M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La séance est reprise.
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Souhaits de bienvenue à une délégation du Sénat du Canada
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le plaisir et l’honneur de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d’une délégation du Sénat du Canada, conduite par son président, M. Noël Kinsella. (M. le secrétaire d’État chargé des transports, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
Cette visite témoigne, quelques jours après celle de la Gouverneure générale du Canada, Mme Michaëlle Jean, des liens d’amitié qui unissent nos deux pays, souvent côte à côte lorsqu’il s’agit de défendre nos valeurs communes.
Elle s’inscrit également dans le cadre des célébrations du quatre centième anniversaire de la fondation de Québec par Samuel de Champlain, parti d’Honfleur, où M. Kinsella et sa délégation se sont rendus samedi dernier.
Je me réjouis de l’intensité des relations entre nos deux assemblées, qui entretiennent un dialogue régulier et mutuellement enrichissant. (Applaudissements.)
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Retrait d’une question orale
M. le président. J’informe le Sénat que la question orale n° 165 de M. Adrien Gouteyron est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.
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Réforme portuaire
Discussion d’un projet de loi déclaré d’urgence
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi portant réforme portuaire (nos 300, 331).
Rappel au règlement
M. Gérard Le Cam. Mon rappel au règlement concerne l’organisation de nos travaux.
Monsieur le secrétaire d’État chargé des transports, lors de votre audition en commission sur le projet de loi portant réforme portuaire, les membres du groupe communiste républicain et citoyen vous avaient demandé la transmission de l’avis du Conseil d’État.
En effet, en vertu de l’article 39 de la Constitution, le Conseil d’État est obligatoirement saisi de tous les projets de loi avant leur adoption par le conseil des ministres et leur dépôt devant le Parlement.
Monsieur le secrétaire d’État, vous vous êtes engagé à nous transmettre cet avis dont vous avez déclaré qu’il n’était pas « cachable ». Notons d’ailleurs qu’aucune disposition constitutionnelle ou législative ne s’oppose à la transmission des avis au Parlement.
Deux semaines plus tard, en dépit de nombreuses sollicitations auprès de vos services pour obtenir la communication de ce document, rien ne s’est produit.
Au moment de la réforme des institutions, cela montre l’état d’esprit du Gouvernement et sa crédibilité quand il affirme vouloir renforcer les droits du Parlement.
Si nous vous avons demandé ce document, c’est parce qu’il serait utile en termes d’expertise juridique à la formation du jugement de la commission des affaires économiques et de l’ensemble des sénateurs. Cela aurait été d’autant plus appréciable qu’aucune des commissions permanentes du Sénat n’a été saisie pour avis sur le projet de réforme.
Soucieux du renforcement effectif du rôle du Parlement et de sa pleine information sur les textes qui lui sont soumis, nous proposerons d’ailleurs, lors du débat sur les institutions, un amendement allant dans le sens de la communication au Parlement des avis susmentionnés.
Monsieur le secrétaire d’État, nous ne saurions raisonnablement imputer l’absence de transmission de l’avis du Conseil d’État sur le projet de loi relatif à la réforme portuaire, alors même que vous vous y étiez engagé en commission, à une volonté délibérée de votre part. C’est donc avec pleine confiance que nous réitérons notre demande.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État chargé des transports. Monsieur Le Cam, le secrétariat général du Gouvernement, que nous avons interrogé, nous a rappelé qu’il n’était pas de tradition de transmettre les avis du Conseil d’État. En outre, il s’agissait en l’occurrence, non pas d’un avis à proprement parler, mais de quelques modifications rédactionnelles, donc rien qui puisse retenir l’attention du Parlement.
Toutefois, monsieur Le Cam, si vous souhaitez connaître les termes et phrases sur lesquels portent ces quelques modifications, je vous ferai bien sûr parvenir le document en question au cours de cette séance, mais je crains que vous n’y trouviez pas d’informations susceptibles de retenir votre attention.
