M. Jean Desessard. « Je ne trouve pas très sain qu’il y ait un tel écart entre le taux facial d’imposition sur les bénéfices et le taux réel. » déclarait Mme Lagarde au journal Les Echos, au mois de mars 2010. M. Baroin, enfin, évoquait fort astucieusement, en décembre dernier, un « impôt de chagrin ».
Pourquoi la majorité d’aujourd’hui ne veut-elle pas mettre en œuvre les propositions de campagne de M. Sarkozy ?
M. Roland Courteau. Bonne question !
M. Jean Desessard. Pourquoi nous faudrait-il nous résigner à guetter pendant deux ou trois ans l’hypothétique toilettage des niches fiscales, évasivement promis par Mme Lagarde, plutôt que d’agir maintenant ?
La réponse est à chercher dans l’archaïsme du discours idéologique de la droite libérale, laquelle n’a jamais admis sa responsabilité intellectuelle dans la crise financière qui a secoué le monde et se trouve aujourd’hui engoncée dans une posture en complet décalage avec la réalité.
M. Jacky Le Menn. C’est exact !
M. Jean Desessard. Dans les couloirs, pourtant, certains parlementaires de la majorité considèrent que cette proposition de loi est pertinente et raisonnable. Mais la droite est aujourd’hui soumise à une chape de plomb idéologique et aux rodomontades d’un Président de la République aux abois, qui joue la fuite en avant avec des propositions mal étudiées et incohérentes, comme cette surprenante prime de 1 000 euros !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jacky Le Menn. Voilà !
M. Jean Desessard. N’attendons pas, encore et toujours ! Plutôt que de repousser à demain ce que l’on peut faire le jour même, parce que la situation économique et sociale appelle davantage de responsabilité et de solidarité, les sénatrices et les sénateurs écologistes voteront pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.
M. Thierry Foucaud. La proposition de loi de nos collègues du groupe socialiste a le mérite de placer le débat fiscal sur un sujet peu abordé, que l’on aurait même pu penser tabou : la fiscalité des entreprises, en particulier le statut, l’assiette et les composantes de l’impôt sur les sociétés.
Ce débat a bien plus de sens que celui qui consiste à essayer de regagner le vote de 300 000 cadres et assimilés, en les dispensant de l’ISF auquel ils sont aujourd’hui soumis, tout en faisant un cadeau généreux à ceux qui y resteront assujettis.
Je ne m’étonne pas que ceux qui freinent des quatre fers dès qu’il est question d’apporter la moindre modification à l’impôt sur les sociétés soient également ceux qui prônent un allégement de l’ISF. Il s’agit là, nous le savons, de la priorité fiscale du moment de tous les Français ! (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Deux articles de cette proposition de loi ont été rejetés par la majorité – le troisième est en passe de l’être – au nom d’arguments ressassés et, pour tout dire, purement idéologiques.
Nous aurions pu en concevoir bien d’autres, tant est foisonnante la forêt impénétrable des mesures qui allègent aujourd’hui l’impôt sur les sociétés, depuis le crédit d’impôt recherche, qui, je le dis au passage, n’a rien réglé au problème de la recherche et développement dans notre pays, jusqu’au report en arrière des déficits en passant par les crédits d’impôt les plus divers et les plus étonnants.
Nous connaissons l’affaire : on dépense aujourd’hui deux fois plus à ne pas appliquer le taux de l’impôt sur les sociétés qu’à encaisser une recette fiscale pourtant nécessaire à l’équilibre des comptes publics. Si j’ajoute l’effet de la baisse du taux, je vous laisse imaginer la situation…
Que la majorité du Sénat ne s’en tienne pas pour quitte ! Le fait qu’elle repousse aujourd’hui cette proposition de loi ne clôt pas le débat sur la réforme fiscale, loin de là, et nous rappelle même qu’il devra porter aussi sur l’impôt sur les sociétés.
Mes chers collègues, ne comptons pas sur la seule taxe carbone, même rebaptisée « contribution climat-énergie », ou sur la « TVA éco-modulable » – je me demande d’ailleurs où est la différence – pour faire le compte du côté de la nécessaire réforme fiscale à entreprendre en 2012, pour poser les termes d’une véritable alternative aux pratiques qui ont cours depuis trop longtemps et se sont amplifiées au cours des dix dernières années.
