M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. Très bien !
M. Michel Thiollière, rapporteur. Disons-le tout net : ce qui a été fait à ce jour n’est pas encore satisfaisant. Ce n’est pas suffisamment incitatif. Ce n’est donc pas une alternative assez crédible au piratage.
Il est une deuxième urgence : il faut inventer un nouveau modèle économique. Comme l’écrivait très justement un journaliste des Échos il y a quelques jours : « Les majors peinent à trouver la bonne réplique et restent encore trop dépendantes du modèle économique de l’âge d’or du disque. »
Cela signifie qu’il faut inventer un autre modèle associant opérateurs, fabricants, fournisseurs d’accès, acteurs de la création. Comme ils le font déjà dans tant d’autres activités, ils doivent mettre en place, ensemble, un modèle simple. Pour le coup, il faut aller vite ! Et cela ne dépend plus du législateur !
Tous ceux qui ont signé les accords de l’Élysée, il y a plus de dix-huit mois maintenant, nous ont demandé une loi et se sont engagés à faire, sur cette base, les efforts nécessaires. Nous y sommes. Nous attendons d’eux une réaction efficace et rapide.
Le Festival de Cannes ouvre ce soir, madame la ministre. Vous pourrez, j’en suis convaincu, porter la bonne nouvelle : la représentation nationale aura voté la loi « création et internet ».
Cependant, il faut aussi que le monde de la création considère cette étape non pas comme une fin en soi, mais comme le début d’une nouvelle complicité entre les internautes et les créateurs. La bataille n’est donc pas terminée.
Mes chers collègues, je vous remercie toutes et tous très sincèrement, plus particulièrement les membres de la commission des affaires culturelles et son président, Jacques Legendre, ainsi que Mme la ministre, dont j’ai apprécié l’écoute attentive. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici réunis dans cet hémicycle pour débattre une troisième fois du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.
Les polémiques qui ont entouré l’examen de ce texte n’ont finalement fait que ralentir le processus législatif et retarder l’adoption de mesures attendues même si leur forme est très contestée.
L’émotion et la passion ont parfois pris dans les débats le dessus sur la réflexion et le discernement. Nous n’avons pourtant cessé de le rappeler : l’enjeu majeur est bel et bien de protéger la création culturelle.
Finalement, après toutes les péripéties de ces dernières semaines, la énième version du texte que nous examinons enfin ce matin n’est guère différente de la version issue de la commission mixte paritaire que nous avions examinée le 9 avril. Que de temps perdu pour en revenir presque au même point !
Je ne reviendrai donc évidemment pas aujourd’hui sur le fond de ce texte, car j’ai déjà eu l’occasion de le faire à maintes reprises ici même.
Deux éléments, sur lesquels je souhaite uniquement et brièvement insister, me semblent fondamentaux quant à la bonne utilisation des nouveaux dispositifs et résument à eux seuls la philosophie qui doit nous guider dans la lutte contre le piratage des œuvres culturelles sur internet.
Avant tout, je retiendrai l’aspect pédagogique du texte. Cette étape d’éducation, de responsabilisation, notamment des plus jeunes citoyens, qui sont aussi les principaux utilisateurs des nouveaux moyens de communication, est fondamentale. La sensibilisation des consommateurs à la notion de droits d’auteurs est essentielle. Elle sera à l’avenir une des clés de la réussite du sauvetage de la production artistique.
Ceux qui téléchargent illégalement des œuvres culturelles sur internet ne respectent pas la création artistique. Ils doivent être informés et responsabilisés avant d’être réprimandés. Ils le seront grâce à ce texte.
Le principe de riposte graduée, qui s’appliquera dans la sphère familiale et éducative, est un outil efficace et pédagogique à l’égard des utilisateurs d’internet qui mettent en danger la création par leur comportement irresponsable.
L’ère du numérique est une grande chance pour la culture. L’accès à de plus en plus d’informations par le plus grand nombre est un outil extraordinaire que nous devons apprivoiser et utiliser dans le respect des codes.
