Mme Nathalie Goulet. Hélas !
M. Jean-Jacques Jégou. Permettez au président du comité de surveillance de la CADES que je suis d’exprimer une position que M. le ministre connaît bien. La CADES devra bien reprendre une telle dette, qui s’élèvera peut-être à plus de 50 milliards d’euros à la fin de l’année 2010.
En 2008, la dette publique brute de la France a progressé de 10 %, passant de 1 209 milliards d’euros à 1 327 milliards d’euros, soit 20 600 euros par habitant et 47 400 euros par actif. La charge d’intérêts a atteint 54,6 milliards d’euros, soit 850 euros par habitant et 1 950 euros par actif.
En matière de déficit, la France fait moins bien que la moyenne de ses partenaires européens : 3,4 % contre 1,5 %. Elle est également le seul pays de la zone euro dont les dépenses publiques ont été supérieures à 50 % du PIB en 2008. Enfin, la France est devenue le quatrième État le plus endetté de la zone euro par rapport à son PIB, alors qu’elle se classait au huitième rang en 2004. Nous faisons donc moins bien que nos voisins européens.
Il va sans dire que, à ce stade, l’objectif d’un retour à l’équilibre en 2012 est abandonné. Vous nous l’avez d’ailleurs confirmé, monsieur le ministre. Et même si je suis conscient des efforts que vous réalisez, je constate que l’objectif d’un déficit à 3 % du PIB en 2012 s’éloigne lui aussi progressivement, du fait de la crise.
Avec cette crise, l’économie française ressemble à une machine à fabriquer de l’endettement. Au total, la dette publique de l’État, des collectivités locales et de la sécurité sociale s’élève à 1 413 milliards d’euros, soit 72,9 % du PIB. L’endettement atteint donc des proportions abyssales.
Hormis en temps de guerre, jamais l’état de nos finances publiques n’a été aussi dégradé.
Si la situation est inquiétante, elle pourrait vite devenir catastrophique. Selon les simulations de la Cour des comptes, le déficit dépasserait les 6 % en 2012. Philippe Séguin évoque le risque d’un emballement de la dette, qui pourrait atteindre 100 % du PIB en 2018. À ce rythme, je me demande si nous ne serons pas amenés dans les prochaines années à examiner un projet de loi visant à lutter contre le surendettement de l’État !
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Jean-Jacques Jégou. En outre, le recours à l’endettement de court terme rend la France très vulnérable à une hausse des taux d’intérêt – je ne m’étends pas sur le sujet, sur lequel M. Jean-Pierre Fourcade s’est montré parfaitement clair –, qui pourrait survenir prochainement. Si nos déficits perdurent après la crise, le risque à terme est bien que la signature de la France perde de sa crédibilité. Nous en avons d’ailleurs discuté hier à l’occasion de l’examen du projet de loi de règlement.
Nous devrons garder à l’esprit cette réalité des chiffres lorsque nous examinerons la question du grand emprunt.
Devant un tel constat, comment ne pas être surpris, voire inquiets, en entendant le Président de la République préconiser devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles de s’endetter davantage pour résoudre le problème de la dette, et lancer l’idée d’un grand emprunt ? En d’autres termes, il est proposé de combler le trou en le creusant davantage. En effet, le grand emprunt, qui servira, nous dit-on, à financer « les priorités nationales », aura pour premier effet mécanique d’augmenter la dette et la charge d’intérêts sur celle-ci.
Si le chef de l’État a évoqué la « grave question des déficits de nos finances publiques », son discours à Versailles a donné le sentiment que la maîtrise des déficits publics et le désendettement n’étaient plus une priorité pour le Gouvernement et que, avec la crise, on pouvait au contraire rouvrir peu ou prou les vannes de la dépense.
Je crains également que, en lançant l’idée d’un grand emprunt national, le président n’ait en quelque sorte fait sauter un « verrou psychologique ». Je trouve cela très dommageable dans un pays où nombre de nos concitoyens pensent encore que les ressources de l’État sont inépuisables et que l’on peut dépenser sans compter. D’ailleurs, en ouvrant grand les vannes de la dépense publique et en faisant sauter la digue des 3 % de déficit, la crise a accrédité cette idée.
