M. Jean-Louis Carrère. C’est vrai !
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Notre commission est unanime à vouloir conserver le statut militaire de la gendarmerie, les orateurs qui m’ont précédé y ont déjà insisté. La dualité statutaire des forces de sécurité constitue une garantie contre l’existence d’une « super-police » qui pèserait d’un poids trop lourd dans l’État.
Cependant, le statut militaire suppose que les gendarmes, quelles que puissent être leurs prérogatives, soient soumis aux règles qui régissent les forces armées – toutes les forces armées : la discipline, l’obligation de réserve, l’interdiction d’adhérer à un syndicat ou à un parti politique, l’interdiction de faire grève. Nous ne voulons plus revoir ces manifestations choquantes et inadmissibles au cours desquelles, dans un passé qui n’est pas si éloigné, des personnels en uniforme et en armes se sont permis de huer leur hiérarchie. Je voudrais souligner la contradiction qu’il y a, chez certains, à se déclarer partisans farouches de la dualité des forces de sécurité tout en voulant étendre aux gendarmes le droit syndical et le droit de grève, ce qui conduirait inévitablement à ce statut unique auquel ils prétendent s’opposer ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Gournac. C’est vrai !
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Comme pour tout corps militaire, l’efficacité et la cohérence de l’action des composantes de la gendarmerie reposent sur le respect de la hiérarchie.
Il est logique que, dans les départements, les forces de sécurité soient placées sous l’autorité du préfet. La loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, la LOPSI, a posé le principe que celui-ci assurait la coordination de l’ensemble des dispositifs de sécurité intérieure. Le décret du 29 avril 2004 est encore plus précis, puisqu’il stipule que le préfet de département a la charge de l’ordre public. Nous ne sommes pas opposés à ce qu’il soit précisé que, dans les départements, la gendarmerie est placée sous l’autorité du préfet, mais notre commission considère comme essentiel que cette prérogative s’exerce dans le respect de la hiérarchie militaire. Il appartient au préfet de département de fixer au commandement du groupement de la gendarmerie départementale ses objectifs et ses missions, mais le choix des moyens et des modalités d’exécution revient exclusivement à celui à qui il incombe de les mettre en œuvre.
La suppression de la procédure de réquisition pour la plus grande partie des activités de la gendarmerie nationale nous a semblé raisonnable en raison de la lourdeur de cette procédure et de son inadéquation aux missions ordinaires de la gendarmerie.
Les circonstances peuvent cependant conduire à une intervention de grande ampleur des forces de sécurité, impliquant des moyens lourds tels que les véhicules blindés et éventuellement l’usage des armes. Dans de telles conditions, il n’est pas possible de recourir à de simples ordres verbaux pour employer la force. Une procédure d’autorisation est nécessaire, qui se substituerait à la réquisition complémentaire spéciale et dont les modalités seront définies par décret en Conseil d’État.
La parité de traitement avec les policiers fait l’objet d’une forte attente de la part des personnels de la gendarmerie, qui ont le sentiment que, à missions égales, voire plus nombreuses, on observe un décrochage de la rémunération par rapport à celle des policiers. Si l’on veut éviter de nouveaux remous au sein de la gendarmerie, il est nécessaire de créer une grille indiciaire spécifique aux officiers et aux sous-officiers de la gendarmerie ; encore faut-il que sa mise en œuvre n’aboutisse pas à creuser la différence avec le reste de la communauté militaire.
Il en va de même pour les instances de concertation de la gendarmerie : les mécanismes de représentation des personnels doivent s’inspirer des principes qui prévalent pour les autres armes. Le ministre de l’intérieur devra désormais participer au conseil de la fonction militaire de la gendarmerie ou y être représenté.
Il importe enfin que les gendarmes maintiennent un lien de proximité constant avec la population de leur ressort et une présence visible. L’organisation territoriale comme les restructurations éventuelles doivent refléter ce souci et marquer que la gendarmerie reste la force de sécurité du monde rural et de ce qu’il est désormais convenu d’appeler la rurbanité.
