M. le président. L'amendement n° 9, présenté par M. Hyest au nom de la commission est ainsi libellé :
Après l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans la première phrase du quatrième alinéa de l'article 4 de la loi n° 2000-494 du 6 juin 2000 portant création d'une commission nationale de déontologie de la sécurité, après les mots : « président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité » sont insérés les mots : «, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cet amendement est en cohérence avec l'amendement n°8, qui prévoit la saisine du contrôleur général par le président de la CNDS. Il est logique d'instaurer une réciprocité.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 5.
Les deux amendements suivants sont présentés par M. Détraigne et les membres du groupe Union centriste - UDF.
L'amendement n° 56 est ainsi libellé :
Après l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 1er de la loi n° 2000-196 du 6 mars 2000 instituant un Défenseur des enfants est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le contrôleur général des lieux de privation de liberté peut saisir le Défenseur des enfants si, au cours de ses visites, il a constaté des faits qu'il estime contraires aux droits de l'enfant. »
L'amendement n° 57 est ainsi libellé :
Après l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 4 de la loi n°2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la haute autorité de lutte contre les discriminations est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le contrôleur général des lieux de privation de liberté peut saisir la Haute autorité lorsqu'il constate, à l'occasion de ses visites, des faits susceptibles de constituer des discriminations. »
La parole est à M. Yves Détraigne, pour présenter ces deux amendements.
M. Yves Détraigne. Ces amendements procèdent de la même logique que celle qui a prévalu pour la rédaction de l'amendement n° 9.
L'amendement n° 56 vise à prévoir que le contrôleur général de lieux privatifs de liberté puisse saisir le Défenseur des enfants.
Quant à l'amendement n° 57, il tend à ce que le contrôleur général puisse saisir la Haute autorité de lutte contre les discriminations.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission a prévu la possibilité, pour le Défenseur des enfants et pour le président de la HALDE, de saisir le contrôleur général. Les amendements qui prévoient la réciproque ne sont pas indispensables, puisque toute personne peut le saisir directement. Par conséquent, il n'est pas besoin de prévoir une saisine indirecte !
La commission demande donc le retrait de ces deux amendements, qui lui paraissent superflus.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Les amendements nos 56 et 57 sont-ils maintenus, monsieur Détraigne ?
M. Yves Détraigne. Il s'agit de savoir si le contrôleur général des lieux privatifs de liberté est une personne physique ou une personne morale dans l'exercice de ses fonctions.
Monsieur le rapporteur, le texte que vous venez d'évoquer concerne-t-il toute personne, qu'elle soit physique ou morale ? (M. le rapporteur acquiesce.)
Tel semble être le cas. Par conséquent, ces amendements deviennent redondants et je les retire.
M. le président. Les amendements nos 56 et 57 sont retirés.
Article 6
Le contrôleur général peut visiter à tout moment, sur le territoire de la République, tout lieu où des personnes sont privées de leur liberté par décision d'une autorité publique.
Avant toute visite, le contrôleur général informe les autorités responsables du lieu de privation de liberté. Toutefois, il peut décider de procéder à une visite sans préavis lorsque des circonstances particulières l'exigent.
Ces autorités ne peuvent s'opposer à la visite du contrôleur général que pour des motifs graves liés à la défense nationale, à la sécurité publique, à des catastrophes naturelles ou à des troubles sérieux dans l'établissement où la visite doit avoir lieu. Elles proposent alors son report.
Le contrôleur général reçoit des autorités responsables du lieu de privation de liberté toute information ou pièce utile à l'exercice de sa mission. Lors des visites, il peut s'entretenir, dans des conditions assurant la confidentialité, avec toute personne dont le concours lui paraît nécessaire.
Le caractère secret des informations et pièces dont le contrôleur général demande communication ne peut lui être opposé, sauf si leur divulgation est susceptible de porter atteinte au secret de la défense nationale, à la sûreté de l'État, à la sécurité des lieux de privation de liberté, au secret de l'enquête et de l'instruction, au secret médical ou au secret professionnel applicable aux relations entre un avocat et son client.
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, sur l'article.
M. Louis Mermaz. Voilà un article qui présente de nombreuses restrictions mentales et vise à « emmailloter » le contrôleur général. Comme un quotidien du soir l'évoquait hier, il s'agit de « la mise en place d'un système de contrôle rigoureux du contrôleur ».
Selon les termes de l'article 6, « le contrôleur général peut visiter à tout moment, sur le territoire de la République, tout lieu où des personnes sont privées de leur liberté par décision d'une autorité publique. »
Nous souhaiterions - nous le proposerons, d'ailleurs, par voie d'amendement - que soient également visés les lieux de détention et d'enfermement placés à l'étranger sous autorité civile ou militaire française.
Le deuxième alinéa de l'article 6 est un petit chef-d'oeuvre linguistique : « Avant toute visite, le contrôleur général informe les autorités responsables du lieu de privation de liberté. Toutefois, il peut décider de procéder à une visite sans préavis lorsque des circonstances particulières l'exigent. » Pourquoi pas ?
Nous sommes plusieurs, sénateurs ou députés, à nous être rendus dans des prisons, qu'il s'agisse de maisons d'arrêt ou de centrales où l'on purge de longues peines. Il nous arrivait parfois d'avertir la direction de ces établissements - elle le comprenait fort bien - de notre visite qu'à quelques kilomètres seulement !
En revanche, je me souviens d'une délégation sénatoriale - que je ne nommerai pas - qui avait averti huit jours avant sa venue la direction de l'établissement qu'elle s'apprêtait à visiter. Les détenus qui y purgeaient leur peine nous avaient dit, à nous les députés - je siégeais alors à l'Assemblée nationale - qui venions visiter l'établissement quelque temps après, sans avoir averti de notre arrivée, qu'ils avaient été invités à fourbir, nettoyer et récurer leur prison dans la perspective de cette visite sénatoriale annoncée ! (Sourires.)
Cela peut vous sembler anecdotique, mais il faut avoir la possibilité de venir inopinément pour apprécier la réalité des choses. Si, dans le cadre de sa mission, le contrôleur général veut saisir les choses sur le vif, il vaut mieux qu'il n'avertisse pas de ses visites. Au contraire, s'il veut traiter sur le fond un certain nombre de questions, il vaut mieux alors qu'il prévienne. Enfin, s'il veut s'assurer que les recommandations qu'il a faites au Gouvernement ont été suivies d'effet, il a intérêt, là encore, à prévenir qu'il réitérera ses visites.
Le troisième alinéa de l'article 6 dispose : « Ces autorités ne peuvent s'opposer à la visite du contrôleur général » - cette rédaction est satisfaisante parce qu'elle est conforme au protocole que la France vient de signer - « que pour des motifs graves » - cela se gâte ! - « liés à la défense nationale, à la sécurité publique, à des catastrophes naturelles ou à des troubles sérieux dans l'établissement où la visite doit avoir lieu. » - il ne reste plus qu'à s'incliner ! (M. Robert Bret rit.) « Elles proposent alors son report. »
Cela est tout à fait contraire au texte de la convention facultative à laquelle nous avons souscrit.
Le quatrième alinéa prévoit : « Le contrôleur général reçoit des autorités responsables du lieu de privation de liberté toute information ou pièce utile à l'exercice de sa mission. Lors des visites, il peut s'entretenir, dans des conditions assurant la confidentialité, avec toute personne dont le concours lui paraît nécessaire. » Nous n'avons rien à objecter, sinon qu'il faudra veiller à préciser que par « toute personne », l'on entend aussi bien un détenu, un membre du personnel pénitentiaire ou des intervenants extérieurs - qu'il s'agisse d'éducateurs ou de travailleurs sociaux. Cette précision serait la bienvenue.
