compte rendu intégral
Présidence de Mme Monique Papon
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine,
M. Marc Massion.
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Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Simplification et amélioration de la qualité du droit
Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixte paritaire
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit (texte de la commission n° 405, rapport n° 404).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Saugey, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce troisième exercice législatif de simplification du droit achève ce matin son parcours parlementaire, entamé il y a plus de seize mois, après l’adoption, hier après-midi, par l’Assemblée nationale, des conclusions de la commission mixte paritaire, aujourd’hui soumises à l’examen du Sénat.
Réunie le 6 avril, la CMP a établi un texte sur les trente-deux articles restant en discussion entre les deux assemblées.
Tout au long de ses travaux, la Haute Assemblée a voulu conserver au texte son objectif, à savoir l’allégement de notre corpus législatif, allégement qu’elle a naturellement tenu à poursuivre à son tour.
Force est de constater que ce travail a parfois été délicat à mener. La proposition de loi s’est révélée un réceptacle commode, notamment et principalement pour le Gouvernement, de « diverses dispositions », véritable troupeau de cavaliers législatifs en souffrance !
Ce texte, au périmètre tout à la fois étendu et incertain, a d’ailleurs permis de réintroduire une disposition préalablement censurée par le Conseil constitutionnel, au motif de l’absence de lien avec le texte auquel il avait été rattaché : je veux parler de l’article 32 bis relatif à l’indice des loyers des activités tertiaires.
Si le Sénat a supprimé plusieurs articles dont l’objet lui paraissait manifestement aller au-delà de cet utile travail d’allégement, il a cependant adopté diverses mesures. Il s’agit notamment de l’établissement des actes de décès des personnes mortes en déportation ; de la simplification du régime d’acceptation des libéralités par les établissements ecclésiastiques ; de l’allégement et l’extension aux motocycles des conditions dans lesquelles un véhicule est réputé abandonné chez un garagiste ; de la facilitation de la vie de nos entreprises par la suppression du livre d’inventaire ; de l’exonération du versement d’une vacation lors des exhumations administratives et l’allégement des conditions de crémation des restes exhumés ; de l’exécution d’office des travaux d’élagage pour des raisons de sécurité afin de mettre fin à l’avancée des plantations privées sur l’emprise des voies communales.
En revanche, la Haute Assemblée a, dans le même esprit, supprimé certaines dispositions, considérant que celles-ci excédaient l’objet affiché par l’intitulé de la proposition de loi et méritaient un examen particulier. C’est le cas des articles 29 bis à 29 nonies relatifs aux fichiers de police ; de l’article 37, qui concerne la procédure de retrait de la protection fonctionnelle des maires, fonctionnaires et militaires ; de l’article 107, qui vise à modifier les peines encourues par l’auteur d’une prise d’otage en cas de libération rapide de la victime ; de l’article 40, qui offre à titre expérimental aux collectivités territoriales et à leurs groupements la faculté de consulter les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel sur des questions relevant de leur compétence, et de la réforme « consistante » du droit de préemption, laquelle mérite une loi à elle seule.
Je me félicite que l’Assemblée nationale se soit rendue à nos arguments en maintenant en deuxième lecture la suppression, votée par le Sénat, de ces deux derniers dispositifs.
La commission mixte paritaire est donc parvenue, mercredi 6 avril, à un accord.
J’évoquerai tout d’abord les dispositions retenues dans le texte de l’Assemblée nationale : l’article 1er, qui concerne la protection des usagers contre les variations anormales de leur facture d’eau ; l’article 9, qui modifie les modalités de délivrance des cartes de stationnement des personnes handicapées, malgré les réticences de notre collègue Françoise Henneron, préoccupée par la rareté des places qui leur sont réservées ; l’article 25, qui applique le droit commun des congés payés au chèque emploi associatif ; l’article 58, qui interdit aux collectivités territoriales le recours à un groupement d’intérêt public pour exercer en commun des activités qui peuvent être confiées aux EPCI et aux syndicats mixtes ; l’article 114, l’Assemblée nationale ayant supprimé une mesure que le Sénat avait introduite, à savoir la clarification du champ des poursuites de la prise illégale d’intérêt, ce que je regrette beaucoup.
