M. le président. L’amendement no 204, présenté par M. About, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
Avant l’article 24, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Avant le 31 juillet 2009, le Gouvernement présente au Parlement un plan d’équipement des prisons en moyens de détection électronique, pour les années 2009 à 2014, permettant d’éviter les fouilles à corps.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. La commission des affaires sociales souhaite que, à terme, il ne soit plus procédé à des fouilles à corps.
M. Richard Yung. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Même si la commission des lois partage totalement la préoccupation de M. About, elle est bien obligée de constater que le présent amendement ne relève pas du domaine de la loi.
Cela dit, plus l’encadrement des fouilles à corps sera strict, plus il est vraisemblable que le Gouvernement sera contraint de hâter la mise en place d’un plan d’équipement des prisons en moyens de détection électronique. Voilà qui peut aussi nous donner quelques idées !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Pour les mêmes motifs, le Gouvernement est défavorable à l’amendement no 204.
M. le président. Monsieur le rapporteur pour avis, l’amendement no 204 est-il maintenu ?
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Je le retire, monsieur le président, mais à regret !
M. le président. L'amendement no 204 est retiré.
M. Jean-Pierre Sueur. Je le reprends, monsieur le président !
M. le président. Il s’agit donc de l’amendement no 204 rectifié.
La parole est à M. Louis Mermaz, pour explication de vote.
M. Louis Mermaz. Nous admirons le docteur About (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) et sommes toujours submergés par l’émotion lorsque nous lisons ses propositions. Mais au moment de passer à l’acte, patatras ! Il n’y a plus personne. C’est désespérant…
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Nul ne peut m’imposer d’acte !
M. Louis Mermaz. L’amendement no 204 était excellent, mon cher collègue, et c’est pourquoi nous le reprenons ; et s’il devait rencontrer le succès, il restera pour nous l’amendement « About » ! (Sourires.)
Comment en finir avec ces fouilles à corps, qui sont une humiliation pour la République – c’est le cas de le dire ! –, …
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Ce n’est pas par un plan que l’on y parviendra !
M. Louis Mermaz. … sinon en obligeant le Gouvernement à réaliser les investissements nécessaires ? Il dépense suffisamment d’argent chaque jour pour ceci ou pour cela, il peut en consacrer un peu à la préservation de la dignité des prisonniers !
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. L’amendement arrive à point nommé…
M. Philippe Dallier, au nom de la commission des finances. Je demande la parole. (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. Richard Yung. … puisque nous allons aborder l’examen de l’article 24, qui traite précisément de cette difficile et délicate question des fouilles.
Nous avons repris l’amendement, parce que nous considérons que cette disposition offre effectivement une solution pour l’avenir. (M. Philippe Dallier se lève.)
Les fouilles sont nécessaires pour la sécurité…
M. Philippe Dallier, au nom de la commission des finances. Monsieur le président ! (Nouvelles protestations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Non, pas l’article 40 !
Mme Éliane Assassi. Cet amendement n’a pas été rejeté par la commission des finances !
M. Richard Yung. Je constate une certaine entropie…
M. le président. Monsieur Dallier, je sais bien que vous représentez la commission des finances, mais vous permettrez que M. Richard Yung achève son propos !
M. Richard Yung. Laissez-moi terminer mon intervention, mon cher collègue, avant que l’amendement ne soit, une fois de plus, « liquidé » par l’article 40 !
Il n’y a vraiment plus de débat possible, et je me demande pourquoi nous passons encore nos soirées ici !
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. De grâce, achevez !
M. Richard Yung. Nous développerons nos arguments au moment de l’examen de l’article 24. J’indiquerai simplement ici qu’il s’agit à nos yeux d’une solution d’avenir qui permettra de rendre leur dignité aux détenus. Elle contribuera également à résoudre les difficultés rencontrées par le personnel pénitentiaire, qui ne procède pas de gaîté de cœur à ces fouilles et sera soulagé de disposer de moyens électroniques pour assurer la sécurité intérieure des prisons.
M. le président. Monsieur Dallier, avant de répondre à votre sollicitation, je vais, par courtoisie, donner la parole à ceux de nos collègues qui ont déjà demandé à expliquer leur vote.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement est très important, mais je me demande si nous ne sommes pas en train de jouer à un jeu de dupes.
