M. le président. L'amendement n° 149, présenté par M. Anziani et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 31, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 132-19-1 du code pénal est abrogé.
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Je me félicite, mes chers collègues, que M. Badinter soit souvent cité dans cet hémicycle, mais vous devriez vous en inspirer davantage. Je pense, notamment, aux propos qu’il avait tenus, le 5 juillet 2007, lors des débats sur les peines planchers, à l’occasion desquels il avait qualifié le texte comme étant « inutile, implicitement vexant pour la magistrature et, plus grave encore, potentiellement dangereux. » Permettez-moi de commenter chacun de ces trois qualificatifs.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est hors sujet !
M. Alain Anziani. D’abord, ce texte est inutile. L’intérêt d’une loi étant d’être efficace, les peines planchers ont-elles un effet dissuasif ? Aujourd’hui, rien ne l’établit et tout laisse penser le contraire.
Dans le Nord, un homme, récidiviste il est vrai, est poursuivi pour vol de figurines de bande dessinée et risque d’être condamné à une peine plancher pour de telles babioles. On peut se demander si ces dispositions semi-automatiques ne sont pas ubuesques.
Ensuite, le texte est implicitement vexant pour la magistrature. Avons-nous si peu confiance en nos magistrats pour les encadrer si fortement ?
Au surplus, comment ne pas noter le paradoxe suivant ? Jusqu’à présent, le magistrat devait justifier sa décision d’envoyer une personne en prison. Aujourd’hui, il doit justifier la raison pour laquelle il ne le fait pas. C’est là sans doute une décision contraire à nos principes.
Enfin, le texte est potentiellement dangereux. La forte augmentation de la population carcérale s’accompagne de la dégradation des conditions de détention dans les prisons. Nous sommes au cœur de l’esprit du texte.
Si nous voulons une grande loi pénitentiaire, il nous faut aussi nous attaquer aux causes de cette dégradation.
Quelle contradiction entre les peines planchers et le bel article 32, en vertu duquel l’emprisonnement doit être prononcé en dernier recours.
C’est un beau principe, mais il est mis à rude épreuve avec les peines planchers, qui sont quasi automatiques ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Une politique pénale doit faire place à la fois à la sécurité et au respect de la dignité.
Un certain nombre de textes vont dans ce sens, notamment la loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, la loi relative à la rétention de sûreté et la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, la loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté, ainsi que le présent projet de loi pénitentiaire.
Je ne vois pas personnellement de contradiction entre l’article 132-9-1 du code pénal, qui instaure des peines planchers pour les délits commis en état de récidive légale et le texte proposé par la commission pour l’article 132-24 du même code, qui pose le principe selon lequel une peine d’emprisonnement ferme ne peut être prononcée qu’en dernier recours.
Je rappelle que l’article 132-19-1 du code pénal ne fait nullement obligation à la juridiction de jugement de prononcer une peine d’emprisonnement ferme, même pour les délits les plus graves, comme les violences volontaires, les délits commis avec la circonstance aggravante de violence, les agressions ou atteintes sexuelles, les délits punis de dix ans d’emprisonnement. Elle peut prononcer une peine d’emprisonnement avec sursis. Il n’y a donc là aucune contradiction.
Il serait temps, me semble-t-il, de se remettre à l’examen du présent projet de loi pénitentiaire et d’abandonner la discussion concernant des textes qui ont été adoptés dans le passé.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Il n’y a pas aucune contradiction entre la sanction et la prévention.
Monsieur Anziani, nous avons réalisé de vraies avancées s’agissant notamment des droits des détenus, de la création du contrôleur général des lieux de privation de liberté, bien au-delà du simple contrôleur général des prisons, mais aussi des aménagements de peines qui ont atteint un taux record.
Vous auriez pu le faire avant, mais cela n’a pas été le cas. Nous, nous le faisons. Certes, le projet de loi pénitentiaire que nous proposons n’est pas parfait et ne résout pas tout. Mais ce gouvernement est en place depuis à peine deux ans et il a pris ces mesures qui sont attendues depuis vingt ans.
