M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je salue la passion de M. Cointat pour la représentation au Parlement, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, des Français établis hors de France !
La théorie très originale de la collectivité de fait sans territoire est intéressante.
Cela étant, je rappelle que, en 2003, il avait d’abord été établi que le Sénat examinerait en premier lieu les textes concernant les collectivités territoriales. Comme notre assemblée avait le monopole de la représentation des Français établis hors de France, il était bien naturel que, sur la proposition de M. Cointat, d’ailleurs, nous ayons étendu cette priorité aux textes les concernant.
Si cette priorité se justifie toujours dans le premier cas parce que le Sénat continue d’assurer la représentation des collectivités territoriales, la création de députés représentant les Français de l’étranger entraîne, en bonne logique, qu’il n’y ait plus de priorité d’une assemblée sur l’autre dans le second cas.
M. Michel Charasse. Pour l’instant, il n’y en a pas !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous verrons plus tard quelles sont les mesures transitoires à prendre.
Nous ne pouvons donc, monsieur Cointat, être favorables à l’amendement que vous avez défendu, l’Assemblée nationale ayant tiré la conséquence logique de la création de députés des Français établis hors de France.
En revanche, nous avons réintroduit à l’article 34 de la Constitution la mention des institutions représentant les Français établis hors de France, celle-ci ayant été supprimée à l’article 39.
Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement, tout en comprenant parfaitement vos arguments. À défaut, la commission émettra un avis défavorable.
Cela étant, vous semblez en fait regretter, dans votre for intérieur, la création de députés représentant les Français établis hors de France ! (M. Christian Cointat rit.) Ne pas y procéder aurait d’ailleurs facilité les choses, puisqu’un nombre maximal de députés a été fixé !
Par ailleurs, la commission est également défavorable à l’amendement n° 463, car il n’y a à mon sens aucune raison de revenir sur ce que nous avions voté en 2003. Il me paraît nécessaire, dans cette période, d’insister sur la qualité de représentant des collectivités territoriales du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Monsieur Cointat, vous souhaitez maintenir la priorité accordée au Sénat pour l’examen des projets de loi relatifs aux instances représentatives des Français de l’étranger. Je ne reprendrai pas les arguments que vient de donner M. le rapporteur.
Vous souhaitez également conserver dans la Constitution la mention de ces mêmes instances. Sur ce point, le Gouvernement vous a pleinement suivi, puisque nous sommes très attachés également à l’existence de telles institutions, qui contribuent à maintenir le lien entre nos compatriotes installés à l’étranger et notre pays. C’est pourquoi le Gouvernement a soutenu votre amendement tendant à compléter l’article 34 de la Constitution.
S’agissant de l’amendement n° 45 rectifié bis, je comprends tout à fait son objet. Les Français établis hors de France constituent certes une communauté, mais non une collectivité territoriale. C’est pourquoi je vous invite à retirer cet amendement ; à défaut, le Gouvernement y sera défavorable.
Par ailleurs, aucun motif particulier n’amène à réviser la loi de mars 2003 en ce qui concerne l’examen en premier lieu par le Sénat des projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales, puisque le Sénat continue, aux termes de l’article 24 de la Constitution, d’assurer la représentation des collectivités territoriales.
Cette priorité se justifie, c’est pourquoi nous sommes défavorables à cet amendement.
M. le président. Monsieur Cointat, l’amendement n° 45 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Christian Cointat. J’indiquerai à l’adresse de M. le rapporteur que je ne regrette pas que le M. le Président de la République se soit penché avec attention sur la situation des Français établis hors de France et ait pensé que la meilleure façon de régler une partie de leurs problèmes était d’épauler les sénateurs les représentant par des députés et de leur permettre d’avoir voix au chapitre au sein de l’Assemblée nationale.
Il ne peut s’agir là d’une erreur, puisque le Président de la République est à l’origine de cette disposition (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.), qui va dans la bonne direction. Il va donc de soi que je me réjouis qu’elle ait été prise, mais je reconnais que, comme pour toute bonne chose, il faut veiller à ce que le meilleur ne devienne pas le pire. C’était le sens de mon amendement.
