compte rendu intégral
Présidence de M. Bernard Frimat
vice-président
Secrétaires :
Mme Sylvie Desmarescaux,
M. Marc Massion.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré.
Mme Isabelle Debré. Monsieur le président, je souhaite faire une rectification au sujet d’un vote.
Lors du scrutin public n° 181 sur les amendements identiques nos 1 rectifié quater, 126 rectifié bis et 135 rectifié déposés à l’article 9 du projet de loi relatif à la bioéthique, M. Jean-Pierre Raffarin a été déclaré comme ayant voté contre, alors qu’il souhaitait voter pour.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
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Dépôt d'un document
M. le président. M. le Premier ministre a transmis au Sénat, en application de l’article 99 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, le bilan 2007-2010 de l’expérimentation de la décentralisation des crédits consacrés à l’entretien et à la restauration des monuments historiques.
Il a été transmis à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Acte est donné du dépôt de ce document. Il sera disponible au bureau de la distribution.
4
Bioéthique
Suite de la discussion d'un projet de loi
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la bioéthique (projet n° 304, texte de la commission n° 389, rapports nos 388 et 381).
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l’article 13.
Titre IV
INTERRUPTION DE GROSSESSE PRATIQUÉE POUR MOTIF MÉDICAL
Article 13
(Non modifié)
Le deuxième alinéa de l’article L. 2213-1 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° À la première phrase, les mots : « trois personnes qui sont un médecin qualifié en gynécologie-obstétrique, » sont remplacés par les mots : « quatre personnes qui sont un médecin qualifié en gynécologie-obstétrique, membre d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal, un praticien spécialiste de l’affection dont la femme est atteinte, » ;
2° Au début de la seconde phrase, les mots : « Les deux médecins précités » sont remplacés par les mots : « Le médecin qualifié en gynécologie-obstétrique et celui spécialiste de l’affection dont la femme est atteinte ».
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, sur l'article.
M. Bernard Cazeau. L’article 13 prévoit de renforcer la composition de l’équipe pluridisciplinaire chargée de délivrer les attestations autorisant une interruption médicale de grossesse lorsque celle-ci met en péril la santé de la mère.
L’amendement n° 21 vise à intégrer un psychiatre dans cette équipe. En effet, l’accompagnement mental des femmes demandant une interruption médicale de grossesse pour des raisons de santé est souvent négligé, selon un rapport de la DREES, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère de la santé, publié en 2009.
Depuis la loi du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, l’entretien psychologique préalable à une interruption volontaire de grossesse n’est plus obligatoire pour les femmes majeures. Cependant, 48 % des établissements du secteur public continuent de le leur proposer systématiquement.
Les professionnels effectuant ces entretiens sont le plus souvent des conseillers conjugaux et des psychologues. Plus d’un établissement sur trois déclare que les entretiens sont menés par de tels professionnels. En revanche, les médecins ne sont que 2 % à y participer. Il s’agit alors pour l’essentiel de gynécologues-obstétriciens. Or je ne suis pas sûr que les médecins qualifiés en gynécologie-obstétrique, en échographie du fœtus, en pédiatrie ou en génétique médicale soient les plus aptes, s’agissant de cas difficiles bien sûr, à comprendre les problématiques psychologiques et à les expliquer aux personnes fragilisées.
La généralisation de la présence de psychiatres au sein des équipes de prise en charge me paraît donc nécessaire. La présence de ces professionnels doit être encouragée. Le suivi des conséquences éventuelles pour les patientes d’un avortement, qui affecte aussi bien le physique que le mental, ne peut s’envisager sans ou contre les psychiatres.
M. le président. L'amendement n° 21, présenté par M. Cazeau, Mme Le Texier, MM. Godefroy et Michel, Mmes Cerisier-ben Guiga, Alquier, Printz et Schillinger, MM. Kerdraon et Le Menn, Mmes Demontès et Jarraud-Vergnolle, MM. Desessard et Mirassou, Mmes Blandin, Blondin, Bourzai et Lepage, MM. C. Gautier, Collombat, Guérini, Madec, Marc, Massion, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2
1° Remplacer les mots :
quatre personnes
par les mots :
cinq personnes
2° Compléter cet alinéa par les mots :
un psychiatre,
La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Cet amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales. Cet amendement vise à porter de quatre à cinq le nombre de membres de l’équipe pluridisciplinaire chargée de délivrer l’attestation autorisant une interruption médicale de grossesse en cas de problème de santé de la mère, et ce afin d’y adjoindre un psychiatre.
