Mme la présidente. L’amendement n° 125, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Après l’article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 21-19 du même code est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« 8° L’enfant mineur resté étranger bien que l’un de ses parents ait acquis la nationalité française ;
« 9° Le conjoint et l’enfant majeur d’une personne qui acquiert ou a acquis la nationalité française ;
« 10° Le ressortissant ou ancien ressortissant des territoires et des États sur lesquels la France a exercé soit la souveraineté, soit un protectorat, un mandat ou une tutelle. »
La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Marie-Agnès Labarre. Nous souhaitons compléter l’article 1er, qui prévoit les exemptions de stage pour naturalisation.
La loi de 2006 est venue fortement réduire cette liste, pour ne plus y faire figurer que les étrangers ayant accompli des services militaires, ayant rendu des services exceptionnels à la France ou ayant le statut de réfugié. Les enfants et le conjoint d’une personne française sont, dès lors, exclus d’un accès facilité à la naturalisation, tout comme les ressortissants des anciennes colonies.
Notre amendement tend à rétablir la suppression de la condition de stage pour les enfants mineurs dont un parent a acquis la nationalité française, pour le conjoint et l’enfant majeur d’une personne qui a acquis la nationalité française, ainsi que pour les ressortissants des anciennes colonies françaises.
Il s’agit seulement d’offrir un accès facilité et légitime à la nationalité française à des personnes dont la situation familiale ou les anciennes relations politiques avec la France démontrent, par elles-mêmes, un lien avec notre pays et/ou une vocation à demeurer sur le sol français.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement tend à revenir sur la suppression, opérée par la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, de trois cas de dispenses de stage. Or la situation actuelle ne présente pas de changements susceptibles de justifier une modification des dispositions en vigueur.
En effet, cette suppression, justifiée à l’époque, l’est encore aujourd’hui pour l’enfant mineur resté étranger bien que l’un de ses parents ait acquis la nationalité française : la seule raison pour laquelle l’enfant n’a pu bénéficier de l’effet collectif de l’acquisition de la nationalité française par son ascendant est qu’il ne résidait pas avec lui à ce moment-là. Ce défaut de résidence habituelle justifie que l’intéressé ne bénéficie pas de la dispense de stage.
Cette suppression est également justifiée pour le conjoint ou l’enfant majeur d’un étranger devenu français, car il n’est pas acquis que les intéressés séjournent effectivement en France ou aient un lien avéré avec la France. La condition de stage garde, dans ce cas, toute sa pertinence.
Enfin, cette suppression doit être maintenue pour les ressortissants ou anciens ressortissants de territoires ou d’États sur lesquels la France a exercé sa souveraineté ou un protectorat. En effet, les demandes de naturalisation concernaient le plus souvent des personnes âgées de moins de 50 ans, nées après l’indépendance de leur pays. Or le juge administratif faisait bénéficier les intéressés de cette dispense, alors même qu’il n’était pas acquis qu’ils aient eu un lien réel avec la France. C’est pourquoi ce cas de dispense a été supprimé en 2006.
Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. M. le rapporteur vient de développer les raisons pour lesquelles il semble difficile d’accepter d’émettre avis favorable sur cet amendement. Le Gouvernement exprime donc la même position : avis défavorable !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 125.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 2
L’article 21-24 du même code est ainsi modifié :
1° A Après la deuxième occurrence du mot : « française », sont insérés les mots : «, dont le niveau et les modalités d’évaluation sont fixés par décret, » ;
1° Sont ajoutés les mots : « ainsi que par l’adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République » ;
2° Il est ajouté un second alinéa ainsi rédigé :
« À l’issue du contrôle de son assimilation, l’intéressé signe la charte des droits et devoirs du citoyen français. Cette charte, approuvée par décret en Conseil d’État, rappelle les principes et valeurs essentiels de la République. »
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Mermaz, sur l’article.
M. Louis Mermaz. Cet article 2 prévoit que le candidat à l’obtention de la nationalité française subit – c’est bien le mot ! – le contrôle de son assimilation.
