M. Ladislas Poniatowski. Bonne question !
Mme Roselle Cros. Est-ce bien notre rôle de souffler sur des braises qui n’arrivent plus à s’enflammer ? Je ne le crois pas.
La laïcité est à ce point acquise et consensuelle que la défense de ce principe ne figure plus au nombre des préoccupations quotidiennes des Français. Ceux-ci sont inquiets avant tout pour des raisons d’ordre économique et financier.
Qu’est-ce qui les préoccupe en tant qu’individus ? Le pouvoir d’achat, le prix de l’essence, la scolarité de leurs enfants, l’insécurité sous toutes ses formes, le devenir de leur emploi, et cela se comprend.
Quant à ceux, nombreux, qui s’intéressent à la politique, de quoi parlent-ils en famille ou entre amis ? De la dette publique, la nôtre et celle de nos voisins européens, de la mondialisation, avec ses répercussions sur les fermetures d’usine, de la crise du monde arabe. Mais sûrement pas de la laïcité, qui n’est pas devenue l’affaire Dreyfus de 2011 !
J’en veux pour preuve les débats sociétaux de fond qu’ici et là on a tenté de lancer. Le débat sur l’identité nationale, qui avait pourtant un sens, n’a pas produit les effets attendus. Au lieu d’engager une réflexion et d’être l’occasion de renforcer le lien national, ce débat a été détourné de ses objectifs, provoquant des polémiques, sans que nos citoyens se sentent vraiment concernés.
Dès lors, pourquoi créer une journée nationale de la laïcité plutôt qu’une sur chacun des autres grands principes de la République ? Pourquoi pas une journée de la liberté ou une journée de l’égalité ?
Mes chers collègues, j’estime que les manquements à l’égalité sont plus importants que les manquements à la laïcité. On ne commémore pas les fondements de notre République : on les met en pratique et on s’attache à les sauvegarder dans le cadre de nos institutions et de nos dispositifs législatifs et réglementaires.
M. Ladislas Poniatowski. Très bien !
Mme Roselle Cros. Ce qui est pertinent, c’est de laisser aux autorités publiques, quelles qu’elles soient, l’État, les collectivités territoriales – et celles-ci sont largement concernées –, les juridictions, le soin de veiller au respect du principe de laïcité dans la sphère publique et à la garantie de la liberté religieuse dans la sphère privée : chacun s’y emploie au niveau qui est le sien.
En conclusion, vous l’aurez compris, mes chers collègues, parce qu’il s’agit pour nous d’un faux débat, j’ai même envie de dire d’une fausse bonne idée,…
M. David Assouline. Vous n’aimez pas la laïcité !
Mme Roselle Cros. … qui ne ferait que raviver des polémiques (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.), sans susciter aucun enthousiasme fédérateur chez nos concitoyens, dont les préoccupations sont tout autres, les membres du groupe Union Centriste et moi-même ne voterons pas la présente proposition de résolution. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
MM. Daniel Raoul et Claude Bérit-Débat. Cela ne nous étonne pas !
Mme la présidente. La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution présentée par notre collègue Claude Domeizel est une excellente initiative, et j’espère qu’elle fera l’objet d’un consensus. Mais j’en doute après les propos qui viennent d’être tenus…
Chacun possède une identité propre, plurielle, dépendant de son vécu, de son histoire, de ses origines, de sa culture, de sa confession, de ses engagements. Cette pluralité fait la richesse de notre pays et, en même temps, de chacun de nous, y compris dans nos contradictions. Mais pour que cette richesse porte des fruits, pour qu’elle soit effectivement un gage de renforcement de notre pays, il faut un socle partagé, nous permettant de surmonter nos diversités et de favoriser l’échange. Tel est l’office de la laïcité, qui est le ciment de notre « vivre ensemble » et la matrice surplombant nos identités plurielles.
D’aucuns ont cru devoir discuter de la loi de 1905, la modifier, du fait de comportements marginaux de certains… de certains musulmans, disons-le. Ne touchons pas à cette loi, mais, en revanche, réglons les problèmes qui se posent à la deuxième religion de France parce que sa visibilité dans l’espace public dérange, et c’est bien normal. J’observe toutefois que cela dérange aussi la très grande majorité des Français de confession musulmane.
Réglons cette question de manière technique, par exemple au moyen du prêt de salles une à deux heures par semaine. Arrêtons d’en faire un sujet exploitable par l’extrême droite. Arrêtons de banaliser l’idée selon laquelle l’islam serait incompatible avec la République.
