M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la conjugaison de l’ordinateur, qui permet la numérisation des informations, et d’internet, qui rend possible leur mise en réseau à l’échelle planétaire, induit une véritable révolution, avec, à la clef, un brusque changement de l’ordre économique, moral et culturel.
Nous le mesurons un peu plus chaque jour, alors que tous les secteurs de notre vie quotidienne se trouvent tour à tour concernés : il s’agit non pas d’une simple rupture technologique, mais d’une véritable révolution anthropologique, comme l’a été l’apparition de l’imprimerie – Mme le rapporteur l’a rappelé – ou encore, bien plus tôt, celle de l’écriture.
Cette révolution est telle qu’elle engendre une nouvelle manière de communiquer, de s’informer, de travailler, de se cultiver, bref, de vivre ensemble, bouleversant nos organisations traditionnelles.
À cet égard, il est particulièrement étonnant de constater à quel point le champ culturel a été chamboulé dans les années qui viennent de s’écouler. Après la musique, le cinéma et l’audiovisuel, c’est le livre et l’avenir de sa filière qui sont touchés par les possibilités de numérisation et de téléchargement des œuvres.
Même si, en France, ce marché reste embryonnaire, en comparaison avec les États-Unis où il s’est fortement développé, l’arrivée des nouveaux supports – l’iPad avant l’été et, plus récemment, la tablette de la FNAC – accélérera, de fait, le tempo.
Après le temps des rapports, voici donc venue l’occasion de tenter de définir des modèles économiques. Contrairement à ce qui s’est passé dans la filière de la musique, les professionnels du livre se sont depuis longtemps mobilisés sur cette question. Aussi est-ce l’honneur de la Haute Assemblée de formuler des suggestions pour ce secteur si crucial de la culture, tout comme nous avions su proposer, sur l’initiative de Jack Ralite, un débat sur la numérisation des fonds de la BNF et organiser, à l’instigation de la commission de la culture, une table ronde sur la question du livre au mois d’avril dernier.
L’enjeu est ici de taille car, comme l’a souligné notre collègue député Hervé Gaymard, le livre « est le fruit, d’un combat pour la liberté de l’esprit, d’une prouesse technique et d’une chaîne complexe qui va de l’écrivain au lecteur ».
Il s’agit donc d’aboutir à des modèles qui soient par définition économiques, comme l’a rappelé Jacques Toubon lors de notre table ronde, c’est-à-dire qui comportent en eux-mêmes leur propre équilibre, à travers le marché et pour le consommateur. En même temps, il faut que la chaîne de valeurs soit tout au long équitable à la fois pour les auteurs, pour les éditeurs, pour ceux que l’on appelle désormais les « e-libraires » et pour les diffuseurs. Il est nécessaire que tous soient rémunérés de telle sorte que soit préservé ce qui est fondamental, c'est-à-dire la liberté et l’indépendance de la création et de tous ceux qui concourent à l’œuvre artistique.
Il s’agit d’éviter que ne se reproduise ce qui s’est passé dans le secteur de la musique, à savoir une espèce d’alliance économique et financière entre, d’un côté, les quatre majors et, de l’autre, iTunes.
Cette proposition de loi répond donc à une demande forte de régulation de la part du secteur, en conférant à l’éditeur, comme dans la loi de 1981, la maîtrise du prix de vente des livres homothétiques. Elle établit que le prix fixé s’impose à tous les revendeurs, fermant ainsi la porte aux politiques de dumping qui ont pour principal effet d’exclure du marché les acteurs les plus faibles et de priver les ayants droit de leur juste rémunération.
Comme l’a rappelé Mme le rapporteur, cette proposition de loi repose sur une définition du livre numérique restreinte et excluant les produits multimédias.
