PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote sur l'amendement n° 131 rectifié.
M. David Assouline. Je n’ai jamais dit que les travées de la majorité ou de l’Union centriste ne comptaient que des muets ; j’ai même déclaré exactement l’inverse !
Je n’ai pas une longue expérience, mais, au cours de plusieurs débats, j’ai remarqué que certains d’entre vous s’étaient levés pour parler en leur âme et conscience. Selon les dépêches de l’AFP et certains reportages, certains d’entre vous ont même dit tout le mal qu’ils pensaient de la façon dont on traite le débat parlementaire. J’en appelais donc à ce que ces personnes s’expriment ici, dans cette enceinte, et qu’elles arrêtent de jouer les muets.
Je me réjouis que MM. Longuet et Mercier se soient exprimés, car, alors, le débat vole tout de suite assez haut. Quand des points de vue profonds sont exposés, notre travail parlementaire se trouve revalorisé.
Monsieur Longuet, à force d’habiller de modernité toutes les régressions les plus archaïques, on tue l’appétit pour la modernité dans notre peuple !
Bien entendu, nous sommes favorables à la modernisation. Et le groupe socialiste a même l’audace d’affirmer clairement, malgré le manque de sécurité qui nous est offert dans ce débat, qu’il est pour l’entreprise unique !
Avec le défi du monde audiovisuel tel qu’il est, avec cet éclatement de l’offre, cette possibilité énorme de zapping et les évolutions des dix prochaines années, le service public ne doit pas se contenter de défendre son périmètre frileux autour de ses acquis. Il risquerait ainsi de se faire grignoter, de perdre de sa force face à la concurrence privée et de se trouver demain dans un état d’affaiblissement tel qu’il ne pourrait plus tenir et serait conduit à une privatisation, voire à une faillite.
Au contraire, si l’on est favorable au service public fort, on est favorable aussi à sa modernisation et au média global.
Tout le débat que nous avons ici se résume à cette question : à partir du moment où l’on s’est fixé un tel cap, quels sont les modes de gestion modernes ?
Selon vous, dans nos sociétés complexes, le seul mode de gouvernance clair est le mode autocratique. Cette entreprise publique devrait être gouvernée avec une certaine autorité, soit, et, en outre, cette autorité ne devrait procéder ni de son indépendance ni de ses qualités professionnelles mais d’une nomination par le Président de la République !
Je regrette, mais cela ne suffit pas ! Dans notre société, moderne justement, on peut souhaiter certaines qualités chez un Président de la République, notamment un engagement très partisan dans un camp politique. Les Français aiment en général cette clarté. Mais un président de France Télévisions ne tiendra jamais son autorité et sa crédibilité du seul fait d’avoir été choisi par le Président de la République et par le pouvoir politique. Au contraire, il sera d’autant plus respecté et fort qu’on soulignera son indépendance et ses qualités professionnelles.
Avec ce nouveau mode de nomination, vous affaiblissez à mon avis l’autorité du prochain patron de France Télévisions, de Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France. On dira en effet partout qu’il est là parce qu’il est le copain du Président de la République et non en raison de ses compétences !
Mlle Sophie Joissains. Et Mitterrand, alors ?
M. David Assouline. On dira partout qu’il est là en vertu du bon vouloir présidentiel et non parce qu’il a fait preuve, pour ce média audiovisuel, de grandes qualités d’indépendance, quels que soient les pouvoirs politiques.
Telle est la réponse que je voulais apporter à M. Longuet, concernant la cohérence et la modernité.
Monsieur Mercier, vous avez fait l’éloge du CSA. Mais, ce n’est pas nous qui l’avons qualifié de « producteur de décisions hypocrites » ! Vous ne pouvez pas maintenant nous en accuser ! Nous n’avons pas non plus déclaré que, pour lever l’hypocrisie des nominations des présidents de l’audiovisuel public par le CSA, la nomination devait venir du Président de la République.
