M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Après les excellentes interventions des rapporteurs et des orateurs qui m’ont précédé, je souhaite m’affranchir des rites habituels de la discussion budgétaire et me concentrer sur deux séries de questions, que j’adresse au Gouvernement.
La première série comprend trois questions et concerne le découpage du déficit de 104 milliards d’euros en un déficit structurel et un déficit de crise.
Premièrement, le déficit de crise est-il vraiment réversible et quelle sera la durée de cette réversibilité ? Deux ans ? Cinq ans ? Dix ans ?
Deuxièmement, les allégements de charges sociales, que nous traînons depuis dix ans, font-ils partie du déficit structurel ou du déficit de crise ? Envisagez-vous de les réduire progressivement dès que la conjoncture s’améliorera ?
Troisièmement, la suppression, compensée par l’État, de la part investissements de la taxe professionnelle dès 2010 sera-t-elle imputée au déficit de crise ou au déficit structurel ?
Mme Nicole Bricq. Bonne question !
M. Jean-Pierre Fourcade. Cela ne risque-t-il pas d’aggraver le déficit structurel ?
Ma deuxième série de questions concerne l’augmentation, nécessaire, de la dette publique. En effet, de nombreuses autorités l’ont dit avant moi, face à la gravité de la crise, on ne se demande plus comment réagir : on est obligé d’augmenter la dette.
Cela étant, puisque cette augmentation est nécessaire et que la dette représentera, dès cette année, près de 75 % du produit intérieur brut, nous devons améliorer nos méthodes. À cet égard, je vous poserai encore, madame la ministre, monsieur le ministre, trois questions.
S’agissant tout d’abord des mécanismes d’emprunt sur le marché international, avec lequel nos amis anglais ont eu quelques difficultés la semaine dernière, des précautions sont-elles prises pour plafonner l’augmentation des taux d’intérêt qui risque de se produire ?
Certes, actuellement, les taux d’intérêt baissent ; nous le constatons avec les bons du Trésor. Ils risquent cependant de remonter. Par conséquent, recourt-on à ces systèmes fort compliqués qui consistent à se garantir pour éviter de se trouver confrontés à une augmentation des taux d’intérêt ?
Ensuite, peut-on trouver de nouvelles formules d’emprunt ? Aujourd’hui, vous recourez très largement, madame la ministre, aux bons du Trésor, dont l’encours a atteint ce mois-ci 45 milliards d’euros. Je reconnais que les taux baissent, les dernières adjudications s’étant faites à 0,82 %, ce qui est satisfaisant pour des bons du Trésor à un an et prouve que l’évaluation des charges de la dette associée au budget sera respectée. Ne peut-on pour autant envisager de nouvelles formes d’emprunt ? Je songe par exemple à des bons du Trésor dont l’échéance pourrait aller jusqu’à dix ans et qui nous permettraient d’être moins tributaires du marché international.
Sur ce marché international, l’écart de taux avec les Allemands est aujourd’hui de 50 points de base. Avec la Grèce et l’Irlande, cet écart est de 250 points de base. Ne risque-t-on pas de voir se creuser les écarts de taux, au fur et à mesure que tous les États vont emprunter, ce qui entraînera sans doute des difficultés ?
Enfin, j’ai constaté que la société de prises de participation de l’État n’empruntait pas par l’intermédiaire de l’Agence France Trésor. Par conséquent, son écart de taux avec nos voisins allemands est non pas de 50, mais de 70 ou 75 points de base. Pour faire des économies et compte tenu de l’importance des emprunts que nous lançons et allons lancer, ne pourrait-on pratiquer des méthodes plus économiques ? Certes, l’Agence France Trésor se réserve un droit de veto pour les appels de fonds, mais ne pourrait-on préférer le système de collecte qui nous coûte le moins cher au principe de cloisonnement des activités si prisé par tous les Français ?
