M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Foucaud.
M. Thierry Foucaud Sur le terrain, M. le rapporteur général a sans doute fait un certain nombre de choses. Je tiens seulement à préciser, sans malice, que les parlementaires doivent légiférer sur des sujets tels que le bouclier fiscal et les stock-options, qui dérèglent tout le système et qui absorbent des recettes pouvant contribuer au redressement de notre industrie. Et, lorsque je dis que certains parlementaires tiennent, en bas, des propos contraires à ce qu’ils font ici, c’est par rapport à ce qu’on entend ou ce qu’on lit de part et d’autre.
Monsieur le rapporteur général, votre secteur est dans une situation difficile, et croyez bien que je compatis, mais il n’en demeure pas moins qu’on a presque obligé les salariés à accepter de travailler quarante heures : c’était les quarante heures ou la porte.
M. Philippe Marini, rapporteur général. On a fait pression sur eux !
M. Thierry Foucaud. Absolument ! Lorsque nous, élus communistes, avons dénoncé cette situation, on nous a pris, une fois encore, pour des ringards dépassés. J’aurai souhaité avoir tort mais, malheureusement, l’histoire nous donne aujourd’hui raison. Les salariés sont repassés à trente-cinq heures et sont aujourd’hui sous le coup d’un licenciement.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous n’aviez pas prédit la crise !
M. Thierry Foucaud. Je ne fais que répéter ce que vous disent les salariés, monsieur le rapporteur général.
Au nombre des effets pervers de la loi TEPA, outre les heures supplémentaires et les liquidations d’emplois intérimaires ou en CDD par arbitrage en faveur de ces heures supplémentaires, s’ajoutent les majorations scandaleuses du remboursement au titre du bouclier fiscal pour moins de 900 contribuables ou encore la hausse artificielle des prix de l’immobilier liée, vous le savez, à l’allégement des droits de succession. Et la liste n’est pas exhaustive !
Le coût de la loi TEPA est évalué à 7,7 milliards d’euros, mais en réalité il est bien plus élevé à cause de ses effets pervers ! Nous l’avons déjà démontré ici. En effet, 725 millions d’heures supplémentaires, cela représente 450 000 emplois à temps plein qui ne sont pas mis sur le marché du travail !
À dire vrai, d’une certaine façon, la crise a bon dos ! Non, madame la ministre, le déficit budgétaire de l’État n’est pas constitué pour sa plus grande part d’un déficit de crise de quelque 60 milliards d’euros ! C’est aussi le déficit généré par des années et des années de choix politiques et budgétaires qui ont conduit à faire jouer au budget de la nation le rôle de roue de secours des profits des entreprises et des revenus des plus aisés !
Les choix du Gouvernement auquel vous appartenez et que soutient l’actuelle majorité parlementaire en ont ajouté et en ajoutent encore, avec la loi TEPA et les autres textes votés depuis le printemps 2007 !
Le candidat du travail est devenu le Président des déficits, de déficits sans cesse croissants, alimentés et s’alimentant des injustices fiscales qui ont été dénoncées tout à l’heure, des injustices économiques sans cesse plus criantes qui brisent le pacte républicain !
Le présent texte n’échappe d’ailleurs aucunement à ce processus. Ainsi, on annonce 2,6 milliards d’euros pour les ménages, au travers de mesures affectant le produit de l’impôt sur le revenu ou conduisant à l’attribution quasi surréaliste de bons d’achat pour services à la personne et, dans le même temps, on prévoit d’ajouter 6,5 milliards d’euros en soutien au secteur automobile, à la demande expresse des entreprises !
Or, tout laisse à penser que ces sommes, qui sont prises sur les fonds publics, seront utilisées pour préparer les plans sociaux qui s’annoncent ou qui ont déjà été annoncés, ou les départs volontaires que les grands groupes du secteur, les équipementiers et leurs sous-traitants, vont mettre en œuvre dans les mois à venir !
L’argent public au secours de l’amélioration du profit d’entreprises confrontées à la crise : il fallait y penser ! Mais cela ne m’étonne pas, d’autant que ce n’est pas la première fois !
