M. Jacques Blanc. Ce n’est pas vrai !
M. Roland Courteau. En fait, plusieurs lois ont transposé les directives européennes, en 2000, en 2003, en 2004 et en 2006. Oh ! je sais que l’on va me dire qu’un gouvernement de gauche était aux commandes en 2000. Effectivement ! Mais je vous rappelle que la directive a été transposée a minima, en mettant tout en œuvre pour préserver le service public de l’électricité.
J’entends encore les cris d’indignation de sénateurs ou de députés de droite de l’époque. Par exemple, notre ex-collègue Revol, rapporteur de ce projet de loi, n’a pas cessé de dénoncer le choix du gouvernement Jospin d’effectuer « une transposition tardive et insuffisamment libérale ». Il regrettait que la France choisisse de limiter au minimum le degré d’ouverture du marché aux professionnels. Par exemple, à l’Assemblée nationale, M. Borotra, ancien ministre, s’exclama fièrement : « Le projet de loi que vous nous présentez est la transcription, à votre façon, d’une directive que j’ai eu l’honneur de négocier au nom du Gouvernement. » Et il ajouta que ce projet de loi était « un parcours d’obstacles pour limiter l’exercice de la concurrence et vider de l’essentiel de son contenu la libéralisation du marché ».
Voilà qui est clair !
Combien de parlementaires de droite s’étaient réjouis, en novembre 2002, lorsque la ministre Nicole Fontaine accepta l’ouverture totale du marché à la concurrence. Je me souviens que l’on se congratulait alors à droite : on se félicitait même de ce compromis qui n’était en fait rien d’autre qu’une capitulation. La suite, on la connaît, et il a bien fallu déchanter !
Depuis, d’ailleurs, on n’arrête pas de légiférer, de rapiécer et d’administrer des soins palliatifs. Combien de textes depuis 2000 ? Huit ? Neuf ? Dix ? Et combien d’autres après le présent projet de loi ?
Et pour nous convaincre qu’avec le projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, ou NOME, nous allons entrer dans un monde merveilleux, l’étude d’impact du Gouvernement, aveuglément optimiste, tente de nous faire croire que tout le monde sera gagnant. Un monde merveilleux, vous dis-je, avec plus de visibilité, plus d’incitation à investir, plus de garanties pour les consommateurs, uniques bénéficiaires de bas coûts de l’électricité et, bien évidemment, aucun effet d’aubaine ! La réalité, hélas ! ne sera pas si idyllique.
Concernant, par exemple, la visibilité annoncée par l’étude d’impact, à y regarder de plus près, nous serions plutôt dans le brouillard des incertitudes, mais nous y reviendrons ultérieurement. En fait, l’expérience nous montre que plus un dispositif est complexe, plus il conduit à un grand nombre de changements, donc à une moindre visibilité, toutes choses nuisibles à l’économie !
Quel sera ensuite l’effet NOME sur les investissements ? Négatif, affirment certains économistes. L’étude d’impact se contente d’affirmer, sans le démontrer, que la NOME induira des incitations appropriées… Nous sommes peut-être éblouis, mais pas éclairés pour autant !
De plus, de façon surprenante, la NOME, qui se présente comme un dispositif transitoire, ne prévoit aucun mécanisme crédible de sortie de la régulation, comme une décroissance progressive et échelonnée des volumes de l’ARENH, cédés aux fournisseurs alternatifs. À l’exception d’un éventuel rapport qui, en 2015, pourrait se pencher sur ce problème, vous ne prévoyez même pas leur sevrage. Ils voudront donc conserver le biberon le plus longtemps possible. Mais alors, quel intérêt auront-ils à investir ?
EDF sera-t-elle incitée à investir, si supportant 100 % des risques, elle doit céder une partie de ses bénéfices à ses concurrents ? Dès lors, notre système électrique ne va-t-il pas connaître des défaillances ?
Avant de conclure, je souhaiterais soulever un dernier problème : ce projet de loi pourrait bien constituer aussi une source d’insécurité juridique au niveau européen.
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Roland Courteau. Il s’agit de la question de la portée de la clause de destination qui figure à l’article 1er, même si d’aucuns ne veulent pas le reconnaître.
