Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Bodin.
M. Yannick Bodin. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, l’examen de ce projet de budget de l’enseignement supérieur et de la recherche s’inscrit dans un contexte de crise généralisée, très préoccupant pour les jeunes de notre pays.
Alors que nous arrivons à mi-parcours de la mise en œuvre du plan licence, où en sommes-nous au regard des objectifs fixés ? Rappelons que les principaux étaient, à l’horizon 2012, de diviser par deux le taux d’échec en première année de licence et d’amener 50 % d’une classe d’âge à ce niveau.
À cette fin, le plan licence prévoit cinq heures hebdomadaires d’encadrement pédagogique supplémentaires par étudiant et, pour chaque année de licence, l’accompagnement des étudiants par un enseignant référent, du tutorat et un contenu de la licence rénové, avec l’instauration d’une première année davantage pluridisciplinaire et recentrée sur les fondamentaux.
Ces mesures, qui semblent correspondre aux objectifs du plan, s’avèrent en fait insuffisantes pour offrir aux étudiants un véritable cadre d’enseignement adapté. L’erreur des auteurs des réformes successives de l’enseignement secondaire aura été de ne pas comprendre qu’un enseignement s’adressant à la masse des jeunes ne peut pas se contenter de reproduire le modèle d’un enseignement destiné, jusqu’alors, à une élite. En bref, il ne faut pas confondre massification et démocratisation. Il serait grave de renouveler la même erreur pour l’enseignement supérieur, en particulier pour le premier cycle.
Aujourd’hui, 77 % des bacheliers accèdent à l’enseignement supérieur. L’université doit s’adapter pour que le plus grand nombre réussisse : cette adaptation concerne les contenus, la formation des maîtres, les méthodes pédagogiques, les moyens matériels, l’accompagnement des jeunes étudiants, etc.
Par ailleurs, il faut rapprocher les classes préparatoires aux grandes écoles, où les élèves, encore au lycée, sont suivis, encadrés, accompagnés, et les universités, où les étudiants se trouvent trop souvent isolés, sinon parfois totalement perdus.
Outre cette problématique, les mesures du plan licence posent d’autres problèmes.
Il y a tout d’abord la question des moyens accordés. Pour le financement du plan sur sa durée globale, de 2008 à 2012, 730 millions d’euros avaient été prévus. Cependant, à mi-parcours, c’est moins de 40 % du budget total qui a été engagé : 500 millions d’euros manquent à l’appel !
La mise en œuvre de ce plan semble donc compromise, et cela est d’autant plus vrai que le manque de moyens financiers induit un manque de moyens humains. Certes, les suppressions de postes ont été gelées dans votre ministère, mais cela ne suffit pas pour mener une politique ambitieuse ! On constate d’ailleurs aujourd’hui que les dispositifs prévus par le plan licence ne sont pas mis en place dans les universités, faute de moyens humains. Selon un bilan de la mise en œuvre du plan licence réalisé par l’Union nationale des étudiants de France, l’UNEF, en décembre 2008, « seules 32 % des universités ont augmenté les volumes horaires de leurs formations, 28 % ont limité le nombre d’heures de cours en amphis […] ». C’est très peu, après plus de deux ans d’action !
Ce plan n’apporte, en outre, aucune avancée quant aux articulations envisageables entre le premier cycle universitaire et les autres enseignements post-baccalauréat, tels que les classes préparatoires ou les grandes écoles.
De même, les passerelles entre les différentes filières universitaires sont inexistantes ou d’une complexité telle qu’elles sont inutilisées en pratique.
Le Gouvernement annonce qu’une telle articulation sera mise en place pour le lycée. Une réforme identique devrait être réalisée pour la licence, les étudiants étant nombreux à ne pas trouver leur voie du premier coup. Ce serait un complément tout à fait judicieux du travail mené actuellement sur l’orientation, et cela rassurerait les élèves du lycée, en leur accordant un droit à l’erreur dont l’usage ne leur ferait pas forcément perdre une ou plusieurs années. C’est aussi grâce à cela que vous pourrez lutter contre l’échec scolaire.