Le transfert de la responsabilité organique de la gendarmerie du ministère de la défense au ministère de l’intérieur ouvre une nouvelle page de l’histoire de cette arme.
À ceux qui redoutent que la concentration des deux forces de sécurité en une seule main ne mette en péril les libertés publiques, on fera observer que c’est l’État de droit qui garantit ces libertés, et non pas seulement le dualisme des forces. Je crois que l’on peut définitivement conjurer le spectre de Joseph Fouché : comme vous n’avez été, madame le ministre, ni régicide, ni terroriste, ni comploteuse, on imagine bien que vous ne mettrez pas vos pas dans les siens ! (Sourires sur les travées de l’UMP. – M. Robert del Picchia applaudit.)
Le projet de loi que nous examinons maintient la triple spécificité administrative, judiciaire et militaire de la gendarmerie.
En soulignant que la police judiciaire constitue l’une des missions essentielles de la gendarmerie, le législateur, sur l’initiative du rapporteur de notre commission, notre collègue Jean Faure, rappelle très justement que « la gendarmerie […] est une force armée instituée pour veiller […] à l’exécution des lois ».
En confiant au ministre de la défense la responsabilité de la formation initiale, de la conduite des opérations militaires, de la collation des grades et de la discipline, il affirme clairement et maintient le caractère militaire de la gendarmerie.
L’emploi, par le ministre de l’intérieur, de cette force armée est strictement défini et réglementé.
Ce n’est cependant pas seulement dans les textes qu’il faut rechercher des assurances quant au respect des lois et des principes républicains, mais aussi dans le comportement de ceux qui sont chargés de les appliquer et dans la conscience qu’ils ont de leur devoir.
Nous qui côtoyons les personnels de la gendarmerie au quotidien, nous n’éprouvons aucun doute à cet égard. Nous connaissons leur respect scrupuleux de la légalité, leur dévouement, leur professionnalisme, la diligence et parfois le courage et le sang-froid dont ils font preuve dans l’exercice de leurs délicates missions. Nous sommes convaincus qu’ils continueront, dans leur nouveau statut, à faire preuve des vertus qui leur valent l’estime et la confiance de la nation. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le week-end dernier, nos amis gendarmes m’avaient conviée à fêter avec eux leur patronne, sainte Geneviève. Ce fut un temps fort de solidarité et d’amitié.
Ce fut aussi pour moi l’occasion de prendre le pouls d’une arme à laquelle je suis, vous le savez, particulièrement attachée. En de nombreuses circonstances, j’ai pu prendre la mesure des valeurs portées par la gendarmerie, rappelées dans un court film qui nous a été projeté ce jour-là. Il traduisait parfaitement l’état d’esprit du général Gilles, appelant ses hommes à être pleinement des militaires, des hommes du terroir et des hommes de la loi : trois caractéristiques qui sont toute la culture et toute l’âme de la gendarmerie.
C’est en raison de mon attachement à la gendarmerie, madame le ministre, que je me permets, avec la plus grande force et une totale conviction, d’appeler votre attention sur les difficultés que me paraît poser ce projet de loi.
Je sais que je défendrai mon point de vue sur le premier problème avec beaucoup moins de véhémence que notre collègue Jean-Pierre Raffarin, qui vous a interpellée voilà quelques jours, lors de l’examen des crédits de la mission « Sécurité ». Il a alors dit son inquiétude de voir la gendarmerie être placée sous l’autorité du seul ministre de l’intérieur – non pas la vôtre, madame le ministre, mais celle d’un ministre qui, demain, ferait fi de l’indispensable dualité des forces de sécurité intérieure.
L’actuelle séparation organique entre police et gendarmerie est garante du respect des principes républicains que nous sommes nombreux, ici, à défendre de toute notre âme. Deux forces distinctes, placées sous deux autorités différentes, mais œuvrant ensemble à la sécurité des personnes et des biens : ce mode de fonctionnement était-il si inefficace qu’il faille le changer ?