Ces quelques questions techniques ne m’empêchent pas, madame la ministre, monsieur le ministre, d’apporter mon appui et mon soutien au projet de loi de finances rectificative que vous nous présentez. Il me paraît cependant nécessaire de prendre du recul et de faire preuve de lucidité pour l’avenir, et de mettre en chantier, dès maintenant, les instruments monétaires et fiscaux qui devront impérativement baliser, demain ou après-demain, la sortie de crise. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, pour la quatrième fois en quatre mois, le Sénat est amené à examiner un projet de loi de finances rectificative dont l’objet premier est d’atténuer les effets de la crise financière et de juguler une récession économique dans laquelle notre pays s’enfonce chaque jour davantage.
Avec, cette année, une « croissance négative » d’au moins 1,5 %, la tâche sera difficile.
M. Gérard Longuet. En français, cela s’appelle une décroissance !
M. Aymeri de Montesquiou. L’environnement international est mauvais, voire catastrophique pour les pays les plus atteints par la crise.
Les États-Unis, première puissance économique, voient leur production industrielle tomber au plus bas depuis sept ans. Selon la Réserve fédérale, 48 % des entreprises industrielles estiment que leurs conditions d’activité ne cessent d’empirer, avec un indice de commandes plongeant de 14 points, pour s’établir au niveau record de moins 44,8 points !
En France aussi, l’environnement économique demeure très difficile. Les chiffres sont tous, ou presque, convergents. La révision des hypothèses économiques conduit à des moins-values de recettes fiscales de 6,3 milliards d’euros, dont 3,5 milliards d’euros pour la TVA. Les recettes non fiscales sont également revues à la baisse de 1,1 milliard d’euros par rapport à la loi de finances initiale, sous l’effet de la diminution des recettes attendues des participations de l’État et malgré les recettes nouvelles issues de la garantie apportée par l’État en faveur de la Société de financement de l’économie française.
Le solde budgétaire associé à ce collectif est de moins 103,8 milliards d’euros ; il se creuse de 17 milliards d’euros par rapport à la dernière loi de finances rectificative ! À ce propos, madame le ministre, vous avez le courage de ne pas dissimuler que le problème est grave et que la dégradation de nos finances publiques conduira à un déficit de 5,6 %, voire de 6 % du PIB.
Ce contexte de récession économique mondiale ne nous impose que davantage de maîtriser notre niveau de dépense et d’endettement publics : plus nous maîtriserons notre déficit, plus vite nous pourrons rétablir nos finances.
Le débat d’aujourd’hui nous offre l’occasion de dresser un premier bilan des mesures mises en œuvre ces derniers mois et de convaincre du bien-fondé de celles qui sont proposées aujourd’hui.
Le Gouvernement, qui s’est montré très réactif, s’est fixé deux objectifs majeurs : d’une part, mobiliser l’ensemble de nos partenaires européens pour parler d’une même voix et fixer de nouvelles règles de politique économique ; d’autre part, mettre en place une fiscalité incitative, afin d’encourager l’investissement de nos entreprises tout en prenant les mesures indispensables d’aide aux ménages les plus fragiles.
Dans une telle situation de crise, l’opportunité du bouclier fiscal peut, une fois de plus, être contestée. En effet, à un moment où le chômage augmente, avec des risques certains d’aggravation d’ici à la fin de l’année, il est impossible à ceux qui ont perdu ou qui craignent de perdre leur travail de ne pas éprouver un profond sentiment d’injustice lorsque l’État signe des chèques en faveur des plus hauts revenus, même s’ils comprennent l’idée selon laquelle on ne peut pas faire payer des impôts supérieurs à 50 % des revenus. Ce sentiment d’injustice va nuire à la stabilité de la France, ce qui pourrait avoir un effet très négatif sur les investissements étrangers et donc susciter une aggravation du chômage.
