M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous discutons d’une proposition de loi inaboutie, dans le contexte le plus défavorable qui soit. Les sujets de mobilisation de la communauté universitaire sont déjà multiples, inutile d’en ajouter un !
Le Gouvernement paraît vouloir écouter, mais semble incapable de corriger ses erreurs. La « mastérisation » de la formation des futurs enseignants, parce que contre-productive et précipitée, constitue un point dur de la mobilisation.
Or on nous propose aujourd'hui de jeter dans le bain des mesures gouvernementales mal ficelées, mal préparées, non négociées et précipitées le secteur des études de santé !
Le calendrier de cette énième réforme est tout aussi irréaliste que celui de la formation des enseignants. Même ceux qui sont en faveur de ce texte réclament, à juste titre, le report de sa mise en application.
Il est en effet tout simplement matériellement et financièrement impossible d’organiser, dans de bonnes conditions, dès la rentrée de septembre 2009, la première année des études de santé selon le dispositif proposé dans cette proposition de loi.
Je pense en particulier aux études odontologiques et pharmaceutiques pour lesquelles la mise en œuvre du LMD n’est toujours pas effective. Le processus de Bologne fixe 2010 comme date butoir : prévoir l’application du dispositif à la rentrée 2010 semblerait donc plus réaliste et plus approprié. Rien ne nous contraint à la précipitation, sauf le calendrier gouvernemental ! Sans cela, c’est au sacrifice d’une promotion que vous nous conduisez, madame la ministre.
Les procédures d’inscription « post-bac » pour les lycéens s’achèvent dans quelques semaines. Les élèves de terminale intéressés par des études médicales ne disposent à ce jour d’aucune information sur la réforme à venir de la première année. Ils sont tenus dans la plus totale ignorance et sont donc dans l’incapacité matérielle de s’inscrire en connaissance de cause.
Pour ce qui est des actuels « primants », l’incertitude quant à leur possibilité de redoublement à l’issue d’une sélection qui éliminera 80 % d’entre eux constitue une source supplémentaire de stress. Quant aux équipements immobiliers, je ne vois pas par quel miracle ils seront prêts à accueillir tous les étudiants en L 1 santé pour la rentrée 2009. Un report de l’application de cette réforme s’impose donc.
Cette réforme précipitée est également insuffisante. Vous restez au milieu du gué : nombre de professions de santé ne feront pas partie de cette licence « santé ». Certaines filières ont été exclues d’office de la réflexion du rapport Bach, sans motif sérieux. Le périmètre pose, au minimum, question. Ainsi, la question de l’intégration de filières de formation universitaire, d’autres ne l’étant pas ou l’étant seulement en partie, a été trop rapidement évacuée. De nombreuses filières recrutent par l’actuel PCEM 1 et ne sont pas intégrées dans la L 1 santé : ergothérapeutes, laborantins d’analyses médicales, manipulateurs d’électroradiologie médicale, pédicures-podologues, psychomotriciens, masseurs-kinésithérapeutes pour deux tiers des instituts de formation.
À travers le mode de recrutement, c’est également la question de la démocratisation de l’accès à certaines filières de santé qui aurait dû être posée.
Ainsi, le PCEM 1 de kinésithérapeute ne demande pas le même investissement financier que le concours des instituts privés, de l’ordre de 3 500 euros, ce qui constitue avant tout une sélection par l’argent. C’est donc une occasion manquée d’envisager la généralisation de la procédure de sélection par le PCEM 1 pour tous les futurs kinésithérapeutes, dans un objectif de démocratisation.
De fortes craintes pèsent également sur les conditions d’études. En parlant des étudiants de pharmacie, vous avez affirmé à l’Assemblée nationale, madame la ministre : « avant tout, ils pourront ainsi améliorer leurs chances de réussite ». Cette affirmation est-elle bien sérieuse et réellement fondée ? Je ne le pense pas, et les étudiants de pharmacie, que cette réforme inquiète légitimement, non plus. Ils vont échanger des enseignements dirigés – ED – et des travaux dirigés – TD – d’une trentaine d’étudiants contre des amphithéâtres surchargés en visioconférence.