Vous nous aviez annoncé, madame la ministre, que 2009 serait l’année de la vie étudiante. Le 29 septembre dernier, c’est le paiement d’un dixième mois de bourse qui a été promis aux étudiants. Mais, début novembre, vous avez indiqué que ce dixième mois de bourse ne concernerait pas tout le monde, faute de moyens. Et effectivement, dans le projet de budget que vous nous présentez aujourd’hui, le premier euro des 155 millions nécessaires au versement de ce dixième mois n’a pas été budgété pour 2010. Vous avez affirmé, lors de votre audition par la commission de la culture, que ce serait fait « ultérieurement ». Pourriez-vous nous en dire un peu plus et rassurer les étudiants qui attendent la réalisation de vos promesses ? Après tout, les étudiants, comme tout le monde, ont besoin de moyens pour vivre douze mois sur douze…
Le programme « Vie étudiante » est l’une des lignes en baisse de votre budget, ce qui est tout à fait préoccupant au regard des conditions de vie et d’études des étudiants, toujours plus précaires. Cela a notamment pour conséquence qu’un étudiant sur deux est obligé de se salarier pour financer ses études, les risques d’échec augmentant ainsi de 40 %.
Comme l’ont montré plusieurs études, la rentrée a coûté plus cher aux étudiants cette année : 3 % de plus que l’année dernière, en moyenne. Tout augmente, des frais d’inscription à l’université au prix des tickets de restaurant universitaire en passant, bien sûr, par la cotisation à la sécurité sociale étudiante.
Pour faire face à cette montée des prix, vous avez annoncé l’objectif d’augmenter de 10 % le nombre de boursiers, en relevant les plafonds. Le système des bourses est le garant de l’égalité des chances : cela est vrai à l’université, et peut-être plus encore dans les classes préparatoires aux grandes écoles.
Vous connaissez, madame la ministre, mon engagement en la matière depuis le rapport de 2007, présenté au nom de la commission des affaires culturelles unanime, par lequel nous nous étions inquiétés de l’absence de diversité sociale dans les classes préparatoires aux grandes écoles.
Vous-même avez fixé pour objectif que les grandes écoles accueillent 30 % de boursiers. Ce n’est pas encore le cas aujourd’hui, puisque ces derniers représentent 20 % des effectifs des écoles de commerce, et seulement 12 % pour les écoles dites « très sélectives », comme HEC ou l’ESSEC.
Cela étant, plutôt que sur les bourses, le Gouvernement semble vouloir miser sur une autre forme d’ « aide » : les prêts. En cette période de crise de confiance à l’égard de nos banques, la mesure semble hasardeuse.
En septembre 2008, vous avez annoncé, madame la ministre, la mise en place d’un nouveau dispositif destiné à aider les étudiants : l’État apporte une dotation de 5 millions d’euros à un organisme, appelé OSEO, afin qu’il puisse garantir, à hauteur de 70 %, des prêts accordés par les banques aux étudiants. Actuellement, cinq réseaux bancaires sont partenaires de cette opération. Vous aviez prévu que ce système permettrait d’accorder 20 000 prêts avant la fin de 2008, et 60 000 en 2009.
En revanche, le dispositif des prêts d’honneur, attribués à taux nul par les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires, les CROUS, aux étudiants non boursiers, a été supprimé à compter de l’année scolaire 2009-2010. Pour justifier cette suppression, vous aviez fait valoir l’argument suivant : « Ce dispositif ne fonctionne pas […] 30 % des crédits disponibles ne sont pas utilisés. »
Or, le 21 octobre dernier, le nouveau dispositif de prêts garantis par l’État n’avait permis d’accorder que 6 600 prêts. On est donc très loin du chiffre de 80 000 qui aurait dû être atteint à la fin de cette année ! À peine plus de 8 % du budget alloué pour ces prêts garantis par l’État a été utilisé.
Réticences des banques à prêter à des étudiants, crainte légitime des étudiants de s’endetter avant même d’être assurés de pouvoir entrer rapidement dans la vie active : les raisons de la non-utilisation de ce dispositif peuvent être diverses. Vous avez déclaré que « ce n’est pas suffisant. Il y a l0 millions d’euros réservés dans mon budget cette année […]. Il faut les utiliser. » Et pourtant, ce type de prêts est bien moins intéressant que les prêts d’honneur à taux zéro pour les étudiants.
Parmi les éléments ayant également contribué à rendre la rentrée difficile figure le problème, qui est loin d’être nouveau, du logement.