Un véritable changement de politique s’impose. Sauf à décider de creuser encore plus les déficits et d’éloigner plus encore la sortie de crise.
Un tel changement nécessite de sortir aussi de la méthode Coué qui consiste à dire, par monts et par vaux, devant le public choisi de réunions publiques largement encadrées par un déploiement policier sans équivalent, qu’on a fait les bons choix et qu’il faut attendre pour mesurer leur efficacité !
Les Français et les Françaises ne veulent plus attendre. Et le voudraient-ils qu’ils ne le peuvent plus ! C’est fort de ces aspirations, de cette exaspération et de cette exigence d’autres choix que nous participerons à la discussion de ce projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Henri de Raincourt.
M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, la période troublée que nous traversons se caractérise par une perte de repères financiers, économiques, budgétaires mais aussi politiques et parfois même, hélas ! moraux.
Des piliers de la finance internationale se sont effondrés ou affaissés. Des mythes, comme celui de l’argent facile, se sont écrasés contre le mur de la réalité économique et les gourous d’hier sont aujourd’hui brûlés sur le bûcher des vanités.
M. Jean-Louis Carrère. Le Fouquet’s !
M. Henri de Raincourt. Le monde vit au rythme des scandales et des dépréciations d’actifs, au point que les établissements de crédit ont perdu confiance dans les entreprises et en eux-mêmes.
Maastricht paraît bien loin et chaque collectif budgétaire constate une aggravation des déficits publics. Des secteurs économiques entiers sont fragilisés et des dizaines de milliers d’emplois supprimés ou menacés, parfois dans des conditions humaines indignes.
Pendant ce temps, certains continuent à s’attribuer des avantages qu’ils n’ont pas toujours mérités, sans prendre la mesure de la crise économique et sociale que nous traversons.
D’autres perdent leur temps, et le nôtre, dans des débats périphériques et idéologiques, bien loin des enjeux d’aujourd’hui et des préoccupations des Français. Il est vrai qu’il est plus facile de désigner des boucs émissaires que de regarder la réalité en face et de trouver des remèdes.
M. Jean-Louis Carrère. Et que faites-vous ?
M. Henri de Raincourt. Devant cette perte de repères, je veux, au nom du groupe UMP du Sénat, rappeler nos valeurs, nos priorités et notre stratégie.
Notre première valeur est le travail ; notre première priorité est l’emploi ; notre stratégie est le soutien à l’investissement et à l’activité, car ce sont les entreprises qui créent des emplois et qui distribuent des salaires, donc du pouvoir d’achat.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Henri de Raincourt. C’est tout le sens de la politique que nous avons engagée depuis le début de cette législature et qui a été renforcée avec le plan de relance.
En octobre, le plan de soutien aux banques a permis de préserver l’épargne des Français et d’assurer la stabilité de notre système financier, parallèlement aux initiatives lancées par la France sur le plan international, initiatives que nous espérons voir aboutir lors du prochain G20, cette semaine.
La garantie exceptionnelle de 360 milliards d’euros apportée par l’État a permis de rétablir la confiance pour que les banques puissent continuer à financer l’économie et à prêter aux entreprises, aux collectivités et aux particuliers.
La création du Fonds stratégique d’investissement permettra de stabiliser les entreprises vulnérables et d’investir dans l’avenir tout en défendant les intérêts stratégiques de notre nation.
Ce dispositif a été complété, sur le plan fiscal, par l’exonération de taxe professionnelle sur les nouveaux investissements réalisés entre le 23 octobre 2008 et le 31 décembre 2009, en attendant la suppression complète de la part de cette taxe pesant sur les investissements productifs.
Notre groupe a pris bonne note de l’engagement du Gouvernement de trouver des recettes équivalentes pour les collectivités territoriales et il sera très attentif aux modalités qui seront proposées.
Le soutien de l’investissement et de l’activité est aussi au cœur du plan de relance de l’économie de 26 milliards d’euros annoncé le 4 décembre dernier par le Président de la République et voté par le Parlement en janvier.
Il traduit également, sur le plan législatif, le Pacte automobile conclu le 9 février pour assurer l’avenir de notre outil industriel et préserver un secteur stratégique pour notre économie et nos emplois.