Pourtant, depuis la dernière campagne présidentielle – c’était voilà deux ans à peine –, au cours de laquelle plusieurs candidats, notamment un, avaient placé les dangers de l’envolée de la dette publique dans notre pays au premier rang des préoccupations nationales, j’avais le sentiment que beaucoup de nos concitoyens avaient pris conscience de la gravité de nos déficits et de notre dette publique. Sans parler d’un « parti de la dette », chacun prenait conscience du fait que nous laissions une ardoise de plus en plus grosse aux générations futures. Je crains que la crise et l’idée du grand emprunt ne viennent anéantir tous nos efforts en la matière.
L’idée que leurs enfants, voire leurs petits-enfants, auront à régler l’addition de nos dépenses inquiète beaucoup les Français. Le Président de la République évoque un emprunt pour « préparer l’avenir du pays ». Je ne suis pas sûr que les générations futures, qui auront à rembourser nos emprunts, aient à se réjouir de cette annonce.
Une telle fuite en avant dans le surendettement finit par devenir anxiogène. Plusieurs économistes ont décrit le mécanisme dans lequel la hausse de la dette incite les gens à moins consommer – il suffit de considérer le taux d’épargne actuel des Français – pour mettre de l’argent de côté en vue d’inéluctables hausses d’impôts. Si c’était le cas, on ne voit plus très bien ce qu’il resterait à la France pour alimenter sa croissance, puisque notre balance commerciale est en grave déséquilibre.
Pour justifier le recours à l’emprunt, le chef de l’État explique que, à chaque fois qu’une politique de rigueur a été menée, on s’est retrouvé avec moins de croissance, plus d’impôts, plus de déficits et plus de dépenses.
A contrario, si les déficits et la dette créaient de la croissance et permettaient de lutter contre le chômage dans notre pays, nous le saurions depuis longtemps. La France est l’unique pays industrialisé à ne pas avoir connu un seul excédent budgétaire depuis le milieu des années soixante-dix. M. Fourcade, qui a été le grand témoin de cet après-midi, fut le dernier ministre de l’économie et des finances à connaître un budget en équilibre, en 1975 !
L’addiction de notre pays au déficit ne l’a pas empêché de connaître une croissance nettement plus faible et un chômage beaucoup plus élevé que la moyenne.
Il faut rappeler une réalité qui semble avoir été oubliée depuis le discours de Versailles : en empruntant sur les marchés chaque année plus de 150 milliards d’euros, la France fait le grand emprunt tous les jours !
M. François Marc. Eh oui !
M. Jean-Jacques Jégou. Depuis l’annonce du grand emprunt, tous les efforts du Gouvernement se concentrent sur un seul objectif : préparer l’avenir. C’est ce que vous avez indiqué, monsieur le ministre, et nous vous croyons.
Mais, pour être honnête, je ne suis pas sûr que nous préparions l’avenir en contractant un nouvel emprunt ! Si cette idée est habile politiquement, est-elle bien raisonnable économiquement dans un État aussi surendetté et incapable de se désendetter que le nôtre ?
Je le rappelle, l’État peut emprunter des montants très élevés sur les marchés financiers à un coût très faible – d’ailleurs, il le fait –, alors que l’emprunt auprès du public est beaucoup plus coûteux. M. le président de la commission des finances indiquait tout à l’heure que le taux du grand emprunt devrait finalement être inférieur aux conditions du marché. Cela risque de ne pas le rendre forcément très attractif auprès des éventuels souscripteurs…
Compte tenu de ses coûts de réalisation et des avantages fiscaux qui y sont associés, cet emprunt, dont l’objet est plus politique que financier, coûtera cher aux contribuables et aux finances publiques. Il aura également des conséquences sur l’endettement, puisqu’il consiste à reporter une partie du financement sur les générations futures.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je crains que, avec une telle opération, nous ne passions du « travailler plus pour gagner plus » à la deuxième phase du quinquennat, c'est-à-dire « emprunter plus pour dépenser plus » !
En effet, concernant l’utilisation de l’emprunt, malgré les engagements répétés du Gouvernement et votre rigueur, que je salue, monsieur le ministre, je m’interroge sur l’affectation – on parle de 80 à 100 milliards d’euros ! – des sommes empruntées aux « dépenses d’avenir » prioritaires.