J’ai parfois le sentiment que nous ne vivons pas dans le même monde et que nous ne sommes pas confrontés aux mêmes réalités.
Les peines planchers ne s’appliquent pas à une personne qui vole des babioles. Elles sont prononcées pour des délits graves, à l’encontre de récidivistes.
Cessons donc de faire de l’angélisme, sous peine de faire exploser la délinquance, comme cela a été le cas entre 1997 et 2002 ! Je veux bien mettre un terme aux polémiques, mais il faut garder à l’esprit la réalité. Ainsi, des peines planchers ont été prononcées après 23 000 condamnations en récidive par des juges indépendants.
M. Jean-Pierre Sueur. Ils appliquent la loi !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Certes, ils appliquent la loi, mais avec un pouvoir d’appréciation en toute indépendance.
Voulons-nous remettre en cause l’indépendance des magistrats qui prononcent ces peines ?
Je suis très sensible à ces sujets. Les peines planchers sont prononcées, dans près de 70 % des cas, pour les violences sur conjoint, sexuelles ou autres.
Si ces peines planchers permettent d’écarter de la société, pendant un temps, pour mieux les réinsérer et pour éviter la récidive, ce type de délinquant, je suis fière d’avoir fait adopter la loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
Il convient de tenir compte de la réalité. Il ne faut pas tomber dans la caricature ni faire preuve de manichéisme. Ce texte sur les peines planchers protège les femmes.
Vous avez mis en cause, monsieur le sénateur, le principe de la comparution immédiate. Pour les violences conjugales, ce type de comparution est la procédure la plus adaptée : le conjoint violent est interpellé immédiatement, sorti du domicile et déféré aussitôt devant le tribunal.
Les violences faites aux femmes m’ont toujours scandalisée, et elles continueront de m’indigner. Si les peines planchers permettent d’éviter ces comportements, j’en suis fortement satisfaite.
C’est la raison pour laquelle je ne peux être favorable à l’abrogation de l’article relatif aux peines planchers. (Mme Catherine Procaccia applaudit.)
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.
M. Robert Badinter. Loin de moi, en cet instant, l’idée de reprendre la discussion sur les peines planchers. Elles sont votées.
M. Robert Badinter. Vous savez ce que j’en pense ; beaucoup s’en plaignent, je ne suis pas le seul.
À l’occasion de l’aménagement des peines, il est remarquable de constater que même les récidivistes pourront en bénéficier, ce qui n’est pas exactement l’esprit de la loi qui a été adoptée. Mais là n’est pas la question.
Je ferai deux observations.
Premièrement, le discours « avant moi, rien ; grâce à moi, tout » ne correspond pas à la réalité. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté, madame la garde des sceaux, est une obligation internationale que nous aurions dû concrétiser depuis très longtemps.
Deuxièmement, dois-je vous rappeler qu’avant vous c’était la même majorité qui était au gouvernement ? D’ailleurs, l’actuel Président de la République a joué un rôle considérable dans un gouvernement antérieur en matière de sécurité et de justice.
Or, de 2002 à 2007, s’est-on jamais soucié d’un projet de loi pénitentiaire ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et avant ?
M. Robert Badinter. Qu’avant on ne l’ait pas fait, je le regrette. Mais vous passez sous grand silence l’absence de loi pénitentiaire durant les cinq années écoulées !
Après les si nombreuses incitations, critiques, rapports européens, il aura tout de même fallu attendre 2007-2008 pour que soit prise en compte cette nécessité au regard des obligations européennes.
