M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
Mme Christine Lagarde, ministre. Avant d’aborder les deux sujets qui me concernent spécifiquement, la taxe professionnelle et la taxe carbone, je souhaite revenir un instant sur nos prévisions de croissance. Si j’en crois certains murmures que j’ai pu entendre ici ou là, nous aurions bâti l’ensemble du budget sur une prévision de croissance peut-être un peu conservatrice.
Le chiffrage de 0,75 % du produit intérieur brut pour la croissance de l’année 2010 a été retenu en tenant compte de l’environnement international. L’économie française ne tourne pas en vase clos et c’est bien le commerce extérieur qui, aujourd’hui, prend le relais des moteurs habituels de la croissance – la consommation a tenu bon, mais est plutôt atone en cette fin d’année 2009 ; l’investissement ne tient que sur le seul investissement public, l’investissement privé ayant baissé de 7 % – et contribue de manière positive à cette croissance.
C’est donc en prenant en compte l’environnement international que nous avons fixé une croissance de 0,75 % et cette prévision semble, non pas conservatrice, mais raisonnable au regard des rééquilibrages en cours sur l’ensemble de la planète. Ainsi, si les taux de croissance sont importants en Asie, notamment en Chine, mais également en Malaisie, en Indonésie et dans un certain nombre d’autres pays périphériques – autrefois dénommés les dragons asiatiques –, on envisage pour l’année 2010 une croissance américaine relativement faible, qui ne sera pas de nature à tirer l’économie mondiale comme elle l’a fait jusqu’à présent.
Compte tenu de cet environnement international et des fondamentaux de l’économie française, il est préférable d’établir une prévision de croissance de 0,75 %, même si, par ailleurs, la Commission européenne estime que notre PIB progressera de 1,2 % et l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, dans sa prévision sortie ce matin même, qu’il augmentera de 1,4 %.
Nous verrons bien comment se déroulera le début de l’année 2010. Certes, comme je l’ai indiqué précédemment, nous entamerons cette période avec un élan de croissance, si l’on en croit l’appréciation que donnent les statisticiens des derniers chiffres réalisés en 2009. Néanmoins, il est préférable d’attendre et de ne pas réviser, pour l’instant, cette prévision de croissance.
Avant d’aborder la question de la taxe professionnelle, je dirai quelques mots sur l’emploi.
Selon un principe économique observé systématiquement et, surtout, en période de sortie de crise lourde – c’est le cas des crises mondialisées affectant à la fois le système bancaire et le secteur immobilier, comme la crise que nous traversons – nous allons constater un décalage entre le rebond de la croissance, enregistré à l’occasion d’une reprise certes faible, mais confirmée, et la création de nouveaux emplois.
Nous devons bien entendu gérer ce décalage avec une politique de l’emploi très ciblée, solide et, évidemment, financée.
C’est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite que le projet de loi de finances pour 2010 tende à maintenir le dispositif « zéro charge », qui permet aux très petites entreprises, les TPE, c’est-à-dire les entreprises de moins de dix salariés, d’embaucher sans avoir à payer de charges sociales.
À ce jour et au titre de l’année 2009, 500 000 emplois ont été créés grâce au dispositif, pour un objectif de 700 000 embauches avant la fin de l’année. Par ailleurs, nous maintenons le mécanisme jusqu’au 30 juin 2010 en clarifiant certaines incertitudes. Ainsi, pour les 200 000 embauches restant à réaliser en 2009 et pour toute embauche effectuée jusqu’au 30 juin 2010, l’exonération de charges est garantie pendant douze mois.
Deuxième outil que nous avons conforté, le chômage partiel continuera également à être soutenu. Ce soutien renforcé au chômage partiel a effectivement apporté un certain nombre de résultats. Ainsi, au deuxième trimestre, 319 000 personnes ont bénéficié du dispositif, soit deux fois plus qu’au premier trimestre.
En outre, les chiffres comparés du chômage font apparaître que l’Allemagne a connu une progression de son taux de chômage beaucoup plus faible que celle enregistrée en France et que la moyenne européenne. Quand on interroge nos homologues allemands, ils font tous le même constat : c’est le mécanisme du chômage partiel, la durée du chômage partiel et l’association qui est faite entre ce chômage partiel et la formation professionnelle qui leur permettent d’obtenir ces résultats. Ils évitent ainsi des ruptures de contrat pour des salariés qui se retrouvent simultanément en activité partielle et en formation professionnelle.