Il est particulièrement délicat de définir ce que sont exactement les dépenses d’avenir, ce « bon déficit », selon la distinction désormais établie entre bon et mauvais déficit ! Or, pour moi, qu’il soit bon ou mauvais, le déficit s’aggrave et la dette augmente ! On sent d’ailleurs bien qu’il existe un certain flottement à la tête de l’État. Aujourd’hui, chacun – le chef de l’État, le Premier ministre, le conseiller du président inspirateur du grand emprunt, la ministre de l’économie, vous-même, monsieur le ministre, ... – essaye d’en donner une définition et d’en établir une liste à la fois exhaustive et limitative.
N’est-il pas surprenant, à ce propos, de décider d’emprunter avant de savoir pourquoi ? Surtout, les finances publiques sont indivisibles et l’emprunt, comme les autres ressources de l’État, contribuera en réalité à financer l’ensemble des dépenses publiques, sauf à prévoir un mécanisme spécifique du type d’une commission de suivi des investissements dits d’avenir.
J’ai une autre interrogation, monsieur le ministre. On ne peut qu’approuver la volonté d’investir dans l’innovation, la recherche et développement qui prépare l’économie de demain, surtout quand on sait que l’État, du fait de son appauvrissement, investit très peu : 20 milliards d’euros. Mais je ne suis pas sûr que les sommes empruntées iront spécifiquement à ces investissements dans l’avenir. J’en veux pour preuve le récent rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, sur la part de l’innovation dans les plans de relance face à la crise. Il montre que le plan de relance français ne consacrait que 46 millions d’euros à la recherche et développement, et 4,7 milliards d’euros aux ponts et aux routes. La France fait figure de mauvais élève là où la Finlande ou la Corée du Sud sont en haut du classement. Ne risque-t-on pas de reproduire ce schéma ?
Je serai donc particulièrement attentif, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative, au début de 2010, aux conditions de l’emprunt, et notamment à son coût pour les finances publiques.
C’est pourquoi plusieurs de nos collègues, et non des moindres puisqu’il s’agit notamment des deux rapporteurs généraux, doutant de l’opportunité de ce grand emprunt, proposent un emprunt obligatoire. Celui-ci ne me semble pas raisonnable et doit faire au moins l’objet d’un examen attentif. Peut-être est-ce de leur part une façon habile de contourner le bouclier fiscal ? Dans ce cas, l’objectif serait intéressant.
On ne peut donc, à mon sens, accepter l’idée de grand emprunt que dans une seule perspective : le financement des réformes structurelles que vous avez appelées de vos vœux, monsieur le ministre, et qui seront nécessaires pour enrayer le dérapage chronique des finances publiques. Les réformes structurelles apportent des gains à long terme, même si le coût budgétaire est initialement élevé. Un tel emprunt permettrait d’annoncer les priorités claires, d’en estimer les coûts et les bénéfices attendus, et d’ancrer ainsi les réformes. Vous nous avez dit tout à l’heure, monsieur le ministre, qu’il en irait ainsi. Nous ne pourrons accepter cet emprunt que si les réformes et les investissements sont identifiés, chiffrés, et les bénéfices escomptés, c’est-à-dire s’ils sont créateurs de richesses.
Dans ce contexte, quelles politiques budgétaires devons-nous engager ? Un tel niveau de déficit public n’est pas rattrapable par le seul effet de la reprise de la croissance économique en 2011 : même avec un rythme annuel de 2 % à 2,5 % par an, le déficit public en 2012 serait encore de 5,5 % du PIB, soit un niveau toujours très élevé au regard des engagements européens et de la capacité de financement du pays. Cela veut dire que nous devons engager le redressement durable de nos finances publiques et le retour à la viabilité budgétaire, comme le demande le Fonds monétaire international, le FMI. Cela nécessite des efforts d’une tout autre ampleur, notamment en matière de réforme de l’État, que ceux qui sont réalisés jusqu’à présent. Nous devons tous en avoir conscience.
Il s’agit, tout d’abord, de maîtriser et de réduire nos dépenses publiques. Je crois cette politique indispensable. Il faut la poursuivre de façon beaucoup plus profonde et tenir en 2010 les dépenses courantes, dont certaines – les dépenses sociales et celles de la mission « Emploi » – augmenteront du fait de la crise. Cependant, elle n’est pas suffisante : d’abord, parce que force est de constater que la Révision générale des politiques publiques ne permettra d’économiser que 7 milliards d’euros, alors que l’objectif était de 20 milliards d’économies ; ensuite, parce que, même en serrant à fond la vis des économies budgétaires, jamais l’État ne pourra réduire en deux ans ses dépenses en volume de 60 milliards d’euros, alors que les charges financières de la dette vont grossir chaque année d’ici là de 4 à 5 milliards d’euros sous l’effet de la remontée inévitable des taux.
