Mme Christiane Demontès. Vous n’arrêtez pas d’évoquer les propositions socialistes !
M. Éric Woerth, ministre. Pour notre part, nous faisons des propositions très claires en matière d’inégalités salariales et, pour la première fois, nous créons des sanctions financières pour les entreprises, qui pourront représenter 1 % de la masse salariale, ce qui est tout à fait important. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Madame Panis, vous avez présenté les propositions formulées par la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
J’ai bien noté votre proposition de calculer les pensions en retenant les cent meilleurs trimestres plutôt que sur les vingt-cinq meilleures années. Toutefois, on risque ainsi de pénaliser un certain nombre de travailleurs. Si vous le souhaitez, nous pourrons rentrer dans le détail.
Je pense notamment aux travailleurs saisonniers, qui valident aujourd’hui une année entière alors qu’ils ne travaillent que pendant une partie de celle-ci. Le dispositif actuel autorise une personne travaillant à mi-temps pour la moitié d’un SMIC de valider une année entière. Par conséquent, beaucoup seraient perdants si l’on calculait le salaire de référence sur la base d’un trimestre. Quoi qu’il en soit, nous sommes prêts à en débattre.
Vous avez également évoqué l’idée d’un partage des droits à la retraite entre les époux, notamment lors d’un divorce, à l’image de ce qui se fait en Allemagne. Je veux rappeler que, d’ores et déjà, en cas de divorce, le montant de la prestation compensatoire prend en compte les droits à retraite acquis par les époux. Mais je suis sensible à votre souhait d’aller plus loin, notamment en matière d’information des femmes sur ce dispositif de justice, qui doit être utilisé.
Cette réforme est l’occasion de renforcer la solidarité de notre système de retraite, notamment en prenant mieux en compte la pénibilité au travail et les carrières longues, dont le parti socialiste se fait désormais le premier défenseur, alors qu’il s’agit d’une disposition introduite par la loi Fillon. Mais pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, ne l’aviez-vous pas votée ? Pourquoi n’avez-vous pas voté le dispositif relatif aux carrières longues ?
Aujourd’hui, nous renforçons ce dispositif, pour l’étendre aux personnes qui ont commencé à travailler à 17 ans. Pourquoi ne reconnaissez-vous pas qu’il s’agit d’une bonne mesure ? Si le dispositif des carrières longues vous semble si formidable, pourquoi ne vous réjouissez-vous pas de son extension ? Nous aurions un débat un peu plus objectif !
Lorsque vous avez fait adopter la retraite à 60 ans, en 1982, le fait qu’un ouvrier soit amené à travailler quarante-six ans ne vous dérangeait pas le moins du monde ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Christiane Demontès. Ce n’est pas vrai !
M. Éric Woerth, ministre. Lorsque l’on commence à travailler à 14 ans et que l’on prend sa retraite à 60 ans, on cotise 46 ans ! Il a fallu attendre François Fillon et la loi du 21 août 2003 pour que, avec le dispositif des carrières longues, cet élément essentiel de justice soit introduit dans notre système de retraites.
Sur la pénibilité différée, je serai plus prudent, monsieur Vanlerenberghe. En effet, si elle n’est pas prise en compte de façon systématique, s’il n’est pas possible de vérifier que quelqu’un a été réellement exposé à des facteurs de pénibilité, ce type de mesure devient très injuste. Sans preuve, sans étude scientifique démontrant que 70 % à 80 % d’une population voit sa santé réellement affectée par un facteur de pénibilité, par exemple une substance cancérogène, nous ne pouvons pas ouvrir de nouveaux droits.
Nous devons donc continuer de travailler sur cette question, que nous évoquerons bien évidemment au cours de la discussion, mais je vous remercie de votre proposition.
En ce qui concerne les personnes handicapées, j’ai bien noté ce que vous avez dit, monsieur Milon.
Monsieur Jacques Blanc, les travailleurs handicapés travaillant dans les ESAT sont bien concernés par l’élargissement du dispositif, dès lors qu’ils totalisent une durée suffisante d’activité.
La solidarité est un élément essentiel de notre système de retraite. Votre intervention le prouve, madame Hoarau, il convient d’en rappeler les dispositifs, qui ne sont pas toujours assez bien connus. Ainsi, lorsque l’on travaille à temps partiel, on valide des droits à la retraite ; lorsque l’on est au chômage, c’est également le cas.
