M. Jean-Claude Gaudin. Il était temps de le faire !
M. Jean-François Le Grand. C’est la seule possibilité pour redresser la situation. Encore faudra-t-il, j’y insiste, que les efforts soient partagés.
M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
M. Jean-François Le Grand. Vous déclinez cet objectif autour de quatre grands thèmes. À ce sujet, je dirai simplement que le fait de recentrer les grands ports maritimes sur leurs missions régaliennes, notamment la pleine propriété du domaine public maritime, est une excellente initiative. Pour le reste, il s’agit simplement de reprendre le modèle qui a réussi aux autres ports européens. C’est la moindre des choses si nous voulons nous placer sur un pied d’égalité avec nos voisins et concurrents, et cela, bien entendu, dans le meilleur esprit possible.
En revanche, en ce qui concerne la coordination des ports d’État d’une même façade maritime, il est absolument nécessaire, monsieur le secrétaire d’État, que la réforme portuaire puisse aller un peu plus loin.
À cet égard, je présenterai trois amendements pour que l’on reconsidère l’entité géographique d’une façade maritime ou d’une « sous-façade » maritime. Il ne s’agit pas de reprendre les grands espaces, mais de prendre en compte la complémentarité qui existe toujours entre les grands ports et les ports secondaires, notamment ceux que vous avez transférés aux collectivités. Je pense évidemment à ceux que nous avons pris en charge, soit directement au niveau des conseils généraux, soit encore, comme c’est le cas pour les ports de Cherbourg ou de Caen, dans un syndicat mixte associant les conseils généraux concernés et le conseil régional.
Nous devons nous aligner sur les possibilités qui sont offertes par les grands ports maritimes. Sinon, nous assisterons à une distorsion, non pas en termes de concurrence mais en termes de moyens, et cela finirait par être handicapant.
C’est la raison pour laquelle il serait bon que nous puissions procéder à ce toilettage du code des ports maritimes afin de l’adapter à la nouvelle donne issue notamment des transferts de compétences.
En ce qui concerne la prise en compte de la biodiversité, je présenterai des amendements visant à permettre la poursuite de la gestion des espaces naturels, la gestion des réserves foncières restant, quant à elle, de la compétence des grands ports. Il faut toujours associer l’économique et l’environnemental, mais je sais que tel est bien votre souci, monsieur le secrétaire d'État.
Si les nouvelles autorités portuaires doivent être recentrées sur leurs missions régaliennes d’aménagement et de gestion de leur domaine, elles doivent explicitement pouvoir agir comme de véritables acteurs économiques dans la chaîne du transport, c’est-à-dire en prenant des participations à l’extérieur et en établissant des partenariats avec des acteurs du transport et de la logistique, y compris, notamment comme opérateurs ferroviaires. C’est un ensemble que l’on ne peut dissocier, sous peine d’amputer la capacité d’action des différents acteurs.
Enfin, cela a été dit tout à l’heure par notre collègue Charles Josselin, il aurait été souhaitable de voir figurer dans ce texte un volet prospectif à moyen et à long terme, avec des objectifs à caractère général à l’horizon, non pas simplement de 2012, mais de 2025, en matière de performances, de développement du trafic, d’intermodalité.
Pourquoi ce volet prospectif est-il important ? Tout simplement parce qu’il pourrait constituer la base des projets stratégiques et des contrats avec l’État, les collectivités et les différents autres acteurs. C’est sur cette base qu’il est possible de contractualiser. À très court terme, il est trop difficile d’atteindre un objectif, et l’on sait très bien qu’il existe un temps de latence entre, d’une part, la décision et la réalisation, mais aussi, d’autre part, entre la réalisation et l’effet de la réalisation. C’est la raison pour laquelle l’échéance de 2025 – soit les dix-sept années qui sont devant nous – est satisfaisante pour pouvoir inscrire un volet prospectif.
Tels sont, monsieur le secrétaire d’État, les éléments que je souhaitais vous livrer après l’intervention de Patrice Gélard, qui a dit l’essentiel, et beaucoup mieux que je n’aurais su le faire ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Je dirai juste quelques mots pour remercier les différents orateurs ainsi que M. le rapporteur.