L’amendement de repli que j’ai défendu tout à l’heure – puisque le mode de nomination que nous proposions n’a pas été retenu, notamment à l’article 7 – visait à attribuer le pouvoir de nomination au CSA.
Il ne s’agit pas de montrer du doigt les individualités qui composent le CSA ni leurs bonnes intentions. Aujourd’hui, c’est plutôt le mode de nomination qu’il faudra revoir globalement. On le reverra bientôt, j’en suis sûr, y compris dans cet hémicycle, car la modernité tant demandée nous l’imposera.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote sur l'article.
Mme Catherine Tasca. Puisque nous arrivons au terme de cet article fondamental, il n’est pas inutile de faire un peu d’histoire.
Nous n’avions guère espéré modifier le texte du Gouvernement sur la question de la nomination. En effet, le Président de la République a déclaré qu’il voulait nommer lui-même les patrons de l’audiovisuel public. Or, dans notre pays, sa volonté fait désormais loi ! Le Président de la République considère son élection comme un chèque en blanc, un permis de réformer à sa guise, de fait sans avoir à négocier ses réformes, pas même avec le Parlement.
Mais, nous, parlementaires, nous avons le droit et le devoir d’inscrire les réformes dans l’histoire de notre pays, dans l’évolution de la société, dans notre vision des libertés et des droits de nos concitoyens.
L’article 8 apporte une réponse qui nous paraît inacceptable et anachronique à une question aussi centrale que difficile pour le devenir du service public audiovisuel : la question de son indépendance et de la nomination de ses principaux dirigeants, d’où découle inéluctablement la nature des relations entre le pouvoir politique et ses entreprises.
Si nous récusons votre projet sur ce point parmi d’autres, madame la ministre, c’est parce nous n’avons pas la mémoire courte !
Pourquoi en effet l’État s’est-il dessaisi, en 1982, de ces nominations au profit d’une innovation institutionnelle, de la création d’une instance indépendante : la Haute Autorité ?
Il l’a fait pour plusieurs raisons : d’abord, la mutation du paysage audiovisuel, après l’éclatement de l’Office de radiodiffusion-télévision française, l’ORTF, en 1974, et l’émergence de groupes de médias privés de plus en plus importants en Europe ; ensuite, l’attachement croissant de nos compatriotes à la télévision qu’ils consommaient de plus en plus ; enfin, la conviction du Président de la République de l’époque, François Mitterrand, pour lequel la démocratie n’avait rien à gagner à une gestion directe de l’audiovisuel par le politique, le politique lui-même n’ayant d’ailleurs rien à gagner à exercer cette mainmise.
De là provient l’évolution, chaotique mais persévérante, au fil des vingt-cinq dernières années, vers une indépendance de la régulation de l’audiovisuel, nominations comprises, à travers la succession de la Haute Autorité, de la Commission nationale et de la communication et des libertés, le CNCL puis du CSA.
La réponse était sans doute imparfaite, mais elle semblait reconnue comme nécessaire par tous.
Qu’est-ce qui légitimerait l’actuel retournement ? L’hypocrisie prétendue du système actuel ? Nous en avons beaucoup parlé ; cette accusation n’est qu’un alibi non crédible puisque le projet de loi ne propose aucune réforme du CSA.
La nécessité de libérer les programmes de la pression du marché via la suppression de la publicité ? C’est un objectif très louable mais un argument lui aussi bien peu crédible de la part d’un gouvernement et d’un ministère de la culture qui se font partout les chantres des partenariats entre le public et le privé, qui louent sans cesse le mécénat pour le substituer à la politique culturelle publique, et qui font constamment l’éloge de l’entreprise privée.
L’évolution du monde extérieur donnerait-elle une quelconque justification à ce changement et à cette récupération des nominations au plus haut niveau de l’État par le Président de la République ? Non. En effet, aucune démocratie ne s’est engagée dans cette voie. Le poids croissant des médias dans l’information et la formation de nos concitoyens rend encore plus sensible – aujourd’hui plus qu’hier et sans doute moins que demain – la question de l’indépendance et du pluralisme.