Discussion générale
M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État chargé des transports. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi sur la réforme portuaire qui est aujourd’hui soumis à la Haute Assemblée, assorti, monsieur Le Cam, de l’avis du Conseil d’État, que j’ai demandé à mes collaborateurs de vous faire parvenir le plus rapidement possible, résulte d’un constat qui est malheureusement assez simple.
Les ports français ne sont pas suffisamment compétitifs par rapport aux autres ports concurrents, qu’il s’agisse de ceux de la mer du Nord ou de la Méditerranée et, quand je parle de la Méditerranée, au-delà des pays européens, je pense aussi au nouveau port Tanger-Med au Maroc.
Tous les rapports, celui de la Cour des comptes mais bien d’autres encore, soulignent la dégradation globale de leur part de marché en Europe, puisque, sur une période d’un peu plus de quinze ans, celle-ci est passée de 17,8 % à 13,9 %.
Sur le marché mondial des conteneurs, qui connaît une croissance de plus de 5 % par an en Europe – dans les chantiers chinois et coréens sont actuellement construits des bateaux, pour des armateurs français d’ailleurs, où pourront trouver place jusqu’à 13 000 conteneurs – et qui génère une forte valeur ajoutée, la part de marché de nos ports est passée de 11,7 % à 6,2 %, soit une diminution de près de la moitié au cours de la même période.
J’ajouterai, pour donner une idée plus générale de la gravité de la situation, que la totalité du trafic des ports français est inférieure au trafic du seul port de Rotterdam. M. le Président de la République rappelait ce matin, à Orléans, que plus d’un conteneur sur deux arrivant dans notre pays a transité par un autre port européen.
Il me paraît donc important d’analyser les raisons de cette dégradation avant de vous présenter les grands axes du plan de relance des ports que je souhaite soumettre à votre assemblée.
La productivité de nos ports est, à quelques exceptions près, très récentes d’ailleurs, plus faible que celle de leurs concurrents européens.
Cela tient, d’abord, à la mauvaise performance de nos terminaux. Or, aujourd’hui, les armateurs, compte tenu du coût d’immobilisation des navires, souhaitent que les opérations de chargement et de déchargement soient menées le plus rapidement possible. En conséquence, nombre d’entre eux préfèrent passer par les ports belges, néerlandais ou espagnols, où la performance et la fiabilité sont bien meilleures.
Quelles sont les raisons qui expliquent cette lenteur, cette pesanteur d’organisation ?
Cela est dû tout d’abord au fait que les entreprises privées de manutention ne détiennent pas toujours la maîtrise des outillages de chargement et de déchargement, et pratiquement jamais celle du personnel qui y opère, à savoir les grutiers et les portiqueurs.
Alors que depuis 1992, grâce au courage de Jean-Yves Le Drian et de Michel Delebarre, les entreprises de manutention emploient librement les dockers pour les activités à quai, les outils et la manutention verticale relèvent encore de la compétence du port autonome. L’absence d’unité de commandement sur les terminaux est, hélas, l’une des principales causes du manque de productivité et de fiabilité de nos ports. Vous le voyez bien, une réforme de la gestion de l’outillage est indispensable : c’est pourquoi le Gouvernement vous la propose.
Enfin, la dégradation de la compétitivité de nos ports tient à l’insuffisance et à la mauvaise organisation de nos débouchés vers l’intérieur du pays. Votre rapporteur, Charles Revet, que je remercie pour la qualité de son travail, a raison de rappeler l’adage cher aux professionnels du secteur, selon lequel « la bataille maritime se gagne à terre ». La quantité et la qualité des liaisons avec l’arrière-pays sont des facteurs déterminants de la compétitivité d’un port. À titre d’exemple, je retiendrai que 70 % des conteneurs quittant le port de Hambourg pour une destination éloignée de plus de 300 kilomètres partent par la voie ferrée ; cette proportion n’est que de 10 % à 20 % dans les meilleurs de nos ports.
