M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Monsieur Renar, la commission des affaires culturelles ne peut que partager votre sentiment d’être privés d’une partie du débat qui aurait dû être le nôtre, que nous soyons d'ailleurs favorables ou pas à la suppression de la publicité sur les chaînes publiques.
Madame la ministre, vous comprenez, j’en suis certaine, la frustration immense qui est la nôtre. Il est regrettable que le Gouvernement, qui, pour quelques mois encore, règne en maître sur l’ordre du jour de nos assemblées, n’ait pas été capable d’organiser les travaux de celles-ci de manière à prévoir l’examen de ce texte avant le 5 janvier dernier, car cela relevait de sa responsabilité.
Dans ces conditions, vous ne pourrez vous étonner, madame la ministre, que le Sénat accepte difficilement de voir ce débat sur la suppression de la publicité réduit à sa plus simple expression.
Toutefois, la commission veut également le souligner, si ce texte n’a pu être examiné par notre Haute Assemblée en temps utile, c’est aussi parce que les débats ont duré un temps excessif à l’Assemblée nationale.
Comprenez-moi bien, mes chers collègues : l’opposition doit se voir reconnaître le droit de discuter, point par point et jusqu’au bout de la nuit s’il le faut, sur le fond même des textes qui nous sont soumis. C’est notre rôle de parlementaires. C’est ce qui fait la dignité et la noblesse de notre fonction. Nul n’a le droit de remettre cette fonction en cause et nul ne peut reprocher à un parlementaire de l’exercer jusqu’au bout.
Mais fallait-il, mes chers collègues, que les députés de l’opposition déploient des trésors d’ingéniosité afin de déposer des centaines d’amendements vides sur le fond comme sur la forme ? Fallait-il égrener la liste des produits d’appellation d’origine contrôlée ? Fallait-il détourner ainsi ce principe sacré qu’est le droit d’amendement pour en faire un droit formel de blocage ?
Les députés de l’opposition ont aussi leur part de responsabilité dans la situation que nous connaissons aujourd'hui.
Toutefois, je tiens à le souligner, la commission se réjouit par avance de constater que les sénateurs, quelle que soit leur sensibilité politique, ont décidé de mener, à l’occasion de l’examen de ce texte, une véritable réflexion de fond sur l’audiovisuel public ; notre collègue David Assouline l’a affirmé de nouveau tout à l'heure. Nos échanges en commission de ces derniers jours l’ont montré, et ils présagent, mes chers collègues, un débat d’une très grande richesse. La commission des affaires culturelles ne peut que s’en réjouir, car cela répond à son souhait.
La suppression de la publicité sur les chaînes publiques a marqué le lancement d’un grand chantier, celui de la refondation du service public de l’audiovisuel.
J’ai eu l’occasion de vous présenter hier, avec Michel Thiollière, l’ensemble des dispositions de ce texte, et je crois que nous avons encore devant nous d’importantes questions à trancher. Nul ne peut sincèrement dire ou penser que ce projet de loi est une coquille vide.
Depuis 1986, aucun débat sur l’ensemble du service public de l’audiovisuel n’a eu lieu. Engageons-le donc sans tarder, avec le sens du détail, le souci de l’intérêt public et le recul qui font l’honneur du Sénat.
Permettez-moi de préciser, mes chers collègues, que la présence dans ce projet de loi des procédures de nominations ne constitue ni un scandale ni un cavalier. Voilà quelques mois, le Sénat a inscrit dans la Constitution le principe selon lequel la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias relèvent du domaine législatif. Il est donc légitime que nous puissions débattre ensemble de la nomination des présidents des sociétés nationales de programmes.
La commission est donc défavorable à l’adoption de cette motion.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Christine Albanel, ministre. Le Gouvernement est évidemment défavorable à cette motion.