Donnons tort à Michel Colucci, dit Coluche, qui, sous le premier septennat de François Mitterrand, observait : « Il paraît que la crise rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres. Je ne vois pas en quoi c’est une crise : depuis que je suis petit, c’est comme ça ! »
Au vu des circonstances économiques exceptionnelles, il serait opportun de suspendre ce système afin de réconcilier équité fiscale et justice sociale. Il s’agit non pas de s’engager sur la voie stérilisante d’une hausse des impôts, mais plutôt d’adapter le système du bouclier fiscal aux impératifs de la crise. Ici aussi, ce serait faire preuve de réactivité !
Dans cet état d’esprit, je souligne l’initiative prise par le Sénat et la commission des finances en décembre 2008 afin que nos marges de manœuvre budgétaire ne soient pas réduites par nos moins-values fiscales. En premier lieu, je demeure persuadé que la réorganisation des niches fiscales, voire la suppression de certaines d’entre elles doivent être engagées au plus vite. En second lieu, il me semble indispensable que tout avantage fiscal ou social accordé aux entreprises soit compensé par des engagements fermes en termes de créations d’emplois, de relocalisation sur notre territoire et de politique salariale.
Face à la crise, notre capacité de proposition est essentielle, et ce collectif budgétaire concrétise de nouveaux engagements du Gouvernement pour accompagner notre pays sur le chemin de la relance économique et de la justice sociale. Si M. le rapporteur général laisse espérer que le creux de la crise n’est pas loin, je conclurai avec Khalil Gibran : « Nul ne peut atteindre l’aube sans passer par le chemin de la nuit. »
Mme Nicole Bricq et M. Thierry Foucaud. Après la pluie, le beau temps !
M. Aymeri de Montesquiou. Je voterai donc ce collectif budgétaire exceptionnel. À situation de crise exceptionnelle, collectif exceptionnel ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. le président. La parole est à M. François Rebsamen.
M. François Rebsamen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à ce moment du débat, je crois pouvoir dire que nous partageons tous un constat : l’ampleur de cette crise mondiale et de ses conséquences pour notre pays. Un chiffre, qui frappe les esprits et touche au plus profond de notre société, peut sans doute le résumer : depuis le début de l’année, nous comptons environ 80 000 chômeurs de plus chaque mois.
Révision après révision, le Gouvernement constate donc les dégâts. Il est loin le temps des prévisions du début de l’été 2008, et je sens tout de même moins d’arrogance dans les propos.
Aujourd’hui, cela peut se comprendre, le Gouvernement ajuste ou tente d’ajuster ses prévisions en gardant une bonne dose d’optimisme, cependant que le Président de la République, quelquefois, affiche un certain pessimisme et noircit la situation. Il est difficile de naviguer entre les deux !
Il en est de même des prévisions gouvernementales. Elles tablent désormais, pour 2009, sur un taux de « croissance » de moins 1,5 % ; mais un consensus semble se dégager sur l’hypothèse d’un taux sûrement plus proche – mais je ne voudrais pas donner à mon tour l’impression de chercher à noircir le tableau – de moins 2,5 % et d’un déficit public qui dépasserait alors 6 % du PIB.
Compte tenu de la situation économique, personne ne peut faire reproche au Gouvernement de nous soumettre un deuxième projet de loi de finances rectificative depuis le début de l’année. Il est malheureusement à craindre que nous n’ayons à en examiner un troisième avant l’été !
Je m’inscrirai dans la suite des propos de notre collègue François Marc en soulignant que, après s’être en quelque sorte « accroché » à sa position, le Gouvernement a bougé. Je me rappelle l’époque où il affirmait qu’il faisait déjà tellement pour le pouvoir d’achat des ménages et la consommation qu’il devait désormais privilégier l’investissement.