Face à ce constat, nous voulons rétablir la compétitivité des ports français et créer les dizaines de milliers d’emplois – en particulier dans la logistique – que nous pourrions créer autour de nos ports en en réformant l’organisation. Naturellement, cette réforme sera accompagnée d’un plan d’investissements permettant à nos ports d’affronter la concurrence européenne à armes égales.
C’est donc un enjeu majeur pour l’emploi et pour l’économie. Nous estimons sans tricher qu’au moins 30 000 emplois sont en jeu dans les secteurs du transport et de la logistique. Cette compétitivité retrouvée améliorera également la capacité d’exportation de nos entreprises, car c’est une grande faiblesse pour notre commerce extérieur que nos entreprises soit obligées de recourir à des ports situés au-delà de nos frontières pour exporter.
Cette réforme est aussi essentielle au succès de la politique de report modal et de lutte contre les changements climatiques, l’un de nos objectifs dans le cadre du Grenelle de l’environnement. C’est la raison pour laquelle le Président de la République a rappelé à plusieurs reprises – encore ce matin à Orléans – l’importance de ce plan de relance des ports français.
Le projet de loi que nous soumettons aujourd’hui à la Haute Assemblée entend donc relancer les ports français par trois grandes séries de mesures. Les premières redéfinissent les missions des ports autonomes, que nous proposons de rebaptiser « grands ports maritimes ». Les secondes concernent leur gouvernance et la coordination qui pourrait être établie entre grands ports d’une même façade maritime ou d’un même axe fluvial. Les troisièmes portent sur l’organisation de la manutention. Enfin, je l’ai déjà indiqué, ce projet de loi est également accompagné d’un ambitieux programme d’investissements.
Le premier volet du projet de loi concerne donc l’évolution des missions des ports, que nous redéfinissons dans une logique de développement durable. Le développement économique et l’amélioration de la compétitivité des ports devront aller de pair avec le respect de l’environnement et une politique de transport multimodale.
Pour cela, nous vous proposons de recentrer les ports sur leurs missions régaliennes d’aménageur et de gestionnaire du domaine : ils n’interviendront plus dans les activités de manutention, sauf cas exceptionnels. Ils pourront ainsi concentrer leurs moyens sur le développement du port et sur l’aménagement des dessertes terrestres afin de privilégier les modes ferroviaire et fluvial, conformément à l’objectif de doublement des dessertes non routières fixé à l’issue du Grenelle de l’environnement. J’insiste sur ce point car, vous l’aurez compris, ce n’est qu’en créant des terminaux performants et en perfectionnant les liaisons avec l’arrière-pays, efficaces et moins polluantes, que nous pourrons mener à bien cette politique de report modal.
Pour ce faire, les grands ports maritimes deviendront propriétaires de plein droit, au nom de l’État, de leur domaine. Ils auront à charge de développer intelligemment leur territoire et d’harmoniser ce développement avec celui des collectivités sur lesquelles ils sont implantés.
Afin de prendre en compte les spécificités locales, nous demanderons à chaque port de décliner toutes ses missions dans un projet stratégique qui définira tous les aspects du développement du port : l’aménagement, les infrastructures, l’environnement, la politique commerciale, la gestion foncière, l’intégration environnementale et la trajectoire financière. Ce projet stratégique sera un élément essentiel de notre nouvelle politique portuaire. Il faudra en effet développer une vision de moyen et de long terme afin de ne pas isoler le port dans son environnement. Naturellement, les collectivités locales pourront être partenaires, si elles le souhaitent, de ce projet stratégique.
M. Jean-Louis Carrère. Si elles le souhaitent !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État. Elles le souhaiteront ! Je n’ai jamais vu de collectivités locales se désintéresser de leur port, qu’il s’agisse d’un port d’État ou d’un port géré par elles-mêmes !
Le deuxième volet de ce projet de loi concerne la modernisation de la gouvernance des grands ports maritimes. Le système actuel est vieux de plus de quarante ans. Nous proposons de le remplacer, sur le modèle de nos entreprises, par un conseil de surveillance, un directoire et un conseil de développement. Je vais vous dire un mot de la composition de chacun, votre rapporteur ayant émis un certain nombre de propositions que nous examinerons avec tout l’intérêt qu’elles méritent.
