PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 26 octobre 2010, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2010-89 QPC).
Le texte de la décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
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Prix du livre numérique
Adoption d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative au prix du livre numérique, présentée par Mme Catherine Dumas et M. Jacques Legendre (proposition n° 695 [2009-2010], texte de la commission n° 51, rapport n° 50).
Mes chers collègues, nous avons vécu trois semaines de travail intense, au cours desquelles nous avons siégé de longues journées et de longues nuits. Nous envisagions de commencer l’examen de ce texte à vingt et une heures trente, mais nous avons pris beaucoup de retard. Je vous invite donc, avec l’accord de M. le président de la commission, à faire preuve, dans toute la mesure du possible, de concision dans vos interventions. Il nous faut penser au personnel du Sénat, en particulier à celui du service de la séance, qui a beaucoup œuvré.
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jacques Legendre, coauteur de la proposition de loi.
M. Jacques Legendre, coauteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les conditions d’accès à l’art et à la culture ont profondément évolué ces dernières années, sous les effets conjugués de la dématérialisation des contenus, de la généralisation de l’internet à haut débit et des progrès considérables de l’équipement des ménages en ordinateurs, consoles de jeux, téléphones multimédias et, depuis peu, tablettes de lecture. Ces dernières se diversifient d’ailleurs, le premier libraire national ayant annoncé le lancement, au début du mois de novembre prochain, d’une « liseuse » pouvant stocker de 2 000 à 11 000 ouvrages, auquel les grands éditeurs français se sont associés, permettant ainsi l’accès à 80 000 titres.
L’offre légale se développe donc rapidement et, après la musique, le cinéma et l’audiovisuel, la révolution numérique concerne désormais pleinement le secteur du livre.
Ces dernières années, les travaux sur le sujet, nombreux et constructifs, ont dévoilé un paysage très évolutif et éclairé un avenir incertain. Je pense notamment aux rapports de M. Bruno Patino, de Mme Sophie Barluet ou de notre collègue député Hervé Gaymard. Je pense aussi au rapport de MM. Zelnik, Toubon et Cerutti, ou encore à ceux de M. Marc Tessier et de Mme Christine Albanel, sans oublier celui de notre collègue Yann Gaillard
La commission de la culture, de l'éducation et de la communication s’est également saisie de ce sujet, en organisant notamment une table ronde le 28 avril 2010, dont l’un des thèmes portait sur la question du prix du livre numérique. Ce temps d’échange a permis de mesurer l’impact de l’essor de la culture numérique sur les différents acteurs de la chaîne du livre, notamment les libraires, et d’appréhender les éventuelles évolutions législatives que cette mutation rend nécessaires.
Parmi ces évolutions législatives figurent, d’une part, l’alignement du taux de TVA du livre numérique sur celui du livre imprimé, disposition que la commission défendra dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011, et, d’autre part, un texte sur le prix du livre numérique, afin de traduire dans ce nouvel univers l’esprit de la loi de 1981 relative au prix du livre.
Notre collègue Catherine Dumas et moi-même avons déposé une proposition de loi dans ce but le 8 septembre 2010 et avons demandé son inscription dès que possible à l’ordre du jour des travaux du Sénat. Nous nous réjouissons d’avoir obtenu satisfaction.
Certes, dans son avis du 18 décembre 2009, l’Autorité de la concurrence a estimé qu’une période d’observation d’un an ou de deux ans pourrait être respectée avant l’adoption d’un dispositif spécifique pour le livre numérique. Mais nous savons tous que le législateur est souvent à la traîne des évolutions technologiques et peine à les anticiper. Et lorsqu’il décide de légiférer, les données du marché et les usages sont parfois déjà tellement installés que son souhait de régulation intervient bien tardivement.
Cette fois, nous vous proposons de légiférer à l’occasion de l’émergence d’un nouveau marché. Certes, le terrain est évolutif, mais il est aussi partiellement balisé, dans la mesure où nous disposons du bilan très positif de la loi de 1981 relative au prix du livre.
Avec ce texte, nous souhaitons accompagner les mutations en cours du marché du livre numérique, non pour les freiner, mais pour les réguler.
Je vous rappelle cette citation merveilleuse de Montesquieu : « Je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé. » Je crois qu’elle conserve toute sa vérité, même si, bien entendu, les pratiques culturelles des Français ont évolué.