En d’autres termes, mes chers collègues, nous devons avoir conscience que, au train où vont les choses, nous ne réglerons pas tous les problèmes. Très vite, les technologies de pointe, telles que la réalité augmentée, permettront au livre papier, que l’on devra toujours à un auteur, de se transformer en livre vivant et tridimensionnel et de proposer des contenus multimédias. Je crois d’ailleurs que ce sont ces livres différents qui feront décoller le marché du livre numérique.
Par exemple, dans la version e-book, les notes de bas de page seront transformées en liens, dirigeant soit vers un site internet, soit vers un contenu téléchargé en même temps que le reste. Ce genre de livres, aux formidables possibilités, sera l’avenir de l’histoire, de la musique, des savoirs, des ouvrages de voyage.
Il est certain que, à l’avenir, nous devrons intervenir de manière anticipée sur toutes les déclinaisons du livre numérique. Nous risquons sinon de nous retrouver dans un système où la régulation sera réalisée par une alliance entre les vendeurs de terminaux, les opérateurs et un nombre limité de grandes maisons. Or au nom de quoi priverait-on les auteurs des revenus de leur travail ?
Ces remarques faites, je formulerai un regret et évoquerai quelques enjeux.
Alors que le marché du livre numérique est naissant, il faudrait lui donner une impulsion réelle, en décidant pour lui d’un taux de TVA équivalant à celui qui s’applique au livre papier. L’un des enjeux de cette question est de permettre, comme pour la musique, une offre légale attractive. En effet, ne nous leurrons pas : ce que veut l’internaute, à défaut de disposer d’un bien gratuitement, c’est une offre à moindre coût. Dans ce contexte, appliquer une TVA à 19,6 % et non à 5,5 % est absurde à l’heure où il faut mettre en place un véritable levier de développement pour ce marché émergent. Le prochain projet de loi de finances sera l’occasion de rectifier cette incohérence.
Il faut également que tous aient accès dans les mêmes conditions au livre numérique. Cela suppose égalité du prix, égalité des outils, égalité de tous quant à l’accès à la culture pour assurer cette diversité.
La protection du consommateur face à la guerre des formats est donc primordiale. Si j’achète aujourd’hui un livre numérique sous tel ou tel format, pourrai-je le lire demain, dans six mois, dans deux ans, dans cinq ans, avec une nouvelle tablette ? Si tel n’est pas le cas, j’aurai investi à perte par rapport à l’achat d’un livre papier que je peux, sauf s’il se détériore bien sûr, conserver.
Il est donc fondamental que celui qui rémunère toute la filière du livre numérique, c'est-à-dire l’acheteur, ne fasse pas les frais d’une guerre de formats ni de systèmes fermés, dont on peut craindre, en effet, qu’un certain nombre ne voient le jour.
Or il faut un système ouvert dans lequel toute la filière puisse se retrouver, qu’il s’agisse d’abord des auteurs, dont la création sera diffusée très largement, ensuite des éditeurs qui, dans un système ouvert de prix fixes, auront toujours la possibilité d’établir ces derniers et de négocier les droits numériques vis-à-vis des auteurs, enfin des librairies, parce que le pari est que chacun d’entre eux, quelle que soit sa taille ou sa capacité d’investissement, puisse revendre la version numérique du livre, avec un catalogue allant au-delà du stock physique dont il dispose dans sa librairie.
Aussi, nous ne saurions retrouver dans le secteur du livre les verrous que – je le rappelle, mes chers collègues – nous avons réussi à faire sauter pour la musique, à travers la loi Hadopi I, me semble-t-il.
Si les éditeurs ne veulent pas s’interdire des DRM, digital rights management, il faut que ces protections soient interopérables et permettent de larges usages. Elles ne sauraient imposer des contraintes techniques excessives aux lecteurs, et ce de manière définitive.
