Mme Janine Rozier. C’est indispensable à son équilibre, même si, il est vrai, notre droit reconnaît à un parent seul la faculté d’adopter. (M. Richard Yung s’exclame.) Ce n’est pas pour cela que c’est bien, cher collègue !
Cette question mérite réflexion et prudence, dans l’intérêt de l’enfant et de son développement.
Adopter un enfant, c’est une mesure de protection. Il s’agit d’organiser les conditions les plus favorables à son accueil en fonction de ses besoins, qui sont amour et protection, en tenant compte de son vécu, de ses capacités et de ses difficultés. La commission d’attribution chargée de choisir une famille pour accueillir un enfant fait des choix éclairés et lucides, après enquête, car il s’agit de rendre heureux un enfant qui ne l’était pas.
Le profil des enfants adoptables est complexe, notamment en cas d’adoption internationale. Même les bébés ont une histoire et déjà un passé. Il faut un réel attachement entre les adoptants et l’adopté, un attachement durable qui ne se rompe pas sur un coup de tête, qui permette de sécuriser l’enfant et d’améliorer les effets négatifs du délaissement parental qu’il a déjà vécu.
De plus, l’adoption entraîne des conséquences sur le nom de l’adopté et sur l’autorité parentale. Si les adoptants sont un couple marié, l’adopté portera le nom de la famille, qui est en général, sauf avis contraire du juge, celui du mari. L’autorité parentale sera alors exercée par le couple. Si les adoptants sont un couple uni par un PACS, quel nom portera l’enfant ? Les pacsés portent deux noms différents. Le législateur devra donc envisager quel nom sera conservé, le tribunal devra statuer. Lequel des deux partenaires exercera l’autorité parentale ?
Toutes ces complexités d’ordre légal et administratif viendront un jour ou l’autre troubler la quiétude de l’adopté. Or notre devoir est de lui offrir une sécurité juridique et affective pour compenser ses détresses.
Dans un couple marié, dont les attaches solides seront mesurées par la commission d’attribution composée de professionnels formés et avisés et d’associations expertes, il trouvera mieux sécurité, confiance et quiétude.
Nous devons tous aux enfants adoptés la vérité et la transparence sur leur adoption. Nous savons les enfants adoptés fragilisés. Nous savons que nombre d’entre eux souffrent à un moment ou à un autre de troubles psychologiques, de troubles de l’attachement, parfois de troubles autistiques. Aussi, ne prenons pas le risque d’ajouter un traumatisme à leur traumatisme. Ne laissons pas cette proposition de loi aggraver les méfaits de notre société malade.
Au-delà de ma position personnelle, je souhaite, au nom du groupe UMP, soutenir la position de Mme le rapporteur sur la vacuité juridique de cette proposition de loi.
Ce texte a pour objet de modifier l’article 343 du code civil afin de permettre l’adoption par deux partenaires liés par un PACS depuis plus de deux ans. Or, malgré cette condition de durée, qui permet à un couple de justifier de sa stabilité, et en dépit de l’amendement qui nous est présenté tendant à rendre obligatoire la saisine du juge aux affaires familiales en cas de dissolution du PACS, les conditions juridiques permettant de garantir la protection de l’enfant ne sont pas remplies.
En effet, le PACS ne doit pas être appréhendé comme un mariage bis. Si cette convention présente certains points communs avec le mariage, elle reste profondément différente, Marie-Hélène Des Esgaulx nous l’a démontré, ses effets étant essentiellement limités à la sphère patrimoniale. Adopter la proposition de loi qui nous est présentée n’y changerait rien.
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe UMP ne votera pas ce texte.
M. Richard Yung. Cela ne nous surprend pas !
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Mme le rapporteur a dit qu’il fallait protéger les droits des enfants. Je suis d’accord avec elle : il est temps en effet de consolider le statut des enfants adoptés par des couples non mariés, nombreux en France, en légalisant l’adoption par les couples pacsés. Nous ne tirons pas les mêmes conclusions des mêmes prémisses !