J’en arrive au deuxième volet de mon intervention, madame la ministre. Permettez-moi d’insister sur la responsabilité qui est la nôtre, à nous sénateurs du groupe du RDSE, celle d’exiger du Gouvernement qu’il consacre davantage de moyens financiers, qu’il donne une orientation nouvelle à la politique culturelle et numérique de la France et, surtout, qu’il anticipe enfin les progrès technologiques à venir.
Cela passera, par exemple, par le développement d’une offre légale alternative de qualité et par la mise en place de la licence globale, à l’instar de ce que les États-Unis s’apprêtent à faire.
Beaucoup pensent que la politique culturelle française s’essouffle et décline. La démocratisation et la diversité culturelle ne doivent plus être brandies comme des leitmotivs, mais votre ministère doit tout mettre en œuvre pour les faire vivre concrètement sur le terrain.
Madame la ministre, nous arrivons enfin au terme d’un travail de très longue haleine. Espérons que les polémiques auxquelles nous avons assisté, même si elles ont parfois embrouillé les discussions sur ce texte, auront permis une réelle prise de conscience quant à l’enjeu de la mise en place d’une politique culturelle de l’ère internet digne de son époque. Ne sommes-nous pas au xxie siècle ?
C’est pourquoi, madame la ministre, mes chers collègues, la grande majorité de notre groupe soutiendra l’adoption définitive de ce texte. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et de l’Union centriste, ainsi que sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Pierre Plancade. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la défense du droit des auteurs sur internet et l’adaptation du code de la propriété intellectuelle aux nouveaux supports de diffusion culturelle auront été marqués, avec l’échec de la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, dite loi DADVSI, par de nombreux rebondissements que nous ne pouvons que regretter.
Le rejet par l’Assemblée nationale du texte de compromis issu des travaux de la commission mixte paritaire est la marque de la maladresse et de la légèreté du Gouvernement sur un texte pourtant fondamental pour la défense des créateurs de notre pays.
Nous regrettons de devoir à nouveau nous exprimer aujourd’hui parce que, une fois de plus, le Gouvernement prend un retard coupable afin de mettre en œuvre les mesures qui s’imposent pour protéger les droits de nos auteurs, de nos créateurs et de nos artistes, toutes disciplines confondues.
Le texte qui nous est présenté en nouvelle lecture est pour ainsi dire le même que celui sur lequel nous nous étions exprimés le 9 avril dernier à l’issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Dans cet intervalle, le Parlement européen a adopté un amendement au « paquet Télécom » qui semblerait pouvoir remettre en cause le dispositif de la riposte graduée.
Nous considérons, conformément au droit en vigueur, que l’accès à internet n’est pas assimilable à une liberté fondamentale. Il vous appartient cependant, madame la ministre, de trouver un dispositif conforme à la réglementation européenne, sans renoncer, bien entendu, à la défense du droit d’auteur.
Nous avons déjà eu l’occasion, à maintes reprises, d’évoquer les pertes de chiffre d’affaires des entreprises du secteur culturel. Un rappel me semble toutefois nécessaire : moins 50 % pour la musique enregistrée, moins 35 % pour la vidéo, un milliard de fichiers culturels volés via les échanges de pair à pair en 2008, 450 000 films téléchargés et mis à disposition illégalement tous les jours.
De tels chiffres vous commandaient d’agir rapidement. Depuis le 23 novembre 2007 et la signature des accords de l’Élysée, vous étiez en capacité de le faire. L’ensemble des acteurs associés à la diffusion culturelle sur internet s’étaient entendus autour d’un dispositif pédagogique et proportionné de riposte graduée, sur lequel je ne reviendrai pas. Or, il vous aura fallu près de deux ans depuis la signature des accords de l’Élysée pour faire voter ce texte par le Parlement.
Dans cet intervalle, le piratage des œuvres s’est amplifié et les offres légales de musique et de films peinent toujours à trouver leur public.