De même ont été supprimés l’article 6 bis A, instituant le retrait de droit d’un associé d’une société d’attribution d’immeubles en jouissance à temps partagé en cas de succession, ainsi que l’article 27 quater A, qui harmonisait les sanctions applicables en cas de non-respect des délais de paiement.
En revanche, ont été adoptés dans la rédaction du Sénat l’article 1erA, qui prévoit l’inscription, sur l’acte de décès, du partenaire du pacte civil de solidarité du défunt ; l’article 27, qui vise à adapter la législation sur les publications destinées à la jeunesse ; l’article 28 ter A, dont l’objet est d’étendre aux Français établis hors de France le dispositif du droit à l’ouverture d’un compte bancaire ou postal ; l’article 30 portant simplification des obligations comptables des sociétés placées sous le régime réel simplifié d’imposition ; l’article 33, supprimant le dispositif expérimental concernant les établissements publics d’enseignement primaire, inappliqué depuis sa création en 2004, faute du texte réglementaire nécessaire ; les articles 83 AA et 83 AB, réglementant l’aménagement des entrées de ville, chères à Jean-Pierre Sueur et à Ambroise Dupont ; l’article 87 quater, simplifiant le régime de la commande publique pour les organismes d’HLM ; l’article 135 bis, concernant la propagande électorale pour les élections à l’étranger ; l’article 136, qui abroge et supprime un grand nombre de lois ou de dispositions législatives devenues obsolètes.
J’en ai bien conscience, une telle énumération de dispositions disparates est fastidieuse, mais elle est dictée par le contenu même du texte, sorte d’inventaire à la Prévert, comme beaucoup d’entre vous l’ont relevé, mes chers collègues.
Enfin, plusieurs articles ont été adoptés dans la rédaction établie par la commission mixte paritaire. Celle-ci a par ailleurs conservé le dernier alinéa de l’article 29, pour prévoir le respect du pluralisme dans la composition de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL.
On peut déplorer que la commission mixte paritaire n’ait pas suivi la position du Sénat sur la question de principe relative à l’abrogation automatique, au bout de cinq ans, des rapports périodiques du Gouvernement au Parlement. En maintenant cinq rapports, dont celui qui est consacré au contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales, elle a cependant pris en considération la demande des sénateurs.
Avant de conclure mon propos, je souhaiterais formuler un vœu, celui de ne plus être confronté à cet exercice difficile, notamment sous sa forme « impérialiste », touche-à-tout.
Nous l’avons déjà dit, monsieur le garde des sceaux, il faut nous saisir de textes thématiques qui permettent d’embrasser un secteur, et un seul, pour l’examiner à l’aune de l’exigence de simplification.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est un vœu pieux !
M. Bernard Saugey, rapporteur. Effectivement, mon cher collègue, mais, étant moi-même très pieux, je le formule nonobstant ! (Sourires.)
Pour l’heure, je vous propose, mes chers collègues, d’adopter la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit dans le texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui pour l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit.
Le texte qui vous est soumis est le fruit d’un constat partagé sur l’évolution de notre droit, et plus particulièrement sur la complexité croissante de la loi.
Plusieurs phénomènes sont à l’origine de cette situation. Les modifications législatives successives dans tous les domaines du droit aboutissent à un enchevêtrement de textes à la cohérence parfois incertaine et, donc, à une insécurité juridique. Plus de 3 300 lois ont été adoptées sous la ve République, avec une très nette accélération ces vingt dernières années.
Par ailleurs, les sources du droit se sont diversifiées : les directives, les règlements communautaires, les engagements internationaux de la France et, plus récemment, les questions prioritaires de constitutionnalité, sont, directement ou indirectement, créateurs de règles nouvelles en droit interne.
Dans ce contexte, il devient particulièrement difficile pour nos concitoyens, dans ce dédale de réglementations, de s’y retrouver. Il est donc de notre devoir de rendre la loi accessible et intelligible. Un droit clair et lisible est une exigence démocratique et citoyenne autant qu’un impératif économique. Ainsi, même si ce texte est d’origine parlementaire, le Gouvernement ne peut qu’en soutenir l’ambition.