Les musulmans peuvent, comme les autres, être sécularisés dans leur comportement personnel et adhérer à la laïcité sur le plan politique. Il n’est qu’à les écouter pour comprendre qu’ils sont très attachés au principe de laïcité. Ils ont bien saisi que ce principe leur permettait de pratiquer leur foi dans la sérénité.
Aussi, certains seraient bien inspirés de ne pas engager de débats inutiles et dangereux sur un principe d’une profonde modernité, des débats qui ne portaient pas sur la laïcité, mais qui étaient en fait dirigés contre la laïcité, des débats qui ne portaient pas sur l’islam, mais qui étaient dirigés contre l’islam.
Dépositaires, comme chaque citoyen, des valeurs laïques, les Français de confession musulmane ont refusé l’instrumentalisation de la laïcité en rejetant ce débat. Ils ont répondu avec mesure et sens des responsabilités.
La véritable arme de destruction massive restera toujours l’ignorance. Ibn’Arabî, grand maître soufi, disait justement que « les hommes sont les ennemis de ce qu’ils ignorent ».
M. Daniel Raoul. Belle citation !
Mme Bariza Khiari. La laïcité a plus besoin d’être expliquée à tous nos concitoyens que d’être débattue. Nous vivons en effet sous ce principe alors que beaucoup le connaissent mal. Cela vaut notamment pour certains enseignants, pourtant chargés de le faire appliquer au sein de l’école, mais aussi pour les hommes politiques, qui transgressent parfois ce principe sacré.
Au nom d’une vision fausse de la laïcité, d’aucuns assignent des identités particularistes – hier juive, aujourd’hui musulmane – à ceux de leurs concitoyens qu’ils veulent subordonner ou exclure du corps national.
Cette journée de la laïcité permettrait de rappeler qu’il s’agit d’un principe intégrateur, émancipateur et rassembleur. Il faut faire vivre ce principe. Une approche utilitariste, encore trop souvent mise en œuvre, ou incantatoire de la laïcité ne permet pas à la jeunesse de se réapproprier ce beau principe.
M. Yvon Collin. Très bien !
Mme Bariza Khiari. La grille de lecture de certains, qui se situent notamment à l’extrême droite, c’est le rejet des évolutions par le métissage des pensées, des modes de vie et des identités. Notre pays ne peut se construire sur ce qu’il n’est plus. Dans une France métissée et plurielle par nature, la laïcité sera de plus en plus nécessaire parce que porteuse d’une vie commune pacifiée et d’une société où ce qui rassemble prime sur ce qui divise.
Notre modèle permet la coexistence de chacun dans la neutralité nécessaire d’un État qui a admis une fois pour toutes que la loi doit protéger la foi aussi longtemps que la foi ne prétendra pas dire la loi.
MM. Daniel Raoul et Yvon Collin. Très bien !
Mme Bariza Khiari. Si nous ne voulons pas renforcer la tendance au cloisonnement entre groupes sociaux, religieux ou ethniques par des débats stériles, nous pouvons, en revanche, autour d’une journée de la laïcité, réhabiliter des lieux où les différentes confessions se rencontrent : au premier chef, l’école, où tout se joue.
Comme le disait Raymond Aron, la laïcité a cela de merveilleux qu’elle permet d’être Français, citoyen français et de rester en fidélité avec la tradition qui nous a portés.
Dans un monde troublé où la quête de sens se fait davantage jour, ce ne sont pas les religions qu’il faut combattre, c’est le pacte républicain qu’il faut rétablir, et vite, un pacte au cœur duquel se trouve la laïcité. Alors, monsieur le ministre, fêtons-la ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, près d’un siècle après la Révolution de 1789, la République s’est enrichie d’un principe vertébral : la règle laïque.
En effet, à côté du triptyque « liberté, égalité, fraternité », la laïcité fait, depuis 1905, partie des fondements de la République française. Elle lui est désormais consubstantielle. Ce principe éclaire notre devise nationale, lui donne tout son sens et impose des devoirs à notre communauté ainsi qu’à tous ses représentants.
Pourtant, force est de constater que la laïcité est aujourd’hui trop souvent contournée, voire menacée. Comme l’indiquent les auteurs de la proposition de résolution instituant une « journée nationale de la laïcité », « des tentatives de remise en cause, de plus en plus distinctes, ont été observées ».
Les radicaux, qui ont contribué à forger l’histoire de la République laïque, déplorent également la multiplication des atteintes à la laïcité. Nous avons eu bien souvent, ici même, l’occasion d’exposer la conception que nous avions de cette valeur fondamentale.