Il me semble enfin inutile de maîtriser les dépenses publiques si, dans le même temps, on multiplie les dispositifs d’exonérations fiscales. Si nos comptes publics se dégradent, c’est aussi parce que les ressources de l’État diminuent.
Mme Nicole Bricq. Eh oui ! Cela dure depuis des années !
M. Jean-Jacques Jégou. Le rapport Pébereau préconisait déjà de ne pas diminuer le niveau global des prélèvements obligatoires pendant la phase de retour à l’équilibre.
Il nous faut, ensuite, sécuriser nos recettes. S’il faut éviter d’augmenter les prélèvements obligatoires, il faut au moins ne pas réduire les ressources fiscales. La conjoncture ne nous permet pas des allégements d’impôts. Je crois nécessaire, pour ma part, de garantir nos recettes pendant cette période, en évitant de mettre en place de nouvelles baisses d’impôts, comme celles du paquet fiscal de 2007 que nous payons très cher aujourd’hui, et de créer au cours des prochaines lois de finances de nouvelles dépenses fiscales ou crédits d’impôts, comme nous avons eu la fâcheuse habitude de le faire au cours des dernières années.
Sans les mesures d’allégements de ces dernières années, les recettes fiscales auraient progressé de 2,7 %, alors qu’elles ont diminué de 0,5°%. En moyenne, ce sont quatorze mesures supplémentaires de dépenses fiscales qui sont créées chaque année depuis 2003. En 2008, elles représentent 27 % des dépenses du budget en atteignant 73 milliards d’euros. Cette politique est, à la longue, suicidaire pour nos finances publiques. C’est la raison pour laquelle j’ai refusé d’approuver la baisse de la TVA sur la restauration – je reviendrai d’ailleurs à la charge lors du projet de loi de finances pour 2010 ! –, car je la crois inefficace économiquement et purement électoraliste.
Nous devons aussi imposer que toute nouvelle dépense fiscale soit compensée à due proportion par la réduction d’autres dépenses, ce qui n’a malheureusement pas été fait pour la baisse de la TVA dans la restauration ou la réforme de la taxe professionnelle, pour lesquelles nous attendons des réponses. Beaucoup de progrès restent donc à accomplir dans ce domaine.
Il faut aussi, dans cette perspective, revoir l’ensemble des niches fiscales et sociales qui se sont accumulées au cours de ces dernières années. On en compte aujourd’hui 400, qui représentent un manque à gagner estimé entre 50 et 70 milliards d’euros. Certes, nous avons commencé l’année dernière, lors de l’examen du projet de loi de finances, à travailler sur le plafonnement des niches fiscales, mais nous devons aller plus loin. Il faut examiner l’ensemble des dispositifs, évaluer leur efficacité, leur pertinence et leur caractère juste pour l’ensemble des contribuables.
La France, en ne réduisant pas son déficit structurel et en multipliant les dettes de crise et les emprunts, ne prépare pas la sortie de crise. C’est le devoir du Gouvernement et du Parlement que de prévoir l’après-crise.
Je voudrais, en conclusion, rappeler une réalité. Si l’on peut retarder le moment de la facture, on ne saurait – j’en suis sûr – la faire disparaître. Pour les Français, le réveil risque d’être douloureux après 2012, car ce sont eux qui paieront ! Comme l’a dit le Premier président de la Cour des comptes, le report des réformes indispensables impliquerait des ajustements encore plus douloureux. Il leur faudrait alors « payer plus pour rembourser plus » ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées de l’UMP et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat d’orientation des finances publiques offre l’occasion au rapporteur de la commission des affaires sociales pour l’assurance vieillesse que je suis de faire un point sur les comptes de cette dernière.
Vous ne serez pas étonnés que je qualifie la situation de cette branche financière de préoccupante. En dépit de la réforme de 2003, son déficit n’a en effet cessé de se creuser depuis quatre ans, passant de 1,9 milliard d’euros en 2005 à 5,6 milliards d’euros en 2008. La branche vieillesse est aujourd’hui la plus déficitaire des quatre branches de la sécurité sociale.