En 2008, le ministère de la culture et de la communication a réalisé une enquête sur les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique, alors que plus de la moitié d’entre eux disposaient d’une connexion à haut débit et que plus d’un tiers utilisaient l’internet quotidiennement à des fins personnelles, chiffres qui ont encore augmenté depuis. Cette étude est venue confirmer un mouvement de long terme : depuis plusieurs décennies, chaque nouvelle génération arrive à l’âge adulte avec un niveau d’engagement à l’égard de la lecture inférieur à la précédente, si bien que nous constatons à la fois une érosion des gros et moyens lecteurs de livres et un vieillissement du lectorat.
Je forme avec force le vœu que le nouvel accès aux livres, que permet l’arrivée sur le marché des tablettes de lecture et des œuvres numériques, suscitera chez les jeunes un appétit renouvelé pour l’écrit. Je pense à l’écrit sous toutes ses formes, d’une part, parce que la presse est également concernée, d’autre part, parce que ces nouvelles technologies vont susciter une création foisonnante. En outre, il ne faut pas exclure que l’accès à ces livres numériques donnera aussi le goût du livre papier, car l’effet de « cannibalisation » de l’un par l’autre ne sera sans doute que partiel.
Nous avons souhaité, au travers de la présente proposition de loi, accompagner l’émergence de ces nouveaux biens culturels et réguler le marché, au moins dans un premier temps, pour ce que l’on appelle les livres homothétiques.
Je laisse à notre rapporteur, Mme Colette Mélot, le soin de vous expliciter les objectifs et les termes de ce texte. Je la remercie de son investissement très important sur cet important dossier. Je précise que la commission l’a suivie dans ses conclusions et ses propositions.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je conclus en ne résistant pas au plaisir de partager avec vous cette citation de Jules Renard, dans laquelle se reconnaît le lecteur avide que je suis : « Quand je pense à tous les livres qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être encore heureux. » (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. – M. David Assouline applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Colette Mélot, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous en avons tous conscience, avec l’émergence du livre numérique, le monde du livre connaît sa plus importante révolution depuis Gutenberg. Celle-ci est sans doute plus tardive et moins brutale que celle qu’ont connue d’autres secteurs culturels, notamment celui de la musique, les évolutions technologiques n’ayant pas, pour l’instant, bouleversé les usages.
La mutation est cependant en cours et elle devrait s’accélérer sous l’effet conjugué de la multiplication des tablettes de lecture et, par conséquent, de l’évolution des offres et des usages, comme l’a indiqué M. Jacques Legendre et comme je l’ai constaté lors des vingt-huit auditions réalisées par la commission.
Le marché du livre numérique est certes encore embryonnaire, en tout cas dans notre pays, où il ne représente que 1,5 % du chiffre d’affaires des éditeurs, mais il n’était que de 0,1 % en 2008. Sa progression est donc spectaculaire, même si les ventes sont aujourd’hui assez concentrées sur les éditions scientifiques et la bande dessinée.
En outre, l’exemple américain montre que l’évolution peut être rapide : le livre numérique représente déjà près de 10 % du marché du livre. Toutefois, cette situation a surtout profité aux nouveaux acteurs, d’autant plus qu’Amazon, dans un premier temps, avant l’entrée sur le marché d’Apple et de Google s’est trouvé en situation monopolistique. Nous avons eu écho des réactions des éditeurs américains et des nombreuses fermetures de librairies dans ce pays…
Les éditeurs américains ont réagi et ils négocient désormais des contrats d’agence, qui leur permettent de mieux contrôler les prix afin de préserver la chaîne de valeur, mais les librairies ne ressusciteront sans doute pas pour autant...
Les contrats de mandat, qui régissent les relations commerciales entre éditeurs français et détaillants, sont aujourd’hui proches de ce modèle. Mais donner valeur législative au rôle central des éditeurs dans la détermination des prix sera plus sécurisant pour l’ensemble des acteurs de la filière, des auteurs aux éditeurs en passant par les libraires. Or nous souhaitons tous le maintien du maillage culturel de notre territoire, auquel contribuent les libraires, même si cela suppose qu’ils s’adaptent, eux aussi, à l’ère numérique.
