M. Didier Boulaud. Ce sera pour la prochaine fois !
M. Didier Boulaud. En tant que ministre de la défense, vous aviez assuré que la gendarmerie ne serait jamais rattachée au ministère de l’intérieur !
M. Jean-Louis Carrère. C’est comme le porte-avions !
M. Didier Boulaud. Non !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Ce sera d'ailleurs, au-delà de ma personne, la garantie pour les gendarmes qu’ils conserveront toujours leur statut militaire. J’attends donc que, sur ce point, vous soyez unanimes, mesdames, messieurs les sénateurs. Sinon, cela laisserait entendre que vous avez derrière la tête d’autres idées, qui sont radicalement opposées aux miennes en la matière. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Gournac. Très bien !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Il n’est pas question, je le répète, de fusion entre la police et la gendarmerie. Le Président de la République l’a affirmé : chacune de ces institutions a sa culture, son histoire, son identité et la différence des statuts est un atout pour notre pays.
M. Didier Boulaud. Il va sûrement changer d’avis !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Dans le même temps, l’équilibre doit être respecté entre la police et la gendarmerie.
L’équilibre, c’est la complémentarité des missions, qu’il s’agisse de la police judiciaire, de l'ordre public, du renseignement ou de l’international.
L’équilibre, c’est également le respect des zones de compétence. Il n’est pas question de détourner les effectifs de la gendarmerie pour renforcer au quotidien la police nationale dans sa zone de compétence,…
M. Didier Boulaud. On verra !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. … ce qui n’empêche pas, en tant que de besoin, que policiers et gendarmes puissent se prêter main-forte, comme ils le font déjà dans des circonstances exceptionnelles.
M. Jean-Louis Carrère. Ça commence !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. L’équilibre, enfin, est lié à la parité de traitement dans le respect des différences de statut. C’est également un point auquel je suis attachée et j’ai mis les structures en place pour que cette parité soit assurée, dans le respect des spécificités statutaires.
M. Jean-Louis Carrère. Vous n’en respectez aucune !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. À ce propos, je constate qu’il n’y a que des hommes sur les travées socialistes ; il faudrait peut-être faire un petit effort…
Mme Virginie Klès. Pardon, je suis là !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Excusez-moi ! Un sur six : au-delà, ils auraient sans doute peur ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Louis Carrère. Ce n’est pas l’UMP qui va nous donner des leçons en matière de parité !
M. Alain Gournac. Revoilà les donneurs de leçons !
M. Didier Boulaud. La parité, c’est nous qui l’avons instituée !
M. Jean-Louis Carrère. Et la décentralisation aussi !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. En attendant, c’est moi qui suis ici ! Vous n’avez pas fait la même chose !
Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vous est soumis conforte le statut militaire de la gendarmerie.
Il définit la gendarmerie comme une force armée, instituée pour veiller à la sûreté et à la sécurité publique.
Il fixe ses missions, en rappelant qu’elle participe à la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la nation.
Il répartit les attributions des ministres de l’intérieur, de la défense et de l’autorité judiciaire, en soulignant celles du ministre de la défense, en particulier pour l’exécution des missions militaires.
Il précise les sujétions et obligations imposées aux officiers et sous-officiers en matière d’emploi et de logement en caserne. Il renforce ainsi la capacité de la gendarmerie nationale à assurer ses missions à tout moment et en tout lieu de sa zone de compétence.
Plusieurs mesures découlent d'ailleurs de ces dispositions.
D’abord, le recrutement dans les grandes écoles militaires…
M. Jean-Louis Carrère. Châtellerault !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. … contribue à former des gendarmes qui reçoivent les bases de l’éthique et du savoir-faire propre à la gendarmerie. Ce recrutement dans les grandes écoles militaires sera maintenu, contrairement à ce que certains de vos amis avaient prévu,…
M. Jean-Louis Carrère. Nos amis du Front populaire !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. …puisque les gendarmes échappaient, si je puis dire, pour leur formation, aux grandes écoles militaires. Je pense que c’était une erreur.
