M. René Beaumont. La conférence des présidents s’est prononcée, c’est elle qui est chargé du règlement, nous n’avons pas à voter !
M. le président. Monsieur Beaumont, vous avez oublié de me demander la parole, ce qui m’étonne de la part de quelqu’un d’aussi discipliné que vous. Par conséquent, je ne vous la donne pas puisque vous vous êtes exprimé.
M. René Beaumont. C’est gentil ! Merci !
M. le président. J’essaie d’être clair. Le règlement précisant « le Sénat se réunit… », nous sommes donc saisis de propositions.
Habituellement, il n’y a pas d’observations et les propositions sont adoptées par consentement tacite.
Aujourd’hui, vous en conviendrez tous, il y a eu des observations et une demande de vote. En vertu de l’article 32, alinéa 2, le Sénat est maître de son ordre du jour les samedis et dimanches. Il peut décider de ne pas siéger ces jours-là.
Je vais donc consulter le Sénat…
M. Patrice Gélard. Il a raison !
M. Gérard Longuet. Absolument !
M. le président. … pour savoir s’il accepte ou refuse sur ce point la proposition de la conférence des présidents. Je ne fais rien d’autre qu’une lecture éminemment étroite du règlement, je n’envisage pas un instant de faire autre chose.
Je vais mettre aux voix cette proposition, sur laquelle je suis saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
M. Daniel Raoul. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. Monsieur Raoul, honnêtement, je pensais que les observations valaient explication de vote, et donc que nous pouvions nous en dispenser. Mais si vous souhaitez une explication de vote, je vous l’accorde, puisque ce sera la seule du groupe socialiste.
Vous avez donc la parole.
M. Daniel Raoul. Votre générosité me trouble, monsieur le président. (Sourires.)
M. le président. Remettez-vous, monsieur Raoul. (Nouveaux sourires.)
M. Daniel Raoul. Qui peut raisonnablement exprimer ce soir un vote en son âme et conscience sur la proposition qui nous est faite, sinon les membres de cette assemblée physiquement présents, et non pas ce simulacre de démocratie que constitue la manière dont nous exerçons le scrutin public, à savoir par blocs de bulletins ? Nous dénonçons, depuis quelque temps déjà, le recours abusif au scrutin public. Quels sont ceux, parmi les absents dont on glisse le bulletin dans les urnes, qui ont connaissance de la proposition ainsi mise aux voix ? Je serais curieux de le savoir !
C’est bien parce que vous êtes minoritaires dans l’hémicycle en cet instant (Protestations sur les travées de l’UMP) que vous voulez recourir au scrutin public.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Sinon, pourquoi demander un scrutin public ?
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Raoul.
M. Daniel Raoul. Monsieur le président, il faudra à un moment donné que l’on clarifie les procédures de vote dans cette assemblée pour permettre tant à la majorité qu’à la minorité de s’exprimer.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, pour explication de vote.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Comme vient de me le souffler le président Longuet, ce sera la seule explication de vote du groupe UMP.
Tout d’abord, j’ai compté, nous sommes majoritaires.
M. Roland Courteau. C’est exceptionnel !
M. Martial Bourquin. Depuis un quart d’heure !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Cessez donc de dire que nous somme minoritaires !
Ensuite, si nous avons demandé un scrutin public, c’est parce que la décision de siéger samedi et dimanche est celle de l’ensemble du groupe UMP, y compris de ceux de ses membres qui ne sont pas présents ce soir.
Si nous avons pris cette décision, c’est uniquement parce que vous êtes arrivés lundi en déclarant que vous alliez nous pourrir la semaine. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Daniel Raoul. C’est faux !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Aussi, nous, nous vous disons que nous allons aussi travailler le week-end ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Nouvelles protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame Des Esgaulx, votre intervention me paraît tout à fait déplacée ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
En effet, je me demande bien comment vous avez pu consulter les membres du groupe UMP pour savoir s’ils sont d’accord pour travailler samedi et dimanche prochains.