Mme le rapporteur a eu tout à fait raison de rappeler l’obstruction à laquelle s’est livrée l’opposition à l’Assemblée nationale et de souligner l’importance des débats qui vont avoir lieu ici même : le financement de la suppression de la publicité, le système des taxes, la création d’une société unique, en projet depuis très longtemps, les dispositions relatives à l’audiovisuel extérieur, la transposition de la directive « Télévision sans frontières », la rénovation du code du cinéma, très technique, et la modernisation du Centre national de la cinématographie, sont des mesures tout à fait essentielles.
Monsieur. Renar, il s’agit d’une grande réforme. La solution de facilité consisterait, évidemment, à ne pas réformer l’audiovisuel public, à ne pas prendre nos responsabilités.
Les paysages culturels et audiovisuels évoluent à une vitesse extrême. Il importe de soutenir ce projet culturel tendant à une suppression partielle – puis, après de nouvelles études, totale – de la publicité, car il permet la mise en place de nouveaux horaires et de programmes grand public fédérateurs.
Le Gouvernement, désireux de promouvoir une télévision attractive, prend donc ses responsabilités en ce domaine, comme il les a prises s’agissant des droits d’auteurs et de la création sur internet – je suis d’ailleurs très reconnaissante à la Haute Assemblée de l’appui qu’elle a apporté, toutes tendances politiques confondues, à ce projet de loi, dont l’examen a été suivi avec la plus grande attention par le monde du cinéma et celui de la musique – ou encore de la presse, ainsi que M. Renar l’a rappelé.
J’ai reçu tout à l’heure le livre Vert issu des travaux des états généraux de la presse. De nombreux sujets ont été évoqués, qui ont donné lieu à un débat de grande ampleur : plus de soixante-dix réunions, quatre-vingt-treize préconisations, de multiples auditions. Les éditeurs et l’État prendront prochainement leurs responsabilités.
La modernisation des statuts de l’AFP a également été abordée : l’AFP se trouve dans la situation particulière de n’avoir ni actionnaires ni capital ; elle doit pourtant faire face à des mutations considérables. A l’évidence, sa totale autonomie, gage de sa crédibilité, doit être préservée.
Sur tous ces points, le Gouvernement engage des réformes ! S’il est plus simple de ne rien faire, il est plus courageux d’aller de l’avant. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.
Mme Catherine Tasca. Madame la ministre, nous soutenons, vous n’en serez pas étonnée, la motion tendant à opposer la question préalable, défendue par notre collègue Ivan Renar, car nous approuvons totalement les arguments qu’il a développés.
Nous avons clairement dénoncé, depuis le début de ce débat, les objectifs qui sous-tendent cette réforme. Ils s’inscrivent, certes, dans votre logique, mais pas dans la nôtre.
Revenir constamment à la forme du débat pour vous exonérer du calendrier catastrophique selon lequel nous examinons ce texte, rappeler sans fin les conditions dans lesquelles s’est déroulé le débat à l’Assemblée nationale n’est qu’un faux-fuyant : l’opposition a usé librement et légitimement de ses droits. Au Sénat, nous entendons utiliser pleinement notre droit de débattre sur le fond.
Je veux, à ce moment de la discussion, madame la ministre, tenter de vous faire entendre notre refus de l’affaiblissement programmé de France Télévisions.
Prétendre qu’il n’y aurait pas un lien fort, évident, entre le financement et l’indépendance est une véritable tartufferie.
Depuis le début de l’examen du texte au Parlement, vous soulignez que la suppression de la publicité répond à un vœu très largement partagé, mais vous omettez de mentionner la condition expresse qui est posée, à savoir l’assurance d’un financement correspondant aux missions du service public.
La gauche a toujours pris soin de tenir les deux bouts du pari : diminuer la publicité autant que faire se peut, voire la supprimer si possible, mais augmenter les ressources propres de l’audiovisuel public par la redevance, par des dotations à l’entreprise.
Il ne sert à rien de tenir de grands discours sur le prétendu progrès démocratique ou, du moins, la meilleure transparence que permettra cette réforme, grâce, notamment, au nouveau mode de nomination des dirigeants de l’audiovisuel public, alors même que, par votre défaillance s’agissant du financement, vous passez au cou de France Télévisions le nœud coulant du sous-financement chronique aléatoire et d’une totale dépendance des décisions de l’État.