Le projet de loi prévoit un conseil de surveillance comprenant seize membres, dont cinq représentants de l’État, quatre représentants des collectivités locales – nous souhaitons que leur place soit renforcée –, trois représentants des salariés de l’établissement et quatre personnalités qualifiées. Cette composition traduit la volonté du Gouvernement de réaffirmer le poids des collectivités locales, qui investissent dans ces ports très importants pour leur développement, ainsi que celui de l’État, qui doit exercer pleinement son rôle puisqu’il s’agit d’établissements publics nationaux.
Je me souviens à ce propos d’une remarque amusante d’Alain Juppé – mais que Jean-Marc Ayrault, Michel Delebarre, ou d’autres encore auraient pu prononcer : « Ce que je reproche à nos ports, ce n’est pas d’être des ports, c’est d’être des ports autonomes. » Ils sont en effet tellement autonomes par rapport aux collectivités sur les territoires desquelles ils travaillent qu’ils n’entendent pratiquement pas leurs voix !
Le directoire, quant à lui, comptera deux à quatre membres selon les ports. Il me paraît important que des membres de ce directoire puissent venir du monde de l’entreprise et – pourquoi pas ? – d’autres ports européens afin d’apporter leur expérience de réussite et d’enrichir nos pratiques.
Enfin, dans l’esprit du Grenelle de l’environnement, ces instances s’appuieront sur les avis d’un conseil de développement associant l’ensemble des parties prenantes du territoire : les acteurs économiques, les collectivités, les représentants des salariés, les personnalités qualifiées – dont les associations de défense de l’environnement – et tous les acteurs du transport terrestre… Ce conseil permettra de prendre en compte les aspects économiques, sociaux et environnementaux du développement des ports.
Ce système de gouvernance rendra, à notre avis, les établissements portuaires plus réactifs et tracera une distinction claire entre les missions de contrôle et la gestion courante de l’établissement.
Les projets stratégiques dont j’ai parlé tout à l’heure seront adoptés par le conseil de surveillance, après avis obligatoire du conseil de développement. Ce projet donnera ensuite lieu à l’établissement d’un contrat avec l’État et les collectivités locales – commune, intercommunalité, département, région – si celles-ci le souhaitent, bien évidemment !
Je précise enfin que ce projet stratégique devra, dans certains cas, se conformer aux grandes orientations d’un document cadre établi par un conseil de coordination. En effet, le projet de loi prévoit des dispositions permettant de coordonner le développement des ports d’une même façade maritime ou d’un même axe fluvial.
Prenons l’exemple de l’ouest atlantique : Nantes, La Rochelle, Bordeaux, au lieu de se faire concurrence, monsieur le sénateur Branger, devront travailler ensemble pour avoir une politique commerciale commune et, pourquoi pas, avec les collectivités locales si celles-ci souhaitent s’y associer. Michel Delebarre a en effet émis cette idée – qui me paraît bonne – devant le groupe de développement portuaire de l’Assemblée nationale.
Il en va de même pour l’axe de la Seine : Le Havre, Rouen et le port autonome fluvial de Paris devront, d’une manière ou d’une autre, s’associer. Ou encore, selon l’idée de Michel Delebarre que je trouve excellente, le port de Dunkerque sera amené à collaborer avec le port fluvial de Lille. Il faut que nous encouragions ces coopérations, voire que nous les rendions obligatoires, pour une meilleure politique commerciale et une meilleure gestion des investissements.
Soyons clairs, mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne reprenons pas les lubies de certains rapports : ne voyez pas dans notre démarche une volonté de fusion des ports dictée depuis Paris ! Vous le savez mieux que quiconque, chaque port a son histoire et ses modes de développement, sur lesquels nous n’interviendrons pas – Rouen n’est pas Le Havre, et réciproquement. Nous voulons seulement mettre en cohérence l’action de nos établissements publics en faveur de la politique portuaire de l’État.