Le logement représente, en effet, près de 50 % du budget de la rentrée pour les jeunes et leurs familles. Le logement étudiant est, on le sait, totalement insuffisant : pour un peu plus de 2 millions d’étudiants, on a recensé seulement 150 000 chambres environ, dont la moitié sont dans un état de vétusté inacceptable. Un plan a été lancé, à la suite de la publication en mars 2004 du rapport Anciaux, qui prévoyait la réhabilitation sur dix ans de 70 000 chambres du parc des CROUS et la construction de 50 000 autres. Or, plus les années passent, et plus les retards accumulés en la matière sont catastrophiques. Manifestement, aucune volonté gouvernementale ne viendra empêcher que ce plan ne se solde par un échec complet en 2014 !
Chaque année, madame la ministre, nous égrenons des chiffres plus qu’alarmants, mais rien n’y fait. Vous avez même revu vos objectifs à la baisse en février 2008 : c’est inacceptable ! Même avec ces objectifs moins ambitieux, les retards continuent de s’accumuler. Il conviendrait de construire chaque année, d’ici à 2014, 6 400 logements et d’en réhabiliter 7 800. Or, le budget prévisionnel n’autorise au total, pour les cinq années à venir, que 3 400 constructions et 8 400 réhabilitations ! Par quel tour de passe-passe allez-vous tenir vos engagements ? Savez-vous que le problème du logement empêche, chaque année, des millions de jeunes de poursuivre des études supérieures ? Comment, dans ces conditions, pensez-vous pouvoir atteindre l’objectif de 50 % d’une classe d’âge au niveau licence ?
Enfin, je voudrais mettre en lumière un dernier point qui me semble très important : la santé des étudiants.
Selon une étude de l’Union nationale des sociétés étudiantes mutualistes réalisée en 2008, un étudiant sur dix ne consulte jamais de médecin en cas de problème de santé, pour des raisons de coût. La situation évolue dans le mauvais sens depuis plusieurs années, et les conditions d’accès aux soins des étudiants se dégradent sans cesse. Le budget que vous nous présentez aujourd’hui est en baisse dans ce domaine de près de 54 % ! Il manque 55 millions d’euros à cette action ! La santé de nos étudiants a-t-elle si peu d’importance que vous ne puissiez y accorder plus de moyens ?
En conclusion, c’est la philosophie même de votre projet de budget qui est à revoir, madame la ministre. Il ne faut pas se contenter d’annoncer des politiques volontaristes en matière d’enseignement supérieur ; il ne faut pas attendre pour établir l’égalité des chances ; il ne faut pas attendre pour permettre aux futurs salariés de se former dans des conditions dignes. Certes, tout n’est pas affaire de moyens, mais pourquoi faire régulièrement des annonces gouvernementales, si les moyens ne suivent pas ?
C’est malheureusement le cas pour votre projet de budget de l’enseignement supérieur pour 2010, et c’est la raison pour laquelle, madame la ministre, nous ne le voterons pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2010 donne la priorité budgétaire à la recherche et à l’enseignement supérieur. Je précise d’ailleurs, madame la ministre, que votre budget est le seul qui échappe à la règle de la non-compensation d’un départ à la retraite sur deux énoncée dans la révision générale des politiques publiques, la RGPP. Le maintien des effectifs est une bonne chose, mais il n’y a toujours pas de création d’emplois prévue, encore moins de plan d’intégration des personnels sous statuts précaires ; au contraire, un nouveau sujet d’inquiétude apparaît : le transfert de 60 000 emplois aux universités.
La commission Rocard-Juppé, mise en place en vue du grand emprunt, vient de rendre sa copie. Dans son rapport, elle conclut à la nécessité de consacrer d’urgence davantage de moyens financiers à la recherche et à l’enseignement supérieur, qu’elle qualifie de « priorités absolues ». Elle propose d’investir 16 milliards d’euros au titre de cette mission. Les classements internationaux, de leur côté, font état de « prestations médiocres ». Il s’avère, en outre, que les moyens accordés à l’enseignement supérieur en France sont aujourd’hui inférieurs à la moyenne de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE.
Le Gouvernement a tiré les conséquences de ce constat et consacre un effort supplémentaire de 1,8 milliard d’euros à ce budget.
Je ne peux, en neuf minutes, disséquer chaque ligne de crédits. Je voudrais donc essentiellement évoquer la situation des universités et des IUT, ainsi que celle des enseignants, s’agissant plus précisément de leur recrutement.
