compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine,
M. Jean-Pierre Godefroy.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Loi pénitentiaire
Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence (texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi pénitentiaire (projet n° 495, 2007-2008, texte de la commission n° 202, rapports nos 143, 201 et 222).
Dans la discussion des articles du texte de la commission, nous en sommes parvenus à l’examen du titre II.
TITRE II
DISPOSITIONS RELATIVES AU PRONONCÉ DES PEINES, AUX ALTERNATIVES À LA DÉTENTION PROVISOIRE, AUX AMÉNAGEMENTS DES PEINES PRIVATIVES DE LIBERTÉ ET À LA DÉTENTION
CHAPITRE IER
Dispositions modifiant le code pénal
Article 31
Le code pénal est modifié conformément aux dispositions du présent chapitre.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, sur l'article.
M. Robert Badinter. Nous abordons maintenant l’aménagement des peines, domaine tout à fait différent de ceux que nous avons évoqués jusqu’à présent, même s’ils sont liés.
Nous ne sommes plus dans le droit pénitentiaire, dans le droit des détenus. D’ailleurs, j’aurais souhaité que l’on évoquât également le statut des personnels dans le projet de loi. Quoi qu’il en soit, nous voici à présent dans le domaine procédural de l’exécution des peines.
À cet égard, j’ai relevé avec un certain étonnement l’extraordinaire discrétion qui a pesé sur ce volet du projet de loi. Les services de communication de la Chancellerie, fort efficaces, nous avaient d’ordinaire habitués à moins de réserve.
Pourtant, les dispositions dont il s’agit marquent une véritable rupture avec la politique qui a été menée jusqu’à présent.
D’abord, ces dispositions visent à réduire le champ de la détention provisoire en étendant celui du placement sous surveillance électronique. Il n’est rien de plus naturel ni de très original ; toutes les avancées en ce domaine sont positives.
Mais le plus intéressant, ce sont les possibilités qui sont ouvertes à tous les niveaux aux magistrats pour leur permettre de substituer des aménagements de peine ou des mesures alternatives à l’emprisonnement.
À y regarder de près, ce qui exige du temps et de la patience, on constate que le plafond des peines visé par l’aménagement des peines est porté de un an à deux ans. Or 60 % des condamnés le sont à des courtes peines. Dorénavant, les magistrats auront la possibilité de prononcer dès le départ des aménagements de peine. C’est dire l’importance d’une telle ouverture.
J’irai au-delà. Il résultera des modalités de procédure que nous allons examiner et qui n’appellent pas de critiques en soi, grâce à l’excellent travail, comme toujours, de la Direction des affaires criminelles, que, dans le cadre même de l’exécution de la peine, les mesures alternatives ou d’aménagement de peines permettront des libérations. En d’autres termes, cela signifie que l’on donne aux magistrats une très grande extension des possibilités de libérations.
J’ai parlé de rupture parce qu’il suffit de considérer l’accroissement constant de l’incarcération depuis 2002, tempéré très récemment avec le placement sous surveillance électronique, pour mesurer le changement intervenu.
Comme je l’ai évoqué, la philosophie qui a sous-tendu l’action pénale de ces deux dernières années a été celle de la peine ferme, certaine et presque automatique s’agissant des peines planchers.
À présent, nous retrouvons l’inverse, c'est-à-dire des dispositions auxquelles, pour ma part, je n’ai jamais cessé de croire : l’individualisation, la personnalisation et les possibilités d’aménagement des peines.
Selon le dernier document réalisé par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, le taux d’aménagement des peines n’est aujourd'hui que de 20 %.
Voilà donc des dispositions qui apporteront des changements, en ce sens qu’elles donnent aux magistrats les moyens de pallier la surpopulation pénale. En définitive, c’est la véritable raison. Comme on ne peut recourir ni aux grâces collectives ni à une loi d’amnistie, la seule possibilité de vider le « tonneau carcéral », qui est actuellement trop plein, est de s’y prendre à la petite cuillère ! C’est la seule issue, car bien d’autres problèmes que nous avons hélas trop connus par le passé pouvaient s’ajouter aux inconvénients humains majeurs de la surpopulation pénale !
Par conséquent, nous soutiendrons et voterons ces dispositions intéressantes. Par rapport à la politique et à la philosophie pénales qui ont marqué les deux dernières années, de telles mesures constituent un changement si radical que l’on ne peut que s’en étonner et, en même temps, en tirer tout le parti nécessaire.