Alors que s’engage la dernière étape parlementaire de l’examen de la proposition de loi, je tiens à saluer le travail que le Sénat a accompli, concourant ainsi à l’amélioration de ce texte. Pas moins de quatre commissions s’en sont saisies : la commission des lois, naturellement, mais également les commissions des affaires sociales, de l’économie et de la culture. Je tiens à remercier les quatre rapporteurs, MM. Saugey et Maurey, Mme Henneron et M. Bordier, pour la qualité de leur travail, même si, sur certains points, leur position était clairement contraire à celle que j’ai défendue au nom de l’ensemble du Gouvernement.
C’est que, et vous l’avez souligné, voire déploré à certains moments du débat, un texte de simplification et d’amélioration du droit touche par essence l’ensemble des domaines : droit civil et droit pénal, mais également droit de l’urbanisme, législation funéraire, code du cinéma, code rural… Certains ont pu parler d’inventaire à la Prévert. Je ne nie pas la complexité de ce texte. Toutefois, les objectifs de simplification et d’amélioration ne concernent pas seulement un pan de notre droit, mais bien tout notre corpus législatif.
Puisque nous arrivons au terme de l’examen de cette proposition de loi, je ne résiste pas à la tentation de vous annoncer, monsieur le rapporteur, à vous qui à l’instant formiez le vœu de ne plus jamais être confronté à un exercice de cette nature, qu’un nouveau texte est déjà en préparation.
M. Bernard Saugey, rapporteur. Et il est sans doute pire !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Il y aurait donc là matière à améliorer la qualité de vos vœux ! (Sourires.)
M. Bernard Saugey, rapporteur. Mais ce n’est de toute manière plus la saison des vœux, monsieur le garde des sceaux ! (Nouveaux sourires.)
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Pour revenir au présent texte, certains de ses articles visent à faire disparaître des mentions ayant perdu leur raison d’être.
Ainsi, l’article 118 supprime la référence, dans des articles du code civil, à la peine de mort ou à la contrainte judiciaire ; l’article 137 élimine les références aux départements français d’Algérie.
D’autres améliorations permettent de faire progresser la gestion publique. Ainsi, l’article 44 détermine par avance le préfet compétent lorsqu’un sinistre se produit dans un tunnel ou sur un pont s’étendant sur plusieurs départements. De même, l’article 41 abrège la convocation d’un nouveau conseil municipal, cependant que l’article 42 simplifie la nomination dans les commissions municipales en supprimant le scrutin lorsqu’il n’y a qu’un seul candidat. L’article 49 simplifie, lui, la gestion de leurs archives par les petites communes.
Le texte comprend en outre de nouveaux articles simplifiant la vie des entreprises, ainsi que des habilitations à légiférer par ordonnances à droit constant. Mentionnons, par exemple, la réforme de l’expropriation pour cause d’utilité publique, à l’article 152.
Enfin, plusieurs dispositions améliorent les relations des entreprises ou des particuliers avec l’administration.
En cet instant, je tiens avant tout à saluer le travail de l’Assemblée nationale et du Sénat, qui sont parvenus à un accord sur cette proposition de loi, lors de la réunion de la commission mixte paritaire.
Monsieur le rapporteur, vous aviez parlé, dans votre rapport de deuxième lecture, de pierres d’achoppement, de désaccords sur la forme ou sur le fond subsistant entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Je suis heureux de constater que ces pierres ne sont même plus du gravier mais constituent le sable sur lequel nous avons pu nous promener avec les députés pour parvenir à un accord fructueux sur ce texte.
Toutefois, je tiens à souligner que, déjà en deuxième lecture, l’Assemblée nationale s’était rangée à la position du Sénat sur plusieurs dispositions majeures.
S’agissant de la juridiction administrative, les députés ont voté sans modification l’article 39 bis, augmentant d’un an la durée des fonctions des conseillers d’État en service extraordinaire.
Ils ont également confirmé la suppression de l’article 40, qui donnait à titre expérimental aux collectivités territoriales et à leurs groupements la possibilité de consulter les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel sur des questions relevant de leur compétence.