C’est pourquoi nous soutenons la motion de procédure qui vient d’être présentée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 78, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 75 :
Nombre de votants | 333 |
Nombre de suffrages exprimés | 330 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 166 |
Pour l’adoption | 143 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par MM. Assouline, Bel et Bérit-Débat, Mmes Blandin, Blondin et Bourzai, M. Domeizel, Mme Khiari, MM. Lagauche et Sueur, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 2 rectifiée bis.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires culturelles le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision (n° 145, 2008-2009).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. Yannick Bodin, auteur de la motion.
M. Yannick Bodin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, est-il utile de le rappeler une nouvelle fois – telle est pourtant la réalité ! – que les téléspectateurs ne comprennent pas le sens du débat qui s’est ouvert au Sénat dans la mesure où, depuis lundi soir, sont en place les nouveaux programmes des chaînes publiques sans publicité, alors que, ils le savent, la loi n’a pas été votée ?
Cette situation inédite est particulièrement humiliante à l’égard du Parlement. Nous n’aurons de cesse de dire et répéter notre indignation.
Je ne reprendrai pas l’argumentaire développé lors de la discussion générale. La véritable question qui se pose à nous est de savoir si, en tant que législateurs, nous disposons de tous les éléments pour nous prononcer dans les meilleures conditions.
La concertation a-t-elle été suffisante ? La commission des affaires culturelles est-elle allée jusqu’au bout de la réflexion ?
M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. Oui !
M. Yannick Bodin. À l’évidence, non ! Certes, et le président de la commission des affaires culturelles en a tiré argument ce matin, les rapporteurs ont bien travaillé. Cependant, la commission elle-même n’a fait qu’entendre ces rapports.
Un matin du 8 janvier 2008, soit voilà un an, le Président de la République annonça, à la surprise générale – ce fut effectivement une surprise, et tout d’abord pour vous, madame la ministre ! – la suppression de la publicité sur les chaînes publiques. Le prince décide, ensuite, débrouillez-vous !
Supprimer la publicité, après tout, pourquoi pas ? Mais quand on sait qu’une telle mesure met immédiatement en péril l’équilibre du budget des télévisions publiques, un minimum de réflexion s’impose. II faut prendre le temps de s’assurer que le remède proposé ne se révélera pas pire que le mal.
Cette question de financement nous préoccupe tous. Il y va de la stabilité, de la survie des chaînes publiques et, surtout, de la garantie de leur indépendance.
Notre seconde préoccupation, évoquée à plusieurs reprises lors de la discussion générale, tient, bien sûr, à la désignation du président des chaînes par le Président de la République. C’est là un bouleversement considérable, que nous combattons avec vigueur.
Certes, une commission a été créée sous la présidence de M. Copé. Celle-ci s’est attachée à transcrire la volonté du Président de la République de modifier les modes de financement et d’organisation du service public de l’audiovisuel, mais sans réelle marge de manœuvre du fait d’une feuille de route particulièrement bien cadrée, ce qui n’a pas manqué de provoquer malaise et grogne parmi les professionnels concernés et de nombreux parlementaires, même ceux qui, habituellement, soutiennent le Gouvernement.
Madame la ministre, les débats à l’Assemblée nationale ont duré trois semaines – trop longtemps aux yeux du Gouvernement ! –, mais n’était-il pas légitime de laisser le temps nécessaire à un grand débat comme celui-ci ?
Devant les réticences du Gouvernement – je précise que le Président de la République lui-même voulait que ce texte soit voté en urgence, avant la fin de l’année 2008 – seul le dépôt d’amendements par les élus socialistes pouvait assurer un échange sérieux sur un sujet capital pour la démocratie et l’épanouissement culturel de nos concitoyens.
Oui, madame la ministre, comme nos collègues députés socialistes, nous sommes et resterons mobilisés pour garantir le pluralisme dans les médias audiovisuels !