En son temps, le grand Saint-Just déclarait : « La force des choses nous conduit peut-être à des résultats que nous n’avons pas pensés. »
Pour ma part, je constate avec satisfaction que le cours des événements redonne enfin à la démarche judiciaire en matière pénale toutes les capacités d’aménagement des peines que nous souhaitons Car, croyez-moi, sans aménagement des peines, nous ne pourrons avoir, en matière de récidive, que des lendemains qui déchantent !
M. le président. Je mets aux voix l'article 31.
(L'article 31 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 31
M. le président. L'amendement n° 244, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 31, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après les mots : « demeure punissable ; », la fin du deuxième alinéa de l'article 122-1 est ainsi rédigée : « toutefois, l'altération du discernement ou l'entrave au contrôle des actes entraîne l'atténuation systématique de la peine et un régime de sanction privilégiant l'orientation vers le circuit sanitaire plutôt que l'emprisonnement. »
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour ma part, je constate également une évolution, même si j’ignore s’il s’agit d’un changement de cap ou peut-être d’une conséquence de la pression des réalités.
Quoi qu’il en soit, si tout le monde s’y met, ce texte nous permettra sans doute d’avancer et de nous attaquer aux causes de l’actuelle surpopulation carcérale.
Cela suppose de faire preuve de cohérence et de traiter l’ensemble des questions. Je pense notamment au nombre d’entrées en prison, aux courtes peines, à la durée de l’incarcération, aux sorties et aux aménagements de peines, qui viennent d’être excellemment évoqués par M. Robert Badinter.
Il faut également parler des malades. Comme il s’agit d’un champ immense, je m’en tiendrai aux seules pathologies mentales. Je sais que nous avons déjà abordé ce sujet, mais c’est seulement, me semble-t-il, à force d’en discuter que nous pourrons véritablement avancer.
Nous le savons, par une savante combinaison des problèmes psychiatriques et de l’aggravation des sanctions pénales, des personnes relevant de la psychiatrie sont actuellement incarcérées dans nos établissements pénitentiaires.
Par conséquent, nous devons, certes, envisager une évolution des dispositions pénales et agir sur la santé, mais commençons d’abord par décider que des personnes atteintes de pathologies mentales, surtout si elles sont graves, ne peuvent pas rester en milieu carcéral.
Je vous le rappelle, dans son avis sur le présent projet de loi pénitentiaire, la CNCDH recommande de prendre « toutes les mesures nécessaires afin qu’une procédure d’aménagement de peine adaptée soit organisée à l’égard de la population carcérale devant avoir accès à des soins psychiatriques ».
Je suis bien consciente qu’il y a un problème d’accueil dans les établissements psychiatriques. Mais c’est l’éternelle histoire de l’œuf et de la poule !
Pour ma part, je pense que nous devons prendre des décisions en ce sens et nous obliger à trouver des solutions dans le domaine sanitaire pour mettre fin à un tel scandale.
Tel est l’objet de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Sur le fond, je rejoins totalement les propos de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
D’ailleurs, lors de la discussion générale, je m’étais moi-même exprimé en ce sens. Oui, je pense que le législateur a eu tort de distinguer l’abolition et l’altération du discernement lors de la réforme du code pénal ! Oui, je trouve scandaleux qu’en l’état actuel des choses l’altération du discernement – normalement, cela devrait être une circonstance atténuante –, conduise au contraire au prolongement des peines ! Mais je ne pense pas que nous puissions régler ce problème au détour d’un simple amendement dans le projet de loi pénitentiaire.
La commission des lois a créé un groupe de travail sur ce sujet extrêmement important et délicat. Notre collègue Jean-Pierre Michel et moi-même en sommes les rapporteurs.
Je demande que nous nous donnions le temps de la réflexion, d’autant que tout projet de réforme du code pénal suppose de s’interroger également sur les modalités de prise en charge psychiatrique des personnes atteintes de troubles mentaux.
On n’échappera pas, je le dis et je le répète, à la nécessité d’un texte justice-santé-intérieur, et le plus tôt sera le mieux. Je crois que l’idéal serait que ce groupe de travail s’élargisse à la commission des affaires sociales et que nous puissions avoir ensemble une initiative parlementaire d’envergure pour un texte prochain.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président Badinter, je rejoins vos observations, à quelques remarques près. C’est la première fois, c’est vrai, que nous avons une politique ambitieuse d’aménagement de peines. C’est la première fois aussi que nous avons une politique ambitieuse en termes de soins en prison.