Parmi les quatre membres de l’équipe figure déjà un psychologue. Y ajouter systématiquement un psychiatre ne serait pas opportun, d’autant que, si la mère a un problème médical d’ordre psychiatrique, le médecin spécialiste de l’affection dont la femme est atteinte sera, dans la plupart des cas, un psychiatre.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé. Le Gouvernement émet le même avis que M. le rapporteur.
M. le président. L'amendement n° 64 rectifié, présenté par MM. Barbier, Collin, Baylet, Bockel et Detcheverry, Mmes Escoffier et Laborde et MM. Mézard, Milhau, Tropeano et Vall, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 2
Remplacer les mots :
un praticien spécialiste
par les mots :
un médecin qualifié dans le traitement
II. - Alinéa 3
Remplacer les mots :
celui spécialiste
par les mots :
le médecin qualifié dans le traitement
La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi de faire un peu de sémantique.
L’article 13 prévoit que l’équipe pluridisciplinaire comprendra un « praticien spécialiste de l’affection dont la femme est atteinte ».
Il serait à mon avis plus intéressant de prévoir, à la place d’un « praticien spécialiste », un « médecin qualifié dans le traitement de l’affection dont la femme est atteinte ». En effet, la notion de « spécialité » en médecine est très précise et n’est pas couverte par la rédaction actuelle du texte.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. La commission s’en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement ; elle souhaite cependant connaître l’avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Si un médecin est spécialiste d’une affection quelconque, il est forcément qualifié pour assurer à la femme le soin dont elle a besoin.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, pour explication de vote.
M. Bernard Cazeau. Je note que, par le biais de la sémantique, l’amendement de Gibert Barbier rejoint le mien. C’est subtil, mais c’est le cas.
Dès lors, permettez-moi de relever que, alors que la commission s’en remet à la sagesse du Sénat sur l’amendement de M. Barbier, elle a émis un avis défavorable sur le mien. Toutefois, rassurez-vous, je ne vais pas en faire toute une histoire ! (Sourires.)
M. Alain Milon, rapporteur. Vous me rassurez ! (Sourires.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 64 rectifié.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l'amendement.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 13, modifié.
(L'article 13 est adopté.)
Article 13 bis
Le troisième alinéa de l’article L. 2213-1 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée : « Hors urgence médicale, la femme se voit proposer un délai de réflexion d’au moins une semaine avant de décider d’interrompre ou de poursuivre sa grossesse. »
M. le président. L'amendement n° 22, présenté par MM. Godefroy et Cazeau, Mme Le Texier, M. Michel, Mmes Cerisier-ben Guiga, Alquier, Printz et Schillinger, MM. Kerdraon et Le Menn, Mmes Demontès et Jarraud-Vergnolle, MM. Desessard et Mirassou, Mmes Blandin, Blondin, Bourzai et Lepage, MM. C. Gautier, Collombat, Guérini, Madec, Marc, Massion, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, interrogeons-nous sur le sens de cette phrase figurant à l’article 13 : « Hors urgence médicale, la femme se voit proposer un délai de réflexion d’au moins une semaine avant de décider d’interrompre ou de poursuivre sa grossesse. »
Cette disposition n’a aucun effet contraignant, le délai de réflexion n’étant que « proposé ». Il s’agit là, selon nous, d’un manque de respect vis-à-vis d’une femme bouleversée à l’annonce d’une nouvelle particulièrement grave. Pensez-vous que cette femme va prendre une décision le jour même, voire le lendemain ? Le choix qu’elle devra faire, en concertation, dans la majorité des cas, avec l’autre membre de son couple, sera réfléchi. Surtout, il sera effectué dans la douleur.
Le législateur n’a pas à prévoir de tels mécanismes. Ces réflexions doivent relever de la sphère privée, car elles sont profondément intimes. Se voir offrir un délai de réflexion à un moment d’une exceptionnelle gravité nous semble totalement inapproprié.
