budget, l'activité générale et l'organisation des services de renseignement. Elle pourra entendre les ministres de l'intérieur et de la défense, les directeurs des services de renseignement, ainsi que le secrétaire général de la défense nationale. Elle remettra un rapport au président de la République, au Premier ministre et aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Afin de préserver la sécurité des personnes et la conduite des opérations, certains éléments seront cependant exclus des communications à destination de la délégation.
Il s'agit d'abord, bien entendu, des données qui pourraient mettre en péril l'anonymat, la sécurité ou la vie d'une personne relevant ou non des services intéressés.
Il s'agit ensuite des données liées aux modes opératoires propres à l'acquisition du renseignement.
Il s'agit enfin des informations touchant aux relations entretenues par ces services spécialisés avec des services de renseignement étrangers et des informations touchant aux activités opérationnelles en cours ou passées, que ce soient les instructions données ou le financement de ces activités.
Cette dernière restriction est d'ailleurs conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Par une décision du 27 décembre 2001, ce dernier a en effet jugé que « s'il appartient au Parlement d'autoriser la déclaration de guerre, de voter les crédits nécessaires à la défense nationale et de contrôler l'usage qui en a été fait, il ne saurait en revanche, en la matière, intervenir dans la réalisation d'opérations en cours ».
Par nature, le Parlement est un lieu de débat et de parole. Il est pourtant primordial que les membres de la commission respectent les règles de sécurité inhérentes au renseignement. Aussi les travaux de la délégation, même privés des éléments les plus opérationnels, seront-ils couverts par le secret de la défense nationale.
Cela induira des contraintes, à la fois pour les services de renseignement et pour les parlementaires, mais chacun le comprendra.
Pour les services, cela leur imposera de faire état d'informations couvertes par le secret de la défense nationale, sans bien sûr dévoiler les éléments à caractère opérationnel. En effet, la protection du secret est le fondement même du succès de ce type de service. Le secret est aussi pour eux un gage d'efficacité. Il leur permet de se préserver d'éventuelles actions hostiles et de protéger leurs sources, sans lesquelles il n'y aurait tout simplement pas de renseignement. Dans certains cas, cela doit être rappelé, le secret est même une question de survie, au sens plein du terme.
Il est aussi indispensable, pour la crédibilité de nos services, que soient protégées leurs relations avec leurs homologues étrangers. Ainsi, lorsque l'un de nos services reçoit des informations d'un service étranger, il s'engage à ne pas les retransmettre à un autre service sans l'autorisation du service émetteur. C'est la règle dite du « tiers service ». Elle est élémentaire, car, sans elle, tout le dispositif du renseignement s'effondrerait.
Quant au Parlement, il sera soumis également à un certain nombre de contraintes. Les travaux de la délégation seront, on l'a vu, couverts par le secret de la défense nationale. Les parlementaires membres de la délégation devront donc concilier cet impératif du « besoin d'en connaître » avec leur statut de représentants de la nation. La participation de plusieurs parlementaires aux commissions administratives de vérification des fonds spéciaux et du secret de la défense nationale montre que l'on peut parfaitement concilier les deux.
En conciliant des contraintes spécifiques, les services et les parlementaires fonderont leurs relations sur la confiance.
Ainsi, le présent projet de loi vise à instaurer une relation de confiance réciproque entre la représentation nationale et les services de renseignement. Cette notion de confiance est fondamentale : c'est notre capacité à l'instaurer, de part et d'autre, qui fera le succès des travaux de la délégation qu'il est proposé de mettre en place aujourd'hui.
Certes, cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais je suis persuadé que, très vite, les parlementaires et les représentants des services parviendront à établir cette relation de confiance indispensable à l'information des uns et à l'efficacité de l'action des autres.
En effet, je ne le répéterai jamais assez, le maître mot de ce projet de loi est le mot « confiance » : confiance envers les membres de la délégation, d'abord ; confiance entre ces derniers et les services de renseignement, ensuite, et cette relation sera déterminante tant pour l'efficacité du contrôle parlementaire que pour l'appréciation des besoins des services de renseignement ; enfin, confiance des citoyens dans leurs services de renseignement, grâce au travail de suivi de la délégation parlementaire pour le renseignement.
J'ai pour la première fois, aujourd'hui, l'honneur de présenter un texte au nom du Gouvernement : permettez-moi, à cet instant, de me réjouir que cette première intervention ait lieu devant la Haute Assemblée.
Avant de conclure la présentation du premier projet de loi que j'ai l'honneur, et le plaisir, de soumettre à la Haute Assemblée dans mes nouvelles fonctions, je veux rendre hommage, au nom du Gouvernement, mais je ne doute pas que l'ensemble du Sénat s'associera à cet hommage, à l'action des femmes et des hommes qui composent nos services de renseignement. Ils jouent un rôle majeur, et permanent, pour préserver les intérêts et la sécurité de notre pays, en faisant preuve à la fois de beaucoup d'abnégation, d'une totale discrétion, d'une profonde modestie et d'une grande sérénité devant l'importance des enjeux. Ils travaillent souvent dans des conditions dangereuses, en prenant des risques, y compris pour leur vie. La constitution de cette délégation, c'est aussi une reconnaissance de leur rôle, essentiel pour la vie de la nation. (M. le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées applaudit.)
Madame la présidente, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le renseignement intérieur et extérieur est aujourd'hui un élément déterminant de la sécurité des Français.
En vous soumettant ce projet de loi, le Gouvernement répond à un double impératif : il permet l'information du Parlement sur l'activité des services spécialisés selon les exigences propres à toute démocratie, tout en assurant la sécurité de ces spécialistes qui accomplissent une mission essentielle pour la sécurité de notre pays.
C'est dans cet esprit, je le souhaite, que le travail parlementaire s'inscrira. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. René Garrec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi qui est soumis en premier lieu à notre assemblée et renvoyé au fond à la commission des lois vient réparer une anomalie toute française, notre pays étant désormais presque le seul - le Portugal serait en effet sur la bonne voie - à ne pas s'être encore doté d'un organe parlementaire dédié au suivi ou au contrôle des services de renseignement.
L'action des services de renseignement représente pourtant un pan majeur de la politique gouvernementale. Le Parlement est resté à l'écart de ces questions, autant par autocensure au nom du domaine réservé du chef de l'État qu'en raison de l'extrême méfiance des services de renseignement. Milieu ouvert par excellence, le Parlement serait inapte à connaître de ces questions, par nature secrètes.
Nous avons nous-mêmes souvent donné un superbe exemple de la transparence : d'expérience, mes chers collègues, je sais qu'il a pu nous arriver de dire dans cet hémicycle ce que nous savions et même ce que nous ne savions pas bien !
Il est vrai que les modes habituels de fonctionnement d'un parlement ne prédisposent pas à accéder à des informations classifiées secret défense. Dès lors, il fallait concevoir un système ad hoc régi par les règles du secret défense.
Nous avons souhaité, avec le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur pour avis, organiser des auditions communes ouvertes à l'ensemble des membres des deux commissions. Un certain nombre de nos collègues y ont assisté, ce qui a permis de nouer de vrais dialogues.
Je voudrais remercier tous les fonctionnaires qui ont participé à nos travaux, tous les représentants et directeurs des organismes concernés. Ils se sont montrés ouverts, nous permettant de travailler avec le sentiment de ne pas être des hommes qui seraient au pire dangereux, au mieux méfiants et cachant des antagonismes larvés. J'ai d'ailleurs gardé un excellent souvenir de ces journées d'auditions.
Ce projet de loi est incontestablement un premier pas vers la mise en place d'un organisme au service du renseignement. Sans remettre en cause l'équilibre et l'économie du texte, et soucieux de préserver les conditions permettant que se tisse une relation de confiance - vous l'avez évoquée, monsieur le secrétaire d'État - entre les membres de la délégation et les responsables des services, je vous proposerai plusieurs amendements ménageant à la délégation une plus grande liberté d'action, conformément au rôle qui doit être celui de la représentation nationale.
Le Parlement n'est pas à même de connaître l'activité des services de renseignement. Certes, aucun texte n'interdit aux deux assemblées de s'y intéresser, mais celles-ci se heurtent très rapidement aux limites du secret défense.
L'instauration d'un suivi des services de renseignement serait pourtant bénéfique pour le Parlement, en lui permettant d'exercer son contrôle sur un pan entier de l'action du Gouvernement qui lui échappe aujourd'hui.
De surcroît, la sécurité intérieure et la sécurité extérieure s'imbriquent de plus en plus intimement, amenant les services de renseignement à traiter de la criminalité organisée ou du terrorisme et à travailler de plus en plus avec le pouvoir judiciaire. Toutes ces évolutions rendent donc encore plus légitime et nécessaire la création d'un organe parlementaire chargé du suivi des services de renseignement. Entre tout dire et ne rien dire, il y a une marge importante, comme eût dit M. de La Palice ! (Sourires.)
Pour le Parlement, il est important de savoir si l'action des services de renseignement est coordonnée, si les orientations stratégiques sont pertinentes et si les moyens alloués sont bien utilisés et à la hauteur des objectifs fixés.
Pour les services de renseignement, les avantages sont également nombreux. Ces services souffrent en effet d'une image négative et d'un manque de reconnaissance. L'ensemble des dirigeants des services entendus ont d'ailleurs approuvé le principe de la création d'une délégation parlementaire, perçue comme un lieu sécurisé permettant d'établir un dialogue confiant.
Plusieurs enseignements peuvent être tirés des exemples étrangers.
En premier lieu, nous sommes la dernière grande démocratie occidentale à ne pas encore disposer d'un tel organe. La preuve est donc faite que, ailleurs, le suivi parlementaire n'est pas incompatible avec des services de renseignement efficaces.
En deuxième lieu, l'opposition est toujours représentée au sein de l'organe parlementaire.
En troisième lieu, le respect du secret qui régit l'ensemble du fonctionnement de ces organes n'interdit pas la publication de rapports, et donc la publicité d'une partie de leurs travaux.
Le champ du contrôle opéré par ces organes parlementaires est extrêmement différent selon les pays : il n'existe pas un système unique et homogène. Je vous renvoie à mon rapport écrit pour une analyse comparative plus détaillée s'agissant des États-Unis, du Royaume-Uni, de l'Allemagne, de la Belgique et de l'Espagne.
Au reste, l'absence de suivi parlementaire ne signifie pas l'absence de tout contrôle. Ces administrations sont en effet soumises au contrôle interne des ministères dont elles dépendent, comme l'intérieur pour la DST ou la DCRG, ou la défense pour la DGSE. Il y a donc bien des contrôles internes, mais ils ne sont pas synthétisés par un organe unique.