Face à l’augmentation des effectifs du fait du regroupement des différentes premières années, le risque est grand de voir remises en cause, dans toutes les filières, la proportion des ED et des TD par rapport aux cours magistraux, actuellement de 30 % des cours dispensés en PCEM 1 et en PCEP 1, ainsi que les conditions de leur tenue.
C’est pourquoi le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, le CNESER, a demandé à votre ministère, d’une part, « d’apporter tous les moyens matériels, humains et financiers nécessaires pour garantir une qualité pédagogique au moins équivalente à celle observée aujourd’hui dans chacune des filières concernées, sans dégradation des conditions d’études » et, d’autre part, « que le financement de la licence santé ne se fasse pas en redistribuant les moyens initialement alloués aux autres filières universitaires dans le cadre du plan “ réussir en licence ”, comme cela est prévu à ce jour ».
Expliquez-nous, madame la ministre, comment la première année d’études de santé pourrait être également adaptée à ceux qui ne pourront pas devenir médecins, dentistes, sages-femmes ou pharmaciens.
Rien ne nous garantit que la réorientation à l’issue du premier semestre se fera sur le mode du volontariat. Nous n’avons pas d’information sur les filières que les étudiants pourront intégrer au second semestre, ni sur les conditions de cette intégration. Un étudiant ayant perdu tout goût pour les sciences pourra-t-il s’inscrire en sciences humaines ou en droit ?
À ce propos, nous ne disposons d’aucune étude statistique sur le parcours des étudiants sortis du cursus médical ou l’ayant abandonné permettant d’affiner le dispositif de réorientation, afin qu’il soit le plus profitable possible aux étudiants concernés.
À ma connaissance, aucune étude n’a été réalisée sur les résultats du premier semestre des étudiants « primants » et sur leur réussite au concours en tant que redoublants, ce qui leur ferait tout de même gagner un à deux ans par rapport à votre proposition de réorientation précoce. Il ne me semble pas que la boucle de rattrapage qui oblige à faire un cursus de licence complet afin de pouvoir repasser le concours soit la solution la plus appropriée.
Si votre objectif était de ne pas rallonger un cursus déjà très long, force est de constater qu’il est loin d’être atteint.
Vous avez l’occasion, madame la ministre, de donner corps au consensus existant sur la réforme des études de santé, ne la gâchez pas ! Nous partageons le diagnostic : afflux croissant d’étudiants, taux d’échec élevé, difficultés de réorientation, qualité insuffisante des enseignements, bachotage, recours à des officines privées… Nous partagions l’essentiel des objectifs du rapport Bach, bien que moins ambitieux que les conclusions du rapport Debouzie, mais nous ne partageons ni la méthode, ni les modalités de mise œuvre.
Cette proposition de loi pose plus de questions qu’elle n’en résout et conduit notre Haute Assemblée à donner un blanc-seing au Gouvernement. Nous devrions être associés à la préparation des décrets afin de pouvoir nous prononcer en toute connaissance de cause. C’est pourquoi nous demandons le report de son application. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui présente une réforme attendue de longue date, et positive à plus d’un titre.
Dès 2002, Luc Ferry et Jean-François Mattei, ministres, respectivement, de l’enseignement supérieur et de la santé, indiquaient l’intérêt qu’ils portaient à la création d’une année d’études commune aux professions de santé. Ils suggéraient même que cette création intervînt rapidement.
Ainsi la commission pédagogique nationale de la première année des études de santé a-t-elle été instituée en septembre 2002 pour faire des propositions sur le sujet. Menés par le défunt président de l’université Claude Bernard Lyon 1, Domitien Debouzie, ses travaux ont été fructueux et fort détaillés.
Les propositions faites par ce dernier sont à rapprocher, en grande partie, de celles qui vous ont été remises, madame la ministre, par le professeur Jean-François Bach et qui ont été reprises dans la présente proposition de loi.
Je note que quatre principes fondamentaux sous-tendent la création d’une année commune aux études de médecine, d’odontologie, de maïeutique et de pharmacie.