Outre le fait que ce délai de réflexion n’a pas de caractère contraignant et que son existence est fortement critiquable, la formulation même de l’article est équivoque, ce qui est contraire aux exigences de clarté et d’intelligibilité de la loi. En effet, le texte prévoit « un délai de réflexion d’au moins une semaine ». Cela signifie-t-il que ce délai pourra être plus long ? Quel est l’intérêt de proposer un délai plus long sachant que ce temps de réflexion n’est pas obligatoire ?
Mes chers collègues, nous vous proposons par conséquent de supprimer cet article, qui ne nous semble ni approprié ni clair.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Le délai mis en place dans le texte a paru nécessaire à la commission. D’ailleurs, dans les faits, il est bien souvent supérieur à une semaine. En outre, les cas d’urgence sont prévus dans l’article.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement.
Le délai de réflexion est non pas imposé, mais proposé. Un tel délai me paraît raisonnable dans la mesure où une décision prise à chaud et sous le coup de l’émotion peut ne pas correspondre au choix qui aurait été fait à l’issue d’un temps de réflexion.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, je pensais naïvement que la révision des lois relatives à la bioéthique était destinée à adapter la législation aux nouvelles techniques médicales et aux nouvelles attentes de la société. Or, je constate que l’on profite de ce projet de loi relatif à la bioéthique pour manifester encore son opposition à la légalisation de l’avortement, votée voilà de nombreuses années.
Cet article est absolument scandaleux ! Il fait peser sur la femme susceptible d’avorter – et ce n’est jamais de gaieté de cœur qu’une telle décision est envisagée – une pression supplémentaire. « Encore un moment, monsieur le bourreau », puisque cette femme va tuer un être vivant ! Telle est là la signification de cet article, qui est absolument ignoble. En toute sincérité, je m’étonne que M. le rapporteur et Mme la secrétaire d’État ne s’opposent pas à ce texte !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote sur l'amendement n° 22.
M. Jean-Pierre Godefroy. Si je suis tout à fait d’accord avec les propos tenus par Mme la secrétaire d’État, je considère cependant inutile de faire figurer dans la loi une telle disposition.
Le délai de réflexion existe naturellement, et il ne revêt aucune obligation légale. Il va de soi ; or, la loi n’est pas faite pour écrire quelque chose qui va de soi. À partir du moment où la personne va devoir prendre une décision, pourquoi écrire dans la loi qu’il s’agit d’ « un délai de réflexion d’au moins une semaine » ? Il s’agit tout simplement du délai minimal que la personne concernée voudra bien s’accorder, et il convient de lui laisser un libre choix à cet égard.
À ce propos, je souhaite revenir sur le débat d’hier soir, mon inquiétude étant alors sous-jacente à ce qui nous est dit ici. Il a été indiqué hier soir – et vous vous souvenez que j’avais fait diverses observations à cet égard – que, pendant le délai de réflexion, le médecin – et je conteste toujours que ce soit le médecin qui ait à le faire – devra fournir une liste d’associations. On voit bien que ce délai minimum doit pouvoir servir de temps d’intervention aux associations, lesquelles risquent d’influer sur la décision de la personne concernée. Le délai que nous créons aujourd’hui n’a donc à mon sens pas lieu d’être.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Il est d’usage que le délai de réflexion soit proposé à la femme. Il paraît en effet normal, lorsque l’on est amené à prendre une décision d’une telle importance, de pouvoir réfléchir avant qu’il ne soit trop tard. J’insiste sur le fait que le délai de réflexion est proposé et non pas imposé. Dans le cas où la femme prend sa décision avant la fin du délai de réflexion, sa volonté est respectée. Cette disposition de l’article 13 bis ne lui est en rien opposable. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Godefroy. La loi ne dit pas ça !
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. Nous sommes au cœur d’une discussion que nous avons déjà abordée hier soir.
Il nous semble absolument nécessaire que la femme conserve une totale liberté dans ce domaine. Or, nous considérons comme une pression supplémentaire le délai de réflexion, semble-t-il imposé,…
M. Gilbert Barbier. Il est proposé !
M. Guy Fischer. Peut-être, mais nous voyons bien dans cette discussion qu’il y aura en fait une tentative pour entraver la liberté de la femme !