En effet, en 2007, si 1,4 milliard de titres musicaux ont été téléchargés en ligne de façon légale dans le monde, les chiffres de l’IFPI, l’International Federation of Phonographic Industry, nous enseignent qu’en 2008 95 % des titres musicaux téléchargés sur internet l’ont été de façon illégale.
Le piratage, c’est-à-dire le vol des œuvres, outre qu’il est bien souvent de piètre qualité, domine donc l’offre légale et l’empêche de se développer. C’est un fait reconnu par tous, les majors du disque comme les labels indépendants. On a voulu nous faire croire à un clivage entre les industriels et les artisans : ce texte serait le bras armé des industries culturelles contre les artisans de la contre-culture. C’est faux, et le soutien de la très grande majorité des ayants droit, artistes, auteurs, éditeurs, producteurs, petits et grands, le démontre.
Si votre texte, madame la ministre, a l’avantage de graver dans le marbre de la loi le principe selon lequel le piratage des œuvres culturelles est un vol vis-à-vis du droit d’auteur, auquel il convient de répondre en prévoyant une sanction graduée et proportionnée, il manque toutefois cruellement d’un volet pédagogique qu’il faut développer.
Il faut expliquer de manière forte et volontaire aux jeunes internautes et à leurs parents, les titulaires de l’abonnement à internet, les dangers pour la création artistique du piratage des œuvres. Il faut développer une grande campagne de sensibilisation et insister sur le fait que la gratuité n’existe pas, sur internet comme partout ailleurs. Tout se paie…
M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. Eh oui !
M. Serge Lagauche. … et cette rémunération, directe ou indirecte, est la source indispensable du financement du cinéma, de la musique et de l’ensemble de la création artistique.
Une telle campagne de sensibilisation permettra de mieux faire comprendre et d’accepter le dispositif de la riposte graduée.
La Ligue des droits de l’homme estime que ce texte vient rompre l’équilibre entre la protection des auteurs et le droit du public à accéder à la culture.
Nous partageons les positions prises par la Ligue des droits de l’homme pour veiller au respect des libertés fondamentales. Pourtant, nous considérons en l’espèce que c’est le développement de l’offre légale de musique et de film qui permettra de maintenir cet équilibre. Si le pillage des œuvres se poursuit, la source de financement des entreprises du secteur culturel se tarira et, au final, la diversité des œuvres disponibles et accessibles à tous sera remise en question.
Les accords Olivennes doivent, pour éviter cela et maintenir cet équilibre, être développés. La riposte graduée doit être adossée à des mesures permettant le développement d’une offre légale attractive pour le public internaute.
Certes, le texte prévoit une évolution de la chronologie des médias et les films seront désormais disponibles en DVD et en VOD quatre mois après leur sortie en salle. Pour autant, cet effort consenti par la filière cinématographique ne sera pas suffisant et la question fondamentale de la rémunération de la création à l’ère numérique reste entière.
Dans le contexte actuel d’érosion des recettes publicitaires sur tous les supports d’information et de communication, il ne nous semble pas suffisant d’encourager un modèle économique qui assoit une partie de la rémunération des auteurs sur le partage de recettes publicitaires de plus en plus incertaines.
Dans la foulée de l’introduction en bourse du plus célèbre moteur de recherche en 2004, quantité de sites se sont construits sur l’idée que leur totale gratuité d’usage pouvait être financée par toujours plus de publicité, les investissements des annonceurs étant répercutés, bien entendu, sur les consommateurs.
Or la crise actuelle modifie la donne et laisse clairement apparaître que le nombre de sites susceptibles de vivre de cette seule manne publicitaire est infiniment inférieur à ce que l’on avait pu imaginer.
N’oublions pas, madame la ministre, que le dispositif de la riposte graduée doit impérieusement être adossé à un mécanisme de régulation et de soutien de la création sur internet. Ce mécanisme reste à concevoir. Vous faites le pari que le succès supposé du système de la riposte graduée entraînera un report automatique des internautes sur les offres légales, payantes à l’acte, à l’abonnement ou faussement gratuites par le biais des recettes publicitaires. Très sincèrement, même si nous doutons que cela puisse être le cas, nous souhaitons que l’avenir vous donne raison.