L’urgence de voir émerger « des campus capables de concurrencer les meilleurs mondiaux » et de débloquer les moyens afférents n’est contestée par personne : c’est l’objectif du fameux plan Campus.
À cet égard, mon département, la Haute-Garonne, est plutôt bien loti. L’État, dans le cadre du plan de relance, s’est d’ores et déjà engagé à hauteur de 527 millions d’euros pour le projet d’aménagement des principaux sites universitaires de Toulouse. Les collectivités territoriales combleront la différence. De plus, le campus de Toulouse, grâce à son potentiel d’attractivité et d’excellence scientifique, a été labellisé, avec onze autres, pour faire partie du plan éponyme. Neuf autres universités ont obtenu un label « campus prometteur et innovant ».
Même si je me réjouis que Toulouse soit bien placée, je m’inquiète de l’existence de disparités territoriales, entérinées par le projet de budget pour 2010, dans le cadre des opérations « campus ». Les universités sont inégalement traitées, et ces disparités se ressentent dans tous les domaines. En 2010, cinquante et une universités, soit 60 % d’entre elles, auront fait le choix de l’autonomie. La loi de 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités a pourtant réduit celle des instituts universitaires de technologie, les IUT.
Le réseau des IUT compte 115 établissements. Par leur implantation dans les villes de taille moyenne et leur lien étroit avec les entreprises, ils assurent un maillage fin du territoire et jouent un rôle majeur dans l’aménagement du territoire universitaire.
En France, les IUT fonctionnent en réseau, avec les mêmes programmes et les mêmes diplômes. Ils assurent ainsi une égalité des chances presque parfaite aux étudiants, dont le taux d’insertion dans l’emploi dépasse 90 %. Ils constituent donc un modèle de formation technologique et professionnelle, auquel je veux rendre un hommage appuyé.
S’ils bénéficiaient auparavant d’une dotation d’État, ils doivent désormais négocier leurs moyens avec chaque présidence d’université. La circulaire de mars dernier, censée leur permettre de préserver une certaine autonomie de gestion, n’est pas du tout respectée dans les faits. Permettez-moi de vous citer, madame la ministre : « Il est normal que les IUT s’inscrivent dans la stratégie globale de l’université où ils ont un rôle majeur à jouer en termes de professionnalisation des formations. »
Pourtant, la liste des IUT concernés par ce manque d’autonomie, voire « maltraités », n’a cessé de s’allonger depuis le mois de janvier. Ils sont cinquante-neuf à être aujourd’hui confrontés à de gros problèmes dans leurs relations avec leur université de rattachement. Les obstacles à l’autonomie des IUT sont nombreux et constituent un véritable handicap pour leur développement : refus de contrats d’objectifs et de moyens, centralisation des fonctions et des budgets, coupes financières, retrait de personnels… Dans certains cas, ces difficultés aboutissent même à la remise en cause des diplômes délivrés.
Le DUT est pourtant un diplôme national, largement reconnu par les entreprises et par les Français, qui ouvre de surcroît des débouchés sur le marché de l’emploi. C’est à mes yeux un diplôme d’excellence.
Des projets trop différents, d’une université à l’autre et d’un territoire à l’autre, entraîneraient des disparités territoriales pouvant aller jusqu’à la disparition d’un réseau dont la pertinence est pourtant reconnue, y compris au plan international. Dans l’actuel contexte de crise, particulièrement cruel pour les jeunes, nous ne pouvons nous le permettre. Le système a fait ses preuves ; il est de notre devoir de le sauver.
D’ailleurs, pour la première fois en quarante ans, les responsables des IUT se sont très largement mobilisés afin d’obtenir des réponses concrètes à leurs questions sur l’avenir de ces formations. C’est dire si la crise des IUT est grave : la peur de voir disparaître ce réseau et sa culture – certes minoritaire, mais pourtant fondamentale au sein de l’université ! – est palpable.
Le 10 novembre dernier, vous avez reçu, madame la ministre, les directeurs, présidents et chefs de département d’IUT, venus vous demander un soutien efficace pour surmonter la crise. Vous avez réaffirmé, à cette occasion, votre volonté politique de faire vivre et de développer les filières technologiques.