Vous avez évoqué le minimum vieillesse. Je le rappelle, nous l’avons revalorisé de 25 %. Par ailleurs, il continuera de bénéficier aux personnes âgées de 65 ans. Il s’agit d’une mesure de justice sociale majeure. En effet, dans le cadre du relèvement de l’âge de 65 ans à 67 ans, il était important de conserver l’étape de 65 ans pour le bénéfice du minimum vieillesse.
Enfin, monsieur Fischer, le taux de cotisation que vous avez cité pour le secteur privé n’est pas exact. En effet, pour la partie du salaire inférieure au plafond de la sécurité sociale, le taux des cotisations pour la retraite est bien de 6,75 %, mais uniquement pour le régime de base : vous avez oublié les cotisations aux régimes complémentaires : 3 % pour l’ARRCO et 0,8 % pour l’AGFF. Le taux est donc bien de 10,55 %.
Avec Georges Tron, nous avons la volonté, et nous l‘assumons, de rapprocher le taux du secteur public, qui est de 7,85 %, de celui qui est en vigueur pour le secteur privé, soit donc 10,55 %. Cette évolution se fera progressivement, sur dix ans, afin de ne pas amputer le pouvoir d’achat des fonctionnaires.
Enfin, MM. Vasselle et About ont notamment évoqué la création d’un régime universel de retraite. L’Assemblée nationale a abordé ce sujet important, mais sans adopter d’amendements à ce propos. Peut-être n’en ira-t-il pas de même au Sénat, mais changer de système n’est pas, en tout état de cause, la solution miracle : le système par points comporte de nombreux inconvénients par rapport au dispositif actuel. Même s’il faut bien sûr répondre à l’urgence de la situation, il convient donc de soigneusement peser les choses avant d’envisager éventuellement un tel changement, qui ne permettra pas, de toute façon, de résoudre les problèmes de financement. (Mme la présidente de la commission des affaires sociales acquiesce.) En effet, que l’on change ou non de système, les 30 milliards d’euros de déficit prévus pour 2010 demeureront.
Je remercie M. Longuet de son soutien. Le Gouvernement est effectivement totalement mobilisé sur cette réforme. Nous sommes très attentifs à ce qui se dit dans la rue, contrairement à ce qu’ont affirmé les orateurs de l’opposition. Pour autant, faudrait-il ne rien faire ?
Mme Annie David. Ce n’est pas ce que vous disent ceux qui manifestent dans la rue !
M. Éric Woerth, ministre. Devrions-nous renoncer à réformer le système des retraites ? J’ai eu beau chercher, je n’ai pas trouvé de proposition du parti socialiste autre que fiscale sur ce point (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Il est certes toujours possible d’agir sur les recettes, mais cela ne constitue pas une réforme des retraites !
Nous sommes ouverts à la concertation et au dialogue, contrairement à ce que vous prétendez. (Non ! sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Christiane Demontès. Ce n’est pas vrai !
M. Éric Woerth, ministre. Cela étant, les syndicats ne souhaitaient pas s’engager dans une négociation, car ils s’opposaient, à l’instar du parti socialiste et du parti communiste, à ce que l’on modifie les seuils d’âge en matière de départ à la retraite. Poser un tel préalable interdit de négocier, quel que soit le gouvernement en place.
Si vous aviez accepté d’envisager un report de l’âge légal de la retraite, comme Mme Aubry l’avait un moment laissé entrevoir, il aurait alors été possible d’en négocier les modalités et les conditions. Mais vous avez fermé la porte à une telle évolution et rendu ainsi la négociation impossible. Néanmoins, tous les autres sujets ont fait l’objet d’une discussion approfondie.
Mme Christiane Demontès. Interrogez les organisations syndicales !
M. Éric Woerth, ministre. Nous avons échangé avec l’ensemble des organisations syndicales, madame la sénatrice. Nous connaissons sans doute mieux que vous leurs positions sur chacun des aspects de la réforme, et nous avons fait évoluer notre texte à leur écoute. Je remercie d’ailleurs par avance le Sénat de contribuer à le faire évoluer davantage encore grâce à un débat de fond. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Je voudrais, à la suite d’Éric Woerth, apporter quelques précisions en ce qui concerne la fonction publique.