L’Assemblée nationale a aussi validé la rédaction adoptée par le Sénat à l’article 146 bis relatif au recrutement des auditeurs du Conseil d’État parmi les anciens élèves de l’École nationale d’administration, dont les mêmes conditions que celles qui prévalent pour les autres fonctionnaires recrutés à la sortie de l’École.
Elle a également abandonné la réforme du droit de préemption qu’elle avait initiée et que la commission des lois du Sénat avait supprimée, considérant que ce sujet devait faire l’objet d’un texte spécifique pour pouvoir, le cas échéant, être examiné par le Parlement de manière approfondie et sereine.
En matière électorale, le Sénat avait, en première lecture, souhaité clarifier le droit applicable aux élections se déroulant à l’étranger en prévoyant que les personnes élues à l’étranger pouvaient prendre communication et copie des listes électorales. Il a aussi ouvert la voie à l’organisation d’une véritable campagne électorale à l’étranger en permettant aux candidats aux élections hors du territoire national de mener des actions de propagande électorale.
L’Assemblée nationale a souscrit à ces innovations.
On peut donc remarquer que le Sénat a considérablement remodelé ce texte, sans parler des articles adoptés par la commission mixte paritaire dans la rédaction du Sénat.
En effet, la CMP a entériné plusieurs positions et rédactions du Sénat. La principale porte, bien sûr, sur les fichiers de police, dispositif introduit par l’Assemblée nationale qui prévoyait, notamment, la création, au sein de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, d’une formation spécialisée spécialement consacrée aux fichiers de police ; l’extension des compétences du bureau de la CNIL ; l’obligation d’inscription de la durée de conservation des données et des modalités de traçabilité des consultations du traitement dans les actes réglementaires qui créent des fichiers de police ; la transmission à la délégation parlementaire au renseignement de tout décret en Conseil d’État créant un traitement dont il a été prévu une dispense de publication au Journal officiel ou encore le renforcement de l’efficacité du contrôle des fichiers d’antécédents judiciaires par le procureur de la République.
L’ensemble de ces dispositions ont été rejetées par le Sénat puisqu’elles avaient été intégrées à la proposition de loi de M. Détraigne et Mme Escoffier, que vous avez adoptée à l’unanimité le 23 mars dernier.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Voilà !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. En effet, vous avez estimé qu’il était préférable de repousser ces dispositions, dans l’attente de l’examen de ce texte par l’Assemblée nationale. La CMP s’est rangée à votre position, ce qui est important.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je pense également aux dispositions ajoutées par le Sénat et validées par la CMP relatives aux entrées de ville et qui complètent utilement l’article 14 de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite Grenelle 2.
Le texte qui vous est soumis aujourd’hui prévoit ainsi que l’amélioration de la qualité urbaine, architecturale et paysagère des entrées de ville serait intégrée aux objectifs des documents d’urbanisme et que le préfet pourrait empêcher l’entrée en vigueur des plans locaux d’urbanisme lorsque ces derniers contiennent des dispositions « incompatibles avec la prise en compte des nuisances, de la sécurité, de la qualité urbaine, architecturale et paysagère » pour les entrées de ville.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vaste programme !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Toutefois, j’ai lu dans les conclusions que le président de la commission des lois était d’un enthousiasme modéré pour l’adoption de cette disposition. (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Un enthousiasme raisonnable !
M. Bernard Saugey, rapporteur. Ou plutôt raisonné !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Exactement ! Et cela va probablement donner lieu à quelques contentieux ainsi qu’à une future loi de simplification, pour laquelle M. Saugey se prépare. (Nouveaux sourires.)
En outre, le contenu des schémas de cohérence territoriale, les SCOT, est enrichi en permettant aux élus locaux d’interdire les constructions et les installations autour des axes routiers ayant un impact sur le respect des principes de sécurité, d’accessibilité et de qualité architecturale des entrées de villes.
Enfin, l’article 107, qui visait à clarifier l’échelle des peines en matière de prise d’otage, a été supprimé par la CMP, conformément à la position du Sénat qui ne souhaitait pas toucher à un sujet sensible au détour d’une loi de simplification.