La question des missions et du positionnement des IUT au sein des universités autonomes doit être réglée une bonne fois pour toutes. En effet, dénouer les tensions dans l’urgence, au cas par cas, ne constitue pas une solution pérenne. Il est indispensable de stabiliser durablement la situation des IUT dans l’enseignement supérieur. Toutes les universités font actuellement leurs choix budgétaires pour 2010 : les tensions doivent impérativement être apaisées avant Noël. Madame la ministre, pouvez-vous vous engager aujourd’hui, devant la représentation nationale, à régler ce problème dans les plus brefs délais ?
Avant de terminer, j’aborderai l’autre sujet qui me préoccupe, celui de la réforme des concours, du recrutement et de la formation des enseignants. Engagée en juin 2008, elle ne devrait finalement pas être mise en place avant 2011. Au-delà de l’avenir des IUFM et des enseignants, c’est celui de notre jeunesse qui est en cause. Cette réforme permettrait avant tout aux étudiants des IUFM de voir leur diplôme enfin reconnu pour ce qu’il est. Jusqu’à présent, il était considéré comme de niveau bac+3, alors que le cursus dure cinq ans. De plus, le diplôme délivré par les IUFM au terme de la formation n’est pas reconnu par les universités ! Je suis d’accord avec la réintégration des IUFM au sein des facultés et la transformation du cursus en master, mais je m’oppose, en revanche, à la suppression de l’année de stage systématique et rémunérée, tout comme à ce que les enseignements dispensés soient essentiellement théoriques.
La formation professionnelle des enseignants devrait désormais être placée sous la responsabilité de l’université, qui, en cinq ans, délivrera une formation universitaire professionnelle permettant aux lauréats des concours de prendre en charge des classes dès la rentrée suivant l’obtention du master.
C’est l’université qui organisera, en licence et en master, une formation comportant une initiation aux pratiques des métiers de l’enseignement, dès le cursus de licence. Toutefois, les modalités de cette organisation varieront selon l’université et le parcours choisi, ce qui engendrera une véritable fracture territoriale, alors que l’enseignement est et doit rester une mission régalienne de l’État, qui doit garantir un égal accès pour tous à un enseignement scolaire de même qualité sur l’ensemble du territoire.
Selon moi, le cursus du master est inadapté à la réalité du métier d’enseignant, qui nécessite, d’une part, la maîtrise de connaissances adaptées à la polyvalence nécessaire des professeurs des écoles ou à la bivalence des professeurs de lycée – les professeurs des écoles enseignent une dizaine de disciplines, y compris l’éducation musicale et les arts plastiques –, et, d’autre part, une formation des étudiants à la dimension didactique et pédagogique de leur futur métier, qui les rendra capables de prendre en charge une classe.
La principale question est évidemment de savoir comment seront réellement préparés les futurs enseignants. Désormais, n’importe quel étudiant titulaire d’un master monodisciplinaire ou, au mieux, bidisciplinaire pourrait-il prétendre au concours pour devenir enseignant titulaire ?
Bien d’autres questions – celles des résidences universitaires pour les doctorants étrangers, du financement des bourses, du logement étudiant, de la médecine universitaire préventive, de la promotion de la vie associative et de la pratique du sport, par exemple – restent sans réponse, alors qu’elles me paraissent essentielles. Dans tous ces domaines, nous sommes loin du compte.
En l’absence de réponses satisfaisantes à toutes ces questions, à titre personnel, je préfère m’abstenir.
M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur pour avis de la commission de la culture. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche. Madame la ministre, je ne suis pas le premier à relativiser vos crédits, mais il me semble important de remettre en perspective ce que vous affichez.
La mission « Recherche et enseignement supérieur », dans son ensemble, bénéficiera de 24,813 milliards d’euros de crédits de paiement, soit une hausse de 2,9 % hors inflation si l’on prend en compte les annulations de crédits intervenues en cours d’exécution budgétaire, et non de 5,3 %, comme affiché. Or ce montant est légèrement inférieur à celui que prévoyait la programmation budgétaire pluriannuelle, qui faisait apparaître des hausses successives de 3,3 % et de 3,6 %, soit 24,963 milliards d’euros pour 2010 et 25,866 milliards d’euros pour 2011.