M. Jean-Louis Carrère. Tout ce qui est mal vient de nous !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Je l’ai rectifiée en inscrivant cette disposition dans le projet de loi de façon que personne, en particulier sur les travées de la gauche, ne puisse revenir sur ce sujet.
Par ailleurs, la participation aux opérations extérieures permettra aux militaires de la gendarmerie de cultiver les valeurs militaires et de renforcer leurs liens avec leurs camarades des armées.
Enfin, la défense continuera d’assurer une partie des soutiens, qu’il s’agisse de la santé – le service de santé des armées restera compétent pour les militaires de la gendarmerie –, du paiement de la solde ou du transport opérationnel.
J’ai passé avec le ministre de la défense trente conventions qui, dans trente domaines différents, perpétuent le soutien du ministère de la défense aux militaires de la gendarmerie.
M. Didier Boulaud. Ça va simplifier les choses !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. La concertation dans la gendarmerie restera soumise aux règles en vigueur au sein de la défense. Le ministre de l’intérieur sera toutefois appelé à coprésider le Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale.
En conséquence, la création de groupements professionnels demeurera bien entendu proscrite, car elle n’est ni souhaitable ni nécessaire : le statut militaire, que j’ai modifié en 2005, garantit aux militaires une très large liberté d’expression. Il est hors de question que les militaires puissent se regrouper en syndicats.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi soumis à votre examen repose sur une vision exigeante de la protection des Français, une vision moderne, soucieuse d’adapter l’architecture de notre sécurité intérieure aux nombreux défis du XXIe siècle, une vision pragmatique, consciente des atouts d’une force militaire de sécurité pour notre action quotidienne sur le terrain, une vision ambitieuse, fondée sur l’efficacité, la coordination et la réactivité des deux forces de sécurité, au service des citoyens.
Cette vision est la mienne et celle du Gouvernement. C’est aussi celle, j’en ai la conviction, des membres de la Haute Assemblée. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Les militaires de la gendarmerie, qui savent votre soutien et votre détermination, vous remercieront de la partager. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Gournac. Bravo !
M. Didier Boulaud. Wait and see !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Faure, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’indiquerai en préambule dans quel état d’esprit nous avons abordé l’examen de ce projet de loi : ce qui a prévalu pour nous, au-delà des intérêts de la gendarmerie, de la police, du ministère de l’intérieur ou du ministère chargé des finances, c’est le service des Français.
Nous sommes sensibles au fait que le Sénat soit saisi en premier de ce projet de loi, qui présente un caractère historique. En effet, depuis la loi du 28 germinal an VI, soit depuis 1798, aucune loi sur l’organisation et les missions de la gendarmerie n’avait été adoptée. Les règles régissant le statut et les missions de la gendarmerie nationale reposent sur un simple décret datant de 1903.
Au-delà de son caractère historique, ce projet de loi comporte des innovations majeures.
Ainsi, il organise le transfert de la tutelle organique de la gendarmerie au ministère de l’intérieur, conformément à la volonté exprimée par le Président de la République dans son discours du 29 novembre 2007. Cette mesure constitue une profonde réforme pour une institution placée depuis l’origine sous l’autorité du ministre de la défense.
Avant même l’annonce de cette réforme, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées avait décidé de constituer en son sein un groupe de travail chargé de réfléchir à l’avenir de l’organisation de la gendarmerie.
Ce groupe de travail, que j’ai eu l’honneur de présider, était composé de nos collègues Michèle Demessine, Hubert Haenel, Philippe Madrelle, Charles Pasqua, Yves Pozzo di Borgo et André Rouvière.
De décembre 2007 à mars 2008, notre groupe de travail a procédé à de nombreuses auditions et à plusieurs déplacements sur le terrain.
À l’issue de nos travaux, nous avons présenté dix-sept recommandations, qui ont été adoptées à l’unanimité par la commission et publiées dans un rapport d’information en avril dernier.