Nos objectifs de respect de la propriété intellectuelle, de diversité de la production et de la diffusion de livres, de densité du tissu culturel ont été jusqu’ici atteints en grande partie grâce à la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre, dite « loi Lang ». En effet, plusieurs rapports, notamment celui d’Hervé Gaymard en 2009, ont établi le bilan positif de cette loi.
J’en rappelle les grandes lignes.
Le réseau des librairies s’est maintenu tout en se modernisant. On compte 25 000 points de vente : de 2 000 à 2 500 d’entre eux exercent la vente de livres à titre principal ou significatif et rendent des services de qualité à la fois aux lecteurs et aux éditeurs, dont ils assurent l’exposition de la production. En effet, l’offre éditoriale est très riche : 600 000 titres environ sont disponibles et près de 60 000 titres paraissent chaque année.
La loi n’a pas eu d’effet inflationniste sur le prix du livre. Celui-ci suit depuis de nombreuses années l’évolution de l’indice général des prix à la consommation ou lui est inférieur.
La concentration de l’édition et des circuits de diffusion du livre n’empêche pas la très grande vitalité du secteur.
Comment la proposition de loi prévoit-elle d’atteindre le même type d’objectifs dans l’univers numérique ?
Je dois avouer, mais vous le savez bien, que la tâche du législateur est aujourd’hui compliquée. Il doit lui aussi s’adapter à l’univers numérique !
Si elle s’inspire des grands principes de la loi de 1981 relative au prix du livre, cette proposition de loi ne pouvait pas en être une simple transposition, plusieurs dispositions n’étant pas adaptées à l’univers numérique.
J’ai proposé à la commission, qui l’a accepté, quelques modifications de nature à lever certaines ambigüités du texte, à répondre au mieux à ses différents objectifs et à donner au législateur les moyens d’assurer un suivi annuel de ce secteur en mutation.
Plus précisément, le texte adopté par la commission comporte huit articles que je vous présente brièvement. Il s’inscrit en outre dans le respect de l’avis rendu par l’Autorité de la concurrence au mois de décembre 2009.
L’article 1er définit le périmètre de la loi et, par conséquent, le livre numérique. La loi s’appliquera donc aux « œuvres de l’esprit » répondant à un principe de réversibilité, à savoir celles qui sont soit déjà imprimées soit imprimables sans perte significative d’information. Un décret définira les « éléments accessoires » propres à l’édition numérique, afin de préciser ce champ d’application.
Il ne s’agit pas de réguler des biens d’une autre nature, tels que des œuvres multimédias par exemple. Néanmoins, il me semble que la définition du livre numérique doit être suffisamment souple pour englober, par exemple, le cas d’un livre numérique assorti d’une courte interview de son auteur.
La commission a levé toute ambigüité sur le fait que le texte vise le livre sous sa forme électronique et non pas le commerce électronique de livres. Elle a aussi supprimé toute notion d’éventuelle chronologie entre l’édition sous forme imprimée et l’édition numérique, dans le cas où une œuvre fait l’objet des deux types d’édition.
L’article 2 est au cœur du dispositif, puisqu’il pose l’obligation pour l’éditeur de fixer un prix de vente pour chaque offre commerciale concernant un livre numérique. La commission a précisé que ce principe s’applique « pour tout type d’offre à l’unité ou groupée ».
Les trois critères permettant de fixer des prix différents pour un même livre sont les suivants.
Le premier critère porte sur le contenu de l’offre. Un livre n’aura pas le même prix s’il est proposé au sein d’une offre réunissant d’autres livres ou s’il est vendu isolément.
Le deuxième critère concerne les modalités d’accès à l’offre. Le prix peut différer suivant que le livre est accessible et consultable en ligne sur identification ou qu’il est téléchargé sur le disque dur de l’acheteur pour pouvoir être consulté hors ligne.
Le troisième critère a trait aux modalités d’usage de l’offre. Le prix peut différer en fonction des usages plus ou moins grands permis par les mesures techniques de protection, notamment le nombre de copies privées que l’utilisateur peut réaliser à partir d’un fichier.
Seraient cependant exclus de ce dispositif certains types d’offres. Il s’agit notamment de ne pas interférer avec le modèle économique des éditeurs scientifiques et techniques, qui proposent de longue date des produits spécifiques à un public professionnel, des bibliothèques universitaires par exemple.
Deux critères devraient être observés simultanément pour bénéficier de cette dérogation.
