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Création d'une première année commune aux études de santé
Adoption d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, portant création d’une première année commune aux études de santé et facilitant la réorientation des étudiants (nos 146, 198, 199).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec un grand plaisir que je viens ce soir devant vous soutenir la proposition de loi portant création d’une première année commune aux études de santé et facilitant la réorientation des étudiants.
C’est un plaisir à plusieurs titres et, tout d’abord, en vertu de l’amitié qui me lie à la fois au rapporteur Jean-Claude Etienne, éminent professeur avec qui nous avons toujours travaillé en parfaite intelligence, et au président Jacques Legendre, dont les avis judicieux sur notre système d’enseignement éclairent toujours utilement l’action du Gouvernement, singulièrement de la ministre de l’enseignement supérieur.
Monsieur le président de la commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur, je tenais dès à présent à vous remercier sincèrement du travail que vous avez effectué pour faire avancer la cause des étudiants en santé.
C’est un sujet que vous connaissez particulièrement bien, monsieur le rapporteur, puisque, déjà en 1997, vous cosigniez avec Jean-François Mattéi et Jean-Michel Chabot un ouvrage plaidant pour la réforme de la première année des études de santé.
Je tiens aussi à remercier le président Nicolas About et le rapporteur pour avis Gérard Dériot d’avoir mis leurs compétences au service du bon avancement de cette réforme.
Monsieur Dériot, vous avez en la matière, de par votre profession de pharmacien, une expérience incontestable ; je vous remercie de vous être saisi du sujet pour nous apporter votre éclairage.
C’est aussi un plaisir pour moi de venir soutenir une initiative parlementaire commune au Sénat et à l’Assemblée nationale afin de combattre résolument l’échec en première année d’études de santé.
Enfin, c’est un plaisir de venir débattre avec vous tous d’un sujet qui, vous le savez, me tient particulièrement à cœur.
En effet, ainsi que MM. Etienne et Dériot l’ont souligné dans leur rapport respectif, chaque année ce sont 57 000 jeunes qui s’engouffrent en première année de médecine et de pharmacie, avec, le plus souvent, une très faible de chance de « décrocher » un concours : pour 80 % d’entre eux en médecine et 72,4 % d’entre eux en pharmacie, cette première année est synonyme d’échec et, parfois, de vocation brisée. J’ajouterai même que, pour la majorité d’entre eux, cela signifie au mieux une nouvelle année de travail, de sacrifices et d’efforts qui aboutiront au même résultat, l’échec.
Ainsi, un très bon étudiant peut, à l’aube de sa vie professionnelle, perdre deux ans en première année de pharmacie, puis perdre deux nouvelles années en première année de médecine, ou l’inverse, c’est-à-dire perdre en tout quatre ans d’études supérieures pour aboutir à un échec, sans équivalence et sans voie de réorientation.
Ce gâchis de temps, d’énergie, d’espoirs et de rêves n’est pas acceptable.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous nous proposez d’agir. Je réponds à votre appel.
Vous savez ma volonté déterminée de faire de la licence une chance pour nos enfants : renforcer les socles de connaissances, ouvrir aux langues et au monde de l’entreprise tous les cursus pour faciliter les réorientations, l’insertion professionnelle et combattre l’échec.
Alors que toutes les composantes de l’Université - je dis bien « toutes » - ont pris le chemin de la réforme de leur première année de licence et bénéficient à ce titre du plan « réussir en licence », il serait incohérent de laisser les formations en santé de côté. C’est la chance des étudiants, et les présidents d’universités et directeurs d’unités de formation et de recherche – UFR - de santé ne s’y sont pas trompés puisqu’ils soutiennent tous votre initiative.
Qu’est-ce que le plan « Réussir en licence » ? C’est tout simplement relever le défi d’amener 50 % d’une classe d’âge vers son chemin de réussite. On en est loin en études de santé, n’est-il pas temps de s’y acheminer ?
Le plan « Réussir en licence » signifierait, pour les études de santé, entrer dans le système licence-master-doctorat et le processus de Bologne. Cela signifierait aussi mettre fin à la sélection par défaut du concours unique pour organiser une première année d’études commune aux quatre professions de médecins, pharmaciens, dentistes et sages-femmes.