Le cinquième alinéa dispose : « Le caractère secret des informations et pièces dont le contrôleur général demande communication ne peut lui être opposé, » - cela débute toujours très bien ! - « sauf si leur divulgation est susceptible de porter atteinte au secret de la défense nationale, à la sûreté de l'État, à la sécurité des lieux de privation de liberté, » - il est heureux qu'on ne vise pas les catastrophes naturelles ! - « au secret de l'enquête et de l'instruction, au secret médical ou au secret professionnel applicable aux relations entre un avocat et son client. »
Si l'administration - en l'occurrence le Gouvernement - veut s'opposer à toute communication de pièces au contrôleur général, elle dispose, en vertu de cet alinéa, de tous les arguments nécessaires à cette fin. J'aimerais que vous me citiez une seule circonstance qui n'entre pas dans le champ d'application de cette longue énumération !
Là encore, cette rédaction est incompatible avec les termes du protocole facultatif. C'est pourquoi nous avons déposé un certain nombre d'amendements afin que soit véritablement respecté le contrôleur général et qu'il puisse exercer ses fonctions. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l'article.
M. Richard Yung. L'article 6 du projet de loi est important, puisqu'il précise les conditions dans lesquelles le contrôleur général pourra exercer ses responsabilités. On mesure au nombre d'amendements qui ont été déposés sur cet article toute l'importance qu'il y a à le faire.
Je reviendrai sur quelques-uns des points qu'a évoqués M. Mermaz.
Au premier alinéa, les termes « sur le territoire de la République » suscitent plusieurs interrogations. Cette formulation signifie-t-elle que les lieux de privation de liberté placés sous le contrôle des autorités françaises à l'étranger échapperont au contrôle extérieur ?
L'article 4 du protocole facultatif dispose que « chaque État partie autorise (...) à effectuer des visites (...) dans tout lieu placé sous sa juridiction ou sous son contrôle ? »
Il n'y a donc aucune raison pour que le contrôleur n'ait pas accès aux locaux d'arrêt des armées ou de la gendarmerie, qu'ils soient situés sur terre ou sur mer, même si les autorités militaires peuvent y être quelque peu rétives.
Ce premier alinéa de l'article 6 est tout aussi restrictif, car il ne vise que les personnes privées de liberté par décision d'une autorité publique. Or certaines personnes souffrant de maladies psychiatriques peuvent être hospitalisées à la demande d'un tiers, souvent un membre de leur famille, conformément aux dispositions des articles L. 3212-1 à L. 3212-12 du code de la santé publique.
L'hospitalisation sur demande d'un tiers correspond en général à une privation de liberté avec le « consentement exprès ou tacite d'une autorité publique ». C'est ce qu'affirme notamment l'ancien commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Álvaro Gil-Robles, qui, dans son rapport sur le respect effectif des droits de l'homme, indiquait que « l'hospitalisation d'office ou à la demande d'un tiers s'apparente à une privation de liberté. »
Nous demandons que ce cas de figure entre dans les compétences du contrôleur général.
Quant au deuxième alinéa du présent article, il est très en retrait. À l'instar des parlementaires, qui, en vertu de l'article 719 du code de procédure pénale, « sont autorisés à visiter à tout moment les locaux de garde à vue, les centres de rétention, les zones d'attente et les établissements pénitentiaires », le contrôleur général des lieux de privation de liberté et ses collaborateurs devraient pouvoir effectuer toutes leurs visites de manière inopinée. Il serait vraiment paradoxal, mes chers collègues, que le contrôleur général dispose en quelque sorte de moindres possibilités d'accès aux lieux de privation de liberté que les parlementaires, en particulier si ses visites doivent être inopinées ou impromptues !
Cela ne signifie pas pour autant que toutes ses visites seront inopinées. Dans certains cas, il devra avertir de sa venue, par exemple s'il veut traiter d'une question précise. Mais il doit pouvoir agir, dans ce domaine, de manière discrétionnaire.
S'agissant des raisons qui sont avancées, on se demande bien en quoi des lieux de privation de liberté peuvent être concernées par les questions de défense nationale - mais peut-être nous éclairera-t-on à ce sujet -, de sécurité publique- normalement, l'ordre public est par définition assuré au sein d'un établissement pénitentiaire ; si tel n'est pas le cas, le contrôleur général des prisons a alors tout intérêt à intervenir - ou par les catastrophes naturelles.
Bien sûr, dans le cas d'une mutinerie ou si des opérations de maintien de l'ordre par la force publique sont nécessaires à l'intérieur d'un lieu de privation de liberté, on n'imagine pas que le contrôleur général s'interpose entre les policiers et les détenus.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est un homme raisonnable !
M. Richard Yung. Encore une fois, ce problème doit être laissé à son appréciation. Il n'est pas souhaitable qu'il doive demander aux autorités la permission de se rendre dans un lieu privatif de liberté et qu'il soit tout loisible à celles-ci de la lui refuser.
Enfin, s'agissant des informations et des pièces qu'il peut demander, je ne peux que faire miennes les observations de notre collègue Louis Mermaz.
On imagine, dans le cas de malades souffrant de troubles psychiatriques, situations difficiles et douloureuses, que si le secret médical pouvait être opposé au contrôleur général, les observations et les constats qu'il pourrait faire lors de ses visites seraient complètement vidés de leur sens.
De la même façon, il peut être important de savoir si, dans une prison, tel détenu souffre de telle pathologie et suit tel type de traitement. Ces informations doivent pouvoir être communiquées au contrôleur général pour lui permettre d'apprécier dans leur globalité la situation des personnes qu'il visite.
Pour toutes ces raisons, il nous paraît que ces restrictions sont arbitraires. Au fond, elles amoindrissent considérablement ce projet de loi, qui, par ailleurs, va dans le bon sens.
C'est pourquoi nous avons déposé un certain nombre d'amendements visant à lever ces restrictions.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, sur l'article.
Mme Josiane Mathon-Poinat. J'évoquerai dans mon propos le problème de la compétence territoriale du contrôleur général, puisque l'amendement que nous avions déposé sur ce point a été déclaré irrecevable en application de l'article 40 de la Constitution.
Le présent projet de loi a retenu comme critère de définition des lieux de privation de liberté les lieux situés sur « le territoire de la République ». Or, si l'on s'en tient à cette définition, seront exclus de tout contrôle les lieux de privation de liberté situés à l'étranger, alors même qu'ils sont sous la responsabilité de l'État.
Prenons le cas de l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne, FRONTEX.
La France a mis à disposition de FRONTEX des moyens humains et matériels pour mener des opérations hors de son territoire, aux frontières de l'Europe. Ces zones font-elles partie des « territoires de la République » ? Au vu des conditions de rétention - parfois véritablement inhumaines -qui peuvent régner dans ces lieux, il serait bienvenu que ceux-ci fassent partie intégrante du domaine de compétence du nouveau contrôleur des lieux de privation de liberté.
Et quid des casernes et des bases de l'armée situées en pays étranger ? Cette dernière possède des lieux de privation de liberté appelés « locaux d'arrêt des armées ». Échappent-ils au domaine de compétence du contrôleur du seul fait qu'ils ne sont pas situés sur le « territoire de la République » ?
Cette définition territorialisée du périmètre d'action du contrôleur des lieux de privation de liberté est à la fois floue et restrictive. Afin de faire en sorte que tous les lieux de privation de liberté dépendants de l'État soient réellement pris en compte dans ce projet de loi, nous demandions que soit défini clairement ce périmètre d'application.