Le premier principe est l’instauration d’une indispensable culture commune aux différentes professions de santé.
Le professeur Yvon Berland, président de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé, a souvent dénoncé le cloisonnement entre ces dernières. Dans son premier rapport de 2002, il indique que l’un des obstacles majeurs à la coopération entre les professionnels de la santé reste le cloisonnement et les contours trop variables de leurs cadres de formation.
Deuxième principe, cette année commune ne doit pas être une année blanche, de bachotage. Elle doit être intégrée dans le cursus global de la formation des professions de santé. Cela implique qu’elle prépare aux concours tout en assurant une formation intégrée à un cursus académique et professionnel. En somme, cette année doit être, selon l’expression du doyen Debouzie, « utile, constructive et apprenante ».
Cela me paraît essentiel, madame la ministre. De nombreux étudiants demandent d’ailleurs des garanties à ce propos – j’y reviendrai.
Le troisième principe est celui de l’absence de hiérarchisation des concours.
L’actuelle première année du premier cycle des études de médecine, ou PCEM 1, induit en effet une hiérarchisation entre les professions de médecin, de chirurgien-dentiste et de sage-femme. L’existence d’un classement unique permet effectivement à un étudiant bien classé de choisir sa profession et contraint l’étudiant moins bien classé à un choix par défaut, notamment lorsqu’il se présente au concours pour la deuxième fois.
La mise en place de quatre concours séparés et indépendants, soit un concours par profession, devrait sans nul doute y remédier.
Le dernier principe fondamental est celui de la prévention de l’échec.
Les statistiques montrent que la moitié des étudiants ayant obtenu leur baccalauréat avec la mention « bien » échouent au concours de médecine et d’odontologie, alors qu’un tel taux d’échec n’est jamais observé dans les classes préparatoires des grandes écoles ou dans le premier cycle intégré des écoles d’ingénieur.
Après analyse de données recueillies à l’université Claude Bernard Lyon 1 pendant trois années consécutives, un portrait démographique des étudiants inscrits en PCEM 1 a été esquissé.
En moyenne, environ 30 % d’une cohorte de PCEM 1 intégrera la deuxième année du premier cycle des études médicales, ou PCEM 2, soit en un an, soit – surtout – en deux ans, voire en trois ans. En revanche, la moitié de cette cohorte quitte le PCEM 1 sans aucun diplôme, sans aucune équivalence ou dispense. La proportion d’abandons après une première tentative est élevée.
Des campagnes d’informations auprès des étudiants de PCEM 1 expliquent probablement cette réorientation rapide. Quasiment la moitié des étudiants qui ne sont pas admis en seconde année de médecine ou de pharmacie vont en DEUG sciences et technologies. Une autre part importante, environ 30 %, se dirige vers une profession paramédicale.
Ainsi, la prévention de l’échec par une réorientation des étudiants est l’avancée majeure de ce texte.
Je ne reviendrai pas sur tous les dispositifs proposés. Les deux rapporteurs et vous-même, madame la ministre, les avez fort bien exposés.
J’ai retenu, madame la ministre, une de vos déclarations à la presse : « il n’y aura pas de couperet mais il y aura l’ouverture dans les universités de semestres de rebond ».
Comme vous l’avez donc compris, mon groupe et moi-même saluons cette refonte de la première année d’études de santé.
Toutefois, nous sommes inquiets et demandons des garanties sur la mise en œuvre de cette refonte.
Nous demandons notamment des garanties sur l’organisation pédagogique de cette année commune.
Un nouveau programme commun aux études médicales, odontologiques, pharmaceutiques et de sage-femme est à élaborer.
Le défi est de conserver le niveau actuel et les spécificités de chaque filière. Ce sujet nourrit de vives inquiétudes chez les étudiants en pharmacie. Nous avons d’ailleurs déposé un amendement d’appel relayant leurs interrogations.
Dans son rapport, le professeur Bach propose un programme identique pendant le premier semestre, portant sur les matières fondamentales. Les modules spécifiques à chaque filière seraient introduits au cours du second semestre.