Le maintien d’un troisième mécanisme, un mécanisme double, est prévu dans ce projet de loi de finances.
D’une part, il s’agit de renforcer les conventions de reclassement personnalisé, les CRP, qui soutiennent les salariés ayant fait l’objet d’un licenciement économique, leur assurent un très haut niveau d’indemnisation et rencontrent un succès réel avec plus de 60 % de reclassement à l’issue de ces conventions.
D’autre part, le contrat de transition professionnelle, le CTP, particulièrement bienvenu, est actuellement en vigueur dans 25 bassins d’emploi. Un amendement au projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie tend à prévoir son extension à un total de 40 bassins d’emploi. Nous avons donc encore 15 cartouches à tirer, si j’ose dire, dans ce domaine. Le projet de loi est actuellement examiné par le Conseil constitutionnel et j’espère que, dès qu’il sera validé, nous pourrons déployer le CTP sur de nouveaux bassins d’emploi.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je voulais vous indiquer sur la situation de l’emploi, qui constitue un objectif majeur pour l’année 2010. Nous escomptons, sur cette période, une consolidation du mouvement de reprise observé à la fin de l’année 2009, mais nous savons très bien que ses effets en matière de créations d’emploi se feront attendre sur la deuxième partie de l’année. C’est pourquoi il est déterminant de soutenir l’emploi.
J’en viens maintenant à la réforme de la taxe professionnelle et à notre préoccupation majeure, l’amélioration de la compétitivité des entreprises. Comme je le rappelais hier devant le congrès des maires de France, notre objectif est, d’abord et avant tout, économique et je sais que vous êtes nombreux à partager ce point de vue.
Mme Nicole Bricq. Non !
Mme Christine Lagarde, ministre. Notre but est d’éliminer tous les obstacles à la création d’emplois et au maintien d’activités économiques sur notre territoire.
Mme Nicole Bricq. Vous ne l’avez pas démontré !
Mme Christine Lagarde, ministre. Avec cette réforme de la taxe professionnelle – nous en viendrons ensuite au sujet capital du financement des collectivités territoriales –, je veux que plus une seule entreprise n’utilise l’alibi de la taxe professionnelle pour délocaliser. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Il en existe, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, et je vous présenterai un certain nombre de cas !
Je veux également qu’aucun des investisseurs directs étrangers – nous sommes en mesure d’en attirer – ne me dise, en utilisant le tableau comparatif de la fiscalité assise sur l’investissement, qu’il ne vient pas en France au motif que, sur l’ensemble des pays de l’Union européenne, toutes catégories confondues, c’est le seul pays à imposer l’investissement productif.
Mme Nicole Bricq et M. Jean-Jacques Mirassou. C’est faux ! Personne ne dit cela !
Mme Christine Lagarde, ministre. Nous aurons ce débat passionnant et vous pourrez développer vos propres arguments. Pour l’instant, permettez-moi de préciser les nôtres !
D’autres pays imposent le foncier, à un taux souvent plus élevé. Si vous connaissez, mesdames, messieurs les sénateurs, un seul pays, autre que la France, qui impose l’investissement productif, indépendamment de son utilisation et de son résultat, je vous invite à m’en informer. À part le canton de Genève, je ne pense pas qu’il y en ait ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Le président François Mitterrand disait lui-même que la taxe professionnelle était un impôt imbécile.
Mme Nicole Bricq. Tout impôt est imbécile !
Mme Christine Lagarde, ministre. Pour ma part, je dis qu’il est absurde, absurde au point que Dominique Strauss-Kahn avait considéré à l’époque qu’il valait mieux le retirer de son assiette si on voulait soutenir l’emploi.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Très mauvaise décision !
Mme Christine Lagarde, ministre. De la même manière, nous estimons que, pour soutenir les investissements et, en conséquence, l’industrie, il faut sortir ces investissements de l’assiette de la taxe professionnelle. Seulement, si vous ôtez ces deux éléments, il ne reste plus rien ! Il devient donc nécessaire de remplacer cette taxe par un autre dispositif.
M. Charles Revet. Très bien !
Mme Christine Lagarde, ministre. C’est précisément ce que prévoit le projet de loi de finances.
La situation est d’ailleurs très simple. Les chiffres nous apprennent qu’au cours des vingt dernières années l’industrie française a perdu 500 000 emplois directs, …
Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas à cause de la taxe professionnelle !