Cette dégradation continue des comptes ne s’explique pas seulement par les facteurs démographiques que nous connaissons bien désormais : l’arrivée à l’âge de la retraite des générations du baby-boom et l’augmentation de l’espérance de vie. Elle résulte aussi de la montée en charge du dispositif de retraite anticipée pour carrière longue, instauré par la loi du 21 août 2003. Depuis sa mise en œuvre, 560 000 retraites anticipées ont été accordées par le régime général. Cette mesure a coûté sans cesse davantage à la Caisse nationale d’assurance vieillesse, la CNAV, sur la période 2004-2008, pour atteindre 2,4 milliards d’euros en 2008, soit trois fois plus qu’on ne le prévoyait voilà cinq ans.
Fort heureusement, l’année 2009 devrait être marquée par une nette diminution des départs anticipés en raison des nouvelles conditions d’éligibilité au dispositif et des mesures réglementaires prises pour encadrer le recours aux arriérés de cotisations. Pour la première fois, le coût du dispositif pour le régime général diminuerait cette année, ce qui expliquerait, pour une modeste part, le ralentissement de la croissance des charges de la CNAV en 2009.
Pour autant, cette tendance n’empêcherait pas le déficit de la branche vieillesse de continuer à se creuser, puisqu’il atteindrait 7,7 milliards d’euros cette année.
L’aggravation des comptes est d’autant plus inquiétante que les projections font état d’une dégradation financière accrue des régimes de retraite à l’horizon 2020-2050, principalement due au choc démographique. En conséquence, notre système de retraite devra faire face à un besoin de financement croissant, estimé à 24,8 milliards d’euros pour 2020 et à 68,8 milliards d’euros pour 2050.
Malgré la nécessité et l’urgence du retour à l’équilibre des comptes de la branche vieillesse, le rendez-vous de 2008 n’a apporté aucune réponse au problème du financement des retraites. Certes, il y a bien eu quelques avancées louables sur l’emploi des seniors ou la solidarité envers les retraités les plus modestes, mais des questions essentielles sont restées en suspens : le dossier de la pénibilité est bloqué et la hausse des cotisations vieillesse, qui devait être compensée par une baisse des cotisations chômage, a été reportée sine die.
Comme le Président de la République s’y est engagé devant le Congrès, le bilan d’étape de 2010 devra absolument déboucher sur des solutions pérennes à même de garantir la viabilité financière des régimes de retraite. Il ne doit pas être un rendez-vous manqué comme l’a été celui de 2008.
Les différents instruments de pilotage sont bien connus. Jusqu’à présent, le levier privilégié a été l’augmentation de la durée de cotisation nécessaire pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Celle-ci, actuellement de 40 annuités, sera de 41 annuités en 2012. La question qui se pose aujourd’hui est donc la suivante : cette durée ne doit-elle pas être portée à 42 annuités, voire à 43 ou plus ? Une telle réforme nécessite cependant de surmonter l’obstacle du dossier de la pénibilité. Les syndicats n’accepteront pas l’augmentation de la durée de cotisation si, parallèlement, la pénibilité au travail n’est pas prise en compte.
Une autre piste, de plus en plus souvent évoquée, est le report de l’âge légal de départ en retraite qui, en France, a été abaissé à soixante ans en 1983. Ce qui a été vécu, à l’époque, comme un progrès social entre aujourd’hui en totale contradiction avec les évolutions démographiques en cours. Alors que l’espérance de vie ne cesse d’augmenter, la période consacrée au travail au cours d’une vie est de moins en moins longue !
La logique voudrait donc que l’âge légal de départ en retraite soit repoussé, comme l’ont fait plusieurs pays européens. Mais l’utilisation de ce levier se heurte, en France, à un obstacle de taille : le taux d’emploi des seniors, qui se situe autour de 38 %, est l’un des plus bas des pays développés. Retarder l’âge de la retraite sans favoriser le maintien dans l’emploi des seniors aboutirait à créer des demandeurs d’emplois supplémentaires.