Monsieur le rapporteur, si nous voulons réformer la fiscalité des entreprises, ce n’est nullement parce que nous n’aimons pas les entreprises ou que nous cherchons à rançonner le capital ! C’est simplement parce qu’il est normal que l’entreprise, lieu de création de richesse résultant du travail des salariés, soit aussi le lieu où l’on produit la matière fiscale, la base naturelle d’une contribution légitime, et ce à la charge de tous.
C’est avec le produit du travail de tous, par des cotisations sociales, par la fiscalité locale, par une juste imposition des résultats que nous pouvons et que nous devons concevoir l’alternative, la réponse la plus adaptée aux besoins collectifs, quels que soient leur forme, leur coût apparent ou leur réalité.
Rendre plus efficace et plus rentable l’impôt sur les sociétés est donc légitime de ce point de vue, comme était légitime que nous proposions, au mois de mars dernier, un accroissement du rendement de la fiscalité locale, notamment de la contribution économique territoriale des entreprises. Nous avions alors proposé, vous vous en souvenez, d’impliquer les actifs financiers des entreprises dans cet effort sans que cela rencontre pour l’heure le soutien de notre assemblée, notamment – pardonnez-moi, mes chers collègues ! – du groupe socialiste.
Il n’est pourtant pas certain que l’idée ne fasse pas son chemin dans l’esprit des élus locaux, qui sont toujours aux prises avec la réforme de la taxe professionnelle dont ils se rendent de plus en plus compte qu’elle les prive et les privera de ressources.
Toujours est-il, mes chers collègues, que la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui va dans le bon sens ; c’est pourquoi nous la voterons. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Ollier, ministre. Je ne voudrais pas allonger les débats… (M. René-Pierre Signé s’exclame.) Monsieur le sénateur, en m’empêchant de parler, c’est vous qui faites traîner la discussion !
Madame Bricq, vous avez dit à deux reprises que je n’avais pas répondu aux questions. J’ai pourtant répondu à M. Rebsamen et à M. Marc, en précisant, sur le point concernant le CAC 40 et les 8 %, que c’était une question de méthode de calcul, comme M. Arthuis l’a fait, d’une manière d’ailleurs beaucoup plus technique que moi. Je ne reviendrai donc pas sur ce point.
Sur l’impôt minimum, ma démonstration a été, je le crois, tout à fait probante, même si vous n’avez pas voulu l’entendre.
En ce qui concerne l’article 3, vous n’en avez pas trop parlé (Mme Nicole Bricq s’exclame), mais là encore, j’ai répondu par anticipation. M. le rapporteur a des idées sur la question des dividendes, dont nous débattrons dans cet hémicycle le moment venu.
S’agissant de l’évolution du système fiscal, je vous rappellerai, vous l’avez d’ailleurs reconnu, qu’un rapport sur les niches fiscales sera remis à la fin du mois de juin. Le BMC sera évalué à cette occasion. Je vous propose d’attendre cette évaluation, qui nous permettra de disposer de données beaucoup plus précises, notamment sur des méthodes de calcul, afin que le débat prospère.
Monsieur Marc, je vous remercie d’avoir permis, avec vos collègues, l’ouverture de cette discussion.
Mme Nicole Bricq. Heureusement que nous étions là !
M. Patrick Ollier, ministre. Je n’ai pas retenu les arguments que vous avez évoqués lors de vos interventions en explication de vote.
M. Roland Courteau. Ils étaient pourtant bons !
M. Patrick Ollier, ministre. Je les trouve un peu caricaturaux ! (Non ! sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. C’est injurieux !
M. Patrick Ollier, ministre. La caricature n’est pas injurieuse si l’on a l’art de bien tenir son crayon !
Je tiens à remercier également M. le président de la commission des finances d’avoir éclairé fort judicieusement les débats, grâce à ses arguments très précis, ainsi que M. le rapporteur, qui a fait une démonstration brillante sur la fiscalité des entreprises. Nous nous y reporterons lorsque le débat reprendra.
Je remercie Mme Joissains et les membres de la majorité d’avoir soutenu le Gouvernement afin que cette proposition de loi ne puisse pas être adoptée aujourd’hui.
Enfin, je veux vous remercier, madame la présidente, de la manière dont vous avez présidé ces débats. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 3.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de l’UMP.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que l’avis du Gouvernement.