N’avait-on pas, et depuis bien longtemps, compris que police et gendarmerie devaient travailler de façon complémentaire ? N’avions-nous pas instauré des modus vivendi qui ont fait leurs preuves, avec par exemple les GIR, les redécoupages territoriaux, la fidélisation sur les territoires, urbains pour les uns, ruraux ou périurbains pour les autres ?
Depuis 2002, police et gendarmerie sont sous l’autorité fonctionnelle du ministre de l’intérieur et, au plan local, sous celle du préfet. Chacun s’accorde à reconnaître les bons résultats obtenus, sans guerres intestines.
Que peut apporter ce « rattachement », cette « intégration », qui deviendra peut-être demain une « fusion » organique ?
Une meilleure coordination ? Celle-ci est affaire non pas de structures, mais d’hommes.
Une meilleure gestion des ressources humaines ? Cela impliquerait une révolution culturelle, pour que chacune des entités fasse un pas vers l’autre en matière de déroulements de carrières, de représentation au sein d’organismes, syndicaux ou non, de mesures à caractère social.
Une gestion plus efficace des budgets ? Comme les budgets ne vont pas être confondus, mais demeureront rattachés qui à la direction générale de la police nationale, la DGPN, qui à la direction générale de la gendarmerie nationale, la DGGN, ils garderont leurs spécificités propres et, surtout, des niveaux décisionnels distincts – soit le niveau zonal des SGAP, les secrétariats généraux pour l’administration de la police, soit un niveau central avec une gestion déconcentrée à l’échelon régional.
La tâche des préfets pour donner une cohérence à l’action des deux forces ne s’en trouvera pas simplifiée. La détermination des critères d’appréciation des programmes et des BOP, les budgets opérationnels de programmes, pour la police et pour la gendarmerie a d’ailleurs clairement montré les limites d’un exercice de comparaison quasiment impossible à réaliser.
Le deuxième problème fondamental touche aux prérogatives de la gendarmerie en matière de réquisition.
Je voudrais reprendre ici les arguments de deux anciens directeurs généraux de la gendarmerie nationale, anciens présidents de chambre à la Cour de cassation, qui ont dénoncé l’abandon de la procédure de réquisition de la force armée, fondant l’action de la gendarmerie, de statut militaire depuis le décret de 1903.
« Il est insupportable au regard des libertés publiques, écrivaient-ils, que la gendarmerie nationale soit désormais laissée, dans les missions de maintien et de rétablissement de l’ordre public, à la disposition du ministre ainsi qu’à la discrétion des préfets, sans la garantie fondamentale de la procédure de réquisition à force armée. »
Au regard des libertés publiques, il est à mon sens essentiel que la gendarmerie, « force armée instituée pour veiller à la sûreté et à la sécurité publiques », chargée de la « défense […] des intérêts supérieurs de la Nation », soit garante de cet équilibre démocratique qui passe par une procédure spécifique de réquisition à force armée.
Renvoyer à des décrets, fussent-ils pris en Conseil d’État, la définition des procédures d’autorisation de recours à des moyens militaires spécifiques et d’usage des armes à feu pour les nécessités du maintien de l’ordre est un artifice de forme – en aucun cas une réponse de fond – et un pied-de-nez aux valeurs républicaines que je rappelais il y a un instant. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Le troisième problème qu’il me faut mettre en exergue a trait aux conditions d’exercice des missions de la gendarmerie en milieu rural.
Nul n’ignore les engagements pris très récemment par le Gouvernement dans son ensemble et, tout dernièrement, par le Président de la République lui-même, en particulier lors du dernier congrès de l’Association des maires de France. N’a-t-il pas assuré les élus de sa volonté sans faille de préserver l’intégrité des zones rurales, d’y maintenir à toute force les services publics, de s’opposer à des mesures qui tendraient à réduire la présence d’hommes et de femmes qui font encore vivre nos territoires ruraux ?