J’en viens maintenant au troisième grand volet de ce projet de loi : la réorganisation et la rationalisation de la manutention.
Nos ports pâtissent de l’absence de commandement unique et de coordination, pour la même opération de chargement ou de déchargement, entre les dockers et les portiqueurs. Aussi voulons-nous mettre en place des opérateurs de terminaux intégrés – comme cela a déjà été expérimenté à Dunkerque ou à Port 2000 – ayant autorité sur l’ensemble de la main d’œuvre et des outils, à l’exemple de tous les grands ports européens. Le développement des ports espagnols a commencé le jour où les Espagnols ont mis en œuvre cette réforme.
Les sept grands ports maritimes bénéficiant du plan de relance devront donc transférer les outillages qu’ils possèdent à des opérateurs, dans les deux ans qui suivront l’adoption de leur projet stratégique. Vous le voyez, nous accordons le temps nécessaire pour que les choses se fassent intelligemment, port par port, sans aucun esprit de système.
La mise en œuvre de ces transferts privilégiera les opérateurs économiques locaux – il ne s’agit pas de remplacer un monopole public par un grand monopole privé –…
M. Charles Revet, rapporteur de la commission des affaires économiques. C’est important !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État.… qui participent à l’activité et au développement du port et font appel aujourd’hui aux services du port pour la manutention. Bien évidemment, les transferts ne se feront pas selon les mêmes modalités, pour tous les terminaux et dans tous les ports. Il y faudra de la souplesse : le contour de ces transferts sera déterminé dans chaque port.
Y aura-t-il partout une demande privée ? L’initiative privée fera peut-être défaut pour reprendre l’activité de certains terminaux. Le projet de loi prévoit ce cas de figure – votre rapporteur l’a examiné – et donne aux ports la possibilité d’agir, si le projet stratégique le justifie, par l’intermédiaire de filiales. Il leur permet également de détenir des participations minoritaires dans des opérateurs intégrés de terminaux, ou encore de traiter de manière spécifique, si cela s’avérait nécessaire, les terminaux qui relèveraient de l’intérêt national. Il permet enfin de traiter le cas spécifique de la maintenance.
Dans l’esprit de concertation qui a prévalu depuis le lancement de ce plan de relance, le Gouvernement souhaite que les partenaires sociaux puissent déterminer eux-mêmes les conditions dans lesquelles les agents des ports affectés aux activités de manutention pourront intégrer les opérateurs de terminaux. C’est pourquoi le projet de loi confie aux partenaires sociaux – cette discussion est en cours, jour après jour, semaine après semaine – le soin de parvenir, d’ici au 31 octobre 2008, à un accord-cadre. Cet accord définira les conditions du transfert ainsi que les mesures d’accompagnement social de la réforme. C’est une chance supplémentaire donnée au dialogue social ; en l’absence d’accord – mais rien ne le laisse augurer – des dispositions spécifiques sont prévues dans le projet de loi pour mettre en œuvre cette intégration.
La concertation port par port a fait apparaître que, pour certains terminaux, l’ensemble des agents ne pourraient intégrer les opérateurs. Comme l’a précisé le Premier ministre, personne ne sera laissé sur le bord du quai : les agents qui ne seraient pas intégrés resteront au sein des grands ports maritimes et de leurs filiales, où leur travail évoluera vers de nouvelles missions.
Le texte du Gouvernement comporte d’autres mesures protégeant les intérêts des salariés. Par exemple, pendant cinq ans, il ménage un droit de retour au sein du grand port maritime au salarié victime d’un licenciement économique dans l’entreprise où il aurait été transféré.
