Mme Nicole Bricq. Ah !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. … vous le savez, madame la ministre, je n’étais pas demandeur de cet exercice,…
Un sénateur de l’UMP. Personne !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. … tout comme la plupart de nos collègues ici présents. Dès lors que la réforme est engagée, il est indispensable que le Sénat joue tout son rôle, qui porte à la fois sur la méthode et l’explicitation.
À vrai dire, vous avez élaboré ce texte dans des conditions particulièrement difficiles, votre administration n’étant pas nécessairement bien préparée. Il faut rendre hommage à votre travail,…
Un sénateur de l’UMP. C’est vrai !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. … car vous vous y êtes attelée avec discipline (Sourires.), dans le souci de rendre un produit qui soit le plus pertinent possible. L'Assemblée nationale a fait évoluer le texte à bon escient, me semble-t-il. À ce stade, sommes-nous en mesure de tout comprendre ?
Mme Nathalie Goulet. Non !
M. Jean-Pierre Fourcade. Et non, hélas !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Je ne le crois pas. Mais, pour mieux comprendre cette réforme, nous convaincre de sa pertinence,…
Mme Nicole Bricq. On en connaît qui ne sont pas convaincus, n’est-ce pas, chers collègues de la majorité ?
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. … pour l’expliciter et la défendre à l’extérieur, nous avons encore besoin de tout le temps de nos débats et de quelques stades intermédiaires.
À la vérité, lorsqu’on lit l’article 2 qui comporte, si je ne me trompe, 135 pages,…
M. François Marc. C’est de la belle ouvrage…
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. … nous ne sommes pas encore en mesure d’en faire une analyse globale. C’est la raison pour laquelle j’ai recommandé – et je suis très reconnaissant au Gouvernement de ne pas s’y opposer –d’utiliser la meilleure méthode, qui est celle de Descartes. En substance, face à une difficulté que l’on peine à analyser, il faut « diviser chacune des difficultés que j’examinerai en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les mieux résoudre ». Nous devrions nous en tenir à cette règle extraite du Discours de la Méthode. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. Adrien Gouteyron. Excellente citation, monsieur le rapporteur général !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Sa traduction moderne et immédiate, ici et maintenant, c’est : un temps, deux mouvements ! (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.)
Ainsi, les dispositions ayant vocation à être opérationnelles dès le 1er janvier 2010 doivent figurer dans la première partie de la loi de finances.
Je pense, tout d’abord, à la suppression de la taxe professionnelle, et, de ce fait, au second volet du plan de relance et de soutien de la trésorerie des entreprises pour la seconde année consécutive – mais je crois que c’est bien nécessaire dans la conjoncture actuelle –, de l’ordre de 11 milliards d’euros.
Vient, ensuite, la création de nouvelles contributions, à propos desquelles, madame la ministre, nous souhaitons que l’on appelle un chat un chat ! (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.) En d’autres termes, la cotisation locale d’activité n’ayant pas de rapport direct avec l’activité, il faut la nommer « cotisation foncière des entreprises ». La cotisation « complémentaire » étant la plus importante, il faut l’appeler « cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ». Ces dénominations correspondent à ce que sont réellement ces deux contributions. Leur création s’inscrit dans le cadre des équilibres généraux auxquels vous êtes parvenue, madame la ministre, tout en ayant le souci que le barème, en particulier celui de la cotisation sur la valeur ajoutée, s’applique dès le premier seuil, à savoir 500 000 euros.
Enfin, le troisième élément devant figurer dans la première partie de la loi de finances est la « compensation relais », qui doit permettre à la machine de continuer à tourner et aux collectivités territoriales d’être financées.
À mes collègues qui sont aussi maires, je voudrais signaler que, en période de crise, lorsque nous sommes plus exposés à perdre des bases d’imposition qu’à en gagner, le gel d’une situation de référence peut rendre bien des services, et je parle en connaissance de cause ! (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.) Pour mon agglomération, où disparaît malheureusement un établissement de 1 200 salariés, la réforme en cours est une bonne chose, ce que j’ai fait remarquer à l’opposition.