Pour notre part, nous réitérons notre disponibilité pour participer, avec les auteurs et les internautes, à la recherche d’un système de régulation et de soutien à l’ensemble de la création sur internet permettant le respect du droit d’auteur tout en favorisant la diffusion culturelle pour le plus grand nombre.
Vous l’aurez compris, la position du groupe socialiste du Sénat n’a pas varié depuis le 9 avril dernier et, pour les raisons que je viens d’évoquer, nous pensons qu’il vous faut continuer à travailler pour développer la riposte graduée de manière à la rendre acceptable par tous, les artistes et leur public, tout en rendant les offres légales accessibles au plus grand nombre.
Afin de manifester son soutien indéfectible aux créateurs, le groupe socialiste du Sénat avait accepté de voter en faveur du projet de loi « création et internet » lors de son examen en première lecture.
Le retard pris par votre Gouvernement, madame la ministre, pour présenter ce projet de loi au Parlement, suivi de l’introduction d’un cavalier législatif prévoyant, de manière tout à fait contradictoire aux conclusions des États généraux de la presse, que la collaboration des journalistes dans une entreprise de presse est désormais multi-support, nous avait conduits à l’abstention sur le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire.
Aujourd’hui, nous regrettons profondément que le Gouvernement n’ait pas réussi à rassembler sa majorité à l’Assemblée nationale le 9 avril dernier pour voter le projet de loi HADOPI et mettre en œuvre rapidement les mesures nécessaires pour la protection du droit des auteurs sur internet.
Tout en renouvelant son soutien aux créateurs et à leurs droits, mais ne voulant pas jouer le rôle de supplétif d’une majorité parlementaire défaillante, le groupe socialiste du Sénat refusera donc aujourd’hui de participer au vote…
Mme Catherine Morin-Desailly. Ce n’est pas bien !
M. Jean-Pierre Plancade. C’est inconséquent !
M. Serge Lagauche. …et il regrette que la défense du droit des auteurs n’ait pas suscité, de la part du Gouvernement et de sa majorité, l’intérêt premier qu’il convenait de lui accorder. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur plusieurs travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour mener à bien la dernière étape d’un parcours législatif pour le moins mouvementé.
Le projet de loi « création et internet » est examiné depuis près d’un an par le Parlement. Il a donné lieu à un événement particulier de la vie parlementaire dont on ne retrouve que trois précédents sous la ve République : le rejet par l’Assemblée nationale d’un texte issu d’une commission mixte paritaire.
Cet incident a conduit nos collègues députés à être saisis pour une nouvelle lecture au sein de leur assemblée. Avant d’être débattu en séance, le texte a été à nouveau examiné par la commission des lois, qui est revenue à un texte très proche de celui qui était issu de la commission mixte paritaire du 7 avril dernier.
Les débats à l’Assemblée nationale se sont donc déroulés sur le texte issu de la commission qui reprenait les aménagements et le consensus dégagés en commission mixte paritaire.
On peut regretter le retard qui a été pris alors qu’il est urgent de trouver la réponse la mieux adaptée à la question du téléchargement illégal.
D’une part, il faut apporter une réponse aux artistes et aux créateurs – ils sont plus de 10 000 à s’être manifestés – face au développement du téléchargement illégal. Ce phénomène d’atteinte massive aux droits de propriété intellectuelle et à la création met chaque jour un peu plus en péril les industries culturelles, musicales et cinématographiques de tout type. Il ne s’agit pas, contrairement à ce que certains véhiculent, de sauver exclusivement les grandes majors.
D’autre part, il faut proposer des mesures alternatives à une pénalisation systématique et inapplicable des internautes instituée par la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, ou loi DADVSI, contre laquelle d’ailleurs le groupe centriste avait voté.
Aujourd’hui le contournement sur internet des règles de la propriété intellectuelle demeure assimilé au délit de contrefaçon, passible dans notre arsenal juridique de trois ans de prison et de 300 000 euros d’amende.
Or notre groupe a toujours montré son attachement à la prévention et à un système mesuré de graduation des sanctions.