Je l’ai dit en commençant, cette réforme des ports sera accompagnée d’un programme d’investissements ambitieux. En complément des contrats de projets État-région 2007-2013, qui atteignaient déjà un montant sans précédent, l’État a décidé de doubler sa participation pour la période 2009-2013. Au total, les investissements prévus pour la période allant de 2007 à 2013 atteindront 2,7 milliards d’euros, parmi lesquels 445 millions d’euros seront à la charge de l’État, soit le double de ce qui était prévu. Ces financements porteront sur l’ensemble des grands ports maritimes. Ce plan de relance n’a pas été conçu pour tel ou tel port particulier : il s’emploie à développer les sept grands ports français.
Parallèlement, l’État renforcera sa participation à l’entretien des accès maritimes des ports – pour parler clair, au dragage. D’ici à cinq ans, il assurera même la totalité du financement, ce qui est aujourd’hui bien loin d’être le cas. Voilà, monsieur le président, quels sont les grands axes de cette réforme portuaire.
Avant de terminer, je dirai un mot sur la méthode et sur le calendrier.
Pour ce qui est de la méthode, nous avons choisi la voie de la concertation, et le projet de loi lui-même, ce qui est assez original, laisse une large place au dialogue social parallèlement au travail législatif et réglementaire.
Depuis l’annonce du plan, le 14 janvier dernier, consécutivement à deux déclarations du Président de la République, nous avons tenu plus de cent réunions, au niveau tant local que national. J’ai rencontré les acteurs locaux de chacun des ports concernés. Deux tables rondes ont été organisées, l’une le 21 février et l’autre le 8 avril, avec l’ensemble des organisations professionnelles et syndicales. Des négociations paritaires ont été engagées sur la mise en œuvre de la réforme. Nous avons confié à l’ancien président de La Poste et d’Aéroports de Paris, M. Yves Cousquer, que beaucoup d’entre vous connaissent et dont les qualités sont appréciées, la mission d’animer ce dialogue.
Le projet de loi entérine cet esprit de concertation et laisse une large place au dialogue social. Le Gouvernement respecte ses engagements sur la question de la manutention et donne aux partenaires sociaux une très grande latitude pour définir la manière dont ils seront mis en œuvre.
J’en viens au calendrier. Si le Parlement adopte ce texte avant la fin de la session, ce qui est notre souhait, la création des sept grands ports maritimes devrait avoir lieu avant la fin de l’année, dès que la loi sera signée et promulguée et que les textes réglementaires auront été publiés. Les ports élaboreront ensuite, dans un délai de trois mois, leur projet stratégique. C’est dans les deux années qui suivront l’adoption du projet de loi que se mettra en œuvre port après port la réforme de la manutention.
Je voudrais maintenant m’adresser tout particulièrement à M. le rapporteur, qui est un grand spécialiste des questions portuaires. C’est certainement le seul membre de la Haute Assemblée qui, un jour – non pas certes à titre personnel, mais au nom de la collectivité qu’il présidait –, a acheté un port ! (M. Charles Revet sourit.) L’engagement personnel qu’il a manifesté dans l’examen de ce projet de loi et les nombreuses auditions auxquelles il a procédé ont permis d’enrichir ce texte, comme nous aurons l’occasion de le voir lors de la discussion des amendements. Je tiens à l’en remercier du fond du cœur. Je voudrais également saluer la grande qualité du travail qui a été accompli par l’ensemble des membres de la commission des affaires économiques.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne pouvons commettre l’erreur de ne pas réformer nos ports ! Il est invraisemblable que leur situation soit si médiocre alors que notre pays dispose de trois façades maritimes – la mer du Nord et la Manche, l’Atlantique, la Méditerranée. Et je ne parle pas de nos territoires ultra-marins ! Nous pourrions être les premiers de la classe et créer des dizaines de milliers d’emplois que nous laissons, pour l’instant, partir à l’étranger. (M. Jean-Guy Branger acquiesce.)
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement est très déterminé à faire adopter ce projet de loi, dont le Président de la République a rappelé solennellement l’importance ce matin. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Revet, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons à examiner aujourd’hui le projet de loi portant réforme portuaire qui nous est soumis par le Gouvernement.