Mais ce collectif budgétaire concrétise surtout les engagements du Gouvernement pour garantir la justice sociale et la solidarité à l’égard de nos compatriotes les plus fragiles. Car la solidarité est aussi l’une de nos valeurs cardinales. Oui, nous avons le devoir de protéger les plus vulnérables, en particulier les chômeurs et les jeunes qui arrivent sur le marché de l’emploi, sans oublier les classes moyennes modestes, qui subissent également la crise.
Ce collectif budgétaire traduit donc dans la loi les mesures qui ont été décidées lors du sommet social du 18 février dernier : il dote le Fonds d’investissement social de 800 millions d’euros supplémentaires.
Pour soutenir le pouvoir d’achat, ce texte prévoit une réduction des deux tiers de l’impôt sur le revenu des ménages modestes, ce qui revient, pour les 4 millions de ménages dont les revenus se situent dans la première tranche d’imposition, à un gain moyen par foyer de plus de 200 euros. En outre, près de 2 millions de foyers dont les revenus atteignent la deuxième tranche verront également leur impôt diminuer. Ce sont ainsi 6 millions de ménages qui bénéficieront d’une réduction significative de leur imposition en 2009, pour un coût global de 1,1 milliard d’euros. C’est bien de la distribution de pouvoir d’achat !
Ce volet social est complété par le versement d’une prime de 150 euros à 3 millions de familles aux faibles revenus ayant des enfants scolarisés et de bons d’achats de services à la personne de 200 euros pour des personnes en perte d’autonomie et des parents d’enfants handicapés.
Il s’agit donc, mes chers collègues, de mesures concrètes que je me plais à rappeler parce qu’on les oublie parfois dans le débat qui agite en ce moment l’opinion et les médias et qu’elles sonnent, de notre point de vue, comme autant de démentis aux allégations de ceux qui caricaturent en permanence la politique que nous menons depuis presque deux ans.
Ce collectif budgétaire est à la fois économique et social. Il convient de ne pas détourner pas le débat en abordant des sujets fiscaux qui, selon nous, n’y ont pas leur place et relèvent d’un débat de loi de finances sur la structure de nos prélèvements obligatoires.
C’est pourquoi, je tiens à l’indiquer dès à présent, nous ne soutiendrons aucune des propositions de nos collègues qui visent à remettre en cause la politique fiscale du Gouvernement.
De la même manière, nous pensons que la question de la sur-rémunération des dirigeants n’a certainement pas sa place dans la discussion de ce texte.
La majorité, autour du Président de la République, je veux le rappeler, a collectivement et unanimement considéré il y a peu que procéder par voie réglementaire serait plus rapide, et donc plus efficace. Un décret a été publié aujourd’hui au Journal officiel pour mettre fin à ces pratiques qui ont toujours cours dans certaines entreprises soutenues par l’État.
La crise nous commande d’être réactifs. Alors qu’il nous faudra peut-être, dans les prochains mois, examiner de nouvelles mesures pour y faire face, nous avons le devoir d’être cohérents et responsables.
Il faut trouver l’équilibre entre l’activité et la solidarité : ces notions sont pour nous indissociables de celle de responsabilité. Nous assumons totalement notre refus de compenser les pertes de recettes fiscales par de nouvelles hausses d’impôts, de manière à ne pas pénaliser l’activité ni décourager les contribuables qui font tourner la « maison France ».
Nous assumons aussi le choix de maintenir le cap de la maîtrise des dépenses courantes de l’État et du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique.
En privilégiant la relance par l’investissement, nous n’entendons pas sacrifier l’avenir, bien au contraire. Soutenir l’investissement aujourd’hui, c’est renforcer la compétitivité de notre économie, c’est préparer les emplois de demain, c’est nous doter des meilleurs atouts lorsque la croissance reviendra.
Nous sommes persuadés que notre pays surmontera d’autant plus rapidement cette crise qu’il aura confiance dans l’avenir.
Mes chers collègues, notre responsabilité politique est de dire la vérité aux Français, d’être à leur écoute, d’aider les plus fragiles, mais aussi de mettre en œuvre une stratégie cohérente et de tenir, coûte que coûte, le cap des réformes.