Tous ces professionnels de santé seront amenés à travailler ensemble et de façon coordonnée tout au long de leur carrière. Le moment est bien choisi pour souligner ce point, à la veille du vote à l’Assemblée nationale de la réforme conduite par ma collègue Roselyne Bachelot, qui met en place les agences régionales de santé chargées de coordonner tous les acteurs de santé d’un même territoire.
À l’évidence, cette coopération doit commencer dès la première année d’études. Outre la richesse incontestable de l’ouverture à l’autre, des bénéfices en termes d’informations sur les différentes carrières et les métiers de santé, la collaboration de toutes les filières est le gage, je le crois, d’un meilleur fonctionnement de notre système de santé et d’une meilleure prise en charge des patients.
Une année commune sanctionnée par quatre concours distincts, cela permettra à chaque étudiant de construire son parcours de réussite en fonction de ses motivations, et donc de sa vocation. C’est lui qui choisira la carrière qu’il souhaite embrasser.
Alors, bien sûr, cela ne signifie pas la fin du numerus clausus ni de la sélection. Celle-ci est et restera sévère, comme dans toutes les filières d’exigence et d’excellence. Elle est nécessaire. Mais aujourd’hui, c’est un effet de couperet sans appel pour de trop nombreux étudiants. C’est cela que nous devons combattre. Dans toutes les autres filières d’excellence, les étudiants échouant aux concours se voient reconnaître les crédits équivalant à leurs années de préparation. Des garanties du même ordre doivent être offertes aux étudiants de PCEM 1 et de première année de pharmacie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que vous examinez aujourd’hui permet de corriger ce défaut rédhibitoire, tout simplement en créant une année commune aux quatre professions de santé concernées. Pour que cette année commune soit orientée non plus seulement vers le concours mais aussi vers d’autres parcours de formation, une nouvelle maquette est élaborée par des équipes pédagogiques engagées depuis de longs mois dans cette réforme. C’est la meilleure façon de donner à chacun sa chance de réussir. Poser des bases solides en sciences fondamentales tout en ouvrant l’enseignement aux matières plus littéraires permettra à ceux qui se réorienteront de réussir dans d’autres cursus.
Mais cette proposition de loi n’oublie pas ceux qui auront eu le cheminement inverse, c’est-à-dire ceux qui auront commencé leur formation dans une autre filière avant de découvrir leur vocation de professionnel de santé. Pour ceux-là, il semblait absolument indispensable d’ouvrir de nouvelles passerelles, parce qu’on ne sait pas toujours à dix-huit ans ce que l’on voudra faire toute sa vie, parce qu’il est extrêmement enrichissant pour un professionnel de santé d’avoir des connaissances dans d’autres domaines, et notamment en sciences humaines et sociales. La diversification des profils de nos futurs professionnels de santé est un atout supplémentaire et un gage de meilleure prise en charge des patients.
Ces passerelles, nombreuses, viendront s’ajouter à celle qui existe déjà. Elles permettront de donner leur chance aux vocations tardives, mais aussi d’accorder une deuxième chance à ceux qui auront échoué à dix-huit ans et qui voudraient renouer avec leur première vocation. C’est encore une façon de réduire la pression et la tension qui règnent actuellement en première année.
L’objectif de cette réforme est donc double. Elle vise à réduire le taux d’échec mais, surtout, à mieux orienter chacun de nos étudiants pour leur donner, à eux aussi, les moyens de s’épanouir dans leurs études.
C’est pourquoi je me réjouis, monsieur Jean-Claude Etienne, que votre proposition de loi prévoie la mise en place d’un « droit au remords » pour les étudiants qui, après avoir réussi plusieurs concours, reviendraient sur leur choix initial pour rejoindre une autre filière à laquelle ils pourraient prétendre.
Associer les pharmaciens à cette année commune prend alors tout son sens. Comment concevoir que ces derniers, qui ont un rôle de conseil auprès de la population, qui sont les experts des médicaments et les vigiles des médecins prescripteurs, ne partagent pas avec eux les bases de l’enseignement initial, fondement d’une culture commune ? Cela ne se fera pas en un jour, je le sais. Mais je sais aussi que les autorités représentatives des pharmaciens y tiennent vraiment. Ils me l’ont dit. J’ai confiance dans leur engagement moderne, sincère et résolu.