Le premier critère se rapporte au contenu de l’offre et comporte lui-même une alternative : l’offre doit soit concerner une « licence d’accès aux bases de données », soit être « composite ».
Le second critère concerne la finalité de l’offre : elle doit être proposée à des fins « d’usage collectif ou professionnel ».
Je me suis longuement interrogée sur cette disposition, dont l’interprétation peut être très large et qui peut donner lieu à des ambigüités. Mais, à défaut de trouver un consensus interprofessionnel sur une autre rédaction, la commission a renvoyé à un décret l’application de cette disposition, afin que ces notions soient définies et interprétées en cohérence avec les objectifs visés par la proposition de loi.
L’article 3 pose l’obligation, pour toutes les personnes qui exercent une activité de vente de livres numériques, de respecter le prix fixé par l’éditeur. Une même offre sera donc vendue au même prix, quel que soit le canal de vente utilisé.
Les articles 2 et 3 précisent que le texte s’appliquera aux éditeurs et détaillants établis en France. Je me suis aussi beaucoup interrogée sur cette limitation, mais elle s’inscrit dans le respect du droit communautaire, notamment de la directive Services et de la directive sur le commerce électronique. Nous avons donc opté pour la sécurité juridique, après avoir hésité à faire valoir, pour la première fois, la clause de diversité culturelle, qui aurait peut-être permis de déroger à ce principe d’établissement en France.
En vertu de ce principe, le texte limite son application aux seuls opérateurs établis sur le territoire français, les relations entre éditeurs et opérateurs hors de nos frontières étant laissées au contrat d’agence, qui permet lui aussi à l’éditeur de fixer le prix du livre. L’homogénéité des conditions commerciales doit donc être assurée par les éditeurs eux-mêmes.
L’article 4 concerne la vente à primes, sachant que cette dernière concerne la vente au consommateur final.
L’article 5 vise les relations commerciales entre éditeurs et détaillants et oblige l’éditeur à rémunérer la qualité des services de ces derniers, à l’instar des usages respectés dans le domaine du livre papier.
La commission a souhaité mieux qualifier la nature des services que l’éditeur sera ainsi tenu de prendre en compte pour définir la remise commerciale sur les prix publics qu’il accorde aux détaillants. Il s’agit des services qualitatifs essentiels qu’exercent nombre de libraires, notamment en termes d’animation, de médiation et de conseils aux lecteurs.
L’article 6 prévoit des sanctions pénales en cas de non-respect des dispositions du présent texte. Il renvoie à un décret en Conseil d’État la détermination des peines d’amendes contraventionnelles alors applicables, à l’instar des sanctions appliquées en cas de violation de la loi de 1981.
L’article 7 instaure une clause de rendez-vous que nous souhaitons annuel. Cela est indispensable compte tenu des évolutions très rapides du marché du livre numérique. Il serait utile que ce rapport comprenne une étude d’impact économique concernant l’ensemble de la filière.
L’article 8 rend les dispositions de la présente proposition de loi applicables à la Nouvelle-Calédonie.
En créant ainsi un cadre législatif sécurisant pour les acteurs de la filière, en permettant aux éditeurs de conserver la maîtrise de la fixation du prix de vente du livre au public tout en l’adaptant à la diversité des offres et des usages, il s’agit d’accompagner les professionnels, notamment les éditeurs et les libraires, dans leur adaptation aux mutations en cours. La proposition de loi leur donne l’opportunité, dans un contexte de nécessaire solidarité interprofessionnelle, d’occuper toute leur place sur ce nouveau marché. Il leur appartient de développer une offre légale attractive et accessible. Les acteurs de la filière s’y emploient d’ailleurs activement. Il s’agit là d’une priorité absolue.
En effet, l’offre légale de livres numériques atteindra 80 000 titres avant la fin de l’année 2010, soit plus de 13 % de l’offre globale payante et ce chiffre progressera rapidement, compte tenu des plateformes professionnelles lancées ou en voie de l’être. Je vous précise que les éditeurs se sont organisés autour de trois plateformes à destination des détaillants et que les libraires indépendants lanceront dans les prochains jours la leur sous le nom « 1001libraires.com », des grandes surfaces spécialisées ayant aussi développé leur propre site.