Les futurs dirigeants de France Télévisions doivent absolument pouvoir puiser dans le processus de leur nomination la légitimité, le courage et la force de leur libre détermination !
L’actuel projet en fera des obligés et des assujettis. S’il aboutit, ce sera une erreur historique ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Je me prononcerai surtout sur la forme.
Qu’un ministre rapportant une convention internationale nous dise en ces lieux : « On ne peut rien changer, car cela a été discuté par de nombreux pays, et les amendements ne sont plus possibles », c’est frustrant, mais nous l’entendons. Nous ne sommes peut-être pas les mieux placés pour amender les conventions.
Que nuitamment l’article 40 soit opposé à un ou plusieurs de nos amendements – je pense que M. Arthuis ne doit pas beaucoup dormir… – sans que le président de la commission des affaires culturelles en soit même informé, c’est plus que frustrant, c’est choquant ! Le débat n’est pas même ouvert dans ce cas-là ! Et nous avons parfois l’impression que l’article 40 vise plus des discussions qui pourraient être gênantes que des dépenses supplémentaires.
Mais il est des phrases que, même si elles ont une part de vérité, nous ne voudrions pas entendre dans cet hémicycle : ainsi, M. le rapporteur, pour justifier le refus de plusieurs de nos amendements, a déclaré qu’il ne restait plus au législateur qu’à appliquer la loi. Voilà qui sonne comme le glas de nos débats, de notre autonomie et de notre possibilité d’arbitrage !
Sur le fond, concernant cet article 8, je ferai un commentaire historique, puisque M. Longuet s’obstine à renvoyer David Assouline à la télévision du noir et blanc et à des histoires passées. Nous allons donc remonter très loin.
Pierre Sabbagh, lors d’une cérémonie de couronnement, s’était vu adresser quelques remarques par le pouvoir politique sur sa façon de traiter les images des uns et des autres. Il s’en était ouvert à ses collègues en disant : « Ça y est, les hommes politiques ont découvert la télévision. Ils ne vont plus nous lâcher. »
À l’époque, les pressions s’exerçaient déjà sur la presse écrite et sur la radio, mais la télévision disposait encore d’espaces de liberté. Il y eut ensuite une reprise en mains.
Puis, la démocratie a fait son chemin, on a créé le CSA, on a évolué, inventé. Et voici que l’article 8 nous fait replonger !
C’est pourquoi nous ne voterons pas cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Bodin, pour explication de vote.
M. Yannick Bodin. Il est habituel de classer les nations en deux catégories : les pays dits à régime démocratique et les pays à régime autoritaire, la distinction étant opérée selon des critères très simples.
Un pays démocratique se caractérise par l’expression régulière et libre du suffrage universel, le pluripartisme, la liberté d’expression des citoyens et l’indépendance des médias par rapport au pouvoir exécutif.
En revanche, dans les pays autoritaires, les médias sont toujours entre les mains de l’autorité suprême. La radio et la télévision sont même la première captation d’un pouvoir autoritaire qui se met en place.
Je regrette d’être dans l’obligation de faire une comparaison de ce genre car, pour moi comme pour vous, la France est une grande démocratie. Toutefois, je crains qu’elle n’abandonne par petits bouts, voire par lambeaux entiers, l’un de ses principes : l’indépendance des médias publics.
Je suis frappé de constater l’atonie de mes collègues de la majorité, dont le mutisme depuis plusieurs jours, même si deux d’entre eux viennent de s’exprimer, traduit visiblement un certain embarras. Avouez-le donc, mes chers collègues ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Robert del Picchia. Pas du tout !
M. Yannick Bodin. Si vous voulez vous exprimer, nous vous entendrons avec plaisir !
M. Robert del Picchia. J’ai déjà manifesté auprès de la présidence mon souhait d’intervenir pour explication de vote sur cet article !