Nous attendons depuis dix ans. Quel que soit le gouvernement, il est bien tard ! Il est heureux que nous en débattions enfin, mais ne nous dites pas que nous aurions été négligents et vous admirables. Car, dans notre pays, la loi pénitentiaire, on s’y est traîné !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Nos débats ont été très intéressants, particulièrement celui que nous avons eu sur les problèmes des malades mentaux en prison. Quoi qu’il en soit, mes chers collègues, nous devons finir aujourd'hui l’examen de ce texte. Personne ne souhaite que la séance se prolonge trop tard.
Je n’aime pas trop que l’on se rejette mutuellement la responsabilité d’avoir bien ou mal fait. Cette responsabilité, dans le passé, est partagée. Certains avaient de très bonnes idées, qu’ils n’ont pas mises en œuvre. D’autres avaient des idées différentes, et ils les mettent en œuvre. Il fallait une loi de rénovation des prisons et y mettre d’importants moyens. Qui l’a fait ?
La proposition de loi sur le contrôleur général des prisons en 2001, monsieur Badinter, vous vous en souvenez fort bien. Puis la loi pénitentiaire, que nous espérions sous le gouvernement Jospin, nous ne l’avons pas eu, pour moult raisons. Nous examinons ce texte maintenant : réjouissons-nous en et avançons !
Vous avez salué l’importance de cette loi, monsieur Badinter. Concentrons-nous sur les sujets qui restent à examiner dans ce texte !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Mon intervention s’inscrit dans le droit-fil de ce que vient de dire M. Jean-Jacques Hyest.
Madame la ministre, si nous arrêtions les simplismes, …
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Montrez l’exemple !
M. Jean-Pierre Sueur. … nous pourrions débattre plus rapidement du sujet.
Personnellement, je suis pour la répression de la criminalité et de la délinquance. Je suis également horrifié par les violences faites aux femmes.
Cela étant, madame la ministre, vous ne pouvez pas dans le même temps dire que tout est formidable, que la criminalité diminue, que la sécurité augmente depuis que vous êtes au pouvoir, et affirmer que l’insécurité est telle qu’il faut adopter les mesures que vous nous proposez !
Par ailleurs, je souligne que l’ensemble des dispositions que vous avez prises depuis deux ans ont pour effet d’accroître la surpopulation carcérale. C’est un fait, et nous n’allons pas revenir sur les quatre textes de loi dont nous avons débattu au Sénat.
Nous ne sommes pas laxistes, nous ne le serons jamais, et nous ne voulons pas l’être. Mais, dès lors que les prisons sont surpeuplées en raison de la politique pénale qui est menée, comment mettre en œuvre l’éducation, la réinsertion, l’éducation et la lutte contre la récidive ? Les personnels pénitentiaires m’ont dit la semaine dernière à quel point les séjours en prison se traduisaient souvent par la récidive.
Il doit donc y avoir moins de monde en prison, plus d’aménagement de peines et il faut mener une autre politique pénale. L’opposition simpliste entre ceux qui seraient pour ou contre la répression n’est pas opportune.
Nous sommes pour la répression, l’éducation et la réinsertion !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous sommes tous d’accord sur ce point !
M. Jean-Pierre Sueur. Certes, mais il est important de le dire afin que l’on n’y revienne plus et que l’on puisse avancer !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je soutiens l’amendement de M. Anziani.
Je pourrais prendre à contre-pied M. About : tout ce qui est automatique est dangereux. Sauf qu’en matière d’enfermement, je suis contre l’incarcération automatique des malades mentaux.
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Je n’ai pas dit cela !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n’y a pas de symétrie exacte, mais je suis résolument opposée à l’emprisonnement automatique.
J’ai dit d’emblée, lors de mon intervention liminaire, que la gauche n’avait pas eu le courage de proposer une loi pénitentiaire. Ma position est claire et je la maintiens.
Seulement, j’en ai assez que vous nous accusiez d’angélisme ! Depuis huit ans, l’aggravation de la politique pénale qui est menée s’accompagne d’une augmentation de la délinquance. Il n’est question que de cela à la une des journaux !