Je conçois aisément que, pour des gens pressés, la longueur des débats parlementaires soit difficile à supporter. Mais on en est aujourd’hui à saisir ce prétexte pour remettre en question le droit individuel de chaque parlementaire d’amender un texte et de disposer du temps nécessaire pour s’exprimer.
Notre demande de renvoi du texte à la commission se fonde sur deux motifs.
Premièrement, monsieur Legendre, la commission que vous présidez s’est réunie trois fois, entre le 18 novembre et le 2 décembre, pour auditionner Mme la ministre de la culture et de la communication, le PDG et la directrice générale déléguée de la société Audiovisuel extérieur de la France, ainsi que les représentants de l’intersyndicale de France Télévisions.
Cependant, depuis ces auditions, nous avons connu une situation inédite et une brutale accélération des choses. En effet, M. de Carolis, président de France Télévisions, a été instamment prié de faire voter par son conseil d’administration, avant la parution de la loi, la suppression partielle de la publicité. Sous la pression, les administrateurs avaient-ils réellement le choix ? Ne faisons pas semblant de le croire.
Devant cette méthode inadmissible, nous sommes en droit de demander des explications. Voilà en tout cas un exemple édifiant de la mainmise du Gouvernement sur le média audiovisuel, ainsi qu’une préfiguration, sans doute, de ce qui nous attend !
Après cet épisode surréaliste et humiliant pour le Parlement en général, et pour le Sénat en particulier, vous conviendrez, monsieur le président de la commission, qu’il serait judicieux que vous organisiez de nouvelles auditions, notamment de M. de Carolis, mais aussi des administrateurs ou des représentants de l’intersyndicale de France Télévisions.
Deuxièmement, notre demande de renvoi à la commission tient au calendrier plus que contraignant qui nous est imposé, bien cavalièrement.
Ainsi, le texte a été transmis au Sénat le 17 décembre dernier, et la commission des affaires culturelles n’a pu se réunir que le 6 janvier, à la veille de la reprise des travaux du Sénat.
Nous avons donc disposé de moins de vingt-quatre heures pour prendre connaissance des rapports et des propositions d’amendements. Ce n’est pas le travail des deux rapporteurs qui est en cause, bien sûr, mais le fait que nous avons manqué de temps pour lire leur rapport, qui n’est disponible au bureau de la distribution que depuis hier midi.
J’ai d’ailleurs apprécié que Mme le rapporteur ait exprimé tout à l’heure avec force le même regret et la même insatisfaction que moi sur ce point. Comprenez, madame la ministre, que nos capacités à réagir rapidement, aussi grandes soient-elles, puissent avoir des limites !
On nous dira que l’urgence a été déclarée pour ce texte. Mais de quelle urgence s’agit-il désormais ? Notre collègue Marie-Christine Blandin nous a brillamment rappelé hier soir quelles sont les véritables urgences ! Pourquoi nous presser, puisque le dispositif central de ce projet de loi est en application depuis trois jours ?
Le groupe socialiste considère que les délais extrêmement réduits accordés ne permettent pas au Sénat de discuter sérieusement, dans un esprit de concertation, des dispositions d’un projet de loi qui a d’ailleurs déjà fait une première victime : les rediffusions d’éditions locales sur France 3 !
Telles sont les raisons pour lesquelles nous demandons le renvoi du texte à la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il faut croire que l’on travaille bien en commission,…
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Mais à quelle vitesse !
M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. … puisque c’est la deuxième fois aujourd’hui que l’on nous demande d’y renvoyer un texte ! (Sourires.)
Je voudrais donc saluer cet intérêt pour les travaux de la commission des affaires culturelles,…
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. L’affaire est trop grave pour ironiser !
M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. … mais aussi rappeler quelques faits.
L’Assemblée nationale a adopté le 16 décembre les deux projets de loi que nous examinons, c'est-à-dire beaucoup plus tard que nous ne nous y attendions.