M. Yannick Bodin. Ce n’est pas parce qu’on ne vous a pas entendus depuis le début de la journée que l’on n’aura pas intérêt à vous entendre avant ce soir !
M. Robert del Picchia. Vous allez nous entendre !
M. Yannick Bodin. Il est vrai, et je dois lui rendre hommage sur ce plan-là, que nous avons entendu M. Gérard Longuet. Il a d’ailleurs fait ostensiblement remarquer que personne dans la majorité n’avait sollicité un tel projet de loi ! Il a même ajouté qu’il n’était pas urgent d’en discuter en ce moment. C’est dire l’enthousiasme avec lequel il défend le gouvernement qu’il soutient !
M. Gérard Longuet. Je ne tiens pas de double langage !
M. Yannick Bodin. Vous êtes tout simplement embarrassés, mes chers collègues, ce que je comprends très bien compte tenu de l’humiliation que l’exécutif inflige à sa majorité ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Si vous voulez véritablement faire un acte démocratique et éviter la comparaison que j’ai établie au début de mon intervention, ayez tout simplement le courage de voter contre cet article ! Dans le cas contraire, demain, la France aura perdu une partie d’elle-même ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Robert del Picchia, pour explication de vote.
M. Robert del Picchia. On est en train de dramatiser ce qui va se passer en France ! Il convient d’en revenir au propos de Gérard Longuet, qui soulignait avec raison l’évolution qui se dessine depuis longtemps et que tout le monde connaît. Je ne sais si la direction prise est la bonne, mais une chose est sûre : nous serons de toute façon dépassés si nous n’évoluons pas, car, un jour, le service public disparaîtra au profit de la télévision à la carte.
Sans critiquer Mme Tasca, que j’estime beaucoup,...
M. Jean-Pierre Sueur. Nous aussi !
M. Robert del Picchia. ... et avec qui j’entretiens de bonnes relations, je rappellerai les propos qu’elle tenait alors qu’elle était ministre. Sous l’intitulé : « Tasca : peut-être ai-je manqué de courage », le journal Libération publiait ceci : « Admettant avoir commis une erreur d’appréciation, le ministre de la communication s’interroge. “Plutôt que le CSA, l’État n’aurait-il pas dû choisir les dirigeants d’Antenne 2-FR 3 ?” Inquiète de la tournure prise par la réforme de la prééminence des politiques, elle se prononce contre la suppression de la publicité. »
Voilà ce qui ressort de l’entretien. Mais, je le répète, je ne vous accuse pas, madame !
Mme Catherine Tasca. Cet article a décidément beaucoup servi à Mme Albanel et à M. Lefebvre !
M. Robert del Picchia. Ce sont certainement les conditions de l’époque...
Mme Catherine Tasca. Voilà : « de l’époque » !
M. Robert del Picchia. ... qui vous amenaient à tenir de tels propos.
Mme Catherine Tasca. J’ai déjà répondu !
M. Robert del Picchia. Mais les choses ont évolué et vous avez aujourd’hui une autre position.
Nous avons, nous aussi, une autre position aujourd’hui. Et, contrairement à ce que je viens d’entendre, ce ne serait pas faire preuve de courage que de voter contre cet article. C’est justement parce que nous n’en manquons pas que nous le voterons ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Catherine Tasca. La lecture de la presse vous aura servi !
Mme la présidente. La parole est à M. Jack Ralite, pour explication de vote.
M. Jack Ralite. Comme tout le monde, je pense que le monde a changé.
Mme Catherine Tasca. Voilà !
M. Jack Ralite. Mais le problème est précisément de savoir comment on apprécie ce changement.
Le 25 juin 2008, le Président de la République déclarait ceci : « Mon souhait c’est que les groupes d’audiovisuels privés soient puissants. » On le verra tout à l’heure, ce projet de loi n’a d’autre objectif que de rendre ces derniers puissants sur le plan financier et d’amoindrir la puissance du service public.