Un autre enjeu majeur aujourd’hui, comme l’a préconisé le rapport Tessier et comme l’a également souligné notre collègue Yann Gaillard, qui évoquera certainement ce point tout à l'heure, est la mise en place d’une plateforme permettant aux lecteurs d’accéder à la quasi-totalité de l’offre littéraire. Les grands opérateurs aujourd’hui sont étrangers ; il faut donc que nous puissions avoir une offre française et européenne. Or, aujourd’hui, du point de vue du lecteur, l’offre paraît éclatée et assez peu accessible.
Il faut aussi réfléchir à la manière dont les différentes plateformes pourront converger en une seule entité, qui serait centrale. À cet égard, les régions, dont le soutien aux éditeurs a été l’un des axes forts des politiques culturelles, doivent aujourd’hui inciter éditeurs et libraires à rejoindre une telle structure. En effet, en dehors des imprimeries, les librairies constituent l’élément le plus vulnérable de la chaîne du livre.
Pour l’heure, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, la librairie indépendante est très active. Elle a créé un site, « 1001libraires.com ». Ces libraires ont investi ensemble, avec l’aide du Centre national du livre, des pouvoirs publics et de l’interprofession.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Catherine Morin-Desailly. Cet effort est important, car l’enjeu reste le même que le livre soit numérique ou papier. Le travail de médiation exercé par les libraires doit se poursuivre.
Pour conclure, il faut aussi prendre en compte le risque lié au caractère national et territorial de la proposition de loi dont nous débattons. En effet, un grand nombre d’acteurs d’internet se sont installés sur le territoire français, où la pression fiscale était moindre. Dès lors que les fichiers seront sur les serveurs Apple et Amazon, comment imposera-t-on à ces acteurs de respecter une loi sur le prix unique du livre qui est d’application française ? Cette question nous semble essentielle.
En tout cas, nous pensons que, demain, nous bénéficierons d’une offre double et complémentaire, comprenant le livre papier et le livre numérique, dont j’ai évoqué les différentes déclinaisons et les formidables potentialités.
M. le président. Il faut vraiment conclure, ma chère collègue ! Vous avez largement dépassé votre temps de parole.
Mme Catherine Morin-Desailly. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, fort de cette analyse et en dépit des quelques remarques que j’ai évoquées, le groupe de l’Union centriste votera cette proposition de loi. Nous félicitons d'ailleurs Jacques Legendre et Catherine Dumas, à qui nous devons cette initiative. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons un sujet sur lequel il est agréable de discuter et de réfléchir, parce qu’il constitue un défi pour notre avenir et est a priori moins conflictuel que le débat que nous avons achevé voilà quelques heures.
Je commencerai par féliciter M. le président de la commission de la culture, les auteurs de la proposition de loi et Mme le rapporteur d’avoir pris une telle initiative : il était temps d’offrir un cadre légal au livre numérique. Toutefois, je le dis très franchement, nous devrons nous revoir souvent si nous voulons être à la hauteur du big bang qui, selon moi, ne manquera pas de s’opérer dès l’année prochaine dans ce secteur.
Nous avons la chance de légiférer à un moment où ce secteur ne concerne qu’un très faible pourcentage du marché du livre. Néanmoins, l’essor du numérique dans ce domaine ne sera pas lent et progressif. Nous assisterons à son explosion brutale, comme en ont connu d’autres pays, et nous devons d’ores et déjà nous y préparer.
C’est d'ailleurs ce que nous nous efforçons de faire : il nous faut maîtriser les conséquences de l’apparition de ces nouvelles technologies, contrairement à ce qui s’est passé pour la musique ou pour le cinéma où nous avions toujours un coup de retard. En effet, nous avions beau nous insurger contre le piratage, les industriels n’avaient encore fourni aucune offre commerciale attractive digne de la démocratisation que la numérisation permettait. Ils ont préféré écouler leurs stocks et privilégier leurs intérêts à court terme au lieu de se projeter dans l’avenir et d’être à la hauteur des défis auxquels ils étaient confrontés.