C'est pourquoi, à la notion de « territoire de la République », nous souhaitions que soit substituée l'expression « tout lieu relevant de la juridiction ou du contrôle de l'État ».
De cette façon, le projet de loi aurait été conforme à l'article 4 du protocole facultatif, dont il nous paraît à bien des égards n'être qu'une application a minima.
L'article 40 de la Constitution ne nous a pas permis d'envisager cette extension de la compétence du contrôleur général. Nous espérons toutefois, madame le garde des sceaux, que vous pourrez répondre à l'ensemble de nos questions.
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc, sur l'article.
M. Jacques Blanc. Pensez-vous qu'on puisse assimiler les prisons avec les hôpitaux psychiatriques ? Chaque fois que l'on crée des confusions, on risque de faire naître des ambiguïtés, voire de susciter des malaises. Il n'est pas possible de mettre sur un même plan un prisonnier, victime de lui-même puisqu'il a été condamné, et un malade.
Ici même, lors de l'examen de la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, j'avais insisté - pour finalement m'en réjouir - pour que la partie consacrée aux hospitalisations en milieu psychiatrique soit déconnectée du problème de la délinquance.
Aussi, ma crainte est qu'on ne crée une confusion entre la situation d'un malade qui, quoiqu'il refuse de se soigner, a besoin d'être pris en charge médicalement et d'être hospitalisé en milieu spécialisé, le cas échéant parce qu'il est dangereux pour lui-même ou pour autrui, avec la situation d'un détenu dans une prison.
De grâce, prenons garde de ne pas créer une telle confusion ! On a trop longtemps nié, dans notre pays, la réalité de la maladie mentale. On l'a parfois montrée du doigt à un moment où l'on aurait dû, au contraire, l'assimiler à toute autre maladie qui se soigne dans des lieux spécialisés, à la seule différence que, parce qu'il y a maladie mentale, il y a refus des soins. Et c'est ce qui explique, par exemple, le placement d'office.
Donc, mes chers collègues, je voudrais attirer votre attention sur ce point tout à fait particulier que constitue le secret médical. Il doit être ô combien affirmé ! Si l'on fait la moindre entorse à ce principe - et Dieu sait s'il existe des risques de dérapage -, on ne peut plus assurer les meilleurs soins aux uns et aux autres.
Le texte ne comporte pas de risques de dérive, mais il est important, madame le garde des sceaux, que vous nous confirmiez que, dans votre esprit et selon l'approche qui est la vôtre - nous la soutenons -, aucune confusion n'est possible entre la manière dont on va traiter un malade mental et celle qui va s'appliquer à une personne privée de liberté pour une autre raison.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, sur l'article.
M. Robert Badinter. Je souhaiterais attirer l'attention du Sénat sur le problème de la compétence du contrôleur pour des lieux situés hors du territoire de la République.
En effet, il faut bien mesurer que nous adoptons cette institution pour garantir les droits fondamentaux et pour nous mettre en conformité avec des engagements internationaux qui ont été évoqués, comme le protocole facultatif se rapportant à la convention des Nations unies contre la torture.
Or l'article 4 de ce protocole est formel :
« Chaque État Partie » - c'est nous - « autorise » - cela veut dire "doit autoriser"- « les mécanismes visés aux 2 et 3 » - c'est-à-dire le contrôleur - « à effectuer des visites, conformément au présent protocole, dans tout lieu placé sous sa juridiction ou sous son contrôle » - ces termes ont été ajoutés - « où se trouvent ou pourraient se trouver des personnes privées de liberté sur l'ordre d'une autorité publique ou à son instigation, ou avec son consentement exprès ou tacite », c'est-à-dire tout lieu de détention, quelle que soit la forme de cette détention, lorsqu'il y a exercice de la juridiction ou du contrôle.
Or il existe un cas d'une extraordinaire importance, c'est celui des opérations extérieures. Je n'évoquerai pas ici - ce serait vraiment malvenu s'agissant de la France et des forces françaises - ce qui se passe précisément dans certains lieux en Irak. Mais je tiens à souligner que des personnes civiles sont détenues, retenues, cantonnées dans des lieux de détention, parfois par centaines ou par milliers, sous le contrôle des forces françaises.
Il ne serait pas admissible que soient ainsi créées des sortes d'espaces réservés où les contrôles qui s'imposent ne seraient pas exercés, comme si l'on avait quelques doutes, à cet égard, sur des actes qui pourraient s'y commettre. Ce n'est pas concevable.
Il convient que l'autorité et le contrôleur général aient la possibilité de se rendre, par exemple, en Côte-d'Ivoire ou en Afghanistan, et qu'ils puissent, le cas échéant, se livrer sur place aux contrôles nécessaires. Ces visites sont non seulement prescrites par la convention, mais elles constituent notre devoir, dans l'intérêt majeur de ceux qui sont détenus et de ceux qui les détiennent. Il ne peut y avoir, dans ce domaine, de zone d'exception.
Il faut que nous puissions échapper à toute forme de soupçon, et nous n'y parviendrons pas si nous estimons que le contrôle est nécessaire uniquement sur le territoire de la République. Non, la convention internationale et le protocole facultatif s'y rapportant sont formels : il y va de l'intérêt majeur de ceux qui sont détenus ou retenus ainsi que des autorités et des forces françaises de toute nature.
On nous a opposés la question du financement ; je pense que notre éminent collègue M. Charasse aura l'occasion d'intervenir sur ce point. En matière de droits fondamentaux, de libertés publiques, de droit pénal, cela ne se fait pas depuis 1958. Alors, je serais vraiment navré que l'on dise que, hors du territoire de la République, les autorités de la République échappent à tout contrôle de ce contrôleur général.
Nous sommes en présence d'une question essentielle et, à cet égard, je souhaiterais que la position adoptée soit reconsidérée.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, sur l'article.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, je crois qu'il faut clarifier la question des opérations extérieures, les OPEX, dont parlait à l'instant M. Badinter, et plus généralement le problème de la présence française militaire à l'étranger au regard de votre texte.
Quand nos armées interviennent en opération extérieure, avec l'accord du pays dans lequel elles exercent leur mission, par exemple dans le cadre d'un accord bilatéral militaire ou autre, tout est placé, en principe, sous l'autorité civile du pays concerné. Et par conséquent, ce qui peut se passer en matière de contrôle à l'intérieur des unités relève des accords qui ont pu être conclus avec ce pays.
La plupart du temps, cependant, ces interventions ont lieu à la demande ou avec l'accord de l'ONU ou d'une autre organisation internationale. Dans ce cas, mes chers collègues, c'est le pays responsable du détachement militaire qui assure le contrôle pour le compte de l'ONU et qui doit lui en rendre compte.
Donc, le pays - par exemple la France - est responsable de ce qui se passe à l'intérieur de ses installations militaires, et il doit mettre en place les dispositifs nécessaires pour rendre compte à l'ONU et, éventuellement, pour effectuer les contrôles qu'elle sollicite.
Donc, qui effectue aujourd'hui les contrôles dont nous parlons ? Normalement, c'est l'autorité militaire, c'est-à-dire, par exemple, le contrôle général des armées - encore qu'il ne soit pas forcément compétent en toutes matières- et, pour les militaires français à l'étranger, les tribunaux aux armées. Ceux qui n'ont pas le statut de militaires français et qui sont, par exemple, prisonniers dans un camp occupé par la France, sont sous statut onusien, et on en revient à ma question de départ.