En effet, le pacte civil de solidarité est désormais une forme d’union bien ancrée dans la société. Contrairement à ce qui a été dit, il ne s’agit pas seulement d’une évolution numérique. Je n’y reviens pas, mes collègues ont déjà évoqué cette question.
On compte actuellement un peu plus d’un pacte civil de solidarité conclu pour deux mariages célébrés.
Le succès du PACS ne se limite pas à la possibilité de contractualisation pour les seuls couples homosexuels : ce type d’union est devenu la forme de famille dans laquelle naît et est éduquée une forte proportion des enfants aujourd’hui en France.
En effet, c’est maintenant l’enfant qui fait famille, comme l’écrit Irène Théry : on se pacse ou on se marie après avoir eu des enfants. Mariage et PACS ne sont plus l’acte de création de la famille mais sont devenus une formalisation de celle-ci.
Les partenaires qui choisissent de conclure un PACS plutôt que de se marier manifestent ainsi leur préférence pour une forme d’union qui concilie un certain degré de protection avec un moindre formalisme juridique.
De mon point de vue – mais je ne suis pas de leur génération –, ils se font des illusions. Leurs enfants et eux n’échapperont pas plus au déchirement de la rupture que les couples mariés et leur progéniture, couples dont les règlements de compte sordides submergent les tribunaux tous les jours. Ils se le figurent néanmoins ; laissons-leur cette illusion.
Il apparaît également que le choix du mariage ou du pacte civil de solidarité n’a pas d’incidence sur la stabilité de l’engagement, contrairement à ce qui est écrit dans le rapport de la commission des lois, et qui contredit le rapport de notre collègue Mme Catherine Troendle. Celle-ci précise dans ce dernier document que le taux de séparation est plus élevé pour le PACS les deux premières années d’union, puis devient très proche du taux de divorce dès la troisième année, avant d’y être inférieur de la quatrième à la sixième année de vie commune. Il faut également prendre en compte le fait qu’un quart des ruptures de PACS débouche sur un mariage.
L’argument qui fait du couple marié un couple plus stable, garantissant à l’enfant adopté un meilleur accueil que le couple pacsé, ne correspond donc pas à la réalité d’aujourd’hui. En effet, les couples qui souhaitent adopter sont unis de longue date, à une période de la vie où les pacsés se séparent moins que les mariés, c’est-à-dire après six ans d’union. En général, on ne demande pas une adoption après deux ans de mariage mais bien plus tard dans la vie du couple.
Si les couples pacsés ne sont pas assez stables pour assurer le bonheur des enfants, il faudrait alors également leur interdire d’avoir des enfants biologiques ! Toutes ces objections – le problème du nom de l’enfant, l’autorité parentale – concernent les enfants biologiques des couples non mariés ou pacsés tout autant que les enfants adoptés.
Madame le rapporteur, l’argument de la stabilité cache un aspect qui n’est pas développé dans le rapport, à savoir la crainte de voir des enfants adoptés par des familles homoparentales et la persistance de la discrimination à leur encontre, laquelle est condamnée par la Cour de justice européenne.
L’adoption de la proposition de loi en discussion mettrait fin à une telle discrimination. Il est grand temps que nous regardions la réalité en face et que nous cessions de rester prisonniers de conceptions dépassées. Si nous pouvions défendre celles-ci quand nous avions vingt ou trente ans, ce n’est plus cas aujourd’hui lorsque nous considérons le mode de vie de nos enfants et de nos petits-enfants.
M. Richard Yung. Très bien !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. On assiste depuis quelques années à une évolution de la reconnaissance juridique de l’homoparentalité parce que les réalités finissent par prendre le pas sur les préjugés. Selon l’Institut national des études démographiques, l’INED, 30 000 enfants font partie aujourd’hui d’une famille homoparentale en France.