Il préconise surtout que ce programme commun soit établi par les commissions pédagogiques nationales des trois filières et le conseil de perfectionnement des sages-femmes. Quelle est votre position, madame la ministre, sur ce sujet ?
Nous demandons de même des garanties sur l’organisation des quatre concours et la validation des connaissances. Ces concours seront-ils organisés par université ? Chaque étudiant sera-t-il libre de choisir le nombre de concours qu’il présentera ?
Nous demandons des garanties sur la mise en place de moyens et de supports éducatifs suffisants.
L’accueil de tous les étudiants dans les locaux universitaires actuels des UFR médicales et pharmaceutiques paraît déjà problématique. Le recours aux nouvelles technologies et aux supports numériques dans la perspective d’un enseignement à distance est évoqué. L’envisagez-vous, madame la ministre ?
Vous misez également sur une meilleure orientation des futurs bacheliers et sur une information de ces derniers à propos de la difficulté et de la longueur des études de santé. Comment cela s’organisera-t-il concrètement ? Il est question d’entretiens préalables, de journée nationale d’information dans les lycées et d’opérations « portes ouvertes » dans les facultés. Qu’en sera-t-il ?
Enfin, nous demandons des garanties sur les orientations possibles des étudiants en situation d’échec. Vers quelles filières seront-ils orientés ?
Vous avez annoncé une réunion des doyens des universités et des facultés à ce sujet, au début de cette année. Qu’en est-il ressorti ?
Cette réforme nous semble une bonne idée. Toutefois, son entrée en vigueur mérite plus de temps et ses modalités d’application davantage de garanties. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. François Autain.
M. François Autain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’idée de rassembler dans une première année d’études commune les professions de santé n’est pas nouvelle. Elle a effectivement été proposée par le professeur Debouzie dans un rapport élaboré à la demande de Jack Lang et de Bernard Kouchner, alors ministres, respectivement, de l’éducation nationale et de la santé, et remis en 2003 – cela fait six ans : que de temps perdu ! – à leurs successeurs Luc Ferry et Jean-François Mattei.
Il s’agissait alors d’ouvrir, selon certaines modalités, le concours de fin de PCEM 1 aux quatorze professions de santé existantes, et non pas seulement à quatre.
Le texte qui nous est proposé aujourd’hui est très en retrait par rapport à cette recommandation. Il est vrai qu’est intervenu entre-temps le rapport du professeur Bach, beaucoup plus restrictif.
C’est sans doute la raison pour laquelle ce texte ne contient qu’une seule véritable nouveauté : l’intégration de la pharmacie. Dans de nombreuses universités françaises, la maïeutique bénéficie effectivement déjà d’une première année d’études commune à la médecine et à l’odontologie.
Néanmoins, il paraît difficile de s’opposer à cette réforme, même si l’on peut déplorer son manque d’ambition et le temps perdu – je l’ai déjà dit.
Nous pouvons nous demander si l’établissement d’un second rapport était absolument indispensable.
Nous aurions sans doute encore attendu un moment sans l’heureuse initiative de notre éminent collègue le professeur Etienne, tant l’indifférence du Gouvernement à tout ce qui concerne les études des professions de santé semble grande, malgré vos dénégations, madame la ministre.
Faut-il rappeler que c’est à l’un de nos anciens collègues, le professeur Giraud, que nous devons la création d’une filière universitaire propre à la spécialité de médecine générale ? Le Gouvernement avait tout simplement oublié de créer une telle filière lorsqu’il avait érigé la médecine générale en spécialité.
Je le ferai remarquer à M. Dériot, la commission des affaires sociales n’avait pas été saisie pour avis lors de l’examen de la proposition de loi du professeur Giraud.
M. Gérard Dériot, rapporteur pour avis. C’est exact !
M. François Autain. C’est la première fois que nous sommes saisis. Attentif à ces questions relatives à la santé, je m’en félicite.
Venons-en au texte lui-même avec une première remarque d’ordre général.