M. Jégou a évoqué les « catégories actives » et les régimes spéciaux.
Le classement des emplois en « catégories actives » de la fonction publique remonte dans de nombreux cas au milieu du xixe siècle et repose sur des éléments objectifs. Le présent projet de loi ne vise en aucun cas à figer la notion de « catégories actives ». Ainsi, voilà quelques mois, nous avons considéré qu’une revalorisation statutaire était possible pour les infirmières et qu’aucune raison objective ne justifiait plus le maintien de cette profession au sein des « catégories actives ». Nous avons donc instauré un droit d’option au bénéfice de ces personnels, qui peuvent choisir entre la revalorisation statutaire et le maintien en « catégorie active ». Les métiers qui demeurent classés en « catégories actives » sont des métiers spécifiques à la fonction publique, tels que policier ou gardien de prison, qui n’existent pas dans le secteur privé. Le critère pour le maintien en « catégorie active » est l’absence d’équivalent dans le privé. Dans le cas contraire, une possibilité d’évolution est prévue, comme pour les personnels infirmiers. N’ayez donc aucun doute, monsieur le rapporteur pour avis, sur le fait que nous avons procédé à un examen objectif des différentes situations.
En ce qui concerne les régimes spéciaux, les dispositifs qui ont été adoptés dans le cadre des réformes conduites en 2007 et en 2008 par Xavier Bertrand montent actuellement en puissance. Nous avons considéré qu’il était préférable d’éviter un télescopage de ces dispositifs avec notre projet de réforme des retraites. C’est la raison pour laquelle il est expressément prévu que celle-ci ne s’appliquera aux régimes spéciaux qu’à compter de 2016.
M. Vasselle a souhaité obtenir quelques précisions sur la convention qui a permis au COR d’établir le montant du déficit constaté pour les pensions d’État.
Le calcul est un peu complexe, mais on part de l’idée simple que, en 2010, le montant de la subvention d’équilibre versée par l’État pour assurer le paiement des pensions de ses fonctionnaires sera fixé à 15,6 milliards d’euros. Dès lors, cela signifie que nous devons être en mesure d’économiser chaque année l’équivalent de 1,5 milliard d’euros, somme correspondant à l’évolution naturelle annuelle, depuis 2000, du montant des pensions versées. En gros, l’État devra donc consentir sur les dix prochaines années un effort de l’ordre de 12 milliards d’euros. Ces chiffres permettent de mesurer l’ampleur des économies à réaliser pour que nous puissions assurer le paiement des pensions de retraite des fonctionnaires tout en atteignant l’objectif de maîtrise des dépenses qui s’impose à nous.
Par ailleurs, M. Vasselle nous a interrogés sur les conséquences, pour les comptes publics, de l’application de la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux. Au cours des trois dernières années, 120 000 fonctionnaires partis à la retraite n’ont pas été remplacés. Si l’on considère qu’une carrière dure en moyenne quarante ans, cela correspond à une économie future d’environ 35 milliards d’euros pour chaque année d’application de la règle de non-remplacement. En tenant compte du manque à gagner que cela représente en termes de cotisations, contrebalancé en partie par le relèvement de 7,85 % à 10,55 % du taux de cotisation des fonctionnaires pour la retraite, l’économie annuelle atteint 1,2 milliard d’euros. Par conséquent, il n’y aura pas pour l’État de dépense supplémentaire, au contraire.
Monsieur Fischer, mon collègue Éric Woerth vous a répondu très précisément à propos du taux de cotisation des fonctionnaires pour la retraite. Comme vous le savez, le régime de la fonction publique d’État intègre le régime de base et le régime complémentaire, et le taux de cotisation recouvre donc l’ensemble du dispositif.
L’amélioration du pouvoir d’achat des fonctionnaires permettra d’absorber la hausse prévue de ce taux. Je tiens d’ailleurs à souligner que nous sommes finalement beaucoup plus généreux que ne le préconisent certains rapports. Ainsi, un rapport de la Cour des comptes rendu public aujourd’hui nous suggère de geler la valeur du point d’indice des fonctionnaires jusqu’à la fin de 2013, au motif qu’une telle mesure serait techniquement nécessaire pour stabiliser la masse salariale de l’État.