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, pour explication de vote.
M. Bernard Cazeau. Cet article est à la fois inutile et dangereux.
Il est inutile parce que, très souvent – et les praticiens le savent –, les femmes veulent, avant de prendre leur décision, pouvoir en parler avec la personne avec qui elles vivent, que ce soit leur mari ou leur concubin.
Il est par ailleurs dangereux si la femme est à la limite du délai légal – cela arrive très souvent chez les jeunes – et qu’elle a impérativement, à deux ou trois jours près, l’obligation de décider. (M. le rapporteur proteste.)
Monsieur le rapporteur, le texte de la commission stipule : « Hors urgence médicale » ! Compte tenu du fait qu’il peut s’agir non pas d’une urgence médicale, mais d’une urgence de date, cette précision relative au délai de réflexion me semble inutile.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Milon, rapporteur. Je souhaite simplement rappeler au docteur Bernard Cazeau que, s’il existe une date limite concernant l’IVG, tel n’est pas le cas pour l’IMG.
M. le président. L'amendement n° 105, présenté par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… - Après le troisième alinéa du même article, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La femme enceinte dispose, dès l’annonce du risque mentionné à l’alinéa précédent, de la possibilité de renoncer par écrit au délai d’une semaine qui lui est proposé. »
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. L’article 13 bis résulte de l’adoption d’un amendement à l’Assemblée nationale tendant, « après l’annonce d’un risque avéré d’affection particulièrement grave affectant le fœtus, [à] donner à la femme enceinte un délai de réflexion de deux semaines afin qu’elle puisse », selon l’expression du député Paul Jeanneteau, « faire un choix éclairé ».
M. Guy Fischer. Cet article, mes chers collègues, a déjà une histoire. L’amendement qui lui a servi de support a en effet été modifié à l’Assemblée nationale, puisque ce délai était initialement obligatoire, comme s’il fallait imposer aux femmes enceintes un moment particulier pour réfléchir aux suites qu’elles entendaient donner à leur grossesse.
Vous ne manquerez pas de nous rétorquer que, d’une part, le texte a là encore été modifié par notre commission et que, d’autre part, les délais de réflexion ne sont pas rares dans le domaine médical, particulièrement lorsque les choix sont irréversibles. Soit !
Mais la commission des affaires sociales, pour reprendre les termes employés dans le rapport de M. Alain Milon, a « apporté un peu de souplesse en prévoyant que le délai de réflexion proposé à la femme pour décider ou non d’interrompre sa grossesse soit d’au moins une semaine. »
Notre amendement entend apporter davantage de souplesse encore en permettant aux femmes qui le souhaiteraient de renoncer à ce délai de réflexion. Il ne faut en effet pas perdre de vue que le parcours du diagnostic prénatal tel que visé à l’article 9 de ce projet de loi est composé de plusieurs étapes : les femmes, les couples découvrent tout d’abord le risque d’anomalie ou de maladie ; cette dernière se précise ensuite, et, en cas de risque avéré, de nouveaux examens de biologie médicale à visée diagnostique peuvent être proposés, pour déboucher au final sur une consultation médicale avec un membre d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal.
Durant ces différentes étapes, les femmes enceintes ont tout loisir de s’interroger, avec leur partenaire, sur le sort qu’elles entendent réserver à leur grossesse. Pour certaines d’entre elles, le délai prévu par cet article 13 bis peut être le bienvenu. Pour d’autres, ce délai est inutile, voire inopportun. Voilà pourquoi cet article n’a à notre avis pas lieu d’être.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Le texte dispose clairement que le médecin propose – et non impose – un délai d’au moins une semaine à la femme enceinte. Dans ces conditions, cette dernière peut y renoncer quand elle veut. Elle n’a pas besoin pour cela de faire un écrit, ce qui serait une obligation supplémentaire entraînant des difficultés encore plus grandes. La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Il n’y a aucune raison pour que la femme enceinte renonce par écrit à un délai qui ne lui est pas imposé et qui, par conséquent, n’est pas obligatoire. Comme M. le rapporteur, j’émets donc un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Mais pourquoi le médecin proposerait-il un délai ? Il suffit qu’il dise à la patiente qu’elle a tout le temps pour réfléchir et pour prendre sa décision. Il n’y a pas d’intérêt évident à écrire dans la loi que le médecin propose un délai. Si le médecin propose ce dernier en expliquant que ce délai entre dans le cadre de la loi, il interfère dans le libre-arbitre de la personne. Il suffit simplement de dire que la femme enceinte dispose de tout son temps pour prendre la décision de poursuivre ou non la grossesse tout en instaurant, en revanche, un délai médical.