M. Josselin a rappelé à juste titre que la réforme de 1992 avait été courageuse et qu’il y avait pris sa part, ce dont je lui donne volontiers acte. J’ai apprécié son attitude constructive, ainsi que celle de M. Guérini, même si elle se traduit pour l’instant par une abstention de leur part. Un certain nombre d’arguments qu’ils ont avancés ont d’ailleurs été invoqués par les orateurs de la majorité.
Je remercie également MM. Patrice Gélard et Jean-François Le Grand, ainsi que Mme Catherine Morin-Desailly, de leur soutien sur ce texte. Il faudra en effet préciser les orientations financières. Par nature, elles ne peuvent pas figurer dans un texte de loi, mais il conviendra de trouver le moyen de les graver dans le marbre, puisque la volonté de l’État est d’investir, comme nous l’avons indiqué, dans ce plan de relance.
Bien évidemment, tout cela est lié aux différents textes découlant du Grenelle de l’environnement que nous vous présenterons avec Jean-Louis Borloo. Le « Grenelle 1 » sera la grande loi d’orientation et les mesures d’application seront contenues dans d’autres textes de loi qui seront présentés au fil des semaines à la représentation nationale.
Naturellement, madame Morin-Desailly, – j’évoquais précisément ce sujet ce matin avec M. Fabius –, l’affaire du contournement Est de Rouen est très importante ; chacun connaît les difficultés de la desserte ferroviaire de Rouen et du Havre et la nécessité d’ouvrir un axe qui puisse désenclaver l’agglomération. Nous aurons l’occasion d’en reparler et d’y travailler avec vous.
M. Josselin a évoqué les autoroutes de la mer. Il est vrai qu’on a parfois plus entendu de discours que constaté d’actions, mais la situation commence à changer : je pense, s’agissant de la Méditerranée, à la liaison entre Toulon et le port de Rome de Civitavecchia par l’armement Louis-Dreyfus.
M. Jean-Claude Gaudin. C’est un beau succès !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Certes, mais l’équilibre est encore un peu fragile !
S’agissant d’une autoroute de la mer sur la façade atlantique, les choses avancent bien puisque nous avons un appel d’offres commun avec l’Espagne pour une telle autoroute reliant Bilbao, Santander et les ports de l’Atlantique. Cette autoroute pourrait même aller un peu plus loin que la pointe de la Bretagne.
Lors de la présidence française de l’Union européenne, nous tiendrons un conseil des ministres informel des transports à La Rochelle le 1er et le 2 septembre prochain, dès que le parti socialiste aura libéré les hôtels de cette grande cité – mais ces détails techniques ont été réglés avec le député-maire de la Rochelle ! (Sourires) –, afin de travailler sur ces autoroutes de la mer.
Nous tenons à associer les ministres marocains, algériens et tunisiens à ces travaux, à la demande du Premier ministre. En effet, nous estimons que, à l’instar des dessertes qu’évoquait M. Guérini tout à l’heure entre l’Italie, l’Espagne et la France, un ensemble d’autoroutes de la mer entre les pays européens et les pays du Maghreb pourraient être mises en place. Nous souhaitons également associer à cette réflexion M. Jean-Claude Gaudin, qui est très attaché à la création de ces dessertes.
Il est vrai que nous avons un peu attendu pour présenter ce texte puisqu’il a été annoncé à Marseille – M. Gaudin s’en souvient – à l’occasion de l’inauguration de la ligne de tramway de Marseille par le Président de la République.
M. Jean-Claude Gaudin. Le 3 juillet !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. C’était en effet une belle et chaude journée !
En vérité, nous avons souhaité que ce texte soit en phase avec le Grenelle de l’environnement, car la politique portuaire ne peut pas se concevoir en dehors d’une politique de transport globale et de report modal, comme l’a excellemment indiqué Jean-François Le Grand, qui a joué un grand rôle dans le déroulement du Grenelle de l’environnement.