En disant cela, j’exprime un regret concernant non pas la durée des débats, mais leur nature. En effet, quand l’échange est réel, il n’y a pas à regretter le temps passé à discuter, mais la multiplication des artifices de procédure et des amendements sans véritable objet porte atteinte à l’institution parlementaire, à laquelle nous sommes tous profondément attachés ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
L’Assemblée nationale a vécu un tel épisode, qui n’est pas, fort heureusement, en train de se renouveler au Sénat. Il faut s’en réjouir et en remercier l’ensemble des membres de la Haute Assemblée : nous sommes, sur ce point, fidèles à notre tradition.
Il était nécessaire que le Sénat dispose d’un temps raisonnable pour débattre. Au mois de décembre, alors que le calendrier de nos travaux était élaboré dans l’attente de l’adoption du texte par l’Assemblée nationale, j’ai cru que nous ne l’aurions pas. Les présidents des différents groupes pourraient l’attester : en conférence des présidents, j’ai émis une protestation, considérant que le temps initialement prévu n’était pas suffisant et ne permettrait pas le débat auquel le Sénat avait droit.
Cependant, le Gouvernement n’a pas entendu nous imposer un calendrier trop contraint, deux semaines ayant finalement été prévues pour l’examen des deux textes.
Nous disposons en outre maintenant du rapport extrêmement consistant de Mme Morin-Desailly et de M. Thiollière, qui, il faut le souligner, ont commencé leur travail voilà déjà longtemps.
Par conséquent, je ne crois pas nécessaire de demander un examen supplémentaire du texte en commission. C’est ici, en séance plénière, que nous devons travailler, avec tous ceux de nos collègues qui se sentent concernés par le renouvellement profond de notre audiovisuel public, dont l’occasion historique nous est maintenant donnée.
Voilà pourquoi je ne suis pas favorable à cette motion tendant au renvoi du texte à la commission.
M. Charles Pasqua. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christine Albanel, ministre. Le Gouvernement est évidemment défavorable à cette motion.
Je fais miens les propos que vient de tenir M. le président de la commission des affaires culturelles sur l’importance du débat que nous allons avoir sur les multiples dispositions de ce projet de loi tendant à réformer profondément l’ensemble de notre audiovisuel public.
Je me tiendrai naturellement à l’entière disposition de la Haute Assemblée, jour et nuit, pendant tout le temps nécessaire à la discussion, qui se déroulera, j’en suis persuadée, dans d’excellentes conditions.
Mme Catherine Tasca. On ne peut pas dire que le groupe UMP se soit beaucoup mobilisé pour la discussion de ce texte !
Mme Catherine Procaccia. Depuis ce matin, il n’y a que des motions ! Nous ne sommes pas encore au cœur du débat !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2 rectifié bis, tendant au renvoi à la commission.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 76 :
Nombre de votants | 334 |
Nombre de suffrages exprimés | 330 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 166 |
Pour l’adoption | 144 |
Contre | 186 |
Le Sénat n'a pas adopté.
projet de loi organique (suite)
M. le président. Nous passons à la discussion de l’article unique du projet de loi organique relatif à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France.
Article unique
La nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France est soumise à la procédure prévue au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution. Dans chaque assemblée parlementaire, la commission permanente compétente est celle chargée des affaires culturelles. La nomination intervient après la publication au Journal officiel de l'avis des commissions parlementaires.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Voguet, sur l'article.
M. Jean-François Voguet. On ne sait toujours pas si la révision constitutionnelle, arrachée d’extrême justesse l’été dernier à un Parlement pour le moins dubitatif, trouvera dans les mois qui viennent sa pleine application. Le présent projet de loi organique permettra en tout cas de mettre en œuvre une partie de ses dispositions.
Ce lapidaire article unique a en effet pour objet de faire expressément figurer, parmi les emplois publics concernés par la procédure visée à l’article 13 de la Constitution, à savoir la nomination par le Président de la République après simple avis des commissions parlementaires compétentes, celui de président de France Télévisions.
Nous passons donc d’une nomination effectuée par l’autorité administrative indépendante jusqu’ici compétente, le CSA, à une nomination directement politique, assumée par l’exécutif.