M. Jean-Pierre Fourcade. Eh oui !
M. Nicolas About. Très bien !
Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas en raison de la taxe professionnelle que l’établissement a fermé !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Beaucoup d’entre vous sont, hélas ! dans des cas de figure assez analogues. Il reste encore un certain nombre de dispositions complémentaires à mettre en place dès le 1er janvier 2010.
Dans la seconde partie de la loi de finances, figureront des dispositions portant essentiellement sur trois aspects – nous y reviendrons de manière plus détaillée dans le débat de cet après-midi –, à savoir la répartition des nouvelles cotisations entre les strates de collectivités territoriales, la compensation au-delà du 1er janvier 2011 et la péréquation.
S’agissant tout d’abord de la répartition des nouvelles cotisations entre les strates de collectivités territoriales, la commission des finances est en train d’élaborer sa position. Nous pouvons simplement dire dès à présent que notre raisonnement se fait à compétences inchangées, car la loi de finances ne saurait préjuger la loi sur les institutions territoriales. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Charles Revet. Exactement !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Elle peut toutefois – et elle doit – préparer utilement cette loi, car vous seriez fondés, mes chers collègues, à nous critiquer encore plus ! (Absolument ! sur les travées du groupe socialiste.)
Il va de soi que nous ne saurions reprocher à l’opposition de jouer son rôle critique !
M. François Marc. Merci !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Mais, je le répète, vous seriez fondés à nous critiquer encore plus si nous abordions la discussion de la future loi sur les institutions territoriales sans disposer de simulations financières.
M. Charles Revet. Bien sûr !
Mme Nicole Bricq. Vous n’en avez pas !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. À nous de faire que le projet de loi de finances devienne un texte opérationnel susceptible de servir de base à de véritables simulations.
M. Jean-Pierre Chevènement. Et les compétences ?
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Ensuite, s’il le faut, nous pourrons faire jouer le curseur des compétences en toute connaissance de cause,…
M. Nicolas About. Bien sûr !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. … c’est-à-dire sur la base de données chiffrées, méthodiques, qui résulteront de nos travaux.
Le deuxième aspect à traiter est la compensation au-delà du 1er janvier 2011. Faut-il tout figer pour l’éternité des temps ?
M. Daniel Raoul. Oui !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Ce type de sujet doit être traité en toute transparence et tout doit être mis sur la table. En d’autres termes, comme le voulait Descartes, il faut bien comprendre ce que nous faisons.
M. François Marc. Il faut du temps !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Le texte qui nous a été transmis comporte en effet trop de choix implicites.
M. François Marc. Il ne faut donc pas le voter !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Je ne jette la pierre à personne, car la tâche est infiniment difficile, et elle a été réalisée en peu de temps.
M. Jean-Pierre Chevènement. Cela se voit !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Le troisième aspect à traiter est la péréquation. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.)
M. Charles Revet. Elle est indispensable !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Mes chers collègues, je vous rappelle qu’il nous appartiendra de trouver un juste équilibre.
M. Charles Revet. Exactement !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Tout le monde, en particulier votre serviteur, est attaché au lien territorial. Mais plus l’assiette est territorialisée, plus les différences de la nature et de l’économie jouent, et donc plus la péréquation est nécessaire.
M. Yvon Collin. Il faut que la péréquation soit nationale !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Si la territorialisation est intégrale, il n’y a pas de péréquation.
M. Yvon Collin. Eh oui !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Mais si la péréquation est un égalitarisme total, intégral, voire intégriste, il n’y a plus de territorialisation.
M. Jean-Pierre Fourcade. Absolument !
M. Charles Revet. Il faut trouver le juste milieu !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Il nous appartiendra donc aussi, qu’il s’agisse du stock ou des flux, de trouver le juste arbitrage en prenant tout le temps nécessaire – nous y sommes prêts, madame la ministre – afin que la pédagogie opère et que l’on trouve les bonnes solutions pour l’avenir.
J’en viens en quelques mots à d’autres aspects du projet de loi de finances.
La commission des finances, notamment sous l’impulsion de notre excellent rapporteur spécial Fabienne Keller, aborde le dispositif dit de la taxe carbone dans un esprit très constructif. Je signale toutefois que la question du chauffage individuel a été moins traitée jusqu’ici, notamment à l’Assemblée nationale, que la problématique des déplacements. Or la perspective d’une hausse du prix de certains modes de chauffage individuel aura des conséquences sur la vie de nos concitoyens, notamment en termes de pouvoir d’achat. Nous devrons donc aborder ce sujet sur le fond.