Quel que soit d’ailleurs le gouvernement, vous savez que nous avons toujours rencontré des difficultés pour faire travailler ensemble la justice et la santé sur le terrain. Cette situation s’explique par des problèmes culturels, mais aussi par des problèmes d’adaptation et de connaissance de l’un et de l’autre métier.
C’est notamment le problème des établissements pénitentiaires pour mineurs, que nous avons évoqué hier. Les premières difficultés que nous avons rencontrées dans la mise en œuvre de ces établissements, c’est de pouvoir faire travailler ensemble des acteurs avec des cultures professionnelles différentes.
Par exemple, le fait de faire travailler des enseignants, des médecins et des psychologues avec l’administration pénitentiaire a été, je le reconnais, très compliqué au départ. Aujourd’hui, cela va beaucoup mieux. Néanmoins c’est important. C’est pour cela qu’hier je me suis vraiment battu pour que l’on ne puisse pas empêcher la pluridisciplinarité dans les établissements pénitentiaires.
C’est également ainsi qu’on lutte contre la récidive. Le taux d’aménagement des peines n’a jamais été aussi élevé que ces deux dernières années. Comme vous le savez, nous souhaitons qu’il n’y ait plus de grâces collectives. Elles n’ont pas de sens, et n’ont jamais eu d’effets positifs sur les personnes détenues. Il n’y a plus de caractère automatique de la réduction de peine, qui était un outil de régulation pénale, et de loi d’amnistie. Ainsi, en un an, entre 2007 et 2008, le nombre des aménagements de peines a triplé.
Vous dites qu’il y a une contradiction dans la politique pénale. Non, il y a complémentarité. Moi, j’assume complètement la fermeté de la politique pénale. Il faut plus de fermeté à l’égard des délinquants. S’ils ne sont pas poursuivis, s’ils ne sont pas sanctionnés, et si la peine n’est pas exécutée, c’est l’impunité. Nous sommes dans un État de droit ; je suis pour que la justice soit la même pour tout le monde et qu’il n’y ait pas de l’impunité. S’il y a de l’impunité, cela devient la loi du plus fort, l’arbitraire. Je suis totalement opposée à un tel système.
Vous affirmez que la peine ferme devient la règle et qu’elle devient automatique. Monsieur le président Badinter, vous avez été président du Conseil constitutionnel ; la loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs a été validée par le Conseil constitutionnel. Tous les principes constitutionnels ont été respectés dans ce texte. Non seulement la notion d’individualisation des peines, mais également le pouvoir d’appréciation des magistrats ont été préservés.
Les décisions de justice condamnant des délinquants, en particulier des délinquants récidivistes à des peines fermes, sont rendues par des magistrats indépendants. Les instructions de fermeté de politique pénale aux procureurs, je les assume, puisqu’elles font partie de mes prérogatives. Mais la décision ne revient pas au procureur, elle revient au juge. Le juge prononce des peines d’emprisonnement ferme en toute indépendance et en respectant le code pénal, en vertu duquel elles sont l’ultime sanction. Lorsque le juge prononce une telle peine, cela signifie que tout ce qui devait être fait avant a été fait.
J’assume donc totalement cette fermeté. Mais, pour lutter contre la récidive de manière ultime, il faut pouvoir réinsérer les personnes détenues, ce qui passe par l’aménagement des peines.
Voici quelques chiffres sur le taux d’aménagement des peines : il y a près de 7000 condamnés qui bénéficient d’un aménagement de peine, soit près de 13% de l’ensemble des condamnés. Il y a eu, depuis mai 2007 à ce jour, une augmentation des aménagements de peines de plus de 35%.
Vous avez raison, monsieur le président Badinter, cette hausse a été rendue possible notamment grâce au bracelet électronique, qui est une forme moderne de la privation de liberté. C’est donc pour cette raison que nous avons souhaité cette grande loi de modernisation du service pénitentiaire.
Pour les placements sous surveillance électronique, nous avons plus de 40% d’augmentation en un an. Les grandes lignes du projet de loi, c’est vraiment d’assumer la fermeté de la politique pénale, mais également de tout faire pour réinsérer les personnes détenues.