Nous avons essayé d’insérer ce texte dans le calendrier parlementaire, pour faire en sorte que ce plan de relance s’intègre parfaitement dans le cadre de la politique de report modal, sachant que le transport maritime, en dehors de sa dimension internationale, peut aussi jouer un rôle dans le report des transports qui se font à l’intérieur de l’Union européenne par le biais des autoroutes de la mer ou par le biais d’autres types de transport.
Ce projet a, je l’espère, sa cohérence. Le Gouvernement sera ouvert à tous les amendements et sera éventuellement prêt à trouver des accords à leur sujet, puisque la Haute Assemblée, comme elle en a l’habitude, a beaucoup travaillé sur ce texte.
Ce débat est important, et nous sommes heureux qu’il puisse commencer dans cet hémicycle, avec la qualité et la sérénité qui caractérisent toujours les discussions du Sénat. Tous les groupes participent aux travaux dans un esprit constructif, même si M. Le Cam est malheureux de ne pas pouvoir s’abstenir, il nous le redira dans un instant. Je ne désespère pas de le voir changer d’avis à la faveur du débat. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire de Finlande
M. le président. Mes chers collègues, permettez-moi de saluer dans les tribunes d’honneur une délégation de la Grande Commission du Parlement de Finlande, qui est venue s’entretenir avec la délégation pour l’Union européenne du Sénat et son président Hubert Haenel, à la veille de la Présidence par la France de l’Union européenne. (M. le secrétaire d’État, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
Je vous adresse, mesdames, messieurs, un cordial salut, en vous souhaitant un bon séjour à Paris et de fructueux entretiens. (Applaudissements.)
10
Réforme portuaire
Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi déclaré d’urgence portant réforme portuaire.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par MM. Le Cam, Bret, Billout et Danglot, Mmes Didier, Terrade, M. Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n°18 rectifié, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi portant réforme portuaire (n° 300, 2007-2008).
La parole est à M. Robert Bret, auteur de la motion.
M. Robert Bret. Il y a près d’un an, au courant du mois de juin 2007, de passage à Marseille pour inaugurer le tramway, le Président de la République évoquait la nécessité de réformer les ports autonomes.
À l’évidence, à l’époque, l’annonce de la réforme était consécutive aux dix-huit jours de grève sur le bassin pétrolier de Lavera et de Fos-sur-Mer des salariés du port autonome de Marseille, qui demandaient que des agents portuaires soient employés pour le branchement et le débranchement sur le nouveau terminal méthanier de Fos.
Aujourd’hui, reprenant le leitmotiv du MEDEF, selon lequel les ports autonomes français, celui de Marseille en particulier, seraient à l’écart de la croissance mondiale au motif qu’ils sont gérés comme des établissements publics, le Gouvernement nous soumet donc, en procédure d’urgence, un projet qui implique que la compétitivité de nos ports dépendrait d’une réforme dite « économique », articulée autour de quatre axes précédemment évoqués lors de la discussion générale.
En outre, ce projet, il faut le souligner, s’appuie sur le rapport Gressier. Ce dernier part du postulat selon lequel la réforme de 1992 relative au statut des dockers et l’expérience de Dunkerque étant positives, elles devraient par conséquent faire référence.
Or aucune évaluation permettant de justifier ce postulat n’a été rendue publique. Pourtant, monsieur le secrétaire d’État, la réforme de 1992 imposait que soit présenté chaque année devant le Parlement un rapport relatif aux conséquences de cette dernière. Cela n’a jamais été fait. Pourquoi. ?
De surcroît, l’exemple de Dunkerque, qui fait office de laboratoire, laisse perplexe puisque c’est le seul port présentant un bilan négatif : moins 6 % pour les conteneurs et moins 4 % pour le trafic global !
En revanche, une étude de la CGT portant sur la période allant de 1991 à 2006 conclut que les mesures prises ont conduit à un bilan socialement catastrophique – moins de 50 % des emplois promis ont été créés –, économiquement coûteux et totalement inefficace en termes de développement de l’activité commerciale puisque seulement 6 millions de tonnes de marchandises supplémentaires ont transité par Dunkerque.