En 2004, dans le cadre du débat relatif à la loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, les collèges et lycées publics, j’avais rappelé les dangers d’une conception relative et évolutive du principe de laïcité.
Plus récemment, à l’occasion de l’examen du projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, mon collègue Jean-Michel Baylet avait souligné que la laïcité était le rempart de neutralité absolue contre les influences des religions sur les institutions publiques.
Je le répète aujourd’hui, la laïcité est un principe intangible, qui ne saurait souffrir aucun compromis ni aucun accommodement. Peut-on être plus explicite ?
Disons clairement aussi à tous ceux qui en douteraient – ou à tous ceux que cela arrangerait – que la laïcité républicaine n’est pas une idéologie antireligieuse, une sorte de dogme dirigé contre la liberté de conscience. Je dirai qu’elle est, au contraire, la garantie de cette liberté. En protégeant l’exercice libre des cultes et en n’en favorisant aucun, la loi de la République protège non pas les religions, mais le libre choix de chaque individu.
La laïcité n’est pas non plus un dogme. Comme vous le savez, mes chers collègues, elle n’est pas une vérité républicaine révélée.
Née de la philosophie des Lumières, nourrie par différents courants philosophiques tels que le rationalisme, le positivisme ou encore le scientisme, la laïcité est fille de la raison. Et, contrairement à la foi, la raison s’applique à douter. En acceptant le doute, la pensée laïque laisse aux individus la possibilité de choisir.
Pour autant, cette protection du libre choix, qui doit à mon sens être au cœur de toute définition de la laïcité, n’implique pas la renonciation à l’action.
À nos yeux, il est clair que les options confessionnelles ne doivent pas peser sur la délibération publique. Ce fut le combat de nos aînés lorsque les congrégations religieuses prétendaient détourner à leur profit la loi de 1901 sur les associations. Aujourd’hui, ce combat consiste à exercer une vigilance de tous les instants dans l’espace public, pour éviter un affaiblissement de la laïcité lorsque celle-ci fait manifestement l’objet d’entorses. Les radicaux de gauche sont d’ailleurs des membres fondateurs et très actifs de l’Observatoire de la laïcité. Quand cela est nécessaire, cette surveillance doit s’accompagner de l’intervention du législateur pour clarifier des situations et rappeler les principes fondamentaux de la République française.
Les radicaux de gauche, et plus largement les membres du RDSE, sont bien entendu favorables à toutes les démarches allant dans le sens du respect de la laïcité. C’est dans cette optique que nous avons approuvé la loi du 15 mars 2004, qui devait aider à résoudre la question du port du voile à l’école.
Parce qu’elle est le creuset où se forge la liberté de conscience et où se fabrique l’intégration républicaine, l’école publique doit être strictement à l’abri de toute influence confessionnelle. Elle ne doit favoriser aucun culte, quel qu’il soit. Elle doit demeurer le terrain privilégié de l’application des règles de neutralité.
S’agissant du port de la burqa ou du niqab dans l’espace public, dont nous avons discuté en septembre dernier, il est apparu aux membres du RDSE qu’il ne fallait en aucun cas céder devant les pratiques d’une infime minorité qui, sous prétexte d’user de sa liberté religieuse et de son droit à la différence, entendait imposer son sectarisme en foulant aux pieds les principes fondamentaux de notre démocratie.
Ce matin, il est question d’instituer une « journée nationale de la laïcité », ni fériée ni chômée, qui permettrait de réaffirmer, chaque 9 décembre, le caractère fondamental de ce grand principe constitutionnel.
Bien que mon groupe soit quelque peu réservé sur la répétition de journées commémoratives, la grande majorité des membres du RDSE, très attachée au principe de laïcité, approuve la présente proposition de résolution. Ceux qui ont choisi de s’abstenir le feront uniquement en raison de l’institution d’une journée nationale supplémentaire.
J’ajoute que, si cette journée était instaurée, elle ne devrait pas nous dédouaner d’une attention quotidienne et surtout partagée à tous les niveaux et par tous les représentants de l’État.
M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution. Bien sûr !
M. Yvon Collin. La laïcité est un principe qui doit être mis en pratique tous les jours !
M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution. Absolument !