Au total, ce texte réalise des avancées concrètes. Il s’agit bien d’une loi de simplification qui modifie le droit dans un sens favorable à nos concitoyens, ce dont je me félicite. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comment faire simple quand on peut faire compliqué ? Monsieur le garde des sceaux, pour qualifier ce texte, vous nous avez parlé du fruit d’un constat partagé. En l’occurrence, je verrais plutôt ici une macédoine de fruits dont certains sont juridiquement peu comestibles. (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Voilà !
M. Jacques Mézard. Vous nous avez parlé également de sable, mais l’on ne peut s’empêcher de penser au marchand de sable venu nous endormir. (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tant qu’il ne s’agit pas de sables mouvants…
M. Jacques Mézard. Les neuf sénateurs présents en cet instant dans l’hémicycle seront sensibles à cette argumentation, eux qui sont certainement représentatifs de la qualité de notre institution, à défaut de pouvoir traduire toute idée de quantité…
Cette proposition de loi, dite de simplification, est donc parvenue au terme de sa course. La première mauvaise nouvelle de cette matinée, monsieur le garde des sceaux, est que vous nous annoncez déjà la suivante !
M. Jean-Pierre Michel. Ils n’auront pas le temps !
M. Jacques Mézard. Or, loin d’une tranquille promenade, ce fut plutôt une course d’obstacles bien laborieuse dont nous pensions voir enfin le terme définitif après pratiquement un an et demi de discussion. Eh bien non ! Nous allons recommencer. Je vous l’avais déjà dit, monsieur le garde des sceaux : perseverare diabolicum.
Fallait-il mobiliser autant d’heures de débat pour un texte qui ne changera certainement pas la complexité de notre droit, contrairement à l’objectif fixé ? Nous persistons dans notre doute sur ce point, et c’est un euphémisme, malgré le remarquable travail, la bonne volonté et l’écoute de M. le rapporteur, qui a lui-même très sagement qualifié ce texte de « touffu » et d’« hétéroclite ». Alors, de grâce, ne recommençons pas !
Dans bien des domaines, notre droit mérite d’être réformé en profondeur pour devenir plus accessible, plus lisible et plus opérationnel, pour mieux structurer la vie en société, réguler les relations entre les citoyens, les entreprises ou les personnes publiques, et garantir les principes fondamentaux de la République.
Encore faut-il avoir le sens des priorités. Nous le verrons une nouvelle fois tout à l’heure, monsieur le garde des sceaux, avec le projet de loi sur la répartition des contentieux et à l’allégement de certaines procédures juridictionnelles.
Encore faut-il, de même, ne pas encombrer notre ordre du jour, déjà à la limite de l’asphyxie, la séance de ce matin nous en apportant une nouvelle démonstration.
Légiférer à l’aune des courbes des sondages ne sera jamais de bonne légistique. La déliquescence de notre droit pénal, qu’il est, hélas, facile d’observer aujourd’hui, en est la preuve manifeste. Tous les professionnels de la justice font le constat que la multiplication de ces textes mal rédigés, mal coordonnés et tendant essentiellement vers le répressif, a rendu leurs conditions de travail insoutenables. L’insécurité juridique dénoncée par le Conseil d’État dans son rapport de 2006 est une réalité de plus en plus patente.
Encore faut-il, aussi, que nous nous donnions tous les moyens d’agir intelligemment en définissant une méthode de travail rationnelle et claire. Nous nous en éloignons chaque jour davantage. Par exemple, comme cela avait été souligné par l’un de nos rapporteurs, nous pourrions travailler sur des lois de simplification sectorielles présentant un minimum de cohérence. Autant dire que, sur ces deux points, il y a loin de la coupe aux lèvres...
Le vice-président du Conseil d’État soulignait encore récemment que la brièveté des délais accordés au Conseil d’État pour examiner les projets de loi aboutissait à une situation absurde, des dispositions législatives proches faisant l’objet de modifications contraires presque concomitamment. C’est une autre réalité qui devient extrêmement préoccupante.
La multiplication du recours à la procédure accélérée – nous en aurons une illustration tout à l’heure – sans justification de l’urgence, ne fait qu’amplifier ce phénomène, au risque d’accroître les malfaçons législatives. Or, malheureusement, c’est un domaine où il n’y a pas de garantie décennale !