Cette disposition résistera-t-elle aux foudres de Bruxelles ? Je ne le crois pas. L’accord Fillon-Kroes ne sera pas suffisant si une plainte est déposée par un client résidant dans un autre État membre, pour restrictions incompatibles avec les règles du marché intérieur. Notez qu’il y a le précédent des poursuites contre GDF et E.ON. Mais je reviendrai sur ce point lors de la discussion des articles.
Pour conclure, ce projet de loi s’avère d’une grande complexité, qui nécessitera de nombreux réajustements, au point que je me demande si, en raison de nombreuses incertitudes, vous n’allez pas nous présenter, sous peu, monsieur le secrétaire d’État, un nouveau projet de loi, destiné à corriger celui-ci et puis un autre encore, qui corrigera le précédent... et ainsi de suite !
Nous avons déposé un certain nombre d’amendements de suppression. D’autres amendements tendront également à ouvrir d’autres voies que celle de la libéralisation totale du marché de l’énergie. En effet, quel intérêt doit primer ? Celui des consommateurs français, ou celui des opérateurs privés, au nom de la sacro-sainte concurrence ?
Bref, nous essaierons, mes chers collègues, de vous convaincre, tout au long de ces débats, du bien-fondé de nos positions. Mais, comme l’affirmait un parlementaire, « une panne d’électricité laisse l’aveugle indifférent », et j’ai bien peur qu’il en soit de même pour le Gouvernement. Mais, si vous deviez adopter ce texte tel quel, chers collègues, ne l’appelez plus jamais NOME, baptisez-le DOME, comme « désorganisation du marché de l’électricité ». (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Yvon Collin applaudit également.)
M. Jacques Blanc. Ce n’est pas possible !
Mme la présidente. La parole est à M. Benoît Huré.
M. Martial Bourquin. Cela ne va pas être facile après une telle intervention !
M. Benoît Huré. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité vise un objectif clair : assurer à chaque consommateur des prix de l’électricité compétitifs, représentatifs des coûts de production du parc français, quel que soit le choix du fournisseur, chaque fournisseur alternatif pouvant approvisionner ses clients en France à partir d’électricité acquise auprès d’EDF au coût complet du parc nucléaire historique.
L’équilibre entre droits et devoirs des fournisseurs est ainsi trouvé : les fournisseurs alternatifs ont un droit à acquérir de l’électricité auprès d’EDF, ce dernier a un devoir de vendre de l’électricité aux fournisseurs alternatifs à un prix couvrant les coûts complets. Les fournisseurs alternatifs ont un devoir de contribuer à la sécurité d’approvisionnement, ce qui entraîne une mutualisation de cette charge aujourd’hui assumée uniquement par EDF.
Ce texte est à la fois important et indispensable. Important, car il conserve les avantages du système actuellement en vigueur, tout en corrigeant ses imperfections : il place ainsi notre pays sur la voie d’une organisation pérenne, novatrice et conforme aux enjeux d’avenir. Indispensable, parce que l’organisation actuelle du marché de l’électricité en France n’est pas satisfaisante et qu’il fallait, au risque d’un conflit ouvert avec les autorités européennes, trouver un nouvel équilibre en refondant la régulation du secteur.
Il s’agit de protéger les consommateurs qui continueront à bénéficier de prix de vente de l’électricité fondés sur les coûts du nucléaire, mais il s’agit aussi, et peut-être surtout, d’offrir un cadre stable et propice à l’investissement.
En effet, le cœur du débat qui nous réunit aujourd’hui, c’est le financement des investissements nécessaires pour la production d’électricité : le nucléaire, bien entendu, mais également la pointe, qui est l’un des sujets majeurs auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés.
À ce sujet, je tiens à insister sur le remarquable rapport élaboré par le groupe de travail sur la maîtrise de la pointe électrique coprésidé par nos collègues Bruno Sido et Serge Poignant.
Le contexte européen est aussi une des raisons d’un changement nécessaire. Actuellement, la concurrence en Europe n’est pas très développée. Pire, notre pays est menacé par un contentieux avec la Commission de Bruxelles, au sujet du fameux dispositif TARTAM, et des tarifs réglementés pour les moyennes et grandes entreprises, avec un risque non négligeable pour nos entreprises de devoir rembourser des milliards d’euros.