M. Pierre Bernard-Reymond. Avec le réchauffement climatique, on n’a plus besoin de chauffage !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Même dans les Hautes-Alpes ?
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Le projet de budget que nous examinons ne marquera pas l’achèvement de nos travaux financiers de ce cycle. En janvier, probablement, Éric Woerth et vous-même, madame la ministre, serez en effet conduits à nous présenter un projet de loi de finances rectificative ou un texte similaire, qui sera le support juridique du grand emprunt.
M. Marc Massion. Ah !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Si j’évoque dès à présent ce dispositif sans en connaître les règles du jeu en quelque sorte, c’est tout simplement pour exprimer quelques principes.
Tout d’abord, ce grand emprunt ne saurait être la session de rattrapage de dépenses budgétaires tellement prioritaires qu’elles n’auraient pas pu être inscrites dans le projet de budget.
Ensuite, si l’emprunt intervient – et je crois que c’est une formule tout à fait défendable –, il engendrera des charges. Face à ces dernières, il faut des produits. Par conséquent, les projets qui seront identifiés pour bénéficier de ce financement devront être porteurs de rentabilité.
Or, permettez-moi de le dire, la rentabilité n’est ni un espoir ni un discours, c’est une notion comptable. Même si les comptables ont, comme les financiers, mauvaise presse, il n’en reste pas moins que personne ne peut définir une rentabilité qui ne reposerait pas sur des chiffres, c’est-à-dire sur des données mesurables.
M. Nicolas About. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Il faudra donc, je le répète, trouver une solution pour que, aux charges, correspondent des produits. Identifions une gouvernance afin de déterminer non seulement les projets, mais aussi la manière dont les produits permettront d’assumer les charges et que ceux-ci puissent faire l’objet d’un suivi et d’un contrôle indispensables dans la durée.
Voilà, madame la ministre, ce qu’attendent nos partenaires de l’Union européenne ainsi que les analystes financiers. Car, ne l’oublions pas, notre dette est notée !
Comme vous êtes le meilleur ministre des finances, notamment dans les enceintes internationales (Vifs applaudissements sur les travées de l’UMP.), …
M. Alain Gournac. Bravo !
M. le président. Partout !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. … vous savez beaucoup mieux que moi que traduire le français en langage international n’est pas facile et que traduire le langage international en français est un exercice plus difficile encore. Mais je vous sais orfèvre en la matière. Il faut donc faire en sorte que l’emprunt ne nous déprécie pas aux yeux de nos partenaires européens ni vis-à-vis de nos bailleurs de fonds.
Pour terminer, je voudrais saluer les efforts importants en matière de dépenses publiques. Hors plan de relance et à périmètre constant, les dépenses de l’État augmentent de 1,1 % dans le projet de loi de finances pour 2010. Pour la première fois, on assiste à une baisse en volume, si je me réfère au taux d’inflation prévisionnelle, qui s’établit à 1,2 %.
La loi de programmation pluriannuelle avait retenu un taux d’inflation de 1,75 % pour 2010, mais le Gouvernement a fait le choix – je l’approuve et je l’en félicite – de limiter la progression de l’ensemble au taux d’inflation de 1,2 %. Il faut saluer cette volonté de tenir la dépense « structurelle », même pendant la crise ou en phase de préparation de sortie de crise, avec la norme globale de 1,1 %.
La limitation de la norme de dépense n’aboutit pas à remettre en cause la plupart des enveloppes des missions. Mais grâce au mode de calcul des crédits des pensions, des économies significatives ont été réalisées, ce qui a permis des redéploiements.
Cependant, ce satisfecit doit être contrebalancé par une inquiétude : le coût des crédits d’impôt. Ce sont les dépenses fiscales – c’est donc de votre compétence directe, madame la ministre – qui s’apparentent le plus à des subventions. Leur montant passerait de 12,8 milliards d’euros en 2009 à 17,5 milliards d’euros en 2010.