Mes chers collègues, je vous propose de considérer, dans les mêmes conditions qu’à l’article 2, que la Haute Assemblée émet, sur l’article 3, le même vote qu’aux articles précédents.
Il n’y a pas d’opposition ?...
L’article 3 n’est pas adopté.
Les trois articles de la proposition de loi ayant successivement été repoussés, la proposition de loi est rejetée.
Mme Nicole Bricq. Nous y reviendrons !
M. Jean Desessard. Le moment venu !
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Journée nationale de la laïcité
Discussion d'une proposition de résolution
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe socialiste, de la proposition de résolution instituant une « journée nationale de la laïcité », présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Claude Domeizel et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 269).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution.
M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai l’honneur de vous présenter une proposition de résolution visant à instaurer une journée nationale de la laïcité.
Le texte de cette résolution se suffit à lui-même, mais il paraît utile de faire quelques rappels sur l’historique de la laïcité, et de motiver plus amplement cette proposition.
Quand j’ai déposé ce texte, convaincu de son bien-fondé, je ne savais pas, monsieur le ministre, qu’il allait autant coller à l’actualité et faire suite à un débat politique lourdement contesté qui s’est déroulé au début du mois d’avril.
M. Roland Courteau. Ah oui !
M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution. Cet épisode est regrettable, car la laïcité n’a pas à être débattue ; elle se vit et s’applique en tant que principe fondateur et consubstantiel à la République.
MM. Roland Courteau et René-Pierre Signé. Très bien !
M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution. Ma volonté, aujourd’hui, vise simplement à rappeler que la France est un pays laïc.
Loin de moi l’intention de m’étendre sur une définition du mot « laïcité », que l’on a parfois tendance à confondre avec l’œcuménisme qui tend à unir toutes les églises, l’athéisme qui nie l’existence de toute divinité, ou l’agnosticisme qui considère que la connaissance du sens de l’existence est inaccessible à l’esprit humain.
La laïcité, j’y reviendrai, tolère tous ces concepts.
Mais ce doux mot, féminin, porteur de tolérance, peut aussi provoquer des attitudes violentes, extrémistes, voire nauséabondes.
Je choisis, pour expliquer la motivation de cette démarche, de faire un bref retour historique, car c’est dans l’histoire de la laïcité que l’on comprend mieux la nécessité de défendre aujourd’hui ses principes.
L’étymologie du mot « laïc », qui vient du substantif grec laos – le peuple –, signifie « populaire » ou « national ». Ce terme était utilisé dans les premières communautés chrétiennes pour désigner ceux qui ne faisaient pas partie de la communauté religieuse, les illettrés, le peuple.
Issue du siècle des Lumières, c’est à la Révolution française, en 1789, que la laïcité a acquis une véritable consistance par l’affirmation de principes universels, dont la liberté de conscience et l’égalité des droits exprimés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
En 1801, ces principes furent remis totalement en cause lors du Concordat signé par Napoléon et le représentant du Pape Pie VII.
En 1850, le ministre de l’instruction publique, Alfred de Falloux, réorganisa le système d’enseignement pour le mettre sous la tutelle de l’église catholique, avec la tristement célèbre loi Falloux… Cela motiva une virulente protestation de Victor Hugo devant l’Assemblée législative en ces termes : « J’entends maintenir, quant à moi, et au besoin faire plus profonde que jamais, cette antique et salutaire séparation de l’Église et de l’État qui était l’utopie de nos pères, et cela dans l’intérêt de l’Église comme dans l’intérêt de l’État. [:..] Je ne veux pas qu’une chaire envahisse l’autre ; je ne veux pas mêler le prêtre au professeur. [...] Je veux l’enseignement de l’Église en dedans de l’église et non au dehors. [:..] En un mot, je veux, je le répète, ce que voulaient nos pères : l’Église chez elle et l’État chez lui. »
Ce long conflit entre les partisans d’une France monarchique, catholique et conservatrice, et les défenseurs d’une France laïque, républicaine et ancrée vers la gauche fut communément appelé la « guerre des deux France ».
Le terme de « laïcité » apparu pour la première fois sous la Commune de Paris, en 1871. Quelques décennies plus tard, s’ensuivirent l’affaire Dreyfus, puis l’époque des hussards de l’école publique, qui se voulaient héritiers du siècle des Lumières, adeptes de la Raison. C’étaient des républicains, souvent libres-penseurs, francs-maçons ou protestants. Quelques grands noms de cette époque sont incontournables : Jules Ferry, Paul Bert, Ferdinand Buisson et René Goblet. Tous apportèrent leur pierre à la laïcisation de l’enseignement.