Le Président de la République le martèle dans chacun de ses discours : il veut – je résume – des patrons pour l’entreprise France. C’est un changement non pas objectif, mais idéologique. Il le défend, comme c’est son droit, mais nous y sommes absolument opposés.
Selon Georges Balandier, nous sommes dans l’obligation de civiliser les nouveaux Nouveaux Mondes issus de l’œuvre civilisatrice. Or, la proposition du Président de la République aboutit exactement au contraire !
Qui a dit que la nomination par le CSA du président de France Télévisions était hypocrite ? Lui, pas nous ! Il est tout de même drôle qu’il appelle l’hypocrisie à son secours pour montrer que lui n’est pas hypocrite...
Oui, le monde a changé, mais de là à dire que tout, en France, doit devenir une entreprise, jusqu’à l’hôpital... Les hommes et les femmes ne sont pas des produits au même titre que le sel ou le fer ! Ce sont des êtres, et il n’est pas question de les gérer comme une entreprise. Telle est la grande question d’aujourd’hui.
La concurrence évoquée par M. Longuet est totalement faussée. On dit que le nouvel esprit des lois est la concurrence libre et non faussée. Mais c’est le principe inverse qui sous-tend ce projet de loi : on crée les conditions pour que l’Etat, devenu une entreprise, soit battu !
S’agissant du domaine culturel, qui a quand même un lien avec notre débat et avec Mme la ministre de la culture, je prendrai l’exemple de la grande exposition Picasso et les maîtres. C’est une merveille, et je félicite tous ceux qui y ont travaillé. Mais le problème actuel tient au fait que cette exposition rapporte de l’argent !
Les trois directeurs des trois grands musées que sont le musée national Picasso, le musée d’Orsay et le musée du Louvre, pourtant des hommes incontestés et incontestables, viennent, sans s’en rendre compte, de passer du côté de la bataille d’entreprise : ils revendiquent 75 % des bénéfices que l’exposition procure, et Mme la ministre a bien du mal à s’en sortir !
Hier soir, en lisant une note sur l’inaliénabilité des œuvres, qu’ai-je découvert ? Le contraire des propos de M. Jacques Rigaud, qui a dit, argument à l’appui, qu’il ne fallait pas suivre cette voie-là.
Le règne de l’argent dans l’organisation et la gestion des biens communs, qu’ils soient nationaux, locaux ou internationaux, est une gangrène ! Et même les meilleurs des femmes et des hommes finissent par être atteints.
Il faut qu’Henri Loyrette gère « son Louvre », où il fait de grandes choses ! Je suis allé voir les manifestations organisées avec Pierre Boulez : c’était un vrai bonheur artistique et humain. Il n’empêche qu’Henri Loyrette, obligé de compter comme un chef d’entreprise, va se retrouver différent de ce qu’il est réellement !
Cela dit, c’est un vrai problème et c’est une véritable bataille qui s’engage. Lorsque nous discuterons tout à l’heure de l’accord des producteurs, vous verrez comment s’insinue cet esprit d’entreprise. Mais l’État n’est pas une entreprise ! La création n’est pas non plus une entreprise ; on s’y casse le nez rapidement. Quant au courage dont vous parlez, il faut en avoir, c’est vrai !
À ce propos, madame la ministre, le Président de la République vous a qualifiée de « Mère courage ». Mais il devrait lire la pièce de Brecht.
Mme Catherine Tasca. Eh oui !
M. Jack Ralite. Vous qui avez écrit une pièce de théâtre à partir de La Célestine, l’inspiratrice du personnage « Mère courage », le savez mieux que personne.
Mère courage pense que, dans les conditions les plus terribles, elle peut s’en sortir sans rien payer. C’est un peu l’impression que vous me faites, avec tout le respect que je vous dois, madame la ministre.