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C’est cela qu’il faudra limiter le plus à l’avenir. Il faudra bien à mon avis que la dépense fiscale soit astreinte à la même règle que la dépense budgétaire. On ne peut pas continuer ainsi ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)
Soyons rigoureux à bon escient sur les dépenses au sens classique du terme. Incluons les opérateurs de l’État dans le même raisonnement que les crédits des ministères.
M. Jean-Jacques Jégou. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Les dépenses fiscales devront tout naturellement être astreintes au même raisonnement.
Pour conclure, je voudrais rappeler que des choses très difficiles ont été réalisées avec persévérance année après année, en particulier dans la gestion des ressources humaines de l’État. En l’occurrence, saluons les efforts qui ont été faits, car la règle du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux se traduit par des économies qui, au fil du temps, deviennent importantes, et par des capacités de redéploiement. Même sur les dépenses en principe les plus rigides dans le budget de fonctionnement de l’État, nous sommes parvenus à faire bouger les lignes et, dans le même temps, à valoriser le travail réalisé au sein de la fonction publique.
Madame la ministre, c’est donc avec espoir, mais non sans quelques inquiétudes, et avec le souci d’entamer cette discussion budgétaire de manière constructive et pédagogique que la commission des finances a rédigé ses rapports. Elle s’efforcera tout au long des journées que nous aurons la joie de passer ensemble, notamment en fin de semaine, de contribuer le mieux possible à l’élaboration des positions du Sénat. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)
(M. Roland du Luart remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
vice-président
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, au moment d’aborder le projet de loi de finances pour 2010, il n’est pas inutile de nous reporter un an en arrière et de nous souvenir de l’état d’esprit qui avait présidé à nos débats. Nos interrogations étaient alors nombreuses, et la situation que nous affrontions avait créé, reconnaissons-le, un certain désarroi.
J’avais débuté mon intervention en soulignant combien la crise économique, née des graves défaillances du système financier mondial, menaçait les équilibres sociaux de notre pays et portait en germe la ruine de notre pacte républicain.
Un an après, le Gouvernement évoque à juste titre un budget de « sortie de crise ». Celle-ci a bien eu lieu, et nous avons subi toutes ses rigueurs au cours des derniers mois.
Madame le ministre, vos prévisions de croissance pour 2009 sont de moins 2,2 % du produit intérieur brut, donnée qui reflète, il faut le souligner, la pire récession enregistrée par notre pays depuis 1945. Néanmoins, les choix faits voilà un an nous permettront vraisemblablement de réaliser des performances en moyenne deux fois moins mauvaises que celles de nos partenaires de la zone euro et du Japon et à peu près identiques à celles des États-Unis. Notre principal partenaire, l’Allemagne, devrait ainsi connaître une contraction de 5 % de son produit intérieur brut.
Cette relative maîtrise de la situation n’emprunte rien au hasard. Nous la devons à l’action énergique du Gouvernement, qui a su agir avec discernement et célérité : d’abord, pour rompre la paralysie qui menaçait le système bancaire et donc le financement de l’économie ; ensuite, pour donner un coup de fouet indispensable à l’activité économique à travers le plan de relance.
Je ne reprendrai pas sur ce point les excellents développements de ceux qui m’ont précédé à la tribune. Qu’il me soit cependant permis de saluer le travail tout à fait déterminant du Médiateur du crédit, qui a mis là où il le fallait, quand il le fallait, les quelques « gouttes d’huile » nécessaires pour assurer la survie de nombreuses entreprises.
Il faudra suivre cela « comme le lait sur le feu », madame le ministre, car, ici et là, dans nos territoires, des PME se trouvent probablement à la limite du dépôt de bilan. Veillons à ce que tous les gestionnaires des fonds publics d’investissement, y compris des fonds de consolidation, ne confondent pas le private equity et le soutien à des entreprises hautement et gravement menacées de disparition, avec tous les emplois qui pourraient succomber.