Nous n’avons rien contre les investissements qui pourraient être réalisés ou contre les prêts consentis au secteur de l’automobile – à condition bien sûr, comme le rappelait récemment notre collègue Martial Bourquin, que l’on en vérifie la destination et l’efficacité ! Mais voilà que, devant les journées de mobilisation sociale qu’a connues notre pays, le Président de la République a décidé qu’il fallait soutenir, sous la forme d’un crédit d’impôt, le pouvoir d’achat des contribuables dont le revenu imposable était inférieur à 12 475 euros. Ce qui était impossible, voire moqué quand nous le proposions devient soudainement intéressant, car telle est la volonté du Président de la République !
M. François Marc. Voilà !
M. François Rebsamen. Je rappellerai tout de même que, aujourd'hui comme hier, selon la logique du « multiplicateur keynésien » – et quel plaisir n’éprouve-ton pas à entendre de grands défenseurs du libéralisme ou du néolibéralisme y faire référence ! –,…
M. François Marc. Ça oui !
M. François Rebsamen. … 1 euro d’investissement public ou de transfert aux personnes à faible revenu crée 1 euro de PIB, tandis que 1 euro d’allégement fiscal n’augmente le PIB que de 0,5 euro.
M. François Marc. Eh oui !
M. François Rebsamen. Il est tout de même curieux, madame la ministre, de constater que les tenants de l’orthodoxie budgétaire, qui ne manquent jamais de se manifester lorsque nous proposons de nous préoccuper du pouvoir d’achat, des capacités de consommation des milieux modestes et des classes moyennes, ne font aujourd’hui aucune difficulté quand le Gouvernement nous propose de financer ces baisses d’impôt par le déficit budgétaire !
M. François Marc. Eh oui !
M. François Rebsamen. Et il était encore plus curieux d’entendre M. le ministre chargé du budget parler, comme il l’a fait tout à l’heure, de maîtrise de la dépense courante alors même que le déficit des comptes sociaux était de 10 milliards d’euros en période de croissance et qu’il avoisinera cette année, je le crains, les 20 milliards d’euros !
M. Woerth a affirmé qu’augmenter les impôts des plus aisés conduisait toujours à augmenter les impôts de tous.
M. François Marc. Ha ! ha !
M. François Rebsamen. Or c’est exactement le contraire qu’a fait le Gouvernement puisqu’il a diminué les impôts des plus aisés et augmenté les impôts indirects – la « taxe poisson », la taxe sur les assurances vie, etc. –, qui frappent proportionnellement davantage les moins aisés
Les conséquences sont malheureusement très visibles : se développe actuellement en France, et il faut y prendre garde, un sentiment d’injustice fiscale qui accroît la radicalité des mouvements sociaux ; nous le constatons tous sur le terrain. C’est la cohésion sociale même du pays qui est aujourd’hui atteinte ! Comment, en effet, mobiliser l’ensemble d’un pays face à la crise quand l’injustice fiscale est érigée en dogme ?
Pour les Français, cette injustice fiscale est symbolisée par plusieurs exemples. Je vais les citer de nouveau, mais nous n’aurons de cesse de les répéter.
C’est d’abord le bouclier fiscal : 834 VIP-contribuables qui possèdent un patrimoine de plus de 15 millions d’euros reçoivent un chèque de trop-perçu de 368 000 euros. Je vous le dis, c’est incompréhensible pour n’importe quel Français !
Ce sont ensuite les stock-options et autres rémunérations qui atteignent des sommes représentant des dizaines d’années de travail au SMIC, car c’est ainsi que les voient les salariés modestes.
Ce sont enfin des salaires de dirigeants qui rompent le consensus social et créent entre les revenus des inégalités dignes des pays en voie de développement.
Il ne peut y avoir, je le crois, de loi pour le secteur public et d’autodiscipline pour le secteur privé : ce qu’il faut, c’est de la justice pour tous !
J’ai envie, pour conclure mon propos, de dire à la majorité et au Gouvernement : abandonnez votre dogmatisme économique ! Faites fi de l’idéologie libérale ou néolibérale portée par le Président de la République pendant la campagne présidentielle ! Prenez exemple, puisque vous les aimez tant, sur les Anglo-Saxons : soyez pragmatiques ! Madame la ministre, vous savez ce que cela signifie : vous avez travaillé dans ces pays.