Même si le code civil, depuis la loi du 26 novembre 2003, que nous n’avons pas votée, fait dépendre la naturalisation de « l’assimilation » à la communauté française, nous aurions préféré l’emploi du terme « intégration » - nous avons déposé un amendement en ce sens -, car ce terme figure dans le titre même du présent projet de loi.
Le mot « assimilation » revêt une connotation carnassière. Alors que, dans le monde entier, les hommes sont de plus en plus en quête de leurs racines, en invoquant la notion d’assimilation vous allez dans le sens d’un effacement du passé, d’une perte des repères ; vous niez le droit à la diversité qui fait la richesse et le rayonnement d’une nation, son ouverture sur le reste du monde.
Ce repli, ce « racornissement » du Gouvernement et de ceux qui le soutiennent, explique comment ils ont pu ne rien comprendre aux récents événements du monde arabe, à commencer par ceux de Tunisie.
Le même article 2 prévoit la création d’une charte qui devra être signée par les personnes souhaitant être naturalisées.
Pour réduire le risque de discrimination, la commission des lois du Sénat a prévu, par un amendement à l’article 3, que tous les jeunes se verraient remettre cette charte des droits et devoirs dans le cadre de la Journée défense et citoyenneté.
Mais, lorsque vous prévoyez pour la définition du contenu de cette charte un simple décret en Conseil d’État, vous faites fi d’une compétence essentielle du Parlement. Je vous renvoie à l’article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles […] concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ».
Vous remarquerez d’ailleurs que l’affirmation des droits civiques et des garanties fondamentales suffit à inclure, dans l’esprit du constituant et des pères fondateurs de la République, les devoirs. La formulation « droits civiques », avec tout ce qu’elle inclut, a bien plus de force et de prestige que tous les compléments et les arguties juridiques moralisantes dont on l’affuble aujourd’hui.
L’article 2, dans le fond, est un véritable lever de rideau avant le déroulement du reste du projet de loi, marqué par la confusion et par la perversité de ses insinuations. À vous lire en creux, l’immigré, l’étranger, serait porteur de toutes les menaces contre la sécurité – il menace en effet particulièrement, même lorsqu’il a acquis la nationalité française, les policiers et les magistrats ! – ; il représente un risque pour l’équilibre de la sécurité sociale ; il peut même provoquer le chômage. Et j’en passe.
Il faut donc faire peur. Nous sommes loin de l’époque où Bernard Stasi écrivait un petit livre percutant, L’Immigration : une chance pour la France !
Alors que vous brandissez l’emblème de l’assimilation, regardez les résultats de votre politique : de nombreux immigrés en sont réduits à vivre dans de véritables ghettos !
Les ghettos… Ce serait donc cela, l’assimilation ?
Et vous vous étonnez que, comme l’a très bien démontré Mme Bariza Khiari, l’immigration dite choisie, que vous prônez, ait si peu de résultats. Vous faites régner un tel climat et vous multipliez à ce point les embûches administratives que les étudiants et les chercheurs dans les domaines scientifiques préfèrent aujourd’hui se tourner vers des universités canadiennes et américaines. Vous voyez bien le déclin qui en résulte pour notre pays.
Il serait temps d’avoir le courage de renverser la logique en adoptant – oui, monsieur Fourcade – une politique d’accueil des immigrés, et non de refoulement, quand l’économie de marché, de plus en plus prédatrice, ruine chez eux toute chance de vivre décemment et d’avoir un avenir.
Pour reprendre une formule de Michel Rocard que vous aimez à tronquer, oui, la France doit prendre sa part de la misère du monde, même si elle ne peut pas à elle seule – mais l’Europe pourrait aussi être présente… – accueillir toute cette misère ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Éliane Assassi. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Bariza Khiari, sur l’article.
Mme Bariza Khiari. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur le principe, pourquoi pas une charte des droits et devoirs du citoyen ? Après tout, on peut demander à un étranger de connaître nos valeurs et d’y adhérer avant de rejoindre la communauté nationale ; je pense notamment au principe de laïcité, qui est la matrice de nos identités plurielles.