Je tiens à dire aussi qu’il s’agit pour nous non pas d’insister, au travers de cet amendement, sur la priorité accordée au Sénat en tant que telle, mais sur la nécessité d’instaurer une égalité de traitement entre la collectivité de droit et la collectivité de fait.
Cela étant dit, madame la ministre, vous avez su comprendre les Français établis hors de France en acceptant l’inscription à l’article 34 de la Constitution de leurs instances représentatives, ce qui était le plus important. Dans ces conditions, puisque le Gouvernement a bien montré qu’il s’intéressait aux Français établis hors de France et qu’il était prêt à poursuivre la réflexion sur ce sujet, je retire mon amendement.
M. Charles Pasqua. Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout ça pour ça !
M. le président. L'amendement n° 45 rectifié bis est retiré.
La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin, pour explication de vote sur l'amendement n° 463.
M. Jean-Pierre Raffarin. Je comprends la position de M. Cointat et ses deux idées complémentaires : la reconnaissance des Français établis hors de France dans la Constitution et le maintien de la priorité sénatoriale pour l’examen des textes relatifs à leurs instances représentatives.
Je suivrai l’avis du Gouvernement, mais qu’il me soit permis de regretter ce recul pour le Sénat, car la loi de 2003 dispose que le Sénat examine en priorité les textes relatifs à l’organisation des collectivités territoriales ou aux instances représentatives des Français de l’étranger.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faudrait la moderniser.
M. Jean-Pierre Raffarin. Pourquoi avait-on institué une telle priorité ? Parce que la qualité du travail législatif du Sénat permet quelquefois d’orienter les débats de manière plus tempérée, et souvent plus moderne !
M. Robert del Picchia. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin. On l’a vu à propos d’un texte aussi difficile que le projet de loi relatif aux organismes génétiquement modifiés : s’agissant de textes complexes, commencer la discussion au Sénat permet souvent de trouver les voies de l’avenir.
Je regrette que si nous gardons en effet la priorité pour l’examen des textes relatifs à l’organisation des collectivités territoriales, conformément à ce que prévoyait la loi de 2003, nous la perdions maintenant pour les textes concernant les instances représentatives des Français établis hors de France.
Je le répète, il s’agit, pour le Sénat, d’un recul que je déplore ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.
M. Bernard Frimat. La passion de M. Cointat est connue et sympathique. Sur nos travées, M. Yung et Mme Cerisier-ben Guiga défendent avec la même ardeur les Français qui sont établis hors de France.
M. Robert del Picchia. Très bien !
M. Bernard Frimat. Cela étant, je ne peux pas suivre M. Cointat s’agissant de la notion de collectivité de fait. Les Français établis hors de France sont pleinement citoyens, doivent exprimer cette citoyenneté de toutes les façons et être représentés au Parlement, mais ils ne constituent pas, pour autant, une collectivité de fait. Une telle logique nous mènerait à établir un conseil général des Français établis hors de France et un conseil régional des Français établis hors de France : tout cela n’aurait pas beaucoup de sens ! (M. Richard Yung acquiesce.) Quoi qu’il en soit, M. Cointat a retiré son amendement.
Quant à l’amendement n° 463 tendant à retirer au Sénat la priorité pour l’examen des textes concernant les collectivités territoriales, il ne s’agit pas, pour nous, de faire une mauvaise manière à la majorité sénatoriale.
C’est d’ailleurs lorsque vous étiez Premier ministre, monsieur Raffarin, qu’il a été proposé que le Sénat soit saisi en premier lieu des textes relatifs aux instances représentatives des Français de l’étranger. Cette disposition avait sa cohérence, puisque le Sénat était la seule chambre où ces derniers comptaient des représentants. De la même manière, on peut comprendre que l’on supprime aujourd’hui cette priorité.
Cela étant, la priorité dont bénéficie le Sénat est plus théorique que réelle, et on en a eu très vite la démonstration.
Souvenons-nous du débat sur le projet de loi organique relatif à l’expérimentation par les collectivités territoriales, qui s’était conclu par un amendement de notre collègue Yves Fréville prévoyant que les dotations de l’État seraient prises en compte dans la notion d’autonomie financière.