M. Yvon Collin. Il serait vain, en effet, de réaffirmer la laïcité de l’État français si c’était pour voir le premier représentant de celui-ci ne pas faire preuve de la plus grande prudence dans ses propos. Sans vouloir rouvrir une polémique, il me semble utile de rappeler que le chef de l’État, gardien de la Constitution, doit afficher la neutralité la plus absolue. Or, en s’agenouillant devant le pape en sa qualité de chanoine, en faisant approuver par décret le pouvoir du Vatican d’admettre ou de refuser la validation de nos diplômes, en rappelant régulièrement l’identité chrétienne de la nation française, le Président de la République s’écarte de son rôle, de sa mission et de sa fonction.
M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution. C’est certain !
M. Yvon Collin. Si ses convictions personnelles sont respectables – et nous les respectons ! –, elles ne doivent pas, à mon sens, s’immiscer dans le discours public ou la posture publique.
Mes chers collègues, parce que les radicaux ont été à l’avant-poste du combat qui a conduit à la loi de 1905, c’est dans un esprit de responsabilité que nous apporterons notre soutien à la proposition de résolution de nos collègues socialistes. Nous souhaitons être non pas des héritiers passifs, mais des républicains vigilants et protecteurs d’un principe ni négociable ni ajustable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Marie-Agnès Labarre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, très chère Marianne, notre assemblée se pose aujourd’hui la question de savoir s’il est opportun d’instaurer en France une « journée nationale de la laïcité ». Mon groupe et moi-même frissonnons devant tant d’audace… Et l’on imagine l’émotion que cela pourrait faire ressurgir sous les linceuls de Jean Jaurès, Léon Gambetta et Victor Hugo !
Une « journée nationale de la laïcité », proposez-vous, quand 365 jours par an ne nous suffisent pas à regagner le terrain perdu depuis la séparation, au demeurant incomplète, des églises et de l’État !
Les livres d’histoire décrivent un Sénat autrement plus combatif sur le sujet ! Sur ces travées, combien d’illustres tribuns se sont fait entendre avec force pour défendre la primauté des pouvoirs civils sur l’ordre du religieux ? Combien se sont battus pour faire reconnaître le droit de croire ou de ne pas croire, pour abolir toute hiérarchie entre les croyances, comme entre croyance et non-croyance, sous la protection vigilante d’un État neutre et désintéressé ?
C’est un contresens de déclarer la laïcité ennemie de la religion. Elle est, au contraire, le fruit d’un combat pour la liberté de conscience ; pour la liberté, tout simplement.
Là, la guerre civile en vue d’instaurer un pouvoir religieux. Ici, la gangrène du communautarisme et, trop souvent, le citoyen français ramené à un statut de franco-musulman ou de franco-juif... Cette pente réactionnaire nous rappelle que, comme pour la démocratie, nos combats pour la laïcité sont universels et permanents. Au moment où la laïcité est menacée, nous ne devons pas faiblir !
Aussi, je critique votre idée de résolution non parce qu’elle est mauvaise, mais parce qu’elle n’est pas à la hauteur du défi et des exigences de notre temps.
« Liberté, égalité, fraternité » et laïcité ne sont pas des croyances ; ce sont les éléments de l’air que nous respirons tous les jours. Que l’un d’eux vienne à manquer et la société tout entière devient irrespirable.
Aurait-on l’idée d’instaurer une journée pour la liberté, une autre pour l’égalité, une autre encore pour la fraternité ? C’est chaque jour que nous devons nous lever pour faire vivre ces valeurs, et chaque jour plus vigoureusement ; au Parlement comme ailleurs, au Parlement plus qu’ailleurs. Chez nous, on ne dénonce pas les privilèges seulement le 4 août !
La laïcité est un état d’esprit qui se vit dans tout l’espace de notre République.
En France, l’Église et l’État sont presque séparés. Ce « presque » signifie que nous n’avons pas fini le travail entrepris par nos prédécesseurs.
Vous le savez, notre groupe et le Parti de gauche sont attachés à l’application pleine et entière de la règle de la séparation des églises et de l’État contenue dans la loi de 1905. Pour nous, les privilèges publics dont bénéficient encore certains cultes en Alsace-Moselle ne se justifient plus. Du temps a passé en Guyane depuis le décret-loi de Charles X ! Les délais nécessaires à une transition culturelle non violente vers un régime authentiquement républicain me paraissent donc avoir été amplement respectés.
Je me permets de pointer que la départementalisation de Mayotte a mis fin aux droits coutumiers : preuve que l’on peut étendre les lois de la République à l’ensemble du territoire.