M. Guy Fischer. Est-ce que vous allez le faire ?
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Non, monsieur le sénateur, mais je précise que le rapport en question avait été commandé par la commission des finances de l’Assemblée nationale à l’époque où celle-ci était présidée par l’actuel Premier président de la Cour des comptes… (M. François Trucy rit.)
Nous ne sommes pas dans une logique dogmatique. Au demeurant, monsieur Fischer, vous savez bien que nous avons fait le choix, plutôt que de baisser les rémunérations dans la fonction publique avant de les geler, comme l’ont fait tous nos voisins, de les augmenter de 0,5 %, ce qui est un effort exceptionnel. M. Woerth et moi-même ne nous sommes pas engagés à autre chose qu’à une stabilisation des rémunérations en 2011, assortie d’une clause de revoyure en 2012 ou en 2013. Si nous décidions d’agir conformément aux recommandations du rapport de la Cour des comptes, nous aurions incontestablement de bons arguments à faire valoir, mais tel n’est pas le cas, et je tenais à le souligner !
M. Vanlerenberghe a évoqué la situation des polypensionnés. Monsieur le sénateur, je vous rappelle que, au cours de l’examen du projet de loi à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a déposé un amendement visant à modifier la règle applicable aux titulaires sans droits. Jusqu’à présent, il fallait justifier de quinze années de cotisation pour pouvoir bénéficier d’une pension du régime des retraites de l’État. Or cela posait deux problèmes : d’une part, le transfert des dossiers du régime de l’État vers le régime général et l’IRCANTEC mobilisait 350 agents ; d’autre part, compte tenu de la différence actuelle de taux de cotisation entre les différents régimes, les agents qui étaient reversés du régime de l’État vers le régime général devaient s’acquitter du paiement du différentiel de cotisation entre les deux régimes.
C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de ramener à deux ans, par le biais de l’adoption d’un amendement déposé à l’Assemblée nationale, la durée minimale de cotisation requise pour percevoir une pension du régime des retraites de l’État. Paradoxalement, cette mesure aura pour conséquence de multiplier le nombre des polypensionnés, ce régime devenant beaucoup plus accessible. En contrepartie, l’État pourra redéployer les 350 fonctionnaires affectés au transfert des dossiers, cependant que les agents concernés par cette mesure n’auront plus à payer de différentiel de cotisation.
Madame Printz, le dispositif permettant aux agents de la fonction publique ayant eu au moins trois enfants de partir à la retraite au bout de quinze années de service est complexe. Dans sa construction actuelle, il incite les fonctionnaires concernés, en particulier des femmes, à partir plus tôt à la retraite, avec une pension d’un montant réduit. Pour notre part, nous souhaitons lutter contre cette tendance. La Commission européenne a d’ailleurs jugé le dispositif en question suffisamment inéquitable pour qu’elle demande à la France de le corriger rapidement, sous peine d’une remise en cause de l’ensemble des majorations de durée d’assurance pour les parents en général, pas uniquement dans la fonction publique.
En 2003, le dispositif a été corrigé, à la suite de son élargissement aux hommes, qui suscitait certaines inquiétudes, par l’introduction d’une condition supplémentaire pour en bénéficier : celle d’une interruption de l’activité de deux mois au moment de la naissance ou de l’adoption de chacun des enfants.
Pour autant, la Commission européenne a jugé que cette mesure était encore insuffisante. C’est pourquoi Éric Woerth et moi-même avons déposé auprès de celle-ci plusieurs propositions de modification, de façon à lui montrer que nous tenons compte, dans le présent projet de réforme des retraites, de ses observations.
Ainsi, comme les syndicats nous l’ont demandé, nous avons prévu un dispositif progressif. Jusqu’au 31 décembre 2010, les règles demeurent inchangées pour les parents de trois enfants comptant quinze années de service. En 2011, il sera toujours possible de continuer à bénéficier de ce dispositif, mais une décote générationnelle sera appliquée. C’est seulement à partir du 1er janvier 2012 que le système prévu dans le projet de loi entrera en vigueur.
Deux exceptions ont été consenties au profit, d’une part, des parents qui ont dépassé l’âge légal d’ouverture des droits, et, d’autre part, de ceux qui sont à cinq ans de cet âge légal. Nous avons donc aménagé le dispositif, avec la volonté, je le répète, de prendre en compte les demandes de la Commission européenne.