En effet, nous travaillons sur cette loi, et à juste titre, avec beaucoup d’ardeur. Mais sans moyens, sans échéancier, sans programme, tous nos efforts risquent d’être vains. Voilà pourquoi je parle de jeu de dupes !
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. C’est bien au Sénat qu’a eu lieu la journée du même nom !
M. Jean-Pierre Sueur. Tout à l’heure, j’ai posé une question sur les unités de vie familiale. Il est tout de même important de savoir quand, à quel rythme et selon quel calendrier elles seront mises en place dans l’ensemble des établissements !
Ce soir, nous soulevons le problème de la détection électronique. La question n’est pas vaine, et il est important que nous sachions à quoi nous en tenir ! À quoi servirait de voter les meilleures dispositions si leur application est impossible ?
Madame la garde des sceaux, permettez-moi de vous dire ce que j’ai depuis plusieurs années sur le cœur. Vous et votre ministère n’êtes d’ailleurs pas seuls en cause !
La maison d’arrêt d’Orléans, dont j’ai déjà prix l’exemple hier, est l’une des plus surpeuplées de France, avec un taux de surpopulation de 230 %. Voilà une dizaine d’années, le site d’Ingré avait été retenu pour construire un nouvel établissement, site qui, un beau jour, a été abandonné en raison de la découverte, sur le terrain, de la seule canalisation de France, voire du monde, qu’il est impossible de déplacer, ce qui m’a beaucoup étonné !
Une grande concertation a été mise en œuvre. Les préfets successifs, notamment l’avant-dernier, se sont beaucoup dépensés, les élus ont également apporté leur concours et, finalement, un terrain a été trouvé sur la commune de Saran. À la suite de tous les engagements pris tant par vous-même, madame la garde des sceaux, que par votre administration, nous avions compris que, compte tenu de la surpopulation de l’actuelle maison d’arrêt, il était urgent de construire une nouvelle prison et que celle-ci ouvrirait en 2012. Telle était la position de votre ministère au mois de novembre dernier.
Mais, en décembre 2008, nous avons appris par une déclaration de M. le directeur de l’administration pénitentiaire que l’ouverture était reportée et n’aurait lieu qu’après 2012. Les élus, dont j’étais, ont protesté. Lorsque M. Sarkozy s’est rendu sur place (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) pour souhaiter la bonne année aux policiers, aux gendarmes et aux personnels de l’administration pénitentiaire – madame la garde des sceaux, vous étiez présente, vous vous en souvenez certainement ! –, ce grave problème lui a été exposé. L’ouverture aura lieu en 2013, a-t-il indiqué ; puis, emporté par son éloquence, il l’a avancée en 2012, ce qui, a-t-il ajouté très gentiment, n’était pas plus mal pour lui. Après tout, si cela permet que la nouvelle maison d’arrêt ouvre en 2012…
En résumé : au mois de novembre, l’ouverture était prévue pour 2012 ; au mois de décembre, elle est reportée ; au mois de janvier, de la bouche de M. Sarkozy, elle est de nouveau prévue pour 2013, voire 2012 ; et voilà qu’au mois de février, dans une déclaration de Mme Rachida Dati elle-même, elle est repoussée à 2014 ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Allez, deux ans dans la vue !
M. Jean-Pierre Sueur. Les gens en ont assez ! Nous voudrions savoir une bonne fois ce qu’il en sera !
Madame la garde des sceaux, si vous pouvez confirmer que l’engagement pris voilà cinq ans par votre prédécesseur sera bien respecté et que la nouvelle maison d’arrêt ouvrira en 2012, tous les élus du département en seront très heureux !
J’ai pris cet exemple, avec votre permission, monsieur le président, car il montre parfaitement combien la crédibilité d’une loi est tributaire des moyens accordés et de la programmation prévue. Qu’adviendra-t-il de l’amendement de M. About, qui vise à remplacer des fouilles dégradantes, humiliantes, par des systèmes de détection électronique, si nous n’obtenons aucune réponse à nos questions ?
M. Richard Yung. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je partage tout à fait le point de vue de M. Sueur et, depuis trois jours qu’a commencé l’examen du projet de loi, nous avons déjà eu des échanges de ce type.
Mes chers collègues, si nous devions attendre que tous les moyens soient réunis pour prendre des décisions qui nous engagent, nous les parlementaires que nous sommes, nous courrions encore ce qui est important ! Les moyens, nous devons nous les donner dès que notre objectif est fixé.