Qualifiés de « fils des territoires » par le général Gilles, les gendarmes participent très largement, au quotidien, à la vitalité de ces terroirs qui se videraient, n’était l’énergie de nos maires ruraux. Ceux-ci acceptent aujourd’hui d’investir dans des casernes de gendarmerie, contractent des emprunts sur quinze ou vingt ans : si l’on ne suivait que la logique comptable, ils verraient les effectifs de gendarmes se réduire comme peau de chagrin !
Faut-il vraiment aujourd’hui, madame le ministre, décider la répartition des effectifs de gendarmerie à l’aune du nombre de plaintes déposées et du taux d’élucidation des crimes et délits ? Les statistiques sont assurément plus favorables dans ces zones rurales que dans les grands centres urbains. Cependant, n’est-ce pas là, justement, la conséquence de cette présence précieuse, discrète, permanente sur le terrain d’hommes et de femmes en contact direct avec nos populations rurales, d’hommes et de femmes qui tiennent par-dessus tout à leur statut militaire, statut exigeant qui leur donne plus de devoirs que de droits mais qui est le fondement même de leur culture, celle de l’assistance à autrui, de la générosité, du don de soi ? (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Je ne veux certes pas opposer leur culture à celle des policiers et juger l’une par rapport à l’autre. Elles sont différentes, et il nous faut enrichir leur complémentarité. Atteindre cet objectif ne requiert pas ce nouveau cadre législatif.
Mme Michelle Demessine. Tout à fait !
Mme Anne-Marie Escoffier. Le groupe du RDSE, dans sa grande majorité, ne saurait donner son aval à un dispositif qui ravive des souvenirs au goût par trop amer, remontant à une époque qui n’est pas si lointaine. Il croit fermement que le Gouvernement s’honorerait de garder deux forces de l’ordre, gage d’un équilibre sur lequel doit reposer notre démocratie. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Didier Boulaud. Bravo ! Une intervention à méditer !
M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner.
M. Daniel Reiner. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici devant un projet de loi au parcours quelque peu étrange : alors qu’il a été déposé en août dernier sur le bureau du Sénat et que le Gouvernement a déclaré l’urgence, il n’est examiné qu’aujourd’hui par notre assemblée. Cet examen est tout de même plus précoce que prévu, puisqu’il était annoncé pour le mois de janvier prochain.
En tout état de cause, la discussion de ce texte arrive trop tard ! La loi de finances a effectivement déjà entériné son approbation, puisque, budgétairement, la gendarmerie a été rattachée au ministère de l’intérieur.
Doit-on en déduire, au fond, que notre débat d’aujourd’hui serait de pure forme et que le Gouvernement aurait fait, une fois de plus, une mauvaise manière au Parlement ?
J’ai lu, madame la ministre, que vous vous affirmiez sereine à l’heure de défendre ce projet de loi rattachant la gendarmerie à votre ministère. Une telle affirmation laisse cependant à penser qu’il pourrait y avoir un doute dans votre esprit. Cela ne serait d’ailleurs pas tout à fait illégitime, car vous ne sembliez pas aussi favorable à ce projet hier, lorsque vous étiez ministre de la défense.
En outre, depuis qu’on l’évoque, de rencontres avec les uns en auditions des autres, on ne voit pas grand-monde s’enthousiasmer pour lui, sur nos travées, bien sûr, mais aussi dans les rangs de la majorité, semble-t-il.
Ce projet de loi a donc été accueilli avec peu d’empressement, a fait l’objet de critiques plus ou moins nettement exprimées. Demandez donc son sentiment à l’ancien Premier ministre qui siège dans vos rangs : nous l’avons entendu en commission affirmer que, en l’état, il ne voterait jamais un tel texte.