Si vous avez réuni tout le groupe, pourquoi n’avez-vous pas demandé à vos collègues d’être présents dans l’hémicycle cet après-midi (M. François Rebsamen applaudit), plutôt que de nous imposer une série de scrutins publics ? C’est inadmissible ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et sur plusieurs travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Je mets aux voix la proposition de la conférence des présidents.
M. Bruno Sido. Enfin !
M. le président. Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 28 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 171 |
Pour l’adoption | 188 |
Contre | 152 |
Le Sénat a adopté la proposition de la conférence des présidents de siéger le samedi 7 novembre et, éventuellement, le dimanche 8 novembre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, je demande une suspension de séance de dix minutes. Le président du groupe UMP a eu le temps de consulter tout son groupe pour voter à sa place concernant la proposition de la conférence des présidents de travailler samedi et dimanche prochains. Je vais quant à moi être obligée d’envoyer un courrier électronique aux membres de mon groupe puisque j’ai voté pour eux sans leur demander leur avis.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l’économie. C’est trop tard !
M. le président. Madame Borvo Cohen-Seat, il y a encore quatre inscrits sur l’article 1er. Je vous propose donc que nous les écoutions, après quoi je vous accorderai une suspension de séance de cinq minutes.
M. Bruno Sido. Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Merci, monsieur le président !
6
Entreprise publique La Poste et activités postales
Suite de la discussion d'un projet de loi en procédure accélérée
(Texte de la commission)
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi relatif à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales.
Article 1er (suite)
M. le président. Nous poursuivons l’examen de l’article 1er.
La parole est à M. Yves Daudigny, sur l’article. Mon cher collègue, je vous prie de bien vouloir rendre à cet hémicycle la sérénité qui doit être la sienne.
M. Yves Daudigny. Monsieur le ministre, je veux apporter dans ce débat la voix, une de plus, d’un département rural, l’Aisne, où les habitants de toutes sensibilités et les élus dans leur diversité ont exprimé, affirmé, confirmé d’abord leur soutien au service public de La Poste, ensuite l’exigence de son maintien.
L’Aisne, un département où près de 10 % de la population se trouvent à plus de vingt minutes ou plus de cinq kilomètres d’un point de contact. Qu’en serait-il demain avec un service privatisé ?
Un département où 52 agences postales communales sont déjà en place et où dix-huit relais poste commerçants ont été créés. C’est dire si les communes se sont engagées, même si un différentiel entre le coût réel du service et la compensation a souvent été mis en évidence. Je veux citer l’exemple d’une petite commune, Wassigny, dans l’Aisne, qui a évalué ce coût à 2 200 euros par mois pour une compensation de 833 euros.
Un département où l’absurdité de la modernisation quelquefois poussée à l’extrême fait qu’une lettre, pour parcourir quelques kilomètres, d’un village à un autre, doit effectuer un voyage de 300 kilomètres aller et retour jusqu’à Amiens.
Un département où les situations de dégradation de la distribution du courrier sont de plus en plus graves et nombreuses, et nous savons que ce ne sont ni les compétences ni la conscience professionnelle des postiers qui sont en cause.
M. Bruno Sido. C’est clair !
M. Yves Daudigny. Un département où des 150 bureaux de plein exercice voilà dix ans, il ne reste aujourd’hui que trente-sept, peut-être bientôt une vingtaine, soit un pour trois cantons en zones rurales. Là aussi, qu’en serait-il demain avec une Poste privatisée ?
Monsieur le ministre, vous ne pourrez pas nous convaincre que ce projet de loi, entier contenu dans son article 1er, s’il est voté, ne remettra pas en cause la qualité du service public rendu aux usagers. Ce serait l’inévitable conséquence d’une seule logique comptable et de la privation perçue comme la suite incontournable du projet examiné ces jours-ci.
Le précédent d’EDF-GDF nous interdit d’accorder du crédit aux garanties que vous dites apporter.