Le nôtre est en l’occurrence d’en finir avec une pratique vraiment humiliante, dégradante – inutile d’insister ou de vous faire un dessin ! Franchement, ces fouilles ne font pas honneur au xxie siècle, pourtant le siècle de la technique et des technologies les plus sophistiquées. Pensez au nombre de plus en plus important de personnes qui vont être sous bracelet électronique !
Des prouesses technologiques formidables, qui vont permettre de régler tous les problèmes et de ne plus se soucier de rien hormis de la surveillance des personnes qui se promènent à travers la France ? Personnellement, je suis très sceptique… Mais si les moyens de détection électronique permettent de remplacer la fouille à corps, pratique que nous sommes d’accord pour dénoncer, il faut une nouvelle fois dire oui à la technique et se dépêcher de prévoir les sommes nécessaires pour mettre en place de tels systèmes partout ! Si nous commençons à tergiverser sous prétexte que ce sera compliqué, la pratique des fouilles à corps perdurera et, dans quelques années, nous continuerons d’être montrés du doigt !
Je ne sais pas si la commission des finances opposera l’article 40. Ce qui est certain, c’est que, si tel n’est pas le cas, l’amendement doit être discuté ce soir !
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier, au nom de la commission des finances. Disons que nous discutons de cet amendement au bénéfice du doute… Mais tout de même ! Il vise à demander au Gouvernement de présenter au Parlement un plan d’équipement des prisons en moyens de détection électronique pour les années 2009 à 2014, donc d’engager des dépenses. Le doute est pour le moins fondé…
Puisque bénéfice du doute il y a, au moins, votons !
M. le président. Je mets aux voix l’amendement no 204 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 24
Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des détenus fait courir à la sécurité des personnes et au maintien de l’ordre dans l’établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des détenus.
Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou les moyens de détection électronique sont insuffisants.
Les investigations corporelles internes sont proscrites, sauf impératif spécialement motivé. Elles ne peuvent alors être réalisées que par un médecin requis à cet effet.
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, sur l’article.
M. Louis Mermaz. Monsieur le président, j’étais tenté de faire un rappel au règlement. En effet, si l’on oppose l’article 40 à chacune de nos suggestions, il ne reste plus qu’à fermer les portes du Parlement ! Pourquoi ne pas aussi invoquer cet article chaque fois que quelqu’un respire, pour rejet de gaz carbonique, pollution, nécessité de dépolluer, etc. ? (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Soyons un peu sérieux, nous ne sommes pas aux Bouffes parisiens !
M. Richard Yung. Pas encore !
M. Philippe Dallier, au nom de la commission des finances. Qui visez-vous par ces propos ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’article 40 !
M. le président. Je vous en prie, monsieur Dallier. M. Mermaz s’exprime. Si vous souhaitez intervenir, je vous donnerai la parole ensuite.
M. Louis Mermaz. Mes chers collègues – et je vise également M. Dallier –, aux termes de l’article 24, « les fouilles doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des détenus fait courir à la sécurité des personnes et au maintien de l’ordre dans l’établissement ».
C’est ce que l’on appelle la suspicion ! C’est une notion totalement subjective que la dangerosité de tel ou tel individu – comme celle des sorcières de Salem ! Aucune science ne saurait l’admettre !
Je poursuis la lecture de l’article : « Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des détenus. » Le mot « personnalité » est d’une pudeur extraordinaire ! Je vous laisse deviner…
« Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou les moyens de détection électronique sont insuffisants. » Voilà un langage que je qualifie d’hypocrite. Qui va en décider ? Quand on voudra procéder à des fouilles intégrales, on trouvera toujours des raisons de déclarer insuffisants les moyens de détection ou les fouilles par palpation !
« Les investigations corporelles internes sont proscrites, » – tout de même ! – « sauf impératif spécialement motivé. Elles ne peuvent alors être réalisées que par un médecin requis à cet effet. »
Notre travail est simplifié, puisque la disposition de notre collègue M. About, devenue l’amendement no 197 rectifié quater de M. Alain Anziani, a été votée – ô miracle ! – avant que la majorité ne se ressaisisse pour demander un scrutin public. Sans le léger « retard à l’allumage » du président de la commission des lois pour mobiliser ses troupes (Rires sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.), cette disposition aurait été rejetée. Nous ne lui en voudrons pas ! (M. le président de la commission des lois proteste.)