Or, pour le Parlement, une telle synthèse est essentielle. Depuis les années soixante-dix, en effet, des autorités administratives indépendantes ont été créées dont les missions ont pu directement ou indirectement toucher l'activité des services de renseignement. Il faut citer, outre la Commission d'accès aux documents administratifs, la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, la Commission consultative du secret de la défense nationale. Il me paraîtrait utile que tout cela participe à cette oeuvre de synthèse.
Enfin, et je salue ici Jean-Pierre Fourcade, il faut souligner le travail effectué par la Commission de vérification des fonds spéciaux depuis 2002. Je m'empresse de préciser- il ne s'agit pas seulement d'une précaution oratoire - qu'il n'est pas question de supprimer cet organe de contrôle, essentiel.
Lors de son audition, M. Paul Quilès, lui-même membre de cette commission de vérification des fonds spéciaux, a déclaré que tout se passait très bien quand on savait instaurer des relations de confiance avec les services de renseignement. Je pense que le système peut en effet fonctionner dans la confiance mutuelle dès lors que seul un petit nombre de personnes interviennent et que chacun reste dans son rôle, les uns et les autres ayant bien conscience de leurs responsabilités respectives.
Historiquement, deux propositions de loi, émanant l'une de M. Paul Quilès, l'autre de M. Nicolas About, avaient déjà été déposées sur le sujet. Elles n'ont pas prospéré. Le débat a ensuite été relancé lors de l'examen de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme. À cette occasion, plusieurs amendements ayant été déposés qui tendaient à la création d'un organe parlementaire de contrôle des services - entre autres par notre collègue Jean-Claude Peyronnet -, le ministre avait donné son accord sur le principe de la création d'un tel organe et un groupe de travail avait été constitué réunissant des parlementaires désignés par les groupes politiques des deux assemblées et des fonctionnaires des services de renseignement.
Les conclusions du groupe de travail ont abouti au dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale du présent projet de loi. C'est ce même projet de loi qui est aujourd'hui soumis en première lecture au Sénat sans que l'Assemblée nationale ait pu l'examiner, faute d'inscription à l'ordre du jour pendant la douzième législature.
Mais j'en viens au projet de loi proprement dit.
Le paragraphe I du texte proposé par l'article unique pour l'article 6 nonies de l'ordonnance du 17 novembre 1958 prévoit la création d'une délégation parlementaire pour le renseignement commune à l'Assemblée nationale et au Sénat.
Le choix d'une délégation commune est propre à faciliter la préservation du secret en limitant le nombre d'intervenants. Il devrait également favoriser la construction d'une relation de confiance avec les services de renseignement, qui auront un interlocuteur unique.
Les paragraphes I et II précisent la composition de la délégation. Elle comporterait trois députés et trois sénateurs, soit six membres, dont quatre membres de droit : il s'agit des présidents des commissions compétentes en matière de défense et des lois de chaque assemblée. Ils présideraient à tour de rôle la délégation pour une durée d'un an. Les deux autres membres seraient désignés par le président de chaque assemblée de manière à assurer une répartition pluraliste.
Le paragraphe IV définit les missions de la délégation parlementaire. Elle serait « informée sur l'activité générale et sur les moyens des services spécialisés à cet effet placés sous l'autorité des ministres de la défense et de l'intérieur ».
La délégation est donc placée dans une position non pas de contrôle, comme c'est d'habitude le cas pour ce type d'organe, mais plutôt de simple suivi des services de renseignement.
Selon l'exposé des motifs du projet de loi, cinq directions relèveraient de la compétence de la délégation : la direction générale de la sécurité extérieure, la direction du renseignement militaire, la direction de la protection et de la sécurité de la défense, la direction de la surveillance du territoire et la direction centrale des renseignements généraux. Peuvent être ajoutés à cette liste l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste, qui dépend du ministère de l'intérieur, et la direction des affaires stratégiques du ministère de la défense.
Le critère retenu pour définir le champ de compétence de la délégation est essentiellement un critère organique. La délégation ne pourrait connaître que de l'activité générale, de l'organisation, du budget et des moyens de ces services spécialisés. En aucune manière la délégation ne pourrait connaître des activités opérationnelles, en cours ou passées, de ces services.
Le projet de loi précise également que les informations adressées à la délégation ne peuvent porter sur le financement des activités opérationnelles, qui relève de la compétence - laissée intacte - de la Commission de vérification des fonds spéciaux.
Une autre restriction importante est l'exclusion de toutes les informations touchant aux relations entretenues par ces services spécialisés avec des services étrangers ou avec des organismes internationaux compétents dans le domaine du renseignement.
Cette disposition est notamment la traduction de la loi d'airain des services de renseignement, celle du tiers service : le service reste propriétaire de l'information qu'il donne à un autre service. L'information ne peut en aucune manière être transmise à un service tiers sans l'autorisation du service source.
Le projet de loi définit également les sources d'information dont disposerait la délégation.
Il reviendrait ainsi aux ministres de l'intérieur et de la défense d'adresser à la délégation « des informations et des éléments d'appréciation relatifs au budget, à l'activité générale, et à l'organisation des services placés sous leur autorité ». La délégation n'aurait donc pas a priori la possibilité de demander à se faire communiquer des informations et des documents qui sembleraient utiles à sa mission.
En outre, les personnes susceptibles d'être entendues par la délégation sont limitativement définies. En effet, seuls pourront être entendus les ministres, les directeurs des services spécialisés et le secrétaire général de la défense nationale, dont je salue la présence dans cet hémicycle.
Le projet de loi semble ainsi exclure la possibilité d'entendre, d'une part, des personnes extérieures à ces deux ministères - par exemple, d'anciens directeurs des services spécialisés ou des membres d'autorités administratives indépendantes intéressées par les questions de renseignement -, et, d'autre part, des personnes placées sous l'autorité des directeurs des services précités, y compris avec l'accord de ces derniers :
Le fonctionnement de la délégation est conçu pour préserver le secret de ses travaux. Le contrôle est ainsi très encadré, ce qui est parfaitement logique.
Le paragraphe VII proposé par l'article unique pour l'article 6 nonies prévoit qu'un rapport annuel - couvert par le secret défense - sera remis par le président de la délégation au Président de la République, au Premier ministre et au président de chaque assemblée. Un rapporteur serait désigné par la délégation.
En outre, le second alinéa du paragraphe V prévoit que la délégation est assistée par des agents des assemblées parlementaires, ces derniers étant désignés par le président de la délégation. La délégation devrait donc disposer d'un secrétariat propre.
L'organisation des travaux de la délégation n'est pas plus détaillée : il reviendra au règlement intérieur de la délégation, approuvé par le bureau de chaque assemblée, d'y suppléer.
En revanche, le projet de loi consacre les paragraphes V et VI au secret devant entourer les travaux de la délégation. La préservation du secret défense est en effet l'unique motif justifiant que les questions de renseignement ne soient pas traitées directement par le Parlement selon les procédures habituelles.
L'effectif très resserré de la délégation est de nature à protéger le secret. Le paragraphe V tend à autoriser ès qualités les membres de la délégation à connaître d'informations présentant le caractère de secret de la défense nationale.
De telles informations ne pourraient être transmises à la délégation que dans les conditions prévues au paragraphe IV, c'est-à-dire par les ministres, et ne pourraient concerner que le budget, l'activité générale et l'organisation des services.
Cependant, il faut souligner que toutes les informations transmises dans ces conditions ne relèvent pas automatiquement du secret défense. D'ores et déjà, par exemple, les commissions permanentes du Parlement ont connaissance de certaines données relatives au budget des services de renseignement. La commission des finances reçoit le rapport de la commission spécialisée. Des informations sont donc d'ores et déjà diffusées.
Pour autant, la délégation ne pourrait pas communiquer les données ne relevant pas du secret défense : le paragraphe VI prévoit que l'ensemble des travaux de la délégation sont couverts par le secret défense.
Le projet de loi prévoit néanmoins que les membres de la délégation ne sont pas habilités secret défense pour celles de ces informations qui pourraient « mettre en péril l'anonymat, la sécurité ou la vie d'une personne relevant ou non des services intéressés, ainsi que les modes opératoires propres à l'acquisition du renseignement ». C'est parfaitement logique.
En somme, ce n'est que la réaffirmation du principe qui veut que la délégation n'est pas autorisée à connaître d'informations ayant un lien avec les activités opérationnelles - passées, présentes ou futures - des services de renseignement. Nous y reviendrons lors de l'examen des amendements.
Si les membres de la délégation sont habilités ès qualités, il n'en est pas de même pour le secrétariat. Les membres du secrétariat désignés par le Parlement devront être, selon moi, des fonctionnaires habilités à connaître des informations dans les conditions du droit commun.
Le paragraphe VI dispose que l'ensemble des travaux de la délégation sont couverts par le secret défense. Bien que cela ne figure pas expressément dans le texte, cela signifie que la violation du secret défense, y compris par les parlementaires, serait pénalement sanctionnée, conformément à l'article 413-10 du code pénal.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Eh oui !
M. René Garrec, rapporteur. De mémoire, mes chers collègues, la violation du secret défense est passible de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende. Voilà de quoi refréner l'éloquence !
Comme je l'ai déjà dit, il faut se féliciter de ce premier pas vers la mise en place d'un suivi parlementaire des services de renseignement.
Au cours de nos auditions, nous avons entendu la préoccupation commune à plusieurs responsables des services de renseignement quant à la protection du secret défense et à l'exclusion des activités opérationnelles du champ de compétence de la délégation parlementaire. C'est parfaitement clair et nous sommes d'accord sur ces points, qui ne feront dons pas l'objet d'amendement de la commission des lois.
En revanche, il m'a semblé qu'il y avait un certain décalage entre, d'une part, les responsables de services de renseignement et, d'autre part, l'ensemble des autres personnes entendues, anciens ministres, présidents d'autorités administratives indépendantes, notamment. Les premiers ont tous considéré que le projet de loi était parfait. Les seconds jugent le projet de loi un peu restrictif, bien qu'il aille dans le bon sens. Je précise néanmoins que, parmi ces derniers, aucun n'a proposé de remettre en cause le respect du secret défense ou l'impossibilité pour la délégation de connaître des opérations en cours.
Les critiques ont surtout porté sur la tonalité générale du projet de loi qui, selon eux, traduirait un manque de confiance envers les parlementaires, pourtant en nombre très restreint. Le projet de loi semble en effet cantonner la délégation parlementaire à un rôle passif en restreignant ses sources d'information.
Je vous proposerai donc une série d'amendements qui viseront, sans remettre en cause l'équilibre global du texte, à ménager à la délégation parlementaire une liberté d'action plus conforme au rôle de la représentation nationale.
Ces amendements tendent tout d'abord à porter de trois à quatre le nombre respectif de députés et de sénateurs membres de la délégation. Celle-ci comptera ainsi huit membres, ce qui facilitera la pluralité. C'est d'ailleurs le nombre moyen de membres que comptent les délégations européennes ; les États-Unis font exception, mais cela se comprend.