Pour le secteur du livre, les éditeurs semblent avoir adopté le bon tempo. Pour ce qui concerne le livre électronique, notre chance est que le rythme des changements ne se soit pas accéléré plus tôt, comme ce fut le cas dans le domaine de la musique. Toutefois, nous assisterons inévitablement à un bond en avant quand les supports seront facilement accessibles au plus grand nombre, ce qui, pour l’instant, n’est pas le cas sur le marché français.
Le secteur de la presse en a conscience également. Il propose déjà une offre importante, mais ses responsables soulignent que c’est le jour où tout le monde pourra s’acheter facilement une tablette et où la démocratisation de ce produit aura eu lieu que les potentialités du livre numérique apparaîtront véritablement.
Comme tout le monde l’a souligné – mais il était important de le faire dans cette enceinte –, la révolution numérique est un défi. Elle est en marche, elle est inévitable. Il ne sert à rien, aujourd’hui, de pleurer le temps où cette technologie n’existait pas, où le livre papier que l’on manipulait était l’unique moyen de lecture. Dans cet hémicycle en particulier, il n’était pas évident de faire partager ce point de vue, de convaincre que ce phénomène devait être abordé avec optimisme, volontarisme et esprit d’ouverture.
En effet, la révolution numérique permet, dans tous les domaines, une réelle démocratisation de la culture par l’accès au plus grand nombre, par la diversité de l’offre proposée et par l’interactivité qui est son fondement même. Tout cela, il faut l’apprécier !
Je vous relaterai une anecdote qui permet de prendre pleinement la mesure des enjeux qui nous attendent. C’est dans un avion des lignes intérieures américaines, dans le cadre d’une mission en Amérique du Nord organisée par la commission de la culture sur le sujet qui nous occupe, que j’ai pris encore plus fortement conscience de la réalité du phénomène auquel nous sommes confrontés et dont je tiens à vous faire part. Observant les personnes qui m’entouraient, j’ai constaté que, si le président Jacques Legendre lisait un livre papier – « un livre », faudrait-il dire ! – consacré à Napoléon, sur les dix autres passagers, tous Américains, huit avaient choisi le support tablette.
J’ai alors compris que cette évolution était inéluctable. Pourtant, nombreux étaient ceux qui ne croyaient pas au succès de la numérisation dans le domaine du livre : jamais le grand public n’irait vers le téléchargement tant le livre papier paraissait l’outil auquel il était attaché et ne manquerait pas de le rester !
Accompagner cette révolution ne remet nullement en cause la nécessité de continuer à faire vivre le livre papier et de faire en sorte de le protéger par la législation.
Cette révolution, je le répète, il faut donc l’apprécier, la prendre à bras-le-corps et permettre le développement de toutes ses potentialités pour la faire avancer dans le sens du progrès. Ce n’est pas automatique ! En effet, on le sait bien, un progrès ne peut vraiment en être un que s’il est à la portée de tous et partagé. Il doit amplifier la diversité culturelle et non se réduire à une offre uniforme, ainsi que l’envisagent certaines grandes plateformes dont je ne citerai pas les noms.
Ce progrès ne doit pas non plus oublier tous les acteurs de la chaîne du livre : l’auteur, l’éditeur, l’imprimeur et le distributeur chargé de la distribution logistique du livre et, en bout de chaîne, avant même le lecteur, le libraire qui fait découvrir les œuvres nouvelles, maintient un fonds varié et conseille les passionnés. Il faut préserver cette chaîne sur laquelle repose tout le marché du livre. Il faut éviter qu’elle ne se rompe par cette révolution numérique dont chacun mesure l’ampleur. Il ne faut pas que les premiers maillons de cette chaîne préfèrent laisser Amazon, Google, Apple – ils ont leur place, mais il ne doit pas y avoir de place que pour eux ! – affirmer que ce progrès n’appartient qu’à eux seuls. Et c’est tout l’enjeu.