M. Gérard Cornu. Très bien !
M. Henri de Raincourt. C’est cet ensemble qui fera le succès de la France lorsque la croissance sera de retour.
C’est dans cet état d’esprit constructif que le groupe UMP aborde l’examen de ce projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs mois, chaque jour apporte son lot de mauvaises nouvelles : défaillances d’entreprises en cascade, multiplication des plans sociaux dans les usines et cortèges de licenciements.
Le chômage connaît une remontée fulgurante, plongeant ainsi une grande partie de nos concitoyens dans l’angoisse du lendemain et tout notre pays dans la spirale de la récession.
Dans le contexte d’une crise mondiale, la France ne fait pas exception si l’on s’en tient aux indicateurs traditionnels. Fort recul du PIB, dégradation du déficit public, dette publique explosive : les indicateurs sont au rouge et le tableau économique est sombre, si sombre qu’on le compare à celui qui a été déclenché par le fameux « jeudi noir » de 1929.
Dans cet enfer, certains arrivent tout de même à trouver des coins de paradis… Car, comme si cela ne suffisait pas, l’indécence s’ajoute à la difficulté par l’existence de paradis fiscaux et de rémunérations excessives de dirigeants d’entreprises aidées par l’État.
Un pays comme le nôtre, pour lequel les valeurs de solidarité et de justice ont un sens, ne peut pas, ne doit pas se satisfaire d’un tel décalage entre ceux qui subissent la crise et ceux qui en profitent. On ne saurait rester inerte lorsque nombre de nos concitoyens ne savent pas comment ils vont boucler leur fin de mois tandis que d’autres s’interrogent sur le meilleur moyen de faire fructifier, si possible à l’abri, leur argent de poche !
Certains d’entre vous trouveront peut-être ces propos caricaturaux. Il reste que, sur le terrain, la réalité rattrape les élus de proximité : nous sommes nombreux sur ces travées à faire le constat amer d’une demande toujours plus forte d’aide sociale.
Dans cette chronique de l’insoutenable, mes chers collègues, se pose encore une fois l’inévitable question du bouclier fiscal. De loi de finances rectificative en loi de finances rectificative, malgré l’effet de ciseaux qui hypothèque de plus en plus l’avenir des finances publiques, le Gouvernement semble persister dans sa surdité.
Pourtant, des voix s’élèvent, même dans les rangs de la majorité, pour dénoncer un dispositif qui pose des problèmes d’équité fiscale mais également d’efficacité économique. Je l’ai dit la semaine dernière à l’occasion de l’examen de la proposition de loi de nos collègues du groupe CRC-SPG, la crise économique justifie aujourd’hui la suppression du bouclier fiscal.
Plus généralement, il serait temps de revenir enfin au principe d’égalité devant l’impôt, inscrit dans la Constitution, ainsi qu’au principe de progressivité, si cher au radical Joseph Caillaux.
Ces deux principes, qui n’existent plus dans les faits à force d’exonérations, de niches et de parapluies divers et variés, doivent être rétablis parce qu’ils sont au fondement de l’esprit républicain.
Certes, pour calmer les esprits, le présent projet de loi de finances rectificative prévoit la réduction des deux tiers de l’impôt sur le revenu. Cette mesure, évidemment insuffisante, a au moins le mérite de corriger un peu le déséquilibre entre les soutiens à l’investissement, massifs, et ceux qui sont destinés à la consommation, jugés par moi trop faibles depuis la mise en œuvre du plan de relance.
Cependant, sur la forme, je constate que, si l’idéologie a guidé la mise en place du bouclier fiscal, ce sont plutôt les circonstances qui ont suscité ce nouveau dispositif à l’article 1er. Cela m’amène à constater que ce sont les plus fragiles qui servent, une fois de plus, de variable d’ajustement. C’est très regrettable, notamment au regard des principes de justice sociale que j’évoquais à l’instant.