Il faut sanctionner. Pourtant la délinquance violente augmente. Chacun devrait donc se demander si l’emprisonnement règle les problèmes de violence que connaît notre société. Ce n’est pas le lieu de nous poser des questions sociétales, mais je souligne cet état de fait dans l’espoir de susciter une réaction autre que des accusations d’angélisme !
Aux États-Unis, 3 millions de personnes sont emprisonnées, avec des peines automatiques, des peines planchers, des cumuls de peines. Pourtant, la société américaine est de plus en plus violente, malgré des précautions maximales en termes de sécurité ; la police est même présente dans établissements scolaires !
Puisque nous traversons une période de grâce au cours de laquelle nous réfléchissons, nous devrions en profiter pour méditer ces chiffres afin de traiter au mieux le problème de la délinquance.
M. le président. L'amendement n° 246, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 31, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 434-41 est abrogé.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. L’article 131-9 du code pénal prévoit que l’emprisonnement ne peut être prononcé cumulativement avec une des peines privatives ou restrictives de droits prévues à l’article 131-6 du code pénal, ni avec la peine de travail d’intérêt général, le TIG.
L’article 434-41 du code pénal prévoit, quant à lui, qu’est punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende la violation, par le condamné, des obligations ou interdictions résultant de divers types de peines, parmi lesquelles l’obligation d’accomplir un stage. Il crée donc un délit d’inexécution du TIG.
En conséquence de ces deux articles, la personne qui n’effectuera pas le TIG prononcé par le juge devra effectuer sa peine principale et s’acquitter d’une peine d’amende ou d’emprisonnement.
Il paraît donc logique d’abroger l’article 434-31 pour éviter la double peine.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Nous sommes très attachés au travail d’intérêt général.
Par voie d’amendement, la commission a d’ailleurs proposé d’inciter davantage les communes, les collectivités territoriales, les personnes privées chargées de la gestion d’un service public, de proposer des travaux d’intérêt général.
Si l’on suit l’amendement de notre collègue Catherine Troendle, les petites et moyennes communes rurales ne seront pas oubliées non plus.
Le travail d’intérêt général constitue une peine de substitution à l’emprisonnement. Il est donc légitime de prévoir que son inexécution constitue un délit, au même titre que l’évasion.
L’article 434-41 du code pénal érige, d’ailleurs, en délit la violation des obligations résultant d’autres peines de substitution, notamment des obligations et interdictions résultant des peines de suspension et d’annulation du permis de conduire.
La commission demande le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. J’abonde dans le sens de M. le rapporteur.
Le travail d’intérêt général est une peine de substitution à l’emprisonnement. Cependant, on demande l’accord de la personne avant de la condamner à une peine de travail d’intérêt général. La personne condamnée croit souvent échapper à la prison en acceptant le TIG et en ne remplissant pas ses obligations après !
On ne peut pas non plus tout avoir. La non-exécution de la peine de TIG doit être sanctionnée, d’autant que l’accord de la personne condamnée intervient avant le prononcé de la peine.
Il est donc important de maintenir le délit d’inexécution.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 246.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Section 1
Des aménagements de peines
Article 32
L'article 132-24 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« En matière correctionnelle, une peine d'emprisonnement ferme ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; dans ce cas, la peine d'emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle faire l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28. »
M. le président. L'amendement n° 150, présenté par M. Anziani et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Compléter le second alinéa de cet article par une phrase ainsi rédigée :
La peine d'emprisonnement doit être spécialement motivée.
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Pour nous, l’article 32 est un très bon article puisqu’il pose le principe maintes fois réaffirmé par les règles pénitentiaires européennes de l’emprisonnement comme dernier recours.
Néanmoins, nous devons aller jusqu’au bout du raisonnement. Je m’adresse à notre rapporteur, qui a beaucoup travaillé sur cette question.