Vous ne pouvez pas nier que c’est notre gouvernement qui a souhaité cette grande loi pénitentiaire. Elle était attendue depuis très longtemps, puisque la dernière date de 1987. Vous ne pouvez pas nier qu’il a tout mis en œuvre pour lutter contre la récidive, non seulement par la fermeté de la politique pénale, mais également par la réinsertion des personnes détenues.
À propos de l’amendement n° 244, je reprendrai les arguments qui ont été évoqués par le rapporteur. Comme l’indique l’article 122-1 du code pénal, l’altération des facultés mentales d’une personne ne constitue pas une cause d’irresponsabilité pénale, mais elle doit être prise en compte pour le choix de la peine. Dès lors qu’il y a altération, il n’y a plus de responsabilité. La peine quand elle est prononcée s’accompagne souvent d’une obligation de soins.
Il n’est pas précisé dans cet article, qui a été adopté à l’unanimité lors de la réforme du code pénal en 1992, qu’une altération donne systématiquement lieu à une atténuation de la peine. C’est le principe même d’individualisation de la peine. On en tient compte dans le prononcé de la peine, mais cela n’est pas automatique.
Pour cette raison, l’objet de votre amendement ne correspond pas à l’esprit du texte et encore moins celui du code pénal. Le Gouvernement y est donc défavorable.
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, pour explication de vote.
M. Louis Mermaz. Nous sommes frappés, chaque fois que nous visitons des prisons, de rencontrer des infirmières circulant avec une corbeille de médicaments. Aujourd’hui, pour les malades mentaux, la camisole chimique a remplacé la camisole de force. C’est dire l’état de déshérence de cette catégorie de personnes emprisonnées.
À un moment où le Président de la République évoque l’idée qu’il puisse demeurer une responsabilité pénale et des poursuites judiciaires classiques pour des personnes atteintes de maladie mentale, je pense que l’amendement de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et du groupe CRC-SPG a toute son importance. Nous le voterons donc.
Je ferai remarquer à Mme la garde des sceaux que les aménagements de peines sont bien sûr une bonne chose pour lutter contre la surpopulation carcérale. Mais il ne faut pas qu’ils aboutissent à une augmentation du nombre des personnes incarcérées.
Or la surpopulation carcérale a pour causes les comparutions immédiates, une justice « à la hache » faute de moyens pour la défense, l’encombrement des tribunaux, les nombreux prononcés de courtes peines. En d’autres termes, tous ceux qui sont condamnés à des peines d’emprisonnement de quelques semaines sont confrontés à un système carcéral dont on ne cesse de dénoncer les graves conséquences.
C’est bien de libérer les détenus plus tôt par des aménagements de leur peine. Mais, si cela a pour conséquence d’arrêter et d’emprisonner davantage de gens, qui seront confrontés à ce système, nous allons aggraver la situation sociale dans notre pays. Je crois donc que l’amendement de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat trouve ici toute sa place.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Dans le droit-fil des propos de Louis Mermaz, je dirai que la multiplication des peines de courte durée, la loi relative à la rétention de sûreté, les peines planchers, la comparution immédiate, ainsi que d’autres dispositifs dessinent la politique pénale qui est mise en œuvre par votre gouvernement, madame la ministre. Une telle politique pénale conduit au surpeuplement des prisons.
Nous avons toujours prôné une politique d’aménagement des peines pour réduire le nombre de personnes en détention et permettre ainsi au personnel pénitentiaire, ainsi qu’aux services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP, d’assumer leur tâche dans les meilleures conditions possible.
Nous avons le sentiment, madame la ministre, qu’il y a dans votre propos un collage entre deux politiques.
L’une consiste à parier sur l’incarcération et aboutit au surpeuplement des prisons, ce qui rend très difficile le travail de réinsertion.
L’autre est de préparer la sortie de prison, pour que l’être humain qui est incarcéré puisse après avoir une vie normale et ne pas être amené à récidiver. Nous avons le sentiment que ces deux politiques sont l’une à côté de l’autre. Il y a là un problème.
Nous nous réjouissons néanmoins, monsieur Fauchon, de ce que vous apportiez aujourd’hui un volet très important sur l’aménagement des peines, et nous espérons que celui-ci l’emportera sur le premier volet. Mais nous constatons cette contradiction.