Mme Christine Lagarde, ministre. … passant de 21 % à 14 % du PIB. Cette évolution n’est pas due à la seule taxe professionnelle – contrairement à d’autres, je ne suis pas sectaire sur ce point –, mais celle-ci a eu un impact. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Notre proposition consiste donc à mettre en place un impôt plus moderne. Il s’agit, non pas d’éliminer le lien entre l’entreprise et le territoire, lien qui s’avère indispensable, mais plutôt de le remplacer par un impôt qui soit en ligne avec la politique industrielle et avec ce que sont devenus les éléments fondamentaux de notre PIB : une proportion importante d’activités de service, aujourd’hui largement exonérées ou bénéficiant d’un assouplissement considérable en matière de taxe professionnelle ; une faible part d’activités industrielles, fortement taxées dans ce domaine.
Nous sommes très clairement à l’heure des choix ! Nous aurons, à ce sujet, un débat long, approfondi et technique. D’ailleurs, je remercie infiniment M. le président de la commission des finances d’avoir bien voulu nous donner le temps d’étudier cette question. Nous prendrons donc le temps de l’examen.
Comme je vous l’ai déjà dit, et comme l’a annoncé avant moi M. le Premier ministre, avec plus encore de clarté et d’autorité, nous sommes d’accord pour convenir d’une clause de rendez-vous à mi-année. Il s’agit non pas de remettre en cause tout le système, car nous devons assurer plus de sécurité, mais de corriger à la marge les erreurs que nous aurions pu commettre. Nous pourrons également vérifier, sur la base des simulations, si nous avons atteint les objectifs que nous nous sommes fixés. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.)
Cet objectif est double. D’une part, nous voulons soutenir l’industrie, c’est-à-dire les entreprises, car ce sont elles qui créent des emplois tout en contribuant aujourd’hui à la taxe professionnelle et demain à la contribution économique territoriale. D’autre part, nous voulons garantir les finances publiques, puisque l’ensemble des collectivités territoriales bénéficieront de ce financement.
M. Charles Revet. Très bien !
Mme Christine Lagarde, ministre. Avec cette réforme, je le rappelle, nous remplaçons la taxe professionnelle par un impôt moderne qui marche sur deux jambes, comprenant une part foncière et une part assise sur la valeur ajoutée. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.). Ce nouvel impôt, nous l’avons appelé « contribution économique territoriale », ce qui n’exclut pas de le baptiser autrement, si vous avez des propositions en la matière.
Avec cette réforme, l’imposition des entreprises sera allégée de 4,3 milliards d’euros. Il sera dorénavant moins coûteux d’investir en France, et donc d’y créer des emplois.
Je comprends parfaitement que ce projet de réforme, avec son double objectif – imposer l’activité économique tout en l’encourageant, et garantir le financement des collectivités territoriales – suscite des questions et des incertitudes. C’est pourquoi j’estime qu’il doit faire l’objet d’un débat serein, intelligent et néanmoins technique.
Je dois cependant rappeler avec la plus grande clarté l’intention du Gouvernement. Nous voulons non seulement maintenir les recettes des collectivités territoriales, de toutes les collectivités territoriales, de chacune des collectivités territoriales ; mais nous voulons aussi le faire dans le respect du principe de l’autonomie financière.
Les ressources transférées aux collectivités territoriales ne seront pas des subventions sous forme de dotations complémentaires, dont les élus que vous êtes connaissent le caractère incertain à long terme. Au contraire, elles seront constituées de recettes fiscales pérennes et dynamiques, les collectivités territoriales conservant la capacité de fixer le taux d’imposition sur les éléments fonciers de la taxe.
J’étais hier au congrès annuel de l’Association des maires de France. Je sais que certains d’entre vous y ont participé et je les en remercie. Depuis le début, le Gouvernement a toujours pris le parti de l’écoute et du dialogue avec les parlementaires. Ce dialogue, je suis bien sûr prête à l’approfondir car, pour une réforme aussi importante, il n’y en aura jamais assez.
Je rappellerai que, depuis la conférence nationale des exécutifs, il y a huit mois, le Gouvernement n’a cessé de travailler avec les élus sur cette question. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Je voudrais, à cet égard, remercier les sénateurs qui ont accepté de participer à ce processus de concertation. En particulier, il faut rendre hommage au talent de MM. les sénateurs Albéric de Montgolfier et Charles Guené (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.), ainsi qu’à celui de leur collègue Edmond Hervé, qui a lui aussi participé à ce groupe de travail. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l’UMP.)