Il s’agit ainsi de répondre dès que possible et dans les meilleures conditions aux nouvelles attentes des lecteurs. C’est d’ailleurs la meilleure façon de lutter contre le piratage. Dans le domaine du livre numérique, il est certes limité à moins de 1 % des titres disponibles à la vente en format papier, dont une grande majorité de bandes dessinées, mais il est toujours plus facile de prévenir que de guérir, selon notre sage adage.
La question du coût réel du livre numérique et des économies que ce nouveau format du livre pourrait permettre de réaliser est à la fois délicate et essentielle, et ce pour l’ensemble des acteurs de la filière et pour les lecteurs eux-mêmes, puisqu’elle conditionne à la fois la rémunération des premiers et le prix appliqué aux achats des seconds.
Il semble néanmoins très difficile, à l’heure actuelle, d’évaluer l’existence et, surtout, le niveau des économies que l’édition numérique pourrait permettre de réaliser.
La régulation du marché prévue dans ce texte doit être susceptible d’assurer une rémunération équitable de tous les acteurs et le développement de l’offre légale doit s’exercer dans le respect des droits des auteurs. Ces deux aspects sont essentiels.
Des négociations sont en cours entre les représentants des éditeurs et ceux des auteurs afin d’aboutir à un accord interprofessionnel de nature à fixer un cadre respectueux des droits des auteurs.
Parmi les sujets de discussion figurent l’idée d’une révision, tous les trois à cinq ans, de la clause relative aux exploitations numériques du livre et la création d’une instance de liaison juridique permanente entre les représentants des éditeurs et ceux des auteurs, afin de suivre l’évolution des pratiques dans l’univers numérique.
La commission de la culture fait confiance aux professionnels pour que les négociations engagées aboutissent, dans un délai assez proche, à un résultat satisfaisant pour tous. Le rapport annuel d’application de la loi devra aussi permettre un suivi de la situation dans ce domaine.
Ce texte constitue, me semble-t-il, un volet essentiel d’un projet plus global en vue d’inciter au développement harmonieux et équitable du secteur du livre numérique.
Les autres réformes à conduire dans les meilleurs délais concernent l’harmonisation des taux de TVA, ainsi que Jacques Legendre vient de l’évoquer, et l’adoption de dispositions législatives de nature à favoriser la numérisation des œuvres existantes. Cela vise à la fois les œuvres dites « orphelines », c’est-à-dire celles dont le ou les ayants droit ne peuvent être retrouvés, et les œuvres épuisées.
Mes chers collègues, je vous remercie de bien vouloir adopter cette proposition de loi, qui est très attendue par l’ensemble des acteurs de la filière.
Je conclurai moi aussi sur une citation : « Ce qui importe ce n’est pas de lire mais de relire », a écrit Jorge Luis Borges. La lecture et la relecture seront désormais facilitées, avec, au choix, le plaisir du livre papier ou celui d’un support plus nomade, selon les circonstances. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – MM. David Assouline et Ivan Renar applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la constitution d’une offre légale de livres numériques attractive et diversifiée constitue un enjeu majeur de la politique du livre conduite par le Gouvernement. J’ai eu plusieurs fois l’occasion de souligner en quoi le livre numérique représentait la « nouvelle frontière » du monde de l’édition.
Pour atteindre l’objectif d’une offre légale abondante et pluraliste, il est nécessaire de créer les conditions permettant aux éditeurs de s’engager dans un environnement stable, en bénéficiant notamment d’un cadre juridique qui garantisse aux titulaires des droits la maîtrise de la chaîne de valeur.
À ce titre, je tiens à féliciter Catherine Dumas et Jacques Legendre d’avoir pris l’initiative de présenter cette proposition de loi, qui répond effectivement à ce besoin d’encadrement.
Cette initiative s’inscrit pleinement dans la ligne des exigences formulées par plusieurs rapports importants, ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur Legendre : le rapport Patino remis à Christine Albanel au mois de juin 2008 ; le rapport de la mission « Création et internet » composée de MM. Zelnik, Toubon et Cerutti, qui m’a été remis au mois de décembre 2009 et, enfin, le rapport de Christine Albanel sur le livre numérique, remis au Premier ministre au mois d’avril 2010.
J’ajoute que le Président de la République, lors de ses vœux au monde de la culture le 7 janvier dernier, a indiqué son souhait qu’une telle loi puisse être adoptée rapidement pour le livre numérique homothétique, c’est-à-dire la version numérique du livre papier, qui peut éventuellement comporter des éléments accessoires propres à l’édition numérique.