Je vous sais susceptible, monsieur Hyest, mais il n’y a vraiment pas là de quoi vous fâcher !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Votre ironie est stupide !
M. Louis Mermaz. Vous pourrez demander la parole à la fin du débat pour fait personnel. Mais je ne pense pas que votre honneur soit en cause. Par conséquent, je poursuis et je vous remercie de votre attention, cher collègue.
Les membres du groupe socialiste et les sénateurs de divers groupes vont présenter un certain nombre d’amendements tendant, précisément, à réduire le plus possible la dangerosité de cet article 24 – car elle est réelle !
Par l’amendement n° 134, nous demanderons que la fouille des cellules soit effectuée en présence des personnes visées. D’aucuns nous rétorqueront sans doute que la fouille sera impossible s’il y a une émeute et que le détenu se trouve sur le toit de l’établissement. Mais ne généralisons pas à partir de faits divers qui restent exceptionnels, sinon, nous ne pourrons plus adopter aucune loi !
Les fouilles des cellules doivent donc se faire en présence des intéressés, chaque fois qu’ils sont disponibles – ce sera le cas 99,9 fois sur 100 –, surtout lorsqu’il s’agit de fouiller les effets personnels, l’intimité de la personne devant alors être respectée.
L’amendement n° 135 concerne les fouilles intégrales. Comme l’a dit Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, on ne va pas vous faire un dessin, tout le monde sait ce que cela signifie ! Nous pensons que ces fouilles doivent être spécialement motivées. Nous souhaitons que, le plus vite possible, il y soit procédé de manière électronique. En effet, on a renoncé depuis longtemps à déshabiller les gens avant qu’ils ne prennent l’avion ! Nous pouvons donc procéder de la même manière en l’occurrence.
Nous nous fondons sur les stipulations, les décisions et les critiques émanant des institutions européennes, lesquelles, je le répète, sont à l’origine du débat qui a lieu aujourd’hui. En effet, si l’Europe ne nous avait pas demandé de prendre rapidement un certain nombre de dispositions, nous n’aurions pas ce débat et nous attendrions toujours une loi pénitentiaire !
Dans son rapport de décembre 2007 qu’il a rendu à la suite de la visite des prisons françaises – cela ne pouvait pas lui être refusé ! –, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants a relevé un certain nombre de points. Par exemple, à la maison d’arrêt de Fresnes, un détenu placé à l’isolement par décision de l’administration pénitentiaire a déclaré avoir été soumis à une fouille à corps 14 fois en un mois ! Le Comité a considéré qu’il s’agissait là d’un traitement dégradant, s’apparentant à une torture. De nombreuses plaintes ont été déposées par des détenus pour des faits semblables.
Pour ce qui concerne la fouille des locaux, nous constatons que la commission, malgré sa grande, laisse, avec sa rédaction, une énorme latitude à l’administration pénitentiaire, par délégation du ministère de la justice et de l’ensemble du Gouvernement, d’ailleurs. Or, dans le même temps, les surveillants de prison que nous rencontrons regrettent de n’être que des « porteurs de clés » ! Ils voudraient pouvoir exercer un métier beaucoup plus valorisant pour eux et pour ceux dont ils ont la responsabilité. Alors, ne confondons pas les choses et rendons à chacun ses responsabilités dans la situation actuelle.
Il est donc nécessaire que les fouilles s’effectuent conformément aux règles pénitentiaires européennes.
Les fouilles corporelles devraient désormais être pratiquement proscrites. Il serait tout à fait regrettable que le Gouvernement, malgré des circonlocutions pudiques et une débauche de bons sentiments, continue de faire en sorte que les choses ne changent pas. Votre manière de réfuter les amendements déposés par l’opposition crée, madame le garde des sceaux, un climat tel qu’il faudra beaucoup de valeur, de mérite et de noblesse à l’administration pénitentiaire pour continuer à agir dans le respect des droits de l’homme, comme c’est le cas 99 fois sur 100.
M. Philippe Dallier. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Je souhaite simplement rappeler à notre collègue Louis Mermaz, qui fut il n’y a pas si longtemps président de l’Assemblée nationale, …
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’était il y a longtemps !
M. Philippe Dallier. … que, lorsqu’un parlementaire invoque l’article 40 de la Constitution, cela ne mérite pas d’être qualifié de « bouffonnerie ». Selon moi, de tels propos ne sont absolument pas dignes dans cet hémicycle.