La suspicion d’aide d’État en faveur des consommateurs existe bel et bien. Nous ne pouvons pas être les mauvais élèves de l’Europe…
Mme Odette Herviaux. Ça dépend pour quoi !
M. Martial Bourquin. Et pour les Roms, cela n’a-t-il pas été possible ?
M. Benoît Huré. … et il est important de réagir.
À ce contentieux pour aide d’État s’ajoute un deuxième contentieux avec Bruxelles pour non-transposition de la directive de 2003, avec une sévère critique de l’existence des tarifs réglementés. Cela nous expose à une condamnation par la Cour de justice de l’Union européenne à des astreintes et à l’extinction des tarifs réglementés. L’enjeu n’est pas mince !
Je le sais, monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement récuse les griefs de la Commission, mais le risque est réel et il ne vaut pas la peine d’être couru.
Aujourd’hui, nul ne peut le contester, une réforme du marché est absolument nécessaire. Nous savons que la Commission renoncera aux contentieux si la nouvelle organisation du marché de l’électricité est mise en place dans les plus brefs délais.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que la Commission européenne a ses propres solutions : le démantèlement pur et simple d’EDF et la suppression de toute forme de régulation.
Mme Nathalie Goulet. C’est déjà fait !
M. Benoît Huré. La solution du Gouvernement est la seule voie de passage équilibrée qui s’inscrit dans le marché européen de l’électricité.
Pour assurer sa pérennité, le projet de loi relatif à la nouvelle organisation du marché de l’électricité, dit NOME, doit donc être compatible avec l’ouverture des marchés en Europe, et ainsi donner à tous les acteurs la possibilité de faire des propositions innovantes de services, d’économie d’énergie. Aujourd’hui, seule EDF peut y parvenir, les autres acteurs étant étranglés par leurs coûts d’approvisionnement. Il fallait donc assurer aux concurrents d’EDF le moyen de servir leurs clients dans des conditions de prix comparables à celles d’EDF.
Comme je le disais au début de mon propos, en dehors des critiques de Bruxelles, l’organisation actuelle du marché de l’électricité n’est pas satisfaisante. Elle est très complexe et peu lisible. Les consommateurs se trouvent cloisonnés dans des catégories hermétiques et quelquefois incohérentes.
M. Daniel Raoul. …et dépassées !
M. Benoît Huré. Elle est instable et n’a pas abouti, car elle est fondée sur des dispositifs transitoires.
Ainsi, l’organisation actuelle du marché de l’électricité ne permet pas d’assurer la prévisibilité absolument majeure en matière d’investissement.
Le rapport Champsaur est, à ce sujet, très clair et je ne reviendrai pas sur son contenu. Je salue le remarquable travail effectué par la commission Champsaur, où siégeaient plusieurs parlementaires, dont notre rapporteur Ladislas Poniatowski. Il a abouti à une proposition très claire pour sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvions. (M. Roland Courteau s’exclame.)
Dans son projet de loi, le Gouvernement a choisi de suivre les recommandations, assez consensuelles au niveau national, de la commission Champsaur. La solution consiste à obliger EDF, l’opérateur historique, à céder aux fournisseurs alternatifs une partie de sa production d’origine nucléaire, à hauteur de 100 térawattheures, soit environ 25 % de cette production, et ce au prix coûtant, afin de développer la concurrence mais aussi de préserver l’avantage que les Français peuvent et doivent tirer de l’existence du nucléaire, qui est un élément important de la compétitivité de nos entreprises.
Le dispositif proposé réalise trois objectifs majeurs : assurer la compétitivité des entreprises françaises, sécuriser les approvisionnements et permettre à la concurrence d’exister. Pour cela, différents mécanismes ont été prévus. Je n’y reviendrai pas, notre rapporteur ayant parfaitement expliqué le système mis en place.
Je note simplement que le prix de cet accès régulé à l’électricité nucléaire historique ne sera pas un prix bradé, comme on peut l’entendre ici ou là, mais un prix complet, couvrant toutes les charges réelles du parc nucléaire historique d’EDF. Il n’y a donc aucun hold-up ni aucune spoliation d’EDF !
M. Roland Courteau. C’est vous qui le dites !
M. Benoît Huré. Il faut simplement que ce prix ne soit pas instable, qu’il ne fluctue pas et qu’il assure à EDF une situation financière saine.