Je ne comprends vraiment pas quel intérêt il y aurait à instaurer un délai, sauf à occulter les raisons profondes de cette décision, et c’est ce que j’ai tenté d’expliquer auparavant.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier, pour explication de vote.
Mme Raymonde Le Texier. Je ne sais guère pourquoi nous nous empoignons au sujet de cet article qui, de mon point de vue, n’a pas lieu d’être. Il m’est arrivé il n’y a pas si longtemps, lorsque tous les sénateurs médecins étaient vent debout contre l’idée d’une distribution des contraceptifs par les sages-femmes, de critiquer les médecins. Toutefois, pour avoir fréquenté de près, de par mon activité professionnelle, le milieu médical, je sais que si les femmes sont confrontées à un praticien qui ne les incite pas à prendre le temps de la réflexion, elles doivent en premier lieu changer de médecin !
Voilà pourquoi cet article ne me paraît pas utile. Il est bien évident qu’un médecin, lorsqu’il va expliquer à une femme enceinte ce qui lui arrive, va inciter cette dernière à prendre du temps pour réfléchir, pour parler avec d’autres personnes, pour consulter un généticien, avant de revenir le voir. Je ne souscris pas intégralement aux propos de mon collègue M. Jean-Pierre Michel. Je ne vois toutefois pas pourquoi il est nécessaire d’inscrire ce délai dans la loi, sauf à considérer inconsciemment que, quelquefois, ces femmes sont un peu demeurées et qu’il faut fixer un cadre !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je partage l’avis de nos collègues qui viennent de s’exprimer. La formulation de cet article pose un problème, ce qui montre bien, si vous me permettez l’expression, il y a quelque chose de « louche ». (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
L’article 13 bis dispose que « la femme enceinte se voit proposer un délai de réflexion ». À qui s’adresse donc l’injonction ? Au médecin, dont on sous-entend qu’il serait susceptible de ne pas le faire ? Vous prétendez que la femme demeure libre d’accepter ou non le délai. Il s’agit donc en fait d’une obligation cachée, la rédaction signifiant en fait que « la femme enceinte doit observer un délai de réflexion ».
Soit cette formule ambiguë est parfaitement inutile – la loi a en effet pour finalité non pas de délivrer de petites indications mais d’énoncer des règles –, soit elle vise à asséner un coup de semonce aux médecins afin qu’ils imposent le délai de réflexion, ce qu’ils ne font pas forcément en pratique ; dans ce dernier cas, il faudrait plutôt écrire que « la femme doit se voir proposer ». Ne faisons donc pas preuve d’hypocrisie, et supprimons cet article !
M. Guy Fischer. Voilà !
M. le président. Je mets aux voix l'article 13 bis.
(L'article 13 bis est adopté.)
Titre V
ANONYMAT DU DON DE GAMÈTES
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Milon, rapporteur. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi d’abord de vous faire part de quelques éléments chiffrés.
On compte environ 50 000 enfants nés d’une insémination avec donneur depuis le début de cette pratique, en 1976. En moyenne, chaque année, 1 200 enfants naissent selon cette méthode, et on compte 750 donneurs, avec une part un peu plus importante d’hommes que de femmes.
La commission des affaires sociales a rétabli l’intitulé du titre V, supprimé par l’Assemblée nationale, dans une rédaction qui n’est pas exactement celle du projet initial du Gouvernement. Elle a fait le choix de passer, en matière de don de gamètes, à un système de responsabilité éthique qui, je le souligne, n’entraîne en aucun cas un régime de responsabilité juridique.
Notre texte permet à l’enfant devenu majeur d’obtenir à sa demande la levée de l’anonymat du ou des donneurs de gamètes sans que ceux-ci puissent s’y opposer.