Le budget de l’État et, complémentairement, les budgets de la sécurité sociale et des collectivités territoriales ont joué à plein leur rôle d’amortisseurs de la crise. Les résultats sont là, incontestables. La richesse nationale a recommencé de progresser dès le deuxième trimestre de cette année, et 2010 devrait être tout entière une année de croissance du produit intérieur brut. À ce sujet, j’approuve la très grande prudence dont fait preuve le Gouvernement en évoquant un taux de 0,75 %, là où le consensus des économistes évoque pratiquement le double. Le budget ne peut qu’y gagner en sincérité et la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, en crédibilité. Cela étant, il conviendra de prolonger les comparaisons en observant de près la tonicité des premiers signes de reprise.
En effet, au-delà des louanges, si méritées soient-elles, il nous faut regarder la vérité en face : la réponse budgétaire que nous avons dû, à juste titre, apporter à la crise n’a fait qu’accentuer les déséquilibres gigantesques qui affectent nos finances publiques. Je donne volontiers acte au ministre des comptes publics de sa volonté de tenir les dépenses. Hors plan de relance, que l’on peut à bon droit exclure des bases de comparaisons car il a consisté en des charges ponctuelles et non récurrentes, et à périmètre constant, les dépenses de l’État n’augmenteraient que de 1,1 %, ce qui correspond à une très légère réduction en volume. Naturellement, il faudra être attentif aux dépenses fiscales, madame le ministre.
Mais nous devons tenir compte du passé et du passif accumulé ces dernières années. Il est aussi de notre devoir d’envisager sérieusement un scénario dans lequel notre potentiel de croissance aurait été durablement entamé par la crise dont nous continuons à subir les effets. (Mme la ministre acquiesce.) Quel est ce potentiel : 2 % hier, peut-être 1 % aujourd’hui, qu’en sera-t-il demain ? Un nouveau coup de torchon a été donné sur des pans entiers de l’industrie et des services qui affecte malheureusement structurellement pour quelque temps notre potentiel de croissance.
Selon la réponse, les perspectives ne sont pas les mêmes et, comme le souligne fort bien M. Philippe Marini dans son rapport, on ne peut pas exclure, toutes choses égales par ailleurs, une perte pérenne de recettes d’impôt, notamment, mais pas seulement, d’impôt sur les sociétés…
En 2010 encore, en dépit d’une incontestable reprise qui se traduira par des rentrées supplémentaires, et même si l’on ne tient pas compte de l’effet de la réforme de la taxe professionnelle, les recettes nettes du budget général resteront moindres que celles qui sont prévues en loi de finances initiale pour 2009. Inférieures à 200 milliards d’euros, elles ne couvrent plus aujourd’hui que moins de 60 % des dépenses du budget général, ce qui signifie un déficit de 40 %.
Le déficit, sans doute supérieur à 140 milliards d’euros cette année, sera encore au-dessus de 110 milliards d’euros l’an prochain. À ce niveau de déficit, madame le ministre, nous n’amortissons pas la dette ; celle qui vient à échéance fait l’objet de nouveaux emprunts. Si l’on avait l’ambition d’éteindre cette dette en cinquante ans, il faudrait cesser dès 2011 d’adopter des budgets en déficit. Les marges économiques dégagées par la RGPP, la révision générale des politiques publiques, ou par la politique de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite sont appréciables, mais elles ne sont pas à la hauteur de l’enjeu.
Le déficit public global dépasse le seuil considérable de 8 % du produit intérieur brut. La Commission européenne nous somme de revenir sous la barre des 3 % d’ici à 2013. Le Gouvernement envisage plutôt 2014. Puisse-t-il avoir raison ! La question doit être posée : serons-nous encore longtemps crédibles sur nos perspectives de retour à l’équilibre si nous différons les mesures structurelles qu’impose un état de nos finances publiques qui n’est plus soutenable ?
J’approuve par avance le Premier ministre lorsqu’il souhaite présenter au Parlement, début 2010, une stratégie de finances publiques qui se traduirait, pour respecter le seuil de 3 % de déficit à l’horizon 2014, par une réduction du déficit de plus de 1 % par an. L’objectif peut paraître ambitieux, mais, mes chers collègues, avons-nous d’autre choix que d’y souscrire ?
L’heure de vérité pourrait bien venir dès les prochains mois, avec le retournement, attendu, des conditions de remboursement de notre dette.