Donc, madame le garde des sceaux, il faut préciser, dans ce cas, comment les choses se passent. Personnellement, même si je ne suis pas toujours favorable à des interventions civiles intempestives en cours d'opération militaire - c'est une position traditionnelle de la République qui remonte au président Édouard Daladier en 1940 et aux instructions qu'il avait adressées pour interdire les contrôles parlementaires en cours d'opération militaire-, la question soulevée pose un vrai problème.
Il faut, enfin, examiner la situation de nos implantations militaires à l'étranger, dans le cadre d'accords de coopération, d'ailleurs pour la plupart jamais ratifiés. Je pense notamment à nos positions en Afrique. Là où se trouve, par exemple, un camp militaire à Abidjan ou à Djibouti, l'armée française est présente et sa situation est la même que pour la caserne de Castelnaudary, de Bourges ou autres. Il y a, à l'intérieur de l'emprise militaire, des locaux disciplinaires, une prison militaire, et les tribunaux militaires sont compétents. Mais nous sommes en situation d'extraterritorialité et on peut donc considérer, comme c'est le cas d'une ambassade, que nous sommes toujours fictivement sur le territoire de la République.
Donc, a priori, lorsque le contrôle peut avoir lieu en tous points du territoire de la République, cela veut dire que, dans les implantations militaires françaises qui ne relèvent pas des OPEX de l'ONU, on se trouve fictivement sur le territoire de la République, comme dans une ambassade où l'autorité de police compétente en cas d'infraction est le consul général du secteur, et non pas l'ambassadeur, contrairement à ce que l'on croit. Par conséquent, monsieur le président, tout cela mérite d'être clarifié.
J'ajouterai une observation.
On a évoqué l'article 40 de la Constitution. Je ne sais pas ce qu'a fait la commission des finances, et je me garderai bien de désavouer son autorité, qu'il m'arrive d'exercer, en ce qui concerne les décisions qu'elle a pu prendre en matière de recevabilité. Mais, chaque fois que l'on discute de textes pénaux ou très voisins de la procédure pénale, il a été admis depuis 1958 - Michel Debré lui-même, l'un des auteurs de la Constitution, l'a dit et l'a écrit, et le Conseil constitutionnel s'est toujours bien gardé d'intervenir en la matière - que l'article 40 n'était pas opposable. Sinon, il nous serait interdit de diminuer le tarif d'une amende, puisque nous réduirions les ressources publiques.
Je ne connais pas le contenu des amendements en cause. Il n'empêche que ces questions ne peuvent pas être évacuées à la légère. On ne peut pas se trouver - je conclurai par cela, monsieur le président - dans une situation dans laquelle un certain nombre de démembrements extérieurs de la République, fictifs ou pas, qu'il s'agisse d'une mission que nous exécutons pour le compte de l'ONU dans le cadre de la Charte onusienne créant pour nous des obligations ou d'une implantation militaire qui bénéficie de l'extraterritorialité, échappent aux conventions internationales, de l'ONU ou autres, signées par la France ou aux règles générales de la législation française en matière de protection des libertés et des droits.
Telles sont, monsieur le président, les quelques observations que je souhaitais formuler, étant entendu que, comme toujours, il faut arriver à concilier les choses de manière à ne pas perturber la mission difficile de l'armée française dans des circonstances graves et périlleuses. Mais j'ai la faiblesse de penser que, si le Gouvernement désigne un contrôleur général qui a le sens - et un haut sens - des responsabilités et de l'État, il saura faire preuve, je n'en doute pas - et n'en doutez pas non plus s'il est bien choisi -, du discernement nécessaire : il connaîtra son devoir en ce qui concerne la conciliation nécessaire entre les droits individuels, les droits et les obligations de la nation, et les droits humains collectifs (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. L'amendement n° 90, présenté par Mme Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen est ainsi libellé :
Compléter le premier alinéa de cet article par les mots :
ainsi que tous les équipements et installations les composant. Il peut être accompagné de ses collaborateurs.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Force est de constater que ce texte se distingue particulièrement par son imprécision. L'article 6 nous indique que le contrôleur peut visiter tout lieu de privation de liberté. Pourtant, l'aspect vindicatif de cette formulation ne masque pas le flou qui règne sur la définition de ces fameux « lieux de privation de liberté ». Ainsi, une interprétation a minima pourrait conduire à considérer comme lieu de privation de liberté la simple cellule où est détenu le prisonnier ou la chambre du malade.
Prenons le cas de l'hospitalisation des détenus. En décembre 2003, l'accouchement d'une détenue menottée à l'hôpital Sud Francilien d'Évry avait suscité de la part du ministère de la justice des commentaires scandalisés, mais il y eut beaucoup moins d'émoi, un an plus tard, lorsque le ministère ordonna que tous les malades soient non seulement entravés mais menottés dans le dos.
Comme le constate l'Observatoire international des prisons, pour le moindre examen, des prisonniers peuvent passer plusieurs heures menottés. Dans ces conditions, de plus en plus de détenus refusent les extractions médicales. Or rien ne précise dans la loi si les équipements hospitaliers recevant des personnes privées de liberté rentrent dans le périmètre d'action du contrôleur.
De la même manière, qu'en est-il des conditions de travail en prison ? Les détenus peuvent se voir proposer du travail de service général, c'est-à-dire lié au fonctionnement des établissements pénitentiaires. Certains détenus travaillent même à l'extérieur de ces établissements, en semi-liberté, pour le compte de collectivités publiques, d'associations ou d'entreprises. Le « SMIC détenu » s'élève à 45 % du SMIC à l'extérieur et le droit du travail est inexistant.
Hormis ceux qui travaillent en dehors des murs des prisons, les détenus ne signent aucun contrat de travail. Ils n'ont pas le statut juridique de salarié. Il n'existe donc aucune disposition relative à la durée de l'emploi et de la période d'essai, au contenu du poste, aux objectifs professionnels ou au licenciement. Ils n'ont pas droit à des compensations financières en cas de maladie ou d'accident du travail.
Ce sont donc des « faux salariés », qui n'ont aucune possibilité d'expression collective.
Le travail est encore considéré par les directions pénitentiaires comme un outil essentiel de gestion de la détention, plutôt que comme une mesure favorisant la réinsertion des personnes incarcérées.
Certaines entreprises peuvent considérer le travail pénitentiaire comme une variable d'ajustement à la conjoncture économique. En effet, les ateliers de détenus offrent, dans certains cas, les caractéristiques d'un sous-traitant.
Dans ces conditions, le contrôleur des lieux de privation de liberté aura-t-il accès aux locaux où travaillent les personnes incarcérées ? Pourra-t-il observer leurs conditions de travail ? Si l'ampleur de sa mission l'exige, pourra-t-il être accompagné de ses collaborateurs ?
Avec une formulation aussi vague du périmètre d'action du contrôleur, tous ces points semblent quelque peu difficiles à cerner. C'est pourquoi nous demandons que ce périmètre soit précisé.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La précision ne paraît pas nécessaire. En effet, dans la mesure où le contrôleur pourra se déplacer partout dans les locaux collectifs ou individuels qui constituent le lieu d'enfermement, il est évident qu'il pourra visiter tous les équipements et installations, y compris les chaudières, les ascenseurs, etc. Il pourra se rendre dans tous les lieux d'enfermement quels qu'ils soient.
Dès lors, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je partage les observations de M. le rapporteur. J'ajoute que le contrôleur pourra également visiter la maternité où une détenue accouche, puisque dès lors qu'une personne est détenue, le lieu où elle se trouve devient un lieu de privation de liberté.
Le Gouvernement émet, lui aussi, un avis défavorable.