Comment croire que, à partir d’un postulat aussi biaisé, les propositions contenues dans ce projet de loi puissent être fondées et pérennes ?
Si l’on souhaite que nos ports retrouvent leur place parmi les premiers grands ports internationaux, il ne faut surtout pas se tromper de diagnostic ! La France doit s’engager dans une véritable politique portuaire et de transport maritime et non se livrer à une basse manœuvre idéologique fondée sur l’idée que le privé est plus opérationnel que le public.
Car s’ils présentent des faiblesses, que nous ne contestons pas, nos ports disposent également d’atouts qui ne sont que trop rarement évoqués !
Les ports sont créateurs d’emplois directs et indirects. Ils sont de puissants outils d’aménagement du territoire. Ils assument une mission d’intérêt général en étant au service de l’économie des régions sur le territoire desquelles ils sont implantés et du pays dans son ensemble. Mais encore faut-il leur donner les moyens de fonctionner et de se développer !
Marseille-Fos, par exemple, ce sont 1 400 sociétés qui travaillent ensemble, 20 000 emplois liés au port, soit 7,6 % de l’emploi salarié privé, 31 000 emplois indirects, 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 44 millions d’euros de taxe professionnelle.
Ce port polyvalent, unique en Méditerranée, concentre toutes les formes d’activités. Doté d’un outillage de grande qualité, d’une excellente réputation dans le domaine de la réparation navale, d’un remarquable niveau de services et de qualifications, qui sont autant d’atouts, il bénéficie en outre d’une position géographique exceptionnelle, au cœur des échanges avec l’Afrique du Nord, la Méditerranée orientale et l’Asie, via le canal de Suez.
Dans ces conditions, feindre d’ignorer les atouts et ne retenir que les faiblesses serait, à l’heure de la réforme, l’assurance d’aller à l’échec, monsieur le secrétaire d'État.
On pointe régulièrement l’absence d’unité de commandement sur les terminaux, la faible productivité et le manque de fiabilité, imputés aux seuls salariés et à leurs organisations syndicales.
Mais pourquoi ce besoin d’unité de commandement, que nous ne contestons d’ailleurs pas, serait-il contradictoire avec la maîtrise publique ? Il est tout à fait possible de réorganiser le travail autour de coopérations transversales et de conventions rigoureuses, avec un établissement portuaire commandeur de ces différentes activités, comme l’atteste, au Havre, l’expérience Port 2000, où le bilan de 2007 fait une augmentation de 26 % du trafic conteneurs.
À mon sens, seule une maîtrise publique peut permettre le renforcement des liens des ports avec leurs territoires, c’est-à-dire leur hinterland, en organisant une complémentarité intelligente, dans une politique cohérente, entre les ports décentralisés autour des grands ports autonomes Qui d’autre que l’État peut mettre en place une telle politique, assumer en toute sécurité la synergie de l’activité portuaire sur tout le littoral français ?
En outre, la maîtrise publique n’empêche nullement la présence de l’investissement privé, comme en témoigne, à Marseille, la stratégie volontariste, engagée depuis 2000, d’extension des capacités de traitement des conteneurs, stratégie qui s’appuie sur la concession des terminaux à des opérateurs privés internationaux tels que CMA-CGM ou MSC, avec des investissements privés compris, selon les estimations, entre 200 millions et 250 millions d’euros.
De la même manière, comment considérer que seuls les salariés des ports, en l’occurrence les grutiers et les portiqueurs, et leurs organisations syndicales sont responsables du problème de productivité et de rentabilité tandis qu’aucune prospective commerciale, aucune orientation stratégique, aucune programmation financière n’a été engagée ces trente dernières années pour les ports autonomes ? Ces options sont d’ailleurs également absentes du projet de loi.