Mais qu’est-il advenu de Mère courage dans la pièce de Bertold Brecht ? Ses trois enfants, l’un brave, l’autre probe, le troisième généreux, sont morts à la suite de la pratique de leur mère.
Madame la ministre, vous êtes tutrice de nombre d’« enfants culturels », dont la télévision. Je souhaite avec sincérité, pour vous comme pour nous, qu’aucun de ces enfants ne connaisse le sort de ceux de Mère courage. Pourtant, nous en sommes là...
Vous êtes convaincue, dites-vous, qu’il y a assez d’argent ; mais tout le monde sait qu’il n’en est rien !
Mme la présidente. Je vous prie de conclure, mon cher collègue.
M. Jack Ralite. Je termine, madame la présidente.
Voilà le travail que nous avons à faire. N’acceptons surtout pas que, à l’instar du domaine du civil, le domaine de la culture soit géré comme une entreprise.
Avec la crise, on sait ce que deviendront les grandes promesses éternelles des grands patrons : « Voilà la vérité ! Rangez-vous derrière notre panache blanc ! », disaient-ils. Mais ils ont mis le monde dans le pétrin ! Est-ce ce modèle-là que vous voulez pour la culture ?
Au cours des ans, que ce soit sous la royauté, l’empire ou la République, la culture est toujours restée en dehors du règne de l’argent. Sarkozy a choisi son camp. Moi, j’ai choisi le mien : quand il dit « oui » à ce projet de loi, je dis non ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, était-il besoin d’inscrire dans l’article 34 de la Constitution le principe de l’indépendance des médias si c’était pour préciser ensuite que les présidents des médias publics seront nommés par décret du Président de la République ? Mes chers collègues, j’espère que vous ne voterez pas un tel texte !
Madame la ministre, permettez-moi de revenir quelques instants sur l’argument relatif à l’hypocrisie.
La situation actuelle serait hypocrite, nous a-t-on dit. Il vaut mieux que le pouvoir, au plus haut niveau, nomme les présidents de la télévision et de la radio publiques.
De deux choses l’une : ou l’on pense vraiment que le CSA ne sert à rien et, dans ce cas, il faut l’abolir ; ou l’on pense, et c’est notre position, qu’une institution indépendante est nécessaire pour nommer les présidents des chaînes publiques. Dans ce cas, il convient alors de changer la composition de cette dernière et le mode de nomination de ses membres, comme nous l’avons proposé à différentes reprises et selon diverses modalités.
S’il y a de l’hypocrisie, ce n’est pas une raison pour la généraliser et pour proposer un retour pur et simple au pouvoir régalien.
Madame la ministre, soit on pense qu’une institution indépendante, des procédures indépendantes, objectives et impartiales pour nommer les présidents des chaînes publiques sont hors de notre portée, soit on pense le contraire. Dans le second cas, pourquoi ne pas préférer cette indépendance à la nomination régalienne que vous persistez à nous présenter ?
Franchement, mes chers collègues, vous aurez énormément de mal à défendre cette singulière et malheureuse régression, à savoir la subordination de la télévision publique au bon vouloir d’un seul homme, surtout si vous considérez ce qui se passe en Allemagne, en Grande-Bretagne et partout en Europe.
En effet, c’est une régression par rapport à ce qui avait été mis en place avant et, surtout, c’est une contradiction par rapport à ce qui aurait pu et peut toujours être mis en place. En tout cas, le symbole est fort. Le Président de la République a décidé ; on a le sentiment que tout, chaque jour, émane de lui. Il décide, vous appliquez. Cette conception de la société est incompatible avec l’indépendance des médias et de l’information. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 8, modifié.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 80 :
Nombre de votants | 335 |
Nombre de suffrages exprimés | 332 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 167 |
Pour l’adoption | 175 |
Contre | 157 |
Le Sénat a adopté.
Mme Brigitte Bout. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. C’est serré !