D’ailleurs, je le précise, certains membres de notre groupe émettent toujours des réserves sur ce qui est qualifié de double peine, à savoir la suspension de l’accès à internet, attachée à la poursuite du paiement de l’abonnement.
Pour autant, nous mesurons les difficultés que cela suscite pour les offres triple play. Le principe de la suspension partielle implique de déterminer le coût individualisé de l’accès à internet, ce qui est difficilement mesurable du fait de la mutualisation des coûts d’exploitation de la boucle locale et du service ADSL.
Autrement dit, dans la mesure où le projet de loi implique de dissocier des services qui ont toujours été proposés dans le cadre d’offres forfaitaires globales et où cette dissociation a un coût important, la vraie question est de savoir qui doit supporter ce coût.
Convenons-en, il apparaissait donc difficile de faire supporter aux fournisseurs d’accès à internet, les FAI, les conséquences engendrées par les téléchargements illégaux d’un de leurs abonnés. De la même manière, est-ce aux contribuables de s’acquitter des conséquences de cette faute, en supposant que l’État aurait été mis à contribution ?
Au-delà de ces questionnements, je tenais à revenir sur les avancées du projet de loi auxquelles le groupe centriste est particulièrement sensible.
En premier lieu, le texte tel qu’il nous est proposé aujourd’hui ne remet pas en cause les grands équilibres atteints à l’issue des accords interprofessionnels dits de l’Élysée, qui ont été à la base du travail et de l’élaboration du projet de loi. De même, il ne remet pas en cause les grands équilibres du texte tel que voté en première lecture au Sénat et sur lequel s’était dégagée une quasi-unanimité de notre assemblée.
En second lieu, s’agissant du procédé de désignation du président de la HADOPI, je m’en félicite, le travail réalisé au sein de la commission mixte paritaire, qui avait permis de restaurer le processus de désignation adopté au Sénat, n’a pas été remis en cause : le président de la HADOPI sera élu parmi les membres du collège.
J’avais été particulièrement sensible à la modification introduite par les députés sur ce point. C’est notre groupe qui avait été porteur, lors de son examen par la Haute Assemblée, de l’amendement prévoyant d’abandonner cette nomination par décret au profit d’une élection. Par ce système d’élection, sur le modèle de celui qui est retenu par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, c’est l’indépendance et l’impartialité de la Haute Autorité qui se trouvent ainsi garanties.
Le texte qui nous est soumis aujourd’hui confirme également les dispositions en faveur d’une mise à disposition plus immédiate de l’offre légale, que ce soit dans le domaine de la musique – avec un amendement déposé par notre groupe qui a permis la suppression des Digital Rights Management, ou DRM, levant ainsi l’un des principaux freins au déploiement des nouvelles offres – ou des œuvres cinématographiques, pour lesquelles le délai entre la sortie en salles et l’exploitation sous forme de vidéogramme a été ramené à quatre mois.
Pourtant, nous en sommes conscients, cette loi ne règle pas définitivement la question du téléchargement illégal – qui se trouvera dès lors limité mais non éradiqué – ni, plus largement, celle du piratage numérique. Les technologies évolueront toujours plus vite que le droit. Il faudra s’adapter et le législateur devra, à la lumière des travaux de la HADOPI qui est chargée de veiller aussi bien à limiter les mauvaises pratiques qu’à susciter les bonnes, réfléchir à des améliorations, voire à des évolutions futures.
Mais cette loi, qui ne sera certainement que transitoire, doit être une étape importante dans une prise de conscience collective.
Tout d’abord, une prise de conscience de la part des internautes est nécessaire. Il est indispensable de faire passer un double message clair : la culture a un coût et les droits de propriété intellectuelle doivent être respectés. À quoi bon multiplier les canaux de diffusion si, à terme, la diversité des contenus disparaît, si les contenus étrangers deviennent prédominants et si la création française a été asséchée ?