Toutes les autorités représentatives des quatre professions concernées se sont beaucoup engagées pour faire avancer cette réforme. Elles ont participé, dès octobre 2007, à la mission orchestrée par le professeur Jean-François Bach, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, que j’avais moi-même chargé de réfléchir aux améliorations qu’il est possible d’apporter à l’actuel PCEM 1. Elles ont participé à la concertation menée sur les dix recommandations du professeur Bach, avec tous les partenaires concernés, pour définir les grands principes de la réforme. Elles ont collaboré, avec la direction générale de l’enseignement supérieur, à l’élaboration d’une véritable feuille de route de la réforme dès le mois de juillet 2008, diffusée depuis lors à toutes les universités. Enfin, elles ont commencé à mettre en place, dans les universités, les outils et les équipes indispensables à la mise en œuvre concrète de la réforme le plus tôt possible.
Mesdames, messieurs les sénateurs, votre vote est très attendu puisqu’il conditionne la mise en place d’une réforme que l’on retardait depuis vingt ans, une réforme qui vise à améliorer l’organisation de la première année au bénéfice des étudiants.
Nous partageons le même constat – celui du gâchis de ces jeunes vocations –, alors donnons-nous les moyens d’agir, et c’est ce que nous propose aujourd’hui Jean-Claude Etienne. Si je sais que beaucoup d’entre vous partagent mon analyse, je sais aussi que certains ont fait entendre des doutes, voire des craintes. Aussi, je voudrais insister sur deux points.
D’abord, toutes les conditions matérielles sont réunies afin que l’État accompagne les universités et les étudiants pour le plus grand succès de la réforme. Vous avez voté en novembre dernier les moyens financiers du plan « Réussir en licence », qui ont été élargis, pour la première fois depuis janvier 2009, aux unités de formation et de recherche de santé. Cela représente jusqu’à 25 % d’augmentation de leurs moyens ! Ces crédits seront en partie utilisés pour renforcer le tutorat, car il nous semble que c’est le meilleur outil pour encourager les bons étudiants à persévérer et pour mener les plus fragiles vers la réussite.
Ensuite, je souhaite insister sur ma volonté d’associer, au plus vite, tous les acteurs au travail de réflexion et de rédaction que nous menons actuellement sur les textes d’application. Depuis l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de loi commune déposée par le député Jacques Domergue et par le sénateur Jean-Claude Etienne, mes services travaillent activement à la rédaction de projets d’arrêtés d’application, afin de pouvoir amorcer dès que possible la concertation sur les modalités de mise en œuvre de la réforme.
Vous l’aurez compris, cette réforme est faite au bénéfice des étudiants. Il est bien évident qu’ils seront invités, comme les autres parties, à réfléchir avec nous aux modalités de sa mise en œuvre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous pouvez le constater, c’est l’intérêt des étudiants qui guide mon action et qui a présidé à l’initiative des parlementaires Jean-Claude Etienne et Jacques Domergue, ce qui ne vous étonnera pas venant de leur part !
Au nom du Gouvernement, j’émets donc un avis très favorable sur ce texte qui rejoint et poursuit l’action politique que je mène depuis mon arrivée au ministère. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Claude Etienne, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ils sont jeunes, ils ont 19 ou 20 ans, ils sont étudiants, ils voulaient être pharmacien, médecin, chirurgien-dentiste ou sage-femme.
En juin 2008, vous l’avez dit, madame la ministre, ils étaient quelque 57 000 à se présenter et 44 509 ont été recalés.
Pour que l’échec ne soit pas vécu par ces jeunes comme une meurtrissure rédhibitoire – c’est le qualificatif que vous avez employé, madame la ministre –, nous devons accompagner ces étudiants ainsi fragilisés.
Nous devons leur offrir une possibilité de rattrapage pour revenir, aussi rapidement que possible, dans la filière de la santé, mais après avoir reçu un complément de formation dans les disciplines – souvent les mathématiques, la physique ou la chimie – où ils auraient pu se montrer insuffisamment préparés.