Pour l’instant, cela a été rappelé, cette révolution ne concerne qu’à peine 0,1 % du marché français, soit 18 000 livres numérisés. Le dernier prix Goncourt, Trois Femmes puissantes de Marie Ndiaye, s’est vendu à 200 exemplaires en version numérique, contre près de 500 000 en version papier.
Il ne faut pas s’en tenir à ce chiffre pour considérer que nous avons le temps. Au contraire, cela nous montre où nous en sommes ! L’accélération va se produire et je pense qu’elle surviendra cette année. C’est la raison pour laquelle j’apprécie que la proposition de loi instaure une clause de rendez-vous via un rapport qui sera présenté un an après l’entrée en vigueur du texte. En effet, il faudra, à mon avis procéder à des ajustements, à des adaptations et apporter des réponses sur des points que nous ne sommes encore à même d’imaginer aujourd’hui.
Le basculement dans le numérique se perçoit sans cesse davantage. Le répit dont bénéficie le marché du livre sera de courte durée. Il faut agir avant qu’il ne soit trop tard, avant que quelques acteurs ne gèlent l’évolution des techniques, ne s’approprient la valeur ou n’interdisent l’avancée du progrès au point que le livre ne puisse demeurer ce qu’il est depuis des siècles : d’abord, l’outil d’un échange ouvert, sans exclusive, où se côtoient création et patrimoine, groupes industrialisés et maisons artisanales, création et commerce, dans un monde où la pluralité va de soi. C’est cela, le monde du livre et c’est ainsi qu’il doit rester.
Dès lors, l’objectif doit être le même qu’il y a trente ans quand les socialistes, avec la loi Lang, ont voulu préserver la création et protéger les marges des éditeurs afin de rémunérer les auteurs et d’assurer la diversité de l’offre éditoriale.
C’est pourquoi, globalement, cette proposition de loi est tout à fait louable. Nous avons collectivement conscience que son champ d’application reste limité, notamment à la version homothétique. Je pense que c’est l’une de ses faiblesses. Je me demande si un tel périmètre ne pourra pas être le cheval de Troie par lequel l’ensemble du dispositif que nous mettons en place pourra être détourné. L’offre numérique étant appelée à se diversifier rapidement, comme c’est déjà le cas à l’étranger, une définition trop restreinte ne risque-t-elle pas d’exclure les produits multimédias, par exemple ? Et si le texte ne prévoit pas de faire entrer ces derniers dans sa définition du livre numérique, nous risquons d’ouvrir une brèche menaçant la pérennité de notre action, sans que nous ayons la capacité de réagir. Il nous faudra donc très vite apporter les précisions qui s’imposent.
Je constate que j’ai dépassé mon temps de parole. Comme il s’écoule vite ! Avant de conclure, je souhaite insister sur un point. Une fois cette loi adoptée, ce à quoi nous sommes favorables, il faudra absolument se préoccuper des bénéfices résultant de la baisse des coûts à terme. Tel est l’objet de certains de nos amendements. Et que l’on ne vienne pas me dire que les gains doivent être réinvestis et qu’il n’y a donc pas réellement de profit ! Je suis allé voir ce qu’il en était au Japon : aujourd’hui, la baisse du prix de revient atteint, en gros, 40 %. Et ce sont les éditeurs qui l’empochent !
Il faudrait que cette manne puisse bénéficier à l’ensemble de la chaîne, notamment aux petites librairies qui maillent le territoire. Il faut les aider à jouer un rôle d’animateur dans les villes ou villages privés de leurs services publics où elles sont implantées et à s’équiper pour le numérique.
Les auteurs aussi doivent bénéficier du surplus qui sera généré.
Je conclurai en évoquant un point sans rapport direct avec ce qui précède. Quand une révolution industrielle a lieu, on ne peut pas accepter qu’il y ait des laissés-pour-compte. Je pense, en l’occurrence, aux imprimeurs dont les affaires vont couler un peu partout. Il faut aider cette profession à se reconvertir au cours de la phase de transition qu’elle va traverser. Il faut faire en sorte de redistribuer la valeur dégagée sur un mode assez équitable.