Dans cet état d’esprit, nous avons veillé ensemble à ce que le texte favorise et accompagne les nouveaux usages, à la fois protecteurs des œuvres et ouverts au monde de la création, venant se substituer aux pratiques qui lui nuisent.
Les consommateurs peuvent aujourd’hui naviguer d’une plate-forme de téléchargement à une autre et d’un baladeur à l’autre en gardant la pleine jouissance d’œuvres légalement acquises. Le marché du disque vendu à l’unité a fait long feu et s’ouvre aujourd’hui une profusion de nouveaux modèles qu’il conviendra de développer : plates-formes légales mais aussi streaming ou catalogues, autant d’offres technologiques conviviales et à des prix attractifs.
Ensuite, une prise de conscience de la part des créateurs, des producteurs, des éditeurs, des réalisateurs et des artistes est également nécessaire. Ils doivent eux aussi se remettre en cause, penser à s’adapter et à trouver de nouveaux modèles économiques pour l’ère du net.
Ils doivent aussi se rendre compte des évolutions. Le phénomène « internet » n’est pas temporaire ; il constitue aujourd’hui une réalité durable qu’il faut transformer en atout et non chercher à combattre.
Comme l’a rapporté notre collègue Michel Thiollière, l’ensemble des acteurs concernés, les propriétaires et les fournisseurs de contenus, doivent se rapprocher encore davantage. L’expérience le montre, le monde de la création et le monde numérique ne peuvent plus continuer à s’ignorer. Ils doivent réfléchir ensemble au développement de moyens innovants qui permettront demain d’offrir aux internautes les possibilités d’un accès aux savoirs et aux œuvres de la création.
Enfin, concernant les sanctions, je m’en réjouis, le texte favorise la transaction qui est plus pédagogique et qui reste l’objectif premier de cette réforme. La suspension de l’accès à internet fixée à deux mois rétablit un différentiel, rendant la transaction plus attractive.
Certains ont vu dans ce retour à un minimum de deux mois un renforcement de la répression. En réalité, l’objectif est tout autre : il s’agit de renforcer l’attractivité de la transaction face à la sanction sèche. Or, j’en suis persuadée, une transaction entre la HADOPI et l’abonné pour l’établissement de la sanction garantira plus de souplesse, mais surtout renforcera le caractère pédagogique de la sanction.
La nouvelle lecture à l’Assemblée nationale a été l’occasion d’avancées réelles concernant la procédure de suspension de l’accès à internet. Des précisions importantes ont notamment été ajoutées au texte de l’article L 331-25 du code de la propriété intellectuelle. Cet article prévoit notamment que la HADOPI devra toujours informer l’abonné de « la possibilité de se faire assister d’un conseil, de consulter l’intégralité du dossier le concernant et de présenter des observations écrites et orales ».
Enfin, je terminerai en évoquant la prévention. Je l’ai déjà dit, l’objectif de la réponse graduée est de faire évoluer les mentalités et les comportements.
L’éducation et la pédagogie nous semblent essentielles pour que nos jeunes générations prennent conscience des conséquences du téléchargement illicite sur la création artistique. En 2006, lors des travaux sur la loi DADVSI, nous avions plaidé l’importance de l’éducation de nos jeunes concitoyens à la culture tant ces pratiques de téléchargement peuvent accréditer l’idée que tout est gratuit et que la culture ne coûte rien. Or c’est méconnaître l’investissement personnel, intellectuel et financier ainsi que le travail des artistes.
Sachant cela, comment peut-on dire que l’encadrement de l’utilisation des œuvres est une atteinte aux droits essentiels de l’homme revêtant un caractère liberticide ? Certains de nos collègues accréditent pourtant une telle idée, avec force démagogie, en contradiction le plus souvent avec leur prétendu soutien aux artistes et à la culture. C’est tout à fait consternant !
Je m’en félicite, le texte prévoit toujours une information des élèves dans le cadre de l’éducation nationale. Il est également bien venu que les fournisseurs d’accès à internet soient mis à contribution dans les actions de sensibilisation des internautes par des messages appropriés.