M. Roland Courteau. Oh oui !
M. Yves Daudigny. Monsieur le ministre, les pétitions d’élus locaux se multiplient, relayant l’inquiétude des habitants face aux réductions d’horaires, aux moindres services rendus par les agences, à la confusion commerciale des relais poste commerçants, à la colère devant des bureaux maintenus mais aux portes fermées aux heures où ils pourraient être fréquentés. Attention à la diagonale du vide qui risque de traverser les campagnes de France !
Concernant précisément l’article 1er, vous avez déclaré, monsieur le ministre : « il est inscrit en toutes lettres dans le texte qu’à aucun moment des capitaux de fonds privés n’entreront au capital de La Poste, y compris via la caisse des dépôts et consignations ». Nous n’en avons pas la même lecture, et cela été largement démontré.
Je voterai donc contre l’article 1er de ce projet de loi parce qu’il n’est pas un élément de progrès, parce qu’il n’est pas porteur d’aménagement du territoire, parce qu’il n’est pas facteur de qualité de vie pour les Françaises et les Français.
Des millions d’entre eux, même si vous refusez cette vérité, se sont déjà exprimés contre ce texte, parce que La Poste, plus qu’un distributeur, est vecteur de lien social, de vie économique et de solidarité territoriale.
C’est avec force que nous devons exprimer notre opposition au changement de statut de La Poste en une société anonyme.
Si je me suis inscrit dans le débat et si je suis présent dans l’hémicycle, c’est non par malice, par calcul ou par volonté d’obstruction, mais parce que ce débat est essentiel dans la défense de valeurs que je veux réaffirmer au sein de notre Haute Assemblée, des valeurs qui fondent, par les services publics, les solidarités humaines et territoriales dans notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur plusieurs travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Comme nous parlons de La Poste, les lettres au Père Noël risquent de nous poser quelques problèmes quant à la délivrance du courrier à la date indiquée… (Sourires.) Mais c’est un autre débat.
J’ai écouté attentivement les enjeux du débat qui a eu lieu ces deux derniers jours. Cela me rappelle – excusez-moi de faire un peu « ancien combattant » – le problème qui s’est posé avec EDF et Gaz de France, et le statut que nous avions proposé dans le cadre d’un service public de l’énergie sous la forme d’un établissement public à caractère industriel ou commercial, EPIC, reliant Gaz de France et EDF.
Vous en avez fait deux sociétés…
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l’économie. Une société !
M. Daniel Raoul. Oui, une pour le moment, Gaz de France-Suez, et une deuxième qui est en gestation – je ne sais combien de temps cela va durer – entre EDF et Veolia.
Arrêtons de nous cacher derrière notre petit doigt !
Vous avez nommé un président à la tête d’EDF, du moins c’est presque fait. Nous avions auditionné ce candidat sans que la loi nous y oblige. Cette audition, correcte et intellectuellement honnête, a eu lieu dans le cadre de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Mais le problème de la nomination de ce futur président n’aurait-il pas dû se poser devant une commission d’éthique ?
J’en reviens aux arguments que l’on nous a donnés. Je regrette que le rapporteur se soit momentanément absenté mais M. le ministre est là, il pourra donc sans doute me répondre pertinemment concernant les critères inventés, pardon, évoqués – excusez ce lapsus ! – pour justifier un changement de statut de La Poste.
On nous dit d’abord que c’est le président de La Poste qui en a fait la demande. Connaissez-vous la composition de son conseil d’administration et l’actionnaire de cet EPIC ?
Comment imaginer que le président de cet EPIC ne soit pas aux ordres du Gouvernement, et donc de l’État qui est son actionnaire ? Il est impensable qu’il ne soit pas le porte-parole du Gouvernement !
D’ailleurs, on a bien vu ce qui est arrivé à un ancien président-directeur général quand il a voulu user de sa liberté de parole pour réclamer une hausse des tarifs ! Je veux bien sûr parler d’EDF.