Nous devons également les aider à s’exprimer dans des domaines nouveaux où ils se trouveraient en meilleure adéquation avec leurs propres talents et où, par voie de conséquence, le succès serait mieux assuré.
C’est notamment à ce rendez-vous d’orientation, conforté ou infléchi, que cette proposition de loi nous invite.
Pour n’avoir jusqu’à présent rien tenté, ou presque, dans ce domaine, l’accès des jeunes Français aux études de santé s’apparente – cela a été souligné par plusieurs d’entre vous, et non des moindres – à un véritable parcours du combattant pour initiés, au moment même où l’on met en place en Europe, à la suite des accords de Bologne, le principe de formations par unités d’enseignement semestrialisées, préfigurant la généralisation du système licence-master-doctorat.
Qu’il me soit permis en l’instant de vous dire combien j’ai eu à cœur de déposer cette proposition de loi sur le bureau de la Haute Assemblée, alors que le député Jacques Domergue en faisait autant de son côté à l’Assemblée nationale.
Les aléas de l’ordre du jour ont permis à l’Assemblée nationale d’examiner en premier le texte qui vous est aujourd’hui soumis, mes chers collègues.
Je vais résumer en quelques mots les trois objectifs prioritaires de cette proposition de loi.
Tout d’abord, elle vise à permettre aux étudiants de véritablement choisir la filière qui leur convient le mieux – pharmacie, odontologie, maïeutique ou médecine – et donc à éviter ce à quoi ils sont soumis aujourd’hui, c’est-à-dire à faire un choix par défaut.
Ce choix par défaut introduit de facto une hiérarchie entre les quatre disciplines, qui doivent pourtant travailler ensemble. Or, on le sait bien, la médecine est la filière choisie avant la pharmacie, l’odontologie ou la maïeutique. À cet égard, j’espère que M. Autain ne m’en voudra pas de désigner ainsi la discipline de nos sages-femmes. (Sourires.)
Ensuite, elle tend à offrir de nouvelles perspectives en réorientant sans attendre les étudiants, soit vers un redoublement éventuellement conforté, soit vers un tout autre domaine.
Enfin, elle vise à développer une culture commune aux différents professionnels de santé, laquelle est pour le moment limitée à la première année « L 1 santé ».
Notre sentiment est que, au cours des années à venir, il conviendrait que les quatre branches de l’arborisation de la santé puissent se retrouver sur des thématiques partagées, répondant en forme d’écho tout au long de leur formation au partage culturel qui est proposé dans la « L 1 santé ». D’ailleurs, je vous remercie, madame la ministre, d’avoir rappelé mon engagement en faveur d’un tronc culturel commun des professions de santé.
L’apport des pharmaciens à ce socle culturel commun donne aux étudiants qui choisissent cette voie une possibilité de choix qui vient compléter l’éventail professionnel déjà constitué par les odontologistes, les médecins et les sages-femmes, ouvrant ainsi des possibilités de passerelles plus nombreuses, augmentant donc le choix et facilitant l’orientation des étudiants.
Le bénéfice que les pharmaciens peuvent en attendre est à la hauteur de leur apport. En pratiquant de la sorte, nous ajoutons une touche supplémentaire à la palette d’intervention dans le domaine des soins telle qu’elle est aujourd’hui assurée par les pharmaciens.
On connaît leur rôle dans la préparation et la délivrance des traitements tant en officines qu’en centres de soins. On connaît également leur rôle dans les laboratoires d’analyses ou de recherches. En revanche, on connaît moins un aspect particulièrement prometteur dont il convient de faire le plus grand cas – c’est ce que fait la proposition de loi –, à savoir leur présence dans l’équipe soignante, notamment pour la gouvernance des thérapeutiques. Aujourd’hui, un centre de soins ne peut plus concevoir une thérapeutique lourde ou structurée sans un pharmacien.