Leurs parents et eux ne doivent plus subir les discriminations juridiques et administratives qui pèsent sur leur vie quotidienne. Inacceptables en soi, celles-ci contribuent aussi à renforcer les attitudes archaïques de rejet dont les enfants ont parfois à souffrir, à l’image des enfants de divorcés il y a moins d’un siècle, notamment lorsque j’étais moi-même un enfant.
En adoptant cette proposition de loi, le Sénat n’apparaîtrait pas comme un précurseur mais serait tout simplement à l’unisson de nos partenaires européens, puisque neuf pays européens admettent aujourd’hui, sous une forme ou sous une autre, l’adoption pour les couples homosexuels. Il s’agit de l’Allemagne, de la Belgique, du Danemark, de l’Espagne, de l’Islande, de la Norvège, des Pays-Bas, du Royaume-Uni et de la Suède. Ces pays sont pourtant signataires de la convention de La Haye !
En effet, la famille homoparentale ne correspond pas à la vision traditionnelle de la famille. Est-ce une raison pour la rejeter dans le non-droit et lui interdire d’adopter ?
Comme l’écrit l’anthropologue Anne Cadoret : « aujourd’hui, ces familles homoparentales nous disent que la sexualité d’un homme ou d’une femme n’est pas la raison première de la paternité ou de la maternité, que sexualité et parenté n’appartiennent pas au même domaine. Alors, respectons la sexualité de chacun, qui est une affaire privée ; et aidons nos concitoyens qui le souhaitent à devenir parents, ce qui est, là, une affaire publique. » Et cela ne concerne pas seulement l’adoption.
La conception unique et idéale de la famille tend à disparaître. L’important est que les enfants s’épanouissent, avec des parents affectueux et soucieux de leur éducation. Les Français d’aujourd’hui en ont conscience : un sondage effectué en novembre 2009 indiquait que 57 % des Français étaient favorables à l’adoption par des familles homoparentales, et 41 % se prononçaient contre cette possibilité.
Voilà pour vous rassurer, mes chers collègues !
En adoptant cette proposition de loi, non seulement vous mettriez notre législation en conformité avec la jurisprudence européenne, mais vous auriez de plus l’assentiment de ceux qui parmi nos concitoyens admettent de moins en moins le retard de la législation sur les mœurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Richard Yung. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Bernadette Dupont.
Mme Bernadette Dupont. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je serai brève parce que tout a été dit – très bien dit, même, par certains – et que je veux vous éviter trop de répétitions. Je voudrais néanmoins vous livrer une réflexion.
Cette proposition de loi, pour simple et logique qu’elle paraisse dans la continuité du vote de 1999 instituant le pacte civil de solidarité, tend à offrir aux couples non mariés liés par ce contrat la possibilité d’accéder au droit à l’adoption. Elle comporte un sous-entendu à peine dissimulé : le droit des couples de même sexe ayant contracté ce type d’union.
Je n’entrerai pas dans une discussion sur la véracité des chiffres qui pourraient justifier cette proposition de loi. Je ne reprendrai pas non plus la législation actuelle sur l’adoption, tout a été dit sur ce point.
Je veux toutefois différencier l’institution du mariage, fondatrice de la famille et qui constitue un engagement, et le PACS, simple contrat à but essentiellement patrimonial – comme l’a rappelé Mme le rapporteur – dont les liens sont plus faciles à défaire et qui ne comporte aucun droit spécifique en matière familiale.
Si des partenaires de sexe différent liés par un PACS veulent entreprendre une démarche d’adoption, ils ont alors facilement la possibilité de recourir à l’institution du mariage, ce qui prouverait leur désir de fonder une véritable famille dans l’intérêt de l’enfant. Mais cette possibilité ne peut être offerte aux partenaires de même sexe, non autorisés au mariage institutionnel.
Pourquoi ce droit à l’adoption ne peut leur être accordé sur le fond ?