Pour l’examen du projet de loi, je me suis fondé sur ces recommandations.
J’ai également entendu une quinzaine de personnalités, dont les représentants des différents ministères, mais aussi des anciens directeurs généraux et des officiers de gendarmerie, des préfets, des magistrats et des représentants d’associations de retraités.
J’ai voulu m’inspirer d’une phrase figurant dans le préambule du décret du 20 mai 1903 : il faut « bien définir la part d’action que chaque département ministériel peut exercer sur la gendarmerie, afin de sauvegarder cette arme contre les exigences qui ne pouvaient trouver leur prétexte que dans l’élasticité ou l’obscurité de quelques articles ».
À l’issue de ces travaux, j’ai proposé dix-huit amendements, qui ont tous été adoptés par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
À cet égard, je voudrais saluer ici le travail mené en commun, marqué par une grande convergence de vues, avec la commission des lois, son président et son rapporteur pour avis, notre collègue Jean-Patrick Courtois. La plupart des amendements adoptés par nos deux commissions sont, en effet, très proches ou complémentaires.
Quelles sont les principales préoccupations qui ressortent de ces amendements ?
Comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, lors de votre audition devant nos deux commissions, ce rattachement constitue moins une rupture que l’aboutissement d’une évolution commencée en 2002.
En effet, depuis un décret du 15 mai 2002, la gendarmerie nationale est placée pour emploi auprès du ministre de l’intérieur pour l’exercice de ses missions de sécurité intérieure.
Plus récemment, en 2007, a été établie une responsabilité conjointe du ministre de l’intérieur et du ministre de la défense concernant la définition des moyens budgétaires de la gendarmerie et de son suivi.
On peut donc dire que la gendarmerie dépend déjà largement aujourd’hui du ministre de l’intérieur.
Toutefois, le système actuel est bancal, car le ministère de l’intérieur est responsable de l’emploi de la gendarmerie, mais ne dispose pas des deux leviers importants que sont le budget et la gestion des carrières, qui continuent de relever du ministre de la défense.
Le rattachement de la gendarmerie au ministre de l’intérieur permettra de réaliser l’unicité de commandement et de renforcer la coopération entre la police et la gendarmerie en matière de lutte contre la criminalité, et ainsi d’améliorer la protection des Français. Rappelons que les missions de sécurité intérieure représentent actuellement 95 % de l’activité de la gendarmerie, et ses missions militaires seulement 5 %.
Ce rapprochement permettra aussi de développer les mutualisations et les synergies de moyens entre les deux forces. Ainsi, les hélicoptères de la gendarmerie pourront être engagés au profit des deux forces, ce qui évitera de créer une deuxième flotte très coûteuse.
De même, la mutualisation pourra être développée, notamment pour l’achat des équipements, le soutien logistique ou encore les systèmes d’information et de communication. Ce rapprochement favorisera donc les économies d’échelle et sera source d’économies pour les contribuables.
Le rattachement de la gendarmerie nationale au ministre de l’intérieur ne doit pas entraîner, vous l’avez solennellement rappelé, madame la ministre, la disparition de son statut militaire et sa fusion avec la police.
La dualité des forces de sécurité, l’une, la police nationale, étant à statut civil, l’autre, la gendarmerie nationale, à statut militaire, n’est pas seulement un héritage historique. Ce principe constitue aussi une garantie pour l’État républicain et pour les citoyens.
M. Jean-Louis Carrère. C’en sera fini !
M. Jean Faure, rapporteur. Comme l’a rappelé le Président de la République, « nous avons besoin dans notre pays d’une force de sécurité à statut militaire capable de faire face à des situations de crise, en métropole, outre-mer ou sur les théâtres d’opérations extérieures ».
Ce principe n’est pas remis en cause par le projet de loi, qui préserve le statut militaire de la gendarmerie nationale : tout en étant placée sous l’autorité du ministre de l’intérieur, elle restera une « force armée ».