Ensuite, monsieur le ministre, lorsque vous vous dites prêt à accorder à La Poste le statut de service public national pour la rendre prétendument « imprivatisable », nous le savons tous, vous péchez par omission. Autrement dit, vous omettez de prendre en compte la décision du Conseil constitutionnel de 2006. Au regard de cette décision, vous le savez bien, l’amendement Retailleau, que vous évoqué, n’a aucune valeur juridique.
En outre, qu’adviendra-t-il de l’autonomie de la Caisse des dépôts et consignations si elle est appelée à souscrire à l'augmentation de capital à hauteur de 1,5 milliard d'euros ?
En définitive, vous êtes en train de mettre en place un jeu de dominos géant en vue, disons-le franchement, de privatiser La Poste, mais sans avoir le courage de le reconnaître, contrairement à notre collègue Yves Pozzo di Borgo. Celui-ci avait en effet déposé un amendement en ce sens, que vous vous êtes empressé de considérer comme le chiffon rouge à ne surtout pas agiter en cette période,…
M. Roland Courteau. Absolument !
M. Daniel Raoul. … alors qu’il reflète parfaitement le fond de votre pensée.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Daniel Raoul. En ponctionnant ainsi les ressources de la Caisse des dépôts et consignations, vous fragilisez sa capacité d’intervention pour d’éventuels investissements dans notre industrie, qui est pourtant dans un piteux état. Faites attention à ce que la part de ce secteur dans le PIB ne descende pas au-dessous de 20 % ! Si cela arrive un jour, c’est que la France ne sera plus qu’un grand musée ou une énorme attraction touristique : il n’y aura alors plus guère d’autre solution que de s’acheter la panoplie complète du guide touristique, avec la casquette en prime !
M. le président. Il vous faut conclure, mon cher collègue.
M. Daniel Raoul. Monsieur le ministre, quel crédit pouvons-nous apporter à toutes ces déclarations faites la main sur le cœur, y compris de votre part, assurant que jamais, ô grand jamais, La Poste ne sera privatisée ?
M. le président. Concluez, monsieur Raoul.
M. Daniel Raoul. Je me souviens qu’un certain Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’économie – qui occupait, pardonnez-moi de le préciser, un échelon supérieur au vôtre dans la hiérarchie ministérielle –, avait affirmé la même chose à propos de Gaz de France. Nous savons tous ce qu’il en est advenu !
Monsieur le ministre, quelles garanties réelles pouvez-vous donc nous donner aujourd'hui ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Claude Bérit-Débat. Il n’y a aucune garantie !
M. le président. La parole est à M. Gérard Miquel.
M. Gérard Miquel. Monsieur le ministre, mes chers collègues, sur ce sujet, comme sur d’autres, j’ai l’impression que nous ne savons pas tirer les enseignements de nos erreurs passées. Les uns et les autres, nous revendiquons pourtant le droit à l’erreur, et nous en avons tous commis quelques-unes.
Pour illustrer mon propos, je prendrai deux exemples.
Le premier concerne France Télécom. Aujourd'hui, dans nos campagnes, un certain nombre de lignes ne sont pas entretenues. Il arrive même que les fils soutiennent les poteaux ! (Sourires.) Dans mon département, le conseil général a été contraint de financer la construction de trente relais, pour que la téléphonie mobile puisse être déployée dans les zones blanches. Un problème similaire se pose pour le déploiement de la fibre optique, parce que les opérateurs se refusent à intervenir sur ces territoires à faible densité de population, la rentabilité n’étant pas au rendez-vous.
Monsieur le ministre, je suis très inquiet pour l’avenir de La Poste. Vous nous avez affirmé que cette entreprise publique serait « imprivatisable », grâce au verrou prévu par notre collègue Retailleau dans son amendement. Mais on sait ce qu’il en est des verrous…
Le second exemple porte sur les autoroutes.