Par ailleurs, il faut avoir à l’esprit que l’augmentation de l’âge de la retraite ne peut à elle seule résoudre le problème du financement des régimes de retraite. Pour le régime général, le report à soixante-deux ans apporterait 6,6 milliards en 2020, sur 13 milliards d’euros de besoins, mais seulement 5,7 milliards sur un besoin total de 46 milliards d’euros en 2050. Il s’agirait en définitive d’une mesure de court terme.
C’est pourquoi, au-delà de la nécessité d’une nouvelle réforme paramétrique à brève échéance, il est indispensable de préparer l’étape suivante : réfléchir à d’autres modes de gestion de l’assurance vieillesse. Le pilotage actuel des régimes de retraite ne pourra en effet enrayer le mouvement de dégradation de la situation financière de la branche vieillesse ni proposer de solution solide face au défi démographique à l’horizon 2020-2050.
Cette situation rend impératif l’engagement d’une réforme de type structurel ou systémique, seule à même d’assurer la survie de notre système de retraite.
Un rapport sur ce sujet du Conseil d’orientation des retraites, le COR, commandé par le Parlement sur l’initiative de la commission des affaires sociales du Sénat, sera rendu au début de l’année 2010. Il sera l’occasion d’engager un vaste débat public sur l’avenir des retraites.
Monsieur le ministre, certes, ce soir, je n’ai évoqué que la branche vieillesse, mais l’évolution des pensions civiles et militaires connaît depuis quelques années dans notre pays une dérive de l’ordre de 6 % à 8 %. Le poids de ces dernières devient lui aussi très lourd pour le budget de l’État. Mais nous aurons l’occasion d’aborder ce sujet au cours des prochains mois. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès.
Mme Christiane Demontès. Monsieur le ministre, voilà quelques jours, à l’Assemblée nationale, vous affirmiez ceci : « tous les efforts du Gouvernement tendent à un seul but : préparer l’avenir. » C’est à l’aune de ces propos que je vais prendre en considération les finances sociales.
La situation de nos comptes publics est catastrophique. Nous ne sommes pas les seuls à le dire. M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales a déclaré que ce débat prend place « dans un contexte qui peut être qualifié de dramatique pour les finances sociales ». Il estime même qu’« il ne s’agit plus d’une aggravation du “trou de la sécu” […], mais d’un changement d’échelle, d’une situation totalement inédite ».
Certes, la crise qui frappe l’ensemble des économies n’a pas épargné notre pays. Cependant, une observation plus fine fait apparaître que cet état de fait préexistait avant même que les effets de la crise ne se fassent sentir.
Mon collègue François Marc a parlé fort justement des déficits et de l’endettement, points sur lesquels je ne reviendrai donc pas.
Mais, monsieur le ministre, tout n’est pas la faute de la crise ! Le rapporteur général de la commission des affaires sociales, que je citerai une fois encore, constate que « si la sécurité sociale avait affronté cette crise sans le handicap sévère d’un déficit structurel de 10 milliards d’euros, elle aurait pu y faire face dans des conditions très différentes ».
M. Bernard Vera. Eh oui !
Mme Christiane Demontès. La Cour des comptes démontre, dans son dernier rapport, que la dégradation du déficit en 2008 n’est que très peu due à la crise économique : elle estime que seuls 4 milliards d’euros sur 14 milliards d’euros résultent de ladite crise. Les 10 milliards d’euros restants proviennent donc des mesures fiscales et sociales décidées par l’actuelle majorité. François Marc ayant traité ce sujet, je ne m’y attarderai pas.
Voilà quelques semaines, lors du débat sur la défiscalisation des heures supplémentaires, je pronostiquais un déficit du régime général de la sécurité sociale de l’ordre de 20 milliards d’euros pour 2009. Le secrétaire d’État chargé de l’emploi semblait particulièrement dubitatif. (Mme Nicole Bricq s’exclame.) Malheureusement, la réalité est là : ce déficit est historique, et ce à plusieurs titres. Il l’est non seulement en raison du volume sans précédent qu’il atteint, mais aussi parce qu’il est organisé et programmé sciemment.
Pour ce qui concerne les comptes sociaux, il en est de même que pour les comptes de l’État. Rappelons-nous que le Gouvernement promettait une croissance de la masse salariale de l’ordre de 3,5 % pour cette année et de 4,6 % pour les années suivantes. Nous en sommes bien loin ! Le nombre de demandeurs d’emploi a crû de 18,4 % cette année. Il nous faut maintenant nous préoccuper du financement de cette dette sociale.