Si le désir d’enfant est naturel, le droit à l’enfant n’existe pour personne. L’enfant n’est pas un droit, ou le sujet d’un désir d’adulte : il est lui-même un sujet de droit. Vouloir aimer un enfant ne signifie pas simplement éprouver et vouloir donner de l’affection et de la tendresse, c’est d’abord vouloir pour lui les conditions objectives de sa croissance.
Or, garçon ou fille, l’enfant naît de la rencontre d’un homme et d’une femme, quelles que soient les méthodes utilisées, même artificielles, et cette rencontre d’un gamète mâle et d’un gamète femelle est constitutive de son humanité. Nier cette réalité, c’est nier la différence sexuelle, et nous entrons là dans un débat ontologique sur l’essence de l’être.
Dès son origine, l’enfant a besoin pour grandir, s’épanouir et découvrir sa propre personnalité des deux repères structurants, homme et femme, dans leur altérité, qui constituent un socle identitaire, un centre de gravité.
La tendresse et l’aptitude à l’éducation, même réelles, ne suffiront pas. Et la sacro-sainte liberté, l’individualisme, l’affirmation de l’égalité par tous revendiqués n’impliquent pour autant ni la négation des limites à ne pas franchir ni le nivellement des différences. « Ce qui est en jeu, ce sont les repères identificatoires de l’enfant », affirme le philosophe Xavier Lacroix.
Dès lors que les choix individuels qui relèvent du domaine privé ne respectent pas l’intérêt général, et, plus particulièrement dans le cas de la proposition de loi qui nous est soumise, l’intérêt supérieur de l’enfant, le législateur ne peut et ne doit ériger ces choix en norme.
Le mot « parenté » a une signification précise qui englobe l’engendrement, la filiation, les racines.
Le mot « parentalité » qui est proposé aujourd’hui obscurcit la notion précédente. Il signifie seulement aptitude à aimer et à éduquer, et il ouvre ainsi la porte à tous les excès que la technique est à même de satisfaire, faisant oublier que l’être humain est avant tout un don.
Le PACS n’institue pas la famille. L’enfant adopté doit être confié à une famille, fondée sur le mariage, union d’un homme et d’une femme.
Je terminerai cette brève réflexion en citant Freud : « Il est assez étrange […] que les interdictions les plus puissantes […] soient les plus difficiles à justifier. Cela est dû au fait que les justifications sont préhistoriques et ont leurs racines dans le passé de l’homme ». Que cette réflexion alimente la vôtre ! Pour ma part, je ne pourrai pas voter ce texte. (Applaudissements au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’apporterai simplement quelques éléments après ces interventions, toutes de haute tenue et de très grande qualité, et extrêmement respectueuses des points de débat qui traversent à la fois votre assemblée et notre société.
Permettez-moi de saluer le travail effectué par le rapporteur et la commission des lois dans son ensemble, qui ont examiné la question posée de manière très ouverte et approfondie, une question qui doit en effet être d’abord envisagée sous le prisme de l’intérêt de l’enfant ; beaucoup d’entre vous l’ont dit.
Il a été rappelé à juste titre, et j’y faisais allusion moi-même dans mon propos liminaire, le rôle qu’a joué Jean-Pierre Michel lors du débat sur le PACS. Je ne reprendrai pas son propos. Je souhaite simplement réagir au sujet d’un point d’actualité sur lequel il s’est arrêté, car je ne l’ai pas fait tout à l’heure. Il s’agit de l’adoption d’enfants venus d’Haïti. Ce sujet est peut-être un peu éloigné du débat, mais c’est l’occasion d’en dire un mot.
Le souhait du Gouvernement était de trouver un équilibre entre, d’un côté, le désir des adoptants français d’obtenir rapidement l’arrivée en France de leurs enfants – cette situation avait même presque déclenché une polémique dans le débat public tant le sentiment d’urgence était prégnant – et, de l’autre, la volonté de ne pas augmenter le risque de fraude qui aurait pu conduire à l’arrivée dans notre pays d’enfants non abandonnés ou non adoptés.