Mme Éliane Assassi. Vous n’étiez pas là, monsieur Dallier, mais nous « mangeons » de l’article 40 depuis le début de l’examen de ce texte !
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, sur l’article.
M. Alain Anziani. Mes chers collègues, depuis trois jours, nous avons souvent parlé de dignité et d’intimité. Cet article est pour nous un grand rendez-vous, une épreuve de vérité : allons-nous passer des bonnes intentions aux actes ?
Nous devrions être nombreux, me semble-t-il, à nous retrouver sur certains points.
La fouille a deux réalités, et il faut distinguer la théorie, qui n’est pas forcément fausse, de la pratique.
Selon la théorie, la fouille est un outil visant à assurer la sécurité publique, ce qui est en partie vrai. Cependant, nous le voyons bien, cette théorie est défaillante, puisque, malgré les fouilles, on trouve à peu près de tout en prison, et surtout le pire.
Dans la pratique de la fouille, que je vous conjure de ne pas contester, il y a, au fond, la volonté de soumettre le détenu, de le « casser » – j’emploie ce terme sciemment parce qu’il revient souvent au cours des différents témoignages –, pour qu’il devienne plus obéissant. Après une fouille, tous vous le diront, on ne se sent pas fier, et on reste donc tranquille, du moins dans un premier temps, car ensuite on sent monter la violence en soi.
C’est sans doute cela, la pratique de la fouille : un corps fouillé et, en fait, une âme humiliée. À travers ce corps mis à nu, fouillé à l’intérieur même, c’est évidemment l’âme du détenu que l’on essaie d’atteindre, et sa psychologie. (Mmes Marie-Thérèse Hermange et Catherine Troendle s’esclaffent.) Vous avez tort, mesdames ! Si vous deviez subir une fouille, peut-être ne ririez-vous pas si fort !
La combinaison de ces deux aspects de la fouille, d’une part, l’outil de sécurité, que je ne conteste pas, d’autre part, l’outil de soumission, aboutit, dans la réalité quotidienne, à des fouilles trop fréquentes, voire permanentes. Mais d’autres collègues développeront ce point tout à l’heure.
C’est d’autant moins acceptable que nous ne sommes plus au temps d’Edmond Dantès. Aujourd’hui, dans notre société moderne, comment ne pas être choqué de voir que ce qui est bon pour chacun de nous dans un aéroport ne l’est pas pour un détenu dans une prison ?
Monsieur le rapporteur, votre idée d’installer des portiques va dans le bon sens. Une telle surveillance, qui a effectivement fait ses preuves, mériterait d’être généralisée.
Je voudrais d’ailleurs remercier mon collègue Philippe Dallier, qui a fort heureusement renoncé tout à l’heure à invoquer l’article 40 de la Constitution. Imaginez-vous seulement ce que cela signifiait ? Opposer l’article 40 sur une telle question, c’était nous dire que la dignité a un prix trop élevé et que, pour cette raison-là, nous ne pouvons la garantir.
Il faut faire un choix, madame le garde des sceaux : si vous voulez une grande loi pénitentiaire, vous ne pouvez pas commencer par nous expliquer que la pierre sur laquelle repose tout l’édifice est d’un coût inabordable. Or cette pierre, c’est la dignité !
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l’article.
M. Richard Yung. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, avec cet article, nous en arrivons effectivement à l’un des points essentiels du débat.
Nous l’avons souvent souligné, le respect de la dignité de la personne humaine est l’une de nos principales préoccupations. Or, avec la question des fouilles, nous sommes au cœur du sujet.
Question ô combien difficile que de préserver, comme c’est notre devoir, la dignité de la personne humaine sans méconnaître les nécessaires impératifs de sécurité.
En l’état actuel du droit, qui est uniquement de nature réglementaire – c’est un écueil permanent –, l’administration pénitentiaire bénéficie d’une très grande marge de manœuvre. Les fouilles sont souvent pratiquées sans discernement, au nom des seuls impératifs de sécurité. Les règles d’application font défaut ; j’y reviendrai.
Dans leur excellent rapport, MM. Hyest et Cabanel comparaient les fouilles à un « automatisme pénitentiaire ». Cela prouve bien que, en la matière, les habitudes et, plus rarement, les mauvaises intentions l’emportent sur tout le reste.