Le dispositif que nous examinons aujourd’hui fait tout de même un peu fantaisiste, au sens où j’aimerais bien savoir comment nous allons vérifier que l’étranger adhère réellement à ces valeurs. Une commission sera-t-elle nommée à chaque fois pour vérifier la validité et la sincérité de cette adhésion ? Va-t-on faire passer des tests pratiques au candidat ? S’il échoue, cela remet-il en cause sa sincérité ?
Autant de questions auxquelles nous aimerions bien recevoir des réponses.
Plus sérieusement encore, un point me préoccupe en tant que législatrice. En effet, cette charte semble être définie comme porteuse des valeurs fondamentales de la République, et nous n’avons même pas pu la voir. Existe-t-elle ? Si oui, quelles valeurs ont été retenues ? Pouvez-vous nous informer sur ce point, monsieur le ministre ? J’ai en effet l’impression que cette charte n’est pas prête…
Vous nous demanderiez donc de donner notre blanc-seing à un texte dont nous ne connaissons pas le contenu. Tel est bien le problème : nous ne saurions vous autoriser à rédiger cette charte comme vous l’entendez. Nous ne pouvons accepter qu’un texte censé exposer aux étrangers les fondements de notre pays, nos valeurs les plus importantes, soit le fruit des réflexions d’un cénacle obscur.
La plus grande transparence doit présider à la rédaction de cette charte et je trouverais même normal que celle-ci figure en annexe au présent projet de loi.
Surtout, la notion d’assimilation, qui fonderait cette charte, me heurte considérablement et, à ce stade de mon intervention, je voudrais ajouter un mot plus personnel.
Je veux pouvoir dire, comme Raymond Aron, que je suis Française, citoyenne française et restée en fidélité avec la tradition qui m’a portée.
La notion d’assimilation est pour moi la négation du respect de mon propre héritage culturel, et vous savez bien qu’en favorisant les situations de rupture entre l’individu et son héritage culturel, on fabrique des clients pour les psychanalystes.
Comme le rappelle, à juste titre, une pétition signée par des dizaines de milliers de Français, il est temps de faire des citoyens en respectant les identités plurielles. L’introduction de la notion d’assimilation, c’est la négation symbolique de la diversité culturelle de la Nation. Nous ne pouvons l’accepter.
Enfin, la volonté de contrôler la pensée de personnes qui souhaitent s’intégrer dénature le processus de naturalisation. Elle est même dangereuse.
Parce que la notion d’assimilation – je le répète avec force – est la négation d’un héritage et sous-tend une rupture avec une part d’identité, le groupe socialiste demande que cette charte soit validée par le Parlement et qu’un consensus se forme quant à son contenu.
En effet, mes chers collègues, c’est par les mots que tout commence. Ils ont souvent été le préalable aux horreurs qu’a vécues notre Europe. C’est pourquoi nous souhaitons connaître le contenu de cette charte.
Cela motivera notre vote sur l’article 2 du projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.
M. David Assouline. Ce débat révèle tout d’abord les obstacles, toujours plus hauts, qui sont placés dans le processus de naturalisation.
Dans la logique même de la politique de la majorité, établissant des distinctions y compris dans les droits attachés à la citoyenneté – par exemple, le droit de vote aux élections locales ou nationales des étrangers en situation régulière en France –, il y a un problème.
La majorité estime qu’un étranger résidant en France doit être naturalisé s’il souhaite pouvoir exercer des droits civiques et elle ne cesse, à chaque fois qu’elle est au pouvoir – cela fait maintenant dix ans qu’elle y est –, de limiter, de conditionner, de rendre plus difficile cette acquisition de la nationalité.
Au fond, monsieur le ministre, votre doctrine est claire et vous aurez du mal, sur ces bases, non seulement à permettre les naturalisations, mais aussi à créer une dynamique de société en faveur de l’intégration des étrangers vivant sur notre sol et en faveur du « vivre ensemble ».
Quel que soit le sens que vous voulez lui donner, l’assimilation est une notion à laquelle nous devons réellement réfléchir.
Au xixe siècle, peut-être avec de bonnes intentions, on est allé coloniser un certain nombre de territoires, en prétendant assimiler et apporter la véritable civilisation. Au début du siècle dernier, on partageait toujours cette même conception, tout en étant profondément attaché à la République… Aujourd’hui, il faut bien constater que, à un moment donné, quelque chose n’a pas fonctionné !