Enfin, la lutte entre anticléricaux et catholiques conservateurs vit son aboutissement avec la loi du 9 décembre 1905, adoptée dans la foulée de celle de 1901 sur les associations.
Cette loi du 9 décembre 1905, pilier des institutions, fut le résultat d’un long débat, d’une haute tenue philosophique, idéologique et juridique, qui se déroula du 31 mars au 3 juillet 1905. Il convient d’y ajouter le temps consacré à la préparation du projet de loi par une commission de trente-trois membres, présidée par Ferdinand Buisson, président de l’Association nationale des libres-penseurs de France.
Face à une tâche aussi délicate, cette commission a siégé plus de dix-huit mois, ce qui a fait dire à Jean Jaurès que ce document parlementaire détenait « le record de travail de la législature présente, de celles passées et peut-être de celles à venir... ». Cela ne s’est pas démenti !
Les débats, nécessairement longs, furent souvent tendus et houleux. Pouvait-il en être autrement ? Les guerres de religions et toutes leurs conséquences, au demeurant pas si lointaines, étaient ancrées dans beaucoup de mémoires.
Aristide Briand, député socialiste de la Loire, rapporteur du projet de loi, arriva, grâce à ses talents de conciliateur, à faire adopter un texte d’équilibre.
Ce texte pose le principe de la liberté de conscience et celui du libre exercice des cultes. Parallèlement, il affirme son intention de sécularisation, en confiant à l’État les biens confisqués à l’Église et en supprimant la rémunération du clergé par l’État.
L’essentiel est contenu dans l’article 1er de la loi : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. »
Ce texte a su donner satisfaction à tous en consacrant la séparation entre sphère publique et sphère privée, en laissant à chacun la liberté de croire à une religion ou – c’est important de le rappeler aussi – de ne pas croire. Je pense aux athées et aux agnostiques, qui sont également attachés à la réaffirmation des principes de la laïcité.
En effet, la laïcité repose non pas sur la tolérance des différences, mais sur l’égalité des citoyens. Voilà pourquoi, comme le disait Jean Jaurès dès 1893, « démocratie et laïcité sont deux termes identiques ».
Cependant, si la laïcité, comme garante des valeurs républicaines « liberté, égalité, fraternité », a été élevée au rang de principe constitutionnel, force est malheureusement de constater qu’aujourd’hui elle est de plus en plus oubliée, voire bafouée. Alors que l’on pouvait penser acquis le caractère laïque de l’État français et que personne ne semblait plus remettre en cause les principes de laïcité et de séparation des églises et de l’État, découlant de la loi de 1905 et de la Constitution de 1958, des tentatives de remise en cause, de plus en plus distinctes, ont été observées. Face à ces tentatives, on peut regretter que, à la place d’un rappel clair du principe constitutionnel de laïcité, une certaine confusion ait été entretenue.
Nous avons tous en mémoire la violence, à certains moments, des querelles sur l’école, la difficile coexistence entre l’école publique et l’enseignement privé, essentiellement catholique.
Le principe de laïcité française ne devrait pas diviser ; il devrait au contraire rassembler les hommes d’opinions, de religions ou de convictions différentes dans une même société. Ciment de notre démocratie et du « vivre ensemble », il revêt la même importance que le triptyque « liberté, égalité, fraternité » qu’il complète.
C’est pourquoi cette idée, ou plus précisément cette valeur, socle de notre République, doit être aujourd’hui réaffirmée, en direction notamment des jeunes générations.
Comment mieux intégrer la notion de laïcité qu’en la faisant reine d’une journée par an, pour la faire vivre, l’enseigner, se l’approprier ?
Aujourd’hui, il se trouve que ce principe, que l’on pensait acquis, subit des manquements dangereux.
Comment ne pas comprendre le très profond attachement à la laïcité des membres d’associations qui ont mis ce concept au centre de leur réflexion, ou de ceux qui, en sorte d’héritage, gardent en mémoire le fossé qui a divisé, durant plusieurs décennies, catholiques et protestants, ou encore de ceux qui ont connu les pratiques encore en cours dans la première moitié du XXe siècle, notamment les difficultés pour célébrer les mariages mixtes ou les inhumations au fond des jardins, hors du cimetière communal où n’étaient pas admis les protestants ? Nos institutions peuvent-elles admettre la présence religieuse dans des manifestations officielles ou associatives ?