Le même raisonnement s’applique au manque de coordination entre textes en navette ; je prendrai, sur ce texte, l’exemple des articles 29 à 29 nonies relatifs à la CNIL et aux fichiers de police, introduits par les députés. Comme cela a déjà été rappelé, ces articles procèdent à des modifications qui avaient pourtant déjà été introduites par la proposition de loi de nos collègues Anne-Marie Escoffier et Yves Détraigne, adoptée à l’unanimité par la Haute Assemblée, mais toujours dans l’attente d’une inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Nous ne reviendrons pas sur les autres causes du dévoiement de la loi, sinon pour mentionner l’inflation normative, l’abolition de fait de la frontière entre la loi et le règlement, la qualité rédactionnelle des textes problématique ou des retards chroniques dans l’édiction des mesures réglementaires d’application.
Nous avons aussi déjà eu largement l’occasion d’exposer les raisons de notre opposition de fond à ce type de proposition de loi. Les multiples qualificatifs dont elle a été affublée, de toute part et sur toutes les travées – « fourre-tout », « voiture-balai », « capharnaüm » – parlent d’eux-mêmes. Les conclusions de la CMP ne nous démentiront pas.
Le fossé entre l’ambition initiale de ce texte et sa réalité est béant, et de nombreuses dispositions contribuent en réalité à complexifier encore un peu plus les normes applicables. On pourrait prendre nombre d’exemples, ne serait-ce que l’article 1er sur la protection des usagers contre les variations anormales de leur facture d’eau.
Mais, surtout, nous dénonçons une nouvelle fois l’utilisation de cette proposition de loi comme prétexte à l’introduction de dispositions nouvelles qui ne correspondent en aucune façon à une mesure de simplification ou de clarification. Nous en avons eu l’illustration avec les dispositions sur les groupements d’intérêt public et nous nous estimons heureux d’avoir échappé à la réforme du droit de préemption.
Nous déplorons également cette méthode du calfeutrage non assumé qui consiste à ne pas appeler clairement les choses par leur nom.
Cependant, malgré un tel constat, toutes les dispositions de cette proposition de loi ne sont pas à rejeter en bloc, et certaines d’entre elles constituent de réelles avancées.
Nous nous réjouissons, par exemple, que la CMP ait retenu l’article 1er A, qui prévoit l’inscription sur l’acte de décès des nom et prénoms du partenaire survivant dans le cadre d’un pacte civil de solidarité. Nous nous satisfaisons également de la suppression de quelques commissions ou de multiples rapports : ils ne disparaîtront plus sous la poussière des hautes étagères !
Maïs le diable se cachant surtout dans les détails – il est partout ici, monsieur le garde des sceaux -, nous gardons en mémoire le souvenir amer de la précédente proposition de loi de M. Warsmann qui avait permis à l’église de scientologie d’échapper de justesse à la dissolution pour des faits d’escroquerie.
M. Jean-Pierre Sueur. Le Conseil d’État a été saisi !
M. Jacques Mézard. Nous ne pouvons qu’espérer que le foisonnement d’articles dont on nous demande aujourd’hui l’approbation ne recèle pas, tapie au creux d’un alinéa, une mauvaise surprise du même ordre.
Plus sérieusement, nous soulignons une nouvelle fois qu’il n’est pas possible pour les législateurs que nous sommes d’exercer pleinement leur fonction avec toute la profondeur de l’analyse que mérite la production de la loi. Il y a pourtant, s’agissant de notre justice, un travail de réforme considérable à mener, mais la vérité des médias semble aujourd’hui être devenue la seule qui vaille en politique, loin de ce que devrait être la définition de l’intérêt général.
J’avais, lors des précédentes interventions sur ce texte, placé la conclusion de mes propos sous les auspices de Renaud Denoix de Saint Marc. Permettez-moi de conclure aujourd’hui en citant Georges Pérec, qui ne pensait pas si bien dire lorsqu’il écrivait que « la loi est implacable, mais la loi est prévisible. Nul n’est censé l’ignorer, mais nul ne peut la connaître ». Sur ce chemin, manifestement – et je le regrette ! – vous faites des progrès considérables.
La majorité des membres du groupe du RDSE votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)