On peut comprendre que l’organisation de cette première année soit déterminée par voie réglementaire, mais, comme nous le demandons de manière récurrente et comme l’a également demandé M. le rapporteur pour avis, nous aurions aimé connaître au moins les grandes lignes des arrêtés d’application, en cours d’élaboration ou peut-être, pour certains d’entre eux, déjà prêts. Cela permettrait de répondre à certaines interrogations et de calmer des inquiétudes éventuellement injustifiées.
Cela dit, je ne pense pas que ce texte a minima soit suffisant pour réduire le taux d’échec au concours de fin de première année, qui avoisine les 80 %. Les chances de remédier à ce gâchis humain auraient sans doute été plus grandes si les auteurs de cette proposition de loi avaient suivi les recommandations du rapport Debouzie qui préconisait – je le répète – une première année d’études commune aux quatorze professions de santé.
Il aurait été à tout le moins sage de l’ouvrir aux masseurs-kinésithérapeutes, qui le réclament et qui ont d’ailleurs lancé une pétition en ce sens, et sans doute aussi aux infirmiers. Nous aurions ainsi eu davantage de chances d’atteindre l’un des objectifs de cette réforme qui vise à garantir et à développer une culture commune aux métiers de santé afin de rapprocher leurs pratiques.
Je m’étonne d’ailleurs que l’on n’ait pas profité de l’intégration de la maïeutique dans la première année des études de santé pour accorder enfin à cette discipline la reconnaissance universitaire qu’elle mérite et qu’elle attend depuis plusieurs années. Nous avions déposé un amendement en ce sens, qui a malheureusement été écarté par la commission des finances en vertu de l’article 40 de la Constitution. Si le Gouvernement proposait une telle disposition, l’irrecevabilité financière ne pourrait lui être opposée. Nous attendons donc avec impatience que le Gouvernement fasse une proposition.
Il serait par ailleurs temps de songer au remplacement du terme « sage-femme » par une appellation qui tienne compte du fait que cette profession est exercée par de plus en plus d’hommes. Le terme de maïeuticien, reconnu par l’Académie française, me semblerait particulièrement bien adapté. J’ai d’ailleurs déposé un amendement qui, sans aller jusque-là, procède de cet esprit.
Les conditions dans lesquelles les étudiants peuvent être réorientés à l’issue du premier semestre de la première année sont un autre sujet d’inquiétude.
Je ferai tout d’abord observer que rien ne permet d’affirmer qu’une réorientation précoce est préférable à un redoublement, d’autant que, dans l’hypothèse d’une réussite au concours, le redoublement fait gagner un à deux ans par rapport à la réorientation précoce. Tant que n’auront pas été effectuées des études comparatives entre les résultats du premier semestre d’un étudiant n’ayant pas encore redoublé et ceux qu’il obtient au concours en tant que redoublant, le doute est permis.
De même, il n’est pas fondé de prétendre que les étudiants ayant une moyenne de moins de 7 sur 20 à l’issue du premier semestre ou de la première année n’ont qu’une très faible chance de réussir au concours, même à l’issue d’un redoublement. Il nous manque, sur ce sujet également, des études statistiques.
Ensuite, la réorientation précoce suscite des interprétations divergentes. D’un côté, la circulaire du 1er août 2008 présente la mesure comme « obligatoire, tant à l’issue du premier semestre que de la première année ». De l’autre, le coauteur et rapporteur de ce texte à l’Assemblée nationale indique le 10 décembre 2008 que cette réorientation précoce n’est qu’« une simple faculté ».
Il nous a semblé qu’une disposition pouvant donner lieu à des interprétations aussi radicalement contradictoires devait être supprimée. C’est l’objet de deux de nos amendements.
Permettez-moi ensuite de douter de la faisabilité de cette possibilité de réinscription en première année d’études de santé offerte aux étudiants exclus précocement du système. En effet cette mesure, considérée comme une seconde chance de réussite, est un miroir aux alouettes.
Les étudiants réorientés au premier semestre étant les plus mauvais, leur chance de valider une première année de licence est minime. Il leur faudrait donc attendre deux ans et demi avant de se réinscrire en première année d’études de santé, avec une chance de réussite nettement moindre que les redoublants classiques. Je crains que cette deuxième chance ne s’apparente à une impasse.