M. le président. L'amendement n° 10, présenté par M. Hyest, au nom de la commission est ainsi libellé :
Compléter le premier alinéa de cet article par une phrase ainsi rédigée :
Il peut aussi visiter, dans les mêmes conditions, tout établissement de santé habilité à recevoir des patients hospitalisés sans leur consentement visé à l'article L. 3222-1 du code de la santé publique.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il existe deux régimes d'hospitalisation sans consentement, qu'il convient d'examiner séparément, à savoir l'hospitalisation d'office et l'hospitalisation à la demande d'un tiers.
Si les patients hospitalisés d'office relèvent d'une décision émanant d'une autorité publique et entrent d'ores et déjà dans le champ de compétence du contrôleur général, la situation des patients hospitalisés à la demande d'un tiers est plus complexe, sachant que, d'une part, l'hospitalisation ne fait pas l'objet d'une décision formalisée, en dehors de son inscription dans le « Registre de la loi », visé à l'art L. 3212-11 du code de la santé publique, et que, d'autre part, l'admission est prononcée par le directeur de l'établissement d'accueil, que ce dernier soit de statut public ou privé. S'il appartient au secteur privé à but lucratif, la qualité d'agent public ne peut pas être reconnue au directeur de l'établissement.
Dans la mesure où il est souhaitable que le contrôleur général puisse exercer ses compétences au regard de ces situations d'hospitalisation qui engendrent une restriction des libertés du patient, il paraît nécessaire de préciser clairement que les établissements de santé sont également visés par le premier alinéa de l'article 6.
Je précise à notre collègue Jacques Blanc qu'il faut se garder de toute confusion. Ce qui compte, ce n'est pas la qualité des personnes, mais bien la protection de leurs libertés fondamentales, qu'il s'agisse de détenus ou de personnes retenues. Jusqu'à preuve du contraire, une personne reconduite à la frontière n'a pas pour autant commis un délit ! À partir du moment où elle est retenue, on vérifie sa situation et l'on peut même s'apercevoir qu'elle a le droit de rester sur le territoire. Les situations sont donc extrêmement diverses.
C'est exactement la même chose pour l'hospitalisation d'office ou l'hospitalisation à la demande d'un tiers. Nous nous devons de viser expressément les lieux d'hospitalisation si nous voulons répondre au protocole facultatif à la Convention des Nations unies.
Tel est l'objet de cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Tout d'abord, nous aurons à revenir sur le sujet de l'hospitalisation d'office, puisqu'un texte spécifique consacré aux problèmes psychiatriques a été annoncé par le précédent ministre de l'intérieur, devenu Président de la République.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est autre chose ! Ne mélangez pas tout !
M. Jacques Blanc. Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer si ce texte est susceptible de venir bientôt en discussion ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On verra bien !
M. Jacques Blanc. Il répond à un vrai besoin. Le sujet, qui avait été évoqué à l'occasion de la discussion du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, n'a pas été approfondi pour ne pas créer de confusion.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est un autre sujet !
M. Jacques Blanc. Ensuite, notre rapporteur évoque la différence entre les établissements privés et publics.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Les droits sont les mêmes !
M. Jacques Blanc. En réalité, ce qui compte, ce n'est pas la nature de l'établissement,...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce sont les droits fondamentaux !
M. Jacques Blanc. ... c'est l'objet de l'hospitalisation.
Chaque département compte un ou plusieurs établissements habilités par le représentant de l'État dans ce département pour soigner des personnes atteintes de troubles mentaux qui relèvent des chapitres II et III du titre Ier du code de la santé publique.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui ! On est d'accord !
M. Jacques Blanc. Certains malades refusent, parce qu'ils sont malades, les soins médicaux.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est la procédure !
M. Jacques Blanc. Dans ce cas, nous sommes obligés de passer par une violation de leur liberté.
Quelle sécurité pourra apporter à ces malades le contrôleur qui, a priori, ne sera pas un spécialiste médical ?
Il existe déjà toute une série de procédures - qui seront peut-être revues dans le texte à venir -, notamment la saisine du procureur, et de règles très strictes destinées à éviter les risques d'hospitalisation injustifiée...
M. Michel Charasse. Et arbitraires !
M. Jacques Blanc. En effet, mon cher collègue !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est autre chose !
M. Jacques Blanc. Je ne vois pas l'intérêt des visites du contrôleur pour ces malades-là.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ah bon ? Moi, je le vois tout à fait !
M. Jacques Blanc. Je le redis très clairement, je ne vois pas ce qu'elles peuvent leur apporter, si ce n'est entraîner la confusion.
Je souhaiterais avoir une réponse sur ce point. En effet, notre mission vise à donner toutes les garanties aux malades...
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Évidemment !
M. Jacques Blanc. ...afin qu'ils trouvent, même s'ils se les voient imposer, les meilleurs soins susceptibles de leur donner des chances dans la vie.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis favorable sur l'amendement n° 10.
Je veux répondre à présent aux questions posées par M. Blanc.
Tout d'abord, la loi relative à la prévention de la délinquance, qui a été adoptée le 5 mars 2007, comprenait quatre articles portant sur l'hospitalisation sous contrainte et, en particulier, sur les hospitalisations d'office pour irresponsabilité pénale.
Ces dispositions visaient la sécurité publique. Nous les avons disjointes du reste du texte pour les reprendre dans le cadre d'une réforme plus large de la loi de 1990 sur la santé mentale, conformément à l'engagement pris. Il s'agit, par exemple, dans le cas d'une personne hospitalisée d'office - parce qu'elle a commis un crime -, qui retourne dans sa commune à sa sortie de l'établissement de santé, de communiquer l'information au maire et au préfet pour des raisons de sécurité.
Le moment de la discussion de ce texte dépendra de la fixation de l'ordre du jour des prochains travaux du Parlement.
Ensuite, s'agissant du présent projet de loi, le contrôleur général a pour mission de vérifier que les conditions de prise en charge des personnes privées de leur liberté sont respectueuses de leurs droits fondamentaux. Dans le cadre d'un hôpital psychiatrique, il s'agit de personnes hospitalisées sous contrainte à la suite d'une décision administrative ou judiciaire. Il n'appartient pas au contrôleur d'émettre un avis sur le bien-fondé des soins apportés ; il n'est pas médecin.
Par conséquent, ce qui compte, ce n'est pas le lieu de l'hospitalisation,...
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Exactement !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. ... mais bien le fait que ces personnes sont hospitalisées sous contrainte à la suite d'une décision de justice ou d'une décision administrative.
Ces dispositions ne concernent donc pas le malade qui entre à l'hôpital pour soigner une dépression. Elles ne portent nullement atteinte au secret médical et ne s'immiscent aucunement dans le protocole de soins qui pourra être imposé à l'hospitalisé d'office.
Elles s'appliquent à des personnes hospitalisées d'office, qui ont commis des troubles sérieux à l'ordre public ou des crimes.
M. René Garrec. Exactement !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 10.
M. le président. Je suis saisi de onze amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 52, présenté par M. Détraigne et les membres du groupe Union centriste - UDF est ainsi libellé :
Supprimer les deuxième et troisième alinéas de cet article.
La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. L'article 6 porte, notamment, sur les conditions d'accès du contrôleur général aux lieux de privation de liberté. Elles ont autant d'importance pour asseoir sa crédibilité que les conditions de sa nomination, dont nous avons longuement débattu à l'article 2.
Tout comme nous avons fait évoluer ces dernières, il me paraît nécessaire d'en faire autant pour les conditions dans lesquelles il peut intervenir et pénétrer dans un lieu privatif de liberté.
En effet, selon le deuxième alinéa de l'article 6, tel qu'il est rédigé, le contrôleur général doit obligatoirement - parce que le présent de l'indicatif a valeur d'impératif dans un texte juridique - informer les autorités responsables de sa prochaine venue, sauf circonstances particulières, dont on ne sait pas très bien ce qu'elles peuvent être.