Vous retrouverez ces idées lorsque nos amendements viendront en discussion.
Il faut absolument que les engagements soient tenus et que nous puissions plaider auprès de l’Europe l’alignement du taux de la TVA du livre numérique sur celui du livre papier. Dans le cas contraire, l’offre ne sera pas attractive et, à terme, nous assisterons aux mêmes dérives que pour la musique ou le cinéma ! (Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, avant que nous n’entamions l’examen de ce texte, je vous ai invités à la concision, car la conférence des présidents avait initialement prévu que nous siégions uniquement le soir, et non la nuit.
Aujourd’hui, nous avons consacré beaucoup de temps à un texte important. J’ai obtenu une dérogation pour que la séance se prolonge jusqu’à une heure du matin, mais je vous demande de respecter scrupuleusement le temps de parole qui vous est imparti.
La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à féliciter et à remercier Jacques Legendre et Catherine Dumas de leur initiative, sans oublier notre rapporteur, Colette Mélot. La proposition de loi que nous examinons ce soir est bien le fruit de longues réflexions, de concertations ainsi que de nombreux rapports.
Le marché du livre numérique est, certes, encore balbutiant en France. Mais la politique de numérisation des bibliothèques à grande échelle, la multiplication des liseuses numériques sur le marché, tout comme la forte progression des ventes de livres numériques ces derniers mois, ne laissent pas de place au doute sur l’avenir de ce marché, en France, à l’image du marché américain.
Cette évolution constitue avant tout un grand progrès. La diversité culturelle et l’accès du plus grand nombre à la lecture devraient s’en trouver considérablement enrichis. Cette perspective, aussi exaltante soit-elle, ne doit pas nous faire oublier les risques inhérents à un tel bouleversement de l’univers du livre. Il est inconcevable de laisser se développer ce pan entier de l’économie du numérique sans une régulation adaptée. Le risque est trop grand de connaître les mêmes déboires que pour la musique et le cinéma, déboires que nous avons encore du mal à effacer aujourd’hui, faute d’en avoir suffisamment anticipé les effets.
Nous le savons, une offre légale de qualité est la condition sine qua non d’un développement harmonieux du marché du livre numérique. Les acteurs du secteur doivent pouvoir le maîtriser sans se laisser déborder par le piratage. C’est un premier point.
La nécessité de développer d’urgence un cadre législatif pour l’exploitation du livre numérique constitue un autre élément de préoccupation pour les membres du groupe du RDSE. C’est d’ailleurs une attente unanime de tout le secteur. Il est important de fixer un cadre légal suffisamment souple pour accompagner l’évolution technologique dans le plus grand respect, non seulement du patrimoine et de sa diversité, mais aussi des droits d’auteurs.
En prenant exemple sur la réussite de la loi dite « Lang », la proposition de loi dont nous débattons repose sur une définition du livre numérique cantonnée au livre imprimé ou imprimable. Sont ainsi exclus les produits multimédias hybrides qui, à ce jour, sont encore moins développés.
L’éditeur conservera la maîtrise du prix de vente des livres numériques, tout comme il la détient sur le livre papier. Ce prix, imposé aux revendeurs, empêchera toute politique de dumping qui exclurait du marché les acteurs les plus faibles. Il permettra, par ailleurs, aux auteurs de mieux contrôler la perception de leurs droits et, ainsi, de maintenir la richesse et la diversité des publications.
Si un large consensus se dégage sur la nécessité de fixer un prix unique pour le livre numérique, de nombreuses inquiétudes subsistent, néanmoins, quant aux conséquences du développement de ce livre dématérialisé.
Avec le numérique, le marché du livre doit s’adapter à de nouvelles contraintes. Il tente peu à peu de se structurer. Les éditeurs, les bibliothécaires et les libraires investissent et expérimentent de nouveaux modèles économiques. Malheureusement, c’est toute la chaîne de production qui est déstabilisée, voire en grand danger : l’imprimerie, mais aussi la filière papier.