Par ailleurs, le projet de loi inscrit la nécessité d’investir dans le parc électrique, par la mise en place d’une obligation de capacité de production pour les fournisseurs. Cela est avantageux pour EDF, qui ne sera plus seule à assurer la sécurité d’approvisionnement. L’incitation à l’investissement est donc au centre de ce texte ; c’est la situation actuelle qui est peu favorable à l’investissement.
Un autre point important est le maintien au profit des particuliers du tarif régulé, sans date. Ainsi, s’ils le souhaitent, les consommateurs peuvent bénéficier d’un accès à l’électricité selon un tarif fixé par les pouvoirs publics – en fait par le pouvoir politique –, sur proposition du régulateur, la Commission de régulation de l’énergie, ou CRE.
En outre, le système de tarifs pour les entreprises disparaîtra progressivement jusqu’en 2015. À cette date, il ne pourra plus y avoir de tarifs pour les entreprises. Seuls les particuliers conserveront le bénéfice des tarifs régulés, qui sont par conséquent confortés et pérennisés.
On ne peut pas dire que la régulation est supprimée ! Le texte prévoit davantage de régulation là où il y en avait si peu. La loi du 10 février 2000, proposée par le Gouvernement socialiste de l’époque, a ouvert le marché de l’électricité aux grandes entreprises sans précautions ni sans garde-fous.
Notre majorité a commencé dès 2002 à corriger les effets néfastes de cette ouverture débridée pour aboutir aujourd’hui à ce texte qui régule les prix de gros, les prix à la sortie de production.
Ce projet de loi a fait le choix d’une régulation différente mais toujours forte du marché de l’électricité. C’est l’essentiel à nos yeux.
On entend dire ici ou là qu’il pourrait y avoir des augmentations de tarifs : ce n’est évidemment pas le cas, cela n’a aucun rapport ! (M. le secrétaire d’État opine. – Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Il faut le dire clairement. Ce texte ne traite pas du niveau des tarifs de l’électricité,…
M. Martial Bourquin. C’est bien ce qu’on lui reproche !
M. Benoît Huré. … il organise les rapports entre fournisseurs d’électricité. Le prix de notre énergie est en moyenne de 30 % inférieur à la moyenne européenne. (M. Roland Courteau s’exclame.) Il faut maintenir, pour les consommateurs et les industriels, cet avantage. Les tarifs réglementés pour les petits consommateurs sont maintenus et le prix payé par le consommateur final reflète strictement les charges du système électrique français et leur évolution.
Par ailleurs, la concurrence sera favorisée au profit du consommateur, notamment en matière d’innovation.
Avant de conclure, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite, au nom du groupe UMP, vous dire notre conviction en matière d’énergie nucléaire. Elle n’est pas sans rapport avec le projet de loi que nous examinons.
Nous sommes convaincus qu’il faut assurer l’avenir de la filière nucléaire française. Celle-ci est un élément stratégique de la politique énergétique et industrielle de la France. Le rapport Roussely a fait des propositions très importantes ; la balle est dans le camp du Gouvernement. Des décisions ont déjà été prises mais il faut aller plus loin pour conforter et pérenniser l’industrie nucléaire dans notre pays. C’est un enjeu national de première ampleur que seul l’État peut poursuivre avec succès.
Mes chers collègues, nous devons prendre nos responsabilités. Avec ce texte, nous avons relevé un premier défi : parvenir à un équilibre entre, d’une part, la protection du consommateur français qui continuera à bénéficier des avantages que lui apporte l’électricité nucléaire et, d’autre part, l’ouverture au marché, réclamée par Bruxelles et nécessaire pour assurer une saine concurrence. Ce cadre législatif lisible et cohérent doit assurer le financement des lourds investissements qui nous attendent.
D’autres défis se profilent, notamment l’avenir du nucléaire civil.
Tel est l’enjeu de ce texte auquel le groupe UMP apportera tout son soutien. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’énergie est probablement l’un des défis majeurs auquel sera confronté l’ensemble des pays lors de la prochaine décennie.
Pourtant, la politique énergétique européenne est encore à construire. Aujourd’hui, elle repose avant tout, comme en beaucoup de matières, sur le recours à la concurrence, afin d’éviter la constitution ou le maintien de monopoles.