Mme Nicole Bricq. Ex æquo !
Mme Christine Lagarde, ministre. Vous noterez au passage qu’à droite on applaudit tout le monde ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Par ailleurs, j’ai été entendue à huit reprises par la conférence nationale des exécutifs et par le Parlement. De nombreuses réunions ont eu lieu avec les associations d’élus locaux, avec les entreprises ou avec le groupe de travail parlementaire constitué sur la suggestion de M. le président de la commission des finances, qui rassemblait les sénateurs dont je viens d’évoquer le nom et que je remercie à nouveau.
Ce travail fructueux a débouché sur des modifications profondes du texte. Permettez-moi de vous en citer deux exemples.
Le premier, c’est l’idée d’une cotisation sur la valeur ajoutée, réclamée par les associations d’élus depuis de nombreuses années. Personne n’a pu, jusqu’à présent, lui donner forme, de même que personne, depuis vingt ans, n’avait osé réformer la taxe professionnelle. C’est ce que vous allez faire en examinant ce texte.
Le second apport considérable du groupe de travail réuni par le Gouvernement, c’est le découplage entre la cotisation et la part foncière de la taxe professionnelle : là encore, c’est une initiative des élus ! Cette idée n’avait pas la faveur des représentants des entreprises, et je dois avouer qu’il n’a pas été facile de travailler sur cette partie du texte. Si nous l’avons maintenue, c’est que le projet de réforme du Gouvernement n’avait pas pour objet d’avantager les entreprises, mais d’être à la fois favorable à notre économie et respectueux des finances locales. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Nous avons donc continué à améliorer ce texte avec les députés. L’Assemblée nationale nous a ainsi convaincus d’attribuer au bloc communal – et notamment aux intercommunalités – une partie de la cotisation sur la valeur ajoutée que, par une illumination de fiscalistes, nous avions prévu d’affecter exclusivement au bloc régional et au bloc départemental. C’est pourquoi le texte tel qu’il vous est soumis prévoit que 20% de la cotisation sur la valeur ajoutée aille aux établissements publics de coopération intercommunale.
M. Yvon Collin. Ce n’est pas assez !
Mme Christine Lagarde, ministre. Nous allons évidemment continuer à travailler sur ces matières. Je sais en tout cas que je pourrai compter sur les sénateurs, qui ont à cœur de défendre les intérêts des collectivités territoriales, pour améliorer le texte. Je sais en particulier que nous devrons nous efforcer d’accorder deux principes difficilement conciliables et néanmoins inéluctables : celui de la territorialisation et celui de la bonne clé de répartition sur laquelle il faut d’ailleurs s’interroger pour savoir si elle est, en l’état actuel, favorable ou non à l’équilibre entre les territoires. (Très bien ! sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Charles Revet. Oui, l’important, c’est la péréquation !
Mme Christine Lagarde, ministre. L’engagement que je prends vis-à-vis de vous, c’est de tenter par tous les moyens d’être simple. Même s’il serait plus facile de débattre entre experts d’une matière qui peut paraître obscure, je crois qu’il s’agit d’un impôt trop important pour que son élaboration soit laissée aux seuls spécialistes.
Je passerai plus vite sur le deuxième volet important de la réforme fiscale que nous vous proposons, puisque nous aurons l’occasion d’en débattre à l’occasion de l’examen des amendements, et qui nous amène à envisager une croissance plus durable. J’évoquerai ici la taxe carbone.
Cette taxe carbone découle d’un choix stratégique et difficile. Nous savons que réduire aujourd’hui nos émissions de CO2 nous coûtera moins cher que d’en assumer, demain, les conséquences du changement climatique. C’est la position de France dans les organisations internationales, que Jean-Louis Borloo a défendue avec énergie en tentant de dépasser les clivages traditionnels entre pays émergents et moins développés d’un côté, pays industriels et développés de l’autre. A cet effet, il a proposé un compartimentage un peu différent, qui permettrait d’isoler les pays les moins développés et les plus menacés par le risque climatique de l’ensemble des autres, qu’ils soient « émergents » ou « développés ».
Nous avons donc choisi de donner suite aux propositions de Michel Rocard et de Nicolas Hulot pour taxer les émissions de CO2, afin que personne ne puisse continuer à dégrader la planète sans en payer le prix ou, du moins, sans connaître ce prix
Comme l’a dit fort justement M. le rapporteur général dans un article récent, il est légitime de s’interroger sur la nature de la taxe carbone. Car, à vrai dire, s’agit-il bien d’une taxe ? N’est-ce pas plutôt, en l’état actuel, un signal-prix et un mode de détermination d’un coût ?