Par ailleurs, la dématérialisation des livres, ainsi que celle des relations commerciales, est dramatique pour le maillage culturel de notre territoire. Certaines petites librairies souffraient déjà de la concurrence des grandes enseignes. Elles doivent désormais compter avec la concurrence impitoyable d’internet et des éditeurs installés à l’étranger, qui proposent des livres français à portée de clic de leurs lecteurs.
À ce sujet, je regrette que le texte que nous examinons aujourd’hui ne nous permette pas de nous attaquer à cette concurrence dont souffrent déjà les professionnels de la librairie de la part d’opérateurs établis hors de notre territoire. Des amendements ont été déposés et feront tout à l’heure l’objet d’un débat qui, je l’espère, permettra de trouver un accord sur ce sujet délicat. L’exception culturelle française est toujours au cœur de nos préoccupations.
L’existence, en France, d’un vaste réseau de librairies indépendantes est déterminante pour la diversité et la qualité de la production éditoriale. Sans un tel réseau de libraires, qui défendent et prescrivent des livres exigeants, ces ouvrages plus confidentiels ne pourraient plus trouver d’éditeurs. Je m’inquiète aussi de savoir quel sera, pour ces libraires indépendants, le coût réel de leur adhésion au « portail internet des libraires ».
L’objectif de ce portail est d’accompagner les librairies dans le monde du numérique. C’est pourquoi il référencera, dès son lancement, toute l’offre numérique de l’édition française, avec la possibilité de choisir entre l’achat de livres physiques ou numériques, dans un même panier. Cet outil sera le bienvenu, mais nous espérons surtout qu’il sera adapté, je le répète, aux petites librairies indépendantes.
Par ailleurs, je suis déçue que la commission de la culture ait supprimé tout délai entre la parution d’un livre numérique et sa distribution, dans le cadre d’une offre groupée.
L’instauration d’une chronologie est certes complexe, mais n’est-elle pas essentielle pour la protection de certains livres, notamment ceux qui reçoivent des prix littéraires et font l’objet d’un succès particulier auprès du public ?
Je m’interroge par ailleurs sur la façon dont pourraient être utilisés et redistribués les bénéfices supplémentaires engendrés par la vente des livres numériques. Il est évident que des frais d’équipement seront nécessaires pour que les professionnels s’adaptent à cette nouvelle ère.
Cependant, une fois cette phase d’adaptation passée et malgré la différence de prix avec le livre physique, le livre numérique sera lucratif. Ne pourrait-on pas alors dégager une source de financement pour la création ?
Enfin, j’attends que soit adopté le principe d’une TVA à taux réduit sur le livre numérique, comme pour le livre papier et le livre audio. Le maintien d’une fiscalité différente entre livre physique et livre numérique paraît désormais économiquement et politiquement incohérent.
Le texte que nous nous apprêtons à voter, en rassurant les différents acteurs du marché, donnera peut-être un coup d’accélérateur au développement du livre numérique.
Sans doute verrons-nous ainsi fleurir de nombreuses tablettes de lecture au pied des sapins de Noël. J’ai personnellement l’espoir que les livres numériques redonneront le goût de la lecture à beaucoup de nos enfants qui, trop souvent, délaissent les livres au profit des écrans.
Du fait de l’activité débordante du Sénat ces derniers jours, j’ai disposé de très peu de temps pour examiner les amendements déposés sur ce texte. Toutefois, ceux-ci me semblent aller dans le sens des ajustements que nous attendions et nous en débattrons dans quelques instants.
La clause de revoyure contenue à l’article 7 nous laisse croire que le débat sur le livre numérique est loin d’être clos et que la loi pourra évoluer en fonction des observations et des besoins. Animés de cet espoir, les membres du groupe du RDSE voteront cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – M. David Assouline applaudit également.)