Ensuite, il s'agit de définir la mission de la délégation et de lui permettre de recueillir de façon générale les informations utiles à l'accomplissement de sa mission. Il nous paraît en effet difficile, par exemple, de ne pas pouvoir aller interroger nos homologues italiens, britanniques, allemands ou espagnols pour savoir comment ils fonctionnent, quelles sont leurs limites et leurs possibilités.
Par ailleurs, la commission vous proposera d'élargir les possibilités de procéder à des auditions au Premier ministre - le renseignement est forcément interministériel -, ainsi qu'à des personnes ne relevant pas des services de renseignement.
En outre, nous souhaitons laisser à chaque assemblée le soin de désigner, selon les procédures habituelles, les fonctionnaires parlementaires qui assisteront la délégation.
Nous vous proposerons également la remise chaque année d'un rapport public, dont nous aurons à discuter.
Enfin, il s'agit de rendre la délégation destinataire du rapport de la commission de vérification des fonds spéciaux créée en 2002. En ce qui me concerne, j'ai beaucoup hésité avant de déposer un amendement en ce sens, car je ne me suis pas encore fait de religion sur ce point. Mais il n'est pas choquant que la délégation reçoive le rapport d'une commission par ailleurs bien rodée, qui travaille en confiance avec les services, d'autant que la commission des finances en est déjà destinataire alors qu'elle n'est astreinte qu'au secret simple.
Telles sont, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les quelques réflexions dont je tenais à vous faire part sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est M. le rapporteur pour avis.
M. Robert del Picchia, en remplacement de M. Serge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur pour avis. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné pour avis le présent projet de loi, sur le rapport de son président, Serge Vinçon, également rapporteur pour avis, fonctions dans lesquels j'ai l'honneur de le suppléer à cette tribune.
L'action des services de renseignement constitue un volet essentiel de nos politiques de sécurité. Ces services font face à des défis croissants, qu'il s'agisse des multiples crises régionales ayant des implications pour notre pays, du terrorisme ou encore de la prolifération des armes de destruction massive. Leur action exige évidemment des moyens humains et techniques renforcés.
Le secret est une caractéristique inhérente au fonctionnement et à l'action de ces services. C'est aussi, mes chers collègues, une condition nécessaire de leur efficacité.
Comment concilier cet impératif du secret et les principes démocratiques voulant que la représentation nationale ne soit pas laissée dans l'ignorance d'enjeux aussi importants pour le pays ?
Les instances parlementaires spécialisées pour le renseignement qui sont instaurées dans la plupart des démocraties apportent une réponse à cette question. Elles se veulent un point d'équilibre entre la mise à l'écart totale du Parlement et un contrôle de droit commun, incompatible avec l'activité des services de renseignement.
Depuis près de dix ans, les auteurs de plusieurs propositions de loi préconisent la création d'une telle instance en France, qui fait désormais figure d'exception en Europe et dans les démocraties occidentales.
La création, en 2002, de la commission de vérification des fonds spéciaux a curieusement renforcé le paradoxe français. Des parlementaires sont amenés à connaître, par le biais du contrôle budgétaire, certaines activités parmi les plus sensibles des services de renseignement, mais il n'existe toujours pas d'instance ayant une compétence plus générale sur l'organisation et les missions de ces services, ainsi que sur les moyens humains et techniques dont ils disposent.
Le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui permettra enfin de combler cette lacune.
La création d'une instance parlementaire chargée du renseignement recueille un large consensus politique, comme en témoigne la diversité des signataires des propositions de loi, issus de l'ensemble des groupes parlementaires.
Plusieurs ministres, sous diverses majorités, avaient déclaré qu'ils ne voyaient pas d'objection à la création d'une telle instance pourvu que ses compétences et ses règles de fonctionnement tiennent compte des spécificités de la matière traitée.
Enfin, les contacts établis avec les principaux directeurs de service avaient montré que ceux-ci n'étaient en rien hostiles au principe de la démarche, et même qu'ils y trouvaient certains avantages, sous réserve, bien sûr, que des garanties minimales leur soient apportées afin de ne pas compromettre le bon déroulement de leurs activités.
Il revient au précédent Gouvernement d'avoir su donner l'impulsion politique nécessaire pour concrétiser cet état d'esprit, et à son successeur de conforter aujourd'hui la démarche dès son entrée en fonction. J'en remercie le Gouvernement, monsieur le secrétaire d'État.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées s'est donc félicitée du dépôt de ce projet de loi, dont elle a également approuvé le contenu.
En effet, le projet de loi correspond pour l'essentiel à la formule que la commission appelait de ses voeux et dont elle avait déjà esquissé les principales caractéristiques au cours des années passées.
La formule magique est simple : effectif restreint, pluralisme, préservation du secret et règles de fonctionnement adaptées.
Notre attente portait moins sur la création d'une instance de contrôle, au sens traditionnel du terme, que sur la mise en place d'un canal approprié assurant l'information du Parlement en matière de renseignement. Une telle instance doit permettre à des parlementaires qualifiés d'évaluer la politique de renseignement sans interférer dans sa conduite.
Dans notre esprit, la délégation parlementaire devrait avant tout disposer d'une information sur la politique générale du renseignement, l'organisation et l'activité des services, leurs programmes d'investissement, bien sûr, ou leurs besoins en personnels. Elle devrait aussi pouvoir aborder avec les responsables les enjeux les plus importants, particulièrement en période de crise internationale.
Certes, et la discussion générale comme l'examen des amendements le montreront sûrement, d'aucuns estimeront que l'on aurait dû aller beaucoup plus loin.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées considère cependant que l'équilibre général du projet de loi doit être respecté, car il répond à deux exigences essentielles.
Tout d'abord, le projet de loi vise à concilier la nécessaire information du Parlement et la préservation de l'efficacité des services, en posant certaines limites à l'étendue des informations à caractère secret dont pourra connaître la délégation.
Ensuite, le texte traduit une vision pragmatique de nature à favoriser l'établissement, entre la délégation parlementaire et les responsables des services, d'une relation de confiance absolument essentielle au succès de la démarche, comme vous l'avez vous-même souligné, monsieur le secrétaire d'État. Sans confiance, il ne peut y avoir de succès.
Les amendements adoptés par la commission, établis en pleine concertation avec René Garrec, rapporteur de la commission des lois, sont fidèles à cet esprit. Ils visent non pas à modifier l'équilibre du texte, mais à permettre à la délégation parlementaire de jouer pleinement son rôle de lien entre la représentation nationale et des services essentiels pour notre sécurité.
Nous proposons donc, mes chers collègues, de permettre aux présidents des assemblées de nommer deux membres, pour élargir leur choix en tenant compte des compétences et en respectant l'exigence de pluralisme. Nous restons néanmoins dans le cadre d'un effectif restreint, propice au bon fonctionnement de ce type de délégation.
Nous souhaitons formuler de manière un peu plus positive le rôle de la délégation, qui reçoit des informations, mais qui doit également pouvoir en solliciter, sans pour autant entrer dans le domaine de la conduite des opérations ou connaître de données relatives aux agents ou aux sources. Le secret doit bien entendu être total en ces matières.
Mes chers collègues, la rédaction que nous proposons concernant les auditions ne vise en rien, je tiens à le préciser, à doter la délégation parlementaire des pouvoirs d'une commission d'enquête. Il n'en est pas question. Simplement, si elle n'était pas modifiée, la formulation restrictive du projet de loi aboutirait à un paradoxe, voire à une incohérence.
En effet, les commissions permanentes, qui ne sont pas soumises aux règles de confidentialité, pourraient entendre sans restriction des personnes interdites de parole devant la délégation parlementaire pour le renseignement !
Le rapport public que nous proposons respectera, par définition, les règles applicables à la protection du secret.
Enfin, il nous paraît logique que le rapport de la commission de vérification des fonds spéciaux soit transmis à la délégation parlementaire. Rédigé par des parlementaires, ce rapport est déjà adressé à d'autres parlementaires, responsables des commissions des finances, par exemple.
Sous réserve de ces amendements, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a pleinement approuvé ce projet de loi, qui apportera une véritable amélioration pour le Parlement, mais également, nous en sommes convaincus, pour la communauté du renseignement.
On évoque souvent, à propos de la France, une carence dans la « culture du renseignement » par rapport aux pays anglo-saxons. Il n'est pas bon que le renseignement demeure à l'écart du débat national, au risque d'alimenter la méfiance et, surtout, de faire négliger le rôle qu'il doit jouer au service de nos politiques de sécurité.
Sans surestimer sa portée, on peut penser que cette délégation parlementaire contribuera à une meilleure compréhension des enjeux majeurs liés au renseignement, alors que, par ailleurs, l'instauration d'un climat de confiance à l'égard des services confortera la communauté du renseignement dans son action.
En conclusion, mes chers collègues, j'indiquerai, au nom de Serge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, que l'examen de ce texte en tout début de législature doit être l'occasion de relancer une réflexion plus large sur la politique du renseignement, sa conduite et les améliorations à y apporter.
Je ferai à cet égard deux observations.
La première concerne le cadre juridique dans lequel s'exerce l'action des services. De nombreux pays sont dotés d'une législation donnant une véritable assise juridique aux services de renseignement.
Ces législations fondent l'action de ces services sur des modes dérogatoires au droit commun, autorisent leur accès à certains types de fichiers ou de données, garantissent la protection du secret sur leurs activités et sur leurs sources. En outre, elles établissent les règles applicables aux services, à leurs responsables et à leurs agents en cas de procédure judiciaire.
Une question se pose : disposons-nous en France de règles solides et efficaces dans ces différents domaines ?
Pour notre part, nous pensons qu'il serait utile de réfléchir aux moyens de renforcer la sécurité juridique de l'action des services et de leurs personnels, par exemple en posant clairement dans la loi le principe de la protection des sources de renseignement ou les règles applicables en matière de procédures judiciaires. Nous pourrions réfléchir à ces questions.
Ma seconde observation concerne la conduite de la politique du renseignement.
La coordination entre services en constitue l'un des volets et, dans ce domaine, une première orientation a été fixée mercredi dernier en conseil des ministres, avec le lancement d'un « chantier » sur la fusion des services de renseignement, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques.
Outre cette question, se pose celle du lien entre les services et l'autorité politique qui doit orienter leur action.
Il a beaucoup été question, durant la campagne électorale, de la création d'un conseil de sécurité nationale, ce qui serait, selon nous, une bonne chose. Une telle structure aurait évidemment un rôle de premier plan à jouer en matière de renseignement : elle permettrait aux hautes autorités de disposer d'une information directe et régulière, puis d'orienter en conséquence l'action des services.