Enfin, l’autre soir, j’ai dénoncé l’urgence de convenance ou de confort. Personne n’a compris pourquoi l’accélération, sur un tel texte, a été imposée avec tant d’obstination. Il s’agit vraiment d’un texte sur lequel il y a lieu de travailler au fond, par le moyen des navettes.
En cet instant, je déplore que nous assistions à une demande de scrutin public de convenance ou de confort. Certains de nos collègues n’ont pas répondu à l’appel de la permanence qui, lorsqu’elle fonctionne, permet au groupe UMP d’exercer sa majorité relative. Je vois que M. Jean-Pierre Fourcade n’est pas content. C’est pourtant la vérité. Il arrive, mon cher collègue, que la situation soit inverse.
M. Pierre Fauchon. Avançons, avançons !
M. Jean-Pierre Sueur. Ne vous fâchez pas, monsieur Fauchon ! Moi, je reste calme. Je regrette cette attitude de convenance. C’est mon opinion, et nous sommes là pour nous exprimer.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il faut avancer !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Fourcade. L’amendement présenté par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat nous paraît discutable et mauvais, parce qu’il prévoit une atténuation systématique de la peine. À partir du moment où l’on s’engage, comme l’a dit le président Badinter, dans une amélioration du système d’atténuation des peines, toute systématisation, même pour des motifs médicaux, me paraît mauvaise.
Par ailleurs, je ne peux pas laisser dire à mon ami Jean-Pierre Sueur, avec qui j’entretiens les meilleures relations, que nous sommes là par appel de permanence. Nous sommes là pour discuter d’un texte important.
M. Jean-Pierre Sueur. Je n’en doute pas !
M. Jean-Pierre Fourcade. Vous êtes cinq, nous sommes sept en comptant les rapporteurs. L’important, c’est d’essayer de faire une loi pénitentiaire qui soit correcte. Je ne peux pas laisser dire à Jean-Pierre Sueur que, sur le fond, le fait d’augmenter les comparutions immédiates remplit les prisons. Vous avez été maire, mon cher collègue, je l’ai été aussi pendant très longtemps. La comparution immédiate est un moyen essentiel de lutte contre un certain type de délinquance urbaine.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Sur le plan pédagogique même, c’est très important !
M. Jean-Pierre Fourcade. Se priver de ce système de comparution immédiate serait une erreur, qui développerait la délinquance urbaine dans nos grandes agglomérations. Par conséquent, le texte de la commission va dans le bon sens. L’amendement de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat apporte une systématisation qui nous paraît mauvaise. C’est la raison pour laquelle nous nous y opposons.
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon, pour explication de vote.
M. Pierre Fauchon. J’ai été provoqué par M. Sueur qui, dans une intervention, dont nous avons pu apprécier tout à la fois l’intérêt et la longueur, a mis en évidence ce qu’il appelle une contradiction entre deux démarches, laquelle n’existe pas pour moi. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
La première démarche consiste à prendre au sérieux les problèmes de la sécurité, à répondre à une montée de la délinquance, ce que vous omettez constamment de prendre en compte dans vos propos et vos réflexions, mais qui est réelle, dans les rues des villes, dans les campagnes, partout !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On ne cesse de nous dire qu’on fait tout pour réduire la délinquance, et elle monte !
M. Pierre Fauchon. C’est un phénomène de notre temps, revêtant des formes nouvelles très surprenantes, auxquelles nos systèmes ont beaucoup de mal à s’adapter.
La seconde démarche est liée à la prise de conscience que nous avons de la nécessité de mieux gérer nos prisons et, comme Robert Badinter l’a rappelé très justement tout à l'heure, d’ériger la dignité humaine en une exigence qui conduit à prendre un certain nombre de mesures, voire à réviser tout notre système pénitentiaire.
Ces deux démarches ne sont pas contradictoires, mon cher collègue. Elles correspondent l’une et l’autre à deux aspects de notre responsabilité et, pour ma part, je félicite le Gouvernement de les assumer toutes les deux.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, rapporteur pour avis. S’agissant de l’amendement n° 244, nous partageons le souci de ses auteurs de dénonciation des situations contestables, voire parfois révoltantes. Nous avons tous le sentiment qu’il faut agir.
Notre rapporteur, Jean-René Lecerf, puis le président de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest, ont clairement dit que la commission des lois s’était engagée dans ce sens et souhaitait s’associer à d’autres commissions pour travailler sur ces sujets. C’est une bonne chose.