En dehors de cette enceinte, une incompréhension plus grande encore, voire une crainte pour l’avenir, se manifeste chez nos collègues élus locaux, qui apprécient la proximité de la gendarmerie, de même que parmi les gendarmes eux-mêmes, quand ils peuvent exprimer, off the record évidemment, ce qu’ils pensent réellement.
Pourquoi ce peu d’enthousiasme ?
S’il ne s’agit pas vraiment, comme vous l’avez annoncé le 16 octobre dernier devant la commissions des lois et celle des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, madame la ministre, d’une réforme « historique », aucune loi sur le statut et les missions de la gendarmerie n’ayant été adoptée depuis la loi du 28 germinal an VI, il ne s’agit pas non plus d’un simple « texte de conclusion d’un processus engagé depuis plusieurs années ».
En fait, ce projet de loi, le premier certes portant sur ce thème depuis 1798, rompt avec une tradition bi-séculaire bien établie dans notre République et respectée hors quelques périodes peu exemplaires en matière de libertés publiques : le Premier Empire, le Second Empire et le régime de Vichy…
En effet, ce texte organise le détachement organique et opérationnel de la défense nationale de l’essentiel des missions de la gendarmerie nationale.
En France, deux forces concourent à la défense de la sécurité intérieure : l’une, la police, est civile ; l’autre, la gendarmerie, est une force militaire pourvue de compétences de police, et non une police à statut militaire. Vous connaissez ce débat !
M. Richard Yung. Très bien !
M. Daniel Reiner. Nous sommes attachés à ces principes et à la dualité entre police et gendarmerie, que ce texte remet profondément en cause en plaçant dans la même main les deux institutions concourant à la préservation des libertés individuelles et à la sécurité collective, fondement du pacte social et républicain.
Ainsi, la gendarmerie est au service à la fois de la défense nationale, du ministère de l’intérieur et du ministère de la justice, selon les termes de l’article 66 du décret du 20 mai 1903, qui est en quelque sorte la charte de la gendarmerie :
« En plaçant la gendarmerie auprès des diverses autorités pour assurer l’exécution des lois et règlements émanés de l’administration publique, l’intention du Gouvernement est que ces autorités […] ne puissent, dans aucun cas, prétendre exercer un pouvoir exclusif sur cette troupe […]. »
Lors de l’audition que j’ai évoquée précédemment, madame la ministre, je vous avais dit que vous n’étiez guère convaincante pour justifier et expliquer ce texte, car vous ne paraissiez guère convaincue ! (Mme Michelle Demessine rit.) Je peux le comprendre, ce texte balançant en effet entre les contradictions pour tenter de concilier l’inconciliable : il détache la gendarmerie de la défense et réaffirme pourtant son statut militaire. Avouez que cela est contradictoire !
L’article 1er résume à lui seul toutes ces contradictions, qui prévoit que « la gendarmerie nationale est une force armée instituée pour veiller à la sûreté et la sécurité publiques », mais n’appartient plus aux forces et services des armées placés sous l’autorité du ministère de la défense
En outre, les commandants des unités territoriales seront placés sous l’autorité du préfet. Comment alors respecter et faire respecter le rapport hiérarchique, principe fondamental de l’institution militaire ?
M. Daniel Reiner. Quant à la suppression de la procédure de réquisition, voici ce qu’en pensent d’anciens et éminents directeurs généraux de la gendarmerie : « Il est surprenant voire insupportable au regard des libertés publiques que cette nouvelle armée de l’intérieur riche de 100 000 hommes, disposant d’unités blindées, ait désormais dans ses missions et le maintien et le rétablissement de l’ordre publics, [soit] laissée à la disposition de son “chef et ministre” ainsi qu’à la discrétion des préfets, sans la garantie fondamentale de la procédure de réquisition de la force armée ». Ils ajoutent que « la suppression catégorique de cette procédure pour la gendarmerie ne peut être admise sous cette rédaction ; nous pouvons la qualifier de liberticide ». Voilà une appréciation très sévère, portée par des spécialistes !