L’année 2010 devrait marquer le retour des emprunts à moyen et à long terme, après de nombreux mois au cours desquels le financement à court terme est resté anormalement avantageux. (M. le rapporteur général de la commission des finances acquiesce.)Vous avez dû souscrire des titres de BTF, des bons du Trésor à taux fixe et à intérêt précompté, à moins de 0,4 %, madame le ministre. C’est formidable ! La dette augmente et la charge d’intérêt baisse : quelle performance ! Retenons un chiffre : un relèvement d’un quart de point des taux d’intérêt renchérit la charge de la dette de 600 millions d’euros à court terme, et de 3,75 milliards d’euros au bout d’une dizaine d’années.
Dans ce contexte, le projet de loi de finances pour 2010 ne doit pas seulement être un outil de sortie de crise. Il ambitionne, les ministres nous l’ont dit, d’être un budget porteur d’espoir, préparant l’avenir, même si j’ai bien compris que, pour cela, il faudrait peut-être compléter le budget au début de l’année 2010.
Les deux innovations majeures que comporte le projet de loi de finances sont une réforme fiscale d’une ampleur exceptionnelle, la suppression de la taxe professionnelle, et la mise en place de la taxe carbone.
Le sujet du « grand emprunt », mes chers collègues, devrait être évoqué dans le cadre d’un collectif budgétaire en début d’année prochaine, mais il relève bien de la même inspiration, qui privilégie les réponses à apporter dès aujourd’hui aux défis déjà présents auxquels nous resterons confrontés, en termes sans doute encore plus aigus au cours des prochaines années.
Mais ce grand emprunt constituera bien une nouvelle injection de dépenses publiques. Je ne peux taire les fortes réserves que m’inspire ce complément annoncé de la loi de finances que nous examinons aujourd’hui. Comme si la loi d’aujourd’hui était incomplète, comme s’il fallait y revenir l’année prochaine ! Madame le ministre, pourquoi n’êtes-vous pas parvenue à inscrire les investissements d’avenir dans le projet de loi de finances que vous défendez aujourd’hui devant le Sénat ?
Au fond, notre appréciation sur le texte proposé par le Gouvernement se résume à une seule question : ce projet de budget est-il de nature à améliorer la compétitivité de nos entreprises, à nous donner ce surcroît de croissance dont nous avons tant besoin, d’abord pour garantir aux Français la préservation et l’amélioration de leur cadre de vie, mais aussi pour assainir nos finances publiques si délabrées, et surtout pour lutter efficacement contre le chômage ?
Je vous le dis d’emblée : au-delà des intentions, que j’approuve sans réserve, j’avoue ressentir quelques réticences sur la méthode. En se montrant les disciples…
Mme Nathalie Goulet. … de Descartes !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. … d’une méthode cartésienne, je ne doute pas que nous allons progresser, mais je crains que nous ne parvenions pas toujours à l’objectif exprimé. Le débat qui va s’ouvrir entre nous permettra, n’en doutons pas, de rapprocher les points de vue. En effet, il ne suffira pas d’afficher des intentions, aussi louables soient-elles, mes chers collègues, il faudra rendre clair et compréhensible ce que nous allons voter, ici, au Sénat. Il faudra que ceux qui auront voté la loi de finances puissent rentrer sereinement dans leur département pour expliquer toutes les vertus, tous les bienfaits attendus des dispositions qui auront emporté notre conviction. La réforme, oui, mais une réforme lisible si l’on veut bien lui conférer toutes les chances d’être acceptée par les Français.
Précisément, j’en viens à la suppression de la taxe professionnelle et à la création de la contribution économique territoriale. Conformément à la proposition que j’avais faite à la conférence des présidents, nous aurons un débat spécifique sur ce sujet en fin d’après-midi, mais je voudrais en dire ici quelques mots.
Cette réforme est légitime. Elle met un terme, à mon sens, à une situation anormale, qui était un accélérateur de délocalisations d’activités et d’emplois. Vous l’avez souligné, madame le ministre, la France a perdu de nombreux emplois industriels. Pouvons-nous continuer à appliquer une fiscalité qui organise, en quelque sorte, la disparition de nos emplois ? L’industrie n’est pas seule en cause, madame le ministre, puisque les travaux de recherche et développement dans certains secteurs – je pense à l’automobile, à l’aéronautique – sont aujourd’hui l’objet d’externalisation.