La plupart des objectifs de la loi Lang de 1981 relative au prix du livre demeurent pertinents dans l’univers numérique. La préservation d’un réseau diversifié de détaillants en fait partie. Il faut avant tout que le développement du marché du livre numérique ne se produise au détriment des libraires physiques. La plupart des études nous indiquent que, à court et à moyen terme, l’essentiel de la valeur produite par la filière concernera encore la vente de livres papier, pour laquelle le réseau de libraires joue un rôle premier.
À titre de comparaison, je rappelle que les états généraux de la presse avaient préconisé une densification du réseau des kiosques à journaux, afin d’enrayer la baisse des ventes. Les librairies, surtout, jouent le rôle déterminant que nous leur connaissons dans l’animation culturelle des territoires et constituent un lien social entre les citoyens ; votre assemblée, qui représente les collectivités territoriales, ne peut qu’être sensible à cet argument.
Par ailleurs, s’en remettre à la seule voie contractuelle n’est pas une solution satisfaisante, même en procédant à des aménagements.
Le contrat d’agence, qui est largement utilisé aux États-Unis, est certes préférable à la totale liberté des prix, mais il comporte des inconvénients sérieux. En effet, il est conclu au détriment de l’autonomie du détaillant, qui devient ainsi le mandataire de l’éditeur, payé à la commission, en perdant au passage sa valeur ajoutée de libraire professionnel.
Le texte qui est examiné ce soir a pour vocation de prévenir une concurrence par les prix, dont les conséquences ne peuvent être que néfastes pour l’ensemble des détaillants, qu’ils soient physiques ou en ligne. La concentration du secteur autour de quelques acteurs mondiaux disposant de pouvoirs de marché excessifs produirait des effets très négatifs sur la concurrence et finirait par appauvrir inexorablement la création éditoriale.
Ce texte a donc pour objet de favoriser la diversité des circuits de vente dans l’univers numérique. L’offre légale abondante, dont cette diversité est le gage, est aussi le meilleur rempart contre le piratage.
Ce texte permettra également de garantir une assiette stable pour la rémunération des auteurs, condition essentielle pour préserver la diversité de notre création éditoriale et littéraire, à laquelle, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis extrêmement attaché.
L’objectif d’une loi sur le prix unique du livre numérique n’est pas de maintenir en l’état la chaîne du livre. Il ne s’agit pas de figer les positions acquises ni les intérêts établis. Toute innovation technique transforme les conditions dans lesquelles l’économie d’une filière se développe et il est probable que l’arrivée du numérique s’accompagnera de transferts de valeur en faveur de nouveaux acteurs.
Si cette transformation devait n’aboutir qu’à un simple transfert de valeur de certains acteurs vers d’autres, voire à une baisse de la valeur produite, comme cela a été le cas dans le secteur de la musique, alors le libre jeu de la concurrence se révélerait contreproductif d’un point de vue économique, social et culturel.
Le numérique doit être une chance pour le lecteur, mais les évolutions ne doivent pas se réaliser au détriment de la rémunération des créateurs. C’est pourquoi l’accompagnement de la transition numérique, par une régulation simple et souple, est nécessaire, non pas pour maintenir à toute force la place des acteurs traditionnels, mais bien pour permettre à ces derniers d’accéder à ces nouveaux marchés et d’y jouer pleinement leur carte. La loi doit ainsi donner un cadre souple pour permettre au marché de se développer de manière équilibrée.
Je ne souhaite pas que nous connaissions en France ce qui s’est produit dans d’autres pays, où des détaillants en position dominante ont imposé des conditions de vente défavorables à l’ensemble de la chaîne du livre, en faisant ainsi peser de sérieuses menaces sur la vitalité de la création. Ce texte est donc nécessaire pour sécuriser le marché. Il est, par ailleurs, conforme aux préconisations de l’Autorité de la concurrence, comme cela a été rappelé.
Cette institution a préconisé, dans l’avis qui m’a été rendu au mois de décembre 2009, un cadre souple limité au livre homothétique. Tel est précisément l’objet de cette proposition de loi. Il est probable que ce marché concernera, pour l’essentiel, le livre homothétique pour les quatre à cinq années à venir. C’est bien l’horizon temporel du présent texte ; celui-ci n’a pas pour ambition de réguler le marché sur le très long terme. Il reste centré sur les évolutions à court terme, afin de créer des conditions de stabilité pour l’ensemble de la filière. J’ajoute que cette proposition de loi prévoit une clause annuelle de revoyure, qui permettra au Gouvernement d’informer le Parlement sur son application.