Ne l’oublions pas, l’enjeu de ce projet de loi est d’assurer l’avenir de la création culturelle. Il faut garantir un juste équilibre entre les droits légitimes des auteurs, sans lesquels il ne saurait y avoir de création artistique et culturelle, et les droits des citoyens à l’accès, au partage et à la diffusion de la culture, des savoirs et de l’information que permet ce formidable espace de liberté qu’est internet.
Tout en soulignant qu’il faut rester humble dans le traitement de ce sujet sensible et évolutif, une très large majorité du groupe de l’Union centriste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jack Ralite.
M. Jack Ralite. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est proposé après des péripéties insupportables n’est pas la solution aux rapports du droit d’auteur avec les nouvelles technologies.
Sortons le débat de sa béatitude conflictuelle et cela à partir de notre tâche : élaborer des lois.
Rappelez-vous la loi relative au contrat première embauche, CPE, votée puis non appliquée, un certain ministre de l’intérieur n’ayant pas été étranger à la décision.
Quand nous avons voté la loi sur l’audiovisuel public, elle était déjà pour une part appliquée, son auteur étant un ancien ministre de l’intérieur.
Ce n’est pas encore public, mais le Président de la République, toujours le même homme, veut nommer un chargé de mission du même type que M. Olivennes, toujours un homme de l’entreprise, pour étudier comment l’appliquer.
Le travail législatif n’est plus bousculant pour construire, mais bousculé, voire humilié, au point qu’il en sort affaibli même s’il crée de la colère. Dans le contrat social dont le pays a besoin, il devient inefficace, voire destructeur. Oui, nous avons eu une loi votée mais pas appliquée, une loi appliquée avant d’être votée, et une loi envisagée mais pas applicable ! La loi est ainsi réduite à un simple outil de communication.
Le travail législatif est toujours difficile. Il s’agit de mettre le monde en lois, en mots, sans rien abandonner à la prison de l’inexprimé. La loi « création et internet » met en cage l’inexprimé.
Je me souviens d’un livre d’Elsa Triolet, La Mise en mots, et son devenir, qui est le lecteur. Elle le commentait ainsi : « J’appelle au téléphone, mais il n’y a pas d’abonné au numéro que je demande. » Aujourd’hui, ce n’est pas l’absence d’abonnés à laquelle notre mise en loi est confrontée.
En 1793, à la Convention, le représentant Le Chapelier déclarait le droit d’auteur « la plus inattaquable des propriétés ». Il poursuivait : « Cependant c’est une propriété d’un genre tout à fait différent des autres propriétés. Quand un auteur a livré son ouvrage au public, quand cet ouvrage est entre les mains de tout le monde […], il semble que, dès ce moment, l’écrivain ait associé le public à la propriété ou plutôt la lui ait transmise tout entière. »
Nous sommes au moment où l’impossible rêve d’hier peut devenir le possible d’aujourd’hui ou de demain.
Braque, questionné sur le sens d’une de ses natures mortes avec deux pommes, répondait : « Ce qui est important dans cette toile, ce ne sont pas les pommes, c’est l’entre-deux ». « L’entre-deux », le lien. Cette réflexion nous aide à penser les rapports entre auteurs et internautes en les libérant des vrais pilotes du texte « internet et création », les lobbies des industries culturelles qui veulent s’accaparer le droit d’auteur et verrouiller le développement d’internet !
La directive européenne du 22 mai 2001, considérant 7, dit : « Le cadre législatif communautaire relatif à la protection du droit d’auteur et des droits voisins doit donc aussi être adapté […] au bon fonctionnement du marché intérieur. »
Dans son considérant 19, on lit : « Le droit moral reste en dehors du champ d’application de la présente directive ». Ainsi, pour certains, le droit moral est un hochet dans le marché ; pour nous, c’est un fondement, sa spiritualité qui est son humanité dans la société. C’est le droit de celui ou de celle qui crée une œuvre et de l’humanité qui la reçoit.
Hugo pensait : « Comme livre, le livre appartient à l’auteur, mais comme pensée, il appartient […] au genre humain. » C’est cette équation extraordinairement complexe qu’il faut faire vivre, inventer, avec cette incontournable et immense présence de tous les réseaux téléinformatiques.