En effet, si la réquisition, qui fondamentalement permet à une autorité civile d’obtenir les moyens des forces armées, n’est plus une nécessité, c’est soit parce que le ministère de l’intérieur n’est plus une autorité civile, soit parce que la gendarmerie n’est plus une force armée ; à moins que, dernière hypothèse, les mots n’aient plus de sens !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur pour avis. Ce sont vos paroles qui n’ont plus de sens !
M. Daniel Reiner. Le décret de mai 2002, en confiant la responsabilité de l’emploi de la gendarmerie exclusivement au ministère de l’intérieur pour les missions de sécurité, avait de fait réduit la portée des textes fondamentaux de 1798 et de 1903, qui prévoyaient que la gendarmerie réponde aux sollicitations des ministres de la défense, de la justice, de l’intérieur et même de l’outre-mer. Le décret de 2002 ne constituait donc pas, à vrai dire, une innovation totale, même si, pour le ministre de l’intérieur de l’époque, il était important qu’il apparaisse comme tel : réunir la police et la gendarmerie sous un même commandement, c’est concentrer davantage de pouvoir en une seule personne.
On dit volontiers, sous cape, que les relations entre police et gendarmerie ne sont pas simples. Pourtant elles les ont poursuivies et approfondies, elles ont appris à mutualiser leurs moyens et la formation continue, à échanger leurs expériences et leurs méthodes. On pouvait très bien en rester là, mais tel n’est pas votre choix, madame la ministre.
On a pourtant pu mesurer tout ce qui différencie un gendarme d’un policier : les conditions de travail, la rémunération, le logement, l’action sociale, le droit d’expression et, bien sûr, le sens de l’engagement militaire.
Pour mettre en œuvre le transfert que vous souhaitez et qui ne se résume pas seulement à un volet budgétaire, il vous faudra porter atteinte à l’unité de la gendarmerie. Ainsi, seront maintenues hors du champ du ministère de l’intérieur les gendarmeries spécialisées maritime, de l’air, de l’armement. Pour les autres, il faudra régler, entre le ministère de la défense et le ministère de l’intérieur, de multiples questions ayant trait au soutien, à l’action sociale, à la santé et, plus important encore, au maintien en condition opérationnelle des équipements, dont on ne sait plus très bien d’ailleurs où se trouvent les budgets.
Enfin, en ce qui concerne le personnel, c’est-à-dire les gendarmes, il y aura des compétences transférées, des compétences partagées entre les deux ministères et des compétences maintenues. Les nuances semblent parfois obscures : ainsi, la discipline relèvera de la défense et la notation de l’intérieur.
Madame la ministre, pourquoi ferait-on simple quand on peut faire si compliqué ?
On peut craindre que la gendarmerie, ainsi détachée des armées, n’ait bien du mal à conserver longtemps son statut militaire. Je sais que vous vous en défendez, mais le projet de loi que vous présentez aujourd’hui ouvre cette voie. Pour notre part, attachés aux deux forces de sécurité, nous ne vous suivrons pas sur ce chemin.
Depuis une vingtaine d’années, l’organisation territoriale des deux forces de sécurité a bien évolué. Elle s’est adaptée à la nouvelle géographie des collectivités. Aujourd’hui, le partage du territoire entre la police et la gendarmerie semble assez clair.
Aux termes de l’article 1er du décret de 1903, la gendarmerie, dont la surveillance du territoire est une des missions, est plus particulièrement destinée à assurer la sécurité des campagnes et des voies de communication. Pour ce faire, elle s’est réorganisée en regroupements, puis en communautés de brigades dans nos territoires ruraux. D’une manière générale, cette implantation, maintenant comprise des élus locaux, est plutôt appréciée, d’autant que les relations entre les collectivités, les élus et la gendarmerie se sont formalisées et améliorées au fil du temps.