Convenons ensemble que des mesures qui peuvent se justifier en période de surchauffe économique, de pénurie de main-d’œuvre – je pense aux exonérations fiscales pour les heures supplémentaires – sont terriblement contre-productives en période de récession et de montée extraordinaire du chômage.
Pour retrouver des recettes fiscales, mais qui soient, cette fois, plus justes – je crois que c’est un souci que nous partageons –, n’hésitez pas à moduler les taux de l’impôt sur les sociétés en fonction de l’affectation du bénéfice réalisé : bonus quand les entreprises investissent, malus quand elles ne pensent qu’à servir les actionnaires ! Créez des contributions exceptionnelles pour celles qui réalisent des superprofits grâce à une politique des prix qui est finalement payée par les contribuables ; vous voyez certainement à quoi je fais allusion !
Madame la ministre, mes chers collègues, encore une fois, soyez pragmatiques. Vos dogmes sont dépassés. Pensez que justice sociale et justice fiscale vont de pair ! C’est en réalisant la cohésion sociale de notre pays que nous pourrons ensemble le mieux faire face à cette crise. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Leroy.
M. Philippe Leroy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’aborderai un point particulier de ce projet de loi de finances rectificative : la forêt, dont la tempête Klaus a détruit, les 24 et 25 janvier dernier, des centaines de milliers d’hectares dans les trois régions du Sud-Ouest.
Je tiens tout d’abord à dire notre solidarité aux amis de la forêt, aux sylviculteurs et à tous les professionnels de la filière bois qui ont subi les ravages de cette tempête. Il aura fallu à peine six heures, quelquefois, pour détruire l’œuvre d’une vie. Je veux donc adresser un message d’amitié à tous ceux qui ont été victimes de cette tempête et à nos collègues du Sud-Ouest qui s’exprimeront tout à l’heure, notamment Gérard César, en les assurant de notre soutien face à une catastrophe dont les blessures ne seront effacées qu’au terme de plusieurs années.
M. Jean-Louis Carrère. M. César ne sait pas que les Landes existent !
M. Philippe Leroy. Les Landes ont, bien sûr, subi cette tempête, mais il faut aussi parler des Pyrénées, avec les pins maritimes et les peupliers, mon cher collègue.
Mme Nicole Bricq. Il va en parler !
M. Jean-Louis Carrère. Il n’y en a pas dans les Pyrénées, mais il y en a dans le Lot-et-Garonne !
M. Philippe Leroy. Je voulais parler de la région Midi-Pyrénées.
Mes chers collègues, il faudrait éviter les particularismes régionaux trop étroits. Le sort de la forêt des Landes intéresse tout le pays, car un déséquilibre dans les Landes peut avoir des conséquences économiques en France et même en Europe.
M. Jean-Louis Carrère. Nous sommes d’accord !
M. Philippe Leroy. L’évaluation des dégâts fait déjà apparaître que cette catastrophe est probablement plus importante que celle de 1999. L’estimation porte sur près d’un million d’hectares en Midi-Pyrénées, Aquitaine et Languedoc-Roussillon.
Près de cinq années de récolte, soit 40 millions à 50 millions de mètres cubes de bois ont été abattus par le vent, laissant l’épouvantable désordre des chablis. Ont été en particulier frappés le pin maritime et le peuplier, deux essences dont l’économie du bois en France a éminemment besoin.
Avant d’évoquer les crédits mobilisés au titre du projet de loi de finances rectificative, je voudrais, madame la ministre, vous féliciter, ainsi que le Gouvernement, pour la rigueur avec laquelle vous avez réagi et vous rappeler à tous, mes chers collègues, que cette tempête touche, comme tout ce qui a trait à la forêt, les propriétaires, les usagers de la forêt, la filière industrielle du bois et, plus généralement, toute la société.