Enfin, si l’on peut raisonnablement estimer que le marché restera focalisé, au cours des quatre ou cinq prochaines années, sur les ventes à l’unité, le texte n’exclut pas pour autant les bouquets et les abonnements, dès lors qu’est conclu un accord entre les éditeurs et les vendeurs sur les conditions commerciales.
Je tiens à préciser que cette proposition de loi prend son sens dans une stratégie globale sur le livre numérique que j’ai souhaité mettre en œuvre et dont je tiens à vous rappeler brièvement les lignes de force.
La question du taux de TVA qui s’applique au livre numérique fait partie des sujets que je souhaite faire avancer au plus vite. Nous savons, au travers de plusieurs études, que le niveau du prix de vente sera un élément déterminant du succès du livre numérique. Pour l’heure, ce dernier est considéré par Bruxelles comme un service de téléchargement et non comme la vente d’un bien, avec un taux normal de TVA. Pour ma part, j’estime que la baisse de la TVA s’impose : ce n’est pas le support qui compte, c’est bel et bien le contenu. Un taux réduit permettrait de faire baisser le prix de manière significative.
Par ailleurs, j’ai voulu que la numérisation des livres s’inscrive dans les investissements d’avenir.
J’ai proposé aux éditeurs un projet de numérisation des œuvres indisponibles du xxe siècle, qui n’a pas son équivalent en Europe.
Dans une logique de « longue traîne » totalement adaptée aux usages de l’internet et du numérique, ce projet permettra de donner une nouvelle vie à un corpus de 400 000 ouvrages sous droits couvrant l’ensemble des champs de l’édition : littérature, sciences et sciences humaines, essais et documents. Ce sera une importante contribution à l’émergence de l’offre légale que nous appelons tous de nos vœux.
Ce projet pourra s’appuyer sur une innovation juridique. La gestion collective, en permettant la numérisation en masse d’œuvres sous droits, permettra d’adapter le droit d’auteur à l’univers numérique. Ce chantier exemplaire que nous avons mené de concert avec les auteurs et les éditeurs est d’ailleurs suivi de très près par la Commission européenne.
Pour sa part, le Centre national du livre, le CNL, accompagne les éditeurs dans la numérisation de leurs livres sous droits, c’est-à-dire de leurs catalogues « vivants ». L’enveloppe dédiée sera accrue : elle passera de 2,5 millions d’euros en 2010 à 4 millions d’euros en 2011 ; elle fera en outre l’objet d’un nouveau dispositif, qui permettra notamment de mieux soutenir les éditeurs de petite ou moyenne taille dans leurs investissements en faveur du numérique.
En France, la numérisation des œuvres du domaine public fait l’objet d’une politique active unique en Europe, avec un système de financement ambitieux porté, là encore, par le Centre national du livre, ce qui permet, depuis 2007, de consacrer 10 millions d’euros par an à la numérisation. Cette politique a donné lieu à la numérisation de plus de 300 000 ouvrages patrimoniaux de la Bibliothèque nationale de France.
Ce schéma mixte d’aides patrimoniales et d’aides au secteur marchand constitue une véritable originalité enviée par les acteurs étrangers.
Enfin, il va de soi que je souhaite aussi soutenir la librairie traditionnelle dans son adaptation au numérique.
Dans un univers en ligne où règne une profusion de l’offre, le conseil du libraire demeure plus que jamais précieux pour l’acheteur.
À cet égard, j’ai souhaité soutenir, par le biais d’un prêt d’un montant de 500 000 euros via le CNL, le projet de portail des libraires indépendants baptisé « 1001libraires.com », qui verra le jour prochainement. J’espère que ce projet pourra être examiné dans le cadre des investissements d’avenir.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments et des principaux axes de ma politique en faveur du numérique, vous aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, que je suis extrêmement favorable à cette proposition de loi. En effet, celle-ci constituera un accompagnement efficace des acteurs vers le numérique. Elle créera les conditions d’une évolution équilibrée de l’ensemble de la filière, notamment au bénéfice des lecteurs. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)