Sur le montant de 1,8 milliard d’euros supplémentaires encore affiché par le Gouvernement, 995 millions d’euros seraient destinés à l’enseignement supérieur et 804 millions d’euros à la recherche. En réalité, seuls 376 millions d’euros supplémentaires seront effectivement alloués à l’enseignement supérieur et 274 millions d’euros à la recherche, le reste provenant des intérêts tirés de la vente des actions EDF, des partenariats public-privé pour l’immobilier universitaire et de la dépense fiscale liée au crédit d’impôt recherche.
Les crédits budgétaires de la mission « Recherche et enseignement supérieur » n’augmenteront donc, en 2010, que de 650 millions d’euros, et les deux tiers de cette somme seront consacrés à des engagements d’investissements. Si l’on prend l’exemple des partenariats public-privé, il faut plus de dix-huit mois pour faire aboutir un dossier de cette nature, d’où le très faible nombre de projets actuellement susceptibles d’être financés en 2010. Les 420 millions d’euros alloués aux partenariats public-privé sont donc tout théoriques, pour ne pas dire virtuels.
Pour ce qui concerne la recherche universitaire, les crédits affectés aux actions qui en relèvent affichent des hausses considérables, de l’ordre de 100 % en moyenne. Mais ces augmentations sont dues, en totalité, au transfert de la masse salariale aux établissements ayant opté pour les compétences élargies, qui représente 2,15 milliards d’euros sur 2,6 milliards d’euros programmés, alors que la hausse affichée est de 1,5 milliard d’euros par rapport à 2009 ! Au final, la hausse effective de 350 millions d’euros – faisant suite à celle de 56 millions d’euros enregistrée en 2009 – ne permettra pas à la recherche universitaire de rattraper son retard en matière d’équipement des laboratoires et de soutien aux projets, d’autant que, je le rappelle, en 2008, les six actions du secteur, hormis l’action 12, transversale, enregistraient des baisses de crédits variant entre 5 % pour l’action « recherches scientifiques et technologiques en sciences de la terre, de l’univers et de l’environnement » et 20 % pour l’action « recherches scientifiques et technologiques en mathématiques, technologies de l’information et de la communication, micro et nanotechnologies » ou l’action « recherches scientifiques en sciences de l’homme et de la société ».
Madame la ministre, ni votre ministère ni la direction du CNRS n’ont fait état de la première place mondiale attribuée à cet organisme de recherche par l’institut espagnol SCImago dans son classement portant sur 2 000 institutions, organismes de recherche, universités, laboratoires, instituts privés, et fondé sur le nombre de publications parues dans un très vaste catalogue de revues internationales, sur une période donnée. Seule la délégation Provence-Corse du CNRS mentionnait cette information sur son site. Ce silence, comparé au battage médiatique organisé autour du classement de Shanghai, soulève des questions. Cette situation est d’autant plus étonnante que la reconnaissance de l’excellence du CNRS aurait pu trouver un écho particulier à l’occasion des manifestations entourant le soixante-dixième anniversaire de cet organisme de recherche. Pouvez-vous, madame la ministre, nous en expliquer la raison ?
Le CNRS est en profonde restructuration. Le décret le réorganisant en dix instituts a été publié au début du mois de novembre et le contrat d’objectifs 2009-2013 a été approuvé au cours de cette année. Je partage l’avis du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie, le CSRT, sur le projet de décret réformant le CNRS : les adaptations nécessaires ne doivent « pas remettre en cause la spécificité de l’organisme (transversalité disciplinaire) et ses missions (depuis l’animation des recherches les plus fondamentales, jusqu’à sa contribution à la valorisation des résultats de ses recherches), sinon la recherche française risquerait d’être fragilisée ».
Le CSRT a rappelé, à juste titre, que le CNRS est « classé comme l’un des principaux organismes de recherche en Europe, et que sa crédibilité nationale et internationale est indiscutée ». En outre, avec sa longue tradition d’excellence, le CNRS occupe le premier rang, en Europe, en termes d’engagement dans des collaborations européennes et est aujourd’hui un acteur majeur de la construction de l’espace européen de la recherche.
À propos du crédit d’impôt recherche, un rapport de M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, a confirmé ce que nous affirmions, à savoir que « le coût du crédit d’impôt est directement lié aux évolutions législatives du dispositif », et donc pas forcément à un accroissement de l’effort de recherche des entreprises. M. Carrez ajoute que le principal bénéficiaire du dispositif est non pas l’industrie, mais le secteur des services, et que le crédit d’impôt recherche profite massivement aux grandes entreprises.