À l’inverse, la République française ne doit pas être présente en tant que telle dans les manifestations ou offices religieux. La très récente décision du Président de la République de demander au Premier ministre d’assister à la béatification du Pape est une entorse grave au principe de laïcité inscrit dès l’article 1er de notre Constitution.
M. Claude Bérit-Débat. Eh oui !
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution. Quant à la justification exprimée par le porte-parole du Gouvernement, elle est tout autant inadmissible ! Non, monsieur le ministre, la France n’est pas la fille aînée de l’église, la France est une République laïque.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. René-Pierre Signé. Il était temps de le dire !
M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution. Cela vaut également bien sûr pour le monde de l’éducation. Au summum de la gravité et du manquement à la laïcité, un lycée de mon département a connu récemment un exemple de prosélytisme anti-avortement de la part d’un enseignant.
Le temps me manque pour aborder le débat opportuniste sur les lieux où peuvent se pratiquer les offices religieux. Je préfère retenir que les citoyens, aux prises avec des problèmes sociaux parfois insurmontables, méritent un plus grand respect de la République ; alors, ils respecteront à leur tour la République.
La loi de 1905 doit-elle être modifiée ? Non.
En effet, véritable monument législatif, elle répond à tous les cas de figure. Je l’affirme d’autant plus volontiers que je suis viscéralement contre.
J’aurais pu vous livrer plusieurs citations sur ce sentiment largement partagé dans nos formations politiques et associations républicaines. Ne souhaitant pas être accusé de partialité, j’ai volontairement choisi de citer les propos tenus par Jean-Louis Debré, alors président de l’Assemblée nationale, à l’occasion du centenaire de la loi de 1905 : « Un siècle après son adoption, la loi de 1905 figure au nombre des grandes lois de la République, de notre République. Elle constitue une clé de voûte de notre modèle de laïcité. […] Elle représente aujourd’hui un point d’équilibre, et vouloir la remettre en cause serait irresponsable. »
Son adaptabilité à tous les temps est contenue dans l’intitulé même de la loi, au travers de l’emploi du pluriel « des églises », pluriel que le concept populaire néglige souvent, à tort, puisque l’on parle – Victor Hugo lui-même le disait – de « séparation de l’église et de l’État ». Nous considérons que cette loi contient des valeurs qui se proclament et ne se discutent pas.
Pour autant, pourquoi instaurer, m’a-t-on demandé, une journée de la laïcité ? Et certains d’ajouter : « encore une nouvelle journée ! »
Mais, mes chers collègues, n’est-ce pas un bel enjeu que de célébrer chaque année l’un des fondements de notre République, le 9 décembre, jour anniversaire de la loi concernant la séparation des églises et de l’État ? Ne peut-on y consacrer un petit jour par an, pour rappeler la laïcité, pour faciliter le « vivre ensemble » ?
Savez-vous que, à l’occasion du centenaire de la loi de 1905, un sondage a montré que plus de 80 % des jeunes enseignants étaient attachés à la laïcité. Ce constat rassurant m’a renforcé dans mes convictions.
Je salue et je remercie les membres de mon groupe qui m’ont suivi dans ma démarche depuis le dépôt de cette proposition de résolution. Par ailleurs, les nombreux soutiens, écrits et oraux, que j’ai reçus sont encourageants et me laissent espérer une large adhésion de nos concitoyens et – pourquoi pas ? – du Sénat.
Il s’agira donc de donner un peu plus d’oxygène à la laïcité pour ranimer la flamme de la liberté de conscience, permettre aux options spirituelles de s’affirmer sans être inquiétées et sans s’imposer. Non, il n’est pas inutile de réapprendre régulièrement aux citoyens de notre pays les règles élémentaires de la liberté de penser et du respect de l’autre. Un jour par an, ce principe de tolérance pourrait être fêté au sein des associations, conjugué dans les établissements scolaires.