Je me souviens du débat que nous avons eu, ici même, au Sénat, lorsqu’un gouvernement de gauche a proposé de privatiser une partie des autoroutes, 49 % pour être précis. Le ministre des transports de l’époque, Jean-Claude Gayssot, nous avait alors expliqué que le dispositif mis en place, dans lequel l’État conservait donc les 51 % restants, était censé perdurer. Alors que Jean-Pierre Raffarin, nommé Premier ministre, a su résister, Dominique de Villepin, qui lui a succédé, a entièrement privatisé les autoroutes, privant ainsi l’État d’une recette annuelle de 1 milliard d’euros, qui nous arrangerait bien en ce moment !
M. Didier Guillaume. Absolument !
M. Gérard Miquel. À l’évidence, monsieur le ministre, chers collègues de la majorité, l'augmentation de capital de 2,7 milliards d'euros ne sera pas suffisante pour assurer l’avenir de La Poste. Dans quelques années, il faudra trouver 3 ou 4 milliards d'euros supplémentaires pour faire face aux investissements nécessaires, notamment dans nos zones rurales : l’ouverture du capital sera alors inéluctable.
En outre, puisque la rentabilité ne sera plus assurée, les collectivités les plus faibles se verront demander une participation financière pour être assurées de conserver une distribution du courrier quotidienne en tout point de leurs territoires.
C’est en menant une telle politique libérale que l’on casse un service public. Ce sont systématiquement les plus faibles, les habitants des zones rurales et des banlieues en difficulté, qui en font les frais. Nous refusons qu’ils deviennent les victimes expiatoires.
Nous voterons donc contre l'article 1er, pour préserver le dernier rempart du service public ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Odette Terrade applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Giudicelli.
Mme Colette Giudicelli. Monsieur Miquel, je peux comprendre votre inquiétude, car, c’est vrai, les choses changent avec le temps.
M. Daniel Raoul. Demain sera un autre jour !
Mme Colette Giudicelli. À cet égard, vous vous souvenez sans doute que, en 1997, Lionel Jospin avait mené campagne en défendant les renationalisations, puis qu’une fois arrivé au pouvoir il avait ouvert le capital de France Télécom, d’Air France, et privatisé Thomson, le GAN, la Société marseillaise de crédit, RMC, le Crédit lyonnais, l’Aérospatiale et les Autoroutes du sud de la France !
Chers collègues de l’opposition, vous avez tout à fait le droit d’exprimer vos inquiétudes, et force est de constater que vous ne vous en privez pas depuis lundi soir. Mais ne soyez pas aussi manichéens. À vous entendre, il y aurait, d’un côté, vous, les gentils, défenseurs acharnés de La Poste et de ses personnels, hérauts de la lutte contre sa privatisation…
M. Daniel Raoul. Jusque-là, c’est juste !
Mme Colette Giudicelli. Monsieur Raoul, ayez au moins la courtoisie de me laisser parler. Je suis une nouvelle élue et je ne prends tout de même pas la parole très souvent !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quel dommage…
Mme Colette Giudicelli. Et, de l’autre côté, il y aurait nous, les méchants, les sans-cœur.
M. Didier Guillaume. Mais non !
Mme Colette Giudicelli. Il est temps que ce discours s’arrête ! Le débat qui nous anime, alors que nous ne sommes même pas encore entrés dans le vif du sujet, n’est pas digne du Sénat. Efforçons-nous plutôt de progresser tous ensemble.
Au demeurant, monsieur Raoul, s’il vous venait ce soir à l’idée de prendre des nouvelles de votre famille ou d’amis habitant à l’autre bout de la France, je ne suis pas sûre que vous leur enverriez une lettre par la poste. Les moyens de communication ont évolué, et les postiers sont les premiers à nous dire qu’ils ont de moins en moins de courrier à distribuer.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Merci pour la leçon, madame !
Mme Colette Giudicelli. Madame Borvo Cohen-Seat, cessez, je vous prie, d’interrompre à tout bout de champ les orateurs. Vous prenez tout le temps la parole, même quand on ne vous la donne pas ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Robert del Picchia. Surtout quand on ne vous la donne pas !