La règle est simple à énoncer et respectueuse des orientations religieuses et philosophiques de chacun : les cultes sont libres et égaux en droit, mais ils ne constituent pas un service public. Ce sont les fidèles, et non pas l’impôt, qui financent leurs lieux de culte, les salaires du prêtre et de l’évêque ! Notre combat est celui-là.
« En un mot, je veux, je le répète, ce que voulaient nos pères, l’Église chez elle et l’État chez lui. », proclamait Victor Hugo, le catholique, debout au premier rang de notre hémicycle, comme le rappelait M. Domeizel. Quelles raisons impérieuses auraient les Républicains d’aujourd’hui d’y renoncer ?
À la puissance publique de s’occuper de l’intérêt général, aux citoyens de financer ce qu’ils croient juste pour eux et leurs intérêts particuliers, en fonction de leurs convictions spirituelles et religieuses.
Déshabiller Marianne pour habiller Marie, c’est chercher noise à la communauté des citoyens, qui est une et indivisible.
La liberté d’adhérer à une église ne donne aucun droit particulier, ne dispense pas de l’application des lois et relève de la sphère privée.
La France, officiellement laïque, permet pourtant à son président de porter le titre de chanoine d’honneur de la basilique Saint-Jean de Latran. C’est symbolique, certes, mais la République, surtout lorsqu’elle est menacée dans ses fondements, de l’intérieur comme de l’extérieur, aurait besoin d’exposer d’autres symboles au regard de ses citoyens et à la face du monde.
Est-ce en tant que Président ou en tant que chanoine que Nicolas Sarkozy demande que les étudiants israélites puissent passer leurs examens la nuit, en raison de la Pâque juive ?
Assez de ce mélange des genres !
Nous l’avons dit en débattant des horaires de piscine, des consultations à l’hôpital ou du port du voile intégral : en République, il n’y a pas de place pour des privilèges, des passe-droits attachés à des appartenances ou à des pratiques religieuses.
En France, l’école privée a droit de cité. Elle ne doit plus avoir le droit de détrousser l’école publique. Chaque année, 10 milliards d’euros sont volés à l’école publique, offerts à l’enseignement privé, confessionnel à 90 %. Cela a assez duré ! Les vases communicants ont été organisés et, je le déplore, ils ont été votés dans cette assemblée.
La République ne doit plus céder aux exigences des églises, voilà tout ! Cette soumission a privé cinq cents de nos villages d’une école publique, a fait naître plus encore d’écoles confessionnelles payées par les communes et de nombreuses crèches confessionnelles. En poursuivant dans cette voie, M. Carle doit le savoir, nous irons sans aucun doute au-devant de graves déconvenues.
Pour toutes ces raisons, j’estime que promouvoir la laïcité, c’est faire plus et mieux que de l’honorer une fois l’an. Défendre l’idée de laïcité, c’est l’appliquer et l’appliquer sans trêve !
En conséquence, je pense que, sans rejeter la proposition minimaliste qui nous est soumise pour solde de tout compte, il conviendrait plutôt d’aborder cette question au fond, par exemple en débattant de bonne foi sur la proposition de loi du Parti de gauche, proposition dont M. François Autain et moi-même avons eu l’honneur d’être les premiers signataires.
« Trop souvent les hommes ont tendance à privilégier ce qui les divise. Avec la laïcité, il faut apprendre à vivre avec ses différences dans l’horizon de l’universel... ». Je vous invite à vous approprier cette recommandation du philosophe Henri Peña-Ruiz.
Puisque vous semblez tenir à une commémoration, je vous propose de célébrer l’école laïque, chaque 28 avril par exemple, en reprenant l’hymne qui fut chanté dans toutes les écoles lors de son cinquantenaire :
« Honneur et gloire à l’École laïque,
« Où nous avons appris à penser librement,
« À défendre, à chérir la grande République
« Que nos pères jadis ont faite en combattant. »
Mme la présidente. Monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la mesure où la séance doit impérativement être suspendue avant treize heures, je me vois contrainte d’interrompre l’examen de cette proposition de résolution. Croyez bien que j’en suis particulièrement désolée pour vous, monsieur le ministre, ainsi que pour ceux de nos collègues qui étaient inscrits dans la discussion et n’ont pas encore pu s’exprimer.
Il reviendra à la conférence des présidents de trouver, dans le calendrier de nos travaux, un créneau pour terminer la discussion de cette proposition de résolution, qui est donc renvoyée à une séance ultérieure.
Nous reprendrons nos travaux, pour la suite de l’ordre du jour, à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)