Chacun d’entre nous est convaincu de l’importance des décisions que nous allons prendre et de l’urgence qu’il y a à légiférer sur ce dossier.
M. le secrétaire d’État vient de nous retracer les grandes lignes de ce texte sur lesquelles nous reviendrons au fil de l’examen des treize articles qu’il comporte. Je voudrais, dans cette intervention, évoquer la problématique et les enjeux de la réforme qui nous est proposée. Je procéderai en trois temps : d’abord le constat, puis l’analyse des problèmes à résoudre, enfin les pistes d’actions envisagées pour redonner à nos ports une impulsion nouvelle, porteuse de développement économique et donc d’emplois directs ou induits.
J’énoncerai d’emblée deux affirmations.
Premièrement, nous ne pourrons accomplir de véritables avancées que si nous traitons la réforme portuaire dans sa globalité. Un port, s’il est une entité en soi, ne peut avoir un véritable développement que si l’on traite en même temps l’amont et l’aval. Comme c’est un lieu de passage des marchandises, son développement et, par conséquent, les emplois existants et à créer, mais plus encore les emplois induits, dépendent de sa fiabilité, de son efficacité, de sa compétitivité et des dessertes existant en amont et en aval. Selon les statistiques qui m’ont été données, 100 containers équivalent à un emploi annuel dans le transport et la logistique.
Deuxièmement, nous ne réussirons cette entreprise que si nous traitons de manière approfondie les différents aspects de fonctionnement de nos ports. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez eu raison de souligner qu’il n’y a pas une seule cause au retard extrêmement important du développement de nos ports par rapport à leurs concurrents du Nord ou du Sud : c’est l’ensemble de la filière qu’il faut revoir en profondeur. À cet égard, les très nombreuses auditions que j’ai menées dans le laps de temps trop court dont j’ai disposé et les visites que j’ai effectuées ont été très révélatrices.
Le contexte et le constat tiennent en quelques lignes. Le commerce international transite à 80 % par la mer, et cette proportion ne pourra qu’augmenter avec l’arrivée des pays émergents et des pays en voie de développement. (M. Jean-Guy Branger acquiesce.) Pendant que leurs concurrents directs au Nord et au Sud ont multiplié par deux ou par trois leur trafic en quelques années, nos ports n’ont augmenté le leur qu’à peine de 50 %. L’activité de Rotterdam égale aujourd’hui plus de la totalité de l’activité de nos ports et Anvers est devenu le premier port français. Comment expliquer une telle situation alors que nos façades maritimes, que ce soit en Méditerranée, dans l’Atlantique ou en Manche et en Mer du Nord, sont les mieux placées stratégiquement ?
J’en viens aux causes. Elles sont de différents ordres. J’en retiendrai quatre principalement : un retard d’investissement, qui est incontestable ; un fonctionnement mal coordonné ; des problèmes manifestes de gouvernance ; des dessertes en amont et en aval insuffisantes et souvent inadaptées. À partir de ce constat, je voudrais proposer des pistes de solutions qui découlent presque toujours de l’analyse des causes.
Le projet de loi propose de clarifier les compétences de nos ports : j’y souscris d’autant que nous devons respecter les directives européennes et les principes de fonctionnement qui en découlent.
Nos ports sont des établissements publics et ont, à ce titre, des prérogatives particulières en termes de responsabilités : tout d’abord, des responsabilités régaliennes pour assurer la sûreté et la sécurité par délégation de l’État, ensuite, des responsabilités d’aménagement nécessaires afin de permettre aux différents intervenants de développer leurs activités. Il appartient aux responsables du port d’en assurer la maîtrise d’œuvre et ils doivent y veiller dans la plus grande transparence.
Deux types d’activités sont développés : les vracs liquides ou solides, qui sont souvent des marchés captifs en raison de la proximité des entreprises de transformation, et les activités liées au développement de la conteneurisation qui, elle, peut passer d’un port à l’autre en fonction de l’attractivité du site portuaire. Dans les deux cas, les responsables du port doivent veiller à l’exercice d’une vraie concurrence, la susciter, voire l’organiser s’il n’y a pas assez d’opérateurs. Vous proposez de dissocier ce qui peut relever d’activités concurrentielles comme cela s’est fait ailleurs : nous ne pouvons que nous engager dans cette voie.