L’identité de la République, de la Nation s’est constituée autour des gigantesques vagues d’immigration qui se succèdent depuis le milieu du xixe siècle et des apports de cultures différentes. Européennes au début, celles-ci ont ensuite été principalement méditerranéennes et sont maintenant de toutes origines, notamment asiatique.
Le terme « assimilation » nous renvoie précisément à l’idée d’une culture unique, et n’a donc rien à voir avec le contrat social. Or, respectant en cela la tradition de la République, nous sommes favorables à l’intégration par le contrat social.
J’ai demandé la parole, mes chers collègues, afin de partager avec vous cette citation d’Amin Maalouf, qui, d’une certaine façon, explique comment peut fonctionner une société et combat, sans prononcer le mot, l’assimilation. L’auteur écrit : « De la même manière, les sociétés devraient assumer, elles aussi, les appartenances multiples qui ont forgé leur identité à travers l’histoire, et qui la cisèlent encore ; elles devraient faire l’effort de montrer, à travers des symboles visibles, qu’elles assument leur diversité, afin que chacun puisse s’identifier à ce qu’il voit autour de lui, que chacun puisse se reconnaître dans l’image du pays où il vit, et se sente encouragé à s’y impliquer plutôt que de demeurer, comme c’est trop souvent le cas, un spectateur inquiet, et quelque fois hostile. »
Ce propos traduit la situation telle que nous la vivons aujourd’hui. Vous pouvez regretter, monsieur le ministre, qu’on ne chante pas La Marseillaise lors de certains événements ou que l’on ne soit pas enthousiaste à l’idée de porter le drapeau français, alors que l’on vit en France. Mais la société doit envoyer des signes au lieu de demander systématiquement à l’individu de faire ses preuves, de montrer patte blanche.
Si, en tant que législateurs, nous légiférons pour la société, pour favoriser l’intégration et l’adhésion à la République, il nous faut, sans frilosité, avec audace, réfléchir aux signes que nous devons envoyer par la législation que nous élaborons.
Ni assimilation ni communautarisme à l’anglo-saxonne ! Ces deux modèles ont échoué. Le communautarisme à l’anglo-saxonne, c’est faire en sorte que des communautés vivent côte à côte, sans se mélanger. L’assimilation, c’est croire que l’on peut fondre tout le monde dans un même moule mythique. Entre les deux, il y a le contrat social, le « vivre ensemble », la République laïque et sociale. C’est notre projet ! (Mme Bariza Khiari applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Au-delà des déclamations, permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de revenir au sujet.
À entendre certains d’entre vous, la France serait un pays opposé aux naturalisations et à l’accueil de nouveaux Français sur son territoire.
Je voudrais donc rappeler, notamment à l’attention des orateurs qui viennent de s’exprimer, que nous accueillons tous les ans environ 130 000 nouveaux Français et que, sur cette population, environ 90 000 personnes acquièrent la nationalité française par naturalisation.
Je vais donner des chiffres plus précis pour que la situation soit claire : il y a eu 36 000 naturalisations en 1995, 50 000 en 1996, 53 000 en 1997, 68 000 en 2000 et, en 2009, nous en enregistrions exactement 84 730.
Le phénomène n’est donc pas du tout accessoire ou marginal, la France ayant mis en place, dans ce domaine, des dispositifs à l’efficacité reconnue.
Nous constatons simplement que, bien que connaissant notre langue et nos institutions, certains postulants à la nationalité française n’adhèrent pas réellement ou totalement aux valeurs et aux droits conférés par la nationalité française. Ce n’est pas rien !
M. David Assouline. Les électeurs du Front national y adhèrent-ils ?
M. Philippe Richert, ministre. Permettez-moi de dire que, pour les postulants, acquérir cette nationalité française n’a rien d’un geste anodin et que disposer d’une charte à laquelle se référer n’est pas neutre.
M. David Assouline. Nous sommes d’accord !
M. Philippe Richert, ministre. Les situations de non-adhésion aux valeurs s’observent notamment à l’occasion des procédures engagées dans le cadre des décrets d’opposition à l’acquisition de nationalité par déclaration de mariage ou de retrait de la nationalité acquise par naturalisation. Dans ces cas, les postulants s’inscrivent davantage dans une démarche personnelle de facilitation administrative que dans un processus d’intégration à la communauté nationale.