Jean-René Lecerf a également dénoncé, à juste titre, l’aggravation des peines qu’entraînait très souvent la perte du discernement, ce qui est paradoxal.
Il serait tout aussi paradoxal d’atténuer la peine. En cas d’altération du discernement, le problème n’est ni l’aggravation ni l’atténuation de la peine, mais bien la peine elle-même, puisqu’elle n’a plus de sens pour la personne à laquelle elle est appliquée. Dans ce cas, il n’y a plus de sanction ni de possibilité de réinsertion.
Par conséquent, ce n’est manifestement pas dans les établissements pénitentiaires qu’il faut envoyer les personnes concernées. Nous devons réfléchir à un parcours de prise en charge et d’encadrement des soins, permettant de protéger l’individu, mais aussi la société, et je partage à cet égard les propos tenus par M. Fauchon.
Les progrès faits à l’heure actuelle par les neurosciences vont démontrer, notamment, les limites du discernement, de la liberté de décision. Vous l’observerez, – personnellement j’ai passé l’âge où je pourrai les voir – les cinquante prochaines années seront fabuleuses sur le plan des découvertes dans le domaine des neurosciences.
Bizarrement, nous avons vécu la séparation de la psychiatrie et de la neurologie. Les neurosciences rapprochent à nouveau la neurologie de la psychiatrie et nous allons enfin comprendre mieux ce qui se passe.
J’ai assisté à des interventions extraordinaires où l’on observait qu’une électrode placée à un niveau un tout petit peu trop bas dans le cerveau provoquait une dépression brutale de la personne, qui se mettait à pleurer et souhaitait mourir, et qu’il suffisait de relever l’électrode d’un rien pour que soudain la vie redevienne belle à ses yeux.
On le voit, le cerveau humain est un ensemble extrêmement fragile et il nous faut donc aborder ce domaine avec prudence.
Nous nous devons donc d’approfondir notre réflexion sur un nouveau mode de prise en charge et d’encadrement, un nouveau système de soins apportés à ces personnes particulièrement fragiles souffrant d’une altération du discernement, tout en assurant cependant leur mise à l’écart tant qu’elles sont dangereuses afin de protéger l’ensemble de la société.
Je préférerais, pour ma part, que cet amendement soit retiré, parce qu’il ne répond pas correctement à la question, même s’il dénonce une situation contestable.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.
M. Robert Badinter. Je ferai deux observations préliminaires, puis une remarque plus importante qui me paraît au cœur du sujet.
D’abord, madame la garde des sceaux, je dirai non à l’impunité, non à la prison, sauf lorsque l’on ne peut faire autrement, ce que nous venons aujourd’hui de voter après tant de règles pénitentiaires.
Je n’ai jamais cru en l’impunité. Mais je connais trop les effets dévastateurs de la prison pour ne pas me réjouir que nous en arrivions enfin à ces possibilités redonnées aux magistrats, ou accrues, d’aménagement de la peine.
Ensuite, madame la garde des sceaux, vous avez évoqué les décisions du Conseil constitutionnel. Lorsque j’avais le privilège de présider cette juridiction, pour me convaincre moi-même que je n’étais plus législateur, j’avais mis sur mon bureau le motto suivant : « Une loi inconstitutionnelle est nécessairement mauvaise ; une mauvaise loi n’est pas nécessairement inconstitutionnelle. » (Sourires.)
J’en viens au problème clé qui nous occupe à présent.
En l’espace de vingt-cinq ans, c'est-à-dire depuis j’ai quitté la Chancellerie, le pourcentage de personnes atteintes de troubles psychiatriques dans les prisons françaises est passé de 7 % à 8 % environ à plus de 25 % aujourd'hui.
Nous savons tous que les jurés, parce qu’ils pensent non pas à l’acte ou à la personne, mais à sa dangerosité éventuelle, punissent de peines plus sévères lorsqu’ils ont affaire à une personne dont la responsabilité est atténuée.
C’est là non pas un paradoxe, mais l’effet de la crainte. À l’évidence, il sera très difficile de trouver un remède à ce phénomène.
Pour ma part, je suis convaincu que c’est seulement par une réflexion et une action conjointes des gens de justice, d’une part, et de ceux qui ont en charge les problèmes de troubles mentaux, d’autre part, que nous pourrons trouver des solutions.
En tout cas, la situation ne peut pas perdurer. La question de la pathologie mentale et de la peine est aujourd’hui prioritaire.