Or, ce texte a été discuté d’abord à l’Assemblée nationale, et le Conseil constitutionnel n’a pas pour autant invalidé la loi pour ce motif. Pourtant, quoi de plus important, s’agissant des collectivités territoriales, que ce débat sur l’autonomie financière, au cœur de la décentralisation ? Néanmoins, il n’a pas commencé dans notre hémicycle.
Par conséquent, pourquoi constitutionnaliser un principe que le Conseil constitutionnel lui-même n’a pas respecté dans sa jurisprudence.
Un second argument semblera peut-être plus polémique.
Le texte peut être indifféremment déposé à l’Assemblée nationale ou au Sénat. Le Gouvernement a donc toujours la possibilité de soumettre d’abord au Sénat un texte concernant les collectivités territoriales. Cela relève de sa responsabilité, et c’est une responsabilité que je lui laisse bien volontiers, quelle que soit son orientation politique.
Enfin, on nous affirme qu’un texte relatif à l’organisation des collectivités territoriales doit être examiné en premier lieu par le Sénat parce que celui-ci assure leur représentation. Or, sans vouloir revenir sur un débat que nous avons déjà eu et que nous aurons encore, je rétorquerai simplement que, à nos yeux, le Sénat assure de moins en moins bien cette représentation.
M. Jean-Pierre Raffarin. Pas aux nôtres !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est reparti !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Très bien !
M. Bernard Frimat. Symboliquement, prendre en compte le fait que la représentativité des collectivités territoriales ne coïncide pas avec celle du Sénat justifierait aussi que ce dernier ne soit plus prioritaire pour l’examen des textes concernant ces collectivités.
M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia, pour explication de vote.
M. Robert del Picchia. Je voudrais simplement rappeler ou apprendre, peut-être, à notre assemblée que l’on trouve, dans les archives du Sénat, des documents très éclairants.
Autrefois, six sénateurs représentaient les anciennes colonies. Puis le constituant a supprimé la mention des sénateurs et écrit, à l’article 24, que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales.
L’un de nos collègues de l’époque avait alors soulevé la question du devenir des sénateurs des Français de l’étranger, voués en effet à disparaître avec un tel texte. Le garde des sceaux avait admis qu’il fallait trouver une solution, et il avait été décidé d’ajouter dans la Constitution que les Français établis hors de France sont représentés au Sénat.
Une telle rédaction ne signifiait nullement que ces derniers n’étaient pas représentés à l’Assemblée nationale. Comme tous les Français, ils l’étaient, en théorie, mais puisque le scrutin ne pouvait être organisé à l’étranger à cette époque, ils ne pouvaient participer à l’élection des députés. Cette question étant désormais réglée, grâce à la mise en place de centres de vote à l’étranger, les Français établis hors de France peuvent maintenant être représentés à l’Assemblée nationale.
Quant au Gouvernement, je dirai, à la suite de notre collègue Jean-Pierre Raffarin, que le Sénat travaille tellement bien sur ces sujets qu’il continuera probablement de déposer les textes relatifs aux instances représentatives des Français de l’étranger d’abord sur le bureau de la Haute Assemblée. C’est en tout cas ce que nous souhaitons, madame le garde des sceaux !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Très bien !
M. Bernard Frimat. C’est ce que l’on appelle une autocritique…
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je soutiendrai l’amendement de nos collègues socialistes, car je partage l’idée selon laquelle, par votre fait, mesdames, messieurs les membres de la majorité, le Sénat représente de moins en moins bien les collectivités territoriales, dans la mesure où sa composition ne reflète pas le vote de leurs habitants. Il ne faudrait tout de même pas trop cultiver ce paradoxe, sinon nous y perdrons tous…
En effet, concernant les Français de l’étranger, ils ne peuvent exister que par leur nombre, or vous affirmez que le Sénat a vocation à représenter les collectivités, indépendamment du chiffre de leur population.
M. Henri de Raincourt. Ce n’est pas vrai !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Comme vous le voyez, à trop vouloir tirer sur la corde et prouver tout et son contraire, on en arrive à se contredire assez facilement !
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Je souhaite revenir très rapidement sur cette notion de collectivité des Français de l’étranger.