En cassant les chaînes intégrées du producteur au consommateur final, cette politique européenne en gestation cherche à construire artificiellement des marchés où les prix pourraient se former librement, sur le modèle du pétrole.
Malheureusement, cela fonctionne rarement. C’est ainsi que plusieurs États fédérés américains ont entrepris un retour sur la libéralisation de leur secteur énergétique, en s’appuyant pour cela sur le modèle français.
Plus proche de nous, en Grande-Bretagne, l’autorité régulatrice a fait, elle aussi, part de son inquiétude quant aux conséquences de la libéralisation sur les investissements de long terme, la sécurité des approvisionnements et l’efficacité énergétique.
En effet, deux ruptures sont venues modifier le cadre de référence de la politique de libéralisation : d’une part, la lutte contre le réchauffement climatique, qui s’est progressivement affirmée comme une priorité politique ; d’autre part, la sécurité des approvisionnements énergétiques européens.
La nécessité d’intégrer ces nouveaux éléments conduit à poser frontalement la question de la cohérence de la politique énergétique européenne, qui fait face à des enjeux mais aussi à des attentes de nature plutôt hétérogène.
Nous savons tous ici que, grâce au développement progressif des secteurs de l’hydroélectrique et de l’industrie électronucléaire, la France dispose de l’électricité la moins chère d’Europe.
L’enjeu du texte sur lequel nous devrons nous prononcer est de savoir si la nouvelle organisation permettra à notre pays de maintenir une électricité bon marché, dans un contexte de concurrence effrénée et d’impératifs écologiques. Cela vous semble possible, monsieur le secrétaire d’État. Nous verrons.
Est-il légitime de remettre en cause l’avantage énergétique français, unique au monde, pour permettre à des opérateurs privés, incapables d’offrir un meilleur prix, d’exister sur le marché français de l’électricité ?
Cette manière d’ouvrir le marché est pour le moins bizarre, puisqu’elle consiste à créer une distorsion de concurrence au détriment de l’entreprise mieux-disante, EDF, et, par conséquent, à notre détriment.
On peut aisément imaginer les conséquences du projet de loi dans sa mouture actuelle : alignement progressif des tarifs réglementés sur les standards européens, 30 à 50 % plus chers, maintenance des réseaux fragilisée, difficulté de financement du parc électronucléaire, etc.
Bref, avec l’abandon d’une certaine idée du service public, nos concitoyens, monsieur le secrétaire d’État, ne risquent-ils pas d’être sacrifiés sur l’autel de l’appât du gain de sociétés bien plus préoccupées par la course aux bénéfices que par l’intérêt général ?
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Yvon Collin. Quoi qu’il en soit, les Français seront seuls juges devant leurs factures d’électricité dans les prochaines années.
M. Roland Courteau. Voilà !
M. Yvon Collin. En choisissant la libéralisation complète des prix, ainsi que la mise en place d’un accès régulé à l’électricité de base avec la disparition progressive des tarifs réglementés pour les industriels, le Gouvernement n’ouvre-t-il pas la voie à l’augmentation du coût de l’électricité pour tous, sans pour autant régler les vrais enjeux auxquels doit faire face le secteur de l’énergie en France ?
Or le premier enjeu est bien la valorisation de notre expertise nucléaire dans le monde par un meilleur ordonnancement des acteurs du secteur, un investissement indispensable dans la maintenance de nos centrales nucléaires, mais aussi la formation des hommes et des femmes pour en assurer une meilleure disponibilité et une sécurité optimale, ce qui est capital.
Qui aurait cru que, même aux États-Unis, le très fervent gouverneur libéral de Californie ramènerait progressivement dans le secteur public la gestion du parc nucléaire californien ? (Effectivement ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Yvon Collin. Le second enjeu est la diversification indispensable de notre bouquet énergétique, associée à la recherche, à l’innovation et à la construction de filières industrielles et de filières de services créatrices d’emplois. Ce sont les grandes absentes de ce projet de loi, qui ne comporte notamment aucune mesure significative sur le parc hydraulique et sur les investissements à consentir pour en accroître la productivité.