Il est évident que, contrairement à ce que prétendent certains, le présent article ne règle en rien la question de l’indépendance des personnes susceptibles d’être investies des fonctions concernées. Il est tout aussi évident que les droits du Parlement n’ont aucunement été renforcés par l’adoption de la révision constitutionnelle.
S’il fallait trancher cette question, il suffirait de rappeler que les deux tiers des membres du CSA, jusqu’ici investi de la mission de choisir le PDG de France Télévisions, sont désignés par les présidents des deux assemblées parlementaires, tandis que, à l’avenir, la commission des affaires culturelles au Sénat et la commission des affaires culturelles, familiales et sociales à l’Assemblée nationale se borneront à émettre un avis, qui ne sera pas nécessairement suivi, sur la proposition formulée par le seul Président de la République.
Cela nous rappelle le temps, qui n’est finalement pas si ancien, où le pouvoir politique en place pesait de tout son poids sur le service public de la télévision pour donner le « la ».
Je veux parler, mes chers collègues, de ce temps où Christian Fouchet, brièvement ministre délégué chargé de l’information durant l’automne 1962, s’invitait sur le plateau du journal télévisé de Léon Zitrone pour en présenter la nouvelle formule, ou encore de celui où Philippe Malaud, ministre de l’information qui devait préparer l’éclatement de l’ORTF en 1974-1975, se plaignait auprès d’Arthur Conte, ancien député gaulliste et président de l’Office, que l’on entendait trop souvent L’Internationale dans les feuilletons télévisés, notamment dans Le Pain noir, œuvre remarquable de Serge Moati !
Je pourrais également évoquer, à cet égard, le printemps 1968, quand un nombre important de journalistes, d’animateurs et de créateurs de télévision furent placés sur une liste noire ou purement et simplement licenciés, au seul motif qu’ils n’avaient pas été aussi serviles qu’ils auraient dû l’être lors du mouvement social qui s’est déroulé à cette époque.
Comment d’ailleurs interpréter comme une avancée pour les droits du Parlement le dispositif d’un article unique qui n’a même pas la portée que pouvait avoir l’antique statut de l’ORTF ? Rappelons d’ailleurs à ceux qui s’étonneraient de cette référence que l’Office créé par la loi de 1964 était doté d’un conseil d’administration comportant autant de représentants de l’État que de représentants de la société civile.
À voir la composition actuelle du conseil d’administration de France Télévisions, dont une large majorité est disposée à prendre en compte, par ses décisions, la moindre injonction présidentielle, avec la seule opposition des représentants du personnel, on n’est pas certain que le moindre progrès soit intervenu en la matière !
Cet article unique nous apparaît comme une véritable mise sous tutelle élyséenne de l’audiovisuel public, l’avis parlementaire s’apparentant à une simple aide à la décision, sans portée aucune. Tout se passera comme si la nomination du futur président de France Télévisions était le fait d’un roi qui, après avoir pris conseil de quelques ministres avisés, choisirait son fou, chargé de le distraire et de l’instruire en assurant par ailleurs l’édification de la masse de ses sujets…
Or une telle nomination ne saurait être réduite au fait du prince ! Je rappellerai que la loi de juin 1964 créant l’ORTF et celle d’août 1974 organisant sa dissolution, textes qui étaient tout de même assez éloignés d’une conception pluraliste de la télévision et de la radio, disposaient pourtant que le président de l’Office, pour la première, et ceux des sociétés de programme, pour la seconde, seraient nommés par le conseil des ministres, et non par le seul Président de la République. En outre, la pluralité des administrateurs de ces organismes pouvait constituer un utile contrepoids à la prédominance du pouvoir exécutif dans cette affaire.
Aux termes du présent projet de loi organique, le président de France Télévisions sera donc, en quelque sorte, organiquement lié à celui qui l’aura nommé.
Or la République, c’est la « chose publique » ; la télévision publique en fait partie et ne peut, par conséquent, être ainsi traitée. C’est pourquoi nous rejetons fermement et sans appel cet article unique du projet de loi organique. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)