Le détournement de nombreux trafics s’explique, bien évidemment, par les incertitudes des armateurs quant à la fiabilité et l’efficacité de nos ports, c’est-à-dire quant aux délais qui leur seront imposés en matière de chargement ou de déchargement. Il est urgent de mettre en place l’unicité de commandement qui est un gage d’efficacité, comme cela se pratique dans tous les autres ports concurrents, afin de retrouver une crédibilité, et par conséquent la confiance des opérateurs. On peut comprendre que ce changement profond proposé aux différents personnels concernés suscite des inquiétudes, mais nous devons l’accomplir si nous voulons que nos ports reprennent leur développement. Certains de nos amendements ont pour objet de sécuriser ces personnels au-delà de ce que le texte prévoit déjà.
Un port ne peut être pleinement opérationnel que s’il a une grande autonomie de décision. C’est là aussi un impératif d’efficacité et de réactivité. Nos grands ports restent des ports d’État, mais de leur fonctionnement dépend le développement économique de chacun des hinterlands.
Les investissements qui sont engagés requièrent l’intervention des collectivités locales sous forme soit de concours financiers, soit de garanties : il est normal de mieux et plus impliquer les acteurs locaux dans les décisions, ce qui signifie qu’il faut déconcentrer la responsabilité. Un port doit pouvoir engager des dépenses dès lors qu’elles ont été approuvées par le conseil de surveillance, sans attendre l’aval de l’autorité de tutelle lorsque l’État n’est pas impliqué financièrement.
La gouvernance reposant sur un binôme composé du conseil de surveillance et de la direction générale, il est indispensable qu’il y ait une symbiose entre les deux parties. À cet égard, il paraîtrait normal que le futur directeur général expose, avant d’être nommé, son projet stratégique au conseil de surveillance et que sa nomination soit soumise à l’avis conforme de ce dernier.
En revanche, le directeur général doit disposer d’une grande marge de manœuvre tout à la fois dans la constitution de son équipe de direction et dans l’exercice de sa mission au quotidien. Cela implique qu’il puisse être remis en cause en cas de désaccord avec le conseil de surveillance, auquel il doit rendre des comptes.
Pour qu’il y ait une bonne cohérence de l’ensemble de l’activité portuaire, il est nécessaire – et c’est la responsabilité de l’État – que soit élaboré un schéma national, et ce sans tarder. Il me semble que, en aval, l’ensemble des partenaires locaux devraient s’engager dans la mise en place de structures de coordination pour assurer une bonne cohérence en matière de réalisation de dessertes, des investissements induits par le développement de l’activité portuaire, notamment en ce qui concerne l’implantation de zones d’activités liées à la logistique.
Voilà, monsieur le ministre, mes chers collègues, les réflexions que je souhaitais faire devant vous avant l’examen de ce projet de loi qui peut être déterminant pour l’avenir de nos ports.
Bref, c’est sur l’ensemble de la chaîne des activités maritimes qu’il nous faut agir, c’est-à-dire sur le programme d’orientation en matière de dessertes intermodales des ports – préfiguration d’un futur schéma national –, sur le recentrage des ports sur leurs missions de représentants de l’État et d’aménageurs, sur la mise en place de l’unicité de commandement, sur la gouvernance, sur une véritable autonomie de décision et d’engagement des investissements, sur le développement des dessertes et sur la mise en place de structures d’accompagnement des différents acteurs locaux.
Je souhaite que ce texte, enrichi par nos discussions et par nos propositions, permette de donner à nos ports une nouvelle dynamique génératrice de développement économique et donc d’emplois directs et induits, et qu’ainsi la France redevienne la grande puissance maritime qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Motion d’ordre