Les détenus sont en effet fouillés à tout bout de champ : lorsqu’ils font leur entrée dans l’établissement pénitentiaire et chaque fois qu’ils en sont « extraits », selon la terminologie assez curieuse qui est utilisée, ou qu’ils y sont reconduits ; avant et après les parloirs ; avant et après les visites. En d’autres termes, tout contact avec le monde extérieur donne lieu à une fouille.
Des fouilles intégrales avec mise à nu sont en particulier pratiquées après la visite des avocats. Cela en dit long sur la considération que l’on a pour eux…
Mon collègue Louis Mermaz l’a rappelé, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants a ainsi notamment rencontré un détenu alléguant avoir été fouillé à corps à quatorze reprises en un mois.
En 2006, la Commission nationale de déontologie de la sécurité a évoqué le cas d’un « détenu particulièrement signalé », ou DPS, fouillé à corps par des agents d’une équipe régionale d’intervention et de sécurité, alors que ceux-ci sont seulement habilités à pratiquer des fouilles de cellules.
Depuis 2002, les campagnes de fouille générale dans les établissements pénitentiaires sont, semble-t-il, plus fréquentes chaque année, ce qui a évidemment pour conséquence d’attiser les tensions au sein même des prisons.
Les fouilles sont vécues comme une humiliation, voire comme un viol, au sens propre du terme. Elles répondent parfois à des petites haines entre détenus et surveillants. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté, M. Delarue, les qualifie de « petits coups bas ».
Il faut le souligner, les fouilles sont également pénibles pour les personnels de l’administration pénitentiaire, surtout lorsqu’ils sont amenés à pratiquer eux-mêmes des fouilles corporelles internes, dont, je le rappelle, aucun texte ne fixe le régime.
Les fouilles sont donc dégradantes tant pour ceux qui les subissent que pour ceux qui les pratiquent. Elles ne correspondent pas, à l’évidence, à l’idée que les personnels de l'administration pénitentiaire se faisaient de leurs fonctions en entrant dans la carrière.
Des atteintes aussi manifestes à la dignité humaine et à l’intégrité physique des personnes détenues sont d’autant plus critiquables que les bénéfices des fouilles en termes de sécurité sont limités. La réalité des trafics de stupéfiants, de téléphones portables et d’armes au sein des prisons en est la preuve.
Notre pays est régulièrement pointé du doigt pour les traitements dégradants infligés aux personnes incarcérées. Sans procéder à une énumération complète, je mentionnerai notamment les critiques que le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants formule dans son rapport de décembre 2007.
De son côté, la Cour européenne des droits de l’homme, dans sa décision du 12 juin 2007, a jugé que les fouilles intégrales avec obligation de se pencher et de tousser après chaque parloir ne s’appuient sur « aucun impératif convaincant de sécurité ».
Même le juge administratif s’est saisi du sujet. Récemment, le 14 novembre dernier, le Conseil d’État a jugé une affaire dans laquelle le requérant avait fait l’objet d’une décision le soumettant à un régime de fouilles corporelles intégrales, opérées plusieurs fois par jour lors d’extractions pour différentes comparutions, notamment devant le juge judiciaire. Dans son arrêt, le Conseil d'État a fixé les conditions dans lesquelles les détenus peuvent être soumis à des fouilles corporelles intégrales. Selon l’expression qu’il a employée, elles doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées.
Des progrès ont donc été enregistrés dans ce domaine, puisqu’un certain nombre de règles ont été fixées. Mais, je le répète, l’arrêt du Conseil d'État date de novembre dernier, soit d’à peine quelques mois, et il y a encore du travail à faire !
Ces décisions prouvent à quel point le régime des fouilles est insuffisamment encadré.
Les fouilles intégrales avec mise à nu et les fouilles corporelles internes constituant en elles-mêmes une atteinte grave à la dignité humaine, je pense qu’il conviendrait de les réserver à quelques catégories très particulières de détenus, notamment aux DPS.
De notre point de vue, et nous retrouvons ici l’amendement de M. About, l’idéal serait d’installer dans les établissements pénitentiaires des portiques dits à « ondes millimétriques ». Ces « scanners corporels » permettent en effet d’obtenir une image sur un écran de contrôle et évitent au personnel pénitentiaire d’avoir à pratiquer ces fouilles.
Voilà ce que nous voulions dire, de manière générale, sur l’article 24. Cette prise de parole éclairera également les trois amendements que nous avons déposés et que nous défendrons dans la suite de la discussion.