Je voudrais conclure mon intervention en esquissant la voie qu’il serait nécessaire d’emprunter pour répondre aux défis posés par cette crise. Car, au-delà des indispensables plans de relance qui valent pour l’immédiat, nous devons réfléchir à la manière de dépasser un système capitaliste exclusivement dopé au libéralisme économique et financier, pour aller vers des modèles de développement humain mettant en avant des critères sociaux, écologiques, sanitaires ou même civiques.
Bien entendu, cette vision suppose un minimum de convergences au niveau mondial. À la veille du G20, la réticence des Américains sur la mise en place d’une réforme du capitalisme financier laisse, hélas ! présager un immobilisme en la matière, à moins que les Européens fassent preuve de fermeté. Il le faudrait, car nous savons que la crise a démarré chez ceux qui veulent aujourd’hui déterminer ce qui est prioritaire, mais aussi ce qui ne l’est pas. C’est un comble !
Du reste, il n’est pas étonnant que les États-Unis continuent de se comporter en leader quand l’Europe démontre sa faiblesse politique. Solidaire dans les discours, l’Union européenne subit dans les faits les différents plans de relance nationaux. Au final, c’est plus une addition de « stratégies hexagonales » qu’un véritable effort de coordination qui caractérise aujourd’hui l’Europe économique.
À l’approche des élections européennes, j’espère que tous ceux qui partagent l’idée d’une nécessaire harmonisation des politiques économiques et budgétaires des États membres se mobiliseront.
Mes chers collègues, faisons en sorte que les Français voient en l’Europe une éclaircie plutôt que le réceptacle de leur désarroi. En attendant, les sénateurs radicaux de gauche et la majorité des membres du RDSE ne pourront pas voter en faveur de ce nouveau projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi de finances rectificative que nous examinons aujourd’hui prévoit un déficit des finances publiques de la France de 104 milliards d’euros, chiffre jamais atteint !
Ce chiffre est inquiétant en lui-même parce qu’il atteste le délabrement de nos finances publiques mais aussi en ce qu’il nous indique à quel point les marges de manœuvre sont aujourd’hui limitées pour faire face à la crise.
Cette situation préoccupante s’explique en grande partie, me semble-t-il, par la politique fiscale conduite par la droite depuis 2002 en France, et c’est ce que j’entends maintenant démontrer.
Pour introduire mon propos, j’évoquerai la situation actuelle aux États-Unis, première économie mondiale et pays, comme vous le savez, où est née cette crise majeure que nous traversons aujourd’hui.
Le Président Sarkozy s’est longtemps flatté qu’on le surnomme « Sarkozy l’Américain » ; il prétendait introduire en Europe « ce qui marche », c’est-à-dire, à ses yeux, la politique économique qui était mise en œuvre aux États-Unis par Georges Bush. Il fallait rompre, disait-il, avec la vision européenne de l’État-providence, cette vieille lune sociale-démocrate, dispendieuse et ringarde.
L’un des exemples les plus cocasses de ce discours fut, vous vous en souvenez, la proposition formulée durant la campagne présidentielle d’introduire les prêts immobiliers hypothécaires destinés à faire de la France une « société de propriétaires ».
Hélas, cette politique américaine s’est révélée être un échec. Elle a conduit à inverser le sens de la redistribution puisque, sous la présidence Bush, les États-Unis ont vu s’exercer un transfert annuel de quelque 150 milliards de dollars des couches populaires vers la fraction de 1 % des plus riches. Il en est résulté le déclassement des couches moyennes, entrées dans une spirale de pauvreté.
Les instruments fiscaux qui ont conduit à ce désastre ressemblent beaucoup aux vôtres et sont à peine plus caricaturaux : baisse de la fiscalité sur le patrimoine, réduction des impôts progressifs à la portion minimale au profit d’une fiscalité proportionnelle, ainsi que d’une fiscalité d’entreprise qui encourage la rente et pénalise l’investissement productif.
Heureusement, Barack Obama, comme jadis Roosevelt lors du New Deal, revient aux fondamentaux de l’économie réelle. Le nouveau président américain, tout en baissant de 250 milliards de dollars les impôts des plus modestes, s’apprête à relever l’impôt des grandes fortunes américaines, en même temps qu’il prévoit de limiter réellement les scandaleuses rémunérations des patrons des sociétés maintenues en vie grâce aux perfusions du Trésor.