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Tout à fait ! Ce n’est pas une taxe, c’est un prix. Il faut gagner la bataille des mots !
Mme Christine Lagarde, ministre. À défaut d’un glissement sémantique – même si la sémantique, en la matière, compte infiniment – je constate que ce signal-prix entraînera, dans son évolution potentielle, un glissement d’assiette de nos prélèvements obligatoires. Cette taxe est porteuse d’un double dividende, parce qu’elle permet de restructurer notre fiscalité en taxant moins les investissements, moins les revenus et plus la pollution.
La méthode, je le crois, a fait ses preuves ; nous avons vu que le mécanisme du bonus-malus dans le secteur automobile a permis de quadrupler la part des véhicules propres dans les ventes de voitures en un an. La taxe carbone s’appuie sur un système comparable : le malus, c’est la taxe carbone ; le bonus, c’est la compensation forfaitaire redistribuée aux ménages, telle qu’elle est prévue par l’article 6 du projet de loi soumis à votre examen.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je voulais brièvement vous indiquer ; je sais que nous aurons l’occasion de débattre plus avant et de manière, je l’espère, tout à la fois technique et simple, de ces deux modifications fondamentales de notre paysage fiscal. Ces réformes, j’en suis convaincue, nous permettront de poursuivre notre politique économique, fondée sur l’investissement et l’emploi dans une perspective durable. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste et du RDSE.)
M. le président. Madame la ministre, en vous décernant le titre de meilleur ministre des finances de la zone euro, le Financial Times ignorait sans doute votre discours d’aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, nous vous en félicitons !
La parole est maintenant à M. le rapporteur général de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous propose d’organiser cette présentation en deux phases. La première sera consacrée au contexte économique et financier, entre crise et reprise. La seconde aura plus précisément trait au projet de loi de finances dont nous entamons l’examen : entre relance et retour à la normale ou, peut-être, entre relance et rigueur. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Vous me connaissez suffisamment bien, mes chers collègues, pour savoir que, de ma part, le terme « rigueur » n’est pas un gros mot. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) C’est au contraire un mot qui traduit le souci de la saine gestion des deniers publics, ce qui est notre devoir (Très bien ! sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
J’en viens donc à la première phase. Nous ne savons plus très bien où nous en sommes. Nous avons un problème de repères. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) À entendre les macro-économistes dans leur diversité, la courbe de l’activité est tantôt symbolisée par un « V », tantôt par un « U », ou par un « W », par une racine carrée, ou par tout ce que l’on voudra
M. François Marc. Et pourquoi pas une intégrale ? (Sourires.)
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. En ce qui concerne cette perte de repères, je voudrais souligner qu’en peu de temps tout a changé d’échelle – qu’il s’agisse des déficits, de l’endettement des États, du total des bilans des banques centrales – et qu’en la matière notre pays ne fait pas exception.
Je vous rappelle les chiffres : 116 milliards d’euros de déficit pour le budget de l’État de 2010, après sans doute plus de 140 milliards d’euros au titre de 2009 ! Si l’on regarde l’ensemble des administrations publiques, sécurité sociale et collectivités territoriales comprises, l’augmentation est tout aussi spectaculaire puisqu’en pourcentage du produit intérieur brut nous atteindrions 8,5% en 2010.
Dans cette phase intermédiaire, nous sommes pour ainsi dire dans un état d’apesanteur financière. La dette explose et, pourtant, elle n’a jamais été aussi légère ! (Sourires.)
Mme Nicole Bricq. Pour vous, 140 milliards, c’est de l’apesanteur ! Je dirais plutôt que c’est du plomb !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Elle est si légère que cette légèreté est, à l’évidence même, insoutenable. N’est-ce pas ? (Sourires.)
Mme Nicole Bricq. C’est le bonheur !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Tout le monde le sait, les analystes comme les opérateurs de tous ordres, cette situation va changer. L’inflation va réapparaître, les taux d’intérêt vont remonter et, comme la dette n’est pas magique, il nous faudra la rembourser. Les remboursements de la dette accumulée aujourd’hui pèseront donc certainement plus lourd demain.