Aller au bout du raisonnement revient à dire que, si l’on prévoit des dérogations à ce principe, posé par la loi, selon lequel l’emprisonnement doit être une peine de dernier recours, les décisions prises au titre de ces dérogations doivent être spécialement motivées. Tel est donc l’objet de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission estime que cet amendement est largement satisfait par le droit en vigueur puisque, en application de l’article 132-19 du code pénal, « en matière correctionnelle, la juridiction ne peut prononcer une peine d’emprisonnement sans sursis qu’après avoir spécialement motivé le choix de cette peine ».
Il est vrai que, depuis la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, la juridiction est dispensée de cette obligation de motivation spéciale lorsque la personne prévenue est en état de récidive légale ; mais c’est la seule exception.
La commission demande donc le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. La peine d’emprisonnement est prononcée en ultime recours, ce que le code pénal et le code de procédure pénale prévoient déjà. De la même manière, les condamnations à des peines correctionnelles doivent être motivées, comme toutes les décisions de justice d’une manière générale. L’adoption de cet amendement serait donc inutile.
M. le président. Monsieur Anziani, l’amendement n° 150 est-il maintenu ?
M. Alain Anziani. Oui, monsieur le président.
Je souhaite cependant apporter une précision : bien sûr, les décisions de justice doivent être motivées. Heureusement ! Mais, nous le savons, dans de nombreux cas, cette motivation peut être extrêmement elliptique, pour ne pas dire lapidaire. Parfois même, il s’agit de formulaires sur lesquels le tribunal coche une case !
Nous demandons donc que les dérogations fassent l’objet d’une motivation spéciale.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais c’est déjà le cas !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je tiens à préciser que les textes en vigueur prévoient déjà une motivation spéciale. Par conséquent, la préoccupation exprimée par l’auteur de l’amendement est satisfaite sur ce point.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. J’ajoute que, quand la motivation peut paraître « lapidaire », pour reprendre le terme employé par M. Anziani, des voies de recours existent, qui permettent de revenir sur la motivation et de la préciser. Dans tous les cas, l’amendement est donc satisfait.
M. le président. Je mets aux voix l’article 32.
(L’article 32 est adopté.)
Article additionnel après l’article 32
M. le président. L’amendement n° 207, présenté par M. About, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
Après l’article 32, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Un détenu ne peut être incarcéré dans un établissement ayant un taux d’occupation supérieur de 20 % à ses capacités.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. La surpopulation carcérale est au cœur du problème de la santé physique et mentale en prison, mais aussi de nombre de problèmes de sécurité ou d’hygiène : il faut donc promouvoir les alternatives à l’incarcération. Tel est l’objet de cet amendement, qui énonce la règle selon laquelle « un détenu ne peut être incarcéré dans un établissement ayant un taux d’occupation supérieur de 20 % à ses capacités ».
On peut penser qu’une telle règle serait difficile à respecter, mais elle l’est certainement moins que le principe de l’encellulement individuel que la commission des lois souhaite inscrire dans la loi.
En déposant cet amendement, la commission des affaires sociales demande que cessent les excès actuels. J’ai eu l’occasion de relever, lors de la discussion générale – comme M. le rapporteur, d’ailleurs –, les exagérations que nous observons : certains lieux de détention ont un taux d’occupation de 300 %, et beaucoup sont au-dessus de 140 % !
Si le taux de 120 % paraît trop faible, on peut imaginer de le relever légèrement ; mais il faut absolument mettre en place des peines alternatives pour ramener la densité d’occupation des prisons à un taux acceptable et permettre d’engager véritablement une politique de santé, d’hygiène et de sécurité dans nos prisons.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement revient à instaurer un numerus clausus dans l’ensemble des établissements pénitentiaires.
En pratique, un tel numerus clausus est appliqué aux établissements pour peines. Il est justifié par le fait qu’il ne serait pas admissible de maintenir des détenus pour de longues durées dans des conditions de surpopulation et de promiscuité. Aussi les maisons d’arrêt se trouvent-elles dans l’obligation d’accueillir pendant des mois, voire des années, des condamnés qui relèveraient d’une affectation pour peine.