M. Longuet a rappelé à très juste titre la spécificité des régimes de retraite de la fonction publique, dont l’histoire est ancienne. C’est en effet dans la fonction publique qu’ont été créés les premiers régimes de retraite, notamment pour les marins, en 1685, sous Louis XIV. Le dispositif de la réversion date de 1790, les régimes des catégories actives ont été institués en 1825 et les bonifications d’assurance en 1853.
Comme je l’indiquais tout à l’heure, nous avons aujourd’hui un double objectif : faire converger les régimes en tenant compte des spécificités de la fonction publique. Nous tenons à témoigner aux agents des services publics notre respect pour le travail qu’ils accomplissent. L’évolution des services publics fait l’objet de toute notre attention,…
M. Guy Fischer. La RGPP !
M. Georges Tron, secrétaire d'État. … notre seule préoccupation étant que les mesures que nous prenons soient équitables et efficaces. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Organisation de la discussion
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Afin d’améliorer la lisibilité de nos travaux, je demande le report de l’examen de tous les amendements portant article additionnel à la fin du texte, c’est-à-dire après l’article 33. J’en ai informé les membres de la commission des affaires sociales lors de la réunion de ce soir, et je pense que le Gouvernement n’y verra pas d’objection.
M. Guy Fischer. C’est mépriser l’initiative parlementaire ! C’est incroyable !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?
M. le président. La réserve est de droit.
Nous passons à la discussion des motions.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par MM. Cazeau et Bel, Mmes Demontès, Alquier et Campion, MM. Daudigny et Desessard, Mme Ghali, M. Godefroy, Mme Jarraud-Vergnolle, MM. Jeannerot, Kerdraon, S. Larcher et Le Menn, Mmes Le Texier, Printz, San Vicente-Baudrin et Schillinger, MM. Teulade, Domeizel et Assouline, Mme M. André, M. Bérit-Débat, Mme Blondin, MM. Botrel et Bourquin, Mme Bourzai, MM. Courteau, Daunis, Guérini, Guillaume et Haut, Mmes Khiari et Lepage, MM. Mirassou, Mahéas, Sueur et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 55, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme des retraites (n° 734, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Bernard Cazeau, auteur de la motion.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le peuple de France attend beaucoup du Sénat ; il attend qu’une prise de conscience et une véritable justice émergent de nos discussions.
En effet, la réforme des retraites ne passe pas, car les Français ont le sentiment qu’elle est en rupture avec les principes fondamentaux de notre pacte social.
C’est d’ailleurs ce qui motive le dépôt par le groupe socialiste de la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. À nos yeux, votre texte est celui d’une double rupture avec les principes de notre organisation sociale.
Il y a d’abord rupture en termes d’égalité entre les citoyens, puisque, à l’issue de cette réforme, la situation des femmes et des travailleurs aux carrières précaires ou pénibles se trouvera dégradée et les inégalités seront accrues.
Il y a ensuite rupture en termes de pérennité financière du régime général, puisque votre projet ne corrigera qu’une partie des déséquilibres budgétaires et seulement à court terme, sans permettre d’atteindre un équilibre des comptes sincère, une fois dissipé l’écran de fumée que constitue le décaissement du Fonds de réserve des retraites, le FRR.
Le Préambule de la Constitution de 1946 dispose pourtant que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ». Nous en sommes loin, et nous nous éloignerons encore de cet objectif dans les faits si votre texte est adopté en l’état. Ce même texte constitutionnel prévoit en outre que « la Nation garantit à tous, notamment […] aux vieux travailleurs, […] la sécurité matérielle […]. Tout être humain […] a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. » Si le système croule sous les pertes et si le niveau général des pensions diminue, il deviendra vite impossible de tenir cet engagement.
Par ailleurs, pour les dépenses communes, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen prévoit qu’une « contribution » est « indispensable » et qu’elle doit être « répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Monsieur le ministre, dans votre texte, les questions de proportionnalité et de progressivité fiscale sont passées sous silence ; les salariés paieront 90 % de l’addition, tandis que les privilégiés dormiront tranquilles tout en s’enrichissant.
Enfin, toujours aux termes du Préambule de la Constitution de 1946, « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail […] ». Si j’en juge par la position des syndicats représentatifs des salariés, aucun d’entre eux n’estime avoir été réellement consulté.