C’est faire preuve de mauvaise foi que d’expliquer que ces retards accumulés sont imputables aux personnels et à leurs syndicats. Prenez garde aux lieux communs ! Les syndicats montrent leur désaccord non par plaisir, mais par souci de sauvegarde et de développement de l’emploi, de défense du statut du salarié.
Qui peut croire que les dix-huit jours de grève qui ont eu lieu à Marseille, en mars 2007, aussi fort qu’ait été le mouvement, puissent réduire à néant une politique portuaire nationale ? Le fait est que cette politique est totalement inexistante.
Des investissements de haut niveau devraient être programmés, des politiques portuaires pérennes conduites. Lorsque l’on fait appel aux travailleurs et aux salariés, ils savent démontrer leur professionnalisme, leur volonté de participer au développement des ports. Ce sont surtout les investissements qui font défaut !
Ainsi, lorsqu’on est capable d’associer investissements, volonté des salariés et qualification professionnelle, comme c’est le cas avec Port 2000, avec le projet 2 XL, bientôt 3 XL, à Fos, avec le terminal de l’anse Saint-Marc, à La Rochelle, avec la CMA-CGM, qui vient de remporter l’appel d’offres de la forme 10, à Marseille, la plus grande forme de radoub d’Europe, capable de recevoir des bateaux de plus de 400 mètres en réparation navale, on s’en rend bien compte, les résultats suivent !
Pour qui veut bien écouter autre chose que l’antienne mettant systématiquement en cause les salariés et leurs syndicats, la raison du manque de productivité est évidemment ailleurs.
Mes chers collègues, dans les ports du nord aussi, il y a des mouvements d’humeur, de contestation. Mais les gouvernements concernés, hollandais, belge ou allemand, s’efforcent, en pareille situation, de remonter à la source du conflit pour y remédier plutôt que de le monter en épingle en cherchant à ameuter l’opinion.
Cela n’a rien à voir avec la politique d’un État qui se met systématiquement en recul, voire se désolidarise des ports, alors qu’il en est l’actionnaire principal, un État qui, durant toutes ces dernières années, à chaque conflit impliquant des agents portuaires et des dockers, a stigmatisé les grévistes et leurs organisations syndicales, tout en répétant inlassablement que la solution résidait dans la libéralisation portuaire pour mieux se défausser de ses propres responsabilités.
Nous sommes tous d’accord pour reconnaître qu’une réforme est nécessaire, et même qu’elle serait salvatrice. Il nous faut néanmoins, pour la mener à bien, identifier les causes réelles de notre retard, puis les traiter politiquement et financièrement.
Les sept grands ports français – Marseille, Le Havre, Dunkerque, Nantes-Saint-Nazaire, Rouen, Bordeaux et La Rochelle – connaissent tous, dans le contexte d’une économie mondialisée – 80 % des échanges se font par la voie maritime – une dégradation globale, due à une insuffisance de compétitivité. C’est particulièrement vrai pour le secteur des conteneurs, où notre part est passée de 11,7 % à 6,2 %, alors que ce marché connaît une croissance de 5 % par an.
Cependant, les autres ports européens, dont la productivité était meilleure ces dernières années, connaissent également des difficultés, liées notamment à des phénomènes de saturation.
Si Marseille-Fos, le premier port français, est quatre fois plus petit que le premier port européen, Rotterdam, à qui la faute ?
Cet état de fait résulte, pour l’essentiel, du désengagement financier et stratégique de l’État, principal actionnaire, qui au fil des années n’a plus assumé sa part des investissements, conduisant ainsi les ports autonomes à s’autofinancer, en fait à s’endetter, et à recourir à l’apport du privé.
S’il est de bon ton de comparer la productivité des ports français à celle de nos amis européens, comparons également les financements publics. La contribution nette de l’État, sur la période 2000 à 2006, pour les sept ports français, aura été de 140 millions d’euros, soit l’équivalent de 13 % de l’effort d’investissement – à défaut des 60 % prévus –, alors qu’il est de 42 % à Anvers.