Pour ses missions militaires, la gendarmerie sera placée sous l’autorité du ministre de la défense, qui restera également compétent en matière de discipline. Les officiers et sous-officiers de gendarmerie demeureront donc des militaires, soumis au statut général de ces derniers. Afin de garantir la parité globale de traitement avec les policiers, ils disposeront d’une grille indiciaire spécifique.
Les amendements présentés au nom de la commission visent principalement à préserver le statut militaire de la gendarmerie, à conforter ses missions et son ancrage territorial.
Nous avons ainsi proposé de récrire l’article du projet de loi relatif aux missions de la gendarmerie, afin notamment de rappeler la vocation première de celle-ci : veiller à l’exécution des lois et assurer l’ordre et la sécurité publique dans les zones rurales et périurbaines.
Nos amendements visent également à assurer un équilibre entre l’efficacité de l’action en matière de lutte contre la criminalité et le respect des libertés publiques.
C’est la raison pour laquelle, tout en approuvant la suppression de la procédure de réquisition pour l’emploi de la gendarmerie au maintien de l’ordre, il nous a semblé indispensable de maintenir un minimum de formalisme pour l’utilisation des moyens militaires, comme les véhicules blindés, et pour l’usage des armes de certaines catégories, tant par les gendarmes que par les policiers.
Personne n’imagine, en effet, que des véhicules blindés puissent être employés pour le maintien de l’ordre sans l’ordre écrit de l’autorité politique.
Afin de préserver le dualisme policier, nous avons également souhaité rappeler le rôle essentiel joué par la gendarmerie en matière de police judiciaire et inscrire dans la partie législative du code de procédure pénale le principe du libre choix du service enquêteur.
Ce principe, qui permet aux magistrats de ne pas dépendre d’un seul service pour réaliser leurs enquêtes, constitue en effet une garantie fondamentale d’indépendance de l’autorité judiciaire.
Enfin, il nous a semblé utile d’inscrire dans ce projet de loi l’obligation du logement en caserne, qui participe de la disponibilité et de la proximité des gendarmes avec la population et les élus locaux.
Je sais, madame la ministre, que nous avons une divergence de vues avec le Gouvernement sur l’un de ces amendements, relatif à l’autorité des préfets sur les commandants locaux de gendarmerie.
Entendons-nous bien : il ne s’agit pas pour nous de remettre en cause le rôle de direction et de coordination du préfet, représentant de l’État dans le département en matière de sécurité.
Nos préoccupations portent sur le respect du principe hiérarchique, qui est consubstantiel au statut militaire, et sur le respect des zones de compétence respectives de la police et de la gendarmerie.
Ne risque-t-on pas, en effet, d’en venir à ce que les gendarmes soient appelés en renfort des policiers dans les grandes agglomérations, au détriment du maintien de la sécurité dans les zones rurales et périurbaines, qui constitue pourtant leur vocation première ?
Je ne doute pas que nous parviendrons à trouver une formulation qui réponde à ces préoccupations.
Enfin, le rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur pose la question de la coexistence d’une force armée telle que la gendarmerie et d’une force de police nationale où le syndicalisme est reconnu.
Dès lors que les gendarmes et les policiers seront placés sous une tutelle unique, comment éviter que ne s’expriment des revendications accrues tendant à un alignement des deux statuts, ce qui aboutirait inévitablement à un effacement du statut militaire de la gendarmerie et à la fusion de celle-ci avec la police ?
Madame la ministre, vous l’avez clairement rappelé : le syndicalisme est par nature incompatible avec le statut militaire. La gendarmerie doit donc continuer de relever des instances de concertation propres aux armées.
Toutefois, il paraît nécessaire de définir de nouvelles modalités de participation du ministère de la défense aux instances de concertation de la gendarmerie. Les règles relatives au fonctionnement des instances de concertation relevant, pour l’essentiel, du domaine réglementaire, nous n’avons pas souhaité modifier le projet de loi sur ce point.