Sur le fond, sur la forme, au regard des conséquences de l’application du texte, nous estimons donc que la question de l’irrecevabilité de votre projet de loi se pose.
En une quinzaine d’années, l’actuelle majorité aura présenté quatre textes portant sur les retraites, en formulant chaque fois la même promesse : « nous faisons tout cela pour équilibrer les comptes ».
Mais, à l’arrivée, le démenti est cruel : en 2010, le déficit de la branche vieillesse du régime général devrait s’élever à 9 milliards d’euros. Aujourd’hui, monsieur le ministre, comme frappé d’amnésie quant aux échecs d’hier, vous reprenez le chemin des mesures comptables, en jouant cette fois sur le nouveau paramètre des mesures d’âge.
Cette nouvelle réforme technocratique, guidée par l’urgence, va déboucher sur une double déroute : financière d’abord, puisque le report des seuils d’âge et l’augmentation des durées d’assurance ne remédieront qu’en partie aux déséquilibres ; sociale surtout, puisque des millions de Français verront leur vie bouleversée par des changements soudains dictés d’en haut.
Mais en réalité, peut-on véritablement parler de réforme ? Étant donné les erreurs du passé, nous attendions une transformation ou, à tout le moins, un peu d’imagination. Nous n’aurons pourtant qu’un rafistolage comptable supplémentaire.
M. Jean Desessard. Bravo !
M. Bernard Cazeau. Au fond, vous vous contentez de faire varier deux paramètres dans le dessein de réaliser quelques économies immédiates. Votre calcul est simple : il y aura moins de départs à la retraite à compter de 2011, et donc moins de pensions à verser à court terme du fait du report de l’âge de départ.
C’est incontestable, mais c’est un calcul cynique : tant pis pour ceux qui voient s’éloigner brutalement leur date de départ à la retraite ; ils attendront. Le cynisme tient aussi au fait que vous prétendez repousser les seuils d’âge pour ne pas toucher aux revenus des personnes âgées. C’est probablement là un argument vendeur sur les plateaux de télévision, monsieur le ministre, mais c’est une contre-vérité : en effet, compte tenu du niveau élevé du chômage, l’allongement du temps passé à attendre la retraite se soldera par une baisse du revenu, et donc par un amoindrissement des bases servant de référence pour le calcul des pensions. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)
M. Jean Desessard. Absolument !
M. Bernard Cazeau. Tout le problème est là, en effet, car, hormis dans certaines professions intellectuelles, personne ne travaillera jusqu’à 67 ans !
M. Jean Desessard. Bien sûr !
M. Bernard Cazeau. La plupart des salariés ne le pourront pas et, de toute façon, la plupart des entreprises ne le voudront pas ! Dès lors, si votre projet s’applique, des centaines de milliers de personnes aux carrières incomplètes se trouveront placées en situation d’attente dans des conditions inadmissibles !
M. Jean Desessard. Absolument !
M. Bernard Cazeau. L’âge de fin d’activité est aujourd’hui de 58 ans et demi ; monsieur le ministre, croyez-vous sincèrement qu’il va croître de neuf ans au cours de la prochaine décennie, comme par enchantement ?
À nos yeux, le report de l’âge de liquidation sans décote est une mesure profondément injuste. En effet, qui sera obligé d’attendre jusqu’à 67 ans ? Les personnes qui ont occupé un emploi précaire ou dont la carrière est incomplète ! On s’apprête donc, tout simplement, à faire payer les plus défavorisés, et d’abord les femmes, dont un quart devront attendre d’avoir 65 ans pour liquider leur pension. Elles seront les premières victimes d’une telle mesure.
D’ailleurs, d’une manière générale, le sort fait aux femmes est un véritable scandale : leur taux de chômage est plus élevé, elles sont davantage concernées par le temps partiel subi, elles perçoivent des salaires inférieurs, leurs carrières sont souvent incomplètes, etc. Monsieur le ministre, tout cela n’aurait-il pas justifié une correction de trajectoire ? Peut-être y en aura-t-il une ; il faut toujours espérer…
D’ores et déjà, les pensions de retraite des femmes sont en moyenne inférieures de plus d’un tiers à celles des hommes ; cette situation n’aurait-elle pas mérité une mesure de justice ? À ce propos, qu’est devenue la promesse du candidat Sarkozy d’établir l’égalité salariale entre hommes et femmes à l’horizon de 2010 ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Outre les femmes, les jeunes seront pénalisés par le report à 67 ans de l’âge ouvrant droit à la retraite à taux plein, notamment ceux des générations des années soixante-dix, qui ont déjà beaucoup de mal à trouver leur place sur le marché du travail et subissent la crise de plein fouet. Leur durée d’assurance sera majorée par rapport à celle des générations antérieures et ils seront donc mécaniquement amenés à attendre d’avoir atteint 67 ans, l’âge d’obtention de la retraite à taux plein, pour faire valoir leurs droits à pension.