Cependant, les autorités peuvent s'opposer à la visite du contrôleur général pour des motifs graves, énumérés au troisième alinéa, à savoir ceux qui sont liés à la défense nationale, à la sécurité publique, à des catastrophes naturelles ou à des troubles sérieux dans l'établissement où la visite doit avoir lieu.
Autant dire que les motifs d'opposition à la visite annoncée sont si nombreux qu'ils risquent de réduire considérablement l'accès du contrôleur général aux lieux. De toute façon, cette rédaction laisse planer un doute quant aux faits susceptibles d'intervenir sur les lieux entre l'annonce de sa venue et le moment de son arrivée.
À l'évidence, il s'agit non pas de mettre en cause l'action des responsables de ces lieux, mais tout simplement, je le répète, d'asseoir la crédibilité des interventions du contrôleur général.
Pour avoir participé la semaine dernière à une journée entière d'auditions organisées par notre président, j'ai constaté que les personnes entendues, quelle que soit leur fonction, ont souligné dans leur quasi-totalité la nécessité, généralement considérée comme primordiale, de revoir les conditions dans lesquelles le contrôleur général pouvait accéder aux lieux privatifs de liberté.
Il me semble que ce n'est pas non plus un hasard si plus d'une dizaine d'amendements portent sur ce point.
Celui que je défends vise donc à inverser la logique du texte, en prévoyant que le contrôleur général doit pouvoir intervenir sans avoir l'obligation d'annoncer sa venue, ce qui ne signifie pas qu'il ne pourra pas prévenir, ce qu'il fera d'ailleurs dans bien des cas, par correction.
Toutefois, si l'on veut que sa fonction soit très rapidement crédible, il est essentiel qu'il puisse intervenir de manière inopinée.
M. le président. L'amendement n° 20, présenté par MM. Lecerf et Portelli, est ainsi libellé :
Supprimer le deuxième alinéa de cet article.
La parole est à M. Jean-René Lecerf.
M. Jean-René Lecerf. Nous sommes convaincus que, la plupart du temps, le contrôleur général informera de sa visite les autorités responsables du lieu de privation de liberté. Toutefois, nous pensons aussi qu'il doit pouvoir procéder à des visites inopinées chaque fois que cela lui paraît nécessaire ou utile.
Dans ces conditions, nous estimons maladroite la rédaction du deuxième alinéa de l'article 6, aux termes de laquelle l'avertissement serait la règle et la visite inopinée l'exception, en même temps qu'elle ne nous semble pas correspondre réellement à l'intention profonde du Gouvernement.
Cela ayant été précisé, je retire l'amendement n° 20, avec l'accord de Hugues Portelli, cosignataire, au profit de l'amendement n° 36 de Mme Boumediene-Thiery, qui prévoit la coordination avec le troisième alinéa de l'article : nous n'avions pas prévue celle-ci, non que nous l'ayons oubliée, mais parce qu'elle n'avait pas lieu d'être puisque nous proposions également la suppression de ce troisième alinéa.
M. le président. L'amendement n° 20 est retiré.
L'amendement n° 36, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
I. Supprimer le deuxième alinéa de cet article.
II. Au début du troisième alinéa de cet article, remplacer les mots :
Ces autorités
par les mots :
Les autorités responsables du lieu de privation de liberté
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Ainsi que viennent de le préciser plusieurs collègues, dont M. Lecerf à l'instant, cet amendement porte sur la question de la visite.
Nous le savons, l'existence d'un contrôle inopiné des lieux de privation de liberté découle des engagements internationaux de la France. Le protocole facultatif se rapportant à la convention des Nations unies contre la torture précise, en effet, que les États s'engagent à autoriser des visites régulières, impromptues et sans autorisation préalable de tout lieu du territoire où des personnes sont privées de liberté.
Le caractère impromptu et l'absence d'autorisation préalable des visites sont des garanties fondamentales de l'effectivité du contrôle exercé par le contrôleur général : si celui-ci devait systématiquement aviser les autorités de ses visites, son pouvoir de contrôle n'aurait plus de sens. Aucune restriction de cette nature ne doit entraver son pouvoir de visite en tant que contrôleur général.
En vertu de l'article 719 du code de procédure pénale, les parlementaires ont eux-mêmes la possibilité de visiter les lieux de privation de liberté sans préavis ni autorisation préalable. L'ensemble des sénateurs sont d'accord sur ce point : comment pourrait-on donner moins au contrôleur général ? Il paraît, au contraire, nécessaire de lui donner davantage !
Dans la mesure où ces visites sont au coeur même de ses missions, il convient donc de supprimer l'obligation faite au contrôleur général de prévenir les autorités. En réalité, ce deuxième alinéa permettra à celles-ci, quand elles auront connaissance d'une visite imminente du contrôleur, de réfléchir aux « motifs graves » qu'elles pourront invoquer, parmi ceux qui sont prévus au troisième alinéa de ce même article, pour se soustraire à la visite. Il convient donc de laisser le contrôleur faire sa visite librement, sans conditions ni autorisation préalables.
C'est la raison pour laquelle nous avons déposé cet amendement, dont la commission semblait penser ce matin que la formulation était la plus proche de ce que les sénateurs ici présents souhaitaient.
M. le président. L'amendement n° 64, présenté par MM. C. Gautier, Badinter, Mermaz, Sueur, Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
I. - Rédiger comme suit le deuxième alinéa de cet article :
Le contrôleur général des lieux de privation de liberté et les contrôleurs peuvent visiter à tout moment les lieux de privation de liberté. Ils ont accès à l'ensemble des locaux composant le lieu privatif de liberté.
II. - En conséquence, rédiger ainsi le début de la première phrase du troisième alinéa de cet article :
Les autorités responsables du lieu de privation de liberté ne peuvent...
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. S'agissant des visites que peut effectuer le contrôleur général des lieux de privation de liberté, nous souhaitons nous aussi qu'elles puissent être prévues ou inopinées, et que les contrôleurs disposent de la même faculté.
Vous aurez remarqué, mes chers collègues, que notre amendement reprend exactement, une fois encore, les termes précis de la proposition de loi de nos collègues Jean-Jacques Hyest et Pierre-Guy Cabanel !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est bien !
M. Jean-Pierre Sueur. J'insisterai sur le fait qu'il nous paraît véritablement absurde d'empêcher les visites inopinées du contrôleur général. En effet, plusieurs intervenants l'ont rappelé, la loi permet à tout parlementaire de procéder à des visites inopinées des lieux de privation de liberté : on ne comprendrait vraiment pas que cela ne soit pas possible au contrôleur général, alors que, de surcroît, c'est à nos yeux une condition pour que sa mission soit pleinement efficace. Au surplus, vous le savez, un certain nombre de textes internationaux considèrent que la possibilité de procéder à des visites inopinées est l'une des conditions de la pertinence et de l'efficacité de la mission d'un tel contrôleur.
Les arguments sont donc nombreux en faveur de cet amendement n° 64, au demeurant parfaitement convergent avec d'autres amendements qui ont été ou vont être présentés.
M. le président. L'amendement n° 91, présenté par Mmes Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen est ainsi libellé :
Rédiger ainsi le deuxième alinéa de cet article :
Les autorités responsables du lieu de privation de liberté doivent prendre toutes les mesures pour faciliter la tâche du contrôleur général.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Le 17 juillet dernier, dans un communiqué commun, des associations et des syndicats concernés par ce projet de loi - l'Observatoire international des prisons ; l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture, ou ACAT-France ; l'Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire ; le Groupement étudiant national d'enseignement aux personnes incarcérées, ou GENEPI ; l'Interco-CFDT ; le Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire, ou SNEPAP-FSU ; le Syndicat de la magistrature... - ont estimé que ce projet de loi limitait bien trop les prérogatives du contrôleur général.