Je crois cependant utile, madame la ministre, que vous nous indiquiez quelles mesures seront prises pour assurer la coexistence harmonieuse des deux forces au sein de votre ministère.
La principale force de la gendarmerie, ce sont ces femmes et ces hommes qui témoignent quotidiennement, par leur disponibilité, leur dévouement, leur sacrifice parfois, de leur engagement au service de la population.
Au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, je veux leur témoigner ici notre reconnaissance pour leur action au service de la sécurité des Français.
Sous réserve de l’adoption des amendements que j’ai évoqués, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous propose, mes chers collègues, d’adopter ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement a adopté et déposé en premier lieu sur le bureau du Sénat – il convient de le souligner – le projet de loi portant dispositions relatives à la gendarmerie nationale.
Conformément à la demande formulée par le Président de la République dans son discours du 29 novembre 2007, ce projet de loi organise le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur.
Ce rattachement organique est l’aboutissement logique d’une évolution entamée en 2002 avec le placement de la gendarmerie pour emploi auprès de ce même ministère. Il s’accompagne simultanément d’une réaffirmation du statut militaire de la gendarmerie, condition nécessaire au maintien du dualisme « policier » français.
Compte tenu de l’attachement du Sénat au statut militaire de la gendarmerie, ce projet de loi a été renvoyé au fond à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, notre collègue Jean Faure ayant été désigné comme rapporteur. Je tiens à souligner que Jean Faure et moi-même avons travaillé en commun tout au long de l’examen de ce texte, et je voudrais ici le remercier publiquement de sa totale disponibilité et de son écoute.
M. Alain Gournac. Bravo !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur pour avis. Les amendements les plus importants adoptés par la commission des lois sont, pour la plupart d’entre eux, identiques à ceux qu’a retenus la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Si le projet de loi est un texte court, dont l’objet est bien défini, il faut néanmoins remarquer qu’il s’inscrit dans un ensemble de réformes et de réflexions plus larges qui affectent ou affecteront la gendarmerie.
Je citerai ainsi le rattachement du budget de la gendarmerie au ministre de l’intérieur à compter du 1er janvier 2009, les réflexions pour garantir la parité globale de traitement et de carrière entre policiers et gendarmes, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui vise notamment à renforcer le lien entre sécurité intérieure et sécurité extérieure, la future loi de programmation militaire, et, naturellement, la révision générale des politiques publiques, la RGPP.
La gendarmerie se trouve donc à un tournant de son histoire. Il convient de le négocier d’autant mieux que l’existence de deux forces de police, l’une étant à statut militaire, est un atout dont la France ne peut et ne doit pas se priver.
En effet, l’existence de deux forces de sécurité intérieure est une richesse à préserver. La gendarmerie, du fait de sa vocation interministérielle et de sa position à la lisière de différents univers, joue un rôle important d’équilibre.
C’est un moyen pour le Gouvernement de se prémunir contre tout mouvement de contestation ou de grève de l’une des deux forces. (M. Didier Boulaud rit.)
C’est aussi une garantie d’indépendance et d’impartialité pour l’autorité judiciaire, qui peut ainsi choisir librement le service de police judiciaire compétent.
En outre, cela crée une émulation entre services enquêteurs et permet, lorsqu’un policier ou un gendarme est mis en cause, de saisir un service enquêteur n’appartenant pas à son corps.
La gendarmerie nationale assure aussi la police judiciaire et la prévôté dans les armées. Ce rôle particulier au sein des forces armées, mais en dehors des armées, explique qu’elle soit qualifiée d’« arme ».
Cette position permet à la gendarmerie de contrôler les armées. À cet égard, elle est indispensable, car les autres solutions ne sont pas satisfaisantes : soit les armées se contrôlent elles-mêmes, soit cette mission incombe à la police nationale, qui ne dispose pas de la culture militaire suffisante.
L’existence de deux forces ayant une organisation et un fonctionnement distincts est également nécessaire pour faire face à des besoins différents.