Au demeurant, il y a des indices de reprise autour de nous. Mais il y a en même temps toujours beaucoup de trouble dans les esprits. Le volume des liquidités mises sur le marché est, du fait même de la crise et de la manière dont il a fallu la combattre, sans précédent. Il viendra probablement alimenter de nouvelles bulles d’actifs si l’on n’y prend garde – qu’il s’agisse de matières premières, d’immobilier ou, tout simplement, de titres.
L’observation des marchés financiers ou de la manière dont les banques sont gérées et les résultats qu’elles obtiennent met en lumière un paradoxe. Il existe, en effet, un décalage, tout à fait incompréhensible du point de vue de l’opinion publique, entre une sphère réelle qui peine à se restructurer et une sphère financière qui redevient rapidement florissante. De manière très générale, ce constat vaut pour l’ensemble des pays occidentaux.
Les gouvernements et les banques centrales ne pouvaient, dans le paroxysme de la crise, que traiter le mal par le mal. L’injection considérable de liquidités dans l’économie, le caractère par définition anormal de la structure des taux d’intérêt et l’implication très forte des États dont la marge de manœuvre budgétaire était déjà très faible n’ont pu qu’engendrer des comportements paradoxaux.
Et c’est la conjonction de deux phénomènes – les aides d’État, mais, surtout, l’approvisionnement en liquidités à un coût quasi nul – qui permet aux banques d’améliorer rapidement leur rentabilité.
L’afflux de liquidités commence à faire sentir ses effets pervers sur le marché de changes avec, en particulier, la baisse continue du dollar.
Le Premier ministre a annoncé – et vous l’avez confirmé, madame la ministre – que le taux de croissance en 2010 serait « sans doute » de « plus de 1 % ». Le projet de loi de finances est établi, quant à lui, sur la base prudente d’un taux de 0,75 %, ce dont je ne peux que me réjouir.
Avec la reprise, de nouvelles difficultés risquent de surgir. Dans leur souci justifié de lutter contre l’inflation, puisque c’est le mandat qu’on leur a confié, les banques centrales devront probablement dans quelques mois durcir leur politique monétaire, surtout si les prix de l’énergie commencent à frémir.
Au demeurant, il suffit d’observer les anticipations ou les décisions prises en matière de détermination des taux d’intérêt par les banques centrales de certains pays situés aux confins de notre monde – je pense à l’Australie.
Le relèvement des taux d’intérêt, que nous savons inévitable et qui s’inscrit d’ailleurs dans le prix des options se négociant sur les marchés, dont nous ne connaissons pas le terme, commencera naturellement par renchérir les charges de la dette d’un certain nombre d’États, notamment la France.
Dès lors qu’il convient de prendre en compte les risques réels et extrêmes du système, il ne faut pas exclure que, à la suite du relèvement des taux d’intérêt, il devienne beaucoup plus difficile de placer une dette publique dont, pour l’instant, tout le monde s’arrache les titres.
Mais, madame la ministre, nous ne pouvons bâtir un chemin durable sur la situation exceptionnelle et sans précédent dans laquelle notre monde économique se trouve aujourd'hui.
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La sortie de crise constituera le moment de vérité pour les modèles économiques. Il faut raisonner nation par nation. On a souvent vanté les modèles de croissance et de rigueur de l’Espagne et du Royaume-Uni. Aujourd'hui, nous le savons, ces pays qui sont en phase de sortie de crise vont devoir modifier sensiblement ces modèles, voire en inventer de nouveaux. En termes de comparaisons intra-européennes, nous connaissons le nom de celui qui sortira vainqueur : c’est notre meilleur allié et partenaire, l’Allemagne, qui, ayant su limiter les déficits, devrait profiter des toutes premières brises de reprise en qualité de meilleur fournisseur des zones émergentes, c'est-à-dire de celles qui connaîtront les taux de croissance les plus élevés.
Aujourd'hui, le niveau exceptionnellement bas des taux d’intérêt constitue une fenêtre d’opportunité, que nous devons utiliser à bon escient, sans illusions, avec la préoccupation permanente de poursuivre les réformes qui affirmeront notre compétitivité.
J’en viens au projet de loi de finances pour 2010. J’évoquerai à mon tour les principales dispositions de politique fiscale – le financement des collectivités territoriales et le « signal prix », appellation préférable à celle de « taxe carbone » –, avant d’en venir à quelques réflexions sur le sujet qui nous prive à l’instant de la présence de M. Éric Woerth, c'est-à-dire le grand emprunt, et de conclure sur la bonne tenue des dépenses publiques.
En ce qui concerne la taxe professionnelle,…