Le Gouvernement a choisi de ne pas relever le taux de la CRDS ; c’est donc à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale que reviendra la mission de porter cette dette, dont la charge ne pèse pas moins de 10 milliards d’euros par an. Cet accroissement de la dette pénalise les générations à venir qui devront l’acquitter.
Monsieur le ministre, depuis 2002, votre majorité n’a eu de cesse de s’en remettre au seul viatique qui vaille à vos yeux : la réduction des dépenses.
En matière de santé, nos concitoyens ont dû faire face à l’augmentation du forfait hospitalier, aux déremboursements massifs, à la mise en œuvre de la franchise médicale… Le Gouvernement, non content de culpabiliser les assurés sociaux puis les malades, leur a fait supporter en plus un poids croissant des dépenses évalué à plus de 3 milliards d’euros.
Cette politique pénalise l’ensemble des citoyens, notamment les plus modestes, mais, à plus long terme, elle ne manquera pas d’avoir des conséquences lourdes sur la santé publique.
Pour s’en persuader, il suffit de considérer les effets de la réduction du panier de soins de l’aide médicale d’État sur les ayants droit. Il s’agit bel et bien d’une diminution de l’accès aux soins. Le fait que notre pays soit passé de la première place à la onzième place pour la qualité de son système de santé signifie que votre bilan est très inquiétant.
Venons-en aux branches de notre système de protection sociale.
Dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, que la majorité a adopté, le déficit prévu pour la branche vieillesse s’élevait à 5 milliards d’euros. Selon toute vraisemblance, il atteindra 7,7 milliards d’euros, avec un fonds de solidarité vieillesse déficitaire de 2,1 milliards d’euros, et ce malgré une remise à zéro de ses comptes via le transfert de ses déficits cumulés à la CADES.
Il s’agit là de l’illustration de l’échec de la réforme Fillon de 2003. À l’époque, nous avions dit que cette réforme ne constituait pas une réponse aux besoins de financement pérenne de nos retraites par répartition et qu’elle allait immanquablement en appeler d’autres. Mais une fois de plus, peu vous importe : vous maintenez le cap. Vous évoquez un départ à la retraite à soixante-sept ans, puis vous rectifiez le tir en parlant d’une durée de cotisations portée à quarante-deux ans, voire à quarante-trois ans.
Mais, monsieur le ministre, vous êtes-vous rendu compte que le taux d’emploi des personnes âgées de cinquante-cinq ans à soixante-quatre ans n’est que de 38 % dans notre pays, alors qu’il atteint 70 % en Suède, par exemple ?
Vous rendez-vous compte que, si le comportement des employeurs ne se modifie pas, vos propositions aboutiront à un abaissement drastique du montant des retraites par répartition, lequel est déjà bien bas ?
Avez-vous pris la mesure de ce qui se passe ? L’UNEDIC, qui affichait un excédent de 4,5 milliards d’euros en 2008, se retrouve dans le rouge à hauteur cette année de 1,3 milliard d’euros et probablement, l’année prochaine, de 4,6 milliards d’euros. Dans ce contexte, quelle incidence ont vos propos alors que vous affirmiez, voilà un an, que, grâce à la baisse du chômage, une diminution des cotisations chômage et une hausse des cotisations de retraite pouvaient voir le jour ?
Pensez-vous sérieusement que des dispositions aussi contestables que l’auto-entreprise soient à même de constituer une solution pour des millions de nos concitoyens ? N’est-il pas temps de reconsidérer cette problématique essentielle dans son ensemble et, au moins, de conclure enfin les négociations relatives à la pénibilité que le patronat bloque, avec votre assentiment, depuis 2003 ?
À ce titre aussi, il ne suffit pas de rappeler à Versailles que le programme du Conseil national de la Résistance entendait « assurer une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours » ; il faut passer aux actes, et les vôtres sont loin de satisfaire à cet objectif.
J’en viens à la branche maladie, qui, si les prévisions se vérifient, devrait enregistrer un déficit record de 9,4 milliards d’euros en 2009, contre 4,4 milliards d’euros en 2008, soit une augmentation de l’ordre de 120 %. Face à cette situation, qu’allez-vous faire ?
Allez-vous encore une fois procéder à des coupes budgétaires qui n’auront comme seule vertu que de conforter une analyse comptable sans lien avec les besoins sanitaires de nos concitoyens ?