Mme Colette Giudicelli. Monsieur Raoul, si vous voulez vraiment avoir des nouvelles rapidement de vos proches, vous allez plutôt leur envoyer un texto ou un mail.
M. Daniel Raoul. Ne croyez pas ça ; je vais d’ailleurs vous écrire sur-le-champ ! (M. Daniel Raoul joint le geste à la parole. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)
Mme Colette Giudicelli. Mes chers collègues, je souhaite que nous puissions tous travailler sérieusement à l’avenir de La Poste et de ses personnels, auxquels nous sommes aussi attachés que vous. Faisons en sorte qu’elle reste cette grande entreprise française qui fait notre fierté et dont nous avons besoin. Mieux, aidons-la à devenir, grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, la grande entreprise européenne de demain.
« Pour que la loi du progrès existât, il faudrait que chacun voulût la créer ; c’est-à-dire que, quand tous les individus s’appliqueront à progresser, alors, l’humanité sera en progrès. » : ce n’est pas de moi, c’est de Baudelaire ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la votation citoyenne du 3 octobre dernier (Ah ! sur les travées de l’UMP),…
M. Jean Bizet. Ça recommence !
M. Guy Fischer. … qui a rassemblé 2,5 millions de nos concitoyens,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce n’est pas beaucoup !
M. Jean Bizet. C’est du pipeau !
M. Guy Fischer. … a confirmé de façon magnifique combien les Françaises et les Français sont attachés au service public postal dans notre pays.
M. Roland Courteau. Cela gêne le Gouvernement et sa majorité !
M. Guy Fischer. L'engagement du Gouvernement de maintenir 100 % de fonds publics dans le capital de La Poste est « l’arbre qui cache la forêt ».
M. Roland Courteau. Oh oui !
M. Guy Fischer. Vous ne cessez de dire que la transformation en société anonyme ne changera en rien le statut de La Poste. J’affirme que ce sera le contraire.
MM. Didier Guillaume et Martial Bourquin. Bien sûr que oui !
M. Guy Fischer. J’en veux pour preuve la situation des salariés de l’escale aérienne postale de l’aéroport Lyon-Saint-Exupéry, service rattaché actuellement à la plate-forme industrielle courrier Ain-Rhône, située à Saint-Priest, commune du Rhône limitrophe de Vénissieux.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Magnifique plate-forme !
M. Guy Fischer. Absolument, monsieur le rapporteur !
Le 19 octobre dernier, j’ai passé une grande partie de la nuit avec les 31 postiers de l’escale, qui avaient en effet souhaité me rencontrer, en présence du directeur.
Fort de cette expérience personnelle, je peux vous dire que les salariés sont très inquiets. En effet, au début du mois de septembre, la direction leur a annoncé le transfert de l’activité à sa filiale logistique Neolog, détenue à 100 % par la holding Sofipost, propriété du groupe La Poste. Le 6 avril 2010, les 31 postiers, tous fonctionnaires, devront quitter les lieux pour laisser la place aux personnels de Neolog, salariés de droit privé. Vous avez compris : si ce n’est pas de la privatisation, cela y ressemble tout de même beaucoup !
Les fonctionnaires seront, quant à eux, mutés dans un autre établissement dépendant de la plate-forme industrielle courrier Ain-Rhône. Leurs inquiétudes ne datent pas d’hier. Le site était déjà menacé de fermeture pour des raisons – simple prétexte ? – liées aux problématiques du développement durable qui s’imposent aussi à La Poste.
L’entreprise a fait état de sa volonté de réduire de 15 % ses émissions de gaz à effet de serre, en engageant un redéploiement des moyens de transport favorisant la locomotion électrique pour le courrier.
Mais, aujourd’hui, les fonctionnaires ne comprennent pas pourquoi la direction les prie de partir, alors que la même activité va se poursuivre avec des salariés de Neolog, sous statut de droit privé !