Pour une fois, nous aimerions, madame la ministre, monsieur le ministre, que votre gouvernement s’inspire de ce qui se fait outre-Atlantique. Le président Sarkozy pourrait ainsi méditer ce propos de Roosevelt : « Gouverner, c’est maintenir égales pour tous les balances de la justice. »
Cela étant, attribuer toute la responsabilité au seul président Sarkozy serait malhonnête. Il dispose de solides complicités au sein de la majorité, car ses malencontreuses options ne datent pas d’hier. Dès le retour de la droite au pouvoir, en 2002, nous avons été obligés de constater une forte régression de la justice fiscale en France.
Dès 2002, en effet, votre politique prétendait renforcer la croissance, consolider l’emploi et le pouvoir d’achat. Pour y parvenir, il fallait, nous disait-on, diminuer les prélèvements obligatoires tout en réduisant la dette du pays et les déficits, afin de se redonner des marges de manœuvre.
Ici même, en 2003, on entendit qualifier de « cocktail gagnant » l’ensemble de mesures destiné à faire baisser l’impôt sur le revenu, les charges patronales, la fiscalité du patrimoine et l’impôt de solidarité sur la fortune. Rétrospectivement, ce cocktail nous apparaît plutôt être une potion empoisonnée !
En effet, de 2002 à 2007, si votre politique de baisse d’impôts a coûté au bas mot plus de 23 milliards d’euros à la collectivité publique, le taux de prélèvements obligatoires est resté quasiment inchangé. Comment expliquer cette stabilité alors que vous prétendiez diminuer les impôts ? Il suffit d’observer que, contrairement à vos promesses, vous n’avez pas réellement réduit le niveau d’imposition. Vous avez simplement concentré les prélèvements sur les classes moyennes pour mieux décharger vos clientèles électorales de leur devoir de solidarité nationale.
De 2002 à 2007, les foyers dont les revenus étaient compris entre 15 et 20 fois le SMIC ont profité, en moyenne, d’une baisse d’imposition comprise entre 3 000 et 12 000 euros par an ! En taillant en pièces le principe de progressivité de l’impôt, vous avez réussi la gageure d’inventer la redistribution à rebours : prendre aux pauvres pour donner aux riches !
C’est dans le même esprit que vous avez menti aux Français lorsque vous promettiez que le bouclier fiscal devait profiter aux classes moyennes et modestes. Nous avons entendu plusieurs fois de tels propos dans cet hémicycle. De fait, en 2008, ce sont 834 contribuables disposant d’un patrimoine moyen de 15,5 millions d’euros qui ont reçu de l’État un chèque d’un montant moyen atteignant 368 000 euros.
Au total, ce dispositif nous coûte la bagatelle de 307 millions d’euros. Même Dominique de Villepin, qui en est l’instigateur, s’en est inquiété il y a quelques jours dans les colonnes du journal Le Monde !
Un sénateur de l’UMP. Ce n’est pas une référence !
M. François Marc. Dès 2002, vous prétendiez également améliorer l’attractivité fiscale du pays et permettre l’épanouissement des entreprises. Il fallait, disait-on, « libérer les énergies », selon un slogan alors à la mode. Vous avez donc abaissé l’impôt sur les sociétés, créé un dégrèvement de taxe professionnelle, réduit l’imposition des plus-values, pour ne rien dire de l’exonération d’ISF, à hauteur de 75 %, sur les actions et les parts sociales. Vous avez multiplié les mesures dérogatoires, qui portent aujourd’hui le nombre de « niches fiscales » à plus de cinq cents ! En 2003, elles coûtaient déjà plus de 50 milliards d’euros à l’État. Je n’ose imaginer à combien s’élèvera leur montant en 2009…
Cette stratégie fiscale désastreuse a encore été accentuée depuis 2007.
Loin de revenir sur les choix fiscaux antérieurs, le gouvernement Fillon a aggravé l’injustice fiscale. Dans la lettre de mission qu’il vous a adressée en 2007, madame la ministre, et conformément à la promesse faite au MEDEF lors de son université d’été, le Président exigeait une baisse des impôts de quatre points sur les dix prochaines années.