Dans quelle situation nous trouvons-nous ? Actuellement, le droit limite l’appréciation de l’assimilation du postulant à la nationalité française à la seule connaissance des droits et devoirs du citoyen français.
Le projet de loi tend à rendre obligatoire le recueil de l’adhésion du postulant à la nationalité française par la signature d’une charte des droits et devoirs du citoyen. La signature de cette charte, dont le refus sera sanctionné par l’irrecevabilité de la demande de naturalisation, matérialise l’adhésion du postulant aux valeurs de notre pays, en rappelant les principes et valeurs essentiels de la République.
À cet égard, je voudrais répondre aux questions très précises de Mme Bariza Khiari. Comment le dispositif sera-t-il mis en œuvre ? Qui rédigera la charte ?
Au-delà de l’engagement pris, la charte n’aura pas d’effet ultérieur, ce qui signifie qu’il n’est pas prévu qu’elle puisse être opposable une fois la naturalisation obtenue.
Autre précision, le document rappellera les principes et valeurs essentiels de la République. Enfin, son élaboration pourra être confiée à une commission comprenant des parlementaires, assistés d’historiens, de chercheurs et de juristes. Un décret pris après avis du Conseil d’État en fixerait le contenu définitif.
Le Parlement sera donc associé à la rédaction de cette charte. Nous souhaitons qu’il puisse avoir toute sa place dans ce travail, assisté, comme je l’ai déjà indiqué, d’historiens, de chercheurs et de juristes.
Telles sont les précisions que je souhaitais apporter avant que nous abordions l’examen des amendements déposés sur cet article, tel qu’il est issu des travaux de la commission.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faudrait que nous voyions la charte avant !
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L'amendement n° 8 est présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
L'amendement n° 19 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
L'amendement n° 102 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l’amendement n° 8.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement vise à supprimer l’article 2 du projet de loi, qui renforce le pouvoir réglementaire en matière de contrôle de l’assimilation des nouveaux Français et crée une charte des droits et devoirs du citoyen français dépendant entièrement du pouvoir réglementaire.
D’une part, le Parlement ne dispose d’aucun regard sur le contenu de cette charte, qui prévoit un contrôle de l’assimilation des nouveaux Français par naturalisation – d’ailleurs, nous ne connaissons pas les critères retenus pour cette prétendue assimilation ! –, ni sur les conséquences en cas de non-respect de celle-ci.
D’autre part, en réactivant ce concept d’assimilation qui rappelle une époque révolue du code civil durant laquelle on parlait aussi de « citoyens de second collège », nous assistons à une négation symbolique de la diversité culturelle de la Nation. Le Gouvernement aurait pu lui préférer la notion d’intégration, présente d’ailleurs dans l’intitulé du projet de loi, ou celle d’insertion, qui lui ont été progressivement substituées, notions qui ouvrent non seulement à la nationalité, mais aussi à la diversité.
Il est donc proposé au législateur d’ajouter une condition contractuelle obligatoire sans que le Parlement puisse contrôler la nature de ce contrat, le contenu étant, je le répète, totalement mystérieux, à l’instar des critères, d’ailleurs, qui sont laissés à la subjectivité de l’agent instructeur de la préfecture. En fait, c’est cet agent qui in fine décidera ou non de la naturalisation !
Ainsi, le pouvoir de contrôle des décisions de naturalisation sera totalement anéanti, puisque les juridictions seront tenues par la loi et le décret. En outre, il suffira à l’administration de considérer que le candidat n’a pas adhéré à la charte pour que la décision de naturalisation réponde à cette condition de motivation. Ce pouvoir arbitraire est tout à fait inacceptable dans un État de droit.
J’en profite pour appeler les deux assemblées à réfléchir davantage sur la notion de citoyenneté, une notion qui doit évoluer au regard d’une citoyenneté de résidence, qui constituerait une réponse en faveur de l’égalité des droits, notamment des droits politiques, et ce dans le respect de la diversité. Ainsi, de nombreux problèmes pourraient être réglés.