Il y a un attachement évident à la gendarmerie, considérée comme le principal garant de la sécurité et de la tranquillité des habitants dans les zones rurales. Ce que craignent nos concitoyens et les maires de nos villages, madame la ministre, ce sont les rumeurs de nouveaux regroupements ou de fermeture de brigades, la réduction annoncée des effectifs. Que celle-ci soit inscrite en loi de finances ou dans la révision générale des politiques publiques, cela ne fait pas de différence pour eux. S’agissant du texte qui nous est soumis aujourd’hui, ils imaginent que l’on pourra beaucoup plus facilement, à l’avenir, demander aux gendarmes d’aller renforcer la police dans des zones plus urbanisées, en délaissant leurs communes. Voilà ce qu’ils redoutent, et surtout ce dont ils ne veulent pas : on peut les comprendre.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Il dit des contrevérités !
M. Daniel Reiner. Je dirai en conclusion que ce qui importe, c’est de travailler à assurer convenablement la sécurité publique sur l’ensemble du territoire.
À quoi bon ce texte, qui complique au lieu de simplifier et ne peut, par conséquent, être un gage d’efficacité future, qui conduira la gendarmerie sur des voies incertaines où elle pourrait perdre sa spécificité, son âme même, qui rompt avec notre tradition républicaine, enracinée dans le pays, qui est craint et mal compris de beaucoup ? Il ne pourra pas devenir une bonne loi, et vous n’aurez donc pas notre concours, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur pour avis. Ce doit être un bon texte, s’ils ne le votent pas !
M. le président. La parole est à M. Joseph Kergueris.
M. Joseph Kergueris. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat qui nous réunit aujourd’hui sur le projet de loi portant dispositions relatives à la gendarmerie nationale fait suite aux réflexions conduites par le groupe de travail de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présidé par notre collègue Jean Faure.
Actualisant des dispositions législatives et réglementaires quelque peu datées, le projet de loi permet d’adapter cette arme aux nouvelles réalités territoriales et sociales de notre pays.
Madame la ministre, vous savez combien le sujet est sensible pour les parlementaires de province issus des zones rurales, dont je suis. En effet, la gendarmerie y est présente – elle ne l’est même jamais assez – au quotidien.
Cela étant, la gendarmerie est également présente dans cette maison, et l’examen de ce projet de loi nous donne l’occasion de saluer le dévouement et la compétence des personnels de la garde républicaine qui veillent à la sérénité de nos débats.
Le texte qui nous est soumis vise d’abord le rattachement organique de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur à partir du 1er janvier 2009. Il ne s’agit pas là d’une inflexion majeure, car un rapprochement s’était déjà opéré, dans le cadre d’une longue évolution. Nous voilà seulement parvenus au terme de ce cheminement vers une complémentarité entre gendarme et policier, chacun ayant son statut propre.
Madame la ministre, vous serez désormais responsable de l’organisation de la gendarmerie nationale, de sa gestion, de son emploi et de l’infrastructure militaire qui lui sera nécessaire.
Toutefois, il est très important que la gendarmerie nationale conserve son statut militaire. Il n’est nullement question d’une fusion avec la police car, aux termes de l’article 1er du projet de loi, elle demeure bien une force armée, dont les missions de sécurité intérieure, qu’il s’agisse de la police administrative, du maintien de l’ordre, du renseignement, de l’information ou de la protection des populations, les missions judiciaires et les missions militaires sont parfaitement définies.
Ainsi, pour la première fois, le texte reconnaît l’une des spécificités essentielles de la gendarmerie nationale, qui réside dans sa capacité de s’engager dans le règlement des crises de haute intensité, voire dans les conflits armés. Dieu sait si les opérations extérieures auxquelles participe notre pays le requièrent !
Cela étant, les officiers et les sous-officiers de gendarmerie restent bien des militaires, soumis au statut général des militaires. Ils conservent leurs obligations et leurs sujétions particulières, qui découlent à la fois de leur statut militaire et de leurs missions de police, notamment en matière de logement en caserne – lequel doit être considéré, convenons-en, plus comme une contrainte que comme un avantage, quoi qu’en disent certains.