L’un des effets de cette réforme est qu’elle va augmenter le nombre d’étudiants en première année, aggravant ainsi le gigantisme ou la massification auxquels les doyens doivent faire face dans l’organisation de l’enseignement. Pour améliorer la pédagogie, une université doit avoir le droit de fragmenter le numerus clausus entre plusieurs unités de formation et de recherche, afin que chacune d’entre elles organise un concours, comme c’est déjà le cas dans certains de ces établissements.
Les priver de cette possibilité serait les affaiblir face à des cours privés particulièrement dynamiques et onéreux et pourrait porter atteinte à l’égalité des chances en pénalisant les étudiants les plus démunis qui ne peuvent pas y accéder. À cet égard, on peut regretter qu’aucune enveloppe financière spécifique n’ait été affectée à la première année de licence dans le cadre de la loi de finances.
Mais il n’est peut-être pas trop tard pour rectifier le tir. Si j’en crois le nombre d’amendements déposés et les déclarations de nos deux rapporteurs, le report d’un an de l’application de cette réforme a toutes les chances d’être adopté par notre Haute Assemblée, ce dont nous nous félicitons.
Madame la ministre, ce délai pourrait vous permettre d’inscrire dans le projet de loi de finances pour 2010 les crédits nécessaires au financement de la réforme.
Telles sont les observations qu’appelle cette proposition de loi, que nous aurions aimée plus ambitieuse et moins discriminatoire. La position du groupe CRC-SPG au moment du vote dépendra du sort qui aura été réservé à nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Descamps.
Mme Béatrice Descamps. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte que nous étudions aujourd’hui est très attendu et représente une étape importante dans la réforme des études de médecine.
L’accès aux études de santé, et surtout à la seconde année de médecine, est extrêmement difficile. Or, malgré la difficulté du concours, les étudiants sont toujours plus nombreux à s’inscrire.
Comme vous l’avez souligné tout à l’heure, madame le ministre, la probabilité de réussite pour les étudiants qui s’engagent dans des études médicales est de 27 % seulement sur deux ans. Ce chiffre est éloquent. Il révèle un gâchis humain considérable.
Le principe même d’un numerus clausus n’est pas à remettre en cause, car il est le prix de l’excellence – vous l’avez dit tout à l’heure. Chacun le sait, s’engager dans des études médicales est un choix risqué. Plusieurs générations de jeunes se sont inscrites dans des études de santé en se résignant à cette situation. Mais ce risque est malheureusement dissuasif pour beaucoup d’élèves, qui n’oseront jamais prendre cette voie.
L’échec est difficile à supporter pour les jeunes concernés, qui sont bien souvent de bons élèves. De plus, lorsqu’ils redoublent et se voient recaler de nouveau, ils doivent repartir de zéro, car les possibilités de réorientation sont très limitées. Oui, quel gâchis et quelle perte de temps !
Depuis plusieurs années, des réflexions approfondies ont été menées, sur l’initiative des pouvoirs publics. Aussi, je me réjouis que les propositions de réforme formulées dans le rapport de M. Jean-François Bach soient aujourd’hui mises en œuvre.
La création d’une première année commune aux études médicales, odontologiques, de sages-femmes et, dorénavant, pharmaceutiques permettra d’élargir les débouchés ouverts aux étudiants, ce qui va dans le sens d’une réduction du taux d’échec et du nombre de redoublements en première année.
Les possibilités de réorientation constituent un autre apport de la proposition de loi. La fin de première année doit être sélective, puisque la sélection n’existe pas à l’entrée de cette première année. Mais est-il utile d’attendre un an lorsque les premiers mois sont souvent décisifs et révèlent déjà pour certains un retard important ? La réorientation en cours d’année me semble être une disposition de bon sens, qui permettra à l’étudiant de gagner du temps.