Afin de rendre plus rapide la rotation en chargement et en déchargement des conteneurs, les grands ports européens se sont lancés dans des opérations d’investissements en infrastructures d’une ampleur et d’un coût sans commune mesure avec celles qui ont été réalisées en France au cours de la période récente.
À l’évidence, il y a une relation de cause à effet entre ces investissements et la productivité du port qui en bénéficie. En 2007, Anvers a traité 181,5 millions de tonnes, soit autant que Le Havre et Marseille. Or, sur la période 1997-2005, les crédits d’intervention directe et de concours financier aux ports belges ont été trois fois supérieurs à ceux des ports français.
Faiblesse des investissements financiers, disais-je, mais aussi absence, ces trente dernières années, d’une véritable politique maritime portuaire. Qu’ont fait l’État et le patronat pour rendre nos ports compétitifs ? Comment a été anticipée la grande « révolution » des conteneurs ?
À Marseille, pendant longtemps, le patronat s’est contenté de la rente coloniale et de celle des produits pétroliers, sans réaliser les investissements qui auraient pourtant été nécessaires à l’essor de l’activité portuaire. La fragilité de nos deux bassins résulte de la faiblesse de l’hinterland, qui ne permet pas un remplissage à 100 % des bateaux.
J’ajoute que, contrairement à une idée répandue, par rapport à nos concurrents européens, les coûts portuaires sont moindres en France. Hélas, avec moins de moyens matériels et de logistique, la qualité de l’offre est forcément plus faible.
Si l’on assiste à une baisse des parts de marché tandis que le trafic des conteneurs n’a jamais été aussi important, ce n’est pas parce que les hommes, qui travaillent avec les moyens qu’on leur fournit, ne sont pas compétents. La productivité et la fiabilité d’un terminal ne dépendent pas seulement de facteurs sociaux et humains, comme voudrait nous le faire accroire le Gouvernement. Non ! C’est parce que les infrastructures de nos ports et les dessertes françaises ne sont pas à la hauteur des enjeux internationaux !
En France, les décideurs ont montré leurs limites pour défendre et développer nos ports. L’absence d’anticipation et de politique visionnaire n’a pas permis à nos ports de se placer à la hauteur des enjeux. Alors que le développement de la fonction logistique est devenu le pendant de la mondialisation de l’économie et des délocalisations des entreprises de l’Europe vers le Sud-est asiatique, la France accueille aujourd’hui seulement 5 % du total des entrepôts de distribution de produits asiatiques en Europe, contre 56 % aux Pays-Bas, 22 % en Allemagne et 12 % en Belgique. L’argument de la fiabilité sociale ne saurait donc expliquer la baisse de la productivité des ports autonomes.
Quant à la future fiabilité de nos ports, que sera-t-elle demain, lorsque les outillages auront été cédés au secteur privé et que seule prévaudra la concurrence entre opérateurs privés ?
M. Jean-Claude Gaudin. Elle sera meilleure !
M. Robert Bret. Aujourd’hui la maîtrise publique permet un équilibre global entre les recettes et les dépenses des ports autonomes, entre les différentes activités et les différentes professions au sein du domaine portuaire. Mais, demain, qu’en sera-t-il ? La volonté de spécialiser certains ports aux dépens des autres est très risquée pour le maintien de certaines activités.
Aujourd’hui, cette mise en cohérence relève de la responsabilité des services publics, donc des ports autonomes. Demain, qui assumera ce rôle ? La gouvernance des ports doit donc intégrer des critères de responsabilité sociale et territoriale.
Avec ce projet de loi, il est également question du transfert de la pleine et entière responsabilité des activités ferroviaires et de l’organisation des dessertes sur le domaine maritime à l’autorité portuaire. Nous y reviendrons au cours du débat.
Monsieur le secrétaire d'État, une chose est de réformer, une autre est de financer une réforme visant à développer les activités et l’emploi.
À Marseille, on évoque le transfert au privé de 230 à 270 des 1 489 agents, du transfert aux filiales de 400 à 440 personnes, quelque 830 salariés restant affiliés à l’établissement portuaire. Puisque tout semble décidé à l’avance, à quoi bon préciser dans le projet de loi que les négociations se poursuivront jusqu’au 1er novembre 2008 ?