Leurs représentants estiment, en effet, qu'aucune restriction ne saurait être apportée au principe de libre accès du contrôleur général aux lieux de privation de liberté, aux informations et aux pièces qui lui sont nécessaires pour l'exercice de sa mission, conformément à l'esprit du protocole de l'ONU.
Or le projet de loi ne garantit ni à leurs yeux ni aux nôtres une réelle liberté d'aller et venir du contrôleur général dans ces lieux de privation de liberté.
Enfin, si l'on s'en tient à la lettre de l'article 6, la règle générale est que le contrôleur doit prévenir les autorités responsables, les visites sans préavis n'étant qu'une exception et restant soumises à des règles non précisées.
M. le président. L'amendement n° 66, présenté par MM. C. Gautier, Badinter, Mermaz, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Dans la première phrase du deuxième alinéa de cet article, après les mots :
le contrôleur général informe
insérer les mots :
par tout moyen
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Il s'agit d'un amendement de précision, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 65, présenté par MM. C. Gautier, Badinter, Mermaz, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après les mots :
sans préavis
Supprimer la fin de la deuxième phrase du deuxième alinéa de cet article
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Le protocole facultatif prévoit que « chaque État partie autorise les mécanismes à effectuer des visites », ce qui signifie que les inspections doivent pouvoir être annoncées ou inopinées.
Nous proposons donc que les visites sans préavis ne soient pas limitées aux seuls cas où « des circonstances particulières l'exigent », et ce d'autant plus, monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, qu'il est véritablement impossible de définir ces « circonstances particulières » ! Voilà bien une expression que l'on devrait bannir de la loi, parce qu'elle ne veut rien dire : tout est particulier, tout est singulier, tout est spécifique... Tous ces mots ne signifient rien. Il faut donc supprimer cette formulation, qui n'a vraiment pas de sens !
Au demeurant, si nous suivions cette recommandation de notre groupe, nous irions encore une fois dans le sens de l'excellente proposition de loi cosignée par notre collègue M. Hyest !
M. le président. Les trois amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 21 est présenté par MM. Lecerf et Portelli.
L'amendement n° 67 est présenté par MM. C. Gautier, Badinter, Mermaz, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 92 est présenté par Mmes Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer le troisième alinéa de cet article.
La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour présenter l'amendement n° 21.
M. Jean-René Lecerf. On voit mal quelles raisons liées à la défense ou à la sécurité publique pourraient s'opposer à la simple visite du contrôleur général ; nous estimons, au contraire, que c'est peut-être justement lors de troubles sérieux que sa visite s'impose davantage. Pour ce qui est des catastrophes naturelles, il nous semble que la force majeure devrait suffire à justifier que la visite soit reportée.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous proposons la suppression de cet alinéa de l'article 6.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour présenter l'amendement n° 67.
M. Robert Badinter. Je rejoins les propos qui viennent d'être tenus par M. Lecerf : on peut s'interroger sur la pertinence des restrictions indiquées dans cet alinéa ! Au nom de quoi invoquerait-on le secret de la défense nationale s'agissant d'une visite dans un lieu où les personnes, pour des raisons multiples, sont privées de leur liberté ? Quant aux catastrophes naturelles, il est évident que si un tsunami vient de se produire, il n'y aura pas de visite du contrôleur !
Il est tout aussi évident que le principe du libre accès est celui qui doit commander entièrement le texte que nous formons : l'espèce de frilosité qui caractérise ces restrictions n'a pas sa place ici, non seulement en considération du bon sens, non seulement compte tenu de la fonction et de la mission que nous assignons au contrôleur général, non seulement au regard de l'intérêt de l'administration pénitentiaire elle-même, mais parce qu'elle est contraire au texte même de la convention internationale à laquelle nous devons nous conformer !
Je rappelle que le protocole facultatif pose en son article 20 que les États parties s'engagent à accorder à leur contrôleur général l'accès à tous les renseignements concernant le nombre de personnes privées de liberté ainsi que celui des lieux de détention et leur emplacement ; l'accès à tous les renseignements relatifs au traitement de ces personnes et à leurs conditions de détention ; l'accès à tous les lieux de détention et à leurs installations et équipements...
Par conséquent, des réserves qui sont invoquées, la seule qui aurait un sens est le cas de force majeure ; mais ne va-t-elle pas de soi ? Il ne saurait y en avoir d'autres. En particulier, comme l'a rappelé M. Lecerf, les troubles sérieux dans l'établissement ne sauraient tenir lieu de motif : c'est précisément le moment où je pense que la présence du contrôleur peut être le plus utile.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l'amendement n° 92.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 32, présenté par Mme Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller est ainsi libellé :
Dans le troisième alinéa de cet article, supprimer les mots :
ou à des troubles sérieux dans l'établissement où la visite doit avoir lieu
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Comme M. Lecerf et M. Badinter, je considère que le droit de visite du contrôleur général ne doit pas faire l'objet de limitations qui ne répondent pas à une nécessité impérieuse d'ordre public, et je m'interroge sur les « troubles sérieux dans l'établissement », sur les graves dysfonctionnements qui sont invoqués.
Moi aussi, je pense que c'est justement dans ces moments-là que le contrôleur général doit intervenir : quand des personnes privées de liberté se plaignent de ne pas être traitées avec le respect dû à leur personne ; quand des conflits surviennent entre les personnes privées de liberté ; quand, précisément, existent des « troubles sérieux dans l'établissement ». Car, si sa mission est d'éviter les problèmes, de les prévenir, il doit aussi contribuer à les régler quand ils se manifestent. Son pouvoir d'observation, de médiation, de contrôle, le place au premier plan quand il s'agit de résoudre des troubles de ce type.
Si les autorités responsables décident de repousser la date d'une visite parce que des troubles sérieux se produisent, c'est qu'elles entendent exclure de fait le contrôleur de sa mission première. L'empêcher de visiter des lieux de privation de liberté dans de telles circonstances, c'est, en effet, une fois de plus, limiter ses pouvoirs, ce qui est tout à fait inacceptable.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je ferai d'abord une observation générale.
Je ne crois pas que le projet de loi visait, dans l'esprit du Gouvernement, à empêcher les visites ; au demeurant, le protocole facultatif comporte lui-même des restrictions. Je pense cependant que le texte s'est inspiré du dispositif de l'inspection générale des prisons en Grande-Bretagne, dans lequel coexistent les visites programmées et les visites inopinées, mais qu'il l'a fait avec, je dirai, une certaine maladresse : à partir du moment où l'on donne au contrôleur général la possibilité de se rendre dans les établissements à tout moment, il ne faut pas, dans le même mouvement, lui imposer de prévenir de sa visite.
Monsieur Mermaz, il est quelquefois utile de prévenir, tout dépend du type de résultat que l'on escompte de l'inspection !
M. Louis Mermaz. Je l'ai dit !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Puisque vous avez un petit peu brocardé les missions sénatoriales sur ce point, je dois rappeler que la commission d'enquête, que je présidais, s'était rapidement rendu compte qu'il était bien plus intelligent que quelques sénateurs visitent l'ensemble de l'établissement et se fassent présenter à tout moment tous les lieux - et pas seulement ceux qui avaient été repeints. Nous avons autant de flair que les députés, parfois même davantage, et nous n'étions pas dupes !