Nous le sentons bien, nous nous heurtons à un grand scepticisme et probablement aussi à un obstacle d’ordre juridique. Néanmoins, telle est bien l’évolution qui est en train de se dessiner. M. Frimat a fait référence, tout à l’heure, à un conseil général des Français de l’étranger. Or c’est très exactement ce que nous avons en tête !
Aujourd'hui, l’Assemblée des Français de l’étranger, instance représentative des Français établis hors de France, est élue au suffrage universel direct. Il est donc tout à fait envisageable qu’à terme cette assemblée se voie confier certains des pouvoirs dont dispose un conseil général et devienne ainsi son équivalent. Nous aurons alors bien une collectivité des Français de l’étranger, même si elle ne sera pas fondée sur un territoire. C’est le sens de l’histoire ! (M. Christian Cointat applaudit.)
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 21 rectifié bis est présenté par M. Charasse, Mme N. Goulet et MM. Fortassin et Alfonsi.
L’amendement n° 464 est présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer les deuxième et troisième alinéas du 2° de cet article.
La parole est à M. Michel Charasse, pour présenter l’amendement n° 21 rectifié bis.
M. Michel Charasse. Je propose la suppression des deuxième et troisième alinéas du 2° de l’article 14, car, je dois le dire, je les trouve incompréhensibles !
De quoi s’agit-il ? D’élaborer une loi organique sur l’organisation du travail gouvernemental ? Mais, jusqu’à présent, c’est le Premier ministre qui est le maître de l’organisation du travail gouvernemental, en organisant comme il le veut les différents groupes de travail et comités, notamment interministériels. De son côté, le Président de la République peut convoquer les conseils interministériels.
S’agit-il d’inscrire dans la loi organique l’obligation de publier l’ensemble des travaux préparatoires et des notes réalisées en interne par le Gouvernement ? Veut-on du coup, dans la foulée, rendre obligatoire la publication de l’avis du Conseil d’État ?
Vraiment, je ne comprends pas du tout ce que tout cela signifie ! À mes yeux, une telle disposition ne peut que ralentir et compliquer encore plus le fonctionnement de Matignon et des ministères, sans aucun bénéfice pour personne.
Par conséquent, je propose de la supprimer, sauf si l’on me démontre qu’elle est indispensable. Il n’y a d’ailleurs jamais eu de loi organisant le fonctionnement du travail gouvernemental depuis la IIIe République, et on a toujours bien fonctionné comme cela.
En outre, le système prévu est assez complexe, et je doute que la commission ou le Gouvernement puissent nous éclairer. L’article incriminé prévoit en effet que les projets de loi « ne peuvent être inscrits à l’ordre du jour tant que les conférences des présidents constatent conjointement que les règles fixées par la loi organique sont méconnues ». Mais va-t-on les interroger à chaque fois ou va-t-on attendre qu’elles se réveillent spontanément ? Si, un jour, les conférences des présidents ne le font pas spontanément et ne disent rien, le Conseil constitutionnel ne manquera pas de sanctionner et d’annuler !
De plus, cette procédure jouera-t-elle seulement en première lecture ou à tout moment, tout au long des lectures successives ? En première lecture, la conférence des présidents de la première assemblée saisie devra-t-elle solliciter celle de l’autre assemblée, puisqu’il faut, lorsque les règles sont méconnues, qu’elles le constatent conjointement ?
Mes chers collègues, croyez-vous vraiment que, quand la France est confrontée à des difficultés nombreuses, à des problèmes graves qui doivent être réglés en urgence pour tenir notre place en Europe et dans le monde, on a le temps de s’amuser avec des plaisanteries pareilles ? Cela apporte quoi ?
M. Charles Pasqua. De la confusion !
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour présenter l’amendement n° 464.
M. Bernard Frimat. Si la commission des lois propose certaines améliorations rédactionnelles au travers de l’amendement n° 112 venant en discussion juste après le nôtre, elles ne portent pas sur le fond du dispositif. Or ce dernier, qui a été inséré à la suite de l’adoption d’un amendement à l’Assemblée nationale, vise à prévoir une loi organique, dont le contenu nous est totalement inconnu,…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Par définition !