En réalité, ce texte repose avant tout sur un dogme qui nous semble dépassé dans le contexte actuel : le dogme libéral de l’ouverture à la concurrence à tout prix, quelles qu’en soient les conséquences sur l’emploi, l’environnement, la sécurité liée aux procédés industriels. Aussi ce projet de loi affecte-t-il en premier lieu la filière énergétique elle-même, et ce en dépit d’une expertise qui est le fruit de dizaines d’années d’investissement public dans la formation, la recherche et l’industrie.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Yvon Collin. Monsieur le secrétaire d’État, les membres de mon groupe, dans sa diversité bien connue, seront attentifs aux travaux de la Haute Assemblée en séance publique, mais, en l’état, et pour la grande majorité d’entre nous, il ne nous est pas possible d’apporter notre soutien à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. C’est dommage !
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Pintat.
M. Xavier Pintat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le processus d’adaptation de notre système électrique s’avère décidément bien complexe. Après avoir légiféré en 2000, 2003, 2004, 2005 et 2006 pour respecter le choix d’une ouverture progressive et maîtrisée du marché énergétique français – ouverture achevée depuis le 1er juillet 2007 –, nous sommes une fois encore conduits à débattre de cette question.
Le problème de fond auquel ce texte s’efforce de répondre est celui de la difficulté que nous rencontrons à ouvrir effectivement à la concurrence la fourniture d’électricité, alors que nos engagements européens nous en font l’obligation. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Il est toutefois fondamental de veiller à ce que cette évolution ne contrevienne pas aux intérêts des consommateurs d’énergie.
Tel est bien, monsieur le secrétaire d’État, le challenge que le Gouvernement a choisi de relever avec ce projet de loi, dont l’un des objectifs majeurs est de continuer à faire bénéficier ces consommateurs de la compétitivité du parc de production électrique en France, notamment du parc nucléaire.
La réussite de cette démarche repose en grande partie sur la loyauté attendue des fournisseurs d’électricité bénéficiaires du nouveau dispositif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, l’ARENH.
Nous nous apprêtons en effet, par ce texte, à supprimer à compter du 1er janvier 2016 le bénéfice des tarifs réglementés de vente pour tous les sites ayant souscrit une puissance supérieure à 36 kVA.
C’est une concession d’importance pour nos compatriotes, attachés, comme vous le savez, à ces tarifs, qui ont fait la preuve de leur efficacité économique et sociale depuis plus d’un demi-siècle.
Tel qu’il est actuellement rédigé, le projet de loi peut même apparaître comme plus restrictif, du point de vue du périmètre des tarifs réglementés, que la directive européenne du 13 juillet 2009. Celle-ci prévoit effectivement le droit au service universel pour les consommateurs domestiques, mais aussi pour les PME jusqu’à 50 salariés et 10 millions d’euros de chiffre d’affaires, alors même que ces entreprises auraient souscrit des puissances importantes.
L’amendement que je vous avais proposé sur ce point, monsieur le président, monsieur le rapporteur, n’a pas été retenu par la commission.
Certes, l’articulation entre l’approche en termes de puissance souscrite, qui caractérise nos barèmes tarifaires, et une approche en termes de taille de l’entreprise serait techniquement délicate. Je reste néanmoins convaincu que l’avantage compétitif qu’offrent ces tarifs est devenu vital pour nos PME et PMI. Ils favorisent la localisation de nos entreprises sur notre territoire.
Si cette difficulté technique ne pouvait être levée, il me paraîtrait en contrepartie impératif de veiller à ce que la garantie de marge commerciale octroyée aux fournisseurs bénéficiaires de l’ARENH ait comme condition une stricte interdiction de tout abus de ce droit d’accès régulé.
Il est également essentiel que les fournisseurs concernés concourent effectivement à la sécurité d’approvisionnement en électricité sous la forme des capacités d’effacement de consommation et de production d’énergie que le projet de loi prévoit de leur imposer.
Bien sûr, il ne faut pas perdre de vue que les travaux de notre commission, ajoutés à ceux de nos collègues de l’Assemblée nationale, ont d’ores et déjà permis d’améliorer significativement le texte, dans le sens de nos préoccupations.
Je souhaite vivement en remercier nos collègues de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, présidée par Jean-Paul Emorine, et en premier lieu – bien sûr !– notre rapporteur, Ladislas Poniatowski, réputé pour son sens de l’écoute et la qualité de son expertise dans le domaine de l’énergie.