Cette proposition de loi vise donc à compléter et à moderniser la formation initiale dans le domaine de la santé en rapprochant les quatre disciplines, qui sont ainsi regroupées. Pour ce qui concerne la création de passerelles, vous y avez suffisamment insisté, madame la ministre, pour que je n’y revienne pas. Je précise simplement que deux catégories d’étudiants pourront bénéficier des passerelles dites « entrantes ». Je me permets d’insister sur ce point, car, en commission, certains de mes collègues souhaitaient avoir des précisions.
Premièrement, les candidats titulaires de master, de diplômes d’écoles de commerce ou d’instituts d’études politiques pourront désormais intégrer cette filière grâce à la proposition de loi.
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est ridicule !
M. Jean-Claude Etienne, rapporteur. Deuxièmement, des étudiants ayant validé au moins trois années d’études médicales, c’est-à-dire la première année plus deux années dans l’une des quatre filières, pourront se réorienter vers l’une de ces filières. C’est le fameux « droit au remords », que vous n’avez pas manqué de mentionner, madame la ministre.
J’ai consulté les représentants des étudiants et des enseignants, car certains disaient que ces dispositions suscitaient beaucoup d’interrogations, voire des réticences.
Il s’avère que, comme je l’ai clairement dit en commission, la Conférence des présidents d’université m’a écrit pour m’indiquer que la plupart des universités sont prêtes à s’impliquer le plus rapidement possible dans cette réforme. J’ai reçu un témoignage identique de la part de la Conférence des doyens d’UFR de pharmacie.
Je passerai sous silence les doyens de facultés de médecine et les doyens de facultés d’odontologie, qui étaient animés d’une certaine acrimonie à l’idée que l’on puisse repousser la mise en œuvre de cette réforme. J’ai d’ailleurs reçu des coups de téléphone en ce sens cet après-midi. Cependant, je continue à penser que nous devons respecter la minorité qui n’a pas encore acquis la certitude la plus absolue du bien-fondé de cette importante refonte du système de la première année d’études de santé.
Madame la ministre, conforté par mes collègues, et sur toutes les travées, je fais le plus grand cas de ceux qui s’interrogent. Je ne doute pas que, tout à l’heure, vous aurez à cœur de lever ces doutes de la façon la plus nette. Nous avons en effet besoin que tout le monde prenne la pleine mesure de l’événement et y souscrive. Je pense que la sérénité de la réflexion peut encore s’imposer à ceux – rares – qui se posent des questions.
Ayant pris en compte ces interrogations, vous ne serez pas étonnée que la commission ait déposé un amendement visant à retenir le principe – ô combien salvateur ou jugé comme tel par certains ! – de reporter l’application de ce texte le temps d’obtenir des assurances et de permettre aux universités de construire des thématiques de programmes et, éventuellement, des articulations avec les autres UFR afin que les passerelles prennent d’entrée de jeu toute leur signification.
Pour conclure, je voudrais dire que, avec cette réforme, la législation prend pour la première fois en compte un aspect qui, jusqu’à présent, il faut bien le confesser, avait été quelque peu négligé. Cette proposition de loi oblige en effet à un accompagnement systématisé des étudiants en situation d’échec. On expérimente ici un protocole d’assistance à l’étudiant pour lui éviter de se fourvoyer dans des impasses qui confinent parfois au gâchis, sur le plan tant individuel que collectif.
La proposition de loi initie enfin une épure culturelle commune aux professionnels de santé au moment où le travail en équipe de ces derniers apparaît de plus en plus souvent comme une exigence garantissant la performance des soins.
C’est pourquoi je me permets, mes chers collègues, de vous inviter à adopter cette proposition de loi, sous réserve du vote de l’amendement de report d’un an de sa date d’application. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Gérard Dériot, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a souhaité se saisir pour avis de cette proposition de loi, car, malgré sa brièveté, elle revêt à nos yeux une très grande importance.
En effet, au-delà d’une question d’organisation de l’enseignement supérieur, ce qui n’est déjà pas simple, ce texte vise à réformer le début du parcours des professionnels de santé dans notre pays. Or, dans le contexte démographique actuel de ces professions et à la veille de l’examen du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, la proposition de loi comporte un réel enjeu. Il convient donc de replacer les modalités de cette nouvelle réforme et d’en apprécier les conséquences au regard de l’ensemble des évolutions en cours du monde de la santé. Par le passé d’ailleurs, la commission des affaires sociales s’est toujours exprimée sur les réformes des études médicales.