Allez-vous mettre en scène de nouveaux boucs émissaires, tels que semblent l’être devenus depuis quelques jours les salariés en arrêt de travail ? Non seulement ce procédé est détestable, mais, en plus, il instaure le culte de la défiance au plus haut niveau de l’État. En lieu et place, nous aurions préféré, tout comme les Français, que la réforme de l’hôpital s’accompagne d’une augmentation tant du numerus clausus que du nombre de médecins du travail. Mais peine perdue ! Vous n’avez visiblement que faire des conditions de travail, qui se dégradent très sensiblement. Les conclusions de la CNAM, chargée d’élaborer des référentiels portant sur les pathologies les plus fréquemment observées dans le monde du travail, seront un excellent témoin de cette précarisation.
Votre politique comptable s’applique aussi aux transports sanitaires. Ce poste budgétaire connaît effectivement une croissance rapide, et ce depuis quelques années. Mais au lieu de vous contenter d’un simple constat, pourquoi ne vous posez-vous pas la question de l’incidence directe des fermetures d’hôpitaux et de services, par exemple ?
Cette situation appelle un sursaut. Nous vous le demandons depuis des années, projet de loi de financement de la sécurité sociale après projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Or, comme l’indique le rapporteur général de la commission des affaires sociales, « le retour de la croissance au niveau d’avant la crise permettra seulement de stabiliser le déficit à son niveau d’après-crise, soit peut-être 30 milliards d’euros. » Nous ne pouvons qu’être d’accord avec lui lorsqu’il pronostique ceci : « Le retour d’une croissance modérée […] des dépenses ne permettra en aucun cas – ou de manière marginale – de résorber les déficits massifs qui auront été atteints. Leur résorption ne pourra passer que par une croissance des recettes durablement plus forte que la croissance des dépenses » Mais il n’y a rien concernant l’augmentation des salaires qui aurait une incidence directe sur les recettes de la sécurité sociale, rien concernant la hausse de la taxation sur les stock-options, rien sur les fonds spéculatifs, rien sur les 6 milliards d’euros que coûte la défiscalisation des heures supplémentaires, rien, enfin, concernant une réorientation de votre sacro-sainte politique d’exonération de cotisations sociales !
Pourtant, à plusieurs reprises, notamment au mois de septembre dernier, la Cour des comptes a pointé le fait qu’elle était peu efficiente en matière d’emploi. Pourquoi ne pas procéder au réexamen des conditions d’exonération ? Pourquoi ne pas les lier très directement à la politique menée par les entreprises en matière de salaires et d’emploi ?
Les sommes en jeu sont colossales : 42 milliards d’euros par an, soit un peu plus du double du déficit de la sécurité sociale cette année.
Dans le même ordre d’idée, pourquoi ne vous attaquez-vous pas aux niches fiscales, que la Cour des comptes n’hésite désormais pas à qualifier d’« obsolètes, injustes et inefficaces » ?
Pourquoi ne veillez-vous pas à appliquer le principe d’universalité de la CSG ?
Enfin – mais le sujet est une véritable arlésienne –, pourquoi ne pas remettre à plat l’assiette de cotisations, afin d’intégrer justement le rapport entre le capital et le travail ? Rappelons que le financement de la protection sociale dépend aux deux tiers des revenus du travail.
Mes chers collègues, derrière l’aridité des chiffres se fait jour non seulement le quotidien, mais aussi l’avenir de nos concitoyens. Il conviendrait de se fixer comme objectif de tout mettre en œuvre pour que la société souffre le moins possible et que la dépense publique, en période de crise, puisse sinon annihiler, du moins atténuer les conséquences des décisions prises par le secteur privé.
Malheureusement, ce débat d’orientation budgétaire nous démontre que le Gouvernement a choisi de réduire son effort, alors que nous n’avons pas rattrapé le niveau de 2006.
Monsieur le ministre, il s’agit d’une faute politique qui sera lourde de conséquences et empêchera de relever les défis que pose une société de plus en plus inégalitaire.
Pour notre part, nous sommes prêts à contribuer à redéfinir et à réorienter cette politique, notamment dans les domaines de la fiscalité et de l’emploi. C’est ce que commande la recherche d’une plus grande justice sociale et d’une plus grande efficience économique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)