Selon nous, une telle solution est la plus claire et la plus responsable.
L’égalité sera totale entre ceux qui pourront obtenir la levée de l’anonymat et les autres. La levée de l’anonymat sera un droit pour les enfants nés du don ; les donneurs comme les parents en auront été informés dès l’origine. En effet, ce système ne fonctionnera que si tous les donneurs sont informés au moment du don de la possibilité pour les enfants qui en naîtront de demander à connaître leur identité.
Il s’agit donc de mettre en place une information systématique pour les futurs donneurs. La commission propose que cette information entre en vigueur à partir du 1er janvier 2013 et que la levée de l’anonymat prenne effet lorsque les enfants nés à partir du 1er janvier 2014 atteindront leur majorité, à condition qu’ils le souhaitent, c'est-à-dire en 2032.
Ce système est plus simple et, me semble-t-il, plus sain que celui que le Gouvernement envisageait initialement.
En effet, l’obligation d’obtenir le consentement du donneur dix-huit ans ou plus après son don imposait de le retrouver, au prix de procédures lourdes et contraignantes, pour que la commission chargée d’instruire la demande de levée d’anonymat puisse accéder à l’ensemble des données publiques permettant de retrouver le donneur. En pratique, cela aurait abouti, si le donneur était d'accord pour la levée de l’anonymat, à l’organisation d’une rencontre, ce qui ne me semble pas nécessairement souhaitable.
Mieux vaut que la levée de l’anonymat soit prévue dès l’origine et que la recherche du donneur n’incombe pas à l’État. Je pense que la possibilité de levée de l’anonymat et la communication du nom du donneur et des caractéristiques qu’il aura indiquées lors du don, par exemple son âge ou sa profession, suffiront dans la majorité des cas.
Certes, un tel système change le rapport au don. Certains craignent que la levée de l’anonymat ne fasse diminuer le nombre de dons, au moment où des couples vont déjà chercher des gamètes à l’étranger, par exemple en Espagne. Mais le cas du Royaume-Uni est éloquent. La levée de l’anonymat y a été rendue obligatoire, et le nombre de donneurs n’a pas chuté ; c’est leur profil qui a changé : il s’agit de personnes plus âgées, plus responsables, assumant pleinement le don qu’elles effectuent.
En effet – et c’est là le fond de l’affaire –, compte tenu de l’évolution du droit et des mœurs, on ne peut plus prétendre que le gamète est un simple produit thérapeutique destiné à pallier la stérilité d’un couple. L’accès aux origines est reconnu par les conventions internationales et il ne constitue pas une volonté de « biologiser » la filiation.
Pour les cas auxquels je pense, qui resteront minoritaires, l’essentiel est plutôt le fait de savoir que l’on est non pas un produit de la science, mais bien issu de personnes humaines.
Les parents resteront libres de décider s’ils disent ou non la vérité à leurs enfants.
De ce point de vue, le travail des centres d’études et de conservation des œufs et du sperme, les CECOS, a beaucoup évolué. Ils accompagnent les familles pour les aider à assumer la vérité de la technique de conception.
Contrairement à ce que l’on a pu entendre, la levée de l’anonymat en Suède ne s’est pas traduite par une augmentation du secret. Les parents suédois disent davantage à leurs enfants la vérité sur leurs origines que les Français, comme le montre l’étude publiée par les chercheurs suédois le 5 janvier dernier.
Ainsi, avec le système proposé, les donneurs donneront en toute connaissance de cause, et les enfants devenus majeurs auront le droit de savoir.
Enfin, les centres qui pratiquent l’insémination avec tiers donneur craignent que la levée de l’anonymat n’entraîne une mise en cause future de la responsabilité, car ce sont eux qui choisissent d’apparier donneurs et couples receveurs.
À mes yeux, il y a effectivement un problème dans la détermination des critères de choix du donneur par les médecins. Le sujet est trop sensible pour être laissé à l’initiative de chaque équipe. Il faut désormais un référentiel clair, afin d’éviter tout arbitraire et toute irruption du « donneur à la carte », comme aux États-Unis. C’est l’objet de l’article 18 ter adopté par la commission. (Mme Monique Cerisier-ben Guiga et M. Jean-Pierre Michel applaudissent.)