Un autre aspect était d’éviter l’arrachement brutal des enfants à leur environnement, pour ceux d’entre eux qui à un moment ou un autre pouvait avoir vocation à partir, à plus forte raison dans un contexte de désastre. Ce dernier élément devait être pris en compte pour que l’éventuelle adoption soit réussie et ne représente pas un traumatisme supplémentaire pour les enfants concernés.
L’opération a abouti concrètement à 400 arrivées en France d’enfants concernés par un jugement haïtien d’adoption. Ce type de jugement a d’ailleurs repris en Haïti depuis quelques jours.
Madame le rapporteur, j’ai dit tout à l’heure tout l’intérêt que nous portons à votre travail. Je suis d’accord avec vous : le PACS est avant tout un contrat patrimonial – même s’il n’est pas que cela – qui organise la vie matérielle des partenaires et qui n’offre pas toutes les protections qu’accorde le mariage en cas de rupture. Je ne porte ici aucun jugement moral, ce n’est pas l’objet de la discussion.
Le droit positif permet déjà d’aménager l’autorité parentale et le droit des tiers, et nous continuerons à travailler sur cette question en nous appuyant sur le rapport de Jean Leonetti sur le sujet en vue d’élaborer un nouveau projet de loi.
Monsieur Yung, je ne vais pas reprendre toute votre intervention, fort intéressante. Nous pensons néanmoins, et c’est un point qui revient souvent dans ce débat, que l’enfant adopté par un couple marié sera protégé par un cadre institutionnel plus sécurisant, notamment en cas de séparation de ses parents adoptifs.
Vous avez d’ailleurs reconnu, comme d’autres orateurs, qu’un quart des PACS aboutissaient à un mariage, ce qui ouvre droit à l’adoption. Cela démontre que de nombreuses personnes pacsées souhaitent aller plus loin dans leur vie de couple et dépasser sa seule dimension d’organisation.
M. Richard Yung. C’est leur affaire !
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Mme Terrade a parlé de l’évolution des droits des pacsés. Mme le garde des sceaux présentera bientôt un projet de loi qui évitera aux partenaires de se déplacer au tribunal d’instance pour faire enregistrer leur convention de PACS, si celle-ci est rédigée par un notaire.
Mme Terrade nous a également fait part de sa crainte que ne s’installe un certain immobilisme sur ces questions. J’ai pourtant évoqué toutes les avancées, y compris récentes, qui tendent à consolider le PACS. Nous allons continuer dans cette voie.
Je remercie Mme Rozier pour les précisions qu’elle a apportées. Elle a eu raison de rappeler que l’adoption, événement majeur de la vie de l’enfant adopté, doit intervenir dans le cadre le plus stable possible et être assortie du contrôle de la commission chargée de l’agrément des adoptants.
Il est vrai, madame Cerisier-ben Guiga, que le mariage ne garantit pas contre les aléas de la vie, et notamment contre les séparations. Le droit français encadre toutefois ces ruptures de façon à protéger les époux et les enfants.
Il n’est pas forcément souhaitable d’ajouter les difficultés liées à une rupture non encadrée à celles résultant de l’adoption. Que les enfants soient biologiques ou adoptés, ils souffrent de la séparation de leurs parents, mais le droit du divorce permet de protéger les ex-époux et de préserver l’intérêt de l’enfant.
Vous avez évoqué d’autres points, mais je n’ai pas vocation à me prononcer sur chacun d’entre eux. Au cours d’un tel débat, chacun exprime avant tout ce qui lui tient à cœur.
Mme Dupont a parlé de la dimension d’altérité, qui n’avait pas été évoquée aussi explicitement par les orateurs précédents. Il s’agit d’un élément de fond, qui fait vraiment débat. Disant cela, je ne me pose pas en juge : chacun se prononce sur ces questions à titre personnel. Ainsi, sur ce point précis, je ne m’exprimerai pas au nom du Gouvernement. Pour ma part, je suis très sensible à cette dimension d’altérité. Je me sens d’ailleurs en phase avec les analyses développées de manière convaincante par Sylviane Agacinski, dont j’ai lu les articles et les livres sur la question : je partage sa vision du devenir de notre société. Je tenais à le dire, dans un esprit ouvert et respectueux des différents points de vue.