Elle touche, en premier lieu, les propriétaires, qu’ils soient privés ou communaux, ou même l’État, qui possède, sur le littoral, de forêts de protection d’une grande beauté. Les propriétaires vont se trouver privés des rémunérations normales qu’ils attendaient pour gérer leurs forêts. Il y aura là, à l’évidence, un manque à gagner tout à fait préjudiciable.
Cette tempête touche ensuite la filière industrielle, qui valorise le bois sorti des forêts et qui apporte aux propriétaires les revenus nécessaires.
À cet égard, mes chers collègues, je rappelle que la forêt française, qui couvre environ 30 % du territoire national, autofinance presque l’ensemble de son entretien. La forêt, en dépit des idées reçues, ne coûte pas cher en deniers publics. (M. Jean-Louis Carrère approuve.) Je rappelle aussi qu’elle emploie quelque 240 000 personnes, ce qui est loin d’être négligeable.
La filière industrielle du bois va subir dans le Sud-Ouest et au-delà des effets redoutables, notamment dans le domaine des produits transformés utilisés pour la construction, l’emballage, la pâte à papier ou l’ameublement.
Enfin, cette tempête touche la société, qui tire parti des services gratuits apportés par la forêt, et cela en tout point de l’Hexagone : la biodiversité, les paysages, le ressourcement en air et en eau ou encore, dimension dont l’importance est désormais reconnue comme majeure, le stockage du carbone.
Je voudrais d’abord insister sur les conséquences économiques immédiates de cette tempête, conséquences qui risquent d’être accentuées en 2009 par la crise économique frappant de plein fouet l’ensemble de l’économie : elle tirera vers le bas le prix des bois et entraînera une mévente des produits issus de la tempête. Par conséquent, les conséquences négatives sont doubles et extrêmement lourdes. Il en résultera une crise dans les Landes et dans tout le Sud-Ouest, qui se propagera aux régions voisines, à l’ensemble du marché national et probablement à l’Espagne, puisque celle-ci vit sur le même marché que nous.
La crise sera donc terriblement grave, touchant aussi des secteurs très importants auxquels on ne pense pas immédiatement, par exemple les pépinières forestières, qui préparent les plants nécessaires au reboisement. Elles ne les vendront pas cette année, car les terrains nécessaires aux plantations ne seront pas prêts. Les effets collatéraux de la tempête sont par conséquent très amples.
C’est dans ce contexte, mes chers collègues, qu’il convient d’envisager les crédits supplémentaires ouverts dans le cadre de ce projet de loi de finances rectificative.
Ces crédits, qui visent à financer les mesures d’urgence et à apporter les premières réponses cohérentes, en adéquation avec la réalité du terrain, ont été, à mon avis, bien calibrés, car nous avons l’expérience de 1999, qui nous a, hélas, appris comment faire face à ce type d’événement.
Ils permettront d’aider les trois cercles d’acteurs que j’ai évoqués tout à l’heure.
Au total, 68,9 millions d'euros en autorisations d’engagement et 70 millions d'euros en crédits de paiement sont ainsi prévus pour financer les mesures gouvernementales.
Tout d’abord, 3,95 millions d'euros en autorisations d’engagement et 5 millions d'euros en crédits de paiement sont destinés à financer le déblaiement d’urgence, car il s’agit d’abord de pouvoir de nouveau accéder à ces forêts, de façon à sortir le bois et à prendre les mesures de sécurité indispensables pour aborder l’été de façon optimale.
Par ailleurs, 50 millions d'euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement sont mobilisés pour la construction d’aires de stockage et le transport du bois. Il faudra en effet en stocker des centaines de milliers de mètres cubes, les scieries ne pouvant actuellement absorber tous les bois abattus aujourd'hui ; ainsi pourra-t-il être valorisé au mieux dans les années qui viennent. Il faudra ensuite le transporter, en essayant de l’envoyer loin, si possible vers l’Europe entière, pour trouver des débouchés. Telle est la raison pour laquelle des aides au transport au-delà de 150 kilomètres sont indispensables.