Comme cela a été dit par Mme la ministre et par notre excellent collègue Jean-Claude Etienne, le texte que nous examinons aujourd’hui vise avant tout à remédier aux défauts du système actuel et, en particulier, à accroître les chances des étudiants qui souhaitent s’engager dans des études de santé. L’un des apports essentiels de cette réforme est d’associer les quatre branches des professions de santé, qui doivent aujourd’hui travailler en permanence ensemble.
Cet objectif est évidemment prioritaire, car si l’on ne peut faire l’économie d’un mécanisme de sélection dès le début du cursus des études médicales, il n’est pas acceptable que celui-ci génère un taux d’échec aussi élevé que celui que l’on observe dans nos universités, ce qui est sans équivalent, à ce niveau d’étude, dans le reste du système éducatif de notre pays. Il est donc effectivement impératif de tout faire pour que les étudiants actuellement en situation d’échec, malgré parfois de bons résultats, aient la possibilité de se réorienter.
La mission confiée au professeur Jean-François Bach a permis de dégager, après une large concertation, des propositions concrètes de réforme. La commission des affaires sociales souscrit pleinement aux quatre objectifs que ces propositions visent à atteindre.
Premièrement, il s’agit de favoriser la réorientation rapide des étudiants ayant les plus grandes difficultés, le but étant de limiter le nombre des redoublements à l’issue de la première année.
Deuxièmement, il s’agit de rapprocher les quatre filières, c’est-à-dire la médecine, l’odontologie, la maïeutique et la pharmacie, pour développer un tronc commun à ces études, pour créer une culture commune chez les futurs acteurs de santé qui, comme l’a rappelé tout à l’heure Jean-Claude Etienne, seront amenés à collaborer dans leur vie professionnelle ultérieure et pour accroître les possibilités offertes aux étudiants grâce à la création de quatre concours distincts.
Troisièmement, il s’agit d’améliorer la pédagogie en accompagnant le parcours de l’étudiant et en améliorant son encadrement : développement du tutorat, reconfiguration des programmes, refonte des supports et du mode de délivrance des cours, par exemple en utilisant internet.
Quatrièmement, il s’agit d’offrir de nouvelles passerelles entrantes et sortantes, afin de permettre aux étudiants de ne pas perdre complètement les années d’étude effectuées, surtout pour les « reçus-collés » – ceux qui ont la moyenne mais ne réussissent pas le concours –, et de donner de nouvelles chances à ceux qui, tout en souhaitant faire des études médicales, suivraient d’autres cursus au début de leur parcours.
La proposition de loi instaure le cadre législatif nécessaire à la mise en place de cette réforme que le Gouvernement, d’une part, conformément à une circulaire ministérielle du 1er août dernier, et l’Assemblée nationale, d’autre part, souhaitent voir entrer en vigueur dès la prochaine rentrée universitaire.
Pour bien mesurer les conséquences concrètes d’une mise en œuvre – rapide – de cette réforme, j’ai auditionné, en tant que rapporteur pour avis, des doyens de facultés de médecine et de pharmacie, ainsi que des représentants des étudiants. J’en retiens, comme mes collègues de la commission qui ont fait de même dans leurs circonscriptions, essentiellement trois conclusions.
La première est qu’il existe un véritable consensus sur le principe de la réforme que tous attendent et qui devrait permettre de remédier, au moins en partie, aux défauts du système actuel. Même les étudiants en pharmacie, au départ sceptiques sur cette première année commune, nous ont indiqué qu’ils en acceptaient désormais le principe.
Deuxième conclusion : le calendrier très volontariste du Gouvernement, c’est-à-dire une entrée en vigueur à la rentrée prochaine, fait l’objet d’appréciations plus contrastées.
Cette échéance semble aujourd’hui effectivement prise en compte par les présidents d’université, recteurs et doyens, et ceux-ci sont en phase de concertation intense avec les différents acteurs concernés, en particulier les enseignants et les étudiants, afin de mettre en place la nouvelle organisation et les nouveaux programmes dès le mois de septembre prochain.