Je sais, madame la ministre, que l’interprétation de la répartition de la dépense fiscale entre les secteurs économiques, s’agissant en particulier de la catégorie des services bancaires et d’assurance, vous a quelque peu agacée. J’ai entendu votre argument selon lequel cette nomenclature incluait les holdings de grands groupes. Néanmoins, cette polémique sur la répartition de la dépense fiscale liée au CIR conforte la nécessité de pratiquer une évaluation exhaustive de ce dispositif fiscal par tranche et par secteur d’entreprise le plus rapidement possible, démarche autrement plus sérieuse que le recours aux QCM et aux sondages. Toutes les institutions, au premier rang desquelles la Cour des comptes, ainsi que les parlementaires, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, comme l’a prouvé le débat organisé sur ce sujet, voilà quelques mois, sur l’initiative de notre collègue Yvan Renar, vous demandent de procéder ainsi.
Une réflexion doit également être engagée, à mon sens, sur l’opportunité de moduler ou de limiter le recours au CIR suivant les secteurs économiques et/ou les domaines de recherche. Je ne voudrais pas tomber dans la caricature, mais je doute que nos concitoyens approuvent que de l’argent public puisse être affecté, sans aucun contrôle, à d’éventuelles recherches sur la modélisation de nouveaux procédés de titrisation, recherches dont l’intérêt est d’ailleurs également douteux, en termes de compétitivité et de croissance ! (M. Daniel Raoul applaudit.) Étant donné les sommes considérables qui lui sont allouées, le CIR devrait profiter, à tout le moins, à des domaines prioritaires et stratégiques, ainsi qu’à l’emploi scientifique.
J’aborderai enfin le dossier, conflictuel et toujours nébuleux, de la « mastérisation » de la formation des enseignants et de la disparition des instituts universitaires de formation des maîtres.
Après les dernières propositions ministérielles, les questions et les inquiétudes restent nombreuses. Même la Conférence des présidents d’université juge sévèrement la réforme, qui, selon elle, « n’est pas à la hauteur des enjeux et ne permettra pas d’atteindre les objectifs qu’elle se donne : améliorer la formation des futurs enseignants en élevant leur niveau de recrutement au niveau du master.
« Les propositions formulées mettent en évidence un malentendu profond sur la mastérisation et une méconnaissance de la réalité des cursus universitaires et des parcours étudiants. »
En effet, il est tout à fait dommageable de surcharger à ce point l’année universitaire de master 2, qui va concentrer l’obtention du master, la préparation du concours et les stages, à moins qu’il ne s’agisse de constituer un vivier de vacataires contractuels pour compenser les baisses d’effectifs de fonctionnaires. De plus, quelles modalités de réorientation pourront être proposées aux étudiants recalés au concours à l’issue du premier trimestre de master 2, et pour quel projet professionnel viable ? En outre, l’organisation du concours au premier trimestre du master 2 constituera une aubaine pour les préparations privées durant l’été !
D’ores et déjà, certains rectorats envisagent « d’utiliser » – il n’y a pas d’autre terme – les étudiants en master 2 pour remplacer un enseignant absent à hauteur de dix-huit heures par semaine ou répartir le service d’un enseignant entre deux étudiants. De là à voir dans cette réforme, madame la ministre, le moyen de pallier la suppression de 3 000 emplois d’enseignant-remplaçant, il n’y a qu’un pas.
Cette hypothèse n’est pas une pure vue de l’esprit. Les suppressions de postes ont conduit à un mode de fonctionnement en flux tendu, si bien que pour pouvoir afficher un taux de remplacement en progression avec des effectifs d’enseignants-remplaçants toujours plus réduits, il est fait appel à tout licencié, fût-il dépourvu de toute expérience d’enseignement, formation professionnelle ou compétence pédagogique. Or, dans votre refonte de la formation des enseignants, ce sont précisément ces volets qui sont fragilisés ! C’est la raison pour laquelle elle est refusée par les universitaires et les enseignants.
Nous vous demandons, madame la ministre, de prendre en compte les propositions des acteurs de l’enseignement supérieur pour élaborer une réforme de la formation des enseignants qui garantisse une véritable élévation de leur qualification, y compris professionnelle, en mettant davantage l’accent sur la pédagogie, et qui permette d’assurer la mixité sociale du recrutement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)