Il y a également trop de cas de jeunes qui redoublent pour se retrouver finalement sans diplôme au bout de deux ans. La proposition de loi tend à éviter cette situation en permettant à l’étudiant de rejoindre une autre formation et de se former dans les matières scientifiques pour revenir ultérieurement tenter le concours d’entrée en médecine, avec des chances renforcées. Bien des situations d’échec pourront être évitées grâce à cette mesure. L’étudiant devra alors être accompagné et bénéficier de l’aide de conseillers d’orientation.
Je soulignerai en outre l’importance des mesures permettant la diversification des profils des étudiants dans les études de santé. Il semble qu’il n’y ait point de salut dans ces branches pour les étudiants n’ayant pas un baccalauréat scientifique. Les connaissances scientifiques sont importantes, mais est-il normal que les étudiants aient tous le même profil ? Les élèves qui ont d’autres centres d’intérêt ne sont-ils pas dissuadés par avance de s’engager dans une profession de santé ? Pourtant, parmi eux, il y a des talents et des vocations qui ne demandent qu’à se révéler. Je trouve donc intéressante l’idée de passerelles pour des jeunes qui auraient découvert leur vocation « sur le tard ».
Par ailleurs, madame le ministre, je crois que vous avez l’intention d’introduire de nouveaux programmes en première année, concernant les sciences humaines et sociales, et également l’anglais, ce qui ne peut qu’être bénéfique pour de futurs professionnels de la santé.
Je souhaiterais maintenant évoquer les questions ou les craintes liées à cette réforme.
Je comprends l’inquiétude des étudiants qui connaîtront la première année de mise en application de la réforme.
À la lecture de la proposition de loi, je constate que la situation des étudiants qui connaîtront l’année de réforme a bien été prise en considération et qu’une certaine souplesse est introduite : l’article 2 prévoit que la procédure de réorientation des étudiants à l’issue de la première année, ou dès le terme du premier semestre, pourra être différée jusqu’à la rentrée universitaire 2011-2012.
Nous avons également reçu des courriers d’étudiants en pharmacie estimant que leur première année d’études est bien organisée et craignant de ne pas retrouver dans l’année commune ces bonnes conditions d’étude, notamment les enseignements dirigés suivis en effectifs restreints.
Ce serait regrettable, car il me semble que les étudiants en pharmacie subissent également un taux d’échec important en première année. La réforme devrait donc leur être profitable. Je souhaiterais que vous nous confirmiez, madame le ministre, qu’ils ne seront pas dorénavant perdus dans de grands amphithéâtres et qu’ils garderont en première année la spécificité de leurs enseignements.
D’une manière plus générale, la réforme paraît difficilement applicable dans certaines universités, et ce pour des raisons matérielles tenant à la configuration des locaux. Comment ces problèmes seront-ils résolus ?
Par ailleurs, je souhaiterais profiter de ce débat pour rappeler combien il est important de promouvoir l’exercice de la médecine générale. Vous travaillez en ce sens, madame le ministre, et nous avons adopté en février 2008 une proposition de loi de notre ancien collègue Francis Giraud tendant à créer de nouveaux corps d’enseignants pour cette discipline.
Certaines régions manquent de médecins. On parle même de « désertification médicale ». La répartition du numerus clausus par faculté ne tient pas assez compte des besoins de santé des territoires. Cette répartition est souvent établie en fonction du nombre de bacheliers reçus et des capacités de formation existantes. Madame le ministre, souhaitez-vous moduler plus fortement le numerus clausus d’un point de vue géographique ? Pourriez-vous évoquer les mesures que vous comptez prendre pour inciter les étudiants à se diriger vers la médecine générale et s’établir dans des régions manquant de praticiens ?
Je vous remercie de nous éclairer sur ces quelques points.
Par ailleurs, je tiens à saluer votre détermination à mener une politique de réduction du taux d’échec à l’université, notamment au moyen du plan « Réussir en licence ».
Je souhaite également remercier nos rapporteurs, ainsi que M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles, de la qualité de leurs travaux et de leurs analyses.
Bien évidemment, le groupe UMP votera cette proposition de loi, qui engage l’indispensable et urgente réforme des études de santé. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Philippe Darniche applaudit également.)