M. Bernard Frimat. … ayant vocation à régir les conditions d’élaboration des projets de loi par le Gouvernement. L’Assemblée nationale a donc inventé une loi précisant comment devront être préparés les projets de loi dans l’avenir !
En outre, par le troisième alinéa du 2° de l'article 14, elle a donné aux conférences des présidents des deux assemblées un pouvoir de maître d’école, puisqu’elles pourront refuser d’inscrire un projet de loi à l’ordre du jour si elles estiment que le Gouvernement ne l’a pas élaboré comme il fallait le faire.
M. Michel Charasse. Qu’en savent-elles ?
M. Bernard Frimat. Depuis le début de la semaine dernière, on nous rétorque régulièrement que nos propositions n’ont pas leur place dans la Constitution. S’agissant de la présente disposition, je suis tenté de vous retourner l’objection : doit-elle vraiment figurer dans la Constitution ?
Disant cela, je m’attaque, je le sais bien, à des auteurs d’amendements illustres, puisqu’il semble que cette disposition émane notamment de M. Copé. Or, en ces temps de recherche difficile d’une majorité des trois cinquièmes, tout ce qui vient de M. Copé a un prix exorbitant…
Tout cela pour obliger le Gouvernement à réaliser des études d’impact lors de l’élaboration d’un projet de loi : mais rien ne l’en empêche aujourd'hui !
Supposons un instant, par exemple, qu’une telle disposition ait existé à l’époque de l’élaboration du projet de loi relatif aux OGM.
Le Gouvernement aurait alors dû demander à des experts choisis par ses soins de procéder à une étude d’impact. Nul doute qu’après sa publication celle-ci aurait été immédiatement contestée par d’autres scientifiques. En outre, pourquoi aurions-nous dû, nous parlementaires, nous contenter des études d’impact effectuées à la demande du Gouvernement ? Nous n’aurions pas manqué de demander que d’autres études soient réalisées et que le Parlement se dote d’une capacité d’expertise autonome en la matière.
Il est peut-être souhaitable d’éviter la construction de telles usines à gaz, quelle que puisse être par ailleurs leur utilité… On se plaint parfois d’un délire législatif, mais nous tombons ici dans un délire constitutionnel ! Je le dis par avance, la rédaction proposée par la commission des lois est intelligente, mais elle ne règle pas le problème du contenu du dispositif, avec lequel je suis en complet désaccord.
Cela ne signifie pas que nous soyons hostiles a priori aux études d’impact. Toutefois, est-il vraiment indispensable d’imposer au Gouvernement, quel qu’il soit, des guides dans la phase qui précède l’élaboration du projet de loi ?
M. Michel Charasse. Très bien !
M. Bernard Frimat. On nous a pourtant dit que, dans cette même phase, il ne fallait surtout pas rendre publics les avis du Conseil d’État, dont tout le monde a connaissance au demeurant. Par conséquent, ne pensez-vous pas que le Sénat, s’il a vraiment du bon sens, ce dont je doute de plus en plus (Murmures sur les travées de l’UMP.),…
M. Philippe Marini. C’est de l’autocritique ?
M. Bernard Frimat. … s’honorerait en supprimant cette disposition et en renonçant à ouvrir cette usine à gaz ?
M. Michel Charasse. Très bien !
M. le président. L’amendement n° 112, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit les deuxième et troisième alinéas du 2° de cet article :
« La présentation des projets de loi déposés devant l’Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique.
« Les projets de loi ne peuvent être inscrits à l’ordre du jour si la conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’Assemblée nationale a prévu que les projets de loi soient « élaborés dans des conditions fixées par une loi organique ». Monsieur Frimat, c’est la reprise exacte d’une des propositions émises par le comité de réflexion présidé par M. Balladur. (Mme Éliane Assassi s’exclame.) Si vous voulez connaître l’auteur de cette disposition, c’est donc là que vous le trouverez, même s’il est vrai que cela avait été également suggéré par un certain nombre de députés.
Ces textes ne pourront être inscrits à l’ordre du jour « tant que les conférences des présidents constatent conjointement que les règles fixées par la loi organique sont méconnues ».