Enfin, 15 millions d'euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement sont prévus pour mettre en place les premières mesures de reconstitution des forêts sinistrées. Cet investissement est à l’évidence nécessaire pour que ces massifs forestiers restent utiles dans l’avenir.
Madame la ministre, au-delà de ces crédits, il est prévu à l’article 8 du présent projet de loi que l’État apportera sa garantie pour des prêts destinés aux opérateurs de la filière bois, dans la limite de 600 millions d'euros. C’est indispensable. Il faut fournir aux entreprises et aux opérateurs les financements nécessaires au transport, à la mise en place des stocks et à l’ensemble des mesures que l’ensemble des opérateurs publics et privés de la filière – collectivités territoriales, papeteries, scieries, coopératives – devront prendre pour mobiliser tout ce bois.
Nos collègues de l’Assemblée nationale ont en outre opéré l’ouverture de 40 millions d'euros d’autorisations d’engagement supplémentaires au titre de la reconstitution des forêts.
En définitive, je voudrais souligner, en tant que président du groupe d’études du Sénat « Forêt et filière bois », que nous avons ici, à travers ce projet de loi de finances rectificative, les moyens de prendre, cette année, les mesures d’urgence qu’appelle la situation. Toutefois, je tiens à attirer l’attention du Gouvernement sur un point : il ne faudrait pas, madame la ministre, que ces crédits déployés pour compenser les effets de la tempête se substituent dans le temps aux crédits normalement destinés à la filière bois.
En conclusion, mes chers collègues, je dirai que, en France, la forêt et la filière bois sont souvent décriées. Depuis trente ans, il est de bon ton de prétendre que, en France, la forêt est mal gérée et que l’industrie du bois ne fonctionne pas bien, qu’il est nécessaire d’importer parce que les industriels du bois ne satisfont pas la demande du marché.
Or la forêt française est, de l’avis général, l’une des plus belles du monde par sa diversité. Et c’est une forêt en bon état. J’ajoute l’industrie du bois en France n’a pas perdu d’emplois au cours des trente dernières années : le nombre de salariés y est constant. Rares sont les secteurs industriels qui affichent une telle stabilité. Il convient de préciser également que les industries du bois se sont totalement renouvelées : si le nombre de 240 000 emplois n’a pas varié, le contenu de ces emplois n’est pas du tout le même qu’il y a trente ans. La filière s’est considérablement modernisée ; elle a changé d’allure !
Je suis un ardent avocat de cette forêt. N’était la tempête, on pourrait dire qu’elle se porte bien, de même que les industries qui l’entourent également.
Cela étant, les réflexions menées à l’occasion du Grenelle de l’environnement, ont montré que la forêt française était perfectible. Du reste, madame la ministre, vous le savez bien, lorsque les effets de la tempête, qui seront malgré tout passagers – c’est pourquoi il faut d’urgence consentir des aides pour réparer les dégâts –, la forêt française peut, au cours des dix prochaines années, augmenter sa production de 15 millions à 20 millions de mètres cubes, qui alimenteront les industries du bois et qui nous permettront d’atteindre, comme nous en avons l’obligation, nos objectifs en matière d’énergies renouvelables.
J’y insiste : sans les récoltes de bois supplémentaires, nous ne parviendrons jamais – c’est un constat du Grenelle – à atteindre l’objectif de 20 % d’énergies renouvelables sur notre territoire.
C’est pour cette raison, madame la ministre, que la tempête Klaus et les déboires de nos amis du Sud-Ouest devraient nous donner l’occasion d’engager une réflexion plus large sur cette question.
Cette réflexion devrait d’abord porter sur un thème que mon collègue Gérard César va certainement aborder, à savoir la mise en place d’un système de garantie pour s’assurer contre des fléaux tels ceux que nous avons connus en 1999 et récemment.