Dans l’ensemble, ils pourraient être prêts, mais certaines universités auront indéniablement plus de difficultés à respecter ce délai. En tout état de cause, une mise en œuvre dès l’année prochaine ne pourra se faire que si les textes d’application sont pris le plus rapidement possible, car de nombreux points demeurent encore imprécis, par exemple l’organisation des concours à la fin de la première année.
Troisième conclusion : les étudiants, dans leur ensemble, sont inquiets de la rapidité de la mise en œuvre de la réforme. Ils déplorent en particulier le manque d’information disponible tant pour les lycéens qui souhaitent s’inscrire l’année prochaine en médecine ou en pharmacie que, ce qui est peut-être plus grave encore, pour les étudiants actuellement en première année.
Vous le savez, madame la ministre, les parents de ces lycéens sont forcément inquiets de ne pas savoir exactement comment se déroulera l’année prochaine. L’avenir des enfants est source d’appréhension pour les parents, vous vous en rendrez compte quand vos propres enfants grandiront. (Sourires.)
C’est pourquoi, madame la ministre, afin de rassurer les différents acteurs concernés, mais aussi pour nous éclairer, nous, sénateurs, je souhaiterais que vous puissiez vous engager sur quatre points que la commission des affaires sociales juge essentiels.
Le premier concerne la sortie des textes d’application, qui, à notre sens, doit être la plus rapide possible. En tout état de cause, si le calendrier d’application actuel est maintenu, ils devront être publiés au plus tard à la mi-mars, puisque l’inscription des lycéens doit se faire avant le 20 mars prochain. C’est en effet uniquement sur la base de ces textes que les autorités universitaires pourront véritablement établir leur communication, réformer leurs procédures et informer les étudiants.
Le deuxième point concerne les étudiants actuellement inscrits en première année. Malgré la réforme, ils doivent pouvoir présenter deux fois un concours dans une même filière, ce qui nécessitera, dans certains cas, l’autorisation de tripler la première année. Cette demande des étudiants est tout à fait légitime ; c’est une question d’équité pour l’ensemble des étudiants qui vont vivre ces évolutions.
Le troisième point a trait à la future réorientation des étudiants à l’issue du premier semestre. Il semble que la solution actuellement envisagée par votre ministère soit assez radicale, madame la ministre, à savoir conserver un nombre d’étudiants correspondant à deux fois et demie ou trois fois le numerus clausus à l’issue des premiers mois de formation. Les professeurs comme les étudiants pensent que ce nombre est trop restrictif. Il faudrait donc que la concertation se poursuive sur ce point et, surtout, que les options de réorientation proposées aux étudiants soient effectives.
Le quatrième point sur lequel nous attendons des assurances de votre part, madame la ministre, est celui des moyens, car l’adaptation de certains locaux, l’installation de systèmes de visioconférence, le développement du travail en effectifs réduits vont nécessiter, dès la prochaine rentrée ou dès la mise en œuvre de la réforme, des moyens supplémentaires. Il est impératif que ceux-ci soient à la hauteur de l’ambition portée par cette proposition de loi. Comme vous l’avez dit tout à l’heure, les financements ont été prévus.
Au total, compte tenu des questions soulevées, sur lesquelles nous attendons vos réponses, madame la ministre, la commission des affaires sociales a considéré que le délai retenu par la proposition de loi était un peu précipité. Elle a donc décidé de proposer au Sénat de reporter son entrée en vigueur d’un an. À cet égard, je remercie le président de la commission des affaires culturelles et son rapporteur d’avoir relayé notre demande. Un tel report devrait permettre à chacun de s’approprier cette réforme.
Il serait particulièrement dommageable, selon nous, que la mise en œuvre de cette importante réforme ne soit pas à la hauteur des attentes exprimées tant par les enseignants que par les étudiants. La priorité doit être de permettre à notre pays de continuer à disposer de professionnels de santé bien informés et bien formés. Tel est bien l’objet du grand bouleversement que vous proposez.
Aussi, sous réserve des engagements que vous voudrez bien prendre devant nous, madame la ministre, et du report d’un an de l’application du texte, la commission des affaires sociales votera la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)