Or nous n’avons d’études médiatisées que celles des industries. Aucune commission sérieuse et vraiment pluraliste n’a été constituée pour explorer la réalité vraie et de réelles solutions !
Il faut provoquer la clarté sur les chiffres multiples et contradictoires publiés. Je propose, comme lors de la loi DADVSI, la création immédiate d’un conseil appelé « Beaumarchais–Internet–Responsabilité publique », comprenant, je les nomme, car c’est incontournable, auteurs, artistes, écrivains, juristes, bibliothécaires, parlementaires, universitaires, chercheurs, architectes, informaticiens, internautes, fournisseurs d’accès et industriels pour travailler à une alternative négociée à la pensée « vulgaire » d’aujourd’hui.
Dans toutes les commissions pour l’audiovisuel, ceux qui le font et ceux qui le reçoivent ont toujours été oubliés. Il en a été ainsi de la commission Copé. Le résultat est là : c’est l’approximatif, donc le mépris, le contradictoire transformé en impasse, la dissonance devenant cacophonie.
C’est un élément stratégique du pouvoir de vivre des clivages, de les provoquer et de déstabiliser la société sans jamais régler la question.
Ces clivages organisés se trouvent chez toutes les catégories d’auteurs et dans toutes les disciplines artistiques. Il n’est que de prendre l’exemple des artistes-interprètes avec qui j’entretiens des rapports profonds : Pierre Arditi, Michel Piccoli, Juliette Gréco, Maxime Le Forestier sont pour la loi ; Catherine Deneuve, Louis Garrel, Jeanne Balibar sont contre. Même sur un sujet capital et porteur d’avenir, le métier est divisé. Qui gagne ? Aucun des sept que je viens de nommer affectueusement.
Cette pratique du palais de l’Élysée ne fait ni société ni humanité. Pis, face aux « nouveaux Nouveaux Mondes », ainsi que les a magistralement qualifiés Georges Balandier, elle casse l’unité des acteurs de leur nécessaire civilisation.
La loi aujourd'hui déposée sur nos pupitres glorifie la concurrence « libre et non faussée », et administrée. Cette glorification, je ne l’entonne pas : je suis pour la remise sur le métier, afin d’aller vers un accord d’avenir que pourront signer ensemble, après y avoir participé, Piccoli et Gréco, Garrel et Balibar et, avec eux, des internautes.
Nous continuerons de dénoncer l’instrumentalisation de toutes les questions artistiques et technologiques, qui sont inséparables de la question sociale et qui cognent farouchement à la porte de la société France comme alentour. Ces questions concernent les auteurs, qui ont à faire avec les nouvelles technologies, et les trouvailles qu’elles leur permettent. Elles concernent la jeunesse, qui vient naturellement par internet au monde de la connaissance et de l’imaginaire.
Et nous les laisserions avoir soif près de la fontaine !
Aussi avons-nous mis en mots quelques amendements, qui s’appuient sur la formule d’Aragon : « se souvenir de l’avenir ». Voilà ce qui inspire ce énième débat, compliqué par une délibération du Parlement européen sur internet et la création.
L’approche du pouvoir crée un monde des issues fermées. Nous proposons un monde des issues ouvertes. Un auteur prophétisait « la fin de l’éternel ». « Nous nous contenterons de travailler à la fin de l’immobile », écrivait René Crevel.
Soyons décoincés et décoinçants ! Sur ce sujet, il n’existe pas d’incompatibilité véritable, sauf à adopter la solution démagogique qui est proposée. Car, dans la société internet telle qu’elle fonctionne aujourd'hui, on paie les appareils, mais on récuse le paiement de ce qui en fait fondamentalement la valeur, à savoir les contenus, les créations, et cela n’est pas acceptable.
Étant donné le nœud de contradictions que recèle ce projet de loi et les nombreux problèmes dont il sera source, le groupe auquel j’appartiens refusera catégoriquement de voter. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)