Cependant, il est prévu dans le projet de loi de placer les responsables locaux des services de la police nationale et des unités de gendarmerie sous l’autorité des préfets.
Dans un amendement qui sera soumis au Sénat, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a préféré ne pas retenir cette formulation. Elle a estimé en effet que l’affirmation de l’autorité des préfets sur les commandants locaux de gendarmerie était susceptible de porter atteinte au principe d’obéissance hiérarchique consubstantielle au statut militaire de la gendarmerie. Il faut, selon moi, soutenir l’amendement de la commission.
Cette position nouvelle à l’égard du préfet induit nécessairement la suppression de la procédure de réquisition des forces armées pour l’emploi de la gendarmerie au maintien de l’ordre. Cela pourrait ne pas poser de problème insurmontable, dans la mesure où la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et la commission des lois ont préféré conditionner la suppression de la procédure de réquisition pour l’emploi de la gendarmerie au maintien de l’ordre à l’instauration d’une nouvelle procédure d’autorisation du recours aux moyens militaires spécifiques, tels que les véhicules blindés, et de l’usage des armes pour le maintien de l’ordre, en ce qui concerne tant les gendarmes que les policiers.
À cet instant, permettez-moi d’évoquer un souvenir. Nous sommes quelques-uns, ici, à avoir vécu les événements de 1948. À cette époque, pour maintenir l’ordre, il était aussi possible de recourir à la troupe ! Compte tenu de l’existence de la gendarmerie mobile et des compagnies de CRS, l’organisation du maintien de l’ordre en France ne s’inscrit plus du tout dans le même contexte.
Les amendements que j’ai évoqués sont de nature à répondre aux questions que les gendarmes se posent. Il faut ajouter qu’atteindre l’objectif d’une parité globale de traitement et de carrière entre gendarmes et policiers est l’une des conditions de la pérennité du statut militaire ; les dispositions concernant la reconnaissance d’une grille indiciaire spécifique vont dans ce sens.
La gendarmerie demeurera chargée de la prévôté militaire à l’égard des autres composantes de nos forces armées, et les attributions de l’autorité judiciaire pour l’exercice de cette mission sont préservées.
Nos collègues de la commission des lois ont par ailleurs souhaité que soit inscrit dans le code de procédure pénale le principe du libre choix du service enquêteur par l’autorité judiciaire ; personnellement, c’est un souhait que je partage.
Enfin, il est proposé, dans le projet de loi, une gestion rénovée des ressources humaines, une compétence de principe vous étant confiée, madame la ministre, en matière de gestion des personnels de la gendarmerie, compétence partagée chaque fois que nécessaire avec votre collègue le ministre de la défense. Toutefois, ce dernier continuera d’exercer la compétence indispensable en matière de discipline. En outre, il est prévu de mieux reconnaître la place et le rôle importants de la réserve.
Enfin, je voudrais attirer votre attention – je parle sous le contrôle de ma collègue Anne-Marie Payet – sur le sort des gendarmes originaires d’un département d’outre-mer.
Dans certains de ces départements, le pourcentage de gendarmes originaires de la collectivité est modeste, ce qui peut poser problème dans les contacts avec la population, la connaissance des pratiques locales, des mentalités, voire de la langue étant parfois insuffisante.
Dans le cadre du rapprochement des statuts entre police et gendarmerie, les militaires originaires d’un département d’outre-mer souhaiteraient bénéficier eux aussi de la possibilité de retourner chez eux après avoir passé sur le territoire métropolitain une période moins longue que ce qui est prévu actuellement. C’est là une préoccupation légitime, à laquelle il serait souhaitable que le Gouvernement soit attentif.
En conclusion, madame la ministre, sous la réserve expresse qu’il soit enrichi des amendements déposés et défendus par la commission des lois et par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ce projet de loi portant dispositions relatives à la gendarmerie nationale recevra l’appui du groupe de l’Union centriste.