La police et la gendarmerie sont compétentes sur l’ensemble du territoire de la République, notamment en matière de police judiciaire et de maintien de l’ordre. Elles n’en ont pas moins des zones de compétences privilégiées.
Sur le plan géographique, à la logique de concentration de la population et des unités de la police nationale dans les très grandes agglomérations s’oppose une logique de maîtrise des espaces et des flux pour la gendarmerie nationale. Ces différences commandent le choix de l’organisation et du statut de chaque force.
La maîtrise de 95 % du territoire par la gendarmerie suppose un maillage dense de petites unités très déconcentrées. Une telle organisation requiert une disponibilité totale que seul le statut militaire permet et qui implique le logement en caserne.
Si son utilité n’est pas contestable, le dualisme « policier » doit néanmoins être coordonné et rationalisé pour atteindre son efficacité maximale. Plusieurs écueils doivent être évités : une concurrence exacerbée et des rivalités ; les doublons ; la non-interopérabilité.
Toutefois, il convient de remarquer que ces écueils existent également au sein d’une même force de police ou entre plusieurs forces de police à statut civil : ils ne sont pas spécifiques au dualisme français.
À cet égard, la situation française, qui voit coexister deux forces principales de sécurité intérieure, est relativement concentrée par rapport à celle que connaissent d’autres démocraties comme le Royaume-Uni, les États-Unis ou l’Allemagne, où chaque agglomération ou chaque Land dispose de sa propre force de police.
Tout l’enjeu du projet de loi réside dans cette double exigence : préserver le dualisme et renforcer l’efficacité des deux forces. Je crois, madame le ministre, que, tel qu’il a été amendé par nos commissions, ce texte atteint ces deux objectifs, car il pose les garde-fous nécessaires et ouvre la voie à des coopérations et à des synergies renforcées.
Le projet de loi de finances pour 2009, que nous venons d’examiner, prévoit d’ailleurs de nombreuses mutualisations. Néanmoins, là encore, le souci d’équilibre doit toujours prévaloir. La lutte contre les doublons ou les défauts de coordination, aussi légitime soit-elle, ne doit pas faire perdre de vue les vertus du dualisme.
La mutualisation des moyens ne doit pas être recherchée systématiquement, par principe : en fin de compte, la spécificité des deux forces perdrait sa justification. Sauf exception, la capacité à travailler en commun ne doit pas conduire à fusionner des unités ou services. La concurrence entre deux forces, à la condition qu’elle ne soit pas exacerbée, est aussi un facteur d’efficacité.
Ces remarques valent également pour certaines des fonctions support qui font l’objet des principales mutualisations. À cet égard, je me réjouis par exemple, madame le ministre, que vous ayez confirmé devant la commission des lois que la fusion de l’Institut national de la police scientifique et de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale n’était pas à l’ordre du jour. Il me semble en effet important et même indispensable, dans ce domaine, de conserver deux organismes.
Je ne reviendrai pas sur toutes les dispositions du projet de loi, que mon collègue Jean Faure et vous-même, madame le ministre, avez déjà présentées excellemment. J’insisterai seulement sur l’article 3 du projet de loi, relatif à l’autorité du préfet, qui fait l’objet d’une divergence partielle de points de vue entre les deux commissions.
L’affirmation de manière aussi claire de l’autorité du préfet est importante sur le plan politique, même si l’essentiel du chemin a déjà été parcouru grâce à la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, qui dispose que le préfet dirige l’action de la police nationale et de la gendarmerie nationale dans le département et que celles-ci doivent lui rendre compte de l’exécution de leurs missions. Lors de votre audition, madame le ministre, vous aviez d’ailleurs déclaré que le projet de loi ne changerait rien à la nature des relations actuelles entre les préfets et la gendarmerie dans les départements.
Dans ces conditions, il est certainement possible de trouver un compromis respectueux du caractère militaire de la gendarmerie et de l’efficacité de l’action de l’État dans le département.