Quant à la politique sociale de la société Neolog – je terminerai sur ce point –, les salariés du site d’Halluin, dans le département du Nord, n’en gardent pas un bon souvenir. Pas moins d’une vingtaine de salariés, sur un effectif de quarante-cinq personnes, ont fait les frais d’une restructuration. Cette entreprise n’y va pas par quatre chemins : soit l’employé accepte la mutation, soit il est licencié !
Il existe donc bien une volonté de la part du Gouvernement et de l’entreprise de « saborder le navire » en amont, au travers des filiales de La Poste.
Voilà ce que votre gouvernement fait du service public, monsieur le ministre : il le livre aux appétits du secteur privé et organise une privatisation rampante de ses activités, pour le plus grand profit des actionnaires !
C’est pourquoi notre groupe votera résolument contre cet article 1er. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. Mes chers collègues, comme je m’y étais engagé auprès de Mme la présidente Nicole Borvo Cohen-Seat, nous allons interrompre nos travaux pour cinq minutes.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-deux heures quarante-cinq, est reprise à vingt-deux heures cinquante.)
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Mes chers collègues, je voudrais vous donner mon sentiment par rapport à ce débat.
Si, en tant que président de commission, j’étais en mesure d’intervenir régulièrement au cours des discussions, j’ai surtout été très attentif à tous les propos qui ont été tenus. Certains ont pu avoir des réserves sur le temps de parole ou se plaindre de ne pouvoir s’exprimer. Il me semble néanmoins que tout le monde a eu le temps d’intervenir.
Il se trouve que j’ai siégé cinquante-cinq heures sur ce banc, pendant l’examen du Grenelle de l’environnement. Je suis donc capable de prendre la température de l’hémicycle et, à cet instant, j’appelle à une certaine sérénité.
Le président de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire et le rapporteur Pierre Hérisson s’intéressent, depuis très longtemps, à l’avenir de La Poste.
Je ne vais relancer les débats qui ont eu lieu sur le changement de statut de La Poste, sur les 17 000 points de contact, sur le financement des investissements : les garanties apportées par le Gouvernement et le chef de l’État doivent, me semble-t-il, rassurer nos concitoyens.
Je ne reviens pas non plus sur la votation. J’ai personnellement reçu, en lieu et place du président Gérard Larcher, l’ensemble de la représentation syndicale. Par conséquent, je dispose d’une certaine approche de cette représentation.
Enfin, mes chers collègues, nous avons beaucoup débattu en commission, dans un premier temps sur le texte du Gouvernement. Une centaine d’amendements ont alors été déposés, dont certains ont été intégrés au texte de la commission. Et nous avons 629 ou 630 amendements supplémentaires à examiner, en séance publique.
Je crois donc que le débat est assez large. Or nous revenons toujours sur les mêmes sujets, alors même que M. le ministre et M. le rapporteur ont apporté des réponses. Par ailleurs, si j’examine globalement les 581 amendements qui restent en discussion – nous les lisons, avec M. le rapporteur, et en comprenons bien la technique –, certains amendements peuvent encore vraisemblablement améliorer le projet de loi. Mais, sans prétendre que les autres ne peuvent pas prêter à débat, j’appelle à une certaine sagesse.
Je l’ai bien compris, mes chers collègues, vous ne souhaitez pas siéger samedi et dimanche. Si, à compter de ce soir, nous parvenons à travailler dans une plus grande sérénité, il me semble que nous pourrons avancer et réaliser un très bon travail au cours des journées et des soirées de jeudi et vendredi.
Je n’essaie pas de convaincre les autres sensibilités politiques : c’est bien le rôle du Parlement de faire progresser les choses ! Mais, pour ma part, ce projet de loi me convient, surtout dans sa version modifiée par la commission et en tenant compte de certains amendements ultérieurs, qui devraient de toute évidence rassurer nos concitoyens, les employés de La Poste – bien sûr ! – et les élus. Il me semble donc que nous disposerons d’un texte nous permettant de faire progresser cette grande société, à laquelle nous sommes très attachés.
Je comprends bien les convictions de chacune et de chacun, et il me semble que je respecte, au sein de la commission, toutes les opinions.