Enfin, les chômeurs âgés paieront également le prix fort. De quelles ressources disposeront ceux qui perdront leur emploi sans pouvoir prétendre au versement de leur retraite ? Aujourd’hui, la durée d’indemnisation par l’assurance chômage est de trente-six mois. Si rien n’est fait, demain, ils vivront de l’ASS, l’allocation de solidarité spécifique, ou du RSA, le revenu de solidarité active, c’est-à-dire de 460 euros par mois. Le report du seuil d’âge entraînera, dans de nombreux cas, le maintien dans le dispositif des minima sociaux pendant vingt-quatre mois supplémentaires. C’est un surcroît de précarité pour les personnes âgées sans emploi que vous êtes en train d’instaurer !
Tout cela est injuste et peu responsable. Mes chers collègues, vous qui incarnez la représentation nationale dans ce qu’elle prétend avoir de plus raisonnable, il faut renoncer à reporter la borne des 65 ans ! Il faut accepter aussi de prendre en compte la situation des salariés affectés à des tâches pénibles.
Il est regrettable que le Gouvernement ait renoncé à traiter la question des inégalités d’espérance de vie à la retraite, sinon par une pirouette pour le moins malhabile, consistant à assimiler la pénibilité au handicap. Réduire le traitement du dossier de la pénibilité au seul périmètre de l’expertise médicale, c’est avoir une vision bien étroite de la question.
Il est prouvé que le travail diminue l’espérance de vie, alors pourquoi le taire ? Il est prouvé que l’exposition aux toxiques, le travail de nuit et les efforts physiques importants expliquent en partie les différences de mortalité entre les catégories sociales, alors pourquoi ne pas en tenir compte ?
Dans ce domaine, le compte n’y est pas. Rien sur les rythmes de travail ! Rien sur l’exposition aux nuisances thermiques ou chimiques ! Rien sur les contraintes physiques marquées, les cadences élevées ou les horaires décalés ! Rien sur les troubles musculo-squelettiques ! Jean-Pierre Godefroy en a bien parlé tout à l’heure, je n’y insisterai pas davantage.
Là encore, nous vous demandons de sortir par le haut ! Monsieur le ministre, oubliez les oukases de Mme Parisot ! Ouvrez des négociations et laissez partir les travailleurs les plus exposés à 60 ans, sans examen médical obligatoire !
Par idéologie, par tactique, mais aussi, sûrement, par docilité envers les adversaires du système de retraite par répartition, vous avez choisi une réforme frontale et brutale. Elle a mis 3 millions de personnes dans la rue à plusieurs reprises ; elle est rejetée par deux Français sur trois ; elle a recréé l’unité syndicale et elle suscite la colère sociale. Tout donne à penser que vous vouliez ce conflit social, comme pour en faire un marqueur politique, un symbole de dureté et de rigueur, peut-être un outil pour ressouder – qui sait ? – une frange démobilisée de votre électorat… (M. Jean Desessard rit.)
Non, monsieur le ministre, votre projet de réforme n’en est pas un. Plus que d’une ambition globale, il témoigne d’un renoncement général. Un chantier partiel, partial et inachevé, voilà ce que vous nous soumettez !
D’ailleurs les Français ne s’y trompent pas. N’avez-vous pas été frappé par un chiffre paru dans la presse il y a quelques jours : 77 % des 18-24 ans estiment que les choix du Gouvernement engendreront de nouvelles injustices.
De toutes les catégories d’âge, la jeunesse est celle qui croit le moins en votre projet de réforme des retraites. C’est le signe qu’aux yeux des forces vives de la nation, vous conduisez la politique du désespoir. Pour nous, il s’agit donc bien d’une politique irrecevable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)