Quel que soit le sort de cette proposition de loi, sur laquelle je vous ai donné le point de vue du Gouvernement, je pense que le débat était utile. Il nous a permis d’échanger librement, dans un esprit d’ouverture, sur des questions de société qui intéressent nos concitoyens.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi initiale et de l’amendement tendant à insérer un article additionnel après cet article.
Article unique
L’article 343 du code civil est complété par les mots : « ou par deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité depuis plus de deux ans. »
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Madec, sur l’article.
M. Roger Madec. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vais répéter des arguments qui ont déjà été développés, mais la meilleure pédagogie consiste à répéter. Je ne désespère pas de convaincre quelques collègues de la majorité de voter cette proposition de loi.
Cela a été dit, le PACS représente une belle avancée de notre société et fait partie des grandes réformes qui font honneur à la France.
Nous nous retrouvons aujourd’hui, comme à l’automne dernier, pour essayer d’étendre les droits des partenaires liés par un pacte civil de solidarité. Force est de constater, sans esprit de polémique, que l’immobilisme et le conservatisme sont hélas encore très présents sur les travées de la majorité, déconnectée de la réalité.
La réalité, c’est que la société est prête depuis déjà de nombreuses années à l’aménagement de l’article 343 du code civil relatif à l’adoption.
En octobre 1999, grâce à quelques élus faisant figure de pionniers, notamment Jean-Pierre Michel, le gouvernement de Lionel Jospin a instauré le PACS afin de se conformer à l’évolution des mœurs. Cette même évolution justifie aujourd’hui la présentation de cette proposition de loi.
En plus de dix ans, plus de 700 000 PACS ont été enregistrés. Ce n’est donc pas un phénomène marginal ! Pendant que le mariage accuse une baisse régulière des enregistrements, le PACS continue de croître. L’Institut national d’études démographiques indique ainsi une hausse annuelle de près de 43 % du nombre de PACS signés.
Sans vouloir faire de provocation, il me semble bien, après avoir entendu les propos de Mme Dupont, que l’idée sous-jacente de votre refus est d’empêcher les couples homosexuels d’adopter. Or je vous rappelle que de nombreux couples homosexuels élèvent des enfants, parfois conçus de manière critiquable ; je connais ainsi des cas d’enfants achetés à des mères porteuses.
La décision de la cour d’appel de Rennes du 30 octobre 2009 a donné à un couple séparé de femmes homosexuelles la délégation d’autorité parentale, avec exercice partagé au profit de celle qui n’avait pas porté l’enfant.
Une deuxième décision est venue implicitement reconnaître le couple homosexuel. Le 10 novembre 2009, le tribunal administratif de Besançon a ordonné au conseil général du Jura de délivrer un agrément d’adoption à une femme homosexuelle vivant en couple avec une autre femme, à la suite du refus obstiné du président du conseil général d’accorder cet agrément.
Au demeurant, je rappelle que 95 % des PACS sont souscrits par des hétérosexuels. J’espère que ce chiffre vous fera réfléchir...
De plus, Mme le rapporteur indique dans ses conclusions que la nature du couple, homosexuelle ou hétérosexuelle, comme son statut conjugal, qu’il s’agisse d’époux, de partenaires ou de concubins, ne préjuge en rien de leur capacité affective ni de la qualité du lien que les deux parents pourront nouer avec l’enfant.
Le rapport de la commission des lois précise que l’adoption doit être conçue dans l’intérêt de l’enfant. Nous sommes d’accord ! Mais nous pensons que le PACS protège cet intérêt par le projet naissant d’une union civile de solidarité.
Croyez-vous que l’intérêt de l’enfant soit respecté lors de divorces violents ou sordides ? Pour ma part, je ne le pense pas.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il n’y a pas les gentils pacsés d’un côté, et les méchants mariés de l’autre...