Il convient de réaffirmer de façon claire ce principe humaniste, fondateur de notre société moderne. La laïcité est en effet une de nos chances pour l’avenir. Je ne doute pas une seconde de la créativité de nos concitoyens, enseignants, bénévoles d’associations et autres, pour animer cette journée de façon pédagogique, ludique et festive, dans la convivialité. Je fais confiance à l’imagination des animateurs de nos établissements d’enseignement, de nos institutions ou de nos associations, pour inspirer une exploration intelligente du concept de laïcité au travers, chaque année, d’un thème national : par exemple, « laïcité et enseignement », « les associations et la loi de 1905 », « laïcité de l’état civil » – c’est un sujet important –, « croyants et non-croyants ».
Pour finir, je soumets à votre réflexion un extrait d’un discours d’Aristide Briand, s’exprimant juste avant le vote de la loi : « permettez-moi de vous dire que la réalisation de cette réforme [...] aura pour effet désirable d’affranchir ce pays d’une véritable hantise, sous l’influence de laquelle il n’a que trop négligé tant d’autres questions importantes, […] Ces grands problèmes se poseront demain, dès qu’auront disparu des programmes les questions irritantes, qui comme celle-ci, passionnent les esprits jusqu’à la haine et gaspillent en discordes stériles les forces les plus vives et les enthousiasmes les plus généreux de la nation. […] Mais, pour qu’il en fût ainsi, […] il fallait que la loi se montrât respectueuse de toutes les croyances et leur laissât la faculté de s’exprimer librement. »
J’espère vous avoir convaincus, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, que la laïcité, qui porte en elle la garantie d’une coexistence pacifique de tous les habitants de notre pays, qui peut – je le souligne – apaiser des peurs injustifiées, vaut bien que nous lui consacrions une journée par an pour la promouvoir et la défendre de toute agression.
Il se trouve, mes chers collègues, qu’un autre groupe politique, de la majorité, a déposé le même jour une proposition identique. C’est dire combien le thème de la présente proposition de résolution suscite le consensus.
Solennellement, le groupe socialiste vous engage, mes chers collègues, à soutenir cette proposition de résolution, par laquelle nous demandons que la République française instaure une journée nationale de la laïcité, garante de la cohésion républicaine, journée non fériée ni chômée, fixée au 9 décembre, et permettant chaque année de faire le point sur les différentes actions menées en la matière par les pouvoirs publics et d’être l’occasion de manifestations au sein du système associatif et éducatif. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous informe que, devant suspendre nos travaux à treize heures, nous ne pourrons malheureusement achever l’examen de la présente proposition de résolution ce matin.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Roselle Cros.
Mme Roselle Cros. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la laïcité est l’un des principes fondamentaux de notre République. C’est une évidence que nous partageons avec les auteurs de la proposition de résolution qui nous est soumise.
Affirmée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, elle a aujourd’hui valeur constitutionnelle. La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État est l’un des textes républicains les plus fondateurs de notre législation. Notre collègue Claude Domeizel nous a fait un rappel historique complet et fort intéressant de la laïcité.
Cependant, mes chers collègues, depuis 1789 et même depuis 1905, les temps ont changé. Le contexte passionné et très conflictuel de l’époque est révolu. Nous n’en sommes plus à devoir batailler pour affirmer ou réaffirmer la séparation des églises et de l’État. Que les auteurs de la proposition de résolution le veuillent ou non, la laïcité est, fort heureusement, un acquis que nul ne veut vraiment remettre en cause.
Dans l’exposé des motifs, on nous explique de manière succincte, allusive et, il faut bien le dire, un peu mystérieuse que « des tentatives de remise en cause, de plus en plus distinctes, ont été observées ». C’est bien sur ce constat que nous divergeons : non, il n’y a pas, à nos yeux, de contestation sérieuse du principe de la laïcité.
Il est vrai que certains faits divers ont pu être montés en épingle par les médias, que certains débordements ont pu, au prix d’une certaine exagération, être interprétés comme des remises en cause, que des questions ont pu être soulevées à l’occasion de l’occupation d’espaces publics ou lors de discussions sur le respect de prescriptions alimentaires de nature religieuse dans les repas des cantines scolaires. Mais les polémiques sont retombées naturellement, sans devenir de réels enjeux nationaux, comme en témoigne la faible mobilisation qu’a suscitée le dernier débat organisé sur le thème de la laïcité.
Est-ce bien notre rôle de parlementaires que de raviver de vieilles querelles ?