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin, pour présenter l'amendement n° 19 rectifié.
M. Yvon Collin. Cet article est l’une des rares traductions des propositions formulées à l’issue du séminaire gouvernemental du 8 février 2010, qui était censé clore le sinistre débat sur l’identité nationale. Il institue, entre autres, une charte des droits et devoirs du citoyen français que l’étranger en voie de naturalisation devra signer à l’issue du contrôle de son « assimilation ».
Avec cette charte, nous nous situons bien sûr sur le plan du symbole, mais il s’agit d’un symbole dont l’utilité n’a guère de sens dès lors que la naturalisation relève avant tout de l’intégration de l’individu dans notre société et de son adhésion aux principes qui en font l’essence et la vitalité.
Par définition, l’étranger qui réussit son intégration et satisfait aux conditions de naturalisation n’a pas besoin, nous semble-t-il, d’un énième document réitératif. Cette charte est donc superfétatoire.
Sur le plan juridique, nous nous interrogeons sur la nature de cette charte. Faut-il la considérer comme une condition contractuelle préalable obligatoire ? La naturalisation relèverait alors d’un contrat entre l’État et un individu. Nous sommes plus que perplexes, a fortiori quand la rédaction de cet article laisse toute latitude à l’administration pour apprécier l’adhésion à la charte de l’étranger, ou sa non-adhésion, et donc sa condition de motivation.
De plus, la conception de cette charte est renvoyée au pouvoir réglementaire. En principe, il revient au minimum au législateur de pouvoir exercer sa compétence sur un élément conditionnant l’accès à la nationalité. Il ne nous semble pas acceptable de nous en remettre au pouvoir réglementaire, dont nous avons récemment évoqué le manque de diligence à prendre les textes d’application des lois dans des délais raisonnables.
Pour ce qui nous concerne, nous ne souhaitons pas alourdir la charge des services du ministère de l’intérieur. Aussi, nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter cet amendement de suppression.
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour présenter l'amendement n° 102.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Cet article modifie les conditions requises pour obtenir une naturalisation.
Actuellement, il faut avoir une connaissance suffisante de la langue française ainsi que des droits et devoirs conférés par la nationalité.
Le niveau de connaissance en français était jusqu’à présent évalué lors d’un entretien individuel mené de manière totalement subjective, puisqu’il n’était fondé sur aucun critère. Il sera désormais réalisé en fonction de critères fixés par décret.
Si cette évaluation peut sembler plus objective, une grande incertitude plane sur les critères retenus, qui doivent s’apprécier au regard des conditions socio-économiques et culturelles de la personne en question.
De plus, cette certification aura un coût - les services du ministère l’évaluent entre 100 euros et 230 euros -, qui sera supporté par l’étranger, alors que la somme, vous en conviendrez, est loin d’être négligeable.
Enfin, est introduite une nouvelle condition d’assimilation, notion ô combien colonialiste, sur laquelle j’ai cru comprendre que M. le ministre de l’intérieur lui-même demeurait sceptique.
Vous prévoyez la signature d’une charte des droits et devoirs du citoyen qui rappellerait les valeurs essentielles de la République, mais le débat qui vient de s’instaurer montre combien tout cela demeure, au fond, extrêmement vague.
Je reste opposée à la définition de « critères » d’évaluation d’une assimilation, notamment lorsqu’il s’agit des « droits et devoirs » du citoyen français et des « valeurs de la République », car ils sont nombreux et multiples. Réduits à quelques-uns, ils « essentialisent » les droits français et les opposent aux autres, ceux de l’étranger, barbare par essence, que l’on enferme dans une vision du droit aussi erronée que régressive ; le débat sur la polygamie en a fourni la malheureuse illustration.
Nous pourrions avoir de longs débats sur ce que sont les valeurs de la République. En effet, parce qu’elles portent et reflètent une vision du monde, une vision politique de la France, elles ne sont pas neutres.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je refuse cet article, qui ne fait qu’entériner des critères subjectifs tendant à durcir encore une fois les conditions de naturalisation. C’est pourquoi je vous invite à adopter cet amendement de suppression.