Faut-il instaurer un numerus clausus dans les maisons d’arrêt ? Si nous le faisions, seules trois solutions pourraient être envisagées : la première consisterait à mettre à exécution la peine d’emprisonnement, mais à libérer le condamné détenu dans l’établissement dont le reliquat de peine est le plus faible – il s’agirait donc de libérations automatiques, « sèches » le plus souvent ; la deuxième solution serait de surseoir à la mise à exécution ; enfin, la troisième solution consisterait, en cas de détention provisoire antérieure, à aménager la peine restant à subir en milieu ouvert.
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Il y a une quatrième solution : construire de nouvelles maisons d’arrêt !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je ne suis pas sûr que cette solution soit la meilleure, car elle impliquerait l’embauche de personnels de surveillance supplémentaires, ce qui empêcherait le recrutement de personnels d’insertion et de probation en nombre suffisant.
Je me permets de reprendre ici une argumentation développée en son temps par Élisabeth Guigou, alors garde des sceaux, ministre de la justice : l’application du numerus clausus serait susceptible de conduire à de très fortes inégalités dans l’exécution des décisions de justice, selon un taux de densité carcérale très variable d’un établissement à l’autre sur le territoire national.
La commission, comme Mme Guigou en son temps, estime qu’un tel risque conduit à écarter une idée sans doute séduisante, mais dont le caractère systématique pourrait emporter pour le justiciable des effets plus nocifs que ceux qu’il entend combattre.
L’avis de la commission des lois est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. L’institution d’un numerus clausus créerait effectivement une inégalité face à la justice : ainsi, une personne condamnée dans une région connaissant une surpopulation carcérale ne verrait pas sa peine mise à exécution ; en revanche, dans les régions où les établissements pénitentiaires ne sont pas surpeuplés, les condamnés exécuteraient systématiquement leur peine. Je ne peux pas accepter que, dans notre pays, les justiciables n’aient pas droit à la même justice !
Cet amendement conduirait directement à une inégalité face à la justice ; l’avis du Gouvernement est donc totalement défavorable. (M. Jean Desessard s’exclame.)
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.
M. Alain Anziani. L’amendement de M. About est intelligent…
M. le président. Ses amendements le sont généralement ! (Sourires.)
M. Alain Anziani. C’est ce que je disais hier, monsieur le président, et je regrettais d’ailleurs que M. About retire tant d’amendements intelligents !
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Merci, maître !
M. Alain Anziani. Mais, dans le cas présent, il maintient son amendement, et je l’en félicite !
MM. Jean Desessard et Louis Mermaz. Attendez de voir ! (Sourires.)
M. Alain Anziani. Cet amendement est pertinent parce que, comme toujours, nous devons effectuer un choix : soit entasser les détenus sans pouvoir écarter les murs – et nous connaissons d’avance le résultat : la surpopulation va s’envoler –, soit trouver des solutions d’urgence. (M. Louis Mermaz approuve.)
Cet amendement représente une solution d’urgence qui me paraît adaptée si on ne la caricature pas : il ne s’agit évidemment pas de surseoir à incarcérer un meurtrier qui viendrait d’être arrêté, sous prétexte que la maison d’arrêt est surpeuplée. J’ai choisi un exemple en matière criminelle, mais le même raisonnement s’appliquerait également en matière délictuelle.
En revanche, puisque le taux de surpopulation de la prison est connu, il conviendrait peut-être de voir comment recourir aux aménagements de peine au sein de l’établissement afin de maintenir ce taux à un niveau acceptable. Cet amendement doit donc être lié à la politique d’amélioration et de généralisation des aménagements de peine que vous voulez développer, madame le garde des sceaux.
Cela signifie que chaque établissement pénitentiaire devra accueillir des détenus réunissant toutes les conditions pour bénéficier d’une libération conditionnelle…