Sous le bénéfice de ces observations et sous réserve de l’adoption des amendements qu’elle a déposés, la commission des lois a émis un avis favorable sur le projet de loi portant dispositions relatives à la gendarmerie nationale. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Didier Boulaud. Ce n’est pas l’enthousiasme !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, les Français aiment leur gendarmerie. Elle s’inscrit dans leurs traditions. Elle fait partie de leur paysage. Elle est ancrée dans leur territoire puisque sa responsabilité s’étend sur 95 % de la superficie de notre pays et couvre 50 % de sa population. Les ruraux sont particulièrement attachés à cette arme qui leur assure la sécurité dans la proximité. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)
Les contacts qu’elle a établis avec les habitants et leurs élus reposent sur la confiance et une très grande connaissance du milieu et de ses réactions. Ce sont ces liens très particuliers qui, autant que les missions qui lui sont confiées, font l’originalité et la force de la gendarmerie.
Avant même le dépôt du projet de loi que nous examinons aujourd’hui, notre commission avait décidé de constituer en son sein un groupe de travail chargé de réfléchir à l’avenir de l’organisation et des missions de la gendarmerie. Présidé par notre collègue Jean Faure, il s’est attaché à établir un état des lieux minutieux des structures de la gendarmerie, ainsi que des aspirations et des préoccupations de ses membres. Ce travail remarquable, auquel je tiens à rendre hommage, a conduit à la formulation de dix-sept recommandations, qui ont contribué de manière très positive à éclairer notre approche du projet de loi. Je veux également féliciter de la qualité de leurs rapports nos collègues Jean Faure et Jean-Patrick Courtois, qui ont analysé avec beaucoup de soin les dispositions du texte et proposé des amendements qui ne manqueront pas de l’enrichir.
Comme l’a indiqué Mme le ministre lors de son audition devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et la commission des lois réunies, la réforme qui place la gendarmerie sous l’autorité du ministre de l’intérieur constitue un aboutissement et non une rupture.
Cette évolution a commencé lorsque la gendarmerie, par un décret du 15 mai 2002, a été placée, pour emploi et pour l’exercice des missions de sécurité intérieure, auprès du ministre de l’intérieur. Après l’établissement en 2007 d’une responsabilité conjointe du ministère de la défense et du ministère de l’intérieur pour la définition des moyens militaires attribués à la gendarmerie et son suivi, le projet de loi consacre le transfert organique de cette arme et son rattachement budgétaire au ministère de l’intérieur à compter du 1er janvier 2009.
Nous faisons nôtre l’argument selon lequel ce rattachement permettra de réaliser l’unicité de commandement des deux forces de sécurité en renforçant leur coopération et la mutualisation de leurs moyens.
Depuis 2002, d’ailleurs, la gendarmerie et la police coopèrent au sein des groupes d’intervention régionaux, les GIR, dans la lutte contre la délinquance violente et les trafics illicites, ainsi qu’au sein de plusieurs offices, tel l’Office central de lutte contre le travail illégal.
La mutualisation conduira à l’acquisition de matériels communs dans le domaine de l’armement, au rapprochement des fichiers judiciaires dédiés à l’analyse criminelle, à une meilleure interopérabilité des réseaux de communication des deux forces, à la réalisation d’entraînements communs et à l’usage partagé des hélicoptères en cas de nécessité.
On s’est beaucoup interrogé sur les dangers que pourrait constituer, pour les libertés publiques, le fait de placer 249 000 policiers et gendarmes dans la même main.
Certains redoutent qu’une telle concentration n’altère le caractère militaire de la gendarmerie et n’amène celle-ci à aligner ses modes de fonctionnement sur ceux de la police nationale, ce qui, cela a été souligné tout à l’heure, pourrait entraîner certaines dérives. D’autres souhaitent que soient maintenus la dualité de la police judiciaire et le libre choix du service enquêteur par le parquet ou le juge d’instruction. D’autres encore craignent que les revendications des uns ou des autres n’aboutissent à un alignement progressif des statuts respectifs de ces forces.