Ces dispositions suscitent chez vous un certain scepticisme, mon cher collègue. Pour sa part, la commission des lois partage les préoccupations auxquelles cet amendement tend à répondre. Elle estime cependant que la référence aux conditions d’élaboration des projets de loi n’est ni suffisamment précise ni vraiment explicite.
D’une part, il faudrait faire apparaître clairement que les règles fixées dans la loi organique ne pourront concerner que le Gouvernement et l’élaboration des projets de loi avant leur dépôt au Parlement.
D’autre part, ces règles porteraient, comme le recommandait dans son rapport le comité présidé par M. Balladur, sur la réalisation d’études d’impact par le Gouvernement.
C’est donc moins, en fait, les conditions d’élaboration des projets de loi qu’il convient de viser que les modalités de présentation de ceux-ci avant leur dépôt sur le bureau de l’une ou l’autre des deux assemblées.
M. Michel Charasse. Cela ne change rien du tout !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’amendement de la commission des lois vise à ce que le Gouvernement présente une analyse des effets attendus d’un texte, analyse qui ne saurait se réduire aux études d’impact, souvent superficielles, dont les projets de loi ont été assortis par le passé selon un usage plutôt aléatoire. D’ailleurs, il y a été renoncé. Il fut une époque où l’on procédait à des études d’impact, peut-être M. Charasse s’est-il livré à ce genre de sport quand il était au Gouvernement ?
M. Michel Charasse. Le ministère du budget en fait sur tous les projets de loi et se fait régulièrement « ramasser » lors des réunions d’arbitrage qui se tiennent à Matignon !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. De toute façon, les études d’impact sont réalisées à la suite du dépôt du projet de loi. Il faudrait les faire avant.
La loi organique devrait détailler le type d’informations que le Gouvernement serait tenu de réunir, ainsi que les conditions dans lesquelles celles-ci seraient transmises au Parlement, au plus tard lors du dépôt du projet de loi concerné. Il appartiendrait ensuite à chaque assemblée d’apprécier ces informations, de les valider, de les compléter, bien sûr, par le travail d’investigation conduit dans le cadre des commissions permanentes et de juger, in fine, si le projet de loi répond à une véritable nécessité.
Cependant, il n’est pas nécessaire, monsieur Charasse, que les deux conférences des présidents constatent conjointement que les règles fixées par la loi organique sont méconnues pour empêcher l’inscription d’un texte à l’ordre du jour.
Il appartient en effet à la conférence des présidents de l’assemblée saisie d’apprécier si ces conditions sont satisfaites. D’ailleurs, cela n’empêcherait pas le Gouvernement, le cas échéant, de déposer son texte sur le bureau de l’autre assemblée.
M. Michel Charasse. C’est ce que prévoit votre amendement, mais pas la rédaction actuelle de l'article !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Élaboration et présentation, ce n’est pas la même chose, monsieur Charasse !
M. le président. Le sous-amendement n° 322, présenté par M. Vasselle, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le deuxième alinéa de l’amendement n° 112 :
« La présentation des projets de loi déposés devant l’Assemblée nationale ou le Sénat comporte une étude d’impact et répond aux conditions fixées par une loi organique. »
Ce sous-amendement n’est pas soutenu.
L’amendement n° 320, présenté par M. Marini, est ainsi libellé :
Compléter le deuxième alinéa du 2° de cet article par les mots :
d’initiative parlementaire
La parole est à M. Philippe Marini.
M. Philippe Marini. En lisant le texte qui nous parvient de l’Assemblée nationale – d’une manière, je le confesse, pas aussi approfondie que la commission des lois –, je me suis interrogé, mes questions étant d’ailleurs assez similaires à celles qui viennent d’être formulées, notamment par M. le rapporteur.
Il me semble que la disposition en débat risquerait, si nous ne l’amendions pas, de produire des conséquences susceptibles de se retourner contre le Parlement. J’ai compris qu’il s’agit de prescrire au Gouvernement lui-même des modalités de préparation de ses textes, mais j’ai observé que, de facto, la rédaction actuelle de l’article 14 soumet une large part de la procédure législative au Conseil d’État, et c’est sur cet aspect des choses que je souhaitais intervenir.