M. Roger Madec. Le PACS est aujourd’hui synonyme de stabilité dans le couple, puisque l’on relève moins de dissolutions de PACS que de divorces.
Vous considérez que les couples pacsés ne devraient pas adopter car vous ne reconnaissez pas la stabilité du PACS. Selon vous, il n’offrirait pas à l’enfant la stabilité affective et familiale qui lui est nécessaire. Or une majorité d’enfants naissent désormais en dehors du mariage et, comme l’a rappelé Mme Dupont, hors d’un schéma bien établi.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas la même chose ! Ce ne sont pas des enfants adoptés !
M. Roger Madec. Permettez-moi d’être légèrement provocateur : si l’on suivait le raisonnement de Mme le rapporteur, il faudrait interdire aux partenaires pacsés de procréer puisque seul le mariage confère stabilité et filiation à l’enfant.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce raisonnement est absurde !
M. Roger Madec. Le PACS assure aujourd’hui une sécurité affective et sociale suffisante pour l’adoption.
Il n’en demeure pas moins un point de désaccord : la sécurité juridique de l’enfant. Le droit reconnaît l’autorité parentale. Depuis la loi du 4 mars 2002, les droits et devoirs des parents sont les mêmes, quel que soit leur statut conjugal. La décision de la cour d’appel de Rennes du 30 octobre 2009 confirme la délégation d’autorité parentale avec exercice partagé.
J’ajoute que la sécurité juridique de l’enfant en cas de séparation est prévue dans l’amendement proposé par Jean-Pierre Michel, qui tend à insérer article additionnel visant à rendre obligatoire la saisine du juge des affaires familiales pour faire respecter le droit des parents et l’intérêt de l’enfant.
Mes chers collègues de la majorité, je vous renvoie à vos contradictions. Le gouvernement que vous soutenez n’a-t-il pas proposé que le divorce soit prononcé devant notaire, et non plus devant le juge ? Quelles garanties y aurait-il alors pour les enfants de divorcés devant notaire ?
Notre droit permet à un couple marié depuis au moins deux ans d’adopter un enfant. Cette possibilité n’est pas offerte aux personnes ayant conclu un pacte civil de solidarité, qui ne peuvent entreprendre ensemble une démarche d’adoption. Il s’agit d’une ségrégation contestable, qui ne correspond pas à la tradition française.
Notre droit permet, en revanche, de demander à adopter individuellement, quel que soit son statut conjugal. N’y a-t-il pas là un paradoxe absurde ?
Le texte proposé aujourd’hui apporte, conformément aux recommandations du rapporteur, la sécurité affective, sociale et juridique de l’enfant. Je le redis haut et fort : le PACS ne doit plus être un frein à l’adoption !
M. Richard Yung. Très bien !
Mme la présidente. Je vais mettre aux voix l’article unique de la proposition de loi.
Je suis saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Je rappelle que, si cet article était rejeté de même que l'amendement visant à insérer un article additionnel après cet article, la proposition de loi serait rejetée et personne ne pourrait plus prendre la parole.
Je rappelle également que la commission et le Gouvernement se sont prononcés contre cet article unique.
Personne ne demande la parole ?...
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 166 :
Nombre de votants | 336 |
Nombre de suffrages exprimés | 330 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 166 |
Pour l’adoption | 147 |
Contre | 183 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Article additionnel après l'article unique
Mme la présidente. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par M. Michel et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article unique, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 515-7 du code civil, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... - Sauf dans les cas de dissolution par le mariage des partenaires entre eux, lorsqu'un ou plusieurs enfants sont nés du couple pacsé, lors de la dissolution du pacte civil de solidarité, le juge aux affaires familiales est obligatoirement saisi afin de statuer selon ce qu'exige l'intérêt de l'enfant sur sa résidence, le montant de la contribution à son entretien et à son éducation et sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale. »
La parole est à M. Jean-Pierre Michel.