Monsieur le secrétaire d'État, même si vous ne pouvez nous répondre dès aujourd'hui, nous souhaiterions que vous nous donniez quelques précisions sur les objectifs de la démarche envisageant une fusion des services et sur la création éventuelle d'un conseil de sécurité nationale, qui aurait des incidences en matière de politique de renseignement.
Ces questions anticipent sans doute quelque peu sur les sujets dont aura à débattre la future délégation parlementaire pour le renseignement. Elles sont importantes, et le président Serge Vinçon et moi-même sommes persuadés que le Parlement disposera, avec la délégation, d'un moyen d'appréciation particulièrement précieux.
C'est pourquoi la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous encourage, mes chers collègues, à approuver ce projet de loi, assorti des amendements qu'elle vous propose. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Motion d'ordre
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, pour la clarté de nos débats, la commission des lois propose au Sénat d'examiner en premier lieu l'amendement n° 26 de M. Peyronnet, qui récrit l'ensemble de l'article unique. Cela nous évitera d'examiner en discussion commune les trente amendements et sept sous-amendements déposés sur ce texte et nous pourrons ainsi procéder paragraphe par paragraphe.
M. Jean-Claude Peyronnet. Très juste !
Mme la présidente. Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;
Groupe socialiste, 31 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 10 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 7 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Patrice Gélard.
M. Patrice Gélard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, après plusieurs tentatives avortées, nous allons examiner, et avec une grande satisfaction, le projet de loi portant création d'une délégation parlementaire pour le renseignement. Il constitue la première manifestation claire d'un Gouvernement en faveur d'une association plus étroite du Parlement aux questions de renseignement.
En tout premier lieu, je tiens à remercier le Gouvernement, et plus particulièrement le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, Roger Karoutchi, qui étrenne ainsi devant nous ses fonctions, d'avoir inscrit aussi rapidement à l'ordre du jour du Sénat le projet de loi créant une délégation parlementaire pour le renseignement. C'était une promesse du Président de la République, et nous sommes heureux qu'elle soit tenue dans des délais aussi brefs. C'est de très bon augure et de très bonne méthode pour l'avenir et pour les réformes que nous allons engager !
Je ne reviendrai pas en détail sur ce projet de loi, les rapporteurs de nos commissions respectives, dont je salue le travail remarquable, l'ayant présenté et analysé de façon très complète. Je souhaiterais cependant souligner quelques points qui me semblent importants.
La grande complexité de ce texte tient dans le juste et très difficile équilibre à trouver entre secret, transparence et démocratie. Comment en effet assurer correctement et démocratiquement l'information du Parlement sur des sujets dont le caractère secret est une composante non seulement inhérente aux services spécialisés mais absolument vitale à la sécurité intérieure et extérieure de notre pays ?
Transparence et secret : beau sujet de réflexion, surtout lorsque la dialectique de la transparence et du secret concerne les services de renseignement et l'information du Parlement, c'est-à-dire tout à la fois la protection de la démocratie et la condition même de son expression et de son existence. Transparence et secret, les vertus de l'un sont les limites de l'autre ; l'opposition entre ces deux termes est irréductible. Il reste le problème de leur articulation concrète, qui constitue un véritable défi pour le politique.
Aujourd'hui, la transparence n'est plus seulement un droit, elle est une exigence morale. Elle est la pierre angulaire sur laquelle repose notre société actuelle. Tout doit être transparent, et ce qui est caché devient mystérieux, voire suspect. Mais, parallèlement à cette montée de la transparence, le secret exprime un aspect essentiel de notre civilisation : la protection de l'individu et, au-delà, la protection de la nation.
Le secret nous est nécessaire et, pour ce qui nous concerne aujourd'hui, c'est-à-dire la sécurité nationale et la protection de nos intérêts, il est souvent vital. Tout ne peut pas et ne doit pas être transparent. Aujourd'hui, la transparence, symbole d'ouverture et de liberté, érigée au rang de « valeur », sert de prétexte ou de justification à des discours ou à des actions parfois obscures. Elle est une utopie qui, dévoyée ou récupérée, peut entraîner des dérives mettant en danger nos libertés, notre démocratie et sa capacité d'action face à une menace.
Transparence, je n'aime guère ce mot, ni son opposé, celui d'opacité, lorsqu'ils sont utilisés à propos de la chose publique. La transparence, nous dit le dictionnaire, est la qualité de ce qui laisse apparaître la réalité tout entière. Or je pense que l'on ne peut exiger de l'administration, ni d'ailleurs de quelque personne physique ou morale que ce soit, de faire apparaître sa réalité tout entière.
Il existe, chez les personnes physiques, la barrière infranchissable de l'intimité, qui protège notre « misérable petit tas de secrets ». L'entreprise bénéficie du secret des affaires, dont les contours sont d'ailleurs assez incertains. De même l'administration, considérée comme le support logistique des gouvernants, est nécessairement le dépositaire de certains secrets liés aux délibérations des autorités responsables, à la préparation ou à l'exécution de leurs décisions, aux relations diplomatiques, et bien entendu à la sécurité extérieure ou intérieure de l'État.
Ne parlons donc pas de transparence, qui ne pourrait être que relative. Parlons plutôt du droit à l'information et à la communication qui est, je le rappelle, un droit légitime et fondamental du Parlement.
La création d'une instance parlementaire spécialisée dans le domaine du renseignement est particulièrement évoquée, de longue date, tant dans les deux assemblées qu'à l'extérieur du Parlement. Elle trouve sa justification fondamentale dans un souci d'exigence démocratique, mais semble également de nature à conforter et à valoriser la politique du renseignement, plus que jamais essentielle pour notre sécurité nationale, pour peu que soient bien prises en compte les spécificités propres aux services concernés.
Ce projet de loi revêt à nos yeux une double importance.
D'abord, il répond à une exigence démocratique en créant, au nom du droit à l'information du Parlement et de son droit de contrôle, une délégation parlementaire pour le renseignement, organe commun à l'Assemblée nationale et au Sénat, avec le souci de respecter le caractère secret des activités des services concernés.
Ensuite, il met fin à ce qui a pu être qualifié de singularité française en Europe et dans l'ensemble des démocraties occidentales, la France étant le seul pays où il n'existe pas d'instance parlementaire chargée spécifiquement du contrôle des services de renseignement, comme l'a souligné le rapporteur, René Garrec.
Pour être efficace, la mission de contrôle confiée au Sénat exige une information permanente, riche, diversifiée et proche de l'actualité. La création d'une délégation commune aux deux assemblées parlementaires doit permettre d'informer correctement le Parlement sur l'activité des services de renseignement placés sous l'autorité des ministres de la défense et de l'intérieur, tout en préservant le caractère secret de leurs activités.
Il s'agit donc de concilier un impératif de discrétion, particulièrement fondamental dans les domaines sensibles concernés - je pense notamment à la lutte contre le terrorisme - avec l'exigence démocratique d'une légitime information du Parlement sur l'activité générale et les moyens des services de renseignement. Et cette démarche législative demande un grand pragmatisme de notre part.
Dans cette optique, la future délégation parlementaire est conçue par le projet de loi comme un organe de suivi de l'activité de ces services. Elle ne doit pas être considérée comme un organe de contrôle au sens traditionnel du terme. Son caractère commun aux deux assemblées permet de faciliter la préservation du secret en limitant le nombre d'intervenants. Il devrait également favoriser la construction d'une relation de confiance avec les services de renseignement, qui n'auront dès lors qu'un seul interlocuteur. Cela suppose également de notre part une parfaite coordination entre les deux assemblées pour que la délégation soit efficace, coordination qui, on le sait, ne va pas toujours de soi.
Cette délégation doit surtout s'inscrire dans une prise en compte plus affirmée, au niveau politique, des enjeux du renseignement, qui est, ne l'oublions pas, une fonction régalienne de la République.
Par ailleurs, la délégation comprendra un nombre très réduit de membres. Le projet prévoit trois députés et trois sénateurs, soit six membres. Nos commissions, et le groupe UMP y est favorable, souhaitent augmenter ce chiffre en le portant à huit, soit quatre députés et quatre sénateurs. Si l'effectif doit rester restreint, c'est que le respect du secret doit, lui, rester une préoccupation majeure.
Ensuite, et peut-être surtout, les missions de la délégation sont bien délimitées. Les informations et les éléments d'appréciation fournis à la délégation seront relatifs au budget, à l'activité générale et à l'organisation de ces services, à l'exclusion notamment de leurs activités opérationnelles, de leurs relations avec les services étrangers ou de données pouvant mettre en péril la vie des agents.
Tout cela paraît logique dans la mesure où nous souhaitons, je le répète, préserver l'efficacité de l'action des services en posant certaines limites à l'étendue des informations à caractère secret dont pourra connaître la délégation. Cependant, nous soutenons le souhait des rapporteurs de préciser les missions de la délégation et ses pouvoirs d'information. Quant à l'articulation avec la commission de vérification des fonds spéciaux, je crois que nous devons trouver une solution satisfaisante pour tout le monde.
En conclusion, je dirais que la création d'une délégation parlementaire pour le renseignement constitue une grande nouveauté non seulement pour le Parlement, en lui permettant d'être informé et associé aux questions de renseignement, mais aussi pour les services spécialisés, car ce nouvel organe doit contribuer à une meilleure prise en compte de la politique du renseignement et de ses enjeux, politique plus que jamais essentielle pour notre sécurité nationale. C'est la raison pour laquelle le groupe UMP votera ce texte tel qu'il sera amendé par les deux commissions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Luc.
Mme Hélène Luc. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la création d'une délégation pour le renseignement qui nous est proposée par ce projet de loi s'imposait. C'est une avancée.
Il est en effet anormal qu'une grande démocratie comme la nôtre soit, avec le Portugal, l'une des rares dans lesquelles le Parlement n'exerce aucun contrôle sur l'activité des services de renseignement. Il est aussi anormal que le Parlement ne puisse exercer, comme le lui reconnaît la Constitution, sa fonction de contrôle de l'ensemble de l'activité gouvernementale, y compris donc les services de renseignement.
Ces services ne sont pas le « bras armé » de tel ou tel gouvernement. Composés de fonctionnaires, ce sont des services de l'État qui doivent défendre les intérêts de la nation et dont la mission première est, comme on le reconnaît fort justement dans l'exposé des motifs, de contribuer « à assurer la sécurité de nos concitoyens ».
Trop souvent, l'histoire de notre République fut polluée par l'utilisation de ces services dans des opérations de manipulations politiciennes qui n'avaient qu'un lointain rapport avec la défense de l'intérêt national et la sécurité de nos concitoyens.
Je pense évidemment à l'affaire Clearstream qui, à l'évidence, a démontré que notre démocratie avait dans ce domaine encore de grands progrès à faire en termes de transparence et d'efficacité. L'information et le contrôle du Parlement auraient pu certainement contribuer à éviter les dérives qui se sont produites.
Mais là ne réside pas le principal intérêt de la création de cette délégation. Des raisons de fond, essentiellement, en expliquent la nécessité. Comme l'indique notre rapporteur pour avis, M. Serge Vinçon, il n'est pas bon, il n'est pas sain que le renseignement demeure à l'écart du débat national. Cela alimente méfiance et suspicion.
C'est pourquoi, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, je veux exprimer notre exigence démocratique que soient mieux pris en compte, au niveau politique, les enjeux du renseignement et ce qui en découle. Par là, il faut entendre la nécessité d'une représentation pluraliste et de la publication du rapport de cette délégation afin que tous les élus et les citoyens puissent avoir une information directe et non déformée par voie de presse.
Fin assembleur / GOD / cote 0021séance n° 073, 16h 00
Lors des auditions du 13 juin - je tiens d'ailleurs à en souligner ici le grand intérêt -, certaines interventions, notamment celle de M. Warusfel, avocat et maître de conférence, m'ont confortée dans cette opinion.
Cela permettrait aussi de légitimer l'action des services et de rendre crédible notre délégation.
Il faut bien sûr trouver une formule conciliant l'exigence de confidentialité et celle de l'information du Parlement et du public.
Face aux menaces multiformes qui pèsent aujourd'hui sur la sécurité de notre pays et de l'Europe, l'outil militaire et la dissuasion nucléaire ne sont plus que des éléments parmi d'autres de notre dispositif de sécurité nationale.
La création de cette instance est également rendue nécessaire pour des raisons budgétaires et démocratiques. Par le contrôle qu'elle exercera et les informations qu'elle recueillera, cette instance permettra assurément une meilleure appréciation des contraintes et des besoins des services par les parlementaires.
Il faut dire que le renseignement, avec les services qui en ont la charge, a acquis une importance accrue depuis le 11 septembre.
Or il apparaît que, pour des raisons d'efficacité et de coordination, le pilotage et l'organisation de la sécurité nationale tendent à être concentrés au plus haut niveau de l'État.
Parallèlement, on s'oriente également, à l'instar de ce qui existe déjà dans d'autres grands pays, vers la création d'un service unique du renseignement civil par la fusion de la direction de la surveillance du territoire et de la direction centrale des renseignements généraux. C'est en tout cas le sens de la communication qui a été faite en conseil des ministres, mercredi dernier, bien qu'aucun calendrier n'ait été fixé concernant une réflexion sur la nature et le périmètre exacts du service.
Les choses sont donc bien plus avancées qu'il n'y paraît de prime abord. L'emménagement de ces deux services dans un immeuble commun n'est pas que symbolique, car, dans cette affaire comme dans d'autres, l'intention du Président de la République est d'aller vite, quitte à brûler les étapes et à passer outre la volonté des personnes concernées, orientant ainsi le régime vers une plus grande présidentialisation.
Je souhaite que nous ayons réellement la possibilité d'approfondir cette question et de prendre le temps de la réflexion lors de la discussion de la prochaine loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure.
Ces réflexions en cours sur les modifications de structures et la centralisation des lieux de décision renforcent la nécessité d'un contrôle parlementaire, c'est-à-dire d'un contrôle démocratique.
C'est aussi une question de légitimité et de confiance. À cet égard, je me permettrai de citer un grand professionnel de ces questions, le directeur de la DST, M. Pierre de Bousquet : « Dans toute démocratie moderne, la confiance accordée aux services dépend de la capacité des autorités politiques à contrôler leurs activités ».
Les spécialistes de ce domaine et les acteurs eux-mêmes reconnaissent que notre dispositif en matière de sécurité nationale est obsolète, et ce pour une raison assez simple : il a peu et mal évolué depuis sa création, qui remonte aux années cinquante.
Les objectifs de nos services, leurs structures, leurs modes d'intervention semblent aujourd'hui inadaptés face aux menaces opaques et multiformes qui pèsent sur notre sécurité. Je pense aux crises régionales qui ne sont pas sans conséquences chez nous, aux mouvements et actes terroristes, à la prolifération des armes de destruction massive, qu'elles soient chimiques, bactériologiques ou nucléaires, à l'installation d'un bouclier antimissile en Europe, en Pologne et en Tchéquie. Même la distinction entre les dimensions intérieures et extérieures de la sécurité nationale est beaucoup plus floue qu'auparavant.
Remédier à tout cela ne tient pas qu'à des questions d'organisation et de structures. Il faut aussi des moyens humains et matériels, en particulier en matière de haute technologie, ce qui a un coût.
C'est pour remédier à ces carences qu'il est vraiment devenu nécessaire de posséder, comme l'indique à juste titre M. Vinçon dans son rapport pour avis - mais je pourrais également citer le rapport de M. Garrec -, une instance parlementaire ayant compétence non seulement sur l'organisation et les missions des services, mais aussi sur les moyens humains et techniques dont ces derniers disposent.
Les parlementaires membres de cette délégation, mieux informés et plus avertis des réalités du monde du renseignement, seront ainsi mieux à même de sensibiliser leurs collègues sur les chapitres budgétaires des ministères concernés.
Entendons-nous bien, il s'agit pour les parlementaires non pas d'avoir un droit de regard a priori sur l'affectation des fonds utilisés, mais de pouvoir voter les budgets alloués aux services en toute connaissance de cause, pour répondre aux exigences de la sécurité nationale.
Pourtant, cette possibilité de contrôle existe déjà en partie avec une commission composée de parlementaires et de magistrats de la Cour des comptes, chargée depuis 2002 de vérifier a posteriori l'utilisation des fonds spéciaux par les services du même nom. Mais il ne s'agit que d'une ébauche de contrôle parlementaire, au travers d'une vérification administrative a posteriori, classée de surcroît « confidentiel défense », des fonds utilisés.
Une autre raison de fond justifiant pleinement l'instauration d'un contrôle parlementaire sur l'activité des services de renseignement est d'ordre démocratique. Cette idée n'est pas nouvelle. Elle date de 1999, époque à laquelle ont été déposées des propositions de loi sur ce sujet. Elle a ensuite resurgi en 2002 lors de l'examen d'un projet de loi sur le terrorisme.
En effet, en accordant de nouveaux moyens aux services concernés, notamment la consultation directe des fichiers de cartes grises ou des passeports en s'affranchissant des réquisitions de la justice, la loi soulevait pour plusieurs d'entre nous la délicate question du maintien de l'équilibre entre la limitation des libertés publiques et les impératifs liés à la sécurité de nos concitoyens. Cela renforçait par là même l'urgence d'une possibilité de contrôle parlementaire sur les services concernés, puisque, dans notre tradition politique républicaine, le pouvoir exécutif exerce dans ce domaine une autorité sans partage.
Cela étant, ce projet de loi est-il satisfaisant ?
Il représente bien évidemment une avancée par rapport au contrôle quasiment inexistant qui prévaut aujourd'hui. C'est donc une bonne chose.
Certes, il préserve l'équilibre entre, d'une part, l'information réelle et fiable à laquelle a droit la représentation nationale afin de se prononcer en connaissance de cause et, d'autre part, la nécessité évidente de protéger, je le répète, la confidentialité des activités opérationnelles.
Mais face aux enjeux et à la nouvelle configuration des services qui s'annonce, ce projet de contrôle parlementaire manque d'ambition. Il est trop timide. Il entrouvre une fenêtre là où il faudrait l'ouvrir en grand. La commission des lois et la commission des affaires étrangères en ont d'ailleurs eu conscience, puisqu'elles proposent un certain nombre d'améliorations, auxquelles nous souscrivons certes mais qui nous semblent quand même insuffisantes.
Porter l'effectif de la délégation parlementaire à huit membres ne permettra pas ce que nous demandons, à savoir la représentation de tous les groupes du Sénat et de l'Assemblée nationale. Nous proposerons donc d'aller plus loin afin que le pluralisme de la composition de chaque assemblée puisse être respecté. Il ne serait en effet pas pensable que tous les groupes n'aient pas accès aux mêmes informations et ne disposent pas des mêmes droits.
De même, nous souhaitons l'élargissement des possibilités de procéder à des auditions afin de permettre à la délégation de bénéficier de la réflexion de personnalités qualifiées extérieures aux services de renseignement, mais bien évidemment en accord avec les directeurs de service. Tel est l'objet de notre deuxième amendement.
Nous approuvons également les amendements des commissions tendant à ce que le rapport de la commission de vérification des fonds spéciaux soit adressé à la délégation parlementaire pour le renseignement. Le travail réalisé par cette commission peut en effet être complémentaire de celui de la délégation.
En théorie, la création de cette délégation parlementaire pour le renseignement procède de la volonté de donner un pouvoir de contrôle à la représentation nationale.
Nous serons toutefois très vigilants sur la réalité du fonctionnement de cette délégation dans l'avenir ainsi que sur l'intérêt et la fiabilité des informations qui lui seront communiquées.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous le comprendrez, notre vote dépendra du sort qui sera réservé à nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Boulaud.
M. Didier Boulaud. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui réunis pour tenter de mettre fin à une singularité française, que dis-je à une véritable anomalie de notre système démocratique ! En effet, comme le reconnaît le rapporteur, M. Garrec, « [...] notre Parlement [est] le dernier des grandes démocraties occidentales à ne pas être doté d'un organe parlementaire ad hoc dédié au suivi ou au contrôle des services de renseignement ».
En effet, la France ne dispose pas d'une structure parlementaire ou « paraparlementaire » de contrôle des services de renseignement. Il n'est pas souhaitable, au nom bien sûr de l'efficacité, que le Parlement s'immisce dans les affaires de renseignement, nous a-t-on souvent dit. Or la généralisation quasi totale de ce type de contrôle fait douter que l'existence d'une telle commission soit un frein à l'action des services de renseignement, ici ou ailleurs.
Sur un tel sujet, un peu d'histoire est indispensable. Toutefois, point n'est nécessaire de remonter jusqu'à l'affaire Dreyfus ou d'exposer ici ce qu'un livre récent appelle l'histoire secrète de la Ve République. Il suffirait de rappeler dans l'histoire proche les nombreuses demandes des parlementaires qui ont réclamé, ici même ou à l'Assemblée nationale, voilà encore quelques mois, la création d'une telle instance parlementaire pour le renseignement.
Mes chers collègues, nos rapporteurs ont très bien relaté cette histoire, et je n'y reviendrai donc pas dans le détail. Laissez-moi toutefois évoquer un souvenir personnel.
À la lueur crépusculaire du XXe siècle finissant, j'ai eu l'honneur de présider les réunions de la commission de la défense de l'Assemblée nationale consacrées au débat et à l'adoption de la proposition de loi Quilès, Paetch, Boulaud, Sandrier, Voisin tendant à la création de deux délégations, propres à chaque chambre, chargées du suivi des services de renseignement. Cette proposition de loi, déposée le 25 mars 1999, fut adoptée par la commission de la défense et des forces armées le 23 novembre 1999. Elle est restée lettre morte, hélas ! Je me souviens aussi que le représentant du RPR, M. Galy-Dejean, avait voté contre cette proposition de loi en considérant que « la culture du renseignement en France n'avait rien de commun avec celle que connaissent d'autres pays et que les exemples étrangers n'étaient pas transposables ». Je suis heureux de constater que le RPR d'hier, devenu aujourd'hui l'UMP, a changé d'avis.
À la même époque, en février 1999, M. Vinçon, notre rapporteur pour avis d'aujourd'hui, déposait devant le Sénat une proposition de loi sur le même sujet. Celle-ci portait création de comités parlementaires à l'évaluation de la politique nationale de renseignement à l'Assemblée nationale et au Sénat. En proposant une instance dans chaque assemblée, il avait déjà raison !
Je souhaite donc reprendre cette idée, à mon avis bonne, émise naguère par M. Vinçon et par les députés déjà cités, de créer une délégation dans chaque assemblée. Mon collègue M. Peyronnet reparlera de ce point lors de l'examen de l'article unique du projet de loi en présentant une proposition concrète.
Revenons sur une histoire encore plus récente : lors du débat sur le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme, M. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, proposa, en réponse aux amendements des députés et des sénateurs, la création d'un groupe de travail réunissant les représentants des groupes parlementaires des deux assemblées et les fonctionnaires au plus haut niveau des services de renseignement.
Les conclusions de ce groupe de travail devaient être rendues avant le 15 février 2006 afin qu'une proposition de loi ou un projet de loi puisse être rapidement déposé.
Or cette promesse ne fut que partiellement tenue. S'il y a bien eu un projet de loi, déposé par M. Cuq, il n'y a pas eu de groupe de travail comprenant des parlementaires, a fortiori des parlementaires de l'opposition !
Je m'interroge : cette promesse non tenue explique-t-elle que ce projet de loi soit si peu attentif aux propositions exprimées naguère par les parlementaires ?
Pendant la dernière campagne électorale, l'heure était à la dénonciation du domaine réservé du chef de l'État. Il s'agit maintenant de confronter les promesses à la dure réalité de l'action, notamment de l'action parlementaire.
Nous ne devons pas nous contenter d'un « moignon » de commission ou d'un office quelconque donnant l'impression qu'une information est communiquée alors que le domaine du secret est étendu. Nous devons obtenir des droits nouveaux, dont de véritables capacités d'enquête et de contrôle.
Cela procède d'une gestion tout à la fois moderne et démocratique de la chose publique. Sinon, le domaine réservé du chef de l'État, condamnable et si condamné en période électorale, aura encore de beaux jours devant lui !
Bien évidemment, le travail parlementaire en ce domaine doit respecter strictement des règles et des normes différentes du travail parlementaire classique. Le secret défense s'impose à nous et nous oblige. Le maniement des informations classifiées doit bien évidemment s'effectuer avec précaution.
La difficulté du travail des parlementaires en matière de renseignement, difficulté bien connue en France et à l'étranger, réside dans la nécessité d'assurer la protection maximale des informations couvertes par le secret défense ainsi que dans une certaine culture du secret qui dépasse parfois le raisonnable.
Toutefois, nous n'acceptons pas les préjugés inutiles ou les procès d'intention : depuis 2002, le travail de la commission de vérification des fonds spéciaux accepté par la « communauté du renseignement » témoigne qu'il est possible d'oeuvrer de manière responsable et sérieuse pour le plus grand bénéfice du Parlement, du Gouvernement et des services en question.
Il faut, bien entendu, faire preuve de précaution et de vigilance. Certes, l'action et la réussite des services de renseignement dépendent en grande partie du secret qui entoure les activités de ces derniers. Néanmoins, trop de secret tue le secret, et le mystère qui accompagne trop souvent nos services de renseignement n'aboutit qu'à conforter une réputation parfois sulfureuse.
La question de la confiance mutuelle est essentielle : s'il n'y a rien de répréhensible à cacher, pourquoi prêter le flanc aux critiques ?
Il faut établir et développer une relation de confiance entre les parlementaires et les responsables des services. Je dirai également qu'il ne faut pas s'arrêter en si bon chemin. Il faut que la confiance et le respect règnent aussi entre les citoyens et tous les agents de ces services, agents qui sont avant tout au service de la République et non pas au service d'un parti ou d'un clan !
Ainsi un apport non négligeable de ce projet de loi pourrait-il être de sortir le monde du renseignement de son isolement actuel. On éviterait ainsi les malsaines tentations d'utiliser ces services à des fins partisanes ou personnelles, tentations qui font les délices d'un hebdomadaire satirique aimant bien se déchaîner quand il s'agit des barbouzes !
Je me félicite de constater qu'aujourd'hui un consensus existe et que chacun s'accorde à penser que le suivi parlementaire des services de renseignement est utile à la démocratie.
Toutefois, le Parlement se heurte aux frontières imposées par le secret défense. Il faut que cette situation évolue.
Comme les rapporteurs du Sénat l'ont signalé, à l'heure actuelle, la seule limite réelle, acceptable, à la compétence du Parlement est celle qui a été tracée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 décembre 2001 concernant son intervention dans les opérations en cours.
Le moment est venu de créer une instance parlementaire spécialisée ayant accès aux informations classifiées dans le cadre du strict respect de règles de confidentialité et du secret défense.
L'existence de deux délégations, une à l'Assemblée nationale et une au Sénat, pourra contribuer efficacement au développement d'une culture du renseignement en France.
L'évolution du contexte stratégique, la construction européenne, l'apparition de réseaux criminels transfrontaliers, la menace terroriste font que, à l'heure actuelle, la distinction entre les dimensions intérieures et extérieures de la sécurité nationale est devenue moins évidente, moins pertinente.
Face à des menaces opaques, multiples et diverses, l'État mobilise toute une panoplie qui comprend les moyens du ministère de l'intérieur - la Direction de la surveillance du territoire et la Direction centrale des renseignements généraux -, du ministère de la défense - la Direction du renseignement militaire, la Direction de la protection et de la sécurité de la défense et la Direction générale de la sécurité extérieure -, du ministère de la justice - section antiterroriste du parquet de Paris - et du ministère de l'économie et des finances - douanes, TRACFIN.
Face à la nouvelle donne stratégique, le renseignement est le pivot de la sécurité nationale.
Le renseignement est ce qui peut permettre une action efficace dans le domaine de la sécurité à partir d'une action de prévention, c'est-à-dire en agissant avant que la menace ou le péril ne devienne trop dangereux
Dans un cadre de mondialisation de l'économie et de relations internationales instables, le besoin de renseignements est indispensable. Il constitue le premier rempart et la première des actions destinées à protéger la population française.
Les menaces sont en constante évolution. L'efficacité de ces services se mesure à leur capacité à anticiper, à empêcher les menaces en amont, très en amont...
Il est difficile de mesurer l'efficacité et la performance de ces services. En effet, c'est quand il ne se passe rien qu'ils sont performants.
Or cet état de fait est mal accepté par les médias et par un certain public avide de sensations fortes et d'images choc.
Par ailleurs, l'opacité dans laquelle baignent les actions des services n'arrange pas les choses. La transparence démocratique sera donc la bienvenue afin d'éviter les malentendus.
Cette première ligne de défense, comme on la qualifie parfois, est constituée des services de renseignement, qui se divisent en France en service de renseignement intérieur - notamment la DST et la DCRG - et de renseignement extérieur - principalement la DGSE. Leur coordination est toujours un sujet problématique.
Si certaines structures sont chargées de cette coordination - notamment le comité interministériel du renseignement, dont le secrétariat est assuré par le Secrétariat général de la défense nationale-, celle-ci n'a aucun caractère opérationnel, la coopération entre les services reposant principalement sur les relations directes entre les cadres et les agents des différents services - cela est signalé dans le rapport Marsaud déposé à l'Assemblée nationale le 16 novembre 2005.
À l'heure actuelle, il semblerait qu'un rapprochement des services devrait prendre une dimension plus concrète avec le déménagement en cours, sur un même site, à Levallois-Perret, de la DST, de la DCRG, mais aussi de la Division nationale anti-terroriste, ou DNAT, qui traite judiciairement la majorité des dossiers de terrorisme d'origine interne dont s'occupent les renseignements généraux en matière de police administrative.
Il serait à mon avis nécessaire que l'organe parlementaire que nous allons créer puisse rapidement suivre les évolutions proposées par le pouvoir exécutif en matière de renseignement.
On voit surgir des projets de fusion des services, des instances nouvelles - conseil de sécurité nationale -, des tentatives de redéfinition des rôles entre l'extérieur et l'intérieur, la défense et la police, etc.
Des interrogations se font jour sans qu'apparaisse encore la logique de la politique à l'oeuvre. Par exemple, le déménagement de la DCRG, de la DST et d'une partie de la police judiciaire dans les locaux communs à Levallois-Perret est-il l'acte de naissance non avoué aujourd'hui d'une direction générale de la sécurité intérieure ? Voilà du pain sur la planche pour les délégations au renseignement !
En conséquence, ces délégations sont une nécessité. Cependant, pour être efficaces, elles doivent remplir certaines conditions.
Tout d'abord, l'opposition doit être représentée et l'équilibre des opinions politiques doit être respecté. L'exigence d'une composition pluraliste de la délégation parlementaire doit être pleinement assurée. Un effectif trop réduit ne permettrait pas de respecter ce principe.
Nos amendements, monsieur le secrétaire d'État, iront dans ce sens. L'idée de proposer un nombre réduit de membres pour garantir le secret, comme je l'ai entendu dire tout à l'heure par l'un de mes collègues, ne nous semble pas pertinente. Laisser entendre que le respect du secret dépend du nombre de sénateurs participant à la délégation serait faire injure à la représentation parlementaire !
Ainsi, les amendements que nous avons déposés tendent à augmenter raisonnablement le nombre des membres de la délégation, tout en respectant le principe de pluralité d'opinions en son sein.
Je souhaite dire ensuite un mot sur les missions de la délégation.
Je crains que le projet de loi ne place la future délégation dans un rôle purement passif et étroit. Au contraire, la délégation doit pouvoir jouer un rôle actif. Elle doit être un organisme parlementaire vivant et non le simple spectateur de l'action gouvernementale en matière de renseignement. Une bonne définition de sa mission est donc essentielle.
Être informé n'est pas synonyme de contrôler.
Le Parlement doit aussi étudier les questions liées à la coordination des services de renseignement, aux budgets qui leurs sont alloués et à leur utilisation. Il doit également analyser les orientations stratégiques de leur travail.
Le rayon d'action doit être élargi. Le projet de loi semble limiter énormément le champ des compétences de la délégation proposée : seuls les services de renseignement placés sous l'autorité des ministres de la défense et de l'intérieur sont inclus.
Or il est nécessaire de couvrir l'ensemble des activités de renseignement ; à cet égard, je pense en particulier aux services qui dépendent du ministère de l'économie et des finances, à savoir les douanes et TRACFIN.
Je souhaite que l'on donne la priorité à une vision globale, stratégique, du renseignement, vision susceptible de couvrir toutes ses facettes : financière, politique, militaire, économique, sanitaire, spatiale, etc.
À des menaces changeantes et protéiformes, nous devons opposer un renseignement tous azimuts capable de s'adapter en permanence, et les délégations parlementaires ad hoc doivent pouvoir y contribuer.
Voilà pourquoi, monsieur le secrétaire d'État, je soutiens aussi que cet organisme inédit et novateur doit prendre en compte le caractère interministériel du renseignement en couvrant toute l'action du Gouvernement en la matière, y compris celle du Premier ministre.
Il aura à traiter la question de la coordination des services, de leur pilotage et de la définition d'orientations stratégiques les concernant.
Il ne peut s'agir d'un simple suivi du travail des services à partir exclusivement des informations transmises par les services eux-mêmes.
Interrogeons-nous : les membres de cette instance pourront-ils demander à se faire communiquer des informations et des documents qui sembleraient utiles à leur mission ? Les ministres décideront-ils seuls des informations transmises ?
Un autre point important concerne l'augmentation des personnalités susceptibles d'être auditionnées. Nous proposerons des amendements en ce sens.
Il s'agit de permettre à cette instance de connaître, d'analyser et de suivre le développement du renseignement d'une façon globale. Elle pourra aussi, si le besoin s'en fait sentir, se pencher sur l'essor du renseignement privé.
Dans le cadre strict du respect de la loi et du secret défense, les parlementaires de la délégation doivent être libres de travailler en cherchant les informations et la documentation là où elles se trouvent : auprès des ministres, bien entendu, mais aussi auprès de toute autre personne susceptible de l'éclairer. Il n'est pas acceptable que le projet de loi interdise aux parlementaires d'entendre des personnes extérieures aux services de renseignement.
Quid des agents ayant quitté le service depuis un certain temps, monsieur le secrétaire d'État, souvent très bavards dans la presse, dans des livres ou dans des émissions de télévision, et que les membres de la délégation ne pourraient pas auditionner ?
M. Jean-Claude Peyronnet. Tout à fait, ils écrivent beaucoup !
M. Didier Boulaud. Cette méfiance - pour ne pas dire plus - à l'égard du Parlement est insupportable !
En avançant cette idée, je sais que je peux compter sur l'accord d'une large majorité dans cet hémicycle. Ainsi, M. Garrec indique ceci, à la page 32 de son rapport : « Afin de permettre à la délégation de diversifier ses sources d'information, votre commission vous propose de prévoir que la délégation peut recueillir toutes les informations utiles à l'accomplissement de sa mission. »
Par ailleurs, les membres de la délégation auront toujours un oeil ouvert sur ce qui se passe en Europe parce que les risques, les dangers doivent être de plus en plus appréhendés, pour être maîtrisés efficacement, à l'échelle de l'Union européenne.
Le projet de loi prévoit que cette instance aborde l'activité générale, l'organisation, le budget et les moyens de ces services spécialisés. Ainsi nous pourrons nous pencher utilement sur les questions du recrutement et de la formation des agents pour suivre leur adaptation aux nouvelles missions en fonction de nouvelles menaces.
Que cette instance ne puisse pas connaître les activités opérationnelles en cours me semble s'inscrire dans la droite ligne de la logique gouvernementale.
Cependant, en ce qui concerne les activités opérationnelles passées, le débat doit s'ouvrir. Je pense notamment au travail qui pourrait être effectué sur des situations passées afin de mieux comprendre les situations à venir et de mieux préparer l'adaptation de nos services aux nouvelles situations.
Je suis d'accord avec la proposition de rédaction d'un rapport public qui puisse informer des travaux des délégations, tout en respectant le secret défense, bien sûr, et la confidentialité des informations recueillies.
D'autres propositions méritent que l'on s'y attarde.
Le projet de loi tend à bien délimiter la mission des délégations, notamment en ce qui concerne les informations touchant aux relations entretenues par nos services spécialisés avec des services étrangers.
Je comprends bien le pourquoi de cette limitation voulue par le Gouvernement. Toutefois, cette contrainte s'applique-t-elle seulement aux échanges d'informations et de « services » entre les services nationaux et étrangers ou doit-elle aller jusqu'à nous interdire d'analyser la politique générale qui sous-tend ces relations et, en conséquence, la direction prise par une politique de coopération et d'alliances ?
Comme le signale M. Garrec dans son rapport, la délégation, si elle avait existé, n'aurait donc pas été informée, par exemple, de la création de la cellule « Alliance-base » en collaboration avec la CIA et d'autres services occidentaux sur le territoire français.
Un autre exemple est celui des enquêtes parlementaires qui ont lieu autour du dossier dits des « vols de la CIA ». Des membres de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe ont pu mener une mission d'information en essayant d'établir les liens et les actions développées par des services des pays européens en coopérant avec des services non européens - c'est le rapport Marty présenté au Conseil de l'Europe en juin 2007.
Je m'interroge, je vous interroge, monsieur le secrétaire d'État : pourrons-nous mener un travail de ce type à l'avenir ?
Il faut faire attention à ne pas brider les capacités de l'instance que nous sommes en train de créer, à force d'en limiter les compétences ; l'effet obtenu pourrait en effet être négatif.
Malgré les imperfections que je viens de signaler, ce projet de loi a le mérite d'exister ; il constituera un premier pas dans la bonne direction si nos débats servent à apporter de substantielles modifications.
Je souhaite par conséquent que nos amendements, destinés à améliorer ce texte, soient pris en compte par la Haute Assemblée. Toutefois, je sais déjà qu'il ne faudra pas s'arrêter en si bon chemin. Les premiers travaux de ces délégations nous permettront de voir, au bout d'une année, si nous devons en rester là ou si des points doivent être améliorés.
En effet, après un si long silence des assemblées en matière de renseignement, nous allons « essuyer les plâtres », et je vois le travail de ces délégations dans un mouvement perfectible. In fine, nous aurons à réajuster et les méthodes et le champ de travail de cette instance, en coopération avec les services de renseignement eux-mêmes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, après les excellents rapports de MM. Garrec et Vinçon, le rapport de la commission des affaires étrangères ayant été présenté par M. del Picchia, et l'intervention de M. Karoutchi, je ne me livrerai pas à mon tour à une exégèse de ce texte et ne ferai pas l'historique des velléités parlementaires en ce domaine. On pourrait ainsi remonter à Daladier, en 1939, puis à ce qui s'est passé sous la IVe République, etc.
Je ferai d'abord simplement observer que nous traitons aujourd'hui des activités de quelques milliers de fonctionnaires de l'État, civils ou militaires, qui, dans un monde turbulent et difficile, s'efforcent de protéger l'ensemble de la communauté française.
M. René Garrec, rapporteur. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. Tout à l'heure, M. le secrétaire d'État a rendu hommage à ces personnels et à ceux qui les encadrent et les dirigent. Tous méritent de notre part non pas que nous leur parlions de contrôle de leurs activités, mais que nous les resituions dans l'axe général de la sécurité de notre pays, que nous leur donnions les moyens d'agir avec le maximum de technologie, d'efficacité et d'ouverture sur le monde.
C'est la raison pour laquelle les deux questions que je me pose à propos de ce texte sont les suivantes : ce projet de loi est-il opportun ? Ce projet de loi n'est-il pas trop timide ?
S'agissant de l'opportunité d'un tel texte, mon collègue et ami M. Gélard a fort bien dit ce qu'il fallait au nom du groupe UMP, et je ne reprendrai pas son propos. Il me semble bon en effet qu'il y ait un organisme unique pour les deux assemblées, une surenchère entre les deux chambres, avec la création de deux commissions spécialisées, ne me paraissant pas utile. Les commissions compétentes pour la défense et les affaires étrangères au sein de chaque assemblée suffisent à cet égard.
Le projet de loi qui nous est proposé répond à une demande très ancienne. Il offre à ceux qui dirigent les commissions compétentes de nos deux assemblées ainsi qu'à un, deux, trois ou quatre parlementaires supplémentaires, associant ainsi l'opposition, la possibilité de voir ce qui se passe, d'être informés, de suivre les problèmes d'organisation -M. Boulaud a d'ailleurs très bien exposé les problèmes se posant au sein du ministère de l'intérieur - et de savoir, dans une certaine mesure, si l'effort budgétaire de la nation permet aux différentes directions, au nombre de huit si l'on compte la direction générale des douanes et la section anti-terroriste du parquet, de faire face aux menaces qui, aujourd'hui, sont très importantes pour notre pays.
Ce texte me paraît donc opportun, et il vient à point. Il a été difficile à élaborer puisque de longues discussions avec les directeurs de tous les services intéressés ont été nécessaires. Le fait que l'ensemble de ces derniers nous aient dit, lors de leurs auditions en commission, que ce texte était parfait montre bien qu'il a été très longuement discuté avec eux... (Sourires.) S'il en fallait une preuve, nous l'avons depuis les auditions organisées par les rapporteurs !
Ce texte est opportun pour un certain nombre de raisons.
Tout d'abord, cela a été dit, il met la France au même niveau que ses partenaires européens.
Ensuite, il permet d'orienter l'action du Gouvernement et de tirer le meilleur parti des progrès de la technologie, qu'il s'agisse du domaine spatial, des drones, des satellites, des écoutes téléphoniques, ou en matière d'interception et de haute fréquence, et d'en faire bénéficier les services compétents pour faire de l'espionnage ou du contre-espionnage.
Ce texte présente, à mon avis, deux avantages supplémentaires.
Premier avantage, il marque le désir du Gouvernement et du Parlement de lutter contre le mal français le plus important, qui est le cloisonnement des activités, chacun faisant son petit travail dans son petit coin. On nous parle souvent de coordination, de centralisation et de décloisonnement ; or, chaque fois que nous allons sur place visiter les différents services, nous constatons que le cloisonnement demeure, qu'il participe d'une culture française qui nous empêche souvent d'obtenir de bons résultats. Il est donc bon qu'une délégation parlementaire permette de lutter contre le cloisonnement.
J'en viens au second avantage. Il est important d'indiquer à l'opinion publique, par une politique de communication - c'est la raison pour laquelle je suis favorable au rapport public proposé par les deux rapporteurs -, que les activités de sécurité à la fois internes et externes sont loin des romans policiers et de toutes ces séries télévisées absorbés par nos concitoyens à longueur de semaine, que les services qui s'occupent effectivement de ces activités sont constitués de gens sérieux, travaillant de manière précise, selon des orientations claires, et obtenant des résultats relativement importants.
La création de cette délégation parlementaire pour le renseignement, à condition que celle-ci puisse s'exprimer, me paraît donc un élément important à la fois pour le décloisonnement des services et pour l'amélioration de l'image du renseignement dans l'ensemble de la communauté française.
Ce texte est-il trop timide ? Telle est la seconde question que je me pose.
Contrairement à M. Boulaud et à Mme Luc qui ont estimé que, puisqu'on faisait quelque chose, il fallait faire un ensemble et aller le plus loin possible,...
Mme Hélène Luc. En effet !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... je crois qu'il faut commencer de manière modeste. Comme l'a fort bien dit M. Karoutchi tout à l'heure, le texte qui nous est présenté vise à concilier la protection du secret et l'ouverture démocratique sur nos assemblées. Par conséquent, son article unique, sur lequel de nombreux amendements ont été déposés, fait preuve de la timidité aujourd'hui nécessaire. On ne peut en effet pas passer brutalement d'un système dans lequel il n'y avait pas d'information suffisante du Parlement à un système global dans lequel il y aurait un contrôle de l'ensemble des activités par un certain nombre de parlementaires.
Entre la notion d'information et la notion de remise au coeur du dispositif du renseignement d'un système de contrôle, le projet du Gouvernement me paraît représenter un juste milieu. C'est la raison pour laquelle je voterai l'article unique, modifié par les amendements des deux commissions.
Permettez-moi maintenant d'apporter un témoignage.
En 2001, après que le Gouvernement eut supprimé les fonds spéciaux qui servaient à beaucoup de choses, comme je l'ai moi-même autrefois constaté - m'étant occupé des fonds spéciaux quand j'étais au Gouvernement, je sais un peu de quoi je parle -, a été créé un organisme de contrôle des fonds spéciaux utilisés en matière de renseignement, comprenant deux députés, deux sénateurs et deux membres de la Cour des comptes. Les membres de cette commission, qui travaillent dans le secret le plus absolu, ont examiné de manière précise l'usage que faisaient de ces fonds la DST, la DGSE, le groupement des communications téléphoniques, mais aussi le Quai d'Orsay, qui disposait de quelques-uns de ces fonds, la direction du renseignement militaire et les renseignements généraux n'ayant, quant à eux, pas de fonds spéciaux.
Le périmètre d'intervention de cette commission est donc limité, plus limité que celui qui est prévu par le texte dont nous discutons.
Étant membre de cette commission aux côtés de mon collègue M. Marc pour le Sénat et de MM. Galy-Dejean et Quilès pour l'Assemblée nationale, je constate que, progressivement, notre pouvoir d'intervention et de contrôle a été accepté par les services. Il n'y a en effet eu aucune objection et aucune manoeuvre de la part de ces derniers. Je tenais à en témoigner, car j'ai connu des services administratifs qui auraient résisté à de telles velléités de contrôle. Ceux-là nous ont ouvert leur comptabilité, bien entendu dans le respect de l'anonymat et du secret des opérations. Il serait en effet absurde que des parlementaires demandent pourquoi il a été décidé d'envoyer telle mission à tel endroit. Mais les rapports que nous avons faits depuis 2002 permettent d'y voir plus clair sur le fonctionnement de l'ensemble de ces services qui sont sans arrêt confrontés à des problèmes de mises à jour technologiques.
En effet, la technologie évoluant constamment, il y a toujours un décalage, par exemple en matière de cryptographie, et il faut alors envisager des opérations s'écartant des procédures un peu lourdes des marchés publics. Les fonds spéciaux trouvent alors toute leur utilité.
Je peux témoigner du fait que, dans tous les services, notamment à la DGSE et à la DST, qui ont été les deux services les plus consommateurs de fonds spéciaux et les plus vérifiés, nous avons obtenu tous les renseignements voulus. Non seulement nous avons pu voir comment s'effectuait, au niveau central, la comptabilisation des dépenses, mais je suis moi-même allé à l'étranger vérifier comment fonctionnaient certains postes de différents services, comment étaient organisées les liaisons entre un poste à l'étranger et l'organisation centrale. J'ai pu constater que cela fonctionnait dans des conditions convenables et que l'argent était utilisé selon des objectifs parfaitement clairs, afin d'obtenir des résultats en matière de renseignement.
La question soulevée au travers des amendements déposés par les deux commissions est de savoir si la commission de vérification des fonds spéciaux, qui subsiste et qui comprend donc quatre parlementaires et deux membres de la Cour des comptes, doit transmettre son rapport à la délégation parlementaire pour le renseignement.
Honnêtement, je ne le pense pas dans la mesure où le projet de loi précise que la délégation parlementaire ne s'occupera pas du financement des opérations en cours ou passées. À partir du moment où la délégation parlementaire ne doit pas connaître du financement des opérations, il me paraît souhaitable de maintenir la séparation entre la commission de vérification des fonds spéciaux et la délégation parlementaire pour le renseignement. Nous verrons plus tard s'il est nécessaire de procéder à une modification.
Si le Gouvernement avait été beaucoup plus aventureux, il aurait fusionné les deux missions et créé une délégation parlementaire qui aurait été à la fois informée des orientations générales et chargée de vérifier l'utilisation des fonds spéciaux.
M. Didier Boulaud. C'est ce que nous proposons !
Mme Hélène Luc. En effet !
M. Jean-Pierre Fourcade. C'était une possibilité, mais il n'a pas souhaité le faire. Il a préféré conserver la distinction entre la commission de vérification des fonds spéciaux, d'un côté, et la délégation parlementaire pour le renseignement, de l'autre. Je suis persuadé que, dans quelques années, une restructuration interviendra.
Avant le passage à la discussion, point par point, de ce texte, il me paraît essentiel d'exprimer notre estime à toutes les administrations et à tous les personnels civils ou militaires qui travaillent dans ce secteur. Par ailleurs, nous devons nous féliciter des premiers efforts de coordination et de décloisonnement que nous constatons, sinon à l'étranger - j'ai pu personnellement observer que le cloisonnement subsiste à l'étranger -, du moins sur le plan national.
Enfin, il nous faut nous féliciter que l'ensemble de nos collègues et l'opinion publique puissent désormais avoir accès à des informations objectives sur le fonctionnement de notre système de renseignement, et ce dans le respect de l'anonymat des acteurs et du secret défense. Nos concitoyens ont en effet besoin d'être rassurés face aux turbulences du monde actuel et aux inquiétudes qu'elles suscitent.
L'article unique du présent projet de loi, qui associe le Parlement à cette démarche, mérite donc d'être adopté, assorti des différents amendements présentés par M. le rapporteur et M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de remercier brièvement M. le rapporteur et M. le rapporteur pour avis, ainsi que les différents orateurs.
Je voudrais apporter quelques éléments complémentaires avant que nous n'entamions l'examen des amendements.
Tout d'abord, et tout le monde s'accorde sur ce point, le présent projet de loi constitue un premier pas dans l'association du Parlement aux questions de renseignement. En réalité - cela a été souligné à la fois par M. le rapporteur et par M. Fourcade -, ce texte législatif est l'aboutissement d'une longue maturation entre les commissions du Parlement et les directeurs des services de renseignement.
Certes, le dispositif est perfectible ; d'aucuns peuvent effectivement considérer que ce premier pas est insuffisant, en faisant référence à ce qui se pratique parfois à l'étranger. De même, Mme Luc et M. Boulaud ont évoqué la proposition de loi déposée en 1999 par M. Paul Quilès, ...
Mme Hélène Luc. Oui !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. ... ainsi que d'autres précédents. L'un des orateurs a même souligné que nous pourrions remonter jusqu'à l'époque d'Édouard Daladier. Peut-être n'est-il pas nécessaire d'aller jusque-là... (Sourires.)
Pour autant, la volonté de la part du Gouvernement d'avancer sur ce dossier est réelle. Au terme d'un long débat et d'une lente maturation, nous souhaitons qu'un tel dispositif soit enfin adopté.
C'est pourquoi, et je m'adresse tout particulièrement aux auteurs de certains amendements, modifier substantiellement le présent projet de loi reviendrait soit à considérer que la maturation a été insuffisante, auquel cas il serait encore trop tôt pour légiférer dans ce domaine, soit à réclamer un dispositif totalement différent, ce qui aurait pour effet de renvoyer aux calendes grecques l'examen du texte législatif actuel.
Pour ma part, je suis d'accord avec certains des propos qui ont été tenus : la création d'une telle délégation parlementaire ne constitue effectivement qu'un premier pas. Mais si nous voulons qu'une véritable relation de confiance s'instaure entre le Parlement et les services de renseignement, cette première étape doit être franchie.
M. Robert del Picchia. Absolument !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je souscris à ce que disait tout à l'heure M. Boulaud : nous pourrons toujours évaluer l'efficacité de cette nouvelle instance parlementaire au bout d'un an et voir si des modifications ou des transformations s'imposent.
M. Jean-Claude Peyronnet. Est-ce un engagement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Non, monsieur le sénateur ! Je ne peux pas prendre un tel engagement alors que personne, pas même M. Boulaud, ne sait par avance quel sera le bilan du dispositif dans un an !
Mme Hélène Luc. Mais il faut tout de même envisager le maximum de cas possibles lorsque nous élaborons la loi !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Cela dit, puisque chacun admet que la création de la délégation parlementaire pour le renseignement constitue à la fois l'aboutissement d'une longue maturation et un premier pas, je demande à l'ensemble des sénateurs d'adopter le projet de loi. Nous verrons bien dans un an, monsieur Boulaud, s'il est nécessaire d'accentuer ce mouvement.
En l'occurrence, le Gouvernement propose un acte fort au Parlement, en lui offrant la possibilité d'être aujourd'hui mieux associé à l'activité de nos services de renseignement. Le Parlement et ces derniers ont ainsi l'occasion d'accomplir un acte de confiance réciproque, le premier en adoptant le présent projet de loi et les seconds en acceptant la réforme proposée. Et si des évolutions se révélaient nécessaires au bout d'un an de fonctionnement de la délégation parlementaire pour le renseignement, nous aurions toujours la possibilité de les envisager à ce moment-là.
En réalité, ce texte législatif illustre un double engagement concret : d'un côté, les services de renseignement expriment leur confiance à l'égard du Parlement, dans le respect, bien entendu, du secret défense ; de l'autre, le contrôle parlementaire sur les services de renseignement permet de rappeler que ceux-ci travaillent non pas pour un gouvernement ou un clan particulier, mais bien pour l'intérêt général et pour la République. Telle est notre conception.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est cette confiance réciproque entre le Parlement et les services de renseignement qui doit vous amener à adopter le projet de loi qui vous est présenté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de l'article unique.