Non, le but de la réforme est tout autre. Il s’agit de transférer les opérations commerciales au secteur privé, donc de retirer aux établissements les recettes produites par les redevances d’outillage, et de tout reporter sur les droits de port et sur les redevances domaniales. « Au public les déficits et au privé les bénéfices ». Quelle belle affaire !
Par ailleurs, si les ports autonomes sont exonérés de la taxe professionnelle, ce n’est pas le cas des entreprises privées. De fait, la privatisation des outillages entraînera leur assujettissement à la taxe professionnelle, ce qui, par répercussion, provoquera une augmentation du coût de passage : il faudra bien compenser ce prélèvement ! Or ni la Belgique, ni l’Espagne, ni les Pays-Bas, ni le Royaume-Uni ne sont assujettis à une telle taxe.
Autant dire que, contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, le transfert de l’outillage n’est en aucun cas une mesure d’amélioration de notre compétitivité. D’autant qu’un aménagement fiscal ne saurait être admis eu égard au principe d’égalité devant l’impôt, principe constitutionnel qui implique que soit tout le monde le paie, soit personne ne le paie. Dans cette dernière hypothèse, qui compensera demain le manque à gagner des collectivités territoriales ? Alors qu’elles ont soutenu les établissements portuaires, financé et réalisé certains investissements en matière d’équipement et d’outillage des ports, on envisage, sans solliciter leur avis, de céder ces installations au secteur privé.
Ainsi, il est demandé aujourd’hui aux parlementaires de valider le principe de la cession au secteur privé, au profit des actionnaires, de ce qui a été financé par l’argent des contribuables.
M. Jean-Claude Gaudin. Vous exagérez !
M. Robert Bret. La modernité, l’audace de la réforme résiderait dans la nouvelle gouvernance de nos grands ports maritimes, constituée d’un directoire qui concentrerait l’essentiel des pouvoirs et d’un conseil de surveillance où siégeraient les représentants des collectivités territoriales et des syndicats, sans réels moyens de contrôle ni d’action.
En outre, le projet de loi précise que seuls les personnels de l’établissement public seront représentés : quid des salariés des entreprises privées et des filiales ? Le projet de loi renvoie à des décrets…
Par ailleurs, monsieur le ministre, pourquoi exclure les chambres de commerce et d’industrie de cette réforme ?
Autant nous sommes favorables, comme les personnels portuaires, à une réforme intelligente et intelligible, autant nous ne saurions valider un texte d’où sont absents tous les fondamentaux.
J’insisterai, avant de conclure, sur le fait qu’il n’y a pas d’accord cadre garantissant les droits des salariés et leur devenir. Soit le transfert des salariés est acté, et le délai de négociation est alors arbitraire et ne sert qu’à éviter un conflit, soit les négociations sont réelles, et il convient alors de reporter la discussion de ce projet de loi.
Il n’y a pas davantage de budgétisation des transferts : il est impensable de faire cadeau aux opérateurs privés des installations portuaires existantes !
Bien évidemment, une programmation des investissements de l’État est à nos yeux indispensable puisque celui-ci s’engage à investir dans les ports 174 millions d’euros supplémentaires pour la période 2009-2013 et, ainsi, à porter le total à 367 millions d’euros. Vu que, pendant trente ans, alors qu’il en était l’actionnaire principal, l’État a sous-investi dans ses ports autonomes, permettez-nous d’éprouver aujourd’hui l’impérieux besoin de disposer de fortes garanties pour l’avenir !
A fortiori, la définition des missions économiques, sociales et environnementales de chacun des partenaires nous semble utile et nécessaire, car une véritable réforme impliquerait de développer les autoroutes des mers, le cabotage maritime, ainsi que le ferroviaire, comme cela a déjà été évoqué, de façon à élargir les hinterlands et à permettre l’utilisation du mode le mieux adapté dans la chaîne de transport entre origine et destination.