M. Louis Mermaz. Huit jours à l'avance !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non, cela ne s'est jamais produit, puisque nous avions décidé de prévenir la veille ! C'est donc que l'on vous a raconté des choses fausses - que bien entendu vous n'avez pas crues. (Sourires.)
M. Louis Mermaz. Je ne citerai pas mes sources, mais...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pour un établissement parisien, un seul, nous avons effectivement prévenu huit jours auparavant : nous n'avons pas reproduit l'expérience, car nous n'étions pas prêts à nous « faire avoir » une seconde fois.
Quoi qu'il en soit, là n'est pas l'important. Ce qui est compte, je crois que nous pouvons tous en convenir, c'est de combiner visites prévues et visites inopinées, comme cela se pratique en Grande Bretagne, sans restreindre a priori le droit de visite.
M. Louis Mermaz. Il faut les deux !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission est donc défavorable à l'amendement n° 52, qui vise à supprimer les deuxième et troisième alinéas de l'article 6.
Le troisième alinéa pose un problème différent du deuxième : il concerne les restrictions temporaires - je dis bien « temporaires » - aux visites du contrôleur général, lesquelles sont prévues par le protocole facultatif des Nations unies. Nous y reviendrons tout à l'heure.
Messieurs Lecerf et Portelli, j'aurais aimé émettre un avis favorable sur votre amendement, mais vous l'avez retiré, et à juste raison, au profit de l'amendement n° 36 de Mme Boumediene-Thiery.
Vous proposiez la suppression de l'information préalable des autorités responsables du lieu de privation de liberté avant les visites du contrôleur général. Le projet de loi ne fixe aucun délai pour cette information. À la limite, les autorités responsables pourraient être informées dans l'heure, voire dans la minute précédant la visite du contrôleur général. Dire simplement : « j'arrive », c'est une information, que je sache ! Cette disposition semble donc un peu superflue.
Le principe de l'information préalable n'est d'ailleurs pas prévu dans le protocole facultatif. De même, l'article 719 du code de procédure pénale ne le prévoit pas non plus pour le droit de visite des parlementaires. Il est donc préférable de laisser toute latitude au contrôleur général de choisir entre une visite programmée ou inopinée, selon le cas.
En accord avec M. Lecerf, nous émettons donc un avis favorable sur l'amendement n° 36 de Mme Alima Boumediene-Thiery, dont la rédaction est meilleure. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)
Pour la même raison, monsieur Sueur, c'est bien volontiers sans doute que vous vous rallierez à l'amendement n° 36, dont l'objet est identique à celui de l'amendement n° 64.
Les amendements nos 91, 66 et 65 sont, eux aussi, satisfaits par l'amendement n° 36.
Les amendements identiques nos 21, 67 et 92 tendent à supprimer le troisième alinéa de l'article 6. Ils visent donc à supprimer toute restriction au droit de visite du contrôleur général. La commission étant partagée sur ces amendements, elle s'en remet à la sagesse du Sénat.
Je rappellerai cependant, en tant que rapporteur, que des restrictions peuvent être justifiées dans les cas strictement et limitativement énumérés par l'article 6.
En outre, l'alinéa que l'amendement vise à supprimer reprend mot pour mot le point 2 de l'article 14 du protocole facultatif. Ces restrictions présentent un caractère provisoire. Elles ne conduisent qu'à un report de la visite.
J'en viens à l'amendement n° 32.
La notion de troubles sérieux susceptibles d'être opposés au droit de visite du contrôleur général figure au point 2 de l'article 14 du protocole facultatif. Cette disposition se justifie par la difficulté d'assurer la sécurité du contrôleur dans ces circonstances.
J'ajoute que le contrôleur général n'est pas un médiateur. De même qu'il est souhaitable que cette fonction ne soit pas rattachée au médiateur, de même le contrôleur n'a pas à exercer un rôle de médiation, qu'appellerait nécessairement une situation de trouble.
En revanche, il est souhaitable que le contrôleur général puisse se rendre sur les lieux dès que le calme est revenu pour s'interroger sur les raisons du trouble.
Je demanderai donc le retrait de cet amendement, qui n'a pas été adopté par la commission.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Tous ces amendements visent à supprimer les restrictions aux visites du contrôleur général prévues par l'article 6.
Or, aux termes de l'article 14 du protocole facultatif des Nations unies, il est possible de s'opposer aux visites inopinées du contrôleur général en cas d'impératifs graves et impérieux. Cet article prévoit, en effet, qu'« il ne peut être fait objection à la visite d'un lieu de détention déterminé que pour des raisons pressantes et impérieuses liées à la défense nationale, à la sécurité publique, à des catastrophes naturelles ou à des troubles graves là où la visite doit avoir lieu, qui empêchent provisoirement que la visite ait lieu ». Il ne s'agit donc que d'un report, non d'une interdiction.
Je vous donnerai un exemple précis : en 2003, la maison centrale d'Arles a été inondée. Dans un tel cas, il me semble préférable de reporter la visite du contrôleur.
De même, quand les détenus ne veulent pas remonter de promenade, il peut être préférable de mobiliser le personnel pénitentiaire pour les faire regagner leur cellule plutôt que pour permettre la visite du contrôleur général.
M. Jean-Pierre Sueur. Oui !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Il ne s'agit que d'un report de la visite, de restrictions temporaires. Pour des raisons de sécurité, nous souhaitons les maintenir, comme dans le protocole.
M. Jean-Pierre Sueur. Évidemment, en cas de tremblement de terre, le Sénat suspend ses travaux !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Imaginez que le contrôleur arrive au moment d'une évasion. Il sera peut-être plus urgent de s'occuper des conditions de sécurité du personnel et des détenus plutôt que d'accueillir le contrôleur !
M. Robert Bret. Mais il le comprendra de lui-même !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Pour ces raisons, nous sommes défavorables à l'amendement n° 52.
En revanche, nous sommes favorables à l'amendement n° 36.
Nous émettons un avis défavorable sur les amendements nos 91, 66 et 65.
Nous sommes également défavorables aux amendements identiques nos 21, 67 et 92, pour les raisons que je viens d'évoquer.
Enfin, nous sommes défavorables à l'amendement n° 32.
M. le président. Monsieur Détraigne, l'amendement n° 52 est-il maintenu ?
M. Yves Détraigne. Je suis prêt à retirer cet amendement, monsieur le président, mais je dois dire que je n'ai pas très bien compris l'avis de M. le rapporteur.
Il a émis un avis défavorable sur l'amendement n° 52, qui vise à supprimer les deuxième et troisième alinéas de l'article 6, mais il s'en est remis à la sagesse du Sénat sur les amendements identiques nos 21, 67 et 92, qui tendent précisément à supprimer le troisième alinéa !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur Détraigne, c'est vrai, mais je n'y peux rien. La commission a voté ainsi.
Je vous rappelle que nous nous sommes tous ralliés à l'amendement n° 36, qui tend à supprimer le deuxième alinéa de l'article 6 et à modifier la rédaction du troisième alinéa.
Votre amendement, qui visait très habilement à supprimer les deuxième et troisième alinéas, ne « colle » donc pas, de toute façon ! Je ne peux donc pas émettre un avis favorable.
M. le président. Monsieur Détraigne, votre amendement est-il toujours maintenu ?
M. Yves Détraigne. Je suis pleinement satisfait et je le retire donc au profit de l'amendement n° 36.
M. le président. L'amendement n° 52 est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 36.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, les amendements nos 64, 91, 66, 65, 21, 67 et 92 n'ont plus d'objet.
Je mets aux voix l'amendement n° 32.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Adrien Gouteyron.)