La loi dite « TEPA », votée dès juillet 2007, a ainsi permis aux grandes fortunes d’échapper à l’ISF en autorisant la déduction des sommes investies dans les PME jusqu’à 50 000 euros. Si l’on y ajoute le bouclier fiscal et les autres niches, on se demande bien ce qu’il leur reste à payer !
Au prétexte que vous diminuez les recettes, vous vous êtes attaqués aux fondements du service public à la française en prétendant le moderniser.
Qu’on ne se méprenne pas sur le sens de mes propos : nous sommes d’accord sur la nécessité de moderniser l’État. Oui, il faut que le service rendu à nos concitoyens soit le meilleur possible. Oui, dans un contexte de raréfaction des ressources, il faut des réformes. Mais les choix budgétaires que vous avez effectués se cantonnent trop souvent à une vision purement financière, sans réelle prise en compte des besoins des usagers, comme nous le constatons en matière d’hôpitaux ou d’écoles.
Outre les restrictions imposées, vous opérez un tour de passe-passe qui consiste à transférer le coût de fonctionnement des services publics du contribuable vers l’usager. Ce que vous enlevez de la feuille d’impôt, les Français le retrouvent à la facturation. Cette stratégie pénalise évidemment les plus modestes, qui ont du mal à s’acquitter des augmentations de tarifs des services publics.
L’État fait aussi porter cet abandon de recettes par les collectivités. L’acte II de la décentralisation, qui devait être une nouvelle ère pour les politiques locales, s’avère n’être qu’un corset de fer. Le transfert massif de charges n’a pas été compensé comme il aurait dû l’être, ce qui contraint les élus locaux à pallier les carences du Gouvernement. Les dégrèvements de taxe professionnelle et, bientôt, la suppression pure et simple de celle-ci conduiront à ce que le principe d’autonomie fiscale, pourtant inscrit dans la Constitution, reste lettre morte.
Grâce à la décentralisation, l’État détricote l’impôt progressif pour mieux en reporter le coût sur les impôts locaux qui sont, eux, des impôts proportionnels : les collectivités ont bon dos ! Le Gouvernement peut ensuite leur faire la leçon, sur l’air des dépensiers qui ne jurent que par les taxes. Il est pourtant bien heureux de s’appuyer sur l’investissement des collectivités, sans lequel son plan de relance est voué à l’échec. N’oublions pas que ce sont les collectivités qui assurent jusqu’à 73 % de l’investissement public !
Admettez, madame la ministre, que, compte tenu de la dette endémique qui grève nos finances, l’État peut difficilement s’ériger en donneur de leçons.
Depuis l’arrivée de la droite au pouvoir, la dette liée aux déficits n’a cessé de croître. Elle sera au mieux de 73,9 % du PIB en 2009, pour un déficit de 5,6 %, très loin du seuil autorisé par nos engagements européens.
La politique menée depuis 2002 ne mérite d’être associée qu’à deux vocables : électoralisme et « court-termisme ».
Dans son rapport annuel pour 2008, la Cour des comptes estime que, si la dette publique continuait d’évoluer au même rythme, elle atteindrait 85 % du PIB en 2012 ; et encore n’est-ce là qu’une hypothèse optimiste !
Madame la ministre, il est urgent de dire la vérité aux Français et de comprendre que les privilèges fiscaux d’aujourd’hui sont les hausses d’impôts de nos enfants !
À l’heure où l’État injecte des milliards dans l’économie, notamment dans les banques qui continuent de verser des rémunérations faramineuses aux responsables de la crise, il est du devoir du Gouvernement de rétablir l’équité en sollicitant davantage les hauts revenus.
Rappelons que l’une des premières mesures prises par Roosevelt, qui n’était pas vraiment un gauchiste, après la crise de 1929 a été d’augmenter le taux marginal d’imposition, pour le porter à 63 % en 1932 et à 91 % en 1941. Votre gouvernement, qui prétend lutter contre les inégalités, devrait s’en inspirer !
Il faut cesser de justifier votre laxisme fiscal par l’efficacité économique, car cela ne marche pas